CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 28 septembre 2017 ( 1 )

Affaires jointes C‑397/16 et C‑435/16

Acacia Srl

contre

Pneusgarda Srl, en faillite,

Audi AG

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan, Italie)]

et

Acacia Srl,

Rolando D’Amato

contre

Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) no 6/2002 – Dessins ou modèles communautaires – Article 110, paragraphe 1 – Exception à la protection – Utilisation autorisée – Pièce de rechange – Jante de voiture – Notion de “pièce d’un produit complexe” – Absence d’exigence tenant à ce que la forme de la pièce soit imposée par l’apparence du produit complexe – Libéralisation extensive du marché des pièces de rechange – Exigence d’utilisation dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale – Mesures de précaution à prendre par le fabricant ou le vendeur non titulaire – Obligation de diligence quant au respect des conditions d’utilisation par les utilisateurs situés en aval »

I. Introduction

1.

La Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan, Italie) et le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) ont adressé à la Cour des demandes tendant à obtenir une décision préjudicielle sur l’interprétation de l’article 110, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires ( 2 ).

2.

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, Acacia Srl à Pneusgarda Srl, en faillite, et à Audi AG et, d’autre part, Acacia et M. Rolando D’Amato à Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG (ci-après « Porsche ») au sujet de la fabrication et de la commercialisation par Acacia de jantes reproduisant des dessins ou des modèles communautaires dont Audi et Porsche sont titulaires.

3.

Les questions posées par les juridictions de renvoi visent à déterminer si Acacia peut se prévaloir, dans le cadre des litiges au principal, de la clause de réparation prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette clause établit une exception à la protection au titre de dessin ou modèle communautaire, en faveur des pièces de rechange utilisées dans le but de permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale.

4.

En substance, je proposerai à la Cour de répondre à ces questions comme suit. D’une part, les jantes de voiture fabriquées par Acacia relèvent de cette clause de réparation si elles sont utilisées dans le but de permettre la réparation de la voiture en vue de lui rendre son apparence initiale. D’autre part, un fabricant ou un vendeur de jantes, tel qu’Acacia, peut se prévaloir de ladite clause s’il satisfait à une obligation de diligence quant au respect par les utilisateurs situés en aval des conditions d’utilisation mentionnées ci-avant.

II. Le cadre juridique

A. Le règlement no 6/2002

5.

Le considérant 13 du règlement no 6/2002, qui évoque les clauses de réparation respectivement incluses dans ce règlement et dans la directive 98/71/CE ( 3 ), énonce :

« La directive [98/71] ne permet pas de procéder à un rapprochement total des législations des États membres relatives à l’utilisation de dessins ou modèles protégés dans le but de permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale, lorsque le dessin ou modèle est appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé. Dans le cadre de la procédure de conciliation concernant ladite directive, la Commission [européenne] s’est engagée à analyser l’impact des dispositions de cette directive trois ans après la date limite de transposition de celle-ci, en particulier sur les secteurs industriels les plus concernés. Dans ces conditions, il convient de ne pas conférer de protection au titre de dessin ou modèle communautaire à l’égard d’un dessin ou modèle qui est appliqué à un produit, ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle et qui est utilisée dans le but de permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale, tant que le Conseil [de l’Union européenne] n’a pas arrêté sa politique en la matière sur la base d’une proposition de la Commission. »

6.

L’article 3 de ce règlement comporte les définitions suivantes :

« [...]

a)

“dessin ou modèle” : l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation ;

b)

“produit” : tout article industriel ou artisanal, y compris, entre autres, les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, emballage, présentation, symboles graphiques et caractères typographiques, à l’exclusion, toutefois, des programmes d’ordinateur ;

c)

“produit complexe” : un produit se composant de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit. »

7.

L’article 4 du règlement no 6/2002, intitulé « Conditions de protection », dispose :

« 1.   La protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.

2.   Un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe n’est considéré comme nouveau et présentant un caractère individuel que dans la mesure où :

a)

la pièce, une fois incorporée dans le produit complexe, reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit, et

b)

les caractéristiques visibles de la pièce remplissent en tant que telles les conditions de nouveauté et de caractère individuel.

3.   Par “utilisation normale” au sens du paragraphe 2, point a), on entend l’utilisation par l’utilisateur final, à l’exception de l’entretien, du service ou de la réparation. »

8.

L’article 19, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire », est libellé comme suit :

« Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. »

9.

L’article 21 dudit règlement, intitulé « Épuisement des droits », prévoit :

« Les droits conférés par le dessin ou modèle communautaire ne s’étendent pas aux actes portant sur un produit dans lequel est incorporé ou auquel s’applique un dessin ou modèle entrant dans le champ de la protection du dessin ou modèle communautaire, lorsque le produit a été mis sur le marché, sur le territoire de la Communauté, par le titulaire du dessin ou modèle communautaire ou avec son consentement. »

10.

L’article 110 du règlement no 6/2002, intitulé « Disposition transitoire », prévoit :

« 1.   Jusqu’à la date d’entrée en vigueur des modifications apportées au présent règlement, sur proposition de la Commission à ce sujet, une protection au titre de dessin ou modèle communautaire n’existe pas à l’égard d’un dessin ou modèle qui constitue une pièce d’un produit complexe qui est utilisée au sens de l’article 19, paragraphe 1, dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale.

2.   La proposition de la Commission, visée au paragraphe 1, sera présentée en même temps que les changements que la Commission soumettra sur le même sujet conformément à l’article 18 de la directive [98/71] et tiendra compte de ces changements. »

B. Le droit italien

11.

L’article 241 du Decreto legislativo, n. 30, Codice della proprietà industriale (décret législatif no 30, portant code de la propriété industrielle), du 10 février 2005 (GURI no 52, du 4 mars 2005), tel que modifié par le Decreto legislativo, n. 131(décret législatif no 131), du 13 août 2010 ( GURI no 192, du 18 août 2010), intitulé « Droits exclusifs sur les pièces d’un produit complexe », énonce :

« Aussi longtemps que la directive [98/71] n’aura pas été modifiée sur proposition de la Commission en vertu de l’article 18 de cette même directive, les droits exclusifs sur les pièces d’un produit complexe ne peuvent être invoqués pour faire obstacle à la fabrication et à la vente de ces pièces aux fins de la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale. »

III. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A. L’affaire C-397/16

12.

Audi est titulaire de plusieurs modèles communautaires de jantes en alliage aluminium.

13.

Audi considère que certains modèles de jantes répliques en alliage de la marque WSP Italy, produits par Acacia et vendus par le revendeur indépendant Pneusgarda, constituent des contrefaçons des modèles communautaires dont elle est titulaire. Elle a donc attaqué Acacia et Pneusgarda devant le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie) afin de faire constater la violation alléguée et de faire interdire l’activité exercée par Acacia et Pneusgarda, respectivement fabricant et revendeur des produits en question. Au cours de la procédure est survenue la faillite de Pneusgarda.

14.

Par arrêt no 2271/2015, du 27 novembre 2014, ce tribunal a fait droit à la demande d’Audi en déclarant que l’activité commerciale d’Acacia, consistant dans l’importation, l’exportation, la production, la commercialisation et la promotion publicitaire de jantes répliques, constituait une contrefaçon des six modèles communautaires dont Audi avait demandé la protection.

15.

Acacia a fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, faisant valoir que les jantes qu’elle fabrique relèvent de la clause de réparation prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

16.

La juridiction de renvoi souligne que la solution à apporter au litige au principal dépend de l’interprétation de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Elle précise qu’elle tend à considérer que les jantes litigieuses relèvent de la clause de réparation prévue à cette disposition.

17.

Dans ces circonstances, la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

[Premièrement, l]es principes de libre circulation des marchandises et de libre prestation des services dans le marché intérieur, [deuxièmement,] le principe d’effectivité des règles de concurrence européennes et de libéralisation du marché intérieur, [troisièmement,] les principes de l’effet utile et de l’application uniforme du droit européen au sein de l’Union européenne [et, quatrièmement], les dispositions du droit dérivé de l’Union européenne telles que la directive 98/71 et, en particulier, son article 14, l’article 1er du règlement [(UE) no 461/2010 de la Commission, du 27 mai 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (JO 2010, L 129, p. 52),] et le règlement [no 124 de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) – Dispositions uniformes relatives à l’homologation des roues pour voitures particulières et leurs remorques], s’opposent-ils à une interprétation de l’article 110 du règlement no 6/2002, contenant la clause de réparation, qui exclurait la jante réplique, esthétiquement identique à la jante originale de première monte, homologuée sur la base du règlement no 124 précité, de la notion de pièce d’un produit complexe (automobile) destinée à en permettre la réparation et à lui rendre son apparence initiale ?

2)

En cas de réponse négative à la première question, les règles relatives aux droits de propriété industrielle sur les modèles enregistrés, après mise en balance des intérêts visés dans la première question, s’opposent-elles à l’application de la clause de réparation s’agissant de produits complémentaires répliques que le client pourrait choisir différemment, au motif que la clause de réparation doit être interprétée de manière restrictive et limitée à des pièces de rechange dont la forme est liée au produit, c’est-à-dire des pièces dont la forme a été déterminée de manière fondamentalement immuable par rapport à l’apparence extérieure du produit complexe, à l’exclusion d’autres éléments considérés comme interchangeables et pouvant être librement montés selon le goût du client ?

3)

En cas de réponse affirmative à la [deuxième question], quelles mesures le producteur de jantes répliques doit-il adopter pour garantir la circulation légitime des produits destinés à réparer le produit complexe et à lui rendre son apparence extérieure initiale ? »

B. L’affaire C-435/16

18.

Porsche est titulaire de plusieurs dessins ou modèles communautaires représentant des roues pour véhicules.

19.

Acacia, dont le gérant, M. D’Amato, est également partie requérante dans le litige au principal, produit des jantes pour voitures de tourisme fabriquées par différents constructeurs automobiles. Sa gamme de produits inclut les jantes en alliage léger « W1050 Philadelphia », « W1051 Tornado Silver », « W1054 Saturn » et « W1053 Helios Silver », lesquelles reproduisent des dessins ou des modèles communautaires dont Porsche est titulaire. La marque d’Acacia, WSP Italy ainsi que l’indication « Not O.E.M » sont apposées sur les jantes qu’elle fabrique.

20.

Acacia propose à la vente ses jantes en alliage léger sur son site Internet www.wspitaly.com qui, en Allemagne, est accessible en langue allemande. Sur ce site Internet qui s’adresse aux utilisateurs finals, les jantes peuvent être achetées à l’unité ou en plus grand nombre. L’on y trouve également l’indication en anglais qu’il s’agit de roues de remplacement répliques ou de roues de remplacement répliques partielles, totalement compatibles avec les véhicules indiqués et exclusivement destinées à leur réparation, en vue de leur rendre leur apparence initiale. S’agissant des jantes en alliage léger destinées aux véhicules de Porsche, Acacia indique qu’il s’agit de jantes de remplacement qui ne sont utilisables que sur des véhicules Porsche.

21.

Considérant que les jantes en alliage léger « W1050 Philadelphia », « W1051 Tornado Silver », « W1054 Saturn » et « W1053 Helios Silver » portent atteinte aux dessins ou aux modèles communautaires dont elle est titulaire, Porsche a introduit un recours devant le Landgericht (tribunal régional, Allemagne) visant notamment à faire interdire la fabrication et la commercialisation par Acacia des jantes litigieuses.

22.

Acacia et son gérant ont fait valoir que les jantes litigieuses sont des pièces de rechange utilisées pour la réparation de véhicules Porsche endommagés de telle sorte que, conformément à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, elles sont exclues de la protection conférée par les dessins ou modèles dont Porsche est titulaire.

23.

Le Landgericht (tribunal régional) a jugé que le recours introduit par Porsche était fondé. L’appel interjeté par Acacia et son gérant ayant été rejeté, ceux-ci ont introduit un pourvoi en Revision, autorisé par la juridiction d’appel, devant la juridiction de renvoi.

24.

La juridiction de renvoi relève que l’issue du pourvoi introduit par Acacia et son gérant dépend de l’interprétation de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Elle précise à cet égard qu’elle est encline à considérer que les composants dont la forme n’est pas imposée, tels que les jantes en cause dans le cadre du présent litige, ne relèvent pas du champ d’application de la clause de réparation établie par cette disposition.

25.

Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’application de la restriction prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 est-elle limitée aux pièces dont la forme est imposée, c’est-à-dire aux pièces dont la forme est déterminée, en principe, de façon invariable par l’apparence du produit global et n’est donc pas laissée – comme le sont notamment les jantes de véhicules automobiles – au libre choix du client ?

2)

Dans l’hypothèse où une réponse négative est apportée à la première question :

L’application de la restriction prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 est-elle limitée uniquement à l’offre de produits de conception identique, à savoir de produits correspondant également du point de vue de leurs coloris et de leurs dimensions aux produits d’origine ?

3)

Dans l’hypothèse où une réponse négative est apportée à la première question :

La restriction prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 n’est-elle applicable au profit du vendeur d’un produit qui porte en principe atteinte au dessin ou au modèle en cause que si ce vendeur veille de manière objective à ce que son produit ne puisse être acquis qu’à des fins de réparation et non également à d’autres fins telles que, notamment, l’équipement ou l’individualisation du produit global ?

4)

Dans l’hypothèse où une réponse positive est apportée à la troisième question :

Quelles mesures le vendeur d’un produit qui porte en principe atteinte au dessin ou modèle en cause doit-il adopter pour veiller de manière objective à ce que son produit ne puisse être acquis qu’à des fins de réparation et non également à d’autres fins telles que, notamment, l’équipement ou l’individualisation du produit global ? Suffit-il à cet égard :

a)

que le vendeur intègre dans le prospectus de vente l’indication que la vente est réalisée exclusivement à des fins de réparation en vue de rendre au produit global son apparence initiale, ou

b)

faut-il que le vendeur subordonne la livraison à la condition que l’acquéreur (distributeur et consommateur) déclare par écrit qu’il n’utilisera le produit proposé à la vente qu’à des fins de réparation ? »

IV. La procédure devant la Cour

26.

Les demandes de décision préjudicielle ont été enregistrées au greffe de la Cour le 18 juillet 2016 dans l’affaire C-397/16 et le 4 août 2016 dans l’affaire C-435/16.

27.

Dans l’affaire C-397/16, ont présenté des observations écrites Acacia, Audi, les gouvernements italien, allemand et néerlandais ainsi que la Commission.

28.

Dans l’affaire C-435/16, ont présenté des observations écrites Acacia et M. D’Amato, Audi, les gouvernements allemand, italien et néerlandais ainsi que la Commission.

29.

Par une décision du président de la Cour du 25 avril 2017, ces deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

30.

Ont comparu à l’audience du 14 juin 2017 pour y être entendus en leurs observations Acacia et M. D’Amato, Audi, Porsche, les gouvernements italien, allemand et français ainsi que la Commission.

V. Analyse

31.

Les présentes affaires portent sur la clause de réparation établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 en faveur de pièces de rechange utilisées en vue de réparer un produit complexe. Comme je l’expliquerai ci-après, cette exception à la protection au titre de dessin ou modèle communautaire a fait l’objet d’amples débats au cours de la procédure législative précédant l’adoption de ce règlement.

32.

Afin de faciliter la compréhension de l’enjeu de la présente affaire, je commencerai par décrire la raison d’être de cette clause de réparation, qui vise à procéder à une libéralisation extensive du marché des pièces de rechange (section A).

33.

La deuxième question dans l’affaire C-397/16 et la première question dans l’affaire C-435/16 visent à déterminer si la portée de l’exception établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 est limitée aux pièces dont la forme est imposée par l’apparence du produit complexe. Je proposerai à la Cour de répondre par la négative à ces questions dès lors que la suppression de cette exigence a été nécessaire pour aboutir à un accord politique au sein du Conseil sur l’adoption de ce règlement (section B).

34.

La deuxième question posée dans l’affaire C-435/16 vise à déterminer si la portée de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 est limitée aux pièces identiques aux pièces d’origine, notamment du point de vue de leurs coloris et de leurs dimensions. Je proposerai à la Cour de répondre à cette question par l’affirmative. J’examinerai également, dans ce contexte, l’exigence tenant à la présence d’une « pièce d’un produit complexe » ainsi que celle concernant l’utilisation à des fins de réparation du produit complexe (section C).

35.

La troisième question dans l’affaire C-397/16 ainsi que les troisième et quatrième questions dans l’affaire C-435/16 portent sur les mesures de précaution devant être prises par un fabricant ou un vendeur de pièces souhaitant se prévaloir de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

36.

À cet égard, je proposerai à la Cour de répondre que, pour pouvoir se prévaloir de cette exception, le fabricant ou le vendeur d’une pièce d’un produit complexe doit satisfaire à une obligation de diligence quant au respect par les utilisateurs situés en aval des conditions d’utilisation établies à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette obligation de diligence implique, d’une part, qu’il informe l’acquéreur du fait que la pièce concernée incorpore un dessin ou un modèle dont il n’est pas titulaire et que cette pièce est exclusivement destinée à être utilisée dans les conditions établies à cette disposition et, d’autre part, qu’il perde le droit de s’en prévaloir s’il savait ou avait des motifs raisonnables de savoir que la pièce ne serait pas utilisée dans le respect de ces conditions (section D).

37.

Je précise que les éléments de réponse ainsi établis permettront de répondre à la première question posée dans l’affaire C-397/16 en ce sens qu’une jante de voiture doit être considérée comme une «pièce d’un produit complexe», au sens de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ( 4 ), et qu’elle peut bénéficier de l’exception établie à cette disposition si elle est utilisée dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ( 5 ). J’ajoute qu’il n’est pas nécessaire, aux fins de répondre à cette question, d’examiner les autres principes et dispositions qui y sont mentionnés, comme l’ont souligné à juste titre le gouvernement allemand et la Commission.

A. Sur la raison d’être de la clause de réparation établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002

38.

Comme l’a souligné la Commission, il ressort des motifs exposés dans la proposition de règlement que l’objectif de la clause de réparation était de prévenir l’apparition de monopoles au profit des titulaires en ce qui concerne les pièces de produits complexes :

« Le but de cette disposition est d’éviter la création de marchés captifs pour certaines pièces détachées.

[...]

[...] Le consommateur qui a acheté un produit de longue durée et [qui] peut être onéreux (par exemple une automobile) serait indéfiniment lié, pour l’achat des pièces externes, au fabricant du produit complexe. Cela pourrait aboutir à la création de conditions malsaines de concurrence sur le marché des pièces détachées, mais aussi en pratique assurer au fabricant du produit complexe un monopole d’une durée dépassant celle de la protection de son dessin ou modèle [...]» ( 6 )

39.

Pour bien comprendre le cas de figure ainsi envisagé dans la proposition de règlement, je crois utile de décrire les effets de la protection octroyée au titre de dessin ou modèle communautaire aux stades de la conception d’une voiture automobile, de la commercialisation de cette voiture et du remplacement d’une pièce de cette voiture.

40.

En premier lieu, supposons qu’un constructeur automobile conçoive un modèle ou dessin de voiture nouveau et présentant un caractère individuel, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Ce constructeur demande et obtient une protection au titre de dessin ou modèle communautaire pour la voiture, laquelle constitue un produit complexe, au sens de l’article 3, sous c), de ce règlement. Il obtient également cette protection pour plusieurs pièces incorporées à la voiture en application de l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, telles que les pare-chocs, les ailes de carrosserie, les portières, les phares ou encore les jantes des roues.

41.

En tant que titulaire de ces dessins ou modèles communautaires, le constructeur automobile se voit conférer, en application de l’article 19 de ce règlement, le droit exclusif de les utiliser et d’interdire à tout tiers de les utiliser sans son consentement. En d’autres termes, ce constructeur détient un monopole d’utilisation de ces dessins ou modèles, ce qui lui permet d’interdire aux tiers de fabriquer ou de commercialiser une voiture ou des pièces de voiture les utilisant.

42.

Toutefois, en deuxième lieu, la règle de l’épuisement prévue à l’article 21 du règlement no 6/2002 limite ce monopole à la première mise sur le marché des produits concernés ( 7 ). Selon cette disposition, en effet, les droits du titulaire ne s’étendent pas aux actes portant sur un produit qui a été mis sur le marché par le titulaire ou avec son consentement. Ainsi, lors de chaque vente d’une voiture, les droits du constructeur automobile sont épuisés non seulement à l’égard de la voiture vendue, considérée en tant que produit complexe, mais également à l’égard de chaque pièce de cette voiture qui serait protégée par un dessin ou modèle communautaire.

43.

En troisième lieu, il est possible que l’une des pièces incorporées à la voiture vendue par le constructeur automobile, telles que les pare-chocs, les ailes de carrosserie, les portières, les phares ou encore les jantes des roues, devienne défectueuse et doive être remplacée.

44.

En application des articles 19 et 21 du règlement no 6/2002, le constructeur automobile détient un monopole d’utilisation, limité à la première mise sur le marché, à l’égard de toute pièce de rechange incorporant un dessin ou modèle dont il est titulaire. Ainsi, ces dispositions confèrent au constructeur le droit de s’opposer à la fabrication ou à la commercialisation de telles pièces sans son consentement, et ce durant toute la durée d’utilisation du produit complexe, à savoir la voiture dans le présent cas de figure.

45.

C’est précisément ce monopole, à savoir le monopole du titulaire à l’égard des pièces de rechange d’un produit complexe, que la clause de réparation établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 vise à éliminer dans certaines circonstances. Cette clause prévoit, en effet, que les droits du titulaire ne s’étendent pas aux pièces utilisées dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale.

46.

Je précise d’ores et déjà que, dans sa version actuelle, la clause de réparation procède selon moi à une libéralisation extensive du marché des pièces de rechange, contrairement à la version initialement proposée par la Commission, laquelle procédait à une libéralisation restreinte de ce marché ( 8 ). En effet, dans sa version initiale, le champ d’application de la clause de réparation était limité aux pièces dont la forme était imposée par l’apparence du produit complexe, telles que les phares de voiture. Partant, les titulaires conservaient leur monopole à l’égard des pièces dont la forme n’était pas imposée par l’apparence du produit complexe, telles que les jantes de voiture.

47.

La suppression de cette condition a toutefois été nécessaire pour permettre l’adoption du règlement no 6/2002 au sein du Conseil, comme je l’expliquerai dans la section suivante. Ainsi, la version finale de la clause de réparation vise toutes les pièces de rechange, sans restriction relative à leur forme.

B. Sur l’absence d’exigence tenant à ce que la forme de la pièce soit imposée par l’apparence du produit complexe (deuxième question dans l’affaire C-397/16 et première question dans l’affaire C-435/16)

48.

Audi, Porsche et le gouvernement allemand ont fait valoir que la clause de réparation établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique aux seules pièces faisant partie d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé » ou, en d’autres termes, aux pièces dont la forme est imposée par l’apparence du produit complexe.

49.

Cette argumentation sert les intérêts des titulaires de dessins ou de modèles de jantes, tels qu’Audi et Porsche, pour la raison suivante. Comme l’ont exposé ces dernières avec force détails, la forme des jantes n’est pas conditionnée par l’apparence du véhicule. En d’autres termes, tout véhicule peut être associé à de nombreux modèles de jantes. Partant, cette interprétation exclut les jantes du champ d’application de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, ce qui permettrait à Audi et à Porsche de conserver leur monopole sur les jantes de remplacement incorporant les dessins ou modèles dont elles sont titulaires.

50.

Je précise que Porsche a fait référence à plusieurs décisions de juridictions nationales qui confirmeraient cette interprétation ( 9 ), tandis qu’Acacia a cité d’autres décisions de juridictions nationales qui l’infirmeraient ( 10 ). Je relève également que les juridictions de renvoi dans les présentes affaires ont des avis divergents à ce sujet ( 11 ).

51.

Je considère que l’argumentation suggérée par Audi et Porsche doit être rejetée pour les motifs suivants.

52.

D’une part, une telle exigence, selon laquelle la pièce doit faire partie d’un produit complexe dont l’apparence conditionne le dessin ou le modèle protégé, n’apparaît pas dans le libellé de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette absence milite, en soi, en faveur du rejet de l’approche proposée par Audi, Porsche et le gouvernement allemand.

53.

D’autre part, il n’est pas possible de souscrire à cette approche dès lors que la suppression de cette exigence, qui était incluse dans la proposition initiale de la Commission, a été nécessaire pour aboutir à un accord politique au sein du Conseil au sujet de l’adoption de ce règlement, comme l’a démontré la Commission. Étant donné l’importance centrale de cet élément dans l’interprétation que je propose, je souhaite retracer avec précision l’évolution qu’a connue cette disposition au cours du processus législatif.

54.

Le 3 décembre 1993, la Commission présentait à la fois une proposition de règlement ( 12 ) et une proposition de directive portant sur la protection au titre de dessin ou modèle ( 13 ). La proposition de règlement avait pour objet de créer un système communautaire de protection pour les dessins ou modèles. La proposition de directive visait à rapprocher les législations des États membres relatives à la protection des dessins ou des modèles en vue de réduire les obstacles à la libre circulation des marchandises.

55.

L’article 23 de la proposition de règlement comportait une clause de réparation dont la portée était restreinte aux pièces faisant partie d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé» ( 14 ). L’article 14 de la proposition de directive comportait une clause de réparation libellée en des termes quasi identiques.

56.

Après plusieurs années de débats interinstitutionnels, la proposition de directive fut adoptée le 13 octobre 1998, devenant la directive 98/71 sur la protection juridique des dessins ou des modèles.

57.

La version finale de l’article 14 de cette directive présente des différences importantes par rapport à la proposition initiale de la Commission ( 15 ). En particulier, cet article vise désormais toute « pièce utilisée dans le but de permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale », et ce sans exiger que la pièce fasse partie d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé » comme le prévoyait la proposition initiale de la Commission.

58.

À la suite de l’adoption de la directive 98/71, la Commission a présenté, le 21 juin 1999, une proposition modifiée de règlement dont l’article 23 avait été supprimé, mais qui comportait un nouvel article 10 bis ( 16 ). Dans l’attente d’une solution harmonisée dans le cadre de ladite directive, cet article excluait temporairement les pièces détachées du champ d’application du règlement, en interdisant leur enregistrement au titre de dessin ou modèle communautaire pendant cette période. Cependant, à la différence de l’article 14 de la directive 98/71, la portée de cette disposition restait limitée aux pièces d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle» ( 17 ).

59.

Cette divergence entre la directive 98/71 et la proposition de règlement a constitué l’un des principaux obstacles à l’adoption de cette proposition au sein du Conseil, laquelle requérait l’unanimité des votes en application de l’ancien article 308 CE. La grande majorité des délégations plaidaient, en effet, en faveur d’une convergence entre ces deux instruments à cet égard ( 18 ).

60.

C’est dans ce contexte que la Présidence du Conseil de l’Union européenne a invité le Comité des représentants permanents (Coreper), le 19 octobre 2000, à se prononcer sur trois variantes de la disposition relative aux pièces de rechange de produits complexes respectivement proposées par la Commission, la Présidence du Conseil et la délégation irlandaise ( 19 ).

61.

Les deux premières variantes de cette disposition maintenaient l’exigence selon laquelle la pièce devait faire partie d’un produit complexe «dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle». En revanche, cette exigence n’apparaissait plus au libellé de la troisième variante, proposée par la délégation irlandaise ( 20 ).

62.

C’est cette troisième variante, la seule permettant une convergence entre la directive 98/71 et la proposition de règlement au sujet des pièces de produits complexes, qui a fait l’objet d’un accord au sein du Coreper lors de la réunion du 25 octobre 2000 ( 21 ).

63.

Il résulte ainsi des travaux préparatoires que la suppression de l’exigence selon laquelle la pièce doit faire partie d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé » a été nécessaire pour permettre l’adoption de ce règlement par le Conseil, près de huit années après la proposition initiale de la Commission. Ainsi, l’accord politique conclu au sein du Conseil se fonde sur l’adoption d’une clause de réparation des pièces de produit complexe ayant une portée plus large que celle initialement proposée par la Commission, et ce au détriment des intérêts des titulaires.

64.

Selon moi, l’interprétation suggérée par Audi, Porsche et le gouvernement allemand consiste précisément à remettre en cause cet accord politique en restreignant la portée de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 aux pièces dont la forme est imposée par l’apparence du produit complexe.

65.

À mes yeux, les circonstances de l’adoption du règlement no 6/2002, décrites ci-avant, s’opposent à une telle interprétation, laquelle aboutirait à réintroduire par la voie judiciaire une condition qui a été supprimée lors du processus législatif.

66.

J’ajoute qu’aucun des éléments avancés par Audi, Porsche et le gouvernement allemand ne peut ébranler ma conviction à cet égard.

67.

Selon un premier argument, une telle interprétation serait conforme à l’objectif poursuivi par l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, qui est de prévenir l’existence de monopoles sur la vente de pièces de rechange ( 22 ). Selon cet argument, un tel risque n’existerait pas lorsque la forme de la pièce n’est pas imposée par l’apparence du produit complexe, à l’image d’une jante de voiture. En témoignerait la forte concurrence existant sur le marché des jantes, les consommateurs ayant le choix entre de nombreux modèles proposés par plusieurs fabricants. Ainsi, dans le contexte des affaires au principal, Acacia aurait la liberté de créer de nouveaux modèles de jantes n’incorporant pas les dessins ou modèles dont Audi et Porsche sont titulaires, la forme des jantes n’étant pas imposée par l’apparence de la voiture.

68.

Selon un second argument invoqué par ces parties, cette interprétation serait conforme au libellé du considérant 13 du règlement no 6/2002, qui vise les pièces d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle ».

69.

Je considère que cette argumentation doit être rejetée pour les trois motifs suivants.

70.

En premier lieu, j’estime que, indépendamment de leur éventuel bien-fondé, ces arguments ne sauraient conduire à restreindre la portée de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 en réintroduisant, par voie d’interprétation, une exigence dont la suppression a été nécessaire pour aboutir à un accord politique au sein du Conseil.

71.

En deuxième lieu, je considère que, contrairement à ce que soutiennent Audi, Porsche et le gouvernement allemand, l’objectif de prévention de monopoles sur le marché des pièces de rechange justifiait la suppression de cette exigence par le législateur de l’Union.

72.

Certes, le monopole du titulaire est plus étendu lorsque la forme de la pièce est imposée par l’apparence du produit complexe. À titre d’illustration, si la forme d’un phare est imposée par l’apparence de la voiture et que ce phare incorpore un dessin ou modèle protégé, alors aucun tiers ne peut fabriquer ou commercialiser des phares de remplacement sans le consentement du titulaire. Il est constant entre les parties que, dans un tel cas de figure, la clause de réparation doit être appliquée en vue de libéraliser le marché des pièces de rechange, en permettant aux tiers d’utiliser le dessin ou modèle en cause.

73.

Il n’en reste pas moins que le titulaire détient également un monopole, certes plus réduit, lorsque la forme de la pièce n’est pas imposée par l’apparence de la voiture, à l’image des jantes de voiture. Dans ce cas de figure, d’autres fabricants ont la liberté de concevoir des pièces de rechange n’incorporant pas les dessins ou modèles protégés, sans que le titulaire puisse s’y opposer. Néanmoins, ce titulaire conserve, en principe, le droit de s’opposer à la fabrication ou à la commercialisation de jantes répliquant l’apparence des jantes qu’il a conçues. C’est le sort de ce monopole « réduit » qui a fait l’objet d’appréciations divergentes au cours du processus législatif et dans le cadre de la présente affaire.

74.

En excluant de la clause de réparation les pièces dont la forme n’est pas imposée, telles que les jantes de remplacement, la proposition initiale de la Commission préservait ce monopole « réduit » du titulaire, conformément à l’interprétation suggérée par Audi, Porsche et le gouvernement allemand. Selon cette première approche, Audi a le droit de s’opposer au remplacement d’une jante Audi endommagée par une jante réplique fabriquée par Acacia. En ce sens, cette proposition procédait à une libéralisation restreinte du marché des pièces de rechange.

75.

En revanche, la version finale de la clause de réparation, qui vise toutes les pièces de produits complexes, a pour effet de supprimer le monopole « réduit » du titulaire, conformément à l’interprétation proposée par Acacia, les gouvernements italien et néerlandais ainsi que la Commission. Selon cette seconde approche, Audi n’a pas le droit de s’opposer au remplacement d’une jante Audi endommagée par une jante réplique fabriquée par Acacia. Cette approche aboutit à une libéralisation extensive du marché des pièces de rechange.

76.

Par conséquent, en supprimant l’exigence selon laquelle la forme de la pièce doit être imposée par l’apparence du produit complexe, le législateur de l’Union a, selon moi, effectué un choix en faveur de la libéralisation extensive du marché des pièces de rechange. Du point de vue du consommateur, cette libéralisation offre, lorsqu’une réparation s’avère nécessaire, la possibilité d’acquérir une jante de remplacement fabriquée par un tiers et répliquant l’apparence de la jante originale endommagée, sans être tenu d’acquérir une jante de remplacement fabriquée par le titulaire. En d’autres termes, le consommateur n’est pas lié, en cas de réparation, par le choix qu’il a effectué lors de l’acquisition du véhicule.

77.

Je souligne que cette lecture est confortée par l’article 14 de la directive 98/71, lequel doit faire l’objet d’une révision conjointement à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 en application du paragraphe 2 de ce dernier article.

78.

En effet, si cette disposition permet aux États membres de maintenir en vigueur des dispositions nationales établissant une clause de réparation, elle précise que ces États ne peuvent introduire des modifications à ces dispositions « que si l’objectif en est de libéraliser le marché de ces pièces ». Selon moi, cette disposition confirme que l’intention du législateur de l’Union penchait vers la libéralisation du marché des pièces de rechange.

79.

En troisième lieu, en ce qui concerne le considérant 13 du règlement no 6/2002, la Commission a fait valoir que le maintien de l’expression « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle » résulte d’un défaut de coordination entre le considérant et la disposition prévoyant la clause de réparation.

80.

S’il ne me paraît pas possible, sur la base des documents publiés par le Conseil, de trancher ce point avec certitude, plusieurs indices militent à mes yeux en faveur de cette position. Premièrement, il est possible que le maintien de cette expression trouve sa source dans l’adoption de la proposition de la délégation irlandaise par le Coreper, laquelle ne comportait pas d’amendement visant le texte du considérant ( 23 ). Ainsi, le texte de compromis communiqué par la Présidence du Conseil à la suite de la réunion du Coreper comportait une version du considérant 13 fondée sur la deuxième variante (de la Présidence) et une version de la disposition fondée sur la troisième variante (de la délégation irlandaise) ( 24 ). Cette discordance a persisté tout au long des débats au sein du Conseil ( 25 ), et ce jusqu’à l’adoption du texte final le 12 décembre 2001.

81.

Deuxièmement, je rappelle que la grande majorité des délégations avaient exprimé le souhait d’un alignement entre, d’une part, la rédaction du considérant et de la clause de réparation dans la proposition de règlement et, d’autre part, celle de l’article 14 de la directive 98/71 ( 26 ). Or l’expression « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle » avait été supprimée du texte de cet article au cours des travaux législatifs ( 27 ). Ces circonstances plaident également en faveur de la thèse selon laquelle le maintien de cette expression dans le texte du considérant 13 du règlement no 6/2002 serait le résultat d’un défaut de coordination avec l’article 110, paragraphe 1, de ce règlement, comme l’a fait valoir la Commission.

82.

En toute hypothèse, j’estime que la teneur d’un considérant, qui est dépourvu de toute force contraignante, ne peut conduire à restreindre la portée d’une disposition d’un règlement en réintroduisant une condition dont la suppression a été nécessaire pour aboutir à un accord politique au sein du Conseil.

83.

Je déduis de ce qui précède que la portée de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 n’est pas limitée aux pièces faisant partie d’un produit complexe « dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé », exigence qui a été expressément rejetée par le législateur de l’Union.

C. Sur les conditions établies à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 (deuxième question posée dans l’affaire C‑435/16)

84.

Deux conditions peuvent être dégagées du libellé de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, l’une concernant la présence d’une pièce d’un produit complexe, l’autre relative à l’utilisation de cette pièce dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale.

1. La présence d’une pièce d’un produit complexe

85.

La première condition tient à la présence d’une « pièce d’un produit complexe ». Je relève que le règlement no 6/2002 ne comporte pas de définition de cette notion.

86.

Selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause ( 28 ).

87.

En application de cette jurisprudence, plusieurs éléments de définition peuvent être déduits du contexte de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

88.

Premièrement, l’article 3, sous c), de ce règlement définit le « produit complexe » comme étant un produit se composant de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit. Par ailleurs, l’article 3, sous b), de ce règlement définit la notion de « produit » comme visant tout article industriel ou artisanal, y compris, entre autres, les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe.

89.

Deuxièmement, il ressort du libellé de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 que l’utilisation de la pièce doit permettre la réparation du produit complexe. Cette précision implique que la pièce soit nécessaire en vue d’une utilisation normale du produit complexe ou, en d’autres termes, que l’état défectueux ou l’absence de la pièce soit susceptible d’empêcher une telle utilisation normale. Il est constant entre les parties que tel est le cas des jantes de voiture. En revanche, cette condition me semble exclure, notamment, les accessoires de voiture tels que les sièges pour enfants, les galeries de toit ou les installations acoustiques, comme l’a fait valoir à juste titre le gouvernement allemand.

90.

Troisièmement, l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ne peut concerner que des pièces faisant l’objet d’une protection au titre de dessin ou modèle communautaire. En effet, à défaut d’une telle protection, l’exception prévue à cette disposition est sans objet.

91.

Par conséquent, ladite disposition ne peut concerner que des pièces remplissant notamment les conditions établies à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement. En effet, à défaut de remplir ces conditions, la pièce ne peut pas bénéficier de la protection au titre de dessin ou modèle communautaire établie par le règlement no 6/2002. Ainsi, la clause de réparation ne peut viser que des pièces qui, une fois incorporées dans le produit complexe, restent visibles lors d’une utilisation normale de ce produit et dont les caractéristiques visibles remplissent en tant que telles les conditions de nouveauté et de caractère individuel.

92.

Il résulte de ce qui précède que la notion de « pièce d’un produit complexe », au sens de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, vise :

un produit incorporé à un autre produit, ce dernier étant qualifié de « produit complexe » ;

qui peut être démonté et remplacé ;

qui est nécessaire en vue d’une utilisation normale du produit complexe, et

qui reste visible lors d’une utilisation normale du produit complexe.

93.

Il ne fait guère de doute, à mes yeux, qu’une jante de voiture remplit ces conditions et, partant, doit être considérée comme une « pièce d’un produit complexe », au sens de cette disposition.

94.

Porsche a néanmoins allégué que des jantes de voiture ne sauraient être considérées comme des pièces d’un produit complexe au sens de ladite disposition. Selon cet argument, l’apparence ou « l’esthétique » des jantes est indépendante de celle du véhicule, ce qui implique que le consommateur est libre de choisir les jantes avec lesquelles il souhaite équiper son véhicule afin de donner à celui-ci un aspect spécifique.

95.

Je constate que cet argument revient à alléguer que les jantes ne peuvent pas relever de la clause de réparation parce que leur forme n’est pas imposée par l’apparence du véhicule, de telle sorte qu’un même véhicule peut être associé à de nombreux modèles de jantes ( 29 ). Il me suffit de relever à cet égard que, ce faisant, Porsche invite la Cour à réintroduire une exigence expressément rejetée par le législateur de l’Union, comme je l’ai expliqué aux points 48 à 83 des présentes conclusions.

96.

Je déduis de ce qui précède que la notion de « pièce d’un produit complexe » n’est pas limitée aux pièces dont la forme est imposée par l’apparence du produit complexe, mais vise tout produit incorporé à un autre produit, ce dernier étant qualifié de « produit complexe », qui peut être démonté et remplacé, qui est nécessaire en vue d’une utilisation normale du produit complexe et qui reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit complexe.

2. L’utilisation de la pièce dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale

97.

Aux termes de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la seconde condition est que, la pièce doit être « utilisée au sens de l’article 19, paragraphe 1, dans le but de permettre la réparation [du] produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ».

98.

La notion d’« utilisation » établie à l’article 19, paragraphe 1, de ce règlement est définie de manière large, de telle sorte qu’elle englobe toute utilisation d’une pièce à des fins de réparation.

99.

Je souligne, en premier lieu, que le but de réparation du produit complexe entraîne une restriction substantielle du champ d’application de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. En effet, cette exigence exclut notamment toute utilisation d’une pièce pour des motifs d’agrément ou de simple convenance, telle que le remplacement d’une jante pour des motifs esthétiques.

100.

En d’autres termes, le bénéfice de l’exception à la protection au titre de dessin ou modèle communautaire est réservé à l’utilisation de pièces imposée par un état défectueux du produit complexe, c’est-à-dire un état empêchant une utilisation normale de ce produit. Un tel état défectueux peut être provoqué, à mon avis, soit par l’état défectueux de la pièce elle-même, soit par l’absence de cette pièce, notamment en cas de vol ( 30 ).

101.

À cet égard, la circonstance que les jantes acquises indépendamment du véhicule pourraient, en pratique, être principalement utilisées à des fins d’agrément et non de réparation ne peut pas, en soi, justifier l’exclusion des jantes du champ d’application de cette disposition.

102.

En second lieu, l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 précise encore que la réparation doit être effectuée en vue de rendre au produit complexe son apparence initiale.

103.

Je relève que cette exigence vise l’apparence du produit complexe, et non celle de la pièce. Partant, cette exigence suppose que le remplacement de la pièce défectueuse soit susceptible d’affecter l’apparence du produit complexe. En d’autres termes, la pièce doit participer à l’apparence du produit complexe.

104.

Je considère qu’une pièce visée à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 participera nécessairement à l’apparence du produit complexe, en raison de l’interaction de cette disposition avec l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement ( 31 ). En effet, et comme je l’ai expliqué ci-avant, seules les pièces restant visibles lors de l’utilisation normale du produit complexe peuvent bénéficier de la protection au titre de dessin ou modèle communautaire et, partant, être visées par la clause de réparation. Or une pièce restant visible participe nécessairement à l’apparence du produit complexe, à l’image notamment des jantes de voiture.

105.

Toutefois, pour bénéficier de ladite dérogation, encore faut-il que la réparation soit effectuée en vue de rendre au produit complexe son apparence initiale. À mes yeux, cette exigence implique que la pièce de remplacement ait une apparence identique à celle de la pièce initialement incorporée au produit complexe.

106.

En outre, la notion d’« apparence » doit, selon moi, être interprétée à la lumière de la définition de « dessin ou modèle » établie à l’article 3, sous a), du règlement no 6/2002, de telle sorte qu’elle vise, notamment, l’apparence conférée par les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation.

107.

Dans le contexte des affaires au principal, cette exigence implique que l’apparence de la jante utilisée à des fins de réparation soit identique à celle de la jante initialement incorporée à la voiture, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux de la jante et/ou de son ornementation.

108.

Je précise à cet égard que l’apposition d’une marque détenue par le fabricant tiers – telle que la marque WSP Italy apposée par Acacia sur les jantes qu’elle fabrique ( 32 ) – ne saurait impliquer que l’apparence de la pièce de rechange diffère de celle de la pièce originale sur laquelle était apposée une marque détenue par les titulaires des dessins ou des modèles communautaires – tels qu’Audi ou Porsche. En effet, si tel était le cas, les droits exclusifs détenus par les titulaires au titre de la protection des marques leur permettraient de réduire à néant la portée de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ( 33 ).

109.

Audi et le gouvernement allemand ont encore suggéré d’interpréter la condition tenant à la restitution de l’apparence initiale du produit complexe en ce sens qu’elle implique nécessairement que la forme de la pièce soit imposée par l’apparence du produit complexe. Il me suffit à nouveau de relever, à cet égard, que, ce faisant, ces parties invitent la Cour à réintroduire une exigence expressément rejetée par le législateur de l’Union ( 34 ).

110.

En résumé, pour bénéficier de l’exception établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la pièce doit être utilisée « dans le but de permettre la réparation du produit complexe », ce qui exclut toute utilisation pour des motifs d’agrément ou de simple convenance, et « en vue de lui rendre son apparence initiale », ce qui implique que la pièce de remplacement ait une apparence identique à celle de la pièce initialement incorporée au produit complexe.

D. Sur les mesures de précaution devant être prises par un fabricant ou un vendeur de pièces d’un produit complexe en ce qui concerne le respect des conditions d’utilisation établies à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 (troisième question dans l’affaire C-397/16 ainsi que troisième et quatrième questions dans l’affaire C-435/16)

111.

La troisième question dans l’affaire C-397/16 ainsi que les troisième et quatrième questions dans l’affaire C-435/16 portent sur les mesures de précaution devant être prises par un fabricant ou un vendeur de pièces de rechange, qui souhaite se prévaloir de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, en vue de s’assurer que ces pièces sont utilisées dans le respect des conditions d’utilisation imposées par cette disposition ( 35 ).

112.

Pour rappel, ces conditions concernent l’utilisation de la pièce dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ( 36 ).

113.

Je constate que le libellé de l’article 110 du règlement no 6/2002 ne traite pas explicitement des mesures de précaution pouvant être exigées d’un fabricant ou d’un vendeur de pièces quant au respect de ces conditions d’utilisation. Il revient par conséquent à la Cour d’interpréter cette disposition en vue de déterminer la teneur des mesures pouvant être exigées de ceux-ci lorsqu’ils souhaitent se prévaloir de la clause de réparation pour faire échec aux droits exclusifs du titulaire.

114.

À cet égard, il ne me semble pas possible, contrairement aux affirmations d’Audi, de Porsche et du gouvernement allemand, de procéder à une interprétation restrictive de la clause de réparation, et ce pour les motifs suivants.

115.

D’une part, et nonobstant son libellé, cette clause ne constitue pas une disposition transitoire au sens de la jurisprudence de la Cour, à savoir une disposition dont l’application serait limitée dans le temps dans le but de faciliter la transition vers un régime définitif ( 37 ). Certes, selon son libellé, ladite clause s’applique « [j]usqu’à la date d’entrée en vigueur des modifications apportées au présent règlement, sur proposition de la Commission ». Cette formule est cependant valable pour toutes les autres dispositions du règlement, lesquelles s’appliquent, par nature, jusqu’à leur modification sur proposition de la Commission.

116.

En réalité, et comme l’a souligné la Commission, la clause de réparation, qui est en vigueur depuis le 6 mars 2002 en vertu de l’article 111, paragraphe 1, de ce règlement, a vocation à s’appliquer pour une durée indéterminée.

117.

D’autre part, la clause de réparation constitue non pas une dérogation à un principe fondamental du droit de l’Union, ce qui pourrait également justifier une interprétation restrictive, mais bien une disposition contribuant à la préservation de l’équilibre entre des intérêts légitimes contradictoires, à savoir ceux des titulaires et ceux des tiers, dans le cadre de la protection des dessins ou des modèles.

118.

Comme je l’ai expliqué ci-avant ( 38 ), la clause de réparation vise à procéder à une libéralisation extensive des pièces de rechange en empêchant le titulaire de faire valoir ses droits exclusifs lors de l’utilisation de toute pièce de rechange incorporant un dessin ou modèle dont il est titulaire, et ce durant toute la durée d’utilisation du produit complexe. En établissant une exception à la protection au titre de dessin ou modèle communautaire, cette clause contribue à l’équilibre entre les droits exclusifs des titulaires et les droits des personnes tierces, en permettant à ces dernières d’utiliser les dessins ou modèles des premiers à des fins de réparation d’un produit complexe.

119.

Par conséquent, l’interprétation de cette clause doit préserver l’effet utile de la libéralisation extensive souhaitée par le législateur de l’Union à l’égard des pièces de rechange.

120.

C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient de déterminer la teneur des mesures de précaution pouvant être exigées d’un fabricant ou d’un vendeur de pièces. La difficulté centrale de cet exercice réside dans le fait que l’intervention du fabricant ou du vendeur se situe en amont de l’acte de réparation susceptible de relever de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. En d’autres termes, ces mesures de précaution concernent les conditions dans lesquelles une pièce sera utilisée dans le futur et, le plus souvent, par des personnes tierces.

121.

À cet égard, trois approches ont été suggérées à la Cour, respectivement fondées sur des obligations de garantie, de déclaration et de diligence. Cette dernière approche, qui me semble la plus à même de préserver l’effet utile de la clause de réparation, recueille mes faveurs.

122.

La première approche, fondée sur une obligation de garantie, consiste à exiger du fabricant et du vendeur qu’ils garantissent que les pièces de rechange qu’ils fabriquent ou vendent seront bien utilisées « dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ». À mes yeux, une telle obligation de garantie réduirait de manière excessive l’effet utile de l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

123.

D’une part, une telle obligation de garantie contraindrait le fabricant et le vendeur à offrir des pièces de rechange uniquement lorsqu’ils peuvent avoir la certitude, à l’avance, que celles-ci seront utilisées dans les conditions mentionnées ci-avant.

124.

Dans cet ordre d’idées, Audi a proposé d’obliger les fabricants de jantes répliques à distribuer leurs produits aux seuls ateliers de réparation et à s’assurer que ces ateliers les utilisent exclusivement à des fins de réparation. Porsche a suggéré d’interdire les ventes de jantes répliques entre les fabricants et les revendeurs dès lors que de telles ventes portent sur des quantités trop importantes pour vérifier le respect de la disposition précitée. J’ajoute que, à l’extrême, il pourrait être imaginé qu’un fabricant ne soit autorisé à fabriquer une jante réplique qu’en cas de nécessité de réparation dûment établie.

125.

Cependant, de telles restrictions aux activités commerciales des fabricants et des vendeurs de pièces auraient pour effet de limiter leur accès au marché des pièces de rechange, en contradiction avec l’objectif de libéralisation poursuivi par l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. La proposition d’Audi, tout d’abord, ignore la possibilité de réparations effectuées en dehors des ateliers de réparation, notamment par l’utilisateur final lui-même. Ensuite, la proposition de Porsche exclurait les jantes répliques du catalogue des revendeurs, lesquelles représentent un débouché commercial important. Enfin, la fabrication de jantes répliques en cas de nécessité établie de réparation entraînerait la perte d’économies d’échelle pour les fabricants ainsi que des retards dans la disponibilité de ces jantes, au profit des jantes originales commercialisées par les titulaires.

126.

D’autre part, une telle obligation de garantie rendrait le fabricant et le vendeur responsables des agissements de tous les acteurs intervenant en aval dans la chaîne de distribution, et ce jusqu’à l’utilisateur final. Ainsi, le fabricant et le vendeur pourraient être rendus responsables d’une utilisation par l’utilisateur final de jantes répliques à des fins d’agrément. À cet égard, Acacia et la Commission ont fait valoir, à juste titre, qu’il serait disproportionné d’exiger d’un fabricant ou d’un vendeur de pièces qu’il mette en place un système de surveillance des activités tant des opérateurs commerciaux situés en amont que des utilisateurs finals.

127.

J’ajoute qu’il est toujours loisible au titulaire, s’il considère que les conditions d’utilisation établies par l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ne sont pas remplies, de faire valoir ses droits à l’encontre de l’utilisateur concerné.

128.

Pour ces motifs, je considère qu’il ne peut pas être exigé du fabricant et du vendeur qu’ils garantissent que les pièces répliques qu’ils fabriquent ou vendent seront utilisées dans les conditions mentionnées ci-avant.

129.

La deuxième approche suggérée à la Cour consiste à imposer au fabricant et au vendeur de pièces l’obligation de recueillir une déclaration de la part de l’acquéreur en ce sens qu’il n’utilisera pas la pièce à d’autres fins que celle prévue à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ( 39 ).

130.

Une telle approche me semble excessivement rigide dans la mesure où elle empêcherait le fabricant ou le vendeur d’avoir recours à d’autres mesures de précaution pouvant s’avérer adéquates dans le contexte de leurs activités. En outre, il est permis de douter de l’efficacité de cette approche. En effet, il est tout à fait imaginable qu’un fabricant ou un vendeur recueille formellement cette déclaration tout en sachant que l’acquéreur n’utilisera pas la pièce dans les conditions prévues à cette disposition.

131.

La troisième approche, évoquée par le gouvernement italien et la Commission, repose sur une obligation de diligence quant au respect, par les utilisateurs situés en aval, des conditions d’utilisation prévues à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette approche, qui est à mes yeux la plus apte à préserver l’effet utile de la libéralisation extensive du marché des pièces de rechange décidée par le législateur de l’Union, recueille mes faveurs. Il convient toutefois de préciser ce qu’une telle obligation implique en pratique.

132.

Selon moi, le fabricant ou le vendeur diligent doit informer l’acquéreur du fait que la pièce concernée incorpore un dessin ou modèle dont il n’est pas titulaire, d’une part, et que cette pièce est exclusivement destinée à être utilisée dans le but de permettre la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale, d’autre part.

133.

Je souligne, à cet égard, que la Cour a déjà eu l’opportunité de juger que l’article 14 de la directive 98/71 et l’article 110 du règlement no 6/2002 n’autorisent pas, par dérogation aux dispositions du droit de l’Union sur le droit des marques, un fabricant de pièces détachées à apposer une marque enregistrée par un constructeur automobile sans le consentement de ce dernier ( 40 ). Par conséquent, un fabricant tiers – tel qu’Acacia – ne peut pas créer une confusion entre ses pièces répliques et les pièces originales fabriquées par le titulaire – tel qu’Audi ou Porsche – en apposant une marque détenue par ce dernier.

134.

Par ailleurs, le fabricant ou le vendeur doit avoir la possibilité d’établir qu’ils se sont acquittés de cette obligation d’information en ayant recours à tout mode de preuve prévu par le droit national. Une telle preuve pourrait notamment, mais pas exclusivement, prendre la forme d’une déclaration signée par l’acquéreur telle que celle envisagée dans le cadre de la deuxième approche, ou celle d’une clause insérée dans le contrat de vente.

135.

Cette obligation d’information n’est toutefois pas suffisante pour satisfaire à l’obligation de diligence. En effet, le fabricant ou le vendeur diligent doit également s’abstenir de vendre une pièce lorsqu’il sait ou a des motifs raisonnables de savoir que cette pièce ne sera pas utilisée dans les conditions établies à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

136.

Je souligne que tant la Cour ( 41 ) que le législateur de l’Union ( 42 ) ont eu recours à des conditions analogues en matière de propriété intellectuelle.

137.

Pour résumer, je considère que, pour pouvoir se prévaloir de la clause de réparation, le fabricant ou le vendeur d’une pièce d’un produit complexe doit satisfaire à une obligation de diligence quant au respect par les utilisateurs situés en aval des conditions d’utilisation établies à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette obligation de diligence implique, d’une part, qu’il informe l’acquéreur du fait que la pièce concernée incorpore un dessin ou un modèle dont il n’est pas titulaire et qu’elle est exclusivement destinée à être utilisée dans les conditions établies à cette disposition et, d’autre part, qu’il perde le droit de s’en prévaloir s’il savait ou avait des motifs raisonnables de savoir que la pièce ne serait pas utilisée dans le respect de ces conditions.

VI. Conclusion

138.

Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles de la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan, Italie) et du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) :

1)

L’article 110, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, doit être interprété en ce sens que la notion de « pièce d’un produit complexe » n’est pas limitée aux pièces dont la forme est imposée par l’apparence du produit complexe, mais vise tout produit incorporé à un autre produit, ce dernier étant qualifié de « produit complexe », qui peut être démonté et remplacé, qui est nécessaire en vue d’une utilisation normale du produit complexe et qui reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit complexe.

2)

Pour bénéficier de l’exception établie à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la pièce doit être utilisée « dans le but de permettre la réparation du produit complexe », ce qui exclut toute utilisation pour des motifs d’agrément ou de simple convenance, et « en vue de lui rendre son apparence initiale », ce qui implique que la pièce de remplacement ait une apparence identique à celle de la pièce initialement incorporée au produit complexe.

3)

Pour pouvoir se prévaloir de cette exception, le fabricant ou le vendeur d’une pièce d’un produit complexe doit satisfaire à une obligation de diligence quant au respect par les utilisateurs situés en aval des conditions d’utilisation établies à l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette obligation de diligence implique, d’une part, qu’il informe l’acquéreur du fait que la pièce concernée incorpore un dessin ou un modèle dont il n’est pas titulaire et que cette pièce est exclusivement destinée à être utilisée dans les conditions établies à cette disposition et, d’autre part, qu’il perde le droit de s’en prévaloir s’il savait ou avait des motifs raisonnables de savoir que la pièce ne serait pas utilisée dans le respect de ces conditions.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2002, L 3, p. 1.

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO 1998, L 289, p. 28).

( 4 ) Voir points 92 et 93 des présentes conclusions.

( 5 ) Voir points 97 à 110 des présentes conclusions.

( 6 ) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires [COM(93) 342 final, p. 24 et 25].

( 7 ) Le principe de l’épuisement des droits exclusifs du titulaire est également l’un des fondements de la protection offerte au titre des brevets, des droits d’auteur ou des marques. Voir notamment article 29 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JO 2013, C 175, p. 1); article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), et article 15 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

( 8 ) Voir points 71 à 78 des présentes conclusions.

( 9 ) Selon Porsche, les décisions suivantes ont exclu les jantes de voiture du champ d’application de la clause de réparation : jugement du tribunal de commerce de Bruxelles (Belgique) du 16 février 2015, A/12/05787; arrêt de la Højesteret (Cour suprême, Danemark) du 10 mars 2015, 17/2010; Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg, Allemagne), GRUR-RS 2015, p. 16872 ; Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), GRUR-RR 2016, p. 228 ; arrêt de l’Audiencia Provincial de Alicante (cour provinciale de Alicante, Espagne) du 18 juin 2010, 437/10; arrêt du Tribunale di Bologna (tribunal de Bologne, Italie) du 17 décembre 2013, 4306/2011; arrêt du Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie) du 27 novembre 2014, 3801/2013 ; jugement du Tribunal de Helsinki (Finlande) no 15/149362, du 19 novembre 2015, numéro de dossier R14/5257; arrêt du Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm, Suède) du 29 janvier 2016, numéro de dossier Ö 8596-17.

( 10 ) Selon Acacia, les décisions suivantes ont inclus les jantes de voiture dans le champ d’application de la clause de réparation : Tribunale di Napoli (tribunal de Naples, Italie), 11 novembre 2009, RG 35034/079 ; Tribunale di La Spezia (tribunal de la Spezia, Italie), 21 septembre 2010, no 66/10/18 ; Tribunale di La Spezia (tribunal de la Spezia), 29 septembre 2010, Proc. 75/2010 mod.18 ; Tribunale di Napoli (tribunal de Naples), 11 février 2011, no 5001/2011 ; Tribunale di Milano (tribunal de Milan), 11 juin 2012, RG 24209/12 ; Tribunale di Milano (tribunal de Milan), 11 octobre 2012, RG 46317/12 ; Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie), 25 septembre 2013, no 3678/2013.

( 11 ) Voir points 16 et 24 des présentes conclusions.

( 12 ) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires (JO 1994, C 29, p. 20).

( 13 ) Proposition de directive du Parlement et du Conseil sur la protection juridique des dessins et modèles (JO 1993, C 345, p. 14).

( 14 ) « Article 23 – Utilisation du dessin ou modèle communautaire enregistré à des fins de réparation
Les droits conférés par un dessin ou modèle communautaire enregistré ne sont pas opposables à un tiers qui, trois ans au moins après la date de première mise sur le marché d’un produit dans lequel le dessin ou le modèle est incorporé ou auquel il est appliqué, utilise ce dessin ou modèle conformément à l’article 21, à condition que

a) le produit dans lequel le dessin ou modèle incorporé ou auquel il est appliqué soit une partie d’un produit complexe dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle protégé,

b) cette utilisation ait pour but de permettre la réparation du produit complexe de manière à restaurer son apparence initiale et

c) le public ne soit pas induit en erreur sur l’origine du produit utilisé pour la réparation. » (italiques ajoutés par mes soins).

( 15 )

( 16 ) Proposition modifiée de règlement (CE) du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2000, C 248 E, p. 3).

( 17 )

( 18 ) Voir rapport de la Présidence au Comité des représentants permanents (Coreper) no 12420/00, du 19 octobre 2000, point 6, disponible à l’adresse suivante : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12420-2000-INIT/fr/pdf, qui indique que « [l]a grande majorité des délégations ont demandé que la rédaction de l’article 10 bis et du considérant 13 soit rapprochée de celle de l’article 14 de la directive, le libellé proposé par la Commission étant de nature à exclure davantage de pièces de la protection que celles qui sont visées à l’article 14 de la directive ». Voir, également, rapport de la Présidence au Coreper no 8107/00, du 5 mai 2000, p. 2, disponible à l’adresse suivante : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-8107-2000-INIT/fr/pdf.

( 19 ) Rapport de la Présidence au Coreper no 12420/00, du 19 octobre 2000, point 9,.

( 20 ) Rapport de la Présidence au Coreper no 12420/00, du 19 octobre 2000, p. 9 à 11,.

( 21 ) Note de la Présidence au groupe «Propriété intellectuelle» (Dessins et modèles) no 12811/00, du 27 octobre 2000, p. 1 et 2, disponible à l’adresse suivante : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12811-2000-INIT/fr/pdf.

( 22 ) Voir point 38 des présentes conclusions.

( 23 ) Rapport de la Présidence au Coreper no 12420/00, du 19 octobre 2000, p. 11.

( 24 ) Voir points 60 et 61 des présentes conclusions. Voir note de la Présidence au groupe « Propriété Intellectuelle » (Dessins et modèles) no 12811/00, du 27 octobre 2000, p. 2.

( 25 ) Voir notamment rapport de la Présidence au Coreper no 13103/00, du 9 novembre 2000, p. 6 et 9, disponible à l’adresse suivante : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-13103-2000-INIT/fr/pdf ; rapport de la Présidence au Coreper no 13641/00, du 21 novembre 2000, p. 4 et 6, disponible à l’adresse suivante : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-13641-2000-INIT/fr/pdf , et rapport de la Présidence au Conseil (Marché intérieur, consommateurs et tourisme) no 13749/00, du 24 novembre 2000, p. 7, disponible à l’adresse suivante : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-13749-2000-INIT/fr/pdf.

( 26 ) Voir note en bas de page 18.

( 27 ) Voir point 57 des présentes conclusions.

( 28 ) Voir notamment arrêt du 14 décembre 2006, Nokia (C‑316/05, EU:C:2006:789, point 21), qui concernait l’interprétation des termes «raisons particulières» figurant à l’article 98, paragraphe 1, première phrase, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).

( 29 ) Voir point 49 des présentes conclusions.

( 30 ) Je rappelle, à cet égard, que l’exigence de réparation du produit complexe implique que la pièce soit nécessaire en vue d’une utilisation normale de ce produit. Voir point 89 des présentes conclusions.

( 31 ) Voir point 91 des présentes conclusions.

( 32 ) Voir points 13 et 19 des présentes conclusions.

( 33 ) La Cour a déjà eu l’opportunité de juger que l’article 110 du règlement no 6/2002 n’autorise pas un fabricant de pièces détachées, tel qu’Acacia, à apposer une marque enregistrée par un constructeur automobile sans le consentement de ce dernier. Voir point 133 des présentes conclusions.

( 34 ) Voir points 48 à 83 des présentes conclusions.

( 35 ) Au regard de la définition large de la notion d’« utilisation » établie à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la fabrication ou la vente d’un produit dans lequel un dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ainsi que le stockage du produit à ces fins, et ce sans le consentement du titulaire, portent atteinte aux droits exclusifs de ce dernier.

( 36 ) Je précise, à cet égard, que le respect de la première des conditions examinées dans la section précédente, tenant à l’existence d’une pièce d’un produit complexe, dépend non pas de l’adoption de mesures de précaution de la part du fabricant ou du vendeur, mais uniquement de caractéristiques objectives du produit en cause énoncées au point 92 des présentes conclusions.

( 37 ) La Cour a interprété de telles clauses transitoires notamment dans les arrêts du 23 mars 1983, Peskeloglou (77/82, EU:C:1983:92, points 11 et 12) ; du 5 décembre 1996, Merck et Beecham (C‑267/95 et C‑268/95, EU:C:1996:468, points 23 et 24), ainsi que du 12 juin 2008, Commission/Portugal (C‑462/05, EU:C:2008:337, points 53 et 54).

( 38 ) Voir points 43 à 47 et 71 à 78 des présentes conclusions.

( 39 ) Cette approche est notamment évoquée dans la quatrième question posée dans l’affaire C-435/16.

( 40 ) Ordonnance du 6 octobre 2015, Ford Motor Company (C‑500/14, EU:C:2015:680).

( 41 ) Voir notamment, dans un autre contexte, arrêt du 8 septembre 2016, GS Media (C‑160/15, EU:C:2016:644). La Cour a jugé que le fait de placer sur un site Internet des liens hypertexte vers des œuvres protégées, lesquelles sont librement disponibles sur un autre site Internet sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, ne constitue pas une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsque ces liens sont fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illégal de la publication de ces œuvres. Même si ce jugement n’est pas directement transposable aux présentes affaires, je relève que la Cour a eu recours à un critère analogue à celui que je suggère.

( 42 ) Voir article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45), qui indique que « [l]es États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte » (Mise en italique par mes soins). Voir, également, article 4, paragraphe 4, de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (JO 2016, L 157, p. 1), qui mentionne que « [l]’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret d’affaires, une personne savait ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir que ledit secret d’affaires avait été obtenu directement ou indirectement d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du paragraphe 3. » (Mise en italique par mes soins).