CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 8 juin 2017 ( 1 )

Affaire C‑246/16

Enzo Di Maura

contre

Agenzia delle Entrate – Direzione Provinciale di Siracusa

[demande de décision préjudicielle
formée par la Commissione tributaria provinciale di Siracusa (commission fiscale provinciale de Syracuse, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Droit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Limitation du droit à la réduction de la base d’imposition en cas de non-paiement par le cocontractant (article 11, sous C, paragraphe 1, seconde phrase, de la sixième directive 77/388/CEE ou article 90, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE) – Marge d’appréciation dont disposent les États membres lors de la transposition – Caractère proportionné de la période de préfinancement par l’opérateur »

I. Introduction

1.

Il arrive régulièrement dans le commerce qu’un client ne règle pas en temps utile, voire pas du tout, ses factures. À lui seul, ce fait est déjà déplaisant pour une entreprise, notamment lorsque les créances correspondantes atteignent un certain volume. Néanmoins il devient particulièrement désagréable lorsque, en dépit du non-paiement de la facture, sont dus des impôts qui sont déterminés en fonction du montant de la facture et qui auraient dû être supportés par le client.

2.

La raison en est qu’en droit de la taxe sur la valeur ajoutée, l’État perçoit déjà « son » impôt de l’entreprise, alors même que celui qui doit le supporter (le bénéficiaire de la prestation) n’a pas encore payé ledit impôt à l’entreprise. Jusqu’à ce qu’elle ait été payée, l’entreprise est donc contrainte d’avancer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et, partant, d’accorder à l’État un prêt sans intérêts. En l’espèce, il est question d’une facture impayée datant de l’année 2004.

3.

En conséquence, probablement tous les États membres prévoient une correction correspondante de la dette de TVA qui est déjà née. En Italie, néanmoins, cela n’était jusqu’à présent possible qu’après la clôture d’une procédure d’insolvabilité visant le bénéficiaire de la prestation. Dans d’autres États, on retient au contraire le critère de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. L’entreprise elle-même n’a qu’une influence limitée sur l’un comme l’autre de ces critères. Il est donc tout à fait possible que plusieurs années s’écoulent avant que ce préfinancement ne puisse se terminer.

4.

Dans la présente – et deuxième – procédure, engagée par la République italienne ( 2 ), la Cour est donc saisie d’un des aspects les plus importants de la perception indirecte de TVA dans un État de droit. La Cour est ainsi appelée pour la première fois ( 3 ) à statuer sur la durée pendant laquelle les États membres peuvent, de manière proportionnée, contraindre une entreprise privée à avancer à ses frais un impôt qu’elle n’est pas censée supporter économiquement. Une entreprise doit-elle réellement attendre deux ans, dix ans ou plus avant de se voir rembourser la TVA déjà générée et acquittée ? Dans ce contexte, l’entreprise est-elle obligée de mener une procédure judiciaire éventuellement totalement insensée d’un point de vue économique, afin d’être en mesure de prouver qu’un paiement non encore effectué de la prestation restera définitivement impayé ?

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5.

Le cadre en droit de l’Union est en l’espèce posé par la disposition – applicable à la période fiscale en cause – de l’article 11, sous C, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( 4 ) (ci-après la « sixième directive »). Cette disposition a une teneur identique à la disposition – actuellement en vigueur – de l’article 90 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 5 ) (ci-après la « directive TVA »).

6.

L’article 90 de la directive TVA (ancien article 11, sous C, paragraphe 1, de la sixième directive) régit la modification de la base d’imposition :

« 1.   En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non‑paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

2.   En cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger au paragraphe 1. »

B. Le droit italien

7.

L’article 26, paragraphe 2, (dans la version en vigueur au moment de la période en cause) du Decreto del presidente della Repubblica del 26 ottobre 1972, n. 633, Istituzione e disciplina dell’imposta sul valore aggiunto (décret no 633 du président de la République, du 26 octobre 1972, instituant et régissant la taxe sur la valeur ajoutée, GURI no 292 du 11 novembre 1972, ci‑après le « décret no 633/72 ») dispose :

« Si une opération pour laquelle une facture a été émise, après l’enregistrement visé aux articles 23 et 24, disparaît en tout ou partie, ou si le montant imposable est réduit, à la suite d’une déclaration de nullité, d’annulation, de révocation, de résolution, de résiliation ou d’acte similaire ou en raison d’un défaut de paiement en tout ou partie à cause de procédures collectives ou de mesures d’exécution restées infructueuses ou à la suite de l’application de rabais ou de remises prévus contractuellement, le vendeur du bien ou le prestataire du service a le droit de déduire, en application de l’article 19, le montant de l’impôt correspondant à la variation, en l’enregistrant au titre de l’article 25. Le cessionnaire ou commettant qui aura déjà enregistré l’opération conformément à l’article 25 doit, dans un tel cas, enregistrer la variation conformément à l’article 23 ou à l’article 24, sous réserve de son droit, à titre récursoire, à la restitution du montant versé au vendeur ou au prestataire. »

8.

L’article 101, paragraphe 5, du Testo Unico delle imposte sui redditi (texte unique relatif à l’impôt sur le revenu, ci‑après le « TUIR ») dispose quant à lui :

« Les pertes des biens visés au paragraphe 1 […] et les pertes sur créances, différentes de celle déductible conformément à […], sont déductibles si elles sont établies par des éléments certains et précis et en tout état de cause, pour les pertes sur créances, si le débiteur a fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou a conclu un concordat de restructuration des dettes homologué [par le juge] […]. Aux fins du présent paragraphe, le débiteur est réputé faire l’objet d’une procédure à compter de l’adoption de la décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, de la décision ordonnant la liquidation administrative forcée […] »

9.

La juridiction de renvoi a par ailleurs indiqué que, certes, l’article 26, paragraphe 2, du décret no 633/72 a été modifié par la loi no 208 du 28 novembre 2015 en ce sens qu’en cas de non‑paiement du prix, la déduction de la TVA est expressément autorisée dès l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ; mais cette disposition ne s’applique qu’aux procédures d’insolvabilité qui ont été ouvertes après le 31 décembre 2016.

III. Le litige au principal

10.

En 2004, M. Enzo Di Maura a émis – manifestement, après avoir effectué une livraison ou prestation de services correspondante au cours de ladite année – une facture d’un montant de 35000 euros que sa destinataire – la société Sertenko Srl – n’a pas payée, dans la mesure où elle avait été déclarée en faillite par jugement du 30 novembre 2004. Le 31 décembre 2004, se fondant sur ce jugement, M. Di Maura a réduit dudit montant la base imposable en modifiant la facture initiale et en réduisant l’impôt de façon proportionnelle.

11.

L’Agenzia delle Entrate (administration fiscale, Italie) a néanmoins ordonné un redressement fiscal pour l’impôt sur le revenu, la taxe régionale d’activité et la TVA et elle a imposé des sanctions. Selon elle, en effet, en cas d’insolvabilité du débiteur, l’intéressé ne pouvait récupérer l’impôt avancé au fisc que s’il était établi avec certitude qu’il n’existait pas de fonds disponibles et que sa créance ne pouvait donc pas être recouvrée.

12.

M. Di Maura a saisi la Commissione tributaria provinciale di Siracusa (commission fiscale provinciale de Syracuse d’un recours en annulation de l’avis de redressement fiscal. Selon M. Di Maura, l’article 26 du décret no 633/72 devrait être interprété en ce sens qu’en cas de non-paiement, il est possible de réduire la base d’imposition dès l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, compte tenu du fait que la durée habituelle des procédures d’insolvabilité est très longue. De plus, selon M. Di Maura, l’article 101, paragraphe 5, TUIR exonérerait le créancier de l’obligation de prouver le caractère définitif de la perte, dans la mesure où la soustraction des créances contre des entreprises soumises à une procédure d’insolvabilité est expressément autorisée dès l’ouverture de la procédure.

13.

Au cours de la procédure devant la juridiction fiscale, l’administration fiscale a admis les objections de M. Di Maura concernant l’impôt sur le revenu et la taxe régionale d’activité au titre de l’article 101, paragraphe 5, TUIR, mais pas en ce qui concerne la TVA. Selon elle, la non-réduction de la TVA résulterait de l’historique de la rédaction de l’article 26 du décret no 633/72. Il en découlerait que la condition du caractère infructueux se réfère à la procédure d’insolvabilité.

14.

Selon l’administration fiscale, la preuve du caractère infructueux des procédures d’insolvabilité ne serait apportée qu’au terme de la répartition des actifs et à l’expiration du délai imparti pour présenter des observations sur le plan de répartition, ou encore – en l’absence d’un plan de répartition – lorsque le délai de recours contre le décret de clôture de la procédure d’insolvabilité a expiré. Cette interprétation de l’article 26 du décret no 633/72 serait conforme à la pratique de l’administration fiscale ainsi qu’à la jurisprudence des juridictions nationales.

15.

La Commissione tributaria provinciale di Siracusa (commission fiscale provinciale de Syracuse) a décidé de surseoir à statuer et d’introduire une procédure préjudicielle.

IV. La procédure devant la Cour

16.

La Commissione tributaria provinciale di Siracusa (commission fiscale provinciale de Syracuse), saisie du litige, a posé à la Cour les questions suivantes :

« 1)

Vu les articles 11, sous C, paragraphe 1, et 20, paragraphe 1, sous b), deuxième phrase de la directive 77/388/CEE relatifs à la réduction de la base imposable et à la régularisation de la TVA due sur les opérations imposables en cas de défaut de paiement total ou partiel de la contrepartie établie entre les cocontractants, est-t-il conforme aux principes de proportionnalité et d’effectivité, garantis par le TFUE, et aux principes de neutralité régissant l’application de la TVA, d’imposer des limites qui rendent impossible ou excessivement difficile – en termes notamment de temps, eu égard à la durée imprévisible d’une procédure collective – pour l’assujetti, la récupération de la taxe relative à la contrepartie restée partiellement ou totalement impayée ?

2)

En cas de réponse positive à la première question, une disposition telle que l’article 26, paragraphe 2, du décret du Président de la République no 633/1972, dans sa version en vigueur avant les modifications apportées par la loi no 208 du 28 décembre 2015, article 1er, paragraphes 126 et 127, qui subordonne le droit à la récupération de la taxe à la satisfaction de la preuve du recours préalable à des procédures collectives infructueuses, c’est‑à‑dire, selon la jurisprudence et la pratique de l’administration fiscale de l’État membre de l’Union, que la récupération a nécessairement lieu après la répartition finale infructueuse de l’actif ou, à défaut, après l’adoption de l’acte définitif de clôture de la faillite, est‑elle compatible avec les principes rappelés dans les présentes conclusions, même lorsque de telles actions sont raisonnablement antiéconomiques compte tenu du montant de la créance alléguée, des perspectives de son recouvrement et des coûts des procédures collectives, et alors qu’en tout état de cause, les présupposés susmentionnés pourraient ne se vérifier que des années après la date d’ouverture de la faillite ? »

17.

Dans la procédure devant la Cour, des observations écrites sur ces questions ont été déposées par la République italienne, par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que par la Commission européenne.

V. Appréciation juridique

A. Sur les questions préjudicielles

1.   Généralités

18.

Par ses deux questions préjudicielles – qu’il convient d’examiner ensemble – la juridiction de renvoi pose en substance la question de savoir dans quelles conditions les États membres peuvent faire usage de la possibilité que leur confère l’article 11, sous C, paragraphe 1, seconde phrase, de la sixième directive (devenu l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA) de s’écarter de l’article 11, sous C, paragraphe 1, première phrase, de la sixième directive (devenu l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA) ( 6 ). Elle demande en l’espèce si le droit de l’Union permet à la République italienne de conditionner une correction de la base d’imposition à la preuve du recours préalable à une procédure collective infructueuse, nonobstant le fait que cette procédure peut éventuellement durer plus de dix ans.

19.

L’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA ne prescrit pas à quelles conditions l’application de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA peut être restreinte. La réponse à la question posée ci‑dessus ne peut donc provenir que des principes du droit de la TVA.

20.

Aussi exposerons-nous tout d’abord la signification de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA (aux points 21 et suivants). Nous examinerons ensuite la dérogation prévue par l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA (aux points 32 et suivants). Nous y expliquerons pourquoi son libellé doit être interprété de façon restrictive. S’agissant de la restriction de la possibilité de corriger la base d’imposition, il convient en particulier de prendre en compte le principe de neutralité (aux points 40 et suivants), la position de l’entreprise dans le droit de la TVA, ainsi que ses droits fondamentaux (aux points 45 et suivants). Nous exposerons ensuite les critères en vertu desquels l’application de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA est conforme au principe de proportionnalité (aux points 53 et suivants).

2.   La signification de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA

21.

Le point de départ devrait faire l’unanimité – et ce, en dépit des observations de la République italienne et du Royaume-Uni. La TVA doit certes être versée au Trésor public par l’entrepreneur, en sa qualité d’assujetti. Il existe cependant une jurisprudence constante de la Cour, en vertu de laquelle la TVA est un impôt indirect sur la consommation, lequel doit grever le consommateur final ( 7 ). L’entreprise assujettie agit « simplement » comme un collecteur de taxes pour le compte de l’État ( 8 ).

22.

En tant qu’impôt général sur la consommation, la TVA doit frapper la capacité financière du consommateur, que celui-ci manifeste par une dépense d’actifs en vue de se procurer un avantage exploitable ( 9 ). Cela ressort clairement des dispositions de l’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA (« à titre onéreux »), de l’article 65 de la directive TVA (naissance de la taxe à concurrence du montant encaissé par anticipation) et, en particulier, de l’article 73 de la directive TVA. Selon ce dernier, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue par l’assujetti.

23.

C’est en conséquence que la Cour ( 10 ) a expressément considéré, à plusieurs reprises, que « la base d’imposition de la TVA à percevoir par les autorités fiscales ne peut pas être supérieure à la contrepartie effectivement payée par le consommateur final et sur laquelle a été calculée la TVA qui pèse en définitive sur ce consommateur ». Dès lors, si l’entreprise n’est pas payée par le consommateur final, elle n’est pas non plus redevable de la TVA au fond. Le fait générateur de la TVA fait défaut, car l’entrepreneur n’a en définitive effectué aucune livraison ou prestation à titre onéreux au sens de l’article 2 de la directive TVA.

24.

Cependant, conformément à l’article 63 de la directive TVA, la taxe devient déjà exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. Il n’est pas décisif à cet égard que le destinataire ait bien payé la contrepartie (ce qu’il est convenu d’appeler le principe de taxation de la créance stipulée). Ce mode d’exigibilité de l’impôt se fonde clairement sur la présomption que, à la suite d’une livraison ou prestation, la contrepartie contractuelle sera normalement payée dans un délai proche.

25.

Néanmoins lorsque le droit matériel n’impose que la dépense réelle déboursée par le bénéficiaire pour des produits ou service tandis que la technique d’imposition tient quant à elle compte de la dépense convenue, il faudra tôt ou tard rendre compatibles ces deux systèmes. C’est ce que fait l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA en prescrivant que la dette fiscale initiale mise à charge de l’entreprise assujettie soit corrigée à due concurrence.

26.

Dès lors, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA constitue l’expression d’un principe fondamental de cette directive, selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et dont le corollaire consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait perçu ( 11 ).

27.

Partant, l’article 90, paragraphe 1, constitue le contrepoids nécessaire de la technique d’imposition inscrite à l’article 63 de la directive (c’est‑à‑dire de ce qu’il est convenu d’appeler principe d’exigibilité immédiate de l’impôt sur la base de la créance stipulée) ( 12 ). Cette disposition oblige les États membres à réduire la base d’imposition ( 13 ) à due concurrence.

28.

De façon logique, la Cour a donc considéré dans son arrêt Goldsmiths qu’une dérogation à cette règle fondamentale de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA doit être justifiée, afin que les mesures prises par les États membres sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA ne bouleversent pas l’objectif d’harmonisation fiscale ( 14 ).

29.

Néanmoins la Cour a également dit pour droit, dans son arrêt Almos Agrárkülkereskedelmi, que les assujettis ne sauraient se prévaloir, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, d’un droit à la réduction de leur base d’imposition de la TVA en cas de non-paiement du prix, si l’État membre concerné a entendu faire application de la dérogation prévue à l’article 90, paragraphe 2, de ladite directive ( 15 ).

30.

C’est sur cette jurisprudence que se fondent essentiellement les observations de la République italienne et du Royaume‑Uni. S’il était effectivement confirmé que la correction peut être exclue en totalité, alors une correction qui ne serait opérée qu’au terme d’une procédure d’insolvabilité de plusieurs années serait a fortiori permise, ainsi que l’observe le Royaume‑Uni. Il n’apparaît toutefois pas que, par son arrêt dans l’affaire Almos Agrárkülkereskedelmi, la Cour ait réellement voulu revenir sur sa jurisprudence – à notre avis correcte – dans l’affaire Goldsmiths.

31.

Il convient donc de trancher si l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA laisse réellement à l’État membre une totale liberté de déroger sans limites à l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, ou si les dérogations doivent être justifiées.

3.   La disposition dérogatoire de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA

a)   Généralités

32.

Il ressort de son libellé que l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA permet aux États membres de déroger au paragraphe 1 en cas de non‑paiement total ou partiel. Les États membres peuvent donc prévoir une exception au principe de correction. Cependant, selon la jurisprudence constante de la Cour, il convient d’interpréter les exceptions de manière restrictive ( 16 ).

33.

Même si le libellé de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA permet, en cas de non-paiement total ou partiel, que les États membres puissent déroger à la réduction de la base d’imposition prévue au paragraphe 1, ne serait-ce que pour cette raison – et contrairement à ce qu’affirment la République italienne et le Royaume-Uni –, ladite formulation ne peut pas autoriser une exclusion totale de la possibilité de correction.

34.

En effet, une exclusion totale de la possibilité de correction est différente de la dérogation à une possibilité de correction immédiate ; cette exclusion totale serait en outre contraire au principe d’impôt sur la consommation mentionné précédemment et mis en œuvre par l’article 90, paragraphe 1 de la directive TVA. L’exclusion totale ne constitue du reste pas une interprétation restrictive du terme « déroger ».

b)   Le sens et la finalité du paragraphe 2

35.

Le sens et la finalité du paragraphe 2 plaident également contre une autorisation d’exclure toute possibilité de correction en cas de non‑paiement total ou partiel. Le libellé du paragraphe 2 ne permet que de supposer pourquoi cette possibilité de dérogation a été ouverte. Contrairement à ce qui est des cas – non visés par le paragraphe 2 – d’annulation, de résiliation, de résolution ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, le non‑paiement total ou partiel n’en est que plus incertain ( 17 ).

36.

En particulier, une action en paiement (c’est‑à‑dire une créance) continue d’exister, de sorte que des paiements ultérieurs ne peuvent pas être exclus. Il est donc pertinent que les États membres puissent combattre cette incertitude au moyen de dispositions qui dérogent au paragraphe 1. Néanmoins dans cette logique, la liberté de dérogation des États membres ne s’étend qu’à ladite incertitude et non à la question de savoir si une correction doit être apportée. Cet élément fait donc également obstacle – contrairement au point de vue de la République italienne – à ce qu’un État membre exclue la possibilité de corriger la base d’imposition.

37.

Nous ne pouvons pas souscrire à l’argument de la Commission selon lequel les mesures dérogatoires adoptées sur la base du paragraphe 2 pourraient être justifiées par la nécessité d’éviter les abus. D’une part, c’est à l’article 273 de la directive TVA que le législateur a prévu un tel instrument, et non à son article 90, paragraphe 2. D’autre part, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter en vertu de l’article 273 de la directive TVA afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent ni aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs ni remettre en cause la neutralité de la TVA ( 18 ). Or, une responsabilité sans faute de l’assujetti jusqu’à une certaine date (en l’occurrence, celle de la clôture de la procédure d’insolvabilité) irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public ( 19 ).

38.

On voit mal, en particulier, comment le fait de restreindre la possibilité de corriger la dette fiscale jusqu’à la survenance d’un événement précis pourrait être apte à lutter contre la fraude à la TVA. Si la correction constitue bien l’expression d’un principe fondamental de la directive TVA, selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et dont le corollaire consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait perçu ( 20 ), alors le non‑paiement de la contrepartie est le seul élément décisif.

39.

S’il ne s’agit pas d’un non-paiement, mais en réalité d’une livraison ou autre prestation à titre gratuit, celle-ci est assimilée en droit de la TVA à une prestation à titre onéreux, conformément à l’article 16 ou à l’article 26 de la directive TVA. Cette appréciation peut et doit de toute façon être opérée par l’administration fiscale. Un abus commis par l’entreprise assujettie est donc théoriquement impossible. L’abus n’est donc envisageable que pour le bénéficiaire de la prestation qui ne paye pas le prix si celui-ci déduit l’impôt en amont malgré ce non‑paiement. Néanmoins cette hypothèse d’abus est prévenue par l’article 185, paragraphe 2, de la directive TVA. Celle-ci permet de régulariser la déduction dans le cas d’une entreprise qui, faute d’avoir payé, ne supporte pas la TVA.

c)   Le principe de neutralité en droit de la TVA

40.

En outre, lorsque l’on procède à l’interprétation de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA, il y a aussi lieu de tenir compte du principe de neutralité fiscale. La neutralité fiscale est un principe fondamental de la TVA lequel découle de la nature de taxe sur la consommation qu’a cet impôt ( 21 ) et contient deux énoncés de base.

41.

Il s’oppose d’une part à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA ( 22 ). Cela a son importance dans le contexte des dérogations que la directive TVA permet elle-même à la règle de taxation de la contrepartie convenue (voir à ce sujet points 56 et 57 des présentes conclusions).

42.

D’autre part, le principe de neutralité implique qu’en sa qualité de collecteur de taxes pour le compte de l’État, l’entrepreneur doit en principe être soulagé entièrement du poids de la TVA, due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques ( 23 ), à condition que lesdites activités soient elles-mêmes (en principe) soumises à la TVA ( 24 ).

43.

Néanmoins lorsque la technique d’imposition contraint l’entreprise assujettie à être redevable pendant des années d’une TVA qu’elle n’a pas pu collecter, ce préfinancement fait peser une charge considérable sur ladite entreprise. Dès lors, il n’est plus possible de parler d’une parfaite neutralité ( 25 ) de la TVA.

44.

Ainsi, le principe de neutralité requiert lui aussi, en principe, une possibilité de correction en cas de non-paiement du prix. C’est donc également eu égard au principe de neutralité que la possibilité de dérogation prévue à l’article 90, paragraphe 2, de la directive doit faire l’objet d’une interprétation restrictive et – ainsi que la Cour l’a énoncé dans son arrêt Goldsmiths ( 26 ) – elle doit être justifiée.

d)   Les droits fondamentaux de l’entreprise en droit de la TVA

45.

Il convient par ailleurs de prendre en compte le fait qu’un particulier (ce que sont la plupart des assujettis à la TVA) jouit de droits fondamentaux, même lorsqu’il doit des impôts. Le fait de contraindre un particulier à collecter auprès de tiers (les bénéficiaires de prestations) un impôt pour le compte de l’État et en lieu et place de l’administration fiscale étatique constitue une atteinte aux droits fondamentaux de l’intéressé, tels que désormais inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

46.

Le préfinancement de la TVA affecte la liberté professionnelle, la liberté entrepreneuriale ainsi que le droit fondamental de propriété (articles 15, 16 et 17 de la Charte). Même avant l’entrée en vigueur de la Charte, la Cour protégeait la liberté professionnelle tout autant que la liberté d’entreprendre en tant que principes généraux du droit ( 27 ). Se pose en outre la question d’une inégalité de traitement au titre de l’article 20 de la Charte par rapport à des entreprises pour lesquelles la taxe ne devient exigible que lors de l’encaissement du prix, conformément à l’article 66, sous b), de la directive TVA (règle de la taxation du paiement effectif).

47.

Toute limitation de ces droits et libertés reconnus doit être proportionnée – et cela vaut également pour la période antérieure à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Il convient donc en premier lieu d’examiner pendant quelle durée l’atteinte que représente le préfinancement (collecte et acquittement d’impôts d’autrui sans avoir reçu le montant correspondant de celui qui doit supporter l’impôt) demeure conforme au principe de proportionnalité. C’est du reste à juste titre que la Commission émet à cet égard des doutes quant à la durée d’une procédure d’insolvabilité menée à terme en Italie.

48.

Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige en matière d’action étatique qu’une mesure faisant grief soit « adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit ( 28 )» ( 29 ).

49.

La perception de l’impôt chez l’entrepreneur avant l’encaissement du prix n’est en tout état de cause pas nécessaire pour la réalisation de l’objectif législatif : celui-ci consiste en la taxation du consommateur, lorsqu’il bénéficie d’une livraison ou autre prestation à titre onéreux (article 2, paragraphe 1, de la directive TVA). Le moyen moins contraignant, plus simple mais tout aussi efficace pour réaliser ledit objectif est la taxation de chacun des prix réellement encaissés.

50.

Le principe de proportionnalité dicte en outre que l’on ne peut pas exiger d’une entreprise, en sa qualité de « collecteur de taxes pour le compte de l’État », davantage que cette entreprise ne peut réellement payer. Or, sa capacité (de paiement) se limite en principe – dans un contexte d’impôt indirect – à ce que l’entreprise a bien pu collecter de celui qui doit normalement supporter la charge fiscale. Tout ce que l’entreprise n’a pas pu collecter, elle devra l’avancer de son patrimoine. Néanmoins la TVA n’a pas pour objet de taxer le patrimoine de l’assujetti.

51.

Il est donc à notre avis impératif que, pour un impôt indirect, la dette fiscale s’oriente à l’encaissement de ce montant par le prestataire ; c’est en effet uniquement dans ce cas que le prestataire sera objectivement en mesure d’honorer sa dette fiscale et d’acquitter cette TVA (qu’il aura perçue). Une taxation qui s’oriente à la seule contrepartie stipulée (règle de taxation de la contrepartie convenue) en est bien loin et serait contraire au principe de proportionnalité si l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA n’existait pas.

52.

C’est également pour cette raison qu’il convient d’interpréter restrictivement l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA. Les États membres peuvent certes déroger, en cas de non-paiement total ou partiel, à la correction immédiate prévue par l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA ; mais ils ne peuvent le faire, conformément à la jurisprudence Goldsmiths ( 30 ), que d’une manière proportionnée qui tienne compte de la nature d’impôt indirect qu’a la TVA, du principe de neutralité ainsi que des droits fondamentaux de l’entreprise.

4.   La justification d’une dérogation au sens de l’article 90, paragraphe 2

a)   L’interprétation autonome des cas de figure de correction

53.

La question décisive n’est dès lors pas celle de savoir si un État membre peut exclure une correction en cas de non-paiement. Il ressort des considérations précédentes qu’il ne le peut pas. Le point crucial consiste au contraire, à savoir pendant quelle durée une dérogation à la correction prévue à l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA reste justifiée ou, inversement, à partir de quel moment une possibilité de correction au titre de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA doit être accordée à l’assujetti, en cas de non-paiement total ou partiel.

54.

Cela se résume en l’espèce à la question de savoir si le législateur italien peut empêcher une correction aussi longtemps que la perte sur créance n’a pas été (définitivement) constatée par la clôture de la procédure d’insolvabilité (laquelle peut parfois s’étirer sur plus de dix ans) ou s’il convient déjà de prévoir une correction lorsque, selon toute probabilité, plus aucun paiement (à bref délai) n’est à espérer.

55.

C’est là une pure question de droit de la TVA, qui doit être examinée indépendamment d’autres types d’impôts, voire de considérations tenant au droit de la comptabilité. Au regard du droit de la TVA, il n’est pas opportun d’appliquer par analogie le droit italien de la fiscalité sur le revenu. La disposition dérogatoire du droit italien de la fiscalité sur le revenu n’a donc ici aucune incidence. Il n’en demeure pas moins que l’administration fiscale tout comme l’assujetti doivent pouvoir apprécier en toute sécurité juridique à partir de quand, au plus tard, la dette de TVA qui est née doit subir une correction conformément à l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA.

b)   Un traitement égal pour toutes les entreprises

56.

Lors de l’interprétation de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA, il convient de tenir également compte de l’article 66, sous c), et des articles 194 et suivants de cette directive, conjointement avec le principe d’égalité de traitement (qui est désormais notamment consacré par l’article 20 de la Charte). Il en découle que la correction doit pouvoir intervenir rapidement.

57.

En vertu de l’article 66, sous c), de la directive TVA, les États membres peuvent décider pour une catégorie d’assujettis que la TVA devient exigible « lors de l’encaissement du prix » (« règle de taxation des paiements réels »). Dans certains cas au moins, les États membres ont fait usage de cette faculté. Il convient par ailleurs de garder à l’esprit les prestations pour lesquelles la directive TVA permet de transférer la qualité de débiteur fiscal au bénéficiaire des prestations (voir articles 194 et suivants de la directive TVA). Les entreprises qui réalisent de telles opérations – par exemple des prestations de services pour des entrepreneurs ayant leur siège à l’étranger – n’ont pas à préfinancer la TVA.

58.

En effet, une entreprise tombant sous la règle de taxation de la contrepartie convenue – selon laquelle l’impôt devient exigible indépendamment de l’encaissement du paiement –, et qui devrait acquitter des impôts pendant une durée prolongée, subirait un désavantage concurrentiel évident par rapport à une entreprise tombant sous le coup de la règle de taxation des paiements réels qui n’aurait à acquitter que l’impôt correspondant aux prix qu’elle a encaissés. Il en irait de même pour des entreprises ne réalisant que des opérations pour lesquelles la qualité de débiteur fiscal est transférée au bénéficiaire des prestations. Un tel désavantage ne peut se justifier que si la durée du préfinancement de l’impôt ne s’étire pas trop dans le temps.

c)   À titre de comparaison : la correction en cas d’absence de prestation

59.

La thèse d’une possibilité de correction rapide en cas de non‑paiement de la contrepartie est également soutenue par une comparaison avec la possibilité de correction de la dette fiscale en cas d’absence totale de prestation et de contrepartie. À cet égard, il ressort de notre jurisprudence ( 31 ) que même une dette fiscale résultant d’une facture erronée (article 203 de la directive TVA) peut être corrigée, notamment lorsque la facture mentionne une prestation à titre onéreux qui n’a pas été effectuée dans les faits.

60.

Si la Cour a considéré qu’il est compatible avec le système de la TVA que la dette fiscale soit mise à charge de l’auteur d’une facture en raison d’un simple risque de perte de recettes fiscales du fait de l’émission d’une facture erronée, c’est uniquement parce que et lorsqu’il existe une possibilité de régulariser cette responsabilité pour risque ( 32 ). Cette possibilité peut même profiter à l’émetteur d’une facture qui est de mauvaise foi, pourvu que le risque de perte de recettes fiscales ait été éliminé ( 33 ).

61.

Il doit en être de même, a fortiori, lorsque nous sommes en présence d’une facture correcte mais que la prestation effectuée n’a pas été payée et qu’il n’existe par ailleurs aucun risque de perte de recettes fiscales. D’une part, tout risque est ici exclu tant que la personne qui devrait normalement supporter la charge fiscale n’a pas payé et que, partant, aucune dette de TVA n’est encore née dans les faits (voir à cet égard point 23 des présentes conclusions). D’autre part, le risque découlant d’une déduction indue de l’impôt en amont par le bénéficiaire mauvais payeur est exclu dès lors que, conformément à l’article 185, paragraphe 2, seconde phrase, de la directive TVA, les États membres peuvent exiger de ce dernier la régularisation de la déduction effectuée.

d)   Les dérogations en vertu de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA

62.

Il reste donc « seulement » à définir les conditions concrètes dans lesquelles les dérogations en vertu de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA sont autorisées. Dans l’arrêt Goldsmiths ( 34 ), la Cour a certes exigé une justification, mais sans donner d’indications concrètes.

63.

Si l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA prévoit des dérogations à la réduction de la base d’imposition visée au paragraphe 1, c’est uniquement pour tenir compte de l’incertitude du caractère « définitif » du non-paiement (voir à cet égard points 35 et suivants des présentes conclusions). Néanmoins cette incertitude peut également être prise en compte au moyen d’une augmentation a posteriori de la base d’imposition dans le cas où un paiement interviendrait tout de même.

64.

Si, par la suite (par exemple, pendant ou après la procédure d’insolvabilité), un paiement intervient finalement au bénéfice de l’entreprise, il conviendra à ce moment d’augmenter la base d’imposition à due concurrence. Cela découle en premier lieu de l’article 73 de la directive TVA, en vertu duquel tout ce que le bénéficiaire de la prestation déboursera pour les opérations entre dans la base d’imposition. Cela vaut également pour une régularisation correspondante de la déduction opérée par le bénéficiaire, conformément à l’article 185 de la directive TVA.

65.

Une réduction de la base d’imposition, sous réserve de son augmentation si le paiement intervient tout de même, constitue un moyen tout aussi efficace mais moins contraignant de taxer correctement le consommateur final, par rapport au fait de contraindre le collecteur de l’impôt à préfinancer la TVA pendant plusieurs années ( 35 ) jusqu’à l’ouverture ou même jusqu’au terme d’une procédure d’insolvabilité.

66.

Dans ce contexte, ni l’énoncé, ni le sens et le but de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA ne permettent une interprétation selon laquelle une correction pourrait être exclue jusqu’à ce qu’il soit établi avec une probabilité confinant à la certitude – à savoir, seulement après l’ouverture voire la clôture de la procédure d’insolvabilité – que plus aucun paiement n’interviendra. Contrairement aux affirmations de la Commission ainsi que, sans doute, du Royaume‑Uni, une différenciation entre les créances dont il est certain qu’elles resteront définitivement impayées et les créances où ce n’est pas le cas n’est pas envisageable en droit de la TVA.

67.

Cela tient au fait que dans l’esprit du droit de la TVA, il ne peut pas y avoir de non-paiement « définitif ». Le libellé de l’article 73 de la directive TVA l’exclut déjà à lui seul. Selon cette disposition, la base d’imposition comprend notamment des paiements d’un tiers et elle est donc déconnectée de la solvabilité voire de l’existence d’un débiteur ( 36 ). Du reste, le droit de la TVA ne s’en tient pas à l’existence d’une créance exigible, ainsi que l’illustre la taxation du paiement d’un pourboire ( 37 ), de paiements excessifs involontaires ou du paiement d’une dette sur l’honneur ( 38 ).

68.

De plus, même après la clôture d’une procédure d’insolvabilité – fait que la Commission semble considérer comme un cas de défaillance définitive d’une créance –, il n’est pas exclu qu’un tiers adresse encore (délibérément ou par erreur) un paiement à l’entreprise assujettie. Cela ferait alors naître une dette de TVA à due concurrence. Cette considération vient elle aussi confirmer qu’au regard du droit de la TVA, il n’existe aucune certitude définitive du fait que plus aucun paiement ne sera effectué. Il n’existera toujours qu’une certaine probabilité qui croîtra, notamment, au fur et à mesure que le non‑paiement perdurera.

69.

Compte tenu des droits fondamentaux de l’entreprise, du principe de proportionnalité et du principe de neutralité, nous sommes d’avis qu’un préfinancement de la TVA pendant des périodes de plusieurs années est inenvisageable. Le seul élément décisif est la question de savoir si une créance ne peut pas être exécutée à long terme. À cet égard, le caractère non exécutable peut déjà exister dans le cas d’un refus de payer sérieux et définitif opposé par le débiteur. Si, par exemple, le débiteur conteste expressément l’existence ou le montant de la créance, il existe déjà une probabilité accrue que la créance ne puisse pas être exécutée en totalité ou avant longtemps.

70.

Par ailleurs, dans un système d’imposition indirecte, l’État est tributaire d’une « perception » de la TVA par l’entrepreneur. Par le choix de ses partenaires contractuels ou par la stipulation d’un paiement en avance, cet entrepreneur est dans une certaine mesure capable d’influer sur le risque de non-paiement. De plus, la dette fiscale que l’entreprise a envers l’État ne peut pas dépendre de la qualité (dont l’appréciation est subjective) de la contestation du débiteur, mais uniquement de critères objectifs. En fin de compte entrent seules en ligne de compte, en tant que tels critères, des mesures qui sont à la disposition de l’assujetti et qui peuvent raisonnablement être exigées de lui.

71.

La désignation des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées d’une entreprise dans chaque État membre, avant qu’elle ne puisse corriger sa dette fiscale en raison d’un non-paiement de la contrepartie, dépend des particularités locales et ne saurait être prédite in abstracto par la Cour. Il appartient au contraire à la juridiction nationale d’examiner au cas par cas, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, la dérogation ouverte par le droit national au principe de correction obligatoire ou de mettre en œuvre cette dérogation d’une manière conforme à la directive. Néanmoins la Cour peut fournir à la juridiction de renvoi des indications à cette fin.

72.

Il est ainsi conforme au principe de proportionnalité que l’État membre réclame certaines preuves d’une probable durée prolongée du non-paiement. L’ouverture d’une procédure d’insolvabilité pourrait constituer une telle preuve. Néanmoins le non-paiement devant être pris en compte au titre de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA peut déjà apparaître bien plus tôt, par exemple lorsque le débiteur conteste la créance dans le cadre d’une procédure judiciaire d’exécution. Il serait également conforme au principe de proportionnalité de fixer une durée raisonnable d’absence de paiement (par exemple, six mois à compter de la facturation) au‑delà de laquelle on pourra considérer qu’il y a non-paiement au sens de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA.

73.

Le point de savoir s’il peut être exigé de l’assujetti qu’il entame une procédure judiciaire d’exécution dépend notamment de la charge financière qui en découle. En principe, une obligation de procéder au profit de l’État à l’exécution forcée de créances éventuellement sans valeur, alors même que cette exécution engendre des coûts considérables, n’est compatible ni avec le principe de neutralité ni avec le principe de proportionnalité. Ainsi que la Commission l’affirme à juste titre, cela concerne surtout (mais pas uniquement) des créances de faibles montants. Dans ce cas, la possibilité de céder les créances à l’État à titre de dation en paiement constituerait sans doute le moyen le plus proportionné.

74.

En revanche, le recours à une procédure étatique d’exécution simplifiée et peu coûteuse – sous forme d’une procédure d’injonction de payer – avant toute correction de la base d’imposition apparaît globalement proportionné. Cela vaut du moins en principe et pour autant qu’il n’existe pas d’indices en vertu desquels cette procédure serait de toute façon vaine ou non rentable. Néanmoins l’exigence d’une clôture de la procédure d’insolvabilité est en tout état de cause disproportionnée, compte tenu de sa durée et du fait que l’assujetti n’a que peu ou pas d’influence sur cette procédure.

B. Résultat

75.

Il en résulte que l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA autorise les États membres à tenir compte du caractère spécifique des incertitudes en cas de non-paiement, de sorte que c’est uniquement à certaines conditions (telles, par exemple, l’expiration d’un délai ou certaines mesures prises en vain par l’assujetti) qu’un non-paiement suffisamment certain et durable peut être supposé. Cependant, une exclusion de la correction de la base d’imposition n’est pas envisageable.

76.

Dans ce cadre, les droits fondamentaux de l’assujetti, le principe de proportionnalité, la nature de la TVA et notamment le principe de neutralité font du reste obstacle à ce que la correction de la base d’imposition soit limitée par un conditionnement à des faits – tels que la clôture ou l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité – sur lesquels l’assujetti n’a aucune influence propre.

VI. Conclusion

77.

Nous proposons dès lors à la Cour de répondre conjointement aux deux questions préjudicielles de la Commissione tributaria provinciale di Siracusa (commission fiscale provinciale de Syracuse, Italie) de la manière suivante :

L’article 11, sous C, paragraphe 1, seconde phrase, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, ne permet pas de restreindre de manière disproportionnée la possibilité de correction de la base d’imposition. Néanmoins il autorise les États membres à tenir compte du caractère spécifique des incertitudes en cas de non-paiement, en imposant à l’assujetti certaines mesures qui peuvent raisonnablement être exigées de celui‑ci. Toutefois, la condition que la procédure d’insolvabilité du bénéficiaire des prestations ait été clôturée constitue une limitation disproportionnée.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) L’autre procédure engagée par la République italienne, l’affaire C‑202/15 (H3G), est actuellement suspendue dans la mesure où il apparaît que la juridiction de renvoi y envisage de retirer sa demande préjudicielle, au vu des modifications apportées au cadre juridique. Par ailleurs, la Cour est également saisie d’une interrogation similaire dans l’affaire C‑404/16 (Lombard).

( 3 ) Ce qui n’était pas le cas dans les arrêts du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339) ; du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328) ; du 2 juillet 2015, NLB Leasing (C‑209/14, EU:C:2015:440) ; du 26 mars 2015, Macikowski (C‑499/13, EU:C:2015:201) ; du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131), ainsi que du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40).

( 4 ) JO 1997, L 145, p. 1.

( 5 ) JO 2006, L 347, p. 1.

( 6 ) Dans la mesure où les dispositions de l’article 11, sous C, paragraphe 1, de la sixième directive et de l’article 90 de la directive TVA ainsi que les autres dispositions pertinentes en l’espèce sont d’une teneur identique, mais que ces dernières sont plus faciles à citer, nous emploierons par la suite les dispositions actuelles, par souci de simplicité.

( 7 ) Voir arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19), et du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin (C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 34), ainsi qu’ordonnance du 9 décembre 2011, Connoisseur Belgium (C‑69/11, non publiée, EU:C:2011:825, point 21).

( 8 ) Voir arrêts du 20 octobre 1993, Balocchi (C‑10/92, EU:C:1993:846, point 25), et du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C‑271/06, EU:C:2008:105, point 21).

( 9 ) Voir, à titre d’exemples, arrêts du 18 décembre 1997, Landboden-Agrardienste (C‑384/95, EU:C:1997:627, points 20 et 23), et du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a. (C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 37 – « la fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il fournit »).

( 10 ) Arrêt du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19). Voir, dans un sens similaire, arrêts du 15 octobre 2002, Commission/Allemagne (C‑427/98, EU:C:2002:581, point 30), et du 16 janvier 2003, Yorkshire Co‑operatives (C‑398/99, EU:C:2003:20, point 19), ainsi que les conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire MyTravel (C‑291/03, EU:C:2005:283, point 69).

( 11 ) Voir arrêts du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 15) ; du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, point 27) ; du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 22) ; du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131, point 37), ainsi que du 2 juillet 2015, NLB Leasing (C‑209/14, EU:C:2015:440, point 35).

( 12 ) La même fonction est assurée par les articles 184 et suivants de la directive TVA, qui constituent le contrepoids de la déduction de la TVA en amont effectuée – conformément au principe d’exigibilité immédiate de l’impôt sur la base de la créance – en vertu des articles 168 et 178 de la directive TVA et qui régularisent une déduction initiale trop importante de l’impôt payé en amont. En particulier, l’article 185, paragraphe 2, de la directive TVA permet de garantir le fait que la déduction de l’impôt payé en amont est en définitive adaptée à la charge réelle de la TVA. Le bénéficiaire de la prestation qui, faute d’avoir payé la contrepartie, ne supporte pas la TVA ne doit pas pouvoir en plus s’exonérer d’une charge (fictive) au moyen d’une déduction.

( 13 ) Voir, expressément en ce sens, arrêts du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131, point 31), et du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, point 26).

( 14 ) Arrêt du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 18).

( 15 ) Arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 23).

( 16 ) Néanmoins cela n’est vrai que pour autant que la finalité de l’exception est respectée. La jurisprudence entre-temps établie de la Cour va dans ce sens ; voir arrêts du 21 mars 2013, PFC Clinic (C‑91/12, EU:C:2013:198, point 23) ; du 14 juin 2007, Horizon College (C‑434/05, EU:C:2007:343, point 16) ; du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388, point 47), ainsi que nos conclusions dans l’affaire Brockenhurst College (C‑699/15, EU:C:2016:991, point 41). En substance, la Cour y exige une interprétation non pas restrictive mais précise des cas d’exception.

( 17 ) Est pertinent à cet égard l’arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 25).

( 18 ) Voir arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454, point 62 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir arrêts du 6 décembre 2012, Bonik (C‑285/11, EU:C:2012:774, point 42), et du 21 juin 2012, Mahagében (C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 48).

( 20 ) Voir arrêts du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 15) ; du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, point 27) ; du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 22) ; du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131, point 37), ainsi que du 2 juillet 2015, NLB Leasing (C‑209/14, EU:C:2015:440, point 35).

( 21 ) Dans son arrêt du 13 mars 2014, Malburg (C‑204/13, EU:C:2014:147, point 43), la Cour parle d’un principe d’interprétation.

( 22 ) Voir arrêts du 7 septembre 1999, Gregg (C‑216/97, EU:C:1999:390, point 20) ; du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571, point 30), ainsi que du 11 juin 1998, Fischer (C‑283/95, EU:C:1998:276, point 22).

( 23 ) Voir arrêts du 13 mars 2008, Securenta (C‑437/06, EU:C:2008:166, point 25), et du 1er avril 2004, Bockemühl (C‑90/02, EU:C:2004:206, point 39).

( 24 ) Voir arrêts du 13 mars 2014, Malburg (C‑204/13, EU:C:2014:147, point 41) ; du 21 avril 2005, HE (C‑25/03, EU:C:2005:241, point 57) ; du 15 décembre 2005, Centralan Property (C‑63/04, EU:C:2005:773, point 51), ainsi que nos conclusions présentées dans l’affaire Centralan Property (C‑63/04, EU:C:2005:185, point 25).

( 25 ) Telle que l’évoquait encore l’arrêt du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 23).

( 26 ) Arrêt du 3 juillet 1997 (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 18).

( 27 ) Voir arrêt du 14 mai 1974, Nold/Commission (4/73, EU:C:1974:51, point 14).

( 28 ) En ce qui concerne cette formule, voir nos conclusions présentées dans l’affaire G 4S Secure Solutions (C‑157/15, EU:C:2016:382, point 98), inspirées du Conseil constitutionnel (France), décisions no 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 (FR:CC:2015:2015.527.QPC, points 4 et 12) et no 2016-536 QPC du 19 février 2016 (FR:CC:2016:2016.536.QPC, points 3 et 10) ; voir, dans un sens similaire, Conseil d’État (France), arrêt no 317827 du 26 octobre 2011 (FR:CEASS:2011:317827.20111026) ; voir également Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne), BVerfGE 120, 274, 318 f. (DE:BVerfG:2008:rs20080227.1bvr037007, point 218).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, point 48 et jurisprudence citée). Voir dans le même sens en droit de la TVA, arrêts du 2 septembre 2015, CGIL et INCA (C‑309/14, EU:C:2015:523, point 24) ; du 26 avril 2012, Commission/Pays-Bas (C‑508/10, EU:C:2012:243, point 75), ainsi que du 26 mars 2015, Macikowski (C‑499/13, EU:C:2015:201, points 48 et suiv.).

( 30 ) Arrêt du 3 juillet 1997 (C‑330/95, EU:C:1997:339).

( 31 ) Voir arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C‑454/98, EU:C:2000:469, points 58 et suiv.).

( 32 ) Voir arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C‑454/98, EU:C:2000:469, points 57 et suiv.).

( 33 ) Voir arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C‑454/98, EU:C:2000:469, points 60 et 63), confirmé par les arrêts du 27 septembre 2007, Collée (C‑146/05, EU:C:2007:549, point 35), et du 6 novembre 2003, Karageorgou e.a. (C‑78/02 à C‑80/02, EU:C:2003:604, point 50).

( 34 ) Arrêt du 3 juillet 1997 (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 18).

( 35 ) Nul n’exigerait d’un fonctionnaire de l’administration fiscale qu’il avance dans un premier temps de ses propres deniers l’impôt dû par les assujettis qu’il taxe.

( 36 ) Il est ainsi déjà arrivé qu’en vue de prévenir le préjudice porté à son image, une banque satisfasse les créances des artisans dont les clients étaient devenus insolvables – voir Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), arrêt du 19 octobre 2001, V R 75/98, UR 2002, 217.

( 37 ) Voir arrêt du 29 mars 2001, Commission/France (C‑404/99, EU:C:2001:192, points 40 et suiv.).

( 38 ) Voir arrêt du 17 septembre 2002, Town & County Factors (C‑498/99, EU:C:2002:494, points 21 et suiv.).