ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

28 juillet 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Réseaux et services de communications électroniques — Directive 2002/21/CE — Article 3 — Impartialité et indépendance des autorités réglementaires nationales — Directive 2002/20/CE — Article 12 — Taxes administratives — Soumission d’une autorité réglementaire nationale aux dispositions applicables en matière de finances publiques ainsi qu’à des dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques»

Dans l’affaire C‑240/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 15 mai 2015, parvenue à la Cour le 22 mai 2015, dans la procédure

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni

contre

Istituto Nazionale di Statistica – ISTAT,

Presidenza del Consiglio dei Ministri,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme C. Toader, M. A. Rosas, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour l’Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni, par Me M. Clarich, avvocato,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et M. de Ree, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. V. Di Bucci et G. Braun ainsi que par Mme L. Nicolae, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33, ci-après la « directive-cadre, dans sa version initiale »), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 37, et rectificatif JO 2013, L 241, p. 8) (ci-après la « directive-cadre »), ainsi que de l’article 12 de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive « autorisation ») (JO 2002, L 108, p. 21).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (Autorité garante en matière de communications, Italie, ci-après l’« Autorité ») à l’Istituto Nazionale di Statistica – ISTAT (Institut national de la statistique, Italie, ci-après l’« Institut »), à la Presidenza del Consiglio dei Ministri (Présidence du Conseil des ministres, Italie) et au Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie) au sujet de l’inscription de l’Autorité sur la liste des administrations publiques relevant du compte de résultat consolidé des pouvoirs publics.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive-cadre

3

Le considérant 11 de la directive-cadre énonce :

« Conformément au principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation, les États membres devraient garantir l’indépendance de la ou des autorités réglementaires nationales, afin d’assurer l’impartialité de leurs décisions. Cette exigence d’indépendance ne porte pas atteinte à l’autonomie institutionnelle ni aux obligations constitutionnelles des États membres, ni au principe de neutralité, établi à l’article [345 TFUE], à l’égard des règles régissant le régime de la propriété applicables dans les États membres. Il convient que les autorités réglementaires nationales soient en possession de toutes les ressources nécessaires, en termes de personnel, de compétences et de moyens financiers, pour l’exécution de leurs missions. »

4

L’article 2, sous g), de la directive-cadre définit la notion d’« autorité réglementaire nationale » (ci-après « ARN ») comme visant « l’organisme ou les organismes chargés par un État membre d’une quelconque des tâches de réglementation assignées dans la présente directive et dans les directives particulières ». Selon ce même article 2, sous l), compte parmi les directives particulières la directive « autorisation ».

5

La directive 2009/140 a introduit, à l’article 3 de la directive-cadre, dans sa version initiale, de nouveaux paragraphes 3 à 3 quater, relatifs à l’indépendance des ARN. Le considérant 13 de la directive 2009/140 précise à cet égard :

« Il convient de renforcer l’indépendance des [ARN] afin d’assurer une application plus efficace du cadre réglementaire et d’accroître leur autorité et la prévisibilité de leurs décisions. À cet effet, il y a lieu de prévoir, en droit national, une disposition expresse garantissant que, dans l’exercice de ses fonctions, une [ARN] responsable de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises est à l’abri de toute intervention extérieure ou pression politique susceptible de compromettre son impartialité dans l’appréciation des questions qui lui sont soumises. Une telle influence externe rend un organisme législatif national impropre à agir en qualité d’[ARN] dans le cadre réglementaire. […] Il est important que les [ARN] responsables de la régulation du marché ex ante disposent de leur propre budget qui leur permette, en particulier, de recruter suffisamment de personnel qualifié. Afin de garantir la transparence, ce budget devrait être publié tous les ans. »

6

L’article 3 de la directive-cadre, intitulé « [ARN] », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que chacune des tâches assignées aux [ARN] dans la présente directive et dans les directives particulières soit accomplie par un organisme compétent.

2.   Les États membres garantissent l’indépendance des [ARN] en faisant en sorte que celles-ci soient juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de communications électroniques. Les États membres qui conservent la propriété ou le contrôle d’entreprises qui assurent la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques veillent à la séparation structurelle effective de la fonction de réglementation, d’une part, et des activités inhérentes à la propriété ou à la direction de ces entreprises, d’autre part.

3.   Les États membres veillent à ce que les [ARN] exercent leurs pouvoirs de manière impartiale, transparente et au moment opportun. Les États membres veillent à ce que les [ARN] disposent des ressources financières et humaines nécessaires pour accomplir les tâches qui leur sont assignées.

3   bis. Sans préjudice des paragraphes 4 et 5, les [ARN] responsables de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises […] agissent en toute indépendance et ne sollicitent ni n’acceptent d’instruction d’aucun autre organe en ce qui concerne l’accomplissement des tâches qui leur sont assignées en vertu du droit national transposant le droit communautaire. Ceci n’empêche pas une surveillance conformément aux dispositions nationales de droit constitutionnel. […]

[…]

Les États membres veillent à ce que les [ARN] visées au premier alinéa disposent des budgets annuels distincts. Les budgets sont rendus publics. Les États membres veillent également à ce que les [ARN] disposent des ressources financières et humaines adéquates pour leur permettre de participer activement et de contribuer à l’organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) [créé par le règlement (CE) no 1211/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, établissant l’organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) et l’Office (JO 2009, L 337, p. 1)].

[…] »

La directive « autorisation »

7

Le considérant 30 de la directive « autorisation » énonce :

« Des taxes administratives peuvent être imposées aux fournisseurs de services de communications électroniques afin de financer les activités de l’[ARN] en matière de gestion du système d’autorisation et d’octroi de droits d’utilisation. Ces taxes devraient uniquement couvrir les coûts administratifs réels résultant de ces activités. À cet effet, la transparence en ce qui concerne les recettes et les dépenses des [ARN] devrait être assurée par la publication d’un rapport annuel indiquant la somme totale des taxes perçues et des coûts administratifs supportés. Les entreprises pourront ainsi vérifier que les coûts administratifs et les taxes s’équilibrent. »

8

L’article 12 de la directive « autorisation », intitulé « Taxes administratives », prévoit :

«1.   Les taxes administratives imposées aux entreprises fournissant un service ou un réseau au titre de l’autorisation générale ou auxquelles un droit d’utilisation a été octroyé :

a)

couvrent exclusivement les coûts administratifs globaux qui seront occasionnés par la gestion, le contrôle et l’application du régime d’autorisation générale, des droits d’utilisation et des obligations spécifiques […], qui peuvent inclure les frais de coopération, d’harmonisation et de normalisation internationales, d’analyse de marché, de contrôle de la conformité et d’autres contrôles du marché, ainsi que les frais afférents aux travaux de réglementation impliquant l’élaboration et l’application de législations dérivées et de décisions administratives, telles que des décisions sur l’accès et l’interconnexion, et

b)

sont réparties entre les entreprises individuelles d’une manière objective, transparente et proportionnée qui minimise les coûts administratifs et les taxes inhérentes supplémentaires.

2.   Lorsque les [ARN] imposent des taxes administratives, elles publient un bilan annuel de leurs coûts administratifs et de la somme totale des taxes perçues. Les ajustements nécessaires sont effectués en tenant compte de la différence entre la somme totale des taxes et les coûts administratifs. »

Le droit italien

9

L’Autorité a été établie par la legge n. 249 – Istituzione dell’Autorità per le garanzie nelle comunicazioni e norme sui sistemi delle telecomunicazioni e radiotelevisivo (loi no 249, instituant l’autorité garante en matière de communications et portant dispositions relatives aux systèmes de télécommunications et de radiotélévision), du 31 juillet 1997 (supplément ordinaire à la GURI no 177, du 31 juillet 1997). L’article 1er, paragraphe 9, de cette loi dispose que l’Autorité « adopte un règlement portant sur son organisation et son fonctionnement, ses budgets, rapports financiers et la gestion de ses dépenses, même dérogatoire aux dispositions sur la comptabilité générale de l’État, ainsi que sur le statut du personnel et les conditions de rémunération de ce dernier ».

10

L’article 7, paragraphe 2, du decreto legislativo n. 259 – Codice delle comunicazioni elettroniche (décret législatif no 259, portant code des communications électroniques), du 1er août 2003 (supplément ordinaire à la GURI no 214, du 15 septembre 2003), confère à l’Autorité les fonctions d’ARN au sens de l’article 3 de la directive-cadre.

11

La legge n. 311 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2005) [loi no 311, portant dispositions pour l’établissement du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances pour 2005)], du 30 décembre 2004 (supplément ordinaire à la GURI no 306, du 31 décembre 2004, ci-après la « loi no 311 »), fixe une limite à l’augmentation des dépenses des administrations publiques. Ainsi, son article 1er, paragraphe 5, prévoit :

« En vue d’atteindre les objectifs établis par l’Union en matière de finances publiques […], pour la période de trois ans allant de 2005 à 2007, le total des dépenses des administrations publiques relevant du compte de résultat consolidé des pouvoirs publics, lesquelles sont énumérées, pour l’année 2005, dans la liste 1 en annexe de la présente loi et, pour les années suivantes, par une décision de l’[Institut] publiée à la [GURI] au plus tard le 31 juillet de chaque année, ne peut dépasser de plus de 2 % les prévisions actualisées de l’année précédente, telles qu’elles résultent du Rapport économique, social et financier. »

12

La legge n. 266 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2006) [loi no 266, portant dispositions pour l’établissement du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances pour 2006)], du 23 décembre 2005 (supplément ordinaire à la GURI no 302, du 29 décembre 2005), accorde à certaines autorités administratives indépendantes, dont l’Autorité, une autonomie financière importante. En particulier, l’article 1er, paragraphe 65, de celle-ci dispose :

« À partir de l’année 2007, les frais relatifs au fonctionnement […] de [l’Autorité] […] sont financés par le marché concerné, pour la partie non couverte par le financement à charge du budget de l’État, selon les modalités prévues par la réglementation en vigueur et à raison de montants de contribution déterminés par décision de chacune des autorités, dans le respect des limites maximales prévues par la loi, et versés directement à celles-ci. […] »

13

Le decreto-legge n. 223 – Disposizioni urgenti per il rilancio economico e sociale, per il contenimento e la razionalizzazione della spesa pubblica, nonché interventi in materia di entrate e di contrasto all’evasione fiscale (décret-loi no 223, portant dispositions urgentes pour la relance économique et sociale, pour la limitation et la rationalisation des dépenses publiques, et interventions en matière de recettes et de lutte contre la fraude fiscale), du 4 juillet 2006 (GURI no 153, du 4 juillet 2006, p. 4), converti en loi, après modifications, par la loi no 248, du 4 août 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 186, du 11 août 2006) (ci-après le « décret-loi no 223 »), comporte des dispositions visant la réduction des frais de fonctionnement des administrations et des organismes publics non territoriaux. Son article 22, paragraphe 1, prévoit :

« Les crédits alloués pour l’année 2006 et affectés aux dépenses de consommation intermédiaire du budget des administrations et organismes publics non territoriaux, […] visés à l’article 1er, paragraphes 5 et 6, de la [loi no 311], [sauf certaines exceptions], sont réduits de 10 % […] »

14

La legge n. 196 – Legge di contabilità e finanza pubblica (loi no 196, portant dispositions en matière de comptabilité et de finances publiques), du 31 décembre 2009 (supplément ordinaire à la GURI no 303, du 31 décembre 2009), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi no 196 »), comporte la nouvelle réglementation générale nationale en matière de comptabilité et de finances publiques. Son article 1er, paragraphe 2, dispose :

« Aux fins de l’application des dispositions en matière de finances publiques, pour l’année 2011, on entend par administrations publiques les organismes et personnes énumérés à des fins statistiques dans la liste faisant l’objet du communiqué publié le 24 juillet 2010 par l’[Institut] à la [GURI] no 171 ainsi que, à compter de l’année 2012, les organismes et personnes énumérés à des fins statistiques dans la liste faisant l’objet du communiqué publié le 30 septembre 2011 par l’[Institut] à la [GURI] no 228 et ses mises à jour ultérieures au sens du paragraphe 3 du présent article, lesquelles se basent sur les définitions données par les règlements de l’Union européenne en la matière, les autorités indépendantes ainsi que les administrations visées à l’article 1er, paragraphe 2, du décret législatif no 165 du 30 mars 2001, tel que modifié. »

15

Le 28 septembre 2012, l’Institut a publié à la GURI l’Elenco delle amministrazioni pubbliche inserite nel conto economico consolidato individuate ai sensi dell’articolo 1, comma 3, della legge 31 dicembre 2009, n. 196 (liste des administrations publiques relevant du compte de résultat consolidé des pouvoirs publics au sens de l’article 1er, paragraphe 3, de la loi no 196, GURI no 227, du 28 septembre 2012, p. 92, ci-après la « liste de l’Institut »). Sur cette liste figure l’Autorité.

Le litige au principal et la question préjudicielle

16

L’Autorité, qui, en sa qualité d’ARN au sens de la directive-cadre, exerce des activités de régulation du marché ex ante et de règlement des litiges entre entreprises, a saisi le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) d’un recours par lequel elle a notamment contesté le choix du législateur italien d’appliquer aux autorités indépendantes les dispositions en matière de finances publiques et, en particulier, l’application à son égard de certaines dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses publiques.

17

Par un arrêt du 12 juin 2013, le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium) a rejeté ce recours.

18

L’Autorité a interjeté appel de cet arrêt devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). Devant ce dernier, elle soutient que son assujettissement sans conditions aux dispositions nationales en matière de finances publiques, prévu à l’article 1er, paragraphe 2, de la loi no 196, ainsi que son assujettissement aux dispositions particulières de limitation et de rationalisation des dépenses et des frais de fonctionnement des administrations publiques, prévu à l’article 1er, paragraphe 5, de la loi no 311 et à l’article 22, paragraphe 1, du décret-loi no 223, a pour effet de lui imposer des contraintes à caractère organisationnel et financier susceptibles de diminuer l’efficacité de son action régulatrice dans le secteur des télécommunications. Elle fait valoir que le législateur italien aurait dû adopter en sa faveur des dispositions plus favorables, semblables à celles prévues pour la Banca d’Italia (Banque d’Italie), ou, à tout le moins, aurait dû limiter les réductions de dépenses imposées à la quote-part de son budget qui est financée par l’État.

19

L’Institut, la Présidence du Conseil des ministres et le ministère de l’Économie et des Finances concluent au rejet de l’appel formé par l’Autorité.

20

La juridiction de renvoi indique, à titre liminaire, que l’article 1er, paragraphe 5, de la loi no 311 poursuit notamment des objectifs spécifiques de limitation des dépenses imputables au « secteur public élargi » et, à cette fin, impose aux administrations figurant dans la liste de l’Institut de respecter certaines dispositions en matière de réduction des dépenses publiques.

21

Elle observe que, pour résoudre le litige dont elle est saisie, elle doit établir si la réglementation nationale en cause enfreint les principes d’impartialité et d’indépendance que les États membres doivent garantir aux ARN, y compris sur les plans financier et organisationnel, et le principe selon lequel les ARN autofinancent en grande partie les activités de gestion, de contrôle et d’application du régime d’autorisation générale au sens de l’article 12 de la directive « autorisation ». Si la position de l’Autorité ne lui apparaît pas manifestement dépourvue de tout fondement, elle considère néanmoins qu’il est plus plausible que le droit de l’Union ne s’oppose pas à la réglementation nationale en cause.

22

À cet égard, la juridiction de renvoi estime, premièrement, que, bien que les ARN jouissent de prérogatives particulières d’indépendance et d’impartialité, leur statut n’est cependant pas à ce point distinct de celui de l’ensemble des autres administrations publiques qu’il aurait pour effet de rendre automatiquement illégale l’application, à leur égard, de dispositions en matière de finances publiques ainsi que de limitation et de rationalisation des dépenses publiques visant l’ensemble des administrations publiques. Il n’y aurait, selon la juridiction de renvoi, contrariété avec le droit de l’Union que s’il était démontré que, par son montant ou par sa nature, la restriction prescrite empêche effectivement et concrètement l’ARN de disposer de toutes les ressources nécessaires, en termes de personnel, de compétence et de moyens financiers, pour l’exécution de ses missions. L’existence d’un tel obstacle ne saurait toutefois être présumée et l’Autorité n’aurait produit aucune preuve en ce sens.

23

Deuxièmement, selon cette juridiction, l’Autorité ne saurait être suivie en ce qu’elle affirme qu’il conviendrait de ne lui imposer que des objectifs et des obligations de résultat, comme ce qui serait prévu pour la Banque d’Italie, en particulier parce que l’Autorité n’a pas démontré qu’elle serait, en ce qui concerne la question en cause, assimilable à cette institution. De plus, les deux dispositions ponctuelles de limitation et de rationalisation des dépenses visées par l’Autorité lui laisseraient des marges de manœuvre appréciables.

24

Troisièmement, la juridiction de renvoi est d’avis qu’il ne saurait être déduit des dispositions de la directive « autorisation » que le législateur national ne peut pas imposer des mesures de limitation et de rationalisation des dépenses à une ARN pour la partie de ces dépenses qui est autofinancée, ce qui serait le cas pour plus de 90 % des dépenses de l’Autorité, considérant, en particulier, que les droits administratifs perçus par l’Autorité ont, selon la jurisprudence italienne, un caractère fiscal et, partant, relèvent du pouvoir d’imposition général de l’État.

25

Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les principes, visés à l’article 3 de la directive-cadre, selon lesquels les États membres doivent garantir l’impartialité et l’indépendance des ARN également sur le plan financier et organisationnel, ainsi que le principe, visé à l’article 12 de la directive “autorisation”, selon lequel les ARN s’autofinancent en grande partie, s’opposent-ils à une réglementation nationale (telle que la réglementation pertinente aux fins de la présente affaire) qui soumet ces ARN aussi, de manière générale, aux dispositions en matière de finances publiques et, en particulier, à des dispositions particulières en matière de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques ? »

Sur la question préjudicielle

26

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 de la directive-cadre et l’article 12 de la directive « autorisation » doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui soumet une ARN, au sens de la directive-cadre, à des dispositions nationales applicables en matière de finances publiques et, en particulier, à des dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques, telles que celles en cause au principal.

27

Il ressort de la décision de renvoi que les dispositions en cause au principal sont, en substance, premièrement, l’article 1er, paragraphe 2, de la loi no 196, en vertu duquel les administrations publiques énumérées par l’Institut sont soumises à la réglementation générale italienne applicable en matière de comptabilité et de finances publiques, deuxièmement, l’article 1er, paragraphe 5, de la loi no 311, en vertu duquel, pour les années 2005 à 2007, le total des dépenses des administrations publiques relevant du compte de résultat consolidé des pouvoirs publics, énumérées par l’Institut, ne peut dépasser de plus de 2 % les prévisions actualisées de l’année précédente, et, troisièmement, l’article 22, paragraphe 1, du décret-loi no 223, en vertu duquel les crédits alloués pour l’année 2006 et affectés aux dépenses de consommation intermédiaire du budget des administrations et des organismes publics non territoriaux, visés notamment à l’article 1er, paragraphe 5, de la loi no 311, sont réduits de 10 %.

28

Il convient de relever d’emblée que, au vu des libellés de ces deux dernières dispositions, tels qu’exposés dans la demande de décision préjudicielle, la mesure dans laquelle celles-ci sont applicables à l’Autorité n’apparaît pas clairement. En effet, cette dernière conteste, devant la juridiction de renvoi, son inscription dans la liste de l’Institut telle qu’elle a été publiée le 28 septembre 2012, alors que ces dispositions ne semblaient applicables que pour les années 2005 à 2007, pour l’une, et que pour l’année 2006, pour l’autre.

29

Par ailleurs, l’Autorité, dans les observations écrites qu’elle a déposées devant la Cour, a invoqué, outre les dispositions citées par la juridiction de renvoi, d’autres dispositions particulières en matière de finances publiques qui lui seraient applicables et qui, selon elle, réduiraient son indépendance au-delà de ce qui résulterait déjà des dispositions spécifiquement indiquées par cette juridiction.

30

Cependant, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’applicabilité de dispositions nationales ou d’établir les faits pertinents pour la solution du litige au principal. Au contraire, il incombe à la Cour de prendre en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insère la question préjudicielle, tel que défini par la décision de renvoi (voir notamment, en ce sens, arrêts du 13 novembre 2003, Neri, C‑153/02, EU:C:2003:614, points 34 et 35, ainsi que du 30 juin 2005, Tod’s et Tod’s France, C‑28/04, EU:C:2005:418, point 14).

31

Partant, la Cour ne saurait substituer son jugement à celui de la juridiction de renvoi quant à la question de savoir si lesdites deux dernières dispositions s’appliquaient encore à l’Autorité lorsque cette juridiction a été saisie du litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, Gruber, C‑249/97, EU:C:1999:405, point 19) et doit tenir pour établi que tel est bien le cas. En outre, c’est au regard des seules dispositions exposées par la juridiction de renvoi qu’il y a lieu pour la Cour de répondre à la question posée.

32

S’agissant, en premier lieu, de l’article 3 de la directive-cadre, il convient de relever que cette disposition, dans sa version initiale, visait, pour l’essentiel, conformément au considérant 11 de ladite directive, à garantir l’indépendance et l’impartialité des ARN en assurant la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation (arrêt du 6 mars 2008, Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones, C‑82/07, EU:C:2008:143, point 13).

33

Cela étant, le considérant 11 de la directive-cadre, dans sa version initiale, précisait déjà qu’« [i]l convient que les [ARN] soient en possession de toutes les ressources nécessaires, en termes de personnel, de compétences et de moyens financiers, pour l’exécution de leurs missions ». Cet objectif ne trouvait cependant pas de traduction expresse dans les articles de celle-ci, au-delà de la précision apportée à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, dans sa version initiale, selon lequel les États membres veillent à ce que chacune des tâches assignées aux ARN dans celle-ci et dans les directives particulières soit accomplie par un organisme compétent, et de celle apportée au paragraphe 3 du même article, selon lequel les États membres veillent à ce que les ARN exercent leurs pouvoirs de manière impartiale et transparente.

34

Ainsi que cela ressort du considérant 13 de la directive 2009/140, le législateur de l’Union a, avec cette dernière directive, entendu renforcer l’indépendance des ARN afin d’assurer une application plus efficace du cadre réglementaire et d’accroître leur autorité et la prévisibilité de leurs décisions. Ainsi, l’article 3, paragraphe 3, de la directive-cadre prévoit désormais expressément que les États membres veillent à ce que les ARN exercent leurs pouvoirs de manière impartiale, transparente et au moment opportun et à ce qu’elles disposent des ressources financières et humaines nécessaires pour accomplir les tâches qui leur sont assignées.

35

L’article 3, paragraphe 3 bis, premier alinéa, de la directive-cadre impose, de plus, que les ARN responsables de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises agissent en toute indépendance et ne sollicitent ni n’acceptent d’instruction d’aucun autre organe en ce qui concerne l’accomplissement des tâches qui leur sont assignées en vertu du droit national transposant le droit de l’Union, tout en précisant que « [c]eci n’empêche pas une surveillance conformément aux dispositions nationales de droit constitutionnel ». Quant au troisième alinéa du même paragraphe, il précise que les États membres veillent à ce que les ARN visées au premier alinéa de celui-ci disposent de budgets annuels distincts, rendus publics, ainsi que des ressources financières et humaines adéquates pour leur permettre de participer activement et de contribuer à l’ORECE.

36

Il ressort de ces dispositions que la directive-cadre exige désormais que, afin de garantir l’indépendance et l’impartialité des ARN, les États membres veillent, en substance, à ce qu’elles disposent, pour l’ensemble d’entre elles, des ressources financières et humaines nécessaires pour accomplir les tâches qui leur sont assignées et, pour les ARN responsables de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises, à ce qu’elles agissent en toute indépendance. Toutefois, rien n’indique, dans ces dispositions, que le respect de ces exigences exclut, par principe, qu’une ARN soit soumise à des dispositions nationales applicables en matière de finances publiques, ainsi que, en particulier, à des dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques, telles que celles en cause au principal.

37

À cet égard, il convient de souligner que l’article 3, paragraphe 3 bis, premier alinéa, deuxième phrase, de la directive-cadre prévoit expressément que, si les ARN responsables de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises agissent en toute indépendance et ne sollicitent ni n’acceptent d’instruction d’aucun autre organe en ce qui concerne l’accomplissement des tâches qui leur sont assignées, « [c]eci n’empêche pas une surveillance conformément aux dispositions nationales de droit constitutionnel ».

38

Or, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 43 et 44 de ses conclusions, cette disposition implique que les ARN peuvent, selon l’article 3 de la directive-cadre, valablement être soumises à certaines règles de contrôle budgétaire par le parlement national, lequel inclut la soumission ex ante à des mesures d’encadrement des dépenses publiques.

39

De telles mesures d’encadrement ne sauraient, dès lors, être considérées comme portant atteinte à l’indépendance et à l’impartialité des ARN, telles qu’elles sont garanties par la directive-cadre, et, partant, comme étant incompatibles avec l’article 3 de cette directive, que s’il peut être constaté qu’elles sont de nature à faire obstacle à ce que les ARN concernées exercent de façon satisfaisante les fonctions qui leur sont assignées par ladite directive et les directives particulières ou qu’elles contreviennent aux conditions que la directive-cadre impose aux États membres de respecter afin qu’il soit satisfait au degré d’indépendance et d’impartialité des ARN que cette directive exige.

40

Toutefois, c’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de vérifier si les dispositions nationales en cause au principal sont de nature à faire obstacle à ce que l’Autorité dispose des ressources financières et humaines nécessaires pour accomplir de façon satisfaisante les tâches qui lui sont assignées, et notamment, en sa qualité d’ARN responsable de la régulation du marché ex ante et du règlement des litiges entre entreprises, pour lui permettre de participer activement et de contribuer à l’ORECE. La juridiction de renvoi relève à cet égard que l’Autorité n’a pas produit d’élément en ce sens et qu’elle s’est limitée à affirmer, de manière générale, que les dispositions en cause au principal portent atteinte à son autonomie financière et, par suite, à son indépendance.

41

Il y a aussi lieu de relever que, ainsi que cela ressort de la décision de renvoi et du point 27 du présent arrêt, les dispositions particulières de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques, en cause au principal, se limitent, pour la première, à plafonner l’augmentation du montant des dépenses qui peut être décidée par l’Autorité et, pour la seconde, à imposer la réduction des seules « dépenses de consommation intermédiaire ». En outre, comme l’a relevé la juridiction de renvoi, ces deux dispositions, par leur caractère générique, accordent à l’Autorité une marge de manœuvre appréciable pour leur mise en œuvre. Il s’agit, de plus, de dispositions applicables à un ensemble d’administrations et d’organismes publics.

42

De surcroît, il n’est pas contesté, dans le litige au principal, que l’Autorité continue à disposer d’un budget annuel distinct et rendu public conformément à l’article 3, paragraphe 3 bis, troisième alinéa, de la directive-cadre.

43

Par ailleurs, ainsi que l’a également relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 48 à 50 de ses conclusions, au vu de leurs fonctions fondamentalement différentes, l’Autorité ne saurait valablement prétendre que la directive-cadre impose aux États membres de garantir aux ARN le même régime d’indépendance que celui que prévoit le droit de l’Union pour les banques centrales.

44

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, l’article 3 de la directive-cadre ne saurait s’opposer à ce que soient appliquées à une ARN, au sens de cette directive, des dispositions nationales en matière de finances publiques ainsi que, en particulier, des dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques, telles que celles en cause au principal.

45

S’agissant, en second lieu, de l’article 12 de la directive « autorisation », il y a lieu de rappeler que les taxes administratives que les États membres peuvent imposer, en vertu de cet article, aux entreprises fournissant un service ou un réseau au titre de l’autorisation générale ou auxquelles un droit d’utilisation a été octroyé, afin de financer les activités de l’ARN, doivent être exclusivement destinées à couvrir les coûts administratifs globaux afférents aux activités mentionnées à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive. Elles ne sauraient donc être destinées à couvrir des dépenses relatives à des tâches autres que celles énumérées à cette disposition, et notamment pas les coûts administratifs de toute nature supportés par l’ARN (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Vodafone Omnitel e.a., C‑228/12 à C‑232/12 et C‑254/12 à C‑258/12, EU:C:2013:495, points 38 à 40 et 42).

46

En outre, il ressort de l’article 12, paragraphe 2, de la directive « autorisation », lu à la lumière du considérant 30 de celle-ci, que lesdites taxes doivent couvrir les coûts administratifs réels résultant des activités énumérées au paragraphe 1, sous a), de cet article et s’équilibrer avec ces coûts. Ainsi, l’ensemble des recettes obtenues au titre de la taxe en cause ne saurait excéder l’ensemble des coûts afférents à ces activités (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Vodafone Omnitel e.a., C‑228/12 à C‑232/12 et C‑254/12 à C‑258/12, EU:C:2013:495, points 41 et 42).

47

Si l’article 12 de la directive « autorisation » permet ainsi aux ARN de financer une partie de leurs activités par le prélèvement de taxes administratives, cette disposition ne saurait être considérée comme conférant à l’Autorité un droit absolu de fixer le montant de ces taxes sans avoir égard aux dispositions nationales applicables en matière de finances publiques et visant à encadrer et à limiter les dépenses publiques. En effet, lesdites taxes présentent, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, un caractère fiscal et relèvent du pouvoir d’imposition général de l’État italien. La fixation de leur montant par l’Autorité ne saurait donc échapper à l’application de telles dispositions dès lors que, par ailleurs, ces dispositions ne méconnaissent pas l’article 3 de la directive-cadre, conformément à ce qui est exposé au point 39 du présent arrêt.

48

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 3 de la directive-cadre et l’article 12 de la directive « autorisation » doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui soumet une ARN, au sens de la directive-cadre, à des dispositions nationales applicables en matière de finances publiques et, en particulier, à des dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques, telles que celles en cause au principal.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 3 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, et l’article 12 de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive « autorisation »), doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui soumet une autorité réglementaire nationale, au sens de la directive 2002/21, telle que modifiée par la directive 2009/140, à des dispositions nationales applicables en matière de finances publiques et, en particulier, à des dispositions de limitation et de rationalisation des dépenses des administrations publiques, telles que celles en cause au principal.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.