CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 1er juin 2016 ( 1 )

Affaire C‑166/15

Aleksandrs Ranks

Jurijs Vasiļevičs

[demande de décision préjudicielle

formée par la Rīgas apgabaltiesas Krimināllietu tiesu kolēģija

(cour régionale de Riga, collège des affaires pénales, Lettonie)]

«Renvoi préjudiciel — Directive 91/250/CEE — Protection juridique des programmes d’ordinateur — Vente de copies non originales de programmes d’ordinateur — Copies incorporées à un support matériel autre que le support matériel d’origine — Existence d’une atteinte au droit de distribution — Possibilité de se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution — Existence d’une atteinte au droit de reproduction»

I – Introduction

1.

Par ordonnance du 18 mars 2015, parvenue à la Cour le 13 avril 2015, la Rīgas apgabaltiesas Krimināllietu tiesu kolēģija (cour régionale de Riga, collège des affaires pénales, Lettonie) a posé deux questions préjudicielles sur l’interprétation des articles 4 et 5 de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 2009, L 111, p. 16).

2.

Cette question a été soulevée dans le cadre d’une procédure pénale intentée à l’encontre de MM. Aleksandrs Ranks et Jurijs Vasiļevičs (ci‑après, ensemble, les « prévenus ») en raison notamment de la violation alléguée des droits d’auteur de Microsoft Corporation (ci‑après « Microsoft ») à la suite de la vente de copies de programmes d’ordinateur incorporées à un support matériel autre que le support matériel d’origine.

II – Le cadre juridique

3.

En vertu de son article 10, la directive 2009/24 abroge la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 1991, L 122, p. 42), telle que modifiée par la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO 1993, L 290, p. 9) (ci‑après la « directive 91/250 »).

4.

En application de son article 11, la directive 2009/24 est entrée en vigueur le 25 mai 2009. Or, il ressort de l’ordonnance de renvoi que les faits pertinents du litige au principal se sont déroulés entre le 28 décembre 2001 et le 22 décembre 2004. Par conséquent, il y a lieu de faire application des dispositions de la directive 91/250 dans la présente affaire.

5.

L’article 4 de la directive 91/250, intitulé « Actes soumis à restrictions », dispose :

« Sous réserve des articles 5 et 6, les droits exclusifs du titulaire au sens de l’article 2 comportent le droit de faire et d’autoriser :

a)

la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit. Lorsque le chargement, l’affichage, le passage, la transmission ou le stockage d’un programme d’ordinateur nécessitent une telle reproduction du programme, ces actes de reproduction seront soumis à l’autorisation du titulaire du droit ;

[…]

c)

toute forme de distribution, y compris la location, au public de l’original ou de copies d’un programme d’ordinateur. La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui‑ci. »

6.

L’article 5 de la directive 91/250, intitulé « Exceptions aux actes soumis à restrictions », est libellé comme suit :

« 1.   Sauf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes prévus à l’article 4 points a) et b) lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.

2.   Une personne ayant le droit d’utiliser le programme d’ordinateur ne peut être empêchée par contrat d’en faire une copie de sauvegarde dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour cette utilisation.

[…] »

7.

L’article 7 de la directive 91/250, intitulé « Mesures spéciales de protection », prévoit :

« 1.   Sans préjudice des articles 4, 5 et 6, les États membres prennent, conformément à leurs législations nationales, des mesures appropriées à l’encontre des personnes qui accomplissent l’un des actes mentionnés aux points a), b) et c) figurant ci-dessous :

a)

mettre en circulation une copie d’un programme d’ordinateur en sachant qu’elle est illicite ou en ayant des raisons de le croire ;

b)

détenir à des fins commerciales une copie d’un programme d’ordinateur en sachant qu’elle est illicite ou en ayant des raisons de le croire ;

[…]

2.   Toute copie illicite d’un programme d’ordinateur est susceptible de saisie conformément à la législation de l’État membre concerné.

[…] »

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

8.

Entre le 28 décembre 2001 et le 22 décembre 2004, les prévenus, agissant conjointement en vertu d’un accord préalable, ont vendu sur la plateforme de vente en ligne proposée par le site Internet www.ebay.com plus de 3000 copies de programmes d’ordinateur protégés par le droit d’auteur.

9.

Microsoft est le titulaire des droits d’auteur sur les programmes d’ordinateur ayant fait l’objet de ces ventes, lesquels incluent les programmes dénommés « Windows 95 », « Windows 98 », « Windows 2000 Professional », « Windows Millenium », « Windows XP Home 2002 », « Office 2000 Professional », « Office XP Small Business » et « Office 2003 ».

10.

Le montant total que les prévenus ont obtenu à l’occasion de ces ventes n’a pas pu être déterminé précisément au cours de l’enquête. Il a toutefois été établi que les prévenus ont reçu un montant de 229724,67 euros via le système de paiement « PayPal » proposé sur le site Internet www.ebay.com.

11.

Dans le cadre desdites ventes, les prévenus ont notamment vendu :

une copie du programme « Windows Millenium Edition » dont les conditions de licence stipulaient qu’il ne pouvait être livré qu’avec un nouvel ordinateur (« for distribution only with a new PC ») ;

deux copies du programme « Windows 2000 Professional OEM », accompagnées d’un guide d’utilisation et d’un certificat d’authenticité, qui ont été considérées par un expert comme étant des reproductions illégales du disque compact et du programme d’installation de « Microsoft Windows 2000 Professional » ;

trente copies du programme « Windows 98 Second Edition OEM », accompagnées d’un guide d’utilisation et d’un certificat d’authenticité, lesquelles ont été considérées par un expert comme étant des reproductions illégales des disques compacts et des programmes d’installation de « Microsoft Windows 98 Starts Here 4/98 » et de « Microsoft Windows 98 Second Edition ».

12.

La juridiction de renvoi précise que les prévenus ont été inculpés pour avoir commis les infractions pénales suivantes :

vente illégale en bande organisée d’objets protégés par le droit d’auteur, qui sont reproduits ou exploités par un autre moyen en violation du droit d’auteur (article 149, paragraphe 3, de la loi pénale dans sa version en vigueur le 17 octobre 2002) ;

usage illégal délibéré d’une marque appartenant à autrui, causant un préjudice grave à des droits et intérêts individuels protégés par la loi (article 206, paragraphe 2, de la loi pénale), et

exercice d’une activité commerciale sans enregistrement, causant un préjudice grave à des intérêts individuels protégés par la loi (article 207, paragraphe 2, de la loi pénale).

13.

Par un jugement du 3 janvier 2012, le Rīgas pilsētas Vidzemes priekšpilsētas tiesa (tribunal de district de Vidzeme de la ville de Riga, Lettonie) a reconnu les prévenus coupables des infractions prévues à l’article 149, paragraphe 3, et à l’article 206, paragraphe 2, de la loi pénale et les a condamnés à s’acquitter partiellement de la réparation du préjudice et de l’intégralité des frais de procédure. Les prévenus ont été reconnus non coupables de l’infraction prévue à l’article 207, paragraphe 2, de la loi pénale.

14.

Par un arrêt du 22 mars 2013, la juridiction de renvoi a annulé le jugement rendu en première instance en ce qui concerne la condamnation des prévenus au titre de l’article 149, paragraphe 3, de la loi pénale, et la peine infligée. Cette juridiction a cependant condamné les prévenus au titre de l’article 149, paragraphe 3, de la loi pénale dans sa version en vigueur le 17 octobre 2002. Le reste du jugement n’a pas été modifié.

15.

Par décision du 13 octobre 2013, le Latvijas Republikas Augstākās tiesas Senāts (Sénat de la Cour suprême de Lettonie) a annulé dans son intégralité l’arrêt du 22 mars 2013 et a renvoyé l’affaire devant une juridiction d’appel pour réexamen.

16.

Par décision du 8 octobre 2013, la juridiction de renvoi a accepté de réexaminer en instance d’appel l’affaire pénale relative à l’inculpation des prévenus au titre de l’article 149, paragraphe 3 (dans sa version en vigueur au 31 décembre 2010), de l’article 206, paragraphe 2, et de l’article 207, paragraphe 2, de la loi pénale.

17.

S’interrogeant sur la pertinence de l’arrêt UsedSoft ( 2 ) dans les circonstances de l’affaire au principal, la Rīgas apgabaltiesas Krimināllietu tiesu kolēģija (cour régionale de Riga, collège des affaires pénales) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une personne qui a acquis un programme d’ordinateur d’occasion sous licence sur un disque non [original], qui fonctionne et qui n’est utilisé par personne d’autre, peut-elle, en vertu [de l’article] 5, paragraphe 1, et [de l’article] 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, invoquer l’épuisement du droit de distribuer un exemplaire (copie) du programme d’ordinateur que le premier acquéreur a acquis auprès du titulaire des droits sur le disque original, [lorsque] le disque [original] s’est détérioré [et que] le premier acquéreur a effacé son exemplaire (copie) du programme d’ordinateur ou ne l’utilise plus ?

2)

Si la réponse à la première question est affirmative, une personne qui peut invoquer l’épuisement du droit de distribuer un exemplaire (copie) du programme d’ordinateur a-t-elle le droit de revendre le programme d’ordinateur sur un disque non [original] à un tiers au sens [de l’article] 4, paragraphe 2, et [de l’article] 5, paragraphe 2, de la directive 2009/24 ? »

IV – La procédure devant la Cour

18.

La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 13 avril 2015.

19.

Ont présenté des observations écrites les prévenus, Microsoft, les gouvernements letton, italien et polonais ainsi que la Commission européenne.

20.

Ont comparu à l’audience de plaidoiries du 16 mars 2016 pour y être entendus en leurs observations les représentants des prévenus et de Microsoft, le gouvernement letton et la Commission.

V – Analyse des questions préjudicielles

21.

Les questions soumises à la Cour portent sur l’existence d’une violation des droits d’auteur en raison de la vente, sans le consentement du titulaire, de copies de programmes d’ordinateur réalisées sans l’autorisation du titulaire sur un support matériel autre que le support d’origine (ci-après les « copies matérielles non originales »). Ces questions ne concernent donc pas la vente, par le titulaire ou avec son consentement, de copies réalisées par le titulaire ou avec son autorisation sur le support matériel d’origine (ci-après les « copies matérielles originales »).

22.

Dans le litige au principal, les prévenus sont accusés d’avoir vendu des milliers de copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur dont les droits d’auteur appartiennent à Microsoft. Les prévenus ont affirmé dans leurs observations écrites qu’ils avaient acheté ces copies auprès d’entreprises ou de particuliers qui n’en avaient plus l’usage.

23.

La vente de copies matérielles non originales est susceptible de porter atteinte à deux droits exclusifs attribués au titulaire par l’article 4, sous a) et c), de la directive 91/250, à savoir le droit exclusif de faire et d’autoriser la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur (ci-après le « droit de reproduction ») ainsi que le droit exclusif de faire et d’autoriser toute forme de distribution, y compris la location, au public de l’original ou de copies d’un programme d’ordinateur (ci‑après le « droit de distribution »).

24.

En outre, bien que les questions posées ne mentionnent expressément que l’épuisement du droit de distribution, ces questions se réfèrent également à des dispositions prévoyant des dérogations au droit de reproduction, à savoir l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250.

25.

J’estime dès lors nécessaire de reformuler les questions soumises à la Cour comme suit. Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, sous a) et c), ainsi que l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250 doivent être interprétés en ce sens qu’il est porté atteinte aux droits exclusifs de reproduction et de distribution du titulaire lorsque la copie d’un programme d’ordinateur est réalisée par un utilisateur, sans l’autorisation du titulaire, sur un support matériel autre que le support matériel d’origine et que cette copie est vendue, sans l’autorisation du titulaire, par cet utilisateur ou par un autre utilisateur, et ce même dans des circonstances où :

le support matériel d’origine est endommagé et

le vendeur de ladite copie rend inutilisable toute autre copie en sa possession.

A – Sur la recevabilité des questions posées

26.

Le gouvernement letton a exprimé des doutes quant à la recevabilité des questions posées par la juridiction de renvoi, dans la mesure où ces questions évoquent la vente de copies matérielles non originales sous licence alors que l’ordonnance de renvoi fait état de rapports d’expertise constatant la vente de copies de contrefaçon. Par conséquent, les questions posées ne seraient pas pertinentes pour trancher le litige au principal.

27.

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 3 ).

28.

Ainsi, le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 4 ).

29.

En l’occurrence, et comme l’a relevé le gouvernement letton lui‑même lors de l’audience de plaidoiries, la qualification de « contrefaçon » dépendra de la réponse apportée par la Cour aux questions posées. À titre d’illustration, si la Cour devait juger que la réalisation et la vente de copies matérielles non originales, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, ne portent pas atteinte aux droits de reproduction et de distribution, ces copies ne pourraient plus être considérées comme des copies de contrefaçon par le juge national.

30.

Dans ces conditions, j’estime que les questions posées présentent un rapport direct avec l’objet du litige au principal et sont, en conséquence, recevables.

B – Sur l’existence d’une atteinte au droit de distribution lors de la vente de copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur

31.

Il y a lieu à présent d’examiner si l’article 4, sous c), de la directive 91/250 doit être interprété en ce sens qu’il est porté atteinte au droit exclusif de distribution du titulaire dans les circonstances identifiées au point 25 des présentes conclusions.

32.

Selon la première phrase de cette disposition, constitue une atteinte au droit de distribution le fait de distribuer au public, sans l’autorisation du titulaire, l’original ou une copie d’un programme d’ordinateur. Dans le litige au principal, il est constant que les prévenus ont vendu, sur la plateforme de vente en ligne proposée par le site Internet www.ebay.com, plusieurs milliers de copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur sans le consentement du titulaire, à savoir Microsoft. Il n’est pas davantage discuté que ces ventes constituent des distributions au sens de la disposition précitée.

33.

Par conséquent, les ventes des copies en cause dans le litige au principal constituent une atteinte au droit de distribution de Microsoft, sauf à établir que ces ventes relèvent d’une dérogation au droit de distribution. À cet égard, la majeure partie des observations soumises à la Cour porte sur la question de savoir si de telles ventes relèvent de la règle de l’épuisement du droit de distribution prévue à l’article 4, sous c), seconde phrase, de la directive 91/250.

34.

Trois approches peuvent être identifiées parmi les observations soumises à la Cour en ce qui concerne l’application éventuelle de la règle de l’épuisement à des copies matérielles non originales.

35.

Selon une approche stricte défendue par Microsoft ainsi que par les gouvernements italien et polonais, une copie matérielle non originale ne peut jamais bénéficier de l’épuisement du droit de distribution, et ne peut donc pas être vendue par un utilisateur sans l’autorisation du titulaire.

36.

Selon une approche libérale soutenue par les prévenus et le gouvernement letton, une copie matérielle non originale bénéficie de l’épuisement du droit de distribution lorsque sont respectées les conditions qui auraient été établies par la Cour dans l’arrêt UsedSoft ( 5 ), à savoir :

le titulaire a conféré à l’acquéreur initial, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de la copie sans limitation de durée et

l’acquéreur initial qui procède à la revente de la copie matérielle non originale rend inutilisable toute autre copie en sa possession au moment de la revente.

37.

Selon une approche intermédiaire proposée par la Commission, la solution adoptée par la Cour dans l’arrêt UsedSoft ( 6 ) ne pourrait être étendue aux copies matérielles non originales que dans un cas précis, à savoir lorsque la copie matérielle originale a été endommagée. Certes, la réalisation de copies matérielles non originales à d’autres fins que celles énumérées à l’article 5 de la directive 91/250, et notamment en vue de leur revente, ne pourrait bénéficier de l’épuisement du droit de distribution. Cependant, la réalisation d’une copie matérielle non originale lorsque la copie matérielle originale est endommagée relèverait de l’article 5, paragraphe 1 ou 2, de la directive 91/250 dès lors qu’elle serait nécessaire pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser la copie d’une manière conforme à sa destination. La Commission en déduit que la revente d’une copie matérielle non originale réalisée dans de telles circonstances bénéficierait de l’épuisement, à condition que soient satisfaites les conditions établies dans cet arrêt, résumées au point 36 des présentes conclusions.

38.

Les éléments suivants me semblent militer en faveur de l’approche stricte défendue par Microsoft ainsi que par les gouvernements italien et polonais.

39.

En premier lieu, le libellé de l’article 4, sous c), seconde phrase, de la directive 91/250, qui établit la seule dérogation au droit de distribution dans le contexte de cette directive, me semble irréconciliable avec les approches libérale et intermédiaire pour les deux motifs suivants.

40.

D’une part, le libellé de cette disposition limite le bénéfice de l’épuisement à la seule copie originale. Selon cette disposition, en effet, la vente d’une copie d’un programme d’ordinateur, par le titulaire ou avec son consentement, « épuise le droit de distribution de cette copie » (italique ajouté par mes soins). Comme le souligne Microsoft, l’utilisation des termes « cette copie » exclut que la règle de l’épuisement puisse être invoquée pour toute autre copie que la copie originale vendue par le titulaire ou avec son consentement.

41.

D’autre part, le libellé de cette disposition ne subordonne pas l’épuisement du droit de distribution à la circonstance que le revendeur ait rendu inutilisable toute autre copie en sa possession ou encore à la circonstance que la copie matérielle originale ait été détériorée, contrairement à ce que font valoir les prévenus, le gouvernement letton et la Commission. En réalité, cette disposition octroie l’épuisement du droit de distribution de manière inconditionnelle à toute copie originale vendue par le titulaire ou avec son consentement.

42.

En deuxième lieu, l’approche stricte me semble correspondre à la conception générale de la règle de l’épuisement du droit de distribution telle que prévue par la législation de l’Union en matière de droit d’auteur, comme l’a fait valoir Microsoft. Une disposition analogue à l’article 4, sous c), seconde phrase, de la directive 91/250 a notamment été insérée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE ( 7 ).

43.

Cette disposition a été interprétée par la Cour dans l’arrêt Art & Allposters International ( 8 ). Cet arrêt concernait une violation de droits d’auteur portant sur des images d’œuvres protégées, lesquelles avaient été, sans l’autorisation du titulaire, transférées d’une affiche en papier vers une toile de peintre et ensuite vendues sur ce nouveau support. La Cour a jugé que l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 couvrait uniquement le support d’origine vendu avec le consentement du titulaire (affiche en papier) et ne pouvait être étendu au nouveau support incorporant l’image de l’œuvre protégée (toile de peintre).

44.

À mes yeux, la circonstance que le support d’origine ait été détérioré n’ébranle pas la solution adoptée par la Cour dans l’arrêt Art & Allposters International ( 9 ). Ainsi, l’éventuelle détérioration de l’affiche en papier ne saurait impliquer que l’utilisateur puisse, sans porter atteinte au droit de distribution, transférer l’image sur une toile de peintre et revendre celle-ci sans l’autorisation du titulaire. De la même façon, la détérioration d’un livre ne confère pas à son propriétaire le droit d’en vendre une photocopie, tout comme la détérioration d’un disque vinyle ne confère pas non plus le droit d’en transférer le contenu sur un disque compact et de revendre ce dernier sans l’autorisation du titulaire.

45.

Par analogie, l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, sous c), seconde phrase, de la directive 91/250 bénéficie uniquement au support d’origine vendu par le titulaire ou avec son consentement (copie matérielle originale). Contrairement à ce qu’ont fait valoir les prévenus, le gouvernement letton et la Commission, la règle de l’épuisement ne saurait s’appliquer à la revente, sans le consentement du titulaire, d’autres supports incorporant le programme d’ordinateur (copies matérielles non originales), et ce même en cas de détérioration du support d’origine.

46.

En troisième lieu, les approches libérale et intermédiaire me semblent procéder d’une confusion entre les règles régissant le droit de distribution et celles régissant le droit de reproduction.

47.

Il en va ainsi de la condition selon laquelle le revendeur est tenu de « rendre inutilisable » toute copie en sa possession au moment de la revente ( 10 ). En effet, cette obligation, évoquée aux points 70 et 78 de l’arrêt UsedSoft ( 11 ), est imposée au revendeur sous peine de violer le droit de reproduction. En revanche, cette obligation n’est pas pertinente aux fins de déterminer l’existence d’une atteinte au droit de distribution.

48.

De même, l’approche intermédiaire défendue par la Commission ( 12 ) postule que l’utilisateur réalisant une copie matérielle non originale dans les conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1 ou 2, de la directive 91/250 a le droit, sous certaines conditions, de distribuer cette copie.

49.

Or, ces dispositions établissent des dérogations au seul droit de reproduction. À supposer même que la copie réalisée par un utilisateur soit licite au regard des conditions établies à l’article 5, paragraphe 1 ou 2, de la directive 91/250, cela n’implique pas que cet utilisateur ait le droit de vendre cette copie sans porter atteinte au droit de distribution. Le droit de réaliser une copie pour son propre usage n’entraîne pas le droit de vendre cette copie à autrui.

50.

En quatrième lieu, j’ai le sentiment que l’approche libérale défendue par les prévenus et le gouvernement letton et l’approche intermédiaire proposée par la Commission imposeraient à l’acquéreur d’une copie matérielle non originale une charge de la preuve difficile, voire impossible, à satisfaire.

51.

À ma connaissance, la Cour ne s’est jamais explicitement prononcée sur la charge de la preuve de l’épuisement dans le contexte de la directive 91/250. Néanmoins, selon les principes généraux régissant la charge de la preuve, il appartient à la partie invoquant un moyen de défense d’établir qu’elle remplit les conditions prévues à cet effet. En matière de droit des marques, la Cour a jugé, conformément à ces principes, qu’il appartenait à la personne se prévalant de l’épuisement d’établir qu’elle remplit les conditions prévues à cet effet ( 13 ). Je ne vois aucune raison de déroger à cette approche en matière de droit d’auteur, qui est également soutenue par la doctrine ( 14 ).

52.

En application de ces principes, il appartiendrait à l’acquéreur d’une copie matérielle non originale d’établir que les conditions suggérées par les prévenus, le gouvernement letton et la Commission sont remplies, en apportant notamment la preuve que la copie originale est détériorée et que le revendeur a rendu inutilisable toute autre copie en sa possession. Selon moi, une telle preuve serait difficile, voire impossible, à apporter pour l’acquéreur, notamment dans le cadre de transactions à distance telles que celles en cause dans le litige au principal. J’ajoute que, si l’acquéreur ne peut pas prouver que la copie achetée bénéficie de l’épuisement, il s’exposera à un risque de saisie de cette copie illicite en application de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 91/250.

53.

En cinquième et dernier lieu, j’ai le sentiment que l’approche libérale défendue par les prévenus et le gouvernement letton et l’approche intermédiaire proposée par la Commission compliqueraient sensiblement la lutte contre les copies de contrefaçon. En effet, et comme l’a souligné Microsoft, il est souvent impossible, en pratique, de distinguer une copie de sauvegarde licite (car réalisée conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 91/250) d’une copie de contrefaçon. Partant, permettre la vente de copies de sauvegarde, comme le suggèrent les prévenus, le gouvernement letton et la Commission, entraînerait des difficultés pratiques majeures pour les autorités chargées de la lutte contre la contrefaçon.

54.

Eu égard à l’ensemble de ces motifs, j’estime que l’article 4, sous c), de la directive 91/250 doit être interprété en ce sens qu’il est porté atteinte au droit exclusif de distribution du titulaire dans les circonstances identifiées au point 25 des présentes conclusions.

C – Sur l’existence d’une atteinte au droit de reproduction en raison de la vente de copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur

55.

Bien que le constat d’une atteinte au droit de distribution puisse constituer une réponse suffisante aux questions posées à la Cour, il me semble important, eu égard aux doutes exprimés par la juridiction de renvoi et aux dispositions de la directive 91/250 mentionnées par celle‑ci, d’examiner si l’article 4, sous a), ainsi que l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250 doivent être interprétés en ce sens qu’il est porté atteinte au droit exclusif de reproduction du titulaire dans les circonstances identifiées au point 25 des présentes conclusions.

56.

Dans le litige au principal, il est constant que les prévenus ont vendu plusieurs copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur, lesquelles ont été réalisées sans l’autorisation du titulaire, à savoir Microsoft. La réalisation de telles copies porte atteinte au droit de reproduction de Microsoft, sauf à établir qu’elles relèvent d’une dérogation au droit de reproduction.

57.

L’article 5 de la directive 91/250 établit deux dérogations potentiellement pertinentes dans les circonstances du litige au principal et qui ont été évoquées par la juridiction de renvoi. L’acte de reproduction n’est, en principe, pas soumis à l’autorisation du titulaire, d’une part, lorsqu’il est nécessaire pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination (article 5, paragraphe 1, de cette directive) ou, d’autre part, lorsqu’il consiste à réaliser une copie de sauvegarde nécessaire à son utilisation (article 5, paragraphe 2, de ladite directive).

58.

Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, au moment où elles ont été réalisées, les copies matérielles non originales en cause dans le litige au principal constituaient effectivement des copies nécessaires à l’utilisation des programmes ou des copies de sauvegarde au sens de ces dispositions. Les constatations factuelles communiquées dans l’ordonnance de renvoi ne contiennent, à mon avis, aucune indication à cet égard.

59.

Néanmoins, à supposer même que les copies matérielles non originales en cause au principal tombaient dans le champ d’application des dérogations prévues à l’article 5 de la directive 91/250 au moment où elles ont été réalisées, j’estime que leur vente subséquente entraîne la perte du bénéfice de ces dérogations, pour les raisons suivantes.

60.

D’une part, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 que la copie matérielle non originale doit être réalisée par l’acquéreur légitime pour lui permettre d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination. Or, en cas de revente du programme d’ordinateur, cet acquéreur légitime cède les droits d’utilisation qu’il détient sur ce programme et doit cesser de l’utiliser. Partant, il ne lui est plus possible de satisfaire à la condition selon laquelle la copie matérielle non originale doit lui permettre d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination. Comme l’a relevé la Commission, le terme « utiliser » figurant dans cette disposition ne saurait être interprété en ce sens qu’il inclurait la réalisation de copies matérielles non originales aux fins de leur revente.

61.

D’autre part, l’article 5, paragraphe 2, de la directive 91/250 suppose que la personne ayant le droit d’utiliser le programme fasse une copie de sauvegarde « dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour cette utilisation ». De la même manière, en cas de revente du programme d’ordinateur, le détenteur devra cesser de l’utiliser et ne pourra plus satisfaire à cette condition.

62.

Il résulte de ce qui précède que, comme l’ont fait valoir Microsoft et le gouvernement italien, la vente d’une copie matérielle non originale – laquelle, par hypothèse, n’a pas été autorisée par le titulaire – aura pour conséquence une atteinte au droit de reproduction, en raison de la perte du bénéfice des dérogations prévues à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250.

63.

Les points 70 et 78 de l’arrêt UsedSoft ( 15 ) me paraissent corroborer cette interprétation, la Cour ayant jugé que le revendeur doit rendre inutilisable toute copie en sa possession autre que la copie revendue, sous peine de porter atteinte au droit de reproduction. En effet, les copies qu’il y a lieu de rendre inutilisables incluent notamment, selon moi, les copies réalisées par le revendeur conformément à l’article 5, paragraphe 1 ou 2, de la directive 91/250.

64.

Les prévenus ont affirmé dans leurs observations écrites qu’ils avaient acheté toutes les copies des programmes d’ordinateur en cause dans le litige au principal auprès d’entreprises ou de particuliers qui n’en avaient plus l’usage.

65.

Il n’appartient évidemment pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi, de se prononcer sur cette question d’ordre factuel. S’il est établi que les prévenus ont effectivement vendu des copies matérielles non originales réalisées par des tiers, l’atteinte au droit de reproduction prévu à l’article 4, sous a), de la directive 91/250 ne pourra pas, en tant que telle, leur être reprochée.

66.

Dans cette hypothèse, les prévenus pourraient néanmoins relever de l’article 7, paragraphe 1, sous a) ou b), de la directive 91/250. À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les prévenus satisfont aux conditions imposées par ces dispositions, et en particulier s’ils savaient ou avaient des raisons de croire que les copies en cause dans l’affaire au principal étaient illicites.

67.

J’ajoute que les copies illicites d’un programme d’ordinateur sont susceptibles de saisie conformément à la législation de l’État membre concerné, en application de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 91/250.

68.

Eu égard à ce qui précède, j’estime que l’article 4, sous a), ainsi que l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250 doivent être interprétés en ce sens qu’il est porté atteinte au droit exclusif de reproduction du titulaire dans les circonstances identifiées au point 25 des présentes conclusions.

D – Sur la portée de l’arrêt UsedSoft dans le cadre de la présente affaire

69.

Les prévenus, le gouvernement letton et la Commission ont tiré argument de plusieurs passages de l’arrêt UsedSoft ( 16 ) au sein de leurs observations. La juridiction de renvoi s’interroge également sur la pertinence de cet arrêt dans les circonstances de l’affaire au principal.

70.

Ayant examiné l’existence d’un atteinte au droit de distribution et celle d’une atteinte au droit de reproduction dans des circonstances telles que celles du litige au principal, j’estime encore important d’exposer les raisons pour lesquelles je considère que cet arrêt ne revêt qu’une pertinence limitée dans le cadre de la présente affaire.

71.

Pour rappel, cette affaire concernait la revente d’occasion, par UsedSoft, de licences d’utilisation afférentes à des copies immatérielles d’un programme d’ordinateur téléchargées à partir du site Internet du titulaire, Oracle. Ce dernier s’était opposé à cette pratique de revente en faisant notamment valoir que la règle de l’épuisement du droit de distribution ne s’appliquait pas à de telles copies immatérielles ( 17 ).

72.

La Cour a jugé que la règle de l’épuisement devait s’appliquer tant aux copies matérielles qu’aux copies immatérielles d’un programme d’ordinateur ( 18 ). En ce qui concerne spécifiquement les copies immatérielles, la Cour a précisé que l’épuisement devait bénéficier à une copie immatérielle téléchargée au moyen d’Internet lorsque le titulaire a conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de cette copie, sans limitation de durée ( 19 ).

73.

En outre, et en vue de préserver l’effet utile de la règle de l’épuisement, la Cour a jugé que, par dérogation au droit de reproduction exclusif du titulaire, le second acquéreur d’une telle copie immatérielle a le droit d’en réaliser une copie sur son ordinateur en vue d’utiliser le programme d’une manière conforme à sa destination, en application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 ( 20 ).

74.

À mes yeux, la solution adoptée par la Cour dans cet arrêt a été dictée par la volonté de préserver l’effet utile de l’épuisement du droit de distribution en étendant son champ d’application aux copies immatérielles de programmes d’ordinateur. La solution inverse aurait, en effet, incité les titulaires à distribuer leurs programmes d’ordinateur sous une forme immatérielle afin d’échapper à la règle de l’épuisement.

75.

Or, les circonstances du litige au principal diffèrent sensiblement de celles ayant donné lieu à l’arrêt UsedSoft ( 21 ).

76.

D’une part, aucun élément du dossier soumis à la Cour dans la présente affaire ne laisse à penser que les prévenus auraient vendu des licences d’utilisation afférentes à des copies immatérielles, lesquelles ont fait l’objet de l’arrêt UsedSoft ( 22 ). Au contraire, il est constant que le litige au principal porte sur des copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur.

77.

D’autre part, les motifs ayant conduit la Cour à la solution adoptée dans cet arrêt ne sont pas transposables en l’espèce. En effet, dans le contexte plus « classique » de copies matérielles originales vendues avec le consentement du titulaire, il n’existe pas de risque particulier affectant l’effet utile de la règle de l’épuisement du droit de distribution. Je souligne à cet égard que Microsoft ne conteste pas que les copies matérielles originales de ses programmes d’ordinateur, vendues par elle-même ou avec son consentement, bénéficient de l’épuisement du droit de distribution. Ainsi, contrairement à Oracle dans l’affaire UsedSoft ( 23 ), Microsoft ne s’oppose pas à l’émergence d’un marché de vente d’occasion de copies originales, mais bien à l’émergence d’un marché de vente d’occasion de copies non originales réalisées et vendues sans son consentement.

78.

Eu égard à ces différences entre les circonstances de la présente affaire et celles ayant donné lieu à l’arrêt UsedSoft ( 24 ), je considère que cet arrêt ne revêt qu’une pertinence limitée dans le cadre de la présente affaire. Comme l’a relevé à juste titre la Commission, la question de la revente de copies matérielles non originales n’a tout simplement pas été examinée par la Cour dans cet arrêt.

79.

L’intérêt de cette précision n’est pas uniquement théorique. En effet, il en découle que la solution adoptée dans cet arrêt, qui établit les conditions auxquelles la revente d’une copie immatérielle ne porte pas atteinte au droit de distribution, n’est pas applicable par analogie à des circonstances telles que celles du litige au principal, contrairement à ce qu’ont fait valoir les prévenus, le gouvernement letton et la Commission ( 25 ).

80.

Pour résumer, la solution adoptée dans l’arrêt UsedSoft ( 26 ) vise le contexte spécifique de la vente de licences d’utilisation afférentes à des copies immatérielles de programmes d’ordinateur, lequel n’avait pas été explicitement envisagé par le législateur de l’Union lors de l’adoption de la directive 91/250. Hors ce contexte spécifique, il y a lieu de faire une application classique des dispositions régissant les droits exclusifs de distribution et de reproduction, et en particulier des articles 4 et 5 de la directive 91/250.

E – Sur les conséquences pratiques de l’approche proposée

81.

Les conséquences pratiques de l’approche que je propose à la Cour sont les suivantes.

82.

Lorsque la copie originale d’un programme d’ordinateur, vendue par le titulaire ou avec son consentement, est incorporée à un support matériel, seule cette copie matérielle originale bénéficie de la règle de l’épuisement du droit de distribution. Le revendeur d’une telle copie est par ailleurs tenu de rendre inutilisable toute autre copie en sa possession, sous peine de porter atteinte au droit de reproduction. Par conséquent, cette approche formerait un obstacle juridique à l’apparition d’un marché d’occasion pour les copies matérielles non originales de programmes d’ordinateur, mais n’entraverait pas l’apparition d’un tel marché pour les copies originales.

83.

Lorsque la copie originale n’est pas incorporée à un support matériel, il y a lieu de faire application de la solution adoptée par la Cour dans l’arrêt UsedSoft ( 27 ) afin de préserver l’effet utile de la règle de l’épuisement. Ainsi, le droit de distribution sur la copie immatérielle est épuisé si le titulaire a conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée (point 72). Le revendeur est par ailleurs tenu de rendre inutilisable toute autre copie en sa possession, sous peine de porter atteinte au droit de reproduction (points 70 et 78). Cette solution permet l’émergence d’un marché d’occasion pour les copies immatérielles de programmes d’ordinateur.

VI – Conclusion

84.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la Rīgas apgabaltiesas Krimināllietu tiesu kolēģija (cour régionale de Riga, collège des affaires pénales) :

L’article 4, sous a) et c), ainsi que l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, telle que modifiée par la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, doivent être interprétés en ce sens qu’il est porté atteinte aux droits exclusifs de reproduction et de distribution du titulaire lorsque la copie d’un programme d’ordinateur est réalisée par un utilisateur, sans l’autorisation du titulaire, sur un support matériel autre que le support matériel d’origine et que cette copie est vendue, sans l’autorisation du titulaire, par cet utilisateur ou un autre utilisateur, et ce même dans des circonstances où :

le support matériel d’origine est endommagé et

le vendeur de ladite copie rend inutilisable toute autre copie en sa possession.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 3 ) Voir, notamment, arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne (C‑650/13, EU:C:2015:648, point 36 et jurisprudence citée).

( 4 ) Voir, notamment, arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne (C‑650/13, EU:C:2015:648, point 37 et jurisprudence citée).

( 5 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 6 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10). Selon son article 4, paragraphe 2, « [l]e droit de distribution dans [l’Union] relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans [l’Union] de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement » (italique ajouté par mes soins).

( 8 ) Arrêt du 22 janvier 2015 (C‑419/13, EU:C:2015:27).

( 9 ) Arrêt du 22 janvier 2015 (C‑419/13, EU:C:2015:27).

( 10 ) Voir point 36 des présentes conclusions.

( 11 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 12 ) Voir point 37 des présentes conclusions.

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss (C‑414/99 à C‑416/99, EU:C:2001:617, point 54). La Cour a également jugé que les articles 34 et 36 TFUE ne s’opposaient pas à une règle nationale prévoyant que les conditions de l’épuisement doivent être prouvées par la personne qui l’invoque, sauf dans des circonstances où une telle règle permet au titulaire de la marque de cloisonner les marchés nationaux. Voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 2003, Van Doren + Q (C‑244/00, EU:C:2003:204, points 35 à 42).

( 14 ) Walter, M., et von Lewinski, S., European Copyright Law : A Commentary, Oxford University Press, Oxford, 2010, no 5.4.33 : « Whoever alleges that the right of distribution with regard to a specific copy is exhausted, in principle, has to bear the burden of proof according to the general rules. » (traduction libre : « Toute personne qui allègue que le droit de distribution est épuisé en ce qui concerne une copie spécifique doit, en principe, supporter la charge de la preuve en application des règles générales. »)

( 15 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 16 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 17 ) Arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft (C‑128/11, EU:C:2012:407, point 53).

( 18 ) Arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft (C‑128/11, EU:C:2012:407, point 59).

( 19 ) Arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft (C‑128/11, EU:C:2012:407, point 72).

( 20 ) Arrêt du 3 juillet 2012, UsedSoft (C‑128/11, EU:C:2012:407, points 83 et 88).

( 21 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 22 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 23 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 24 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 25 ) Voir points 36 et 37 des présentes conclusions.

( 26 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).

( 27 ) Arrêt du 3 juillet 2012 (C‑128/11, EU:C:2012:407).