PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentée le 3 juillet 2014 ( 1 )

Affaire C‑169/14

Juan Carlos Sánchez Morcillo,

María del Carmen Abril García

contre

Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA

[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Provincial de Castellón (Espagne)]

«Directive 93/13/CEE — Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs — Moyens adéquats et efficaces pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives — Limitation des possibilités de recours contre une décision se prononçant sur l’opposition à l’exécution d’une saisie hypothécaire — Autonomie procédurale des États membres — Principe d’effectivité — Protection juridictionnelle effective — Égalité des armes»

1. 

Les problématiques relatives aux conséquences et aux limites, notamment sous l’angle du respect du principe de l’autonomie procédurale des États membres, de la protection des consommateurs découlant de la directive 93/13/CEE ( 2 ), sont soumises de façon récurrente à la Cour. La présente affaire offre à celle-ci l’occasion de préciser que l’emprise du droit de la consommation de l’Union sur le droit processuel des États membres n’est pas sans limites.

2. 

Ladite affaire fait directement écho à la modification législative espagnole découlant de l’arrêt Aziz ( 3 ). Par cet arrêt, la Cour avait dit pour droit que la réglementation espagnole jusqu’alors applicable n’apparaissait pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rendait impossible ou excessivement difficile, dans les procédures de saisie hypothécaire engagées par les professionnels et auxquelles les consommateurs sont défendeurs, l’application de la protection que la directive 93/13 entend conférer à ces derniers. Faisant suite audit arrêt, le législateur espagnol a modifié un certain nombre de dispositions du code de procédure civile applicables aux procédures d’exécution, afin de permettre qu’une opposition fondée sur l’existence de clauses abusives soit soulevée dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, tout en maintenant certaines d’entre elles.

3. 

C’est le dispositif mis en place par ladite modification législative qui est dorénavant indirectement mis en cause par certaines juridictions nationales ( 4 ), et notamment par la juridiction de renvoi. Dans l’affaire au principal, la juridiction nationale s’interroge, en substance, sur le point de savoir si, en premier lieu, l’obligation faite aux États membres, en vertu de l’article 7 de la directive 93/13, de déployer les moyens adéquats et efficaces en vue de la cessation de l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel et, en second lieu, le droit à une protection juridictionnelle effective s’opposent à une disposition nationale qui ne prévoit pas que le défendeur dans une procédure d’exécution forcée puisse interjeter appel de la décision rejetant l’opposition à ladite exécution.

I – Le cadre juridique

A – La directive 93/13

4.

Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

5.

L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive dispose que «[l]es États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel».

B – Le droit espagnol

6.

La loi 1/2013 vise, selon l’exposé des motifs de celle-ci, à adopter diverses mesures destinées à alléger la situation des débiteurs hypothécaires qui, en raison de la crise économique et financière, rencontrent des difficultés à faire face à leurs obligations financières. Toujours selon l’exposé des motifs, l’objet de cette loi est d’apporter des modifications à la procédure de saisie hypothécaire en vue de remédier à certains aspects incompatibles avec le droit de l’Union qui ont été examinés dans l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164).

7.

La loi 1/2013 modifie notamment l’article 695 du code de procédure civile ( 5 ), qui dispose désormais, dans le domaine de la saisie hypothécaire, ce qui suit:

«Opposition à l’exécution

1.   Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur à l’exécution n’est accueillie que lorsqu’elle est fondée sur les motifs suivants:

(1)

l’extinction de la garantie ou de l’obligation garantie, […]

(2)

une erreur dans la détermination du montant exigible, […]

(3)

en cas d’exécution visant des biens meubles hypothéqués ou sur lesquels ont été constitués des gages sans dépossession, la constitution, sur ces biens, d’un autre gage, hypothèque mobilière ou immobilière, ou séquestre inscrits antérieurement à la charge qui est à l’origine de la procédure, ce qui devra être démontré par le certificat d’enregistrement correspondant;

(4)

le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution ou ayant permis de déterminer le montant exigible.

2.   En cas d’introduction de l’opposition visée au paragraphe précédent, le Secretario Judicial procède à la suspension de l’exécution et convoque les parties à comparaître devant le tribunal ayant rendu l’ordonnance de saisie. La citation à comparaître doit intervenir au moins quinze jours avant la tenue de l’audience en question. Au cours de cette audience, le tribunal entend les parties, accueille les documents produits et adopte la décision pertinente, sous la forme d’une ordonnance, au cours de la deuxième journée.

3.   La décision faisant droit à l’opposition fondée sur les premier et troisième motifs du paragraphe 1 du présent article entraîne le non-lieu à l’exécution; celle faisant droit à l’opposition fondée sur le deuxième motif fixe le montant pour lequel l’exécution doit se poursuivre.

Si le quatrième motif est retenu, le non‑lieu à exécution est prononcé si la clause contractuelle constitue le fondement de l’exécution. Sinon, l’exécution est poursuivie en écartant l’application de la clause abusive.

4.   La décision ordonnant le non‑lieu à exécution ou l’inapplication d’une clause abusive est susceptible d’un recours en appel.

En dehors de ces hypothèses, les décisions statuant sur l’opposition visée au présent article ne sont susceptibles d’aucun recours et leurs effets sont exclusivement limités à la procédure d’exécution dans le cadre de laquelle elles sont rendues.»

II – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

8.

L’affaire au principal trouve son origine dans un litige opposant Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA (ci-après «BBVA») à M. Sánchez Morcillo et à Mme Abril García (ci-après les «demandeurs») dans le cadre d’un incident d’opposition à une saisie hypothécaire portant sur le logement principal de ces derniers.

9.

Il ressort de la décision de renvoi que, en date du 9 juin 2003, BBVA a, par acte notarié, conclu avec les demandeurs, un contrat de prêt avec garantie hypothécaire. Par ce contrat, BBVA a prêté la somme de 300500 euros auxdits demandeurs, qui s’engageaient à la rembourser jusqu’au 30 juin 2028 au moyen du paiement de 360 mensualités. Les demandeurs ont garanti cette obligation de remboursement par la constitution d’une hypothèque sur leur propriété et domicile. Conformément à l’article 6 bis du contrat de prêt, dans le cas où les débiteurs manqueraient à leurs obligations de paiement et où BBVA serait amenée à déclarer l’échéance anticipée de l’obligation de remboursement, l’intérêt moratoire serait de 19 % par an, le taux d’intérêt légal applicable en Espagne étant, au cours de la période pertinente, de 4 %.

10.

En raison du manquement par les emprunteurs à leur obligation de payer les mensualités conformément à ce qui avait été convenu, BBVA a, le 15 avril 2011, introduit, à l’encontre des demandeurs, une demande de saisie hypothécaire visant à ce que ceux-ci soient sommés de payer et à ce qu’il soit procédé à la vente aux enchères de la propriété hypothéquée en garantie de leur respect de l’obligation de remboursement.

11.

Le Juzgado de Primera Instancia no 3 de Castellón (juge de première instance no 3 de Castellón, Espagne), qui a été chargé de l’examen de cette demande, a ouvert la procédure de saisie hypothécaire et, après avoir autorisé l’exécution, a sommé les demandeurs de payer.

12.

Les demandeurs ont comparu dans la procédure et ont, le 12 mars 2013, formé opposition à la saisie hypothécaire, alléguant, en substance, premièrement, que le titre présenté, à savoir une copie du contrat de prêt hypothécaire, n’avait pas force exécutoire et que, par conséquent, l’ordre d’exécution était nul et, deuxièmement, que le Juzgado de Primera Instancia no 3 de Castellón n’était pas la juridiction compétente.

13.

Le 19 juin 2013, le Juzgado de Primera Instancia no 3 de Castellón a rendu une ordonnance rejetant l’opposition et ordonnant la poursuite de l’exécution sur le logement apporté en garantie.

14.

Les demandeurs ont fait appel de cette décision. Le recours en appel ayant été déclaré recevable, il a été renvoyé, aux fins de résolution, à l’Audiencia Provincial de Castellón (cour provinciale de Castellón).

15.

Cette juridiction a relevé que l’article 695, paragraphe 4, de la LEC permet à la partie demandant l’exécution de faire appel de la décision faisant droit à l’opposition et ordonnant qu’il soit mis fin à la procédure de saisie hypothécaire ou constatant l’existence d’une clause abusive, mais, en excluant la possibilité de recours dans les autres cas, ne permet pas au défendeur à l’exécution de faire appel de la décision lui étant défavorable.

16.

Estimant que cette disposition pourrait ne pas être conforme avec l’objectif de protection poursuivi par la directive 93/13 ainsi qu’avec le droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), l’Audiencia Provincial de Castellón a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, qui impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que, dans l’intérêt des consommateurs, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel, s’oppose‑t‑il à une disposition procédurale telle que l’article 695, paragraphe 4, de la [LEC], qui, dans la réglementation du recours contre la décision se prononçant sur l’opposition à l’exécution de biens hypothéqués ou gagés, ne permet de faire appel que de l’ordonnance décidant de mettre fin à la procédure ou de ne pas appliquer une clause abusive et exclut le recours dans les autres cas, ce qui a pour conséquence immédiate que, alors que la personne demandant l’exécution peut faire appel lorsqu’il est fait droit à l’opposition du défendeur à l’exécution et qu’il est décidé de mettre fin à la procédure ou de ne pas appliquer une clause abusive, le défendeur à l’exécution consommateur ne peut introduire de recours lorsque son opposition est rejetée?

2)

Dans le champ d’application de la réglementation de l’Union [...] en matière de protection des consommateurs contenue dans la directive 93/13, le principe du droit à une protection juridictionnelle effective et le droit à un procès équitable et à armes égales consacré[s] à l’article 47 de la Charte s’oppose[nt]‑il à une disposition de droit national telle que l’article 695, paragraphe 4, de la [LEC], qui, dans la réglementation du recours contre la décision se prononçant sur l’opposition à l’exécution de biens hypothéqués ou gagés, ne permet de faire appel que de l’ordonnance décidant de mettre fin à la procédure ou de ne pas appliquer une clause abusive et exclut le recours dans les autres cas, ce qui a pour conséquence immédiate que, alors que la personne demandant l’exécution peut faire appel lorsqu’il est fait droit à l’opposition du défendeur à l’exécution et qu’il est décidé de mettre fin à la procédure ou de ne pas appliquer une clause abusive, le défendeur à l’exécution ne peut introduire de recours lorsque son opposition est rejetée?»

17.

Par ordonnance du président de la Cour du 5 juin 2014, il a été donné une suite favorable à la demande de la juridiction de renvoi tendant à soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

18.

Des observations écrites ont été déposées par BBVA, les demandeurs, le gouvernement espagnol et la Commission européenne.

19.

BBVA, le gouvernement espagnol et la Commission ont été entendus lors de l’audience qui s’est tenue le 30 juin 2014.

III – Analyse

A – Sur la première question: respect du principe d’effectivité

20.

Par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité, au regard du principe d’effectivité, avec la directive 93/13 d’une règle procédurale nationale, en l’occurrence l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, qui limite, dans le cadre des procédures de saisie hypothécaire, le droit de recours en appel à celui dirigé contre l’ordonnance décidant du non‑lieu à exécution ou de l’inapplication d’une clause abusive. Sur ce point, la juridiction de renvoi est en effet d’avis que cette disposition fait potentiellement obstacle au droit des débiteurs d’accéder à un second degré de juridiction, alors même que ce droit serait reconnu aux créanciers, et à la déclaration de nullité d’une éventuelle clause abusive.

21.

Il est à noter que la juridiction de renvoi est, semble-t-il, partie du postulat que la modification législative opérée par la loi 1/2013 ne tient pas suffisamment compte des enseignements qu’il convient de tirer de l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164). En effet, l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, qui, dans le cadre de la procédure de saisie hypothécaire, ne permet pas au défendeur à l’exécution de faire appel de la décision prise en première instance rejetant son opposition, compromettrait l’effectivité de la protection du consommateur découlant de la directive 93/13.

22.

À titre liminaire, et bien que cette question n’ait pas été abordée par la juridiction de renvoi, il me semble utile de traiter brièvement la question de savoir si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 s’oppose à ce que la Cour se déclare compétente pour se prononcer sur la conformité, au regard de ladite directive, des dispositions nationales litigieuses.

23.

En effet, BBVA a, dans ses observations écrites, fait valoir que la disposition nationale en cause au principal, à savoir l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, est une disposition impérative qui ne figure dans aucun contrat et qui, partant, ne relèverait pas du champ d’application de la directive 93/13. Elle se réfère notamment à l’arrêt rendu récemment par la Cour dans l’affaire Barclays Bank ( 6 ).

24.

Je rappelle que, dans cette affaire, la Cour a dit pour droit qu’étaient exclues du champ d’application de la directive 93/13 les dispositions nationales visées par le renvoi préjudiciel. À l’appui de cette conclusion, elle a relevé, premièrement, que les dispositions nationales qui faisaient l’objet du renvoi préjudiciel étaient de nature législative ou réglementaire et n’étaient nullement reprises dans le contrat au principal ( 7 ), deuxièmement, qu’aucune de ces dispositions ne se rapportait à l’étendue des pouvoirs du juge national pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle et, troisièmement, que lesdites dispositions étaient applicables sans qu’une modification de leur champ d’application ou de leur portée ait été contractuellement convenue. Il était donc légitime de présumer que l’équilibre contractuel avait été respecté ( 8 ).

25.

À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, «[l]es clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives […] ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive». Cette disposition doit être lue à la lumière du treizième considérant de la même directive qui indique notamment que «l’expression ‘dispositions législatives ou réglementaires impératives’ figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu».

26.

En l’occurrence, il est donc légitimement permis de s’interroger sur le point de savoir si la directive 93/13 est applicable. Il apparaît en effet que ni les parties au principal, ni le Juzgado de Primera Instancia no 3 de Castellón n’ont évoqué, d’une manière ou d’une autre, l’existence de clauses pouvant être considérées comme abusives au sens de la directive 93/13. Les défendeurs à la procédure de saisie hypothécaire s’étaient, à cet égard, limités à indiquer que le titre invoqué à l’appui de la demande de saisie hypothécaire était entaché d’un vice de forme et que, par ailleurs, le Juzgado de Primera Instancia no 3 de Castellón n’était pas compétent pour se prononcer. En outre, la référence faite par la juridiction de renvoi au point 1 de l’annexe de la directive 93/13, qui mentionne, parmi les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, sous q), de la même directive, celles ayant pour objet «de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou de voies de recours par le consommateur», pourrait laisser penser que ce qui est, en l’espèce, litigieux résulte non pas du contrat de prêt hypothécaire liant les parties au principal, mais des dispositions impératives du code de procédure civile.

27.

Cependant, dès lors qu’a été évoquée dans la décision de renvoi la clause d’intérêts moratoires de 19 % contenue dans le contrat de prêt hypothécaire et que, au demeurant, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par la juridiction nationale bénéficient d’une présomption de pertinence, il ne saurait être exclu qu’est mis en cause dans la présente affaire le caractère potentiellement abusif de la clause contractuelle portant sur la détermination des intérêts moratoires, situation qui peut être rapprochée de celles dont a eu à connaître la Cour dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Banco Español de Crédito ( 9 ) et Aziz ( 10 ). Ces affaires se rapportaient précisément à des litiges dans lesquels le juge de renvoi s’interrogeait sur l’étendue des pouvoirs qui lui étaient conférés par la directive 93/13 en vue d’apprécier le caractère abusif de clauses contractuelles d’intérêts moratoires.

28.

Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’applicabilité à l’affaire au principal de la directive 93/13 ne saurait donc être écartée a priori.

29.

Cela étant précisé, j’aborderai ci-après le fond du problème en exposant au préalable quelques considérations sur le sens et la portée de l’arrêt Aziz.

1. Sens et portée de l’arrêt Aziz quant à l’effectivité au regard de la directive 93/13 des procédures de saisie hypothécaire

30.

Dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt Aziz, je rappelle, dans le prolongement de ce que j’avais mentionné dans mes conclusions dans l’affaire Macinský et Macinská ( 11 ), que la question dont était saisie la Cour s’insérait dans le cadre de la problématique générale des pouvoirs et des obligations incombant au juge national dans le contrôle du caractère abusif des clauses contenues dans les contrats conclus avec les consommateurs. Il s’agissait plus précisément de déterminer les responsabilités incombant au juge saisi d’une procédure au fond liée à celle de saisie hypothécaire, afin que soit assuré, le cas échéant, l’effet utile de la décision au fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle qui constitue le fondement du titre exécutoire et, donc, de l’ouverture de ladite procédure d’exécution ( 12 ).

31.

Rappelant les limites de l’autonomie procédurale qui s’imposent en vertu du principe d’effectivité du droit de l’Union, la Cour a considéré que la réglementation espagnole applicable jusqu’alors en matière de saisie hypothécaire était de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13, en ce qu’elle instituait une impossibilité pour le juge du fond, devant lequel le consommateur avait introduit une demande faisant valoir le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, d’octroyer des mesures provisoires susceptibles de suspendre la procédure de saisie hypothécaire ou d’y faire échec, lorsque l’octroi de telles mesures s’avérait nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale ( 13 ).

32.

L’arrêt de la Cour vise donc à mettre en cause, sous l’angle du principe d’effectivité, une réglementation nationale ne permettant pas au consommateur, et a fortiori au juge, d’invoquer l’existence de clauses abusives dans le contrat pour s’opposer à une procédure hypothécaire. Le raisonnement de la Cour reposait notamment sur le fait que, dans le système jusqu’alors applicable, le consommateur n’était pas en mesure de s’opposer à – et le juge en mesure de suspendre – une saisie hypothécaire en se prévalant de motifs pris du caractère abusif de clauses contenues dans le contrat de prêt litigieux. Il s’agissait d’appréhender une situation dans laquelle une protection indemnitaire a posteriori semblait seule envisageable, protection qui n’était pas de nature à constituer un moyen efficace et adéquat pour faire cesser l’utilisation des clauses prohibées par la directive 93/13.

33.

En d’autres termes, c’est le fait que la procédure de saisie hypothécaire était totalement déconnectée de la procédure au fond engagée par le consommateur en vue de faire constater la nullité de certaines clauses abusives qui a été jugé problématique, sous l’angle de la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs. Cette protection est clairement incomplète lorsque, nonobstant la saisine au fond par le débiteur défaillant en vue de dénoncer le caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt hypothécaire, rien ne permet de bloquer la procédure d’exécution forcée de saisie du bien immobilier. C’est non pas la procédure de saisie hypothécaire qui est en soi remise en cause, mais son articulation avec une action en déclaration de nullité de la ou des clauses jugées abusives.

2. Appréciation de la disposition procédurale en cause dans l’affaire au principal

34.

La présente affaire concerne une question tout autre que celle examinée par l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164), puisqu’elle vise uniquement la règle procédurale contenue à l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, qui ne permet pas le recours à une instance supérieure lorsque la décision du juge appelé à connaître de la procédure de saisie hypothécaire est défavorable au consommateur débiteur.

35.

L’article 695, paragraphe 4, de la LEC se rapporte à un point qui n’est nullement régi par la directive 93/13. En effet, cette directive ne contient aucune disposition relative au nombre d’instances chargées du contrôle juridictionnel des clauses contractuelles relevant de son champ d’application.

36.

Ainsi que la Cour l’a constamment rappelé, en l’absence d’harmonisation, cette question relève de l’autonomie procédurale des États membres, à condition que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) ( 14 ).

37.

En l’espèce, je suis d’avis que la disposition nationale en cause au principal n’est aucunement problématique sous l’angle du respect de ces deux principes.

38.

S’agissant du principe d’équivalence, il n’existe, à mon sens, aucun élément permettant de conclure que la protection des droits que l’ordre juridique de l’Union confère aux débiteurs est moins favorable que celle que le droit interne octroie dans des recours similaires. Il apparaît que, du point de vue des droits procéduraux du consommateur, la règle applicable aux motifs d’opposition fondés sur la directive 93/13 est comparable à la règle applicable aux motifs d’opposition qui se fondent sur des dispositions de droit national. En effet, l’article 695 de la LEC exclut le recours en appel du défendeur dans tous les cas, que celui-ci soit fondé sur le caractère éventuellement abusif, au sens de la directive 93/13, des clauses du contrat hypothécaire ou sur les autres motifs d’opposition visés par cet article.

39.

Sous l’angle du principe d’effectivité, ainsi que je l’exposerai dans les développements qui suivent, rien ne permet davantage de déduire que le droit national visé en l’espèce ait rendu impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13.

40.

Pour répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi, je traiterai, tout d’abord, la question du droit de recours dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire et j’examinerai, ensuite, la problématique de l’existence d’une situation de déséquilibre entre le créancier et le débiteur à une saisie hypothécaire.

a) Effectivité et droit de recours du débiteur dans une procédure de saisie hypothécaire

41.

Premièrement, contrairement à ce que la juridiction de renvoi semble suggérer ( 15 ), je suis d’avis que les exigences, en matière d’effectivité de la protection visée par la directive 93/13, découlant de l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164) ont été pleinement respectées par l’insertion dans la LEC de la possibilité d’invoquer un motif d’opposition à l’exécution, tiré du caractère abusif de clauses dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire. Rien ne permet de déduire de cet arrêt que, au-delà de cet ajout, il incombait au législateur espagnol d’insérer une disposition régissant les conditions dans lesquelles il peut être fait appel d’une décision se prononçant sur une opposition soulevée dans le cadre d’une telle procédure.

42.

Deuxièmement, ainsi que la Commission l’a mentionné, l’effectivité de l’application du droit de l’Union, qui a indéniablement pour corollaire le droit à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte, n’exige pas des États membres qu’ils mettent en place un double niveau de contrôle juridictionnel.

43.

Comme l’avocat général Mengozzi l’a relevé dans ses conclusions dans l’affaire Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León ( 16 ), en matière de protection des consommateurs, le droit de l’Union ne contient pas d’obligation particulière quant au nombre de degrés de juridiction que les États membres doivent prévoir. Il est admis que les traités n’ont pas entendu créer de voies de droit autres que celles déjà établies, sauf s’il ressort de l’économie de l’ordre juridique national qu’il n’existe pas de voie de recours permettant, même incidemment, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. De même, aucun droit à un double degré de juridiction n’a à ce jour, à tout le moins en matière civile, été consacré par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ( 17 ). En définitive, le principe de protection juridictionnelle effective ouvre au particulier un droit d’accès à un tribunal et non à plusieurs degrés de juridiction ( 18 ).

44.

Troisièmement, je considère que la règle nationale en cause au principal, qui empêche le défendeur à une procédure de saisie hypothécaire de faire appel d’une décision rejetant son opposition, n’a pas pour effet de rendre l’application des droits qu’il tire du droit de l’Union pratiquement impossible ou excessivement difficile.

45.

Si l’on s’en tient, tout d’abord, aux enseignements tirés de la jurisprudence, et notamment à ceux de l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164), il apparaît que les droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13 sont efficacement protégés, dès lors que, d’une part, le consommateur dispose de la possibilité d’invoquer l’existence de clauses abusives devant le juge chargé d’examiner l’opposition à une saisie hypothécaire et que, d’autre part, le juge est habilité à soulever d’office l’existence de telles clauses et, le cas échéant, de suspendre l’exécution de la saisie.

46.

Pour en revenir à l’affaire au principal, il me semble que tant les débiteurs que le juge premier saisi ont eu l’opportunité de soulever l’éventuel caractère abusif des clauses contractuelles contenues dans le contrat de prêt visé dans l’affaire au principal.

47.

Certes, il a été souligné que, en l’occurrence, un problème réside dans le fait que le droit national applicable au moment de la procédure de saisie hypothécaire ne prévoyait pas que l’existence de clauses abusives dans le contrat de prêt litigieux puisse constituer un motif d’opposition à l’exécution de la saisie hypothécaire ou puisse être soulevée d’office par le juge national saisi d’une demande d’exécution forcée.

48.

Il découle, en outre, des éléments fournis par la juridiction de renvoi que le juge premier saisi ne s’est pas prononcé sur l’existence éventuelle d’une clause abusive dans le contrat de prêt hypothécaire en cause dans l’affaire au principal.

49.

Il ressort ainsi de la décision de renvoi que l’opposition à l’exécution de la saisie hypothécaire litigieuse a été présentée en date du 12 mars 2013, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi 1/2013. Les demandeurs n’ont donc pas été en mesure de se prévaloir du caractère abusif des clauses contenues dans le contrat de crédit hypothécaire à l’appui de leur opposition.

50.

Toutefois, il convient de souligner que, conformément à la première disposition transitoire de la loi 1/2013 ( 19 ), le Juzgado de Primera Instancia no 3 de Castellón était en mesure d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause contractuelle portant sur les intérêts moratoires depuis le 14 mai 2013. La possibilité que la juridiction chargée de l’exécution examine ladite clause, constate ou non son caractère abusif et, partant, prononce le non‑lieu à exécution ou suspende celle‑ci existait donc déjà le 19 juin 2013, date à laquelle celle-ci s’est prononcée sur l’opposition à l’exécution de la saisie hypothécaire.

51.

De même, la quatrième disposition transitoire donnait au consommateur la possibilité de soulever un incident extraordinaire d’opposition fondé sur l’existence des nouveaux motifs d’opposition prévus, notamment, à l’article 695, paragraphe 4, de la LEC. En vertu de cette disposition, les demandeurs ont eu la possibilité de dénoncer l’existence de clauses abusives dans un délai d’un mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi 1/2013, soit entre le 16 mai 2013 et le 16 juin 2013.

52.

Quatrièmement, l’impossibilité d’interjeter appel à laquelle les demandeurs sont confrontés n’a pas pour effet de priver ceux-ci de tout recours permettant de voir juger au fond leur demande tenant à ce que soit déclarée la nullité de clauses contractuelles qu’ils estiment abusives. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales ( 20 ).

53.

Or, il ne faut pas perdre de vue que la procédure d’exécution en cause au principal, qui a pour objet de recouvrir une créance dotée d’un titre exécutoire présumé valide, est, par sa nature même, très différente de la procédure au fond. Il appartient au débiteur, qui s’estime éventuellement lésé, d’engager une action au fond, dans le cadre de laquelle le juge saisi pourra connaître de toutes questions relatives à l’existence même du droit à exécution.

54.

Ainsi que la Commission l’a mentionné, la procédure de saisie hypothécaire espagnole préserve la possibilité d’organiser un débat juridique sur les questions relatives à la validité de la créance et du contrat de prêt dans le cadre d’une procédure au fond pleinement contradictoire. À cet égard, je relève que l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, s’il indique que, en dehors des hypothèses de non-lieu à exécution ou d’inapplication d’une clause abusive, les ordonnances statuant sur l’opposition visée au présent article ne sont susceptibles d’aucun recours, il précise expressément que «leurs effets sont exclusivement limités à la procédure d’exécution au cours de laquelle elles sont rendues». En d’autres termes, dans l’hypothèse où le juge en charge de l’exécution rejette les prétentions du consommateur débiteur, les effets de cette décision se cantonnent à la procédure de saisie.

55.

Par ailleurs, dans le cas où le consommateur décide d’engager une procédure ordinaire au fond (action en nullité) et que le juge du fond déclare une ou plusieurs clauses du contrat de prêt hypothécaire nulles, car abusives, l’exécution forcée du titre contenu dans ledit contrat sera inévitablement remise en cause et, selon toute vraisemblance, suspendue. À supposer même que l’introduction d’une action déclaratoire en nullité fondée sur l’existence de clauses abusives n’ait pas pour effet de suspendre une procédure parallèle d’exécution forcée, l’effectivité de la protection conférée par la directive 93/13 est, me semble-t-il, suffisamment garantie par la possibilité additionnelle offerte aux consommateurs et au juge, par les dispositions nationales applicables à la procédure d’exécution, de s’opposer à la saisie hypothécaire. La situation visée dans l’affaire au principal se distingue de la configuration particulière en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164), où la saisie hypothécaire ne pouvait en aucun cas être suspendue.

b) Effectivité et existence supposée d’une inégalité procédurale du fait des possibilités de recours offertes au créancier dans une procédure de saisie hypothécaire

56.

En l’occurrence, est défendue l’idée, notamment par la Commission, que, en privant le consommateur de toute possibilité de recours contre l’ordonnance de rejet de son opposition, alors qu’il autorise la partie adverse, à savoir le professionnel, à former un recours devant une instance supérieure en cas de décision défavorable à ses intérêts, l’article 695, paragraphe 4, de la LEC placerait le consommateur dans une situation de net désavantage à l’égard du professionnel. Le refus d’accorder à l’une des parties à la procédure la possibilité de faire appel d’une décision allant à l’encontre de ses intérêts, tandis que cette possibilité est accordée à la partie adverse, serait clairement contraire au principe d’égalité des armes consacré à l’article 47, paragraphe 2, de la Charte. Il en serait d’autant plus ainsi que la directive 93/13 poursuit précisément un objectif de rétablissement de l’égalité entre les consommateurs et les professionnels.

57.

Cette présentation des choses, si elle a, a priori, tout pour séduire, procède à mon sens d’un examen superficiel de la situation visée dans la présente affaire et est, pour les raisons suivantes, loin d’emporter ma conviction.

58.

Certes, il est indéniable que, ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme l’a relevé en matière pénale ( 21 ), sont potentiellement incompatibles avec le principe d’égalité des armes des dispositions nationales qui créent une asymétrie entre les parties en ce qui concerne les voies de recours devant une instance supérieure.

59.

Toutefois, le fait que les défendeurs à l’exécution ne puissent faire appel de la décision rejetant leur opposition, alors même que la décision ordonnant le non-lieu à exécution ou l’inapplication d’une clause abusive est susceptible d’un recours en appel, s’explique par la nature même de la procédure d’exécution.

60.

La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit en effet dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, dont l’objet est l’exécution, à la demande d’un créancier, d’un titre exécutoire dérivant d’une hypothèque. Une telle procédure implique nécessairement qu’un bien ait été préalablement grevé d’une sûreté et que le créancier puisse, à ce titre, en cas de manquement, par le débiteur, à ses obligations de remboursement, se prévaloir d’un titre exécutoire validé par un acte notarié et inscrit au registre foncier. Il est généralement présumé que le droit tiré du titre est certain et que ce titre est doté d’une force exécutoire ( 22 ).

61.

En d’autres termes, le fait que les possibilités d’appel soient limitées aux hypothèses de non-lieu à exécution totale ou partielle s’explique aisément par le fait que, compte tenu du titre exécutoire privilégié dont s’est prévalu le créancier, le principe doit rester l’exécution.

62.

Par ailleurs, dans le cadre d’une telle procédure, dont l’objet est circonscrit et qui revêt un caractère sommaire, le juge saisi n’effectue en principe pas d’examen au fond et les motifs qui justifient la suspension à l’exécution sont limités à ceux prévus par le code de procédure civile.

63.

Le «privilège» apparent dont bénéficie le créancier, qui, à la différence du débiteur, se voit accorder une possibilité d’introduire un nouveau recours à l’encontre d’une décision qui lui est défavorable s’explique donc par la circonstance que la procédure hypothécaire tend précisément à protéger le titulaire d’un titre exécutoire privilégié. Ainsi que le gouvernement espagnol l’a souligné, le créancier hypothécaire doit avoir la possibilité de faire valoir son titre exécutoire à l’égard d’une décision juridictionnelle contraire à l’ordre d’exécution préalable.

64.

En décider autrement reviendrait alors à méconnaître les droits du titulaire d’un titre exécutoire que la procédure de saisie hypothécaire entend sauvegarder, puisqu’elle permettrait au débiteur de dresser des obstacles à l’exécution et, partant, à la mise en œuvre d’un droit préalablement déclaré.

65.

En conséquence, je suis d’avis qu’il est erroné d’affirmer que la législation nationale litigieuse place le consommateur dans une situation de désavantage procédural ( 23 ).

66.

Dans ce contexte, il me semble important de rappeler que l’arrêt Aziz (EU:C:2013:164) exige simplement que, dans ladite procédure de saisie hypothécaire, il soit permis que, à l’appui d’une opposition à l’exécution, les défendeurs à l’exécution puissent également alléguer comme motifs ceux relatifs à la nullité du titre ou de ses clauses pour caractère abusif, ou que, dans la procédure au fond ultérieure, une mesure provisoire de suspension de la saisie hypothécaire puisse être adoptée si la nullité d’une clause de ce type est demandée, ce que n’ont pas fait les demandeurs en l’espèce. Or, la loi 1/2013 répond précisément à ces exigences en introduisant, entre autres modifications, un motif d’opposition à l’exécution pris du caractère abusif d’un contrat constituant le fondement de l’exécution.

67.

Il ressort de l’ensemble de ces considérations que l’article 7 de la directive 93/13 ne s’oppose pas à une disposition de droit national, telle que l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, qui ne permet, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, d’introduire un recours que contre l’ordonnance décidant du non-lieu à exécution.

B – Sur la seconde question: respect du principe d’égalité des armes et du droit à une protection juridictionnelle effective

68.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité de la disposition nationale litigieuse au regard du principe d’égalité des armes qui fait partie du droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte.

69.

Avant d’aborder le fond de la question posée, il convient, au préalable, de déterminer si la Cour est compétente pour se prononcer en ce sens qu’elle est confrontée à une situation de mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ( 24 ).

70.

Ainsi que l’ont mentionné BBVA et le gouvernement espagnol, il est permis d’en douter, puisque, a priori, la situation juridique ici en cause n’est pas directement régie par le droit de l’Union.

71.

Certes, il ne faut pas perdre de vue que la Cour a une acception très large de ce qui relève de son champ de compétence, puisqu’il est désormais bien acquis qu’il porte sur toutes les situations de «mise en œuvre du droit de l’Union», cette dernière expression étant entendue largement ( 25 ).

72.

Toutefois, à la différence, par exemple, de l’hypothèse visée dans l’arrêt Åkerberg Fransson, s’agissant du lien existant avec les articles 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive 2006/112/CE ( 26 ) et l’article 325 TFUE, le lien, dans l’affaire au principal, avec la directive 93/13 est très difficilement identifiable, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs le fait que la référence à ladite directive a, semble-t-il, été insérée dans la demande de décision préjudicielle à la suite d’une observation formulée par BBVA au cours de la procédure ( 27 ).

73.

En effet, il est difficile de saisir de quelle disposition ou de quel principe du droit de l’Union il est ici précisément question. Ainsi qu’il ressort des considérations que j’ai exposées en réponse à la première question, en l’absence d’une harmonisation des modalités procédurales régissant les procédures d’exécution, la question du droit de recours à l’encontre d’une décision judiciaire se prononçant sur l’opposition d’une saisie hypothécaire est régie par le principe d’autonomie procédurale. En outre, rien ne permet, en l’état actuel du droit de l’Union, de conclure que le principe d’effectivité s’oppose à une disposition nationale telle que l’article 695, paragraphe 4, de la LEC. Une simple référence générale, par la juridiction de renvoi, aux exigences de protection des consommateurs découlant de la directive 93/13 ne saurait suffire pour que la Cour se déclare compétente pour répondre.

74.

Il me semble que la problématique juridique en cause dans l’affaire au principal, qui se rapporte aux dispositions nationales en matière de voies de recours ouvertes contre une décision judiciaire se prononçant sur une opposition à l’exécution d’une saisie hypothécaire, est totalement régie par le droit national et qu’elle ne se rapporte pas à un cas de «mise en œuvre du droit de l’Union». En décider autrement reviendrait à méconnaître la condition énoncée à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, ce qui aurait pour effet d’étendre le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de celle-ci ( 28 ).

75.

En tout état de cause, à supposer que la Cour décide de considérer qu’elle est compétente pour répondre à la question, rien ne me semble de nature à porter atteinte aux principes de l’égalité des armes et du droit à un procès équitable.

76.

Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il devrait être considéré qu’il n’y a plus lieu de répondre à la seconde question.

77.

En effet, dès lors qu’il a été conclu que la disposition nationale en cause dans l’affaire au principal satisfait pleinement aux exigences découlant du principe d’effectivité, il ne me semble pas nécessaire d’examiner si, en outre, ladite disposition satisfait au droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte. Bien que cette disposition recouvre différents éléments, la portée du droit à une protection juridictionnelle effective se confond en l’espèce, s’agissant des possibilités d’appel ouvertes à l’encontre de décisions se prononçant sur une opposition à une saisie hypothécaire, avec l’examen du respect du principe d’effectivité effectué en réponse à la première question.

78.

Il découle de ces considérations que le principe d’égalité des armes, qui se rattache au droit à une protection juridictionnelle consacré à l’article 47 de la Charte, à supposer même qu’il soit applicable dans la procédure d’exécution en cause dans l’affaire au principal, ne s’oppose pas à une règle de droit national telle que l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, qui permet, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, de n’introduire un recours que contre l’ordonnance décidant du non-lieu à exécution.

IV – Conclusion

79.

Eu égard à l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par l’Audiencia Provincial de Castellón de la manière suivante:

Ni le principe d’effectivité, envisagé avec l’objectif de protection poursuivi par la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, ni le droit à une protection juridictionnelle effective ne s’opposent à une disposition procédurale nationale qui limite, dans le cadre des procédures de saisie hypothécaire, le droit de recours en appel à celui dirigé contre l’ordonnance décidant du non‑lieu à exécution ou de l’inapplication d’une clause abusive.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

( 3 ) C‑415/11, EU:C:2013:164.

( 4 ) La présente affaire n’est en effet pas un cas isolé. La loi 1/2013, relative aux mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, la restructuration de la dette et le loyer social (Ley 1/2013 de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social), du 14 mai 2013 (BOE no 116, du 15 mai 2013, p. 36373 ci-après la «loi 1/2013»), est mise en cause dans plusieurs affaires actuellement pendantes devant la Cour [voir, notamment, affaire Cajas Rurales Unidas (C‑645/13), s’agissant d’un renvoi préjudiciel opéré par le Juzgado de Primera Instancia no 34 de Barcelona en ce qui concerne une problématique analogue à celle soulevée dans la présente affaire].

( 5 ) (Ley de enjuiciamiento civil), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575); loi telle que modifiée par le décret‑loi 7/2013, du 28 juin 2013 (BOE no 155, du 29 juin 2013, p. 48767, ci‑après la «LEC»).

( 6 ) Arrêt Barclays Bank (C‑280/13, EU:C:2014:279).

( 7 ) Ibidem (point 40).

( 8 ) La Cour souligne que, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt RWE Vertrieb (C‑92/11, EU:C:2013:180, point 25), les parties ne se sont pas accordées sur l’extension du champ d’application d’un régime prévu par le législateur national (arrêt Barclays Bank, EU:C:2014:279, point 41).

( 9 ) C‑618/10, EU:C:2012:349.

( 10 ) EU:C:2013:164.

( 11 ) C‑482/12, EU:C:2013:765, points 72 et suiv.

( 12 ) Arrêt Aziz (EU:C:2013:164, point 49).

( 13 ) Ibidem (point 59).

( 14 ) Arrêts Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437, point 12); Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 39 et 43), ainsi que van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 28).

( 15 ) L’Audiencia Provincial de Castellón indique, en effet, que le législateur espagnol aurait procédé à une «mauvaise transposition» des critères dégagés par la Cour.

( 16 ) C‑413/12, EU:C:2013:532, point 23.

( 17 ) Ibidem (notamment, points 23 et 29). Je rappelle, à cet égard, que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 6, paragraphe 1, de ladite convention n’oblige pas les États contractants à créer des juridictions d’appel et de cassation en matière civile (voir, notamment, Cour EDH, Antonenko c. Russie, no 42482/02, 23 mai 2006).

( 18 ) Voir, à cet égard, arrêt Samba Diouf (C‑69/10, EU:C:2011:524, point 69).

( 19 ) Aux termes de cette disposition, «[l]a présente loi s’applique aux procédures judiciaires et extrajudiciaires en matière de saisie hypothécaire commencées à la date d’entrée en vigueur de la loi dans lesquelles l’expulsion n’a pas encore été mise en œuvre». Cette disposition doit être lue à la lumière du second alinéa du nouvel article 552, paragraphe 1, de la LEC, qui dispose notamment que, «[l]orsque le Tribunal estime que l’une des clauses figurant dans l’un des titres exécutoires […] peut être qualifiée d’abusive, il entend les parties dans un délai de quinze jours».

( 20 ) Voir arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (C‑413/12, EU:C:2013:800, point 34 et jurisprudence citée).

( 21 ) Voir, en ce sens, Cour EDH, Berger c. France, no 48221/99, § 38, 3 décembre 2002.

( 22 ) En ce sens, le titre exécutoire dont est doté le document notarié et la reconnaissance subséquente de l’intérêt du créancier à une exécution forcée rapide sont des éléments qui ont notamment été relevés par l’avocat général Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Aziz (C‑415/11, EU:C:2012:700, point 55). De même, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné qu’une procédure d’exécution d’un droit fondée sur un acte notarié garantissant une créance déterminée devait, à l’instar de celle fondée sur un jugement, être menée dans un délai raisonnable (voir Cour EDH, Estima Jorge c. Portugal, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II).

( 23 ) Je relève que, saisi de questions d’inconstitutionnalité posées par certaines juridictions espagnoles, le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) (voir, notamment, arrêts 41/1981, du 18 décembre 1981, et 217/1993, du 30 juin 1993, ainsi que ordonnance 113/2011, du 19 juillet 2011) a souligné le caractère sommaire qui caractérise la procédure visant à l’exécution d’une sûreté réelle inscrite et le fait que la partie défenderesse à l’exécution a toujours la possibilité de recourir à la procédure de fond correspondante. Cette partie ne saurait donc pas, dans le cadre de la procédure d’exécution, invoquer les droits de la défense. De manière encore plus précise, la deuxième chambre du Tribunal Constitucional aurait, dans une ordonnance du 21 juillet 1988, confirmé la constitutionnalité de l’impossibilité d’introduire un pourvoi contre une décision se prononçant sur un incident d’opposition en déclarant que cela ne portait pas atteinte au principe d’égalité des parties.

( 24 ) Il convient de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

( 25 ) Voir, notamment, arrêt Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, points 16 et suiv.).

( 26 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

( 27 ) BBVA a indiqué que, au cours de la procédure nationale, la juridiction de renvoi envisageait d’introduire une demande de décision préjudicielle en invoquant uniquement les dispositions de l’article 47 de la Charte, sans aucune mention à la directive 93/13. Ce serait à la suite d’une observation de BBVA que la juridiction de renvoi aurait décidé de reformuler la question pour introduire dans le débat la directive 93/13.

( 28 ) Pour un rappel récent des principes applicables, voir, notamment, arrêt Pelckmans Turnhout (C‑483/12, EU:C:2014:304, points 17 à 21).