ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

2 juin 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Droits d’accise — Directive 2003/96/CE — Taux d’accise différenciés pour carburants et combustibles — Condition d’application du taux pour combustibles — Dépôt d’un relevé mensuel de déclarations selon lesquelles les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage — Application du taux d’accise prévu pour les carburants en cas d’absence de dépôt de ce relevé — Principe de proportionnalité»

Dans l’affaire C‑418/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wroclaw, Pologne), par décision du 4 juin 2014, parvenue à la Cour le 5 septembre 2014, dans la procédure

ROZ-ŚWIT Zakład Produkcyjno-Handlowo-Usługowy Henryk Ciurko, Adam Pawłowski spółka jawna

contre

Dyrektor Izby Celnej we Wrocławiu,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. E. Juhász et C. Vajda (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 octobre 2015,

considérant les observations présentées :

pour ROZ-ŚWIT Zakład Produkcyjno-Handlowo-Usługowy Henryk Ciurko, Adam Pawłowski spółka jawna, par Mes K. Kocowski et S. Bogdański, adwokaci,

pour le Dyrektor Izby Celnej we Wrocławiu, par M. W. Bronicki, et Mme E. Białas-Giejbatow, en qualité d’agents, assistés de Mes D. Kowalik et J. Kaute, adwokaci,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme K. Maćkowska, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes M. Owsiany-Hornung et F. Tomat, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 3, de l’article 5 et de l’article 21, paragraphe 4, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51), telle que modifiée par la directive 2004/75/CE du Conseil, du 29 avril 2004 (JO 2004, L 195, p. 31, ci‑après la « directive 2003/96 »), ainsi que du principe de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société ROZ‑ŚWIT Zakład Produkcyjno-Handlowo-Usługowy Henryk Ciurko, Adam Pawłowski spółka jawna (ci-après « ROZ‑ŚWIT ») au Dyrektor Izby Celnej we Wrocławiu (directeur de la chambre des douanes de Wrocław), au sujet du refus de ce dernier d’accorder à ROZ‑ŚWIT le bénéfice du taux d’accise applicable au combustible pour défaut de dépôt, dans les délais, du relevé mensuel de déclarations selon lesquelles les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage (ci-après le « relevé des déclarations des acheteurs »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 3, 4, 9, 17 et 18 de la directive 2003/96 énoncent :

« (3)

Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.

(4)

D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.

[...]

(9)

Il convient de laisser aux États membres la flexibilité nécessaire pour définir et mettre en œuvre des politiques adaptées aux contextes nationaux.

[...]

(17)

Il y a lieu de fixer des niveaux minima communautaires de taxation différents selon l’usage des produits énergétiques et de l’électricité.

(18)

Les produits énergétiques utilisés comme carburant à certaines fins industrielles et commerciales et ceux utilisés comme combustible sont normalement taxés à des niveaux inférieurs à ceux applicables aux produits énergétiques utilisés comme carburant. »

4

L’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de cette directive prévoit :

« Lorsqu’ils sont destinés à être utilisés, mis en vente ou utilisés comme carburant ou comme combustible, les produits énergétiques autres que ceux pour lesquels un niveau de taxation est précisé dans la présente directive sont taxés en fonction de leur utilisation, au taux retenu pour le combustible ou le carburant équivalent. »

5

L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit :

« Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive. »

6

L’article 5 de cette même directive dispose :

« À condition qu’ils respectent les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive et soient conformes au droit communautaire, des taux de taxation différenciés peuvent être appliqués sous contrôle fiscal par les États membres dans les cas suivants :

lorsque les taux différenciés sont directement liés à la qualité du produit,

lorsque les taux différenciés dépendent des niveaux quantitatifs de consommation de l’électricité et des produits énergétiques pour le chauffage,

pour les utilisations suivantes : les transports publics locaux de passagers (y compris les taxis), la collecte des déchets, les forces armées et l’administration publique, les personnes handicapées, les ambulances,

entre la consommation professionnelle et non professionnelle des produits énergétiques et de l’électricité visés aux articles 9 et 10. »

7

Les articles 7 à 9 de la directive 2003/96 prévoient que les niveaux minima de taxation applicables, respectivement, aux carburants, aux produits utilisés comme carburants à des fins industrielles et commerciales spécifiques ainsi qu’aux combustibles, sont fixés conformément à l’annexe I, tableaux A à C, de cette directive.

8

Aux articles 14 à 19 de ladite directive sont visées des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation que les États membres, ou certains d’entre eux, peuvent ou doivent appliquer sous les conditions y énoncées.

9

Aux termes de l’article 21, paragraphe 4, de cette même directive :

« Les États membres peuvent également prévoir que la taxe sur les produits énergétiques et l’électricité est due lorsqu’il est établi qu’une condition relative à l’utilisation finale, fixée par la réglementation nationale aux fins de l’application d’un niveau réduit de taxation ou d’une exonération, n’est pas ou n’est plus remplie. »

Le droit polonais

10

L’article 89, paragraphes 1, 4, 5 et 14 à 16 de l’Ustawa o podatku akcyzowym (loi relative aux droits d’accise), du 6 décembre 2008, telle que modifiée (Dz. U. de 2009, no 3, position 11, ci-après la « loi relative aux droits d’accise ») est rédigé dans les termes suivants :

« 1.   Les taux d’accise sur les produits énergétiques s’élèvent :

[...]

10)

pour les fuel oils relevant des codes NC 2710 19 51 à 2710 19 69 :

a)

ceux distillant 30 % ou plus de leur volume à 350°C ou dont la densité à 15°C est inférieure à 890 kilogrammes par mètre cube, colorés en rouge et marqués conformément aux dispositions particulières – à 232,00 [zlotys polonais (PLN)] par 1000 litres,

b)

les autres, qui ne sont pas soumis aux obligations de coloration et de marquage conformément aux dispositions particulières – à [64,00] PLN par 1000 kilogrammes.

[...]

4.   Dans le cas où :

1)

les produits visés au paragraphe 1, sous [...] 10) [...] sont utilisés pour alimenter des moteurs à combustion, s’ils sont utilisés sans respecter les conditions d’étiquetage et de coloration fixées dans les dispositions particulières et stockés dans une cuve reliée à un ensemble de mesurage routier ou vendus à partir d’une telle cuve, le taux de 1822,00 PLN/1 000 litres est applicable et, si leur densité à 15°C est inférieure ou égale à 890 kilogrammes par mètre cube, le taux de 2047,00 PLN/1 000 kilogrammes.

[...]

5.   Le vendeur de produits soumis à accise non exonérés en raison de leur destination, visés au paragraphe 1, sous [...] 10) [...], est tenu, en cas de vente :

1)

à des personnes morales, des entités organisationnelles dénuées de personnalité juridique ou des personnes physiques exerçant une activité commerciale, d’obtenir de la part de l’acquéreur une déclaration selon laquelle les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage ou seront vendus pour être destinés à des fins de chauffage, permettant l’application des taux d’accise visés au paragraphe 1, sous [...] 10) [...]

2)

à des personnes physiques n’exerçant pas d’activité commerciale, d’obtenir de la part de l’acheteur une déclaration selon laquelle les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage, permettant l’application des taux d’accise visés au paragraphe 1, sous [...] 10) [...] ; cette déclaration devrait être jointe à la copie du reçu ou à la copie de tout autre document de vente remis à l’acheteur ; à défaut de cette possibilité, le vendeur est tenu d’inscrire sur la déclaration le numéro et la date d’émission du document établissant cette vente.

[...]

14.   Le vendeur des produits soumis à accise visés au paragraphe 1, sous [...] 10) [...] établit et transmet au bureau des douanes compétent, au plus tard le 25e jour du mois suivant celui où la vente a été effectuée, le relevé mensuel des déclarations visées au paragraphe 5 ; les originaux des déclarations sont à conserver par le vendeur pendant une période de cinq ans, à compter de la fin de l’année civile durant laquelle elles ont été établies et ils doivent être disponibles pour les contrôles.

15.   Le relevé mensuel des déclarations contient :

1)

concernant le vendeur visé au paragraphe 14 :

a)

le nom et l’adresse du siège ou du domicile de l’entité qui fournit le relevé,

b)

la quantité et la nature ainsi que la destination des produits visés par la déclaration,

c)

la date de la déclaration,

d)

la date et le lieu d’établissement du relevé et la signature lisible de la personne établissant le relevé,

e)

la mention du nombre d’installations de chauffage dont disposent les acheteurs, selon leurs déclarations,

f)

le lieu (adresse) où se trouvent les installations de chauffage indiquées dans les déclarations,

[...]

16.   Si les conditions visées aux paragraphes 5 à 15 ne sont pas remplies, le taux visé au paragraphe 4, sous 1), est applicable. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Par décision du 23 février 2011, le Naczelnik Urzędu Celnego we Wrocławiu (chef du bureau des douanes de Wrocław, Pologne) a établi un avis de redressement en matière d’accise relatif à une dette fiscale encourue par ROZ‑ŚWIT.

12

Il ressort de cette décision que la procédure engagée par les autorités fiscales a établi que, au cours de la période allant du 1er mars au 31 décembre 2009, ROZ‑ŚWIT a effectué une série de transactions de vente de combustible consistant en des quantités de fioul léger. Il a été constaté que ces ventes avaient été vérifiées et qu’il ne faisait pas de doute que les acheteurs avaient confirmé l’achat et la consommation de ce combustible à des fins de chauffage. Cependant, ROZ‑ŚWIT n’avait pas déposé, dans les délais, de relevé des déclarations des acheteurs, tel que prévu à l’article 89, paragraphe 14, de la loi relative aux droits d’accise. Par conséquent, le taux pour le carburant prévu à l’article 89, paragraphe 4, point 1, de cette loi a été appliqué en vertu du paragraphe 16 du même article.

13

ROZ-ŚWIT a introduit une réclamation contre ladite décision devant le directeur de la chambre des douanes de Wrocław, faisant valoir que l’omission de dépôt des relevés des déclarations des acheteurs ne constituait qu’une irrégularité formelle alors que la destination réelle du combustible en question à des fins de chauffage ne faisait pas de doute.

14

Cette réclamation ayant été rejetée, ROZ‑ŚWIT a introduit un recours devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wroclaw, Pologne).

15

La juridiction de renvoi se demande si, lorsqu’un État membre a fait usage du droit, prévu par la directive 2003/96, de différencier les taux d’accise afférents aux produits relevant du champ d’application de celle-ci selon leur utilisation, la disposition figurant à l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise est contraire à cette directive dans la mesure où elle conduit, en raison de l’omission de déposer le relevé des déclarations des acheteurs, à l’application à un produit utilisé comme combustible du taux d’accise prévu pour les carburants.

16

Ladite juridiction émet des doutes, en outre, sur le fait que l’obligation d’établir et de déposer un tel relevé soit proportionnée au regard de l’objectif visé, à savoir la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales. Elle estime que cette obligation est de nature formelle et secondaire, ne permettant qu’une analyse préliminaire de la destination des produits concernés. À cet égard, elle évoque la jurisprudence de la Cour en matière de taxe sur la valeur ajoutée selon laquelle, d’une part, la déduction de cette taxe en amont doit être accordée si les exigences de fond sont remplies, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (voir arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C‑284/11, EU:C:2012:458, points 61 et 62) et, d’autre part, la soumission en droit national de l’exonération à l’exportation à un délai de sortie sans permettre, en raison du non-respect de ce délai, le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déjà acquittée, alors même que l’assujetti a fourni la preuve que la marchandise a quitté le territoire douanier de l’Union, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales (voir arrêt du 19 décembre 2013, BDV Hungary Trading, C‑563/12, EU:C:2013:854, point 39).

17

La juridiction de renvoi cherche également à savoir si la sanction prévue à l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise, consistant à imposer le taux d’accise réservé aux carburants en cas de non-respect de l’obligation de déposer un relevé des déclarations des acheteurs dans les délais, est conforme au principe de proportionnalité. S’agissant, en particulier, de la gravité de l’infraction, elle considère que cette sanction n’a pas pour objet de prévenir la fraude fiscale mais vise uniquement le non-respect de ladite obligation et constitue, d’ailleurs, un montant non négligeable.

18

C’est dans ces conditions que le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wroclaw) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Convient-il d’interpréter l’article 5, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, et l’article 21, paragraphe 4, de la directive 2003/96 en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation nationale prévue à l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise, qui impose l’application au combustible de chauffage du taux de droit d’accise prévu pour les carburants lorsque l’assujetti ne remplit pas la condition formelle prévue à l’article 89, paragraphes 14 et 15, de la loi relative aux droits d’accise ?

2)

Le principe de proportionnalité s’oppose-t-il à la condition formelle prévue à l’article 89, paragraphes 14 et 15, de la loi relative aux droits d’accise qui subordonne l’application du taux réduit de droit d’accise prévu pour les combustibles de chauffage à l’obligation d’établir et de déposer un relevé des déclarations des acheteurs dans un délai légal, indépendamment du respect de la condition matérielle, à savoir la vente d’un combustible de chauffage ?

3)

La sanction prévue à l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise consistant, comme en l’espèce, à faire supporter au vendeur un droit d’accise sur le combustible de chauffage, calculé selon le taux prévu pour les carburants (article 89, paragraphe 4, point 1, de la loi relative aux droits d’accise), parce que la condition formelle prévue à l’article 89, paragraphes 14 et 15, de la loi relative aux droits d’accise n’est pas remplie, est-elle conforme au principe de proportionnalité ? »

Sur les questions préjudicielles

19

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2003/96 ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle, d’une part, les vendeurs de combustible sont obligés de soumettre, dans un délai imparti, un relevé mensuel des déclarations des acheteurs, selon lesquelles les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage, et, d’autre part, à défaut de soumission d’un tel relevé dans le délai imparti, le taux d’accise prévu pour les carburants est appliqué au combustible vendu, alors même qu’il a été constaté que la destination de ce produit à des fins de chauffage ne fait pas de doute.

20

À titre liminaire, il convient de rappeler que les principes généraux du droit, au nombre desquels figure le principe de proportionnalité, font partie de l’ordre juridique de l’Union. À ce titre, ils doivent être respectés par les institutions de l’Union, mais également par les États membres dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives de l’Union (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 2008, Netto Supermarkt, C‑271/06, EU:C:2008:105, point 18, et du 10 septembre 2009, Plantanol, C‑201/08, EU:C:2009:539, point 43).

21

Il en découle qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui vise notamment à transposer dans l’ordre juridique interne de l’État membre concerné les dispositions de la directive 2003/96, doit respecter le principe de proportionnalité.

Sur l’obligation de déposer un relevé des déclarations des acheteurs

22

Il ressort de la décision de renvoi que le relevé des déclarations des acheteurs, dont l’établissement et la transmission au bureau des douanes sont prévus à l’article 89, paragraphes 14 et 15, de la loi relative aux droits d’accise, constitue un instrument de contrôle ayant pour objectif la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.

23

La directive 2003/96 ne précisant pas de mécanisme de contrôle particulier de l’utilisation de combustible ni de mesures destinées à lutter contre la fraude fiscale liée à la vente de combustible, il incombe aux États membres de prévoir de tels mécanismes et de telles mesures dans leur droit national, dans le respect du droit de l’Union. À cet égard, il découle du considérant 9 de cette directive que les États membres disposent d’une marge d’appréciation dans la définition et la mise en œuvre des politiques adaptées aux contextes nationaux.

24

S’agissant de la proportionnalité de l’obligation de soumettre un relevé des déclarations des acheteurs, la juridiction de renvoi se réfère à des décisions du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) ainsi que de certaines juridictions administratives polonaises, selon lesquelles un tel relevé informe l’autorité fiscale de la réalisation de la vente préférentielle du combustible ainsi que du lieu et du mode d’utilisation prévu. Il permet, en outre, une analyse préliminaire des données qu’il contient et donc d’identifier et de détecter les fraudes fiscales.

25

Or, compte tenu de la marge d’appréciation dont disposent les États membres quant aux mesures et aux mécanismes à adopter en vue de prévenir l’évasion et la fraude fiscales liées à la vente de combustible, et dès lors qu’une obligation de déposer, auprès des autorités compétentes, un relevé des déclarations des acheteurs ne revêt pas un caractère manifestement disproportionné, il y a lieu de considérer qu’une telle obligation constitue une mesure appropriée pour parvenir à un tel objectif et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

26

Par conséquent, la directive 2003/96 ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle les vendeurs de combustible sont obligés de soumettre, dans un délai imparti, un relevé mensuel des déclarations des acheteurs selon lesquelles les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage.

Sur l’application du taux d’accise prévu pour les carburants en cas de non-respect de l’obligation de déposer un relevé des déclarations des acheteurs

27

Conformément à l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise, le non-respect de l’obligation d’établir et de transmettre un relevé des déclarations des acheteurs dans les délais impartis entraîne l’application du taux d’accise prévu pour les carburants au combustible vendu, quelle que soit l’utilisation réelle de ce dernier.

28

En ce qui concerne, en premier lieu, la conformité d’une telle conséquence avec la directive 2003/96, il y a lieu de relever d’emblée que les dispositions de cette directive citées par la juridiction de renvoi dans sa première question ne sont pas directement pertinentes aux fins du litige au principal. En effet, tout d’abord, l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, de ladite directive vise « les produits énergétiques autres que ceux pour lesquels un niveau de taxation est précisé dans la présente directive », alors qu’il ressort de la décision de renvoi que le niveau de taxation du produit en cause au principal est bien précisé dans la directive 2003/96.

29

Ensuite, l’article 5 de cette directive prévoit des taux de taxation différenciés dans certains cas limitativement énumérés à cet article, à savoir lorsqu’ils sont liés à la qualité du produit, lorsqu’ils dépendent des quantités consommées, lorsque les produits sont utilisés dans certains domaines publics ou encore lorsque ces taux différencient la consommation professionnelle de celle non professionnelle. Ledit article ne concerne donc pas la différence d’utilisation entre carburant et combustible.

30

Enfin, l’article 21, paragraphe 4, de la directive 2003/96 concerne les conditions associées à l’application des taux réduits et des exonérations visés aux articles 14 à 19 de cette directive.

31

En revanche, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’économie générale de la directive 2003/96 repose sur une distinction nette entre les carburants et les combustibles en fonction, notamment, du critère de l’utilisation. En effet, la distinction entre les carburants et les combustibles, introduite par les considérants 17 et 18 de cette directive, est appliquée, notamment, par les articles 7 à 9 de celle-ci, relatifs aux modalités de fixation des niveaux minima de taxation applicables, d’une part, aux combustibles et, d’autre part, aux carburants ainsi qu’aux produits utilisés comme carburants à des fins industrielles et commerciales spécifiques (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2014, Kronos Titan et Rhein-Ruhr Beschichtungs-Service, C‑43/13 et C‑44/13, EU:C:2014:216, point 28).

32

En outre, les considérants 3 et 4 de ladite directive énoncent que le bon fonctionnement du marché intérieur nécessite que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau de l’Union pour la plupart des produits énergétiques et que d’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables à ce fonctionnement. Il y a donc lieu de considérer que la définition de niveaux minima de taxation de produits selon leur utilisation en tant que carburant ou de combustible contribue au bon fonctionnement du marché intérieur en permettant d’exclure d’éventuelles distorsions de concurrence entre des produits utilisés aux mêmes fins.

33

Il en résulte que tant l’économie générale que la finalité de la directive 2003/96 reposent sur le principe selon lequel les produits énergétiques sont taxés en fonction de leur utilisation réelle.

34

Par conséquent, une disposition de droit national telle que l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise, en vertu de laquelle, à défaut de dépôt d’un relevé des déclarations des acheteurs dans les délais, le taux d’accise prévu pour les carburants est automatiquement appliqué aux combustibles même si, comme il a été constaté dans le litige au principal, ceux-ci sont utilisés en tant que tels, se heurte à l’économie générale et à la finalité de la directive 2003/96.

35

En second lieu, une telle application automatique du taux d’accise prévu pour les carburants en cas de non-respect de l’obligation de déposer un tel relevé enfreint le principe de proportionnalité.

36

En effet, il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, il a été constaté que les ventes de combustible effectuées par ROZ‑ŚWIT avaient été vérifiées et qu’il ne faisait pas de doute que les acheteurs avaient confirmé l’achat ainsi que la consommation de ce combustible à des fins de chauffage. En outre, rien dans le dossier n’indique que ces ventes aient été réalisées dans le but de bénéficier frauduleusement du taux d’accise préférentiel accordé aux combustibles destinés à des fins de chauffage.

37

Cependant, malgré ladite constatation, les autorités compétentes ont, conformément à l’article 89, paragraphe 16, de la loi relative aux droits d’accise, appliqué aux combustibles vendus le taux d’accise prévu pour les carburants.

38

À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que, en Pologne, le taux d’accise applicable aux carburants peut être plus de huit fois supérieur à celui frappant les combustibles.

39

Dans ces conditions, le fait d’appliquer aux combustibles en cause au principal le taux d’accise prévu pour les carburants en raison d’une violation de l’obligation, imposée par le droit national, de soumettre un relevé des déclarations des acheteurs dans les délais impartis, lorsqu’il a été constaté qu’il ne faisait pas de doute quant à la destination de ces produits à des fins de chauffage, va au-delà de ce qui est nécessaire afin de prévenir l’évasion et la fraude fiscales (voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2007, Collée, C‑146/05, EU:C:2007:549, point 29).

40

Dans ce contexte, il convient de préciser que rien n’empêche un État membre de prévoir l’imposition d’une amende pour la violation d’une obligation telle que celle consistant à soumettre aux autorités compétentes un relevé des déclarations des acheteurs du combustible vendu. La compétence dont dispose un État membre pour infliger une telle sanction doit être exercée dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux, y compris du principe de proportionnalité. Afin d’apprécier si cette sanction est conforme à ce principe, il incombe aux juridictions nationales de tenir compte, notamment, de la nature et de la gravité de l’infraction que ladite sanction vise à pénaliser, ainsi que des modalités de détermination du montant de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 19 juillet 2012, Rēdlihs, C‑263/11, EU:C:2012:497, points 44 à 47).

41

Par conséquent, la directive 2003/96 et le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle, à défaut de soumission d’un relevé mensuel des déclarations des acheteurs dans un délai imparti, le taux d’accise prévu pour les carburants est appliqué au combustible vendu, alors même qu’il a été constaté que la destination de ce produit à des fins de chauffage ne fait pas de doute.

42

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 2003/96 ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle les vendeurs de combustible sont obligés de soumettre, dans un délai imparti, un relevé mensuel des déclarations des acheteurs selon lesquelles les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage, et

ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle, à défaut de soumission d’un tel relevé dans le délai imparti, le taux d’accise prévu pour les carburants est appliqué au combustible vendu, alors même qu’il a été constaté que la destination de ce produit à des fins de chauffage ne fait pas de doute.

Sur les dépens

43

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

La directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, telle que modifiée par la directive 2004/75/CE du Conseil, du 29 avril 2004, ainsi que le principe de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens que :

 

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle les vendeurs de combustible sont obligés de soumettre, dans un délai imparti, un relevé mensuel de déclarations des acheteurs selon lesquelles les produits achetés sont destinés à des fins de chauffage et

 

ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle, à défaut de soumission d’un tel relevé dans le délai imparti, le taux d’accise prévu pour les carburants est appliqué au combustible vendu, alors même qu’il a été constaté que la destination de ce produit à des fins de chauffage ne fait pas de doute.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.