ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 mai 2016 ( *1 )

«Recours en annulation — Rapprochement des législations — Directive 2014/40/UE — Articles 2, point 25, 6, paragraphe 2, sous b), 7, paragraphes 1 à 5, 7, première phrase, et 12 à 14, ainsi que 13, paragraphe 1, sous c) — Validité — Fabrication, présentation et vente des produits du tabac — Interdiction de mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant — Produits du tabac contenant du menthol — Base juridique — Article 114 TFUE — Principe de proportionnalité — Principe de subsidiarité»

Dans l’affaire C‑358/14,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 22 juillet 2014,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme M. Szwarc, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par

Roumanie, représentée par M. R.-H. Radu ainsi que par Mmes D. M. Bulancea et A. Vacaru, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. L. Visaggio et J. Rodrigues ainsi que par Mme A. Pospíšilová Padowska, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. O. Segnana, J. Herrmann et K. Pleśniak ainsi que par Mme M. Simm, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par

Irlande, représentée par Mme J. Quaney et M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme E. Barrington et M. J. Cooke, SC, ainsi que de M. E. Carolan, BL,

République française, représentée par M. D. Colas et Mme S. Ghiandoni, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes V. Kaye et C. Brodie ainsi que par M. M. Holt, en qualité d’agents, assistés de M. I. Rogers, QC, ainsi que de Mme S. Abram et M. E. Metcalfe, barristers,

Commission européenne, représentée par M. M. Van Hoof ainsi que par Mmes C. Cattabriga et M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, A. Arabadjiev (rapporteur), C. Lycourgos et J.-C. Bonichot, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 septembre 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 décembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la République de Pologne demande l’annulation des articles 2, point 25, 6, paragraphe 2, sous b), 7, paragraphes 1 à 5, 7, première phrase, et 12 à 14, ainsi que 13, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/40/UE, du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO L 127, p. 1).

Le cadre juridique

La convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac

2

Aux termes du préambule de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, signée à Genève le 21 mai 2003 (ci-après la «CCLAT»), à laquelle sont parties l’Union européenne et ses États membres, les parties à cette convention reconnaissent, d’une part, que «des données scientifiques ont établi de manière irréfutable que la consommation de tabac et l’exposition à la fumée du tabac sont cause de décès, de maladie et d’incapacité » et, d’autre part, que «les cigarettes et certains autres produits contenant du tabac sont des produits très sophistiqués, qui visent à engendrer et à entretenir la dépendance, qu’un grand nombre des composés qu’ils contiennent et que la fumée qu’ils produisent sont pharmacologiquement actifs, toxiques, mutagènes et cancérigènes, et que la dépendance à l’égard du tabac fait l’objet d’une classification distincte en tant que trouble dans les grandes classifications internationales des maladies».

3

L’article 7 de la CCLAT, intitulé «Mesures autres que financières visant à réduire la demande de tabac», prévoit:

«[...] Chaque Partie adopte et applique des mesures législatives, exécutives, administratives ou autres mesures efficaces nécessaires pour s’acquitter de ses obligations au titre des articles 8 à 13 et coopère en tant que de besoin avec les autres Parties, directement ou à travers les organismes internationaux compétents, en vue de les faire appliquer. La Conférence des Parties propose des directives appropriées pour l’application des dispositions contenues dans ces articles.»

4

L’article 9 de la CCLAT, intitulé «Réglementation de la composition des produits du tabac», énonce:

«La Conférence des Parties, en consultation avec les organismes internationaux compétents, propose des directives pour les tests et l’analyse de la composition et des émissions des produits du tabac, et pour la réglementation de cette composition et de ces émissions. Chaque Partie adopte et applique, sous réserve de l’approbation des autorités nationales compétentes, des mesures législatives, exécutives, administratives ou autres mesures efficaces concernant ces tests et analyses et cette réglementation.»

5

Aux termes de la section 1.1 des directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (ci-après les «directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT»), les parties «sont [...] encouragées à appliquer des mesures allant au-delà de celles recommandées par ces directives».

6

La section 3.1.2 desdites directives, intitulée «Ingrédients (réglementation)», décrit les mesures que les parties contractantes pourraient prendre pour réglementer les ingrédients, en énonçant ce qui suit:

«[...]

3.1.2.1 Généralités

La réglementation des ingrédients visant à réduire l’attractivité des produits du tabac peut contribuer à abaisser la prévalence du tabagisme et de la dépendance tant chez les nouveaux consommateurs que chez les consommateurs habituels. [...]

[...]

3.1.2.2 Produits du tabac

i) Ingrédients utilisés pour améliorer le goût

Le caractère âpre et irritant de la fumée du tabac est un obstacle important à l’expérimentation et à la consommation initiales. Des documents de l’industrie du tabac ont montré que de grands efforts avaient été faits pour atténuer ces caractéristiques déplaisantes. On peut atténuer l’âpreté de la fumée de diverses manières, par exemple en ajoutant divers ingrédients, en éliminant les substances qui sont connues pour avoir des propriétés irritantes, en compensant l’irritation par d’autres effets sensoriels agréables ou en modifiant les propriétés chimiques des émissions des produits du tabac par l’adjonction ou la suppression de substances spécifiques.

[...]

En masquant l’âpreté de la fumée du tabac par des arômes, on contribue à favoriser et à entretenir le tabagisme. Les aromatisants utilisés sont par exemple le benzaldéhyde, le maltol, le menthol et la vanilline.

On peut également utiliser des épices et des extraits végétaux pour améliorer le goût des produits du tabac, par exemple de la cannelle, du gingembre et de la menthe.

Recommandation

Les Parties devraient réglementer, en la limitant ou en l’interdisant, l’utilisation d’ingrédients pouvant servir à améliorer le goût des produits du tabac.

[...]»

La directive 2014/40

7

Les considérants 4, 7, 15 à 17, 33 et 60 de la directive 2014/40, énoncent:

«(4)

Dans d’autres domaines, d’importants écarts subsistent entre les dispositions législatives, réglementaires et administratives des différents États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, ce qui fait obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur. Au vu de l’évolution de la science, du marché et du contexte international, ces divergences devraient s’accroître. Il en va de même des cigarettes électroniques et des flacons de recharge pour cigarettes électroniques (ci-après dénommés “flacons de recharge”), des produits à fumer à base de plantes, des ingrédients et émissions des produits du tabac, de certains aspects de l’étiquetage et du conditionnement ainsi que de la vente transfrontalière à distance de produits du tabac.

[...]

(7)

L’action législative au niveau de l’Union est également nécessaire pour mettre en œuvre la [CCLAT], à laquelle sont parties l’Union et ses États membres, et pour lesquels les dispositions de cette convention-cadre sont contraignantes. Il convient de tenir tout particulièrement compte des dispositions de la CCLAT portant sur la réglementation de la composition des produits du tabac, la réglementation des informations sur les produits du tabac à communiquer, le conditionnement et l’étiquetage des produits du tabac, la publicité et le commerce illicite des produits du tabac. Les parties à la CCLAT, comprenant l’Union et ses États membres, ont adopté une série de directives sur l’application des dispositions de la CCLAT par consensus lors de différentes conférences.

[...]

(15)

L’absence de stratégie harmonisée concernant la réglementation relative aux ingrédients des produits du tabac nuit au bon fonctionnement du marché intérieur et a une incidence négative sur la libre circulation des biens dans l’Union. Certains États membres ont adopté des textes législatifs ou conclu des accords contraignants avec le secteur en vue d’autoriser ou d’interdire certains ingrédients. Il s’ensuit que certains ingrédients sont soumis à une réglementation dans certains États membres et non dans les autres. Les États membres réservent en outre des traitements différents aux additifs présents dans les filtres des cigarettes, ainsi qu’à ceux qui colorent la fumée du tabac. Faute d’harmonisation, les entraves au bon fonctionnement du marché intérieur devraient s’accroître dans les années à venir, compte tenu de la mise en œuvre de la CCLAT et de ses directives d’application pertinentes dans l’Union, et compte tenu de l’expérience acquise dans d’autres juridictions, hors de l’Union. Les directives de la CCLAT concernant la réglementation relative au contenu des ingrédients des produits du tabac et à la réglementation des informations sur les produits du tabac à communiquer appellent notamment à la suppression des ingrédients utilisés pour améliorer le goût du produit et pour créer l’impression qu’il a des effets bénéfiques sur la santé, des ingrédients associés à l’énergie et à la vitalité ou encore de ceux qui ont des propriétés colorantes.

(16)

Les inquiétudes qui entourent les produits du tabac contenant un arôme caractérisant autre que celui du tabac, qui pourrait faciliter l’initiation à la consommation de tabac ou avoir une incidence sur les habitudes de consommation, augmentent encore le risque de réglementations divergentes. Il convient d’éviter les mesures instaurant des différences de traitement injustifiées entre différents types de cigarettes aromatisées. Toutefois, la suppression des produits contenant un arôme caractérisant présentant un volume de ventes élevé devrait s’étaler sur une période étendue, pour accorder aux consommateurs le temps nécessaire pour passer à d’autres produits.

(17)

L’interdiction des produits du tabac contenant des arômes caractérisants n’exclut pas l’utilisation d’additifs individuellement, mais oblige les fabricants à réduire la quantité d’additifs ou de combinaison d’additifs utilisée, de telle sorte que ceux-ci ne produisent plus de tels arômes. [...]

[...]

(33)

Les ventes à distance transfrontalières de produits du tabac pourraient faciliter l’accès à des produits du tabac qui ne sont pas conformes à la présente directive. Elles comportent aussi un risque accru que les jeunes aient accès aux produits du tabac. Par conséquent, la législation en faveur de la lutte antitabac risque d’être fragilisée. Les États membres devraient donc être autorisés à interdire les ventes à distance transfrontalières. Lorsque les ventes à distance transfrontalières ne sont pas interdites, l’établissement de règles communes concernant l’enregistrement des détaillants qui procèdent à ce type de ventes est approprié afin de garantir l’efficacité de la présente directive. [...]

[...]

(60)

Étant donné que les objectifs de la présente directive, à savoir le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente du tabac et des produits connexes, ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison de leurs dimensions et effets, l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’il est énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.»

8

L’article 1er de la directive 2014/40, intitulé «Objet», dispose:

«La présente directive a pour objectif le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant:

a)

les ingrédients et émissions des produits du tabac et les obligations de déclaration y afférentes, notamment les niveaux d’émissions maximaux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone pour les cigarettes;

b)

certains aspects de l’étiquetage et du conditionnement des produits du tabac, notamment les avertissements sanitaires devant figurer sur les unités de conditionnement et sur tout emballage extérieur, ainsi que les dispositifs de traçabilité et de sécurité qui s’appliquent aux produits du tabac afin de garantir le respect de la présente directive par ceux-ci;

c)

l’interdiction de mettre sur le marché les produits du tabac à usage oral;

d)

la vente à distance transfrontalière de produits du tabac;

e)

l’obligation de soumettre une notification concernant les nouveaux produits du tabac;

f)

la mise sur le marché et l’étiquetage de certains produits connexes des produits du tabac, à savoir les cigarettes électroniques et les flacons de recharge, et les produits à fumer à base de plantes;

en vue de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes, et de respecter les obligations de l’Union découlant de la [CCLAT].»

9

L’article 2 de ladite directive, intitulé «Définitions», prévoit, à son point 25, que, aux fins de la même directive, on entend par:

«‘arôme caractérisant’, une odeur ou un goût clairement identifiable autre que celle ou celui du tabac, provenant d’un additif ou d’une combinaison d’additifs, notamment à base de fruits, d’épices, de plantes aromatiques, d’alcool, de confiseries, de menthol ou de vanille (liste non exhaustive), et qui est identifiable avant ou pendant la consommation du produit du tabac».

10

L’article 6 de la directive 2014/40, intitulé «Liste prioritaire d’additifs et obligations de déclaration renforcées», précise:

«1.   Outre les obligations de déclaration établies à l’article 5, des obligations de déclaration renforcées s’appliquent à certains additifs contenus dans les cigarettes et le tabac à rouler figurant sur une liste prioritaire. [...]

[...]

2.   Les États membres exigent des fabricants et des importateurs de cigarettes ou de tabac à rouler contenant un additif figurant sur la liste prioritaire prévue au paragraphe 1 qu’ils réalisent des études approfondies visant à examiner, pour chaque additif, si celui-ci:

[...]

b)

produit un arôme caractérisant;

[...]»

11

L’article 7 de ladite directive, intitulé «Réglementation relative aux ingrédients», prévoit:

«1.   Les États membres interdisent la mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant.

Les États membres n’interdisent pas le recours aux additifs essentiels à la fabrication de produits du tabac, par exemple le sucre destiné à remplacer le sucre perdu au cours du processus de séchage, dès lors que ces additifs ne confèrent pas au produit un arôme caractérisant et qu’ils n’augmentent pas de manière significative ou mesurable la toxicité des produits du tabac, l’effet de dépendance qu’ils exercent ou leurs propriétés [cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction].

Les États membres notifient à la Commission les mesures prises en vertu du présent paragraphe.

2.   La Commission détermine, à la demande d’un État membre, ou peut déterminer, de sa propre initiative, au moyen d’actes d’exécution, si un produit du tabac relève du champ d’application du paragraphe 1. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 25, paragraphe 2.

3.   La Commission adopte des actes exécution établissant des règles uniformes relatives aux procédures permettant de déterminer si un produit relève ou non du champ d’application du paragraphe 1. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 25, paragraphe 2.

4.   Un panel consultatif indépendant est mis en place au niveau de l’Union. Les États membres et la Commission peuvent consulter ce panel avant d’adopter une mesure au titre des paragraphes 1 et 2 du présent article. La Commission adopte des actes d’exécution établissant les procédures pour la mise en place et le fonctionnement de ce panel.

Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 25, paragraphe 2.

5.   Lorsque la teneur ou la concentration de certains additifs ou d’une combinaison d’additifs est telle qu’elle entraîne des interdictions conformément au paragraphe 1 du présent article dans au moins trois États membres, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 27 pour fixer des teneurs maximales applicables à ces additifs ou à cette combinaison d’additifs produisant l’arôme caractérisant.

[...]

7.   Les États membres interdisent la mise sur le marché de produits du tabac contenant des arômes dans l’un de leurs composants tels que les filtres, le papier, le conditionnement et les capsules, ou tout dispositif technique permettant de modifier l’odeur ou le goût des produits du tabac concernés ou leur intensité de combustion. [...]

[...]

12.   Les produits du tabac autres que les cigarettes et le tabac à rouler sont exemptés des interdictions visées aux paragraphes 1 et 7. La Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 27 pour retirer cette exemption pour une catégorie particulière de produits en cas d’évolution notable de la situation établie par un rapport de la Commission.

13.   Les États membres et la Commission peuvent percevoir des redevances proportionnelles auprès des fabricants et des importateurs de produits du tabac pour évaluer si un produit du tabac contient un arôme caractérisant, si des additifs ou des arômes interdits sont utilisés et si un produit du tabac contient des additifs dans des quantités qui augmentent de manière significative et mesurable ses effets toxiques, l’effet de dépendance qu’il engendre ou ses propriétés [cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction].

14.   En ce qui concerne les produits du tabac contenant un arôme caractérisant particulier, dont le volume des ventes à l’échelle de l’Union représente 3 % ou plus dans une catégorie de produits déterminée, les dispositions du présent article s’appliquent à compter du 20 mai 2020.

[...]»

12

L’article 13 de la directive 2014/40, intitulé «Présentation du produit», est libellé comme suit:

«1.   L’étiquetage des unités de conditionnement, tout emballage extérieur ainsi que le produit du tabac proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément ou dispositif qui:

[...]

c)

évoque un goût, une odeur, tout arôme ou tout autre additif, ou l’absence de ceux-ci;

[...]»

13

L’article 18 de ladite directive, intitulé «Vente à distance transfrontalière de produits du tabac», prévoit, notamment, à son paragraphe 1, que les États membres peuvent interdire la vente à distance transfrontalière de produits du tabac aux consommateurs.

14

En vertu de l’article 29 de la même directive, les dispositions de celle-ci doivent être transposées dans les ordres juridiques nationaux des États membres au plus tard le 20 mai 2016 et entrer en vigueur à compter de cette date.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

15

La République de Pologne demande à la Cour:

d’annuler les articles 2, point 25, 6, paragraphe 2, sous b), 7, paragraphes 1 à 5, 7, première phrase, et 12 à 14, ainsi que 13, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/40 (ci-après, conjointement, les «dispositions attaquées») et

de condamner le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne aux dépens.

16

Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour:

de rejeter le recours et

de condamner la République de Pologne aux dépens.

17

Le Parlement et le Conseil demandent, à titre subsidiaire, à ce que la Cour, au cas où elle entendrait annuler les dispositions attaquées de la directive 2014/40, ordonne, conformément à l’article 264, second alinéa, TFUE, que les effets de celles-ci soient maintenus jusqu’à ce qu’une nouvelle réglementation soit adoptée dans le domaine en cause.

18

Par décisions du 11 décembre 2014, la Roumanie a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne, alors que la République française, l’Irlande, le Royaume-Uni ainsi que la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

Sur le recours

19

Au soutien de sa demande d’annulation, la République de Pologne soulève trois moyens tirés de la méconnaissance, respectivement, de l’article 114 TFUE, du principe de proportionnalité et du principe de subsidiarité.

Sur la recevabilité

20

Le Conseil excipe de l’irrecevabilité d’un moyen que la République de Pologne aurait tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, au motif que ce moyen aurait été soulevé tardivement, dans le mémoire en réplique, et constituerait donc un moyen nouveau au sens de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

21

Cette exception d’irrecevabilité procède cependant d’une lecture erronée des moyens et des arguments invoqués par la République de Pologne. S’il est certes vrai que cet État membre a fait valoir à plusieurs reprises, notamment dans sa requête, que les produits du tabac mentholés se trouvent dans une situation particulière, différente de celle des autres produits du tabac contenant un arôme caractérisant, il n’a pas soulevé de moyen distinct tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, ainsi qu’il l’a d’ailleurs confirmé lors de l’audience, mais s’est borné à étayer, par cette argumentation, les trois moyens qui ont été soulevés.

22

Dans ces conditions, l’exception d’irrecevabilité doit être écartée.

Sur la légalité des dispositions attaquées

Sur le premier moyen, tiré de la méconnaissance de l’article 114 TFUE

– Argumentation des parties

23

La République de Pologne fait valoir que l’article 114 TFUE ne constitue pas une base juridique appropriée pour l’adoption des dispositions attaquées de la directive 2014/40, dans la mesure où ces dernières interdisent la mise sur le marché de produits du tabac contenant du menthol en tant qu’arôme caractérisant ou sont étroitement liées à cette interdiction.

24

À cet égard, la République de Pologne estime que le législateur de l’Union aurait dû, aux fins de l’adoption de ladite directive, distinguer les produits du tabac contenant du menthol de ceux contenant un autre arôme caractérisant en raison, premièrement, de la présence des premiers de longue date sur le marché qui leur conférerait un caractère «traditionnel», deuxièmement, de leurs qualités gustatives différentes, le menthol n’éliminant pas complètement le goût et l’odeur du tabac, et, troisièmement, du fait qu’ils ne seraient pas aussi attrayants pour les jeunes que les autres produits du tabac contenant un arôme caractérisant.

25

Compte tenu de ce qui précède, la République de Pologne fait valoir, tout d’abord, que le législateur de l’Union n’a pas démontré l’existence de divergences, à la date de l’adoption de la même directive, entre les réglementations nationales en ce qui concerne spécifiquement l’utilisation du menthol en tant qu’additif dans les produits du tabac. Ensuite, il n’existerait pas non plus de raisons objectives permettant d’établir qu’il est vraisemblable qu’apparaissent, dans le futur, des divergences entre ces réglementations. Enfin, la notion d’«arôme caractérisant» n’étant pas suffisamment précisée dans la directive 2014/40, la transposition et l’application de celle-ci au niveau national feraient apparaître des divergences entre les réglementations et les pratiques nationales en la matière.

26

La Roumanie estime que les dispositions attaquées n’ont pas pour objectif d’améliorer les conditions du fonctionnement du marché intérieur ainsi que l’exige l’article 114 TFUE mais visent, à titre principal, à assurer un niveau élevé de protection de la santé, alors même que l’article 168, paragraphe 5, TFUE exclut toute harmonisation dans ce domaine. En effet, compte tenu des écarts significatifs entre les niveaux de consommation de produits du tabac mentholés dans les États membres, de la part de marché négligeable de ces produits et de la faible importance des échanges intracommunautaires, l’interdiction de la mise sur le marché desdits produits ne contribuerait pas au bon fonctionnement du marché intérieur.

27

Le Parlement, le Conseil et la Commission font valoir, premièrement, que, le législateur de l’Union ayant décidé de traiter de façon identique tous les arômes, il conviendrait de vérifier l’existence de divergences entre les réglementations nationales de nature à avoir une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne tous les additifs pouvant conférer un arôme caractérisant, pris dans leur ensemble. Or, selon ces institutions, l’Irlande et le Royaume-Uni, l’existence de telles divergences ressort clairement de l’analyse d’impact du 19 décembre 2012 établie par la Commission et accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes [SWD (2012) 452 final, ci-après l’«analyse d’impact»].

28

Deuxièmement, il serait vraisemblable que les réglementations nationales en la matière évoluent de façon hétérogène au regard, en particulier, des directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT. À titre d’exemple, la République fédérale d’Allemagne aurait interdit la mise sur le marché des capsules de menthol.

29

Troisièmement, le Parlement, le Conseil et la Commission font valoir que la notion d’«arôme caractérisant» est définie de manière générale et abstraite. Il appartiendrait aux États membres, en coopération avec la Commission et selon les critères établis par celle-ci, d’identifier spécifiquement les produits contenant un tel arôme. À cet égard, les mécanismes instaurés par l’article 7, paragraphes 2 et 5, de la directive 2014/40 permettraient de garantir la sécurité juridique et l’application uniforme de l’interdiction des arômes caractérisants.

30

Enfin, ces institutions contestent l’allégation selon laquelle la part de marché des produits du tabac contenant un arôme caractérisant et les échanges intracommunautaires de ces produits seraient négligeables.

– Appréciation de la Cour

31

Aux termes de l’article 114, paragraphe 1, TFUE, le Parlement et le Conseil arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

32

À cet égard, si la simple constatation de disparités entre les réglementations nationales ne suffit pas pour justifier le recours à l’article 114 TFUE, il en va différemment en cas de divergences entre les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres qui sont de nature à entraver les libertés fondamentales et à avoir ainsi une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur [voir, en ce sens, arrêts Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, EU:C:2000:544, points 84 et 95; British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, points 59 et 60; Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 30; Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 29; Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 37; ainsi que Vodafone e.a., C‑58/08, EU:C:2010:321, point 32].

33

Il résulte également d’une jurisprudence constante que, si le recours à l’article 114 TFUE comme base juridique est possible en vue de prévenir des obstacles futurs aux échanges résultant de l’évolution hétérogène des législations nationales, l’apparition de tels obstacles doit être vraisemblable et la mesure en cause doit avoir pour objet leur prévention [arrêts British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 61; Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 31; Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 30; Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 38; ainsi que Vodafone e.a., C‑58/08, EU:C:2010:321, point 33].

34

La Cour a par ailleurs jugé que, dès lors que les conditions du recours à l’article 114 TFUE comme base juridique se trouvent remplies, le législateur de l’Union ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique du fait que la protection de la santé publique est déterminante dans les choix à opérer [arrêts British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 62; Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 32; Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 31, ainsi que Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 39].

35

Il convient de souligner, à cet égard, que l’article 168, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE prévoit qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et les actions de l’Union et que l’article 114, paragraphe 3, TFUE exige de façon expresse que, dans l’harmonisation réalisée, un niveau élevé de protection de la santé des personnes soit garanti [arrêts British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 62; Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 33; Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 32, ainsi que Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 40].

36

Il découle de ce qui précède que, lorsqu’il existe des obstacles aux échanges ou qu’il est vraisemblable que de tels obstacles vont surgir dans le futur, au motif que les États membres ont pris ou sont en train de prendre, à l’égard d’un produit ou d’une catégorie de produits des mesures divergentes de nature à assurer un niveau de protection différent et à entraver de ce fait la libre circulation du ou des produits dans l’Union, l’article 114 TFUE habilite le législateur de l’Union à intervenir en arrêtant les mesures appropriées dans le respect, d’une part, du paragraphe 3 de cet article et, d’autre part, des principes juridiques mentionnés dans le traité FUE ou dégagés par la jurisprudence, notamment du principe de proportionnalité (arrêts Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 34; Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 33, ainsi que Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 41).

37

Il y a lieu de relever également que, par l’expression «mesures relatives au rapprochement» figurant à l’article 114 TFUE, les auteurs du traité ont voulu conférer au législateur de l’Union, en fonction du contexte général et des circonstances spécifiques de la matière à harmoniser, une marge d’appréciation quant à la technique de rapprochement la plus appropriée afin d’aboutir au résultat souhaité, notamment dans des domaines qui se caractérisent par des particularités techniques complexes (voir arrêts Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 42, ainsi que Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑270/12, EU:C:2014:18, point 102).

38

En fonction des circonstances, ces mesures peuvent consister à obliger l’ensemble des États membres à autoriser la commercialisation du ou des produits concernés, à assortir une telle obligation d’autorisation de certaines conditions, voire à interdire, provisoirement ou définitivement, la commercialisation d’un ou de certains produits (arrêts Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 35; Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 34; Alliance for Natural Health e.a., C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 33, ainsi que Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 43).

39

C’est à la lumière de ces principes qu’il convient de vérifier si les conditions du recours à l’article 114 TFUE comme base juridique des dispositions attaquées de la directive 2014/40 sont réunies.

40

Les arguments invoqués par la République de Pologne au soutien de sa demande d’annulation concernent plus spécifiquement l’interdiction du menthol en tant qu’arôme caractérisant. Cette argumentation repose ainsi sur la prémisse selon laquelle les produits du tabac mentholés occupent une position particulière par rapport aux autres produits du tabac contenant un arôme caractérisant, de sorte que le législateur de l’Union ne pouvait avoir recours à l’article 114 TFUE en tant que base juridique de leur interdiction sans avoir établi au préalable qu’il existait des divergences réelles ou probables entre les réglementations des États membres en ce qui concerne la mise sur le marché des produits du tabac contenant, en particulier, du menthol.

41

Il y a donc lieu de vérifier, en premier lieu, si, pour que l’article 114 TFUE puisse constituer une base juridique appropriée pour l’adoption des dispositions attaquées, le législateur de l’Union devait démontrer l’existence de divergences entre les réglementations nationales en ce qui concerne spécifiquement les produits du tabac contenant du menthol en tant qu’arôme caractérisant, de nature à entraver la libre circulation des produits du tabac, ou la vraisemblance de l’apparition de telles divergences dans le futur.

42

Il convient de relever à cet égard que le législateur de l’Union a décidé d’adopter des règles uniformes pour l’ensemble des cigarettes du tabac et du tabac à rouler contenant un arôme caractérisant. Il a considéré, ainsi qu’il ressort du considérant 16 de la directive 2014/40, que ces produits pourraient faciliter l’initiation à la consommation de tabac ou avoir une incidence sur les habitudes de consommation.

43

En outre, le législateur de l’Union a tenu compte, ainsi qu’en atteste le considérant 15 de ladite directive, des directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT, qui appellent notamment à la suppression des ingrédients utilisés pour améliorer le goût du produit et pour créer l’impression qu’il a des effets bénéfiques sur la santé, des ingrédients associés à l’énergie et à la vitalité ou encore de ceux qui ont des propriétés colorantes.

44

Il convient de constater à cet égard que lesdites directives partielles n’établissent pas, non plus, de distinction entre les différents arômes pouvant être ajoutés dans les produits du tabac. Au contraire, il est recommandé, à la section 3.1.2.2 des mêmes directives partielles, de réglementer, en la limitant ou en l’interdisant, l’utilisation d’ingrédients pouvant servir à améliorer le goût des produits du tabac. Il y est fait explicitement référence au menthol en tant qu’arôme masquant l’âpreté de la fumée du tabac et contribuant à favoriser et à entretenir le tabagisme.

45

S’il est exact que les directives de la CCLAT n’ont pas de force contraignante, celles-ci ont pour objet, conformément aux articles 7 et 9 de la CCLAT, d’assister les parties contractantes aux fins de l’application des dispositions contraignantes de cette convention.

46

Par ailleurs, ces directives reposent sur les meilleures données scientifiques disponibles ainsi que sur l’expérience des parties à la CCLAT, ainsi qu’il ressort du point 1.1 de celles-ci, et ont été adoptées par consensus, y compris par l’Union et ses États membres, comme il est relevé au considérant 7 de la directive 2014/40.

47

Partant, les recommandations ainsi élaborées ont vocation à influencer de manière déterminante le contenu de la réglementation adoptée par l’Union dans le domaine en cause, ainsi que l’atteste la décision explicite du législateur de l’Union d’en tenir compte lors de l’adoption de la directive, dont il est fait état aux considérants 7 et 15 de la directive 2014/40.

48

Il résulte de ce qui précède que les produits du tabac contenant un arôme caractérisant, qu’il s’agisse du menthol ou d’un autre arôme, présentent, d’une part, des caractéristiques objectives analogues, et, d’autre part, des effets similaires sur l’initiation à la consommation de tabac et sur l’entretien du tabagisme.

49

Les objections émises à cet égard par la République de Pologne ne sauraient prospérer.

50

En effet, tout d’abord, la circonstance que les produits du tabac mentholés seraient des produits «traditionnels» du fait de leur présence de longue date sur le marché européen ne change en rien la constatation que leurs caractéristiques objectives sont, en substance, similaires à celles des autres produits du tabac contenant un arôme caractérisant, en ce que leur arôme masque ou atténue l’âpreté de la fumée du tabac.

51

De surcroît, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 54 de ses conclusions, s’il peut être justifié de soumettre certains produits, en raison de leur nouveauté, à un régime spécifique, voire plus strict (arrêts Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 69, et Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 71), il ne saurait toutefois en être déduit a contrario que les produits présents de longue date sur le marché doivent être, pour cette seule raison, assujettis à une réglementation moins stricte.

52

Ensuite, à supposer même que soit avérée l’allégation selon laquelle le menthol ne serait pas aussi attrayant pour les jeunes que d’autres arômes, ce que contestent d’ailleurs les parties défenderesses, celle-ci n’est pas concluante en tant que telle. En effet, il suffit d’observer que l’attractivité des produits en cause ne saurait être appréciée au regard uniquement des goûts et des habitudes d’un seul groupe de consommateurs en faisant abstraction des autres.

53

Il convient d’ajouter à cet égard que, selon les sections 3.1.2.1 et 3.1.2.2 des directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT, le menthol, par son arôme agréable, vise à rendre les produits du tabac plus attrayants pour les consommateurs et que la réduction de l’attractivité de ces produits peut contribuer à abaisser la prévalence du tabagisme et de la dépendance tant chez les nouveaux consommateurs que chez les consommateurs habituels.

54

Enfin, s’agissant de l’allégation selon laquelle les qualités gustatives des produits du tabac mentholés seraient différentes de celles des autres produits du tabac contenant un arôme caractérisant en ce que les premiers, à la différence des seconds, n’élimineraient pas complètement le goût et l’odeur du tabac, il convient de constater que celle-ci n’est pas suffisamment étayée. En effet, s’il ne peut être exclu que certains arômes altèrent à des degrés différents le goût ou l’odeur du tabac, il n’en reste pas moins que tous les arômes, y compris le menthol, masquent ou atténuent l’âpreté de la fumée du tabac et contribuent à favoriser et à entretenir le tabagisme, ainsi qu’il est relevé au point 44 du présent arrêt.

55

Dans ces conditions, l’argumentation de la République de Pologne tend, en réalité, à l’instauration de différences de traitement injustifiées au sein d’une même catégorie des produits du tabac dont les caractéristiques objectives et les effets sont similaires.

56

Dès lors, pour que l’article 114 TFUE puisse constituer une base juridique appropriée pour les dispositions attaquées de la directive 2014/40, il suffit que soit démontrée l’existence de divergences entre les réglementations nationales en ce qui concerne les produits du tabac contenant un arôme caractérisant, pris dans leur ensemble, de nature à entraver la libre circulation de ces produits, ou la vraisemblance de l’apparition future de telles divergences.

57

En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’existence de telles divergences, il convient de constater qu’il ressort du considérant 15 de ladite directive, ainsi que de l’analyse d’impact, mentionnée au point 27 du présent arrêt (1re partie, p. 34, et 4e partie, p. 6 et suivantes), qu’il existait, lorsque la même directive a été adoptée, des divergences importantes entre les réglementations des États membres, certains d’entre eux ayant établi différentes listes d’arômes autorisés ou interdits, alors que d’autres n’ont pas adopté de réglementation particulière sur ce point.

58

De même, il paraît vraisemblable que, en l’absence de mesures prises au niveau de l’Union, des régimes disparates applicables aux produits du tabac contenant un arôme caractérisant, y compris le menthol, auraient été mis en œuvre au niveau national.

59

En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 44 du présent arrêt, les directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT recommandent aux parties de «réglementer, en la limitant ou en l’interdisant, l’utilisation d’ingrédients pouvant servir à améliorer le goût des produits du tabac», y compris du menthol.

60

En laissant ainsi une marge importante d’appréciation aux parties contractantes, ces directives partielles permettent de prévoir, avec suffisamment de vraisemblance, que, en l’absence de mesures prises au niveau de l’Union, les réglementations nationales en la matière auraient pu évoluer de manière hétérogène, y compris en ce qui concerne l’utilisation du menthol.

61

Or, en interdisant la mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant, l’article 7 de la directive 2014/40 prévient précisément une telle évolution hétérogène des réglementations des États membres.

62

En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argument selon lequel les dispositions attaquées ne viseraient pas à améliorer les conditions de fonctionnement du marché intérieur, contrairement à ce qu’exige l’article 114 TFUE, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le marché des produits du tabac est un marché dans lequel les échanges entre les États membres représentent une part relativement importante et que, dès lors, les règles nationales relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces produits, notamment celles qui concernent leur composition, sont par nature susceptibles, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, de constituer des obstacles à la libre circulation des marchandises [voir, en ce sens, arrêt British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 64].

63

Il convient également de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 38 du présent arrêt, les mesures pouvant être adoptées sur le fondement de l’article 114 TFUE peuvent, notamment, consister à interdire, provisoirement ou définitivement, la commercialisation d’un ou de certains produits.

64

Partant, l’élimination des divergences entre les réglementations nationales en ce qui concerne la composition des produits du tabac ou la prévention de l’évolution hétérogène de celles-ci, y compris par l’interdiction, à l’échelle de l’Union, de certains additifs, vise à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits concernés.

65

S’agissant, en quatrième lieu, de l’allégation selon laquelle l’interdiction des arômes caractérisants conduirait non pas à l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur mais, au contraire, à l’apparition de divergences en la matière au niveau national lors de la transposition de la directive 2014/40 en raison de l’imprécision de la notion d’«arôme caractérisant», il convient de relever que celle-ci est définie à l’article 2, point 25, de cette directive, comme signifiant «une odeur ou un goût clairement identifiable autre que celle ou celui du tabac, provenant d’un additif ou d’une combinaison d’additifs, notamment à base de fruits, d’épices, de plantes aromatiques, d’alcool, de confiseries, de menthol ou de vanille (liste non exhaustive), et qui est identifiable avant ou pendant la consommation du produit du tabac».

66

L’article 7, paragraphes 2 à 5, de ladite directive, prévoit trois mécanismes ayant pour objet la détermination des produits du tabac contenant un tel arôme. Ainsi, premièrement, en vertu du paragraphe 2 de cet article 7, la Commission détermine, à la demande d’un État membre, ou peut déterminer, de sa propre initiative, au moyen d’actes d’exécution, si un produit du tabac relève du champ d’application de l’interdiction des arômes caractérisants. Deuxièmement, il incombe à la Commission, conformément au paragraphe 3 du même article, d’adopter des actes d’exécution établissant des règles uniformes relatives aux procédures permettant de déterminer si un produit relève ou non du champ d’application de cette interdiction. Troisièmement, lorsque la teneur ou la concentration de certains additifs ou d’une combinaison d’additifs est telle qu’elle entraîne des interdictions de mise sur le marché dans au moins trois États membres, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués pour fixer des teneurs maximales applicables à ces additifs ou à cette combinaison d’additifs produisant l’arôme caractérisant.

67

Ainsi, il convient de constater que lesdits mécanismes visent précisément à établir des règles communes en matière de produits de tabac contenant un arôme caractérisant afin de prévenir l’apparition éventuelle de divergences lors de la transposition ou de l’application de la même directive ou d’éliminer ces divergences dans l’hypothèse où celles-ci devraient surgir.

68

Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, l’article 114 TFUE confère au législateur de l’Union une marge d’appréciation quant à la technique de rapprochement la plus appropriée afin d’aboutir au résultat souhaité, notamment dans des domaines qui se caractérisent par des particularités techniques complexes.

69

En l’occurrence, rien n’indique que le législateur de l’Union n’ait pas respecté cette marge d’appréciation en instaurant les mécanismes décrits au point 66 du présent arrêt. Au contraire, ces mécanismes dynamiques présentent des avantages par rapport à l’adoption, préconisée par la République de Pologne, de listes d’arômes interdits ou autorisés, qui sont susceptibles d’être rapidement rendues caduques par l’évolution constante des stratégies commerciales des fabricants ou facilement contournées.

70

Il résulte des considérations qui précèdent que le premier moyen, tiré de la méconnaissance de l’article 114 TFUE, doit être écarté.

Sur le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité

– Argumentation des parties

71

La République de Pologne et la Roumanie font valoir, en premier lieu, que l’interdiction de mise sur le marché de produits du tabac mentholés ne constitue pas une mesure apte à réaliser les objectifs poursuivis par la directive 2014/40, puisque, pour les motifs indiqués au point 25, dernière phrase, du présent arrêt, elle conduirait à l’apparition d’obstacles aux échanges. En outre, cette interdiction ne serait pas non plus appropriée pour garantir un niveau élevé de protection de la santé parce que, d’une part, les produits du tabac mentholés ne seraient pas aussi attrayants pour les jeunes que les autres produits du tabac contenant un arôme caractérisant et que, d’autre part, leur interdiction n’entraînerait pas une réduction significative du nombre de fumeurs, dont une large partie se tournerait, selon toute vraisemblance, vers des produits du tabac dépourvus d’arôme caractérisant. De surcroît, l’interdiction en cause provoquerait l’essor des ventes clandestines des produits interdits.

72

En deuxième lieu, ces États membres reprochent au législateur de l’Union d’avoir imposé la mesure la plus contraignante sans avoir étudié la possibilité de privilégier d’autres mesures moins restrictives, telles que l’élévation, au niveau de l’Union, des limites d’âge au-delà desquelles la consommation de produits du tabac mentholés est autorisée, l’interdiction des ventes transfrontalières de ces produits et l’inscription sur leur étiquetage d’un avertissement indiquant que ceux-ci sont aussi nocifs que les autres produits du tabac.

73

En troisième lieu, de l’avis desdits États membres, les coûts sociaux et économiques de l’interdiction de la mise sur le marché de produits du tabac mentholés, en termes de pertes d’emplois et de revenus, sont disproportionnés par rapport aux avantages éventuels qui pourraient découler de cette interdiction, en particulier à l’égard de certains États membres, dont la Pologne, où la fabrication et la consommation de produits du tabac mentholés sont importantes.

74

Le Parlement, le Conseil, la Commission ainsi que la République française, l’Irlande et le Royaume-Uni font valoir que l’interdiction en cause est apte à atteindre l’objectif poursuivi par la directive 2014/40.

75

Ils considèrent qu’aucune des mesures moins contraignantes préconisées par la République de Pologne ne serait susceptible d’atteindre l’objectif visé de manière aussi efficace.

76

Selon le Parlement, le seul fait que l’interdiction en cause puisse engendrer des coûts plus importants dans certains États membres que dans d’autres ne suffit pas à démontrer le caractère disproportionné de cette interdiction. En tout état de cause, les effets de ladite interdiction sur le marché des produits du tabac ne seraient pas aussi importants qu’il est allégué, compte tenu du fait, d’une part, que beaucoup de fumeurs se tourneraient vers les produits du tabac non aromatisés et, d’autre part, que la période transitoire prévue à l’article 7, paragraphe 14, de la directive 2014/40 permettrait aux opérateurs de s’adapter aux nouvelles règles.

77

Le Conseil et la Commission ajoutent que, selon l’analyse d’impact, l’interdiction en cause entraînerait une baisse de 0,5 % à 0,8 % de la consommation de cigarettes en cinq ans, laquelle n’est pas de nature à entraîner la survenance de conséquences disproportionnées pour l’industrie de tabac. En outre, certaines des conséquences négatives de l’interdiction en cause pourraient être compensées par des mesures de soutien financier accordées au titre du programme de développement rural.

– Appréciation de la Cour

78

Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [voir, en ce sens, arrêts British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 122; ERG e.a., C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, point 86, ainsi que Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 67 et 91].

79

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point précédent du présent arrêt, il convient de reconnaître au législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation dans un domaine tel que celui de l’espèce, qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lequel il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure [voir, en ce sens, arrêt British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 123].

80

S’agissant, en premier lieu, du caractère approprié de l’interdiction de la mise sur le marché de produits du tabac contenant du menthol en tant qu’arôme caractérisant, il y a lieu de relever que celle-ci poursuit, selon l’article 1er de la directive 2014/40, un double objectif, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes.

81

Il convient de constater à cet égard, d’une part, ’que, ainsi qu’il découle des points 61 à 64 du présent arrêt, l’interdiction de mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant est apte à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes.

82

D’autre part, cette interdiction est également appropriée pour assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes. En effet, il n’est pas contesté que certains arômes sont particulièrement attrayants pour ces derniers et qu’ils facilitent l’initiation à la consommation de tabac.

83

L’argumentation de la République de Pologne tendant à démontrer, d’une part, que les jeunes n’éprouveraient pas d’attrait pour le menthol de sorte que l’utilisation de celui-ci ne faciliterait pas l’initiation à la consommation du tabac et, d’autre part, que l’interdiction de cet arôme ne contribuerait pas à la réduction du nombre de fumeurs ne saurait prospérer.

84

En effet, cette argumentation est inopérante, étant donné que, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 56 du présent arrêt, le législateur de l’Union pouvait valablement soumettre l’ensemble des arômes caractérisants au même régime juridique. Partant, l’aptitude de cette interdiction à atteindre l’objectif de protection de la santé humaine ’que celle-ci poursuit ne saurait être remise en cause uniquement pour un arôme donné.

85

Par ailleurs, selon les directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT, auxquelles, en raison des constatations faites au point 46 du présent arrêt, il convient de reconnaître une valeur probante particulièrement élevée, le menthol, parmi d’autres arômes, contribue à favoriser et à entretenir le tabagisme et vise, par son caractère agréable, à rendre les produits du tabac plus attrayants pour les consommateurs.

86

Or, la directive 2014/40 vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé pour l’ensemble des consommateurs, de sorte que son aptitude à atteindre cet objectif ne saurait être appréciée au regard uniquement d’une seule catégorie de consommateurs.

87

En outre, l’argument selon lequel l’interdiction de la mise sur le marché de produits du tabac contenant du menthol ne contribuerait pas à la réduction du nombre de fumeurs, à le supposer établi, ne saurait non plus prospérer puisqu’il méconnaît la fonction préventive de cette interdiction qui est de réduire l’initiation à la consommation de tabac.

88

S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel l’interdiction des arômes caractérisants provoquera l’essor des ventes clandestines des produits du tabac aromatisés, il convient de constater que celui-ci ne tient pas suffisamment compte des mécanismes instaurés par la directive 2014/40, notamment à ses articles 15 et 16, pour faire face à ce risque.

89

Partant, ladite interdiction ne saurait être considérée comme manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes.

90

S’agissant, en deuxième lieu, du caractère nécessaire de la même interdiction, il convient de rappeler, d’une part, que, ainsi qu’il a été relevé au point 44 du présent arrêt, les directives partielles pour l’application des articles 9 et 10 de la CCLAT recommandent aux parties à la CCLAT, notamment, d’interdire l’utilisation d’ingrédients, tels que le menthol, pouvant servir à améliorer le goût des produits du tabac. En outre, conformément à la section 1.1 de ces directives partielles, les parties à cette convention-cadre sont encouragées à appliquer des mesures allant au-delà de celles recommandées par lesdites directives.

91

Le législateur de l’Union pouvait donc légitimement, en tenant compte de ces recommandations et dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, imposer une interdiction de tout arôme caractérisant.

92

D’autre part, en ce qui concerne les mesures moins contraignantes préconisées par la République de Pologne, il convient de relever que celles-ci n’apparaissent pas tout aussi aptes à réaliser l’objectif poursuivi.

93

En effet, l’élévation, pour les seuls produits du tabac contenant un arôme caractérisant, de la limite d’âge à partir de laquelle leur consommation est autorisée n’est pas susceptible de réduire l’attractivité de ces produits et, dès lors, de prévenir l’initiation à la consommation de tabac des personnes dont l’âge est supérieur au seuil retenu. De surcroît, l’interdiction de vente résultant d’une telle élévation de la limite d’âge peut, en tout état de cause, être aisément contournée lors de la commercialisation desdits produits.

94

La possibilité d’interdire la vente transfrontalière des produits du tabac est, quant à elle, déjà prévue à l’article 18 de la directive 2014/40. Ainsi que cela ressort du considérant 33 de celle-ci, une telle interdiction vise notamment à prévenir les contournements des règles de conformité des produits du tabac établies par cette directive. Cependant, elle n’est pas, en tant que telle, apte à assurer un niveau élevé de protection de la santé, puisque, en l’absence d’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac contenant un arôme caractérisant, ceux-ci continueraient d’attirer les consommateurs.

95

Quant à l’apposition sur l’étiquetage d’un avertissement sanitaire indiquant que les produits du tabac contenant un arôme caractérisant sont aussi nocifs pour la santé que les autres produits du tabac, celle-ci n’apparaît pas tout aussi apte à protéger la santé des consommateurs que l’interdiction de mise sur le marché de produits du tabac contenant un tel arôme, dès lors que la présence de cet arôme est, par nature, susceptible de favoriser et d’entretenir le tabagisme, ainsi que cela ressort du point 44 du présent arrêt.

96

Partant, il y a lieu de constater que l’interdiction de mise sur le marché des produits du tabac contenant un arôme caractérisant ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé.

97

S’agissant, en troisième lieu, des effets prétendument disproportionnés de l’interdiction de l’utilisation du menthol en tant qu’arôme caractérisant, en raison des conséquences économiques et sociales négatives que cette interdiction entraînerait, il convient de rappeler que, même en présence, comme en l’espèce, d’un large pouvoir normatif, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens, arrêt Luxembourg/Parlement et Conseil, C‑176/09, EU:C:2011:290, point 63 et jurisprudence citée).

98

En effet, en vertu de l’article 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE, les projets d’actes législatifs doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre.

99

En l’occurrence, il convient de constater que le législateur de l’Union a veillé à ce que les conséquences économiques et sociales négatives de l’interdiction de mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant soient atténuées.

100

Ainsi, premièrement, afin d’accorder tant à l’industrie du tabac qu’aux consommateurs une période d’adaptation, l’article 7, paragraphe 14, de la directive 2014/40 prévoit que, en ce qui concerne les produits du tabac contenant un arôme caractérisant particulier, dont le volume des ventes à l’échelle de l’Union représente 3 % ou plus dans une catégorie de produits déterminée, l’interdiction de ces produits ne s’applique qu’à partir du 20 mai 2020.

101

Deuxièmement, il ressort de l’analyse d’impact (partie 1, p. 114 et partie 6, p. 2), non contestée sur ce point, que cette interdiction se traduirait par une baisse de 0,5 % à 0,8 % de la consommation de cigarettes dans l’Union pendant une période de cinq années.

102

Ces éléments démontrent que le législateur de l’Union a procédé à une mise en balance entre, d’une part, les conséquences économiques de ladite interdiction et, d’autre part, l’impératif d’assurer, conformément à l’article 114, paragraphe 3, TFUE, un niveau élevé de protection de la santé en ce qui concerne un produit caractérisé par ses propriétés cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.

103

Au demeurant, il importe de préciser que le seul fait qu’un acte législatif de l’Union serait de nature à affecter davantage un État membre que d’autres n’est pas susceptible de porter atteinte au principe de proportionnalité, dès lors que les conditions rappelées au point 78 du présent arrêt sont remplies. En effet, la directive 2014/40 a un impact dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cette directive, soit assuré. Dès lors, la recherche d’un tel équilibre prenant en considération non pas la situation particulière d’un seul État membre, mais celle de l’ensemble des États membres de l’Union, ne saurait être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 39).

104

Il résulte des considérations qui précèdent que le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité, doit être écarté.

Sur le troisième moyen, tiré de la méconnaissance du principe de subsidiarité

– Argumentation des parties

105

La République de Pologne et la Roumanie font valoir que l’appréciation du principe de subsidiarité doit être effectuée uniquement au regard de l’objectif de protection de la santé publique, puisque, en l’absence de divergences entre les réglementations nationales en ce qui concerne les produits du tabac mentholés, ainsi que cela aurait été démontré dans le cadre du premier moyen, l’objectif d’amélioration des conditions de fonctionnement du marché intérieur serait devenu sans objet.

106

Compte tenu des écarts importants dans la consommation de ces produits entre les États membres, les effets sociaux, économiques et sur la santé publique de leur interdiction revêtiraient un caractère essentiellement local, de sorte qu’une action entreprise au niveau des États membres dans lesquels la consommation desdits produits est significative aurait été plus efficace.

107

En outre, la République de Pologne estime que l’énoncé du considérant 60 de la directive 2014/40 est une formule type dépourvue de portée concrète au regard du principe de subsidiarité.

108

Le Parlement, le Conseil, le Royaume-Uni et la Commission font valoir que l’argumentation sous-tendant le troisième moyen serait inopérante dans son ensemble puisque, contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, ladite directive aurait non pas pour objectif la protection de la santé publique mais l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine.

109

Or, il aurait été démontré à suffisance de droit, notamment dans l’analyse d’impact, mentionnée au point 27 du présent arrêt, que les divergences entre les réglementations nationales justifiaient une action au niveau de l’Union afin d’améliorer les conditions de fonctionnement du marché intérieur. La circonstance que les conséquences d’une telle réglementation seraient plus fortement ressenties dans certains États membres que dans d’autres ne saurait suffire pour démontrer que le principe de subsidiarité a été méconnu.

110

S’agissant de la motivation du respect du principe de subsidiarité, le Parlement, le Conseil, le Royaume-Uni et la Commission font valoir qu’il convient de tenir compte non seulement du considérant 60 de la directive 2014/40, mais aussi des considérants 4, 7, 15 et 16 de celle-ci, qui, bien qu’ils ne se réfèrent pas au principe de subsidiarité, démontreraient la nécessité d’agir au niveau de l’Union.

– Appréciation de la Cour

111

Le principe de subsidiarité est énoncé à l’article 5, paragraphe 3, TUE, en vertu duquel l’Union n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau de l’Union. Le protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE établit, par ailleurs, à son article 5, des lignes directrices pour déterminer si ces conditions sont remplies (arrêt Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 44).

112

Le contrôle du respect du principe de subsidiarité est exercé, dans un premier temps, au niveau politique, par les parlements nationaux selon les procédures établies à cette fin par ce protocole.

113

Dans un second temps, ce contrôle revient au juge de l’Union qui doit vérifier tant le respect des conditions de fond énoncées à l’article 5, paragraphe 3, TUE que le respect des garanties procédurales prévues audit protocole.

114

S’agissant, en premier lieu, du contrôle juridictionnel du respect des conditions de fond prévues à l’article 5, paragraphe 3, TUE, la Cour doit vérifier si le législateur de l’Union pouvait considérer, sur la base d’éléments circonstanciés, que l’objectif poursuivi par l’action envisagée pouvait être mieux réalisé au niveau de l’Union.

115

En l’occurrence, s’agissant d’un domaine, tel que l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur, qui n’est pas au nombre de ceux dans lesquels l’Union dispose d’une compétence exclusive, il convient de vérifier si l’objectif que la directive 2014/40 poursuit pouvait être mieux atteint au niveau de l’Union [voir, en ce sens, arrêt British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, points 179 et 180].

116

À cet égard, et ainsi qu’il a été mentionné au point 80 du présent arrêt, ladite directive poursuit un double objectif, consistant à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes.

117

Or, à supposer même que le second volet de cet objectif puisse être mieux atteint au niveau des États membres, ainsi que l’allègue la République de Pologne, il n’en demeure pas moins que la poursuite dudit objectif à un tel niveau serait susceptible de consolider, sinon d’engendrer, des situations dans lesquelles certains États membres autoriseraient la mise sur le marché de produits du tabac contenant certains arômes caractérisants, alors que d’autres l’interdiraient allant ainsi à l’exact opposé de l’objectif premier de la même directive, à savoir l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes.

118

Il résulte de l’interdépendance des deux objectifs visés par la directive 2014/40 que le législateur de l’Union pouvait légitimement estimer que son action devait comporter l’instauration d’un régime de mise sur le marché de l’Union des produits du tabac contenant un arôme caractérisant et que, en raison de cette interdépendance, ce double objectif pouvait être mieux réalisé au niveau de l’Union (voir, par analogie, arrêts Vodafone e.a., C‑58/08, EU:C:2010:321, point 78, ainsi que Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 48).

119

Il y a lieu également de relever que le principe de subsidiarité n’a pas pour objet de limiter la compétence de l’Union en fonction de la situation de tel ou tel État membre pris individuellement, mais impose seulement que l’action envisagée puisse, en raison de sa dimension ou de ses effets, être mieux réalisée au niveau de l’Union, compte tenu de ses objectifs, énumérés à l’article 3 TUE et des dispositions particulières aux différents domaines, notamment au marché intérieur, visées par les traités (voir, en ce sens, arrêt Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 53).

120

En tout état de cause, il convient de préciser que les éléments dont dispose la Cour ne démontrent pas, contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, que la consommation de produits du tabac mentholés serait essentiellement cantonnée en Pologne, en Slovaquie et en Finlande, alors qu’elle serait négligeable dans les autres États membres. En effet, selon les données exposées par la République de Pologne dans sa requête, dans au moins huit autres États membres la part de marché national de ces produits est supérieure à leur part de marché à l’échelle de l’Union.

121

Partant, les arguments invoqués par la République de Pologne tendant à démontrer que l’objectif de protection de la santé humaine aurait pu être mieux atteint au niveau national en ce qui concerne spécifiquement l’interdiction de la mise sur le marché des produits du tabac contenant du menthol, compte tenu du fait que les effets de ces produits seraient cantonnés à un petit nombre d’États membres, doivent être écartés.

122

S’agissant, en second lieu, du respect des conditions de forme, et en particulier de la motivation de la directive 2014/40 au regard du principe de subsidiarité, il convient de souligner que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le respect de l’obligation de motivation doit être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte contesté, mais aussi de son contexte et des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 61).

123

En l’occurrence, il y a lieu de constater que la proposition de directive 2014/40 présentée par la Commission ainsi que l’analyse d’impact établie par celle-ci comportent suffisamment d’éléments faisant apparaître d’une façon claire et non équivoque les avantages liés à une action entreprise au niveau de l’Union, plutôt qu’au niveau des États membres.

124

Dans ces conditions, il est établi à suffisance de droit que ces éléments ont permis tant au législateur de l’Union qu’aux parlements nationaux d’apprécier si ladite proposition était conforme au principe de subsidiarité, tout en étant de nature à permettre aux particuliers de prendre connaissance des motifs se rapportant à ce principe et à la Cour d’exercer son contrôle.

125

En tout état de cause, il importe de souligner que la République de Pologne a participé, selon les modalités prévues par le traité FUE, à la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la directive 2014/40, dont elle est destinataire au même titre que les autres États membres représentés au Conseil. Dès lors, elle ne saurait utilement se prévaloir de ce que le Parlement et le Conseil, auteurs de cette directive, ne l’aient pas mise en mesure de connaître les justifications des choix de mesures auxquels ils ont entendu procéder (voir, en ce sens, arrêt Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 62).

126

Partant, le troisième moyen, tiré de la méconnaissance du principe de subsidiarité, doit être écarté.

127

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, aucun des moyens soulevés par la République de Pologne à l’appui de son recours n’étant susceptible d’être accueilli, celui-ci doit être rejeté.

Sur les dépens

128

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, en vertu duquel les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, il y a lieu de décider que l’Irlande, la République française, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Commission supporteront leurs propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

La République de Pologne est condamnée aux dépens.

 

3)

L’Irlande, la République française, la Roumanie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le polonais.