CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 8 septembre 2015 ( 1 )

Affaire C‑489/14

A

contre

B

(demande de décision préjudicielle formée par la Haute Cour de justice [Angleterre et pays de Galles], division de la famille [High Court of Justice (England and Wales), Family Division, Royaume‑Uni])

«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile — Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale — Règlement (CE) no 2201/2003 — Litispendance — Articles 16 et 19 — Procédure de séparation de corps en France et procédure de divorce au Royaume‑Uni — Compétence de la juridiction première saisie — Notion de compétence ‘établie’ — Expiration de la procédure de séparation de corps en l’absence d’assignation dans les délais légaux — Introduction en France d’une demande de divorce immédiatement à l’expiration de la procédure de séparation — Incidence de l’impossibilité d’introduire une procédure en divorce au Royaume‑Uni en raison du décalage horaire entre les deux États membres»

1. 

La présente affaire fournit à la Cour sa première occasion de se pencher, dans des circonstances très particulières liées à la dualité de la procédure de «démariage» en France, sur les règles de litispendance établies par le règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 ( 2 ).

2. 

Les questions posées par la juridiction de renvoi, qui considère être en présence d’une situation de conflit de compétences qui serait exclusivement imputable aux manœuvres abusives du défendeur au principal et qu’elle juge lamentable, portent essentiellement sur la notion de «compétence établie», au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003. Toutefois, si le litige au principal soulève bien un problème de litispendance, au sens de cette dernière disposition, c’est l’interprétation de la notion de «juridiction première saisie», au sens des articles 16 et 19 du règlement no 2201/2003, qui, ainsi que je le montrerai dans le cours des développements, doit permettre à la Cour d’apporter une réponse aux interrogations de la juridiction de renvoi.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

L’article 16, du règlement no 2201/2003 prévoit:

«1.   Une juridiction est réputée saisie:

a)

à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur;

ou

b)

si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»

4.

L’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003 dispose:

«1.   Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

[…]

3.   Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle‑ci.

Dans ce cas, la partie ayant introduit l’action auprès de la juridiction saisie en second lieu peut porter cette action devant la juridiction première saisie.»

B – Le droit français

5.

Bien que la présente demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction du Royaume‑Uni, cette dernière ne comporte aucune indication sur le droit du Royaume‑Uni applicable dans l’affaire au principal. Elle fait, en revanche, mention de plusieurs dispositions du code de procédure civile, qui doivent être reproduites.

6.

L’article 1076 du code de procédure civile prévoit:

«L’époux qui présente une demande de divorce peut, en tout état de cause, et même en appel, lui substituer une demande en séparation de corps.

La substitution inverse est interdite.»

7.

L’article 1111 du code de procédure civile dispose:

«Lorsqu’il constate, après avoir entendu chacun des époux sur le principe de la rupture, que le demandeur maintient sa demande, le juge rend une ordonnance par laquelle il peut soit renvoyer les parties, conformément à l’article 252‑2 du code civil, à une nouvelle tentative de conciliation, soit autoriser immédiatement les époux à introduire l’instance en divorce.

Dans l’un et l’autre cas, il peut ordonner tout ou partie des mesures provisoires prévues aux articles 254 à 257 du code civil.

Lorsqu’il autorise à introduire l’instance, le juge rappelle dans son ordonnance les délais prévus à l’article 1113 du présent code.»

8.

L’article 1113 du code de procédure civile est ainsi libellé:

«Dans les trois mois du prononcé de l’ordonnance, seul l’époux qui a présenté la requête initiale peut assigner en divorce.

En cas de réconciliation des époux ou si l’instance n’a pas été introduite dans les trente mois du prononcé de l’ordonnance, toutes ses dispositions sont caduques, y compris l’autorisation d’introduire l’instance.»

9.

L’article 1129 du code de procédure civile dispose:

«La procédure de la séparation de corps obéit aux règles prévues pour la procédure du divorce.»

II – Les faits à l’origine du litige au principal

10.

Madame A ( 3 ) et Monsieur B ( 4 ), tous deux ressortissants français, se sont mariés en France le 27 février 1997 après avoir conclu un contrat de mariage de droit français sous le régime de la séparation des biens. Le couple et leurs deux enfants, des jumeaux nés le 27 juillet 1999, se sont installés au Royaume‑Uni en 2000, où est né leur troisième enfant, le 16 juillet 2001.

11.

En juin 2010, le défendeur au principal a quitté le domicile conjugal, le couple vivant séparé de fait depuis lors.

A – Les procédures engagées en France

12.

Le 30 mars 2011, le défendeur au principal a introduit une requête en séparation de corps devant le tribunal de grande instance de Nanterre (France).

13.

L’audience de conciliation, qui s’est tenue le 5 septembre 2011 et le 8 novembre 2011, s’est soldée par un échec.

14.

Le 15 décembre 2011, le tribunal de grande instance de Nanterre a, en conséquence, rendu une ordonnance de non‑conciliation (no RG 11/04305) constatant la rupture de la vie commune des époux et statuant sur les mesures nécessaires pour régler la situation familiale dans l’attente d’un jugement définitif. Le tribunal de grande instance de Nanterre s’est, tout d’abord, déclaré compétent, en application de l’article 5, paragraphe 2, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 5 ) pour statuer sur les mesures provisoires propres à l’instance de séparation de corps et sur l’obligation alimentaire au titre du devoir de secours, et a déclaré la loi française applicable. Il s’est, en revanche, déclaré incompétent pour statuer sur les mesures relatives aux enfants, du ressort des juridictions du Royaume‑Uni. Il a, par ailleurs, autorisé les époux à introduire l’instance en séparation de corps. Il a également attribué à la requérante au principal la jouissance du logement familial, à titre gracieux au titre du droit de secours, ainsi qu’une pension alimentaire d’un montant mensuel de 5000 euros, le défendeur au principal devant à titre provisoire assurer les crédits immobiliers et autres emprunts. Il a, enfin, désigné un notaire chargé d’établir un inventaire estimatif des biens du couple.

15.

Le 22 novembre 2012, la cour d’appel de Versailles (France), saisi par le défendeur au principal, a rendu un arrêt (no RG 12/01345) confirmant en totalité l’ordonnance de non‑conciliation du tribunal de grande instance de Nanterre.

16.

Le 17 décembre 2012, le défendeur au principal a introduit une requête en divorce, laquelle a toutefois été rejetée dès lors que la procédure en séparation de corps, qu’il avait engagée le 30 mars 2011 et dont il ne s’était pas désisté, était toujours pendante.

17.

Le 17 juin 2014, à 8 h 20, soit à la première heure du premier jour suivant la date d’échéance du délai de 30 mois dans lequel l’instance en séparation de corps doit être introduite sous peine de caducité de la procédure, le défendeur au principal a introduit une requête en divorce.

B – Les procédures engagées au Royaume‑Uni

18.

Parallèlement à la procédure en séparation de corps introduite par le défendeur au principal en France, la requérante au principal a, le 19 mai 2011, saisi l’Agence pour le soutien à l’enfance (Child Support Agency) d’une demande d’aliment pour les enfants à sa charge.

19.

Le 24 mai 2011, elle a également introduit une demande de divorce ainsi qu’une demande séparée de pension alimentaire

20.

Le 7 novembre 2012, la Haute Cour de justice, division de la famille, a rejeté la demande de divorce de la requérante au principal, avec le consentement de celle‑ci, en application de l’article 19 du règlement no 2201/2003.

21.

Le 6 juin 2014, la requérante au principal a saisi ex parte la juridiction de renvoi en vue d’obtenir une décision ou une déclaration anticipative que sa demande de divorce, quand elle serait présentée, ne prendrait effet que le 17 juin 2014 à minuit plus une minute, c’est‑à‑dire au moment où l’ordonnance de non‑conciliation adoptée par le juge aux affaires familiales dans le cadre de la procédure en séparation de corps engagée par le défendeur au principal en France devait être frappée de caducité. Cette demande, jugée trop innovante, a toutefois été rejetée.

22.

Le 13 juin 2014, la requérante au principal a introduit devant la juridiction de renvoi une seconde demande de divorce.

23.

Le 9 octobre 2014, le défendeur au principal a introduit une demande tendant au rejet comme irrecevable de la demande de divorce formée par la requérante au principal le 13 juin 2014 et à la radiation de l’affaire, en invoquant l’article 19 du règlement no 2201/2003.

III – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

24.

C’est dans ces circonstances que la Haute Cour de justice, division de la famille a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Aux fins de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003, comment faut‑il entendre le terme ‘établie’ dans une situation où:

a)

dans la procédure devant la juridiction saisie en premier lieu (‘la première procédure’), la partie demanderesse ne prend pratiquement aucune initiative après la première audience et en particulier ne lance pas d’assignation dans le délai de caducité de la requête, de telle sorte que la première procédure s’achève sans qu’une décision ait été prise, par écoulement du délai imparti, conformément au droit (français) local applicable à la première procédure, à savoir 30 mois après l’audience de conciliation;

b)

la première procédure devient caduque, comme indiqué ci‑dessus, très peu de temps (trois jours) après que la procédure devant la juridiction saisie en second lieu (‘la seconde procédure’) est lancée au Royaume‑Uni, de telle sorte qu’il n’y a pas de jugement prononcé en France ni aucun danger de décisions inconciliables entre la première procédure et la seconde procédure;

c)

le fuseau horaire du Royaume‑Uni fait que la partie demanderesse dans la première procédure pourrait toujours, après la caducité de celle‑ci, lancer une procédure de divorce en France avant que la partie demanderesse [dans la seconde procédure] ne puisse lancer une procédure de divorce au Royaume‑Uni?

2)

En particulier, le terme ‘établie’ signifie‑t‑il que la partie demanderesse dans la première procédure doive agir pour faire avancer la première procédure avec diligence et célérité vers un règlement (judiciaire ou conventionnel) ou est‑ce que, après avoir établi la compétence de la juridiction de son choix au titre des articles 3 et 19, paragraphe 1, cette partie est libre de s’abstenir de toute initiative concrète pour régler le litige dans la première procédure, se satisfaisant d’avoir paralysé la seconde procédure et créé une situation sans issue dans l’ensemble du litige?»

25.

Dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi expose que les auteurs du règlement no 2201/2003 ne sauraient avoir voulu des situations comme celle de l’affaire au principal, dans lesquelles coexistent plusieurs procédures parallèles dans deux États membres, leur objectif étant de veiller à ce que la compétence soit rapidement déterminée, que les affaires soient rapidement jugées et que les jugements inconciliables soient évités.

26.

Elle souligne que le défendeur au principal est responsable, du fait de ses manœuvres, de la confusion qui règne dans l’affaire au principal depuis quatre ans. Plusieurs éléments témoigneraient de sa volonté d’empêcher la requérante au principal d’introduire une demande de divorce devant les juridictions du Royaume‑Uni. Elle se réfère, à cet égard, au fait qu’il ait introduit une demande de divorce en France alors que la procédure en séparation de corps était toujours pendante et au fait qu’il ait introduit sa demande de divorce en France à la première heure possible, à un moment où, compte tenu du décalage horaire, il n’était pas possible pour la requérante au principal d’introduire une telle demande au Royaume‑Uni.

27.

La juridiction de renvoi fait également observer que le défendeur au principal n’a, à compter de l’arrêt de la cour d’appel du 22 novembre 2012 confirmant l’ordonnance de non‑conciliation, pris aucune initiative pour faire progresser la procédure en séparation de corps en France, se contentant d’attendre sa caducité pour introduire sa demande de divorce. Elle doute, dans ces circonstances, que la compétence de la juridiction française puisse être considérée comme «établie» au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003. Elle rapporte, à cet égard, les arguments de la requérante au principal, selon lesquels la simple introduction d’un recours devant une juridiction ne saurait suffire. La partie requérante devrait être soumise à une obligation de faire avancer la procédure avec diligence et célérité, sans quoi les personnes impliquées dans des procédures de divorce disposeraient de la possibilité d’introduire une «torpille italienne», au détriment de la résolution rapide des litiges.

28.

La juridiction de renvoi indique, cependant, qu’une telle interprétation implique de s’écarter non seulement des termes de l’article 19 du règlement no 2201/2003, mais également de la jurisprudence relative au règlement no 1215/2012/UE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 6 ), et en particulier de l’arrêt Gantner Electronic ( 7 ), dans lequel la Cour a jugé qu’«une situation de litispendance existe à partir du moment où deux juridictions d’États contractants différents sont définitivement saisies de demandes en justice, c’est‑à‑dire avant que les défendeurs aient pu faire valoir leur position».

29.

La juridiction de renvoi expose, enfin, que, selon les informations concernant le droit français figurant dans son dossier, l’assignation en séparation de corps ne peut, pendant un délai de trois mois, être formée que par le demandeur.

30.

Or, si le défendeur au principal a indiqué qu’il n’avait pas assigné la requérante au principal en séparation de corps dans la mesure où il souhaitait obtenir le divorce sans allonger les délais de procédure, il n’a, en revanche, fourni aucune explication des raisons pour lesquelles il ne s’est pas désisté de sa requête en séparation, ce qui établirait sa volonté d’empêcher le plus longtemps possible la requérante au principal de demander le divorce au Royaume‑Uni, de manière à ce que l’ensemble des questions litigieuses puisse être jugé par une seule juridiction le plus tôt possible.

31.

La juridiction de renvoi a également demandé à la Cour de soumettre la présente affaire à une procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

32.

Par ordonnance du 13 janvier 2015, le président de la Cour a rejeté cette demande. Il a, toutefois, décidé de faire juger cette affaire par priorité, en application de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure. Conformément à l’article 95, paragraphe 1, de son règlement de procédure, la Cour a, par ailleurs, maintenu l’anonymat décidé par la juridiction de renvoi.

33.

Le 18 mai 2015, le défendeur au principal a informé la Cour qu’il reconnaissait et acceptait la compétence de la juridiction de renvoi, sans toutefois en informer, apparemment, ni la juridiction de renvoi ni la juridiction française. La Cour a communiqué cette information à la juridiction de renvoi ainsi qu’à la requérante au principal par lettre du 21 mai 2015.

34.

La requérante au principal, le gouvernement du Royaume‑Uni ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. La requérante au principal et la Commission ont également été entendues au cours de l’audience publique qui s’est tenue le 1er juin 2015.

IV – Les observations présentées à la Cour

A – Les observations de la requérante au principal

35.

La requérante au principal déclare faire siennes et reprendre les conclusions présentées par la juridiction de renvoi. Tout comme cette dernière, elle déplore tout d’abord la position anormale de la juridiction compétente en matière de divorce et de droits pécuniaires matrimoniaux qui ne dispose pas de la possibilité de renvoyer une affaire à une juridiction mieux placée, en application de l’exception forum non conveniens, à la différence de ce qui prévaudrait pour les affaires relatives à la responsabilité parentale ( 8 ) ou de ce que prévoirait désormais, pour les affaires civiles et commerciales, le règlement no 1215/2012 ( 9 ).

36.

Elle dénonce également les possibilités d’abus, abus qui serait caractérisé dans l’affaire au principal, découlant de l’application de la règle de litispendance de l’article 19 du règlement no 2201/2003, dans le cas où la partie ayant engagé la procédure n’a aucune obligation de prendre des mesures pour faire avancer la procédure. Elle regrette, enfin, l’effet aggravant et discriminatoire des fuseaux horaires au sein de l’Union européenne, les parties se trouvant le plus à l’est disposant toujours d’un avantage horaire, en valeur absolue, par rapport aux parties se trouvant le plus à l’ouest pour engager les premières une procédure.

37.

La requérante au principal fait par ailleurs valoir, en substance, que l’article 19 du règlement no 2201/2003 ne saurait, sauf à méconnaître les exigences de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, être interprété en ce sens que la compétence d’une juridiction est établie lorsqu’elle est saisie d’une procédure judiciaire devenue caduque du fait de l’inaction de la partie qui l’a initiée. Si ce règlement autorise certes l’élection du for compétent en matière de divorce, il ne saurait permettre à une partie de choisir un for défavorable à une autre partie et retarder ensuite ou éviter totalement le règlement de la procédure qu’elle a elle‑même initiée.

38.

Elle souligne, à cet égard, que, soit elle se trouve contrainte de plaider à l’étranger, dans un for où aucune des parties ne réside et qui lui serait désavantageux en termes de résultat probable, soit elle est privée de toute voie de recours, tant que la partie défenderesse fait durer la procédure engagée en France et fait obstacle à l’ouverture de toute autre procédure.

39.

La requérante au principal expose, ensuite, que l’objectif et l’économie générale du règlement no 2201/2003 commandent que la compétence prioritaire donnée à la juridiction première saisie soit subordonnée à l’obligation pour la partie qui a engagé la procédure de faire avancer cette dernière avec diligence et célérité vers un règlement du litige. Elle se réfère, à cet égard, par analogie, à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, à l’article 9 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ( 10 ) et à l’article 14 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ( 11 ).

40.

Enfin, la requérante au principal soutient qu’il est conforme au bon sens et à la justice naturelle, ainsi qu’à la jurisprudence française et à la jurisprudence de la Cour, de ne considérer qu’une compétence est établie, au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003, que si le demandeur agit de bonne foi pour faire avancer la procédure vers un règlement. La Cour de cassation (France) aurait ainsi jugé, dans un arrêt du 26 juin 2013 ( 12 ), qu’une requête ne constitue un acte introductif d’instance que si elle est suivie de l’assignation. Dans l’affaire au principal, le fait que le défendeur au principal n’ait pas assigné la requérante au principal impliquerait que l’introduction de la procédure en France a cessé, en ce qui concerne la détermination de la compétence au titre de l’article 19 du règlement no 2201/2003, de produire ses effets. Par ailleurs, la Cour aurait confirmé que, dans certaines circonstances, lorsqu’une juridiction saisie en second lieu d’une demande en matière de responsabilité parentale ne dispose d’aucun élément aux fins d’apprécier la litispendance en dépit des efforts déployés aux fins de s’informer auprès de la partie qui l’a invoquée, elle peut, passé un délai raisonnable d’attente des réponses, poursuivre l’examen de la demande ( 13 ).

41.

Au cours de l’audience, la requérante au principal a précisé, en réponse aux observations écrites du gouvernement du Royaume‑Uni, que les questions préjudicielles devaient être déclarées recevables. Elle souligne qu’il est exact que, au Royaume‑Uni, la litispendance doit être appréciée à la date à laquelle la juridiction est saisie plutôt qu’à la date à laquelle elle statue. Elle en déduit qu’il est d’autant plus important que la Cour statue sur les questions et disent pour droit que la date à prendre en compte est la date à laquelle la juridiction de renvoi a été saisie, en l’occurrence le 13 juin 2014, et que la juridiction française, saisie de la demande de divorce du défendeur au principal le 17 juin 2014, l’a donc été en second lieu.

42.

Elle a également fait valoir que l’obligation pour la juridiction saisie en second lieu de «se dessaisir», au sens de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 2201/2003, n’impliquait pas qu’elle se déclare incompétente, ce dessaisissement n’ayant qu’un effet suspensif et autorisant la reprise d’une procédure engagée en second lieu lorsque la procédure engagée en premier lieu devient caduque comme dans l’affaire au principal.

B – Les observations du gouvernement du Royaume‑Uni

43.

Le gouvernement du Royaume‑Uni considère à titre principal qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de statuer sur les questions préjudicielles de la juridiction de renvoi.

44.

Il fait valoir, à cet égard, que, conformément à l’article 1113 du code de procédure civile, la procédure de séparation de corps engagée par le défendeur au principal devant la juridiction française est devenue caduque le 17 juin 2014 à la première heure, de telle sorte que la juridiction de renvoi, saisie par la requérante au principal le 13 juin 2014 d’une demande de divorce, devait être considérée comme la «juridiction première saisie» et non comme la «juridiction saisie en second lieu», l’introduction, par le défendeur au principal, d’une demande de divorce en France le 17 juin 2014 à 8 h 20 du matin ne changeant rien à cet état de fait.

45.

Cette position serait conforme à l’objectif poursuivi par les règles de litispendance établies ( 14 ) par l’article 19 du règlement no 2201/2003, qui est d’éviter le risque de décisions inconciliables dans des procédures parallèles devant des juridictions différentes ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour.

46.

Le gouvernement du Royaume‑Uni examine néanmoins les deux questions préjudicielles.

47.

Le gouvernement du Royaume‑Uni fait tout d’abord valoir que la première question, qui porte sur la question de savoir si la compétence de la juridiction française est établie au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003, ne se pose que pour autant qu’il doive être considéré que la juridiction de renvoi est la «juridiction seconde saisie». Il rappelle que la Cour a jugé que cette disposition ( 15 ), de même que les dispositions équivalentes de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 16 ) et du règlement no 44/2001 ( 17 ), doit faire l’objet d’une interprétation téléologique, en tenant compte des objectifs poursuivis par le règlement no 2201/2003, qui sont d’éviter des procédures parallèles devant les juridictions de différents États membres et les contrariétés de décisions qui pourraient en résulter.

48.

Or, si la compétence de la juridiction française a été établie à un moment donné, tel ne serait plus le cas, dès lors que la procédure en séparation de corps engagée en France est devenue caduque. La juridiction de renvoi devrait donc considérer qu’il n’y a, en réalité, plus litispendance. Cette solution permettrait de garantir la réalisation de l’objectif de l’article 19 du règlement no 2201/2003, visant à éviter les décisions inconciliables et donc à garantir la sécurité juridique, tout en contraignant le demandeur à agir pour faire avancer la procédure lorsque celle‑ci doit être menée dans des délais et devient caduque par l’écoulement du temps.

49.

Le gouvernement du Royaume‑Uni propose de répondre à la seconde question en disant pour droit, en substance, que l’article 19 du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que le terme «établie» exige que la partie engageant la première procédure, comme la procédure en séparation de corps introduite par le défendeur au principal dans le cas d’espèce, agisse pour faire avancer la procédure avec diligence vers un règlement.

50.

Il fait valoir, à cet égard, que l’objectif des règles de litispendance du règlement no 2201/2003, qui est d’éviter des procédures parallèles devant des juridictions différentes et le risque de décisions inconciliables, doit être considéré comme facilitant l’évolution du litige vers un règlement et non comme y faisant obstacle, ce qui implique, par conséquent, que les parties agissent pour faire avancer la procédure.

51.

Partant, la question de savoir si un requérant a agi avec diligence pour faire avancer la procédure qu’il a engagée ou a simplement laissé cette procédure devenir caduque par écoulement du temps est un élément pertinent pour apprécier si la compétence de la juridiction qu’il a saisie est établie au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003. Toute solution contraire pourrait conduire à une impasse en faisant obstacle au règlement du litige et en privant le défendeur de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C – Les observations de la Commission

52.

La Commission commence par faire observer que les questions de la juridiction de renvoi reposent sur deux hypothèses, dont l’une est vraie et l’autre fausse.

53.

Elle souligne, premièrement, que la juridiction de renvoi part du principe qu’une procédure judiciaire de séparation de corps introduite en France fait obstacle, en application de l’article 19 du règlement no 2201/2003, à l’introduction d’une procédure de divorce introduite dans un autre État membre, ce qu’elle considère comme correct.

54.

Elle relève, toutefois, que le libellé de cette disposition n’implique pas nécessairement cette conclusion. Cette dernière, en effet, pourrait tout d’abord être interprétée en ce sens que l’introduction d’une procédure en séparation de corps ne fait obstacle qu’à une autre procédure de séparation de corps, mais pas à une procédure en divorce. Elle pourrait toutefois également être interprétée comme faisant obstacle à toutes procédures parallèles en matière matrimoniale.

55.

Elle estime, néanmoins, que c’est la deuxième proposition qui est correcte, l’article 19 du règlement no 2201/2003 n’exigeant pas que les procédures concurrentes aient le même objet et la même cause, mais seulement qu’elles opposent les mêmes parties. Par ailleurs, la règle de litispendance aurait pour objectif d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues par des juridictions d’États membres différents, ce qui empêcherait leur reconnaissance ultérieure, conformément à l’article 22, sous d), du règlement no 2201/2003. Enfin, cette solution s’imposerait en particulier dans le cas où il existe un lien étroit entre demandes en séparation de corps et demandes en divorce.

56.

Elle souligne, deuxièmement, que la juridiction de renvoi part du principe que la question de savoir s’il y a litispendance doit être appréciée à la date à laquelle elle a été saisie de la demande de divorce, en l’occurrence le 13 juin 2014, et non pas à la date à laquelle elle a examiné la question de savoir si elle devait surseoir à statuer, en l’occurrence le 9 octobre 2014, ce qu’elle considère comme incorrect.

57.

En effet, l’objectif de la règle de litispendance serait de prévenir l’introduction d’actions matrimoniales concurrentes et d’écarter le risque de décisions inconciliables rendues dans des États membres différents, par application du strict principe prior temporis. Cela dit, cette règle n’empêcherait pas les parties de saisir des juridictions d’États membres différents, mais requerrait simplement que la juridiction saisie en second lieu sursît à statuer et, le cas échéant, se dessaisît.

58.

La Commission estime que, dans une situation comme celle de l’affaire au principal, où une procédure est pendante devant une juridiction d’un État membre lorsqu’une juridiction d’un second État membre est saisie, mais où la procédure engagée dans le premier État membre est devenue caduque au moment où est introduite une demande de radiation de la procédure introduite dans le second État membre, la date pertinente pour apprécier la litispendance est celle à laquelle la juridiction saisie dans le second État membre statue sur la question de savoir si elle doit surseoir à statuer et, le cas échéant, se dessaisir, en application de l’article 19 du règlement no 2201/2003. Cette interprétation serait confirmée tant par le libellé de l’article 19 du règlement no 2201/2003 que par l’économie générale et l’objectif de ce règlement.

59.

En l’occurrence, au moment où la juridiction de renvoi a statué sur la question de savoir si elle devait surseoir à statuer sur la demande de divorce de la requérante au principal, à savoir le 9 octobre 2014, il n’existait plus de procédure parallèle en France, la procédure en séparation de corps étant devenue caduque le 16 juin 2014, ni donc de risque de décisions inconciliables. La circonstance que le défendeur au principal a introduit une demande de divorce en France le 17 juin 2014 à la première heure serait sans pertinence car, à cette date, il existait une procédure pendante au Royaume‑Uni et donc une situation de litispendance.

60.

Dans ces circonstances, la Commission conclut qu’il n’est pas nécessaire de répondre aux questions de la juridiction de renvoi et ne propose une réponse qu’à titre subsidiaire, en examinant ensemble la première question, sous a), et la seconde question.

61.

Elle expose, tout d’abord, que la signification du terme «compétence établie» doit logiquement se rapporter à la vérification par la juridiction saisie de sa compétence en application du règlement no 2201/2003 et de la validité de sa saisine en vertu de son propre droit procédural national.

62.

Estimant que la jurisprudence relative à l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 44/2001 est utile aux fins de l’interprétation de l’article 19 du règlement no 2201/2003, elle rappelle que, dans son arrêt Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances ( 18 ), la Cour a jugé que «la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être considérée comme établie […] dès lors que ce tribunal n’a pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’a contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense au fond présentée devant ledit tribunal».

63.

Or, dans l’affaire au principal, il ne ferait guère de doute que la compétence de la juridiction française qui a adopté l’ordonnance de non‑conciliation le 15 décembre 2011 a, dès le début de la procédure, été établie au sens de cette jurisprudence. D’une part, cette juridiction a autorisé l’assignation et, d’autre part, la requérante au principal a été impliquée dans la procédure, dans la mesure où elle a pu introduire une demande de mesures provisoires, et ne s’est pas opposée à la compétence internationale de la juridiction française, ni en première instance ni en appel.

64.

Elle considère, ensuite, que l’article 19 du règlement no 2201/2003 ne comporte aucune obligation pour la partie requérante dans la procédure engagée devant la juridiction première saisie de faire avancer celle‑ci avec diligence et célérité. Elle serait libre de procéder de la manière qu’elle juge la plus appropriée, dans le respect des règles de la législation nationale applicable, à charge pour la juridiction saisie de veiller à leur application et de sanctionner, le cas échéant, toute manœuvre vexatoire ou abusive.

65.

Il serait, en tout état de cause, impossible pour une juridiction d’un État membre d’évaluer si l’absence de progression d’une procédure engagée devant une juridiction d’un autre État membre est l’indice d’un abus. La Commission fait à cet égard observer que la requérante au principal aurait pu elle‑même assigner le défendeur au principal non seulement en séparation de corps mais également en divorce, ainsi qu’il ressortirait d’un avis de la Cour de cassation du 10 février 2014.

66.

Elle estime que l’article 19 du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que la compétence d’une juridiction première saisie ne cesse pas d’être établie du fait que la partie requérante dans la procédure introduite devant cette dernière ne prend aucune initiative pour la faire avancer vers un règlement avec toute la diligence et la célérité requise.

V – Analyse

A – Observations liminaires

67.

Il convient de commencer par présenter, avec toutes les réserves qu’un tel exercice impose, les spécificités du droit français concernant les procédures de séparation de corps et de divorce, afin de prendre la mesure exacte des particularités de la situation en cause dans l’affaire au principal et de la singularité des questions préjudicielles de la juridiction de renvoi.

1. Les spécificités des procédures de séparation de corps et de divorce en France

68.

Ainsi que l’expose M. Bernard de la Gâtinais, premier avocat général près la Cour de cassation, dans ses conclusions sous l’avis de la Cour de cassation du 10 février 2014 ( 19 ) citée par la juridiction de renvoi, la séparation de corps a longtemps été considérée comme le «divorce des catholiques», en ce que son «principal effet est de constater en droit la séparation des époux et d’en régler les conséquences humaines et matérielles, tout en laissant subsister le lien conjugal». Par conséquent, si le divorce, par ses effets éventuels, contient en lui‑même la séparation de corps, celle‑ci, quant à elle, ne porte pas l’élément essentiel du divorce qu’est la rupture du lien conjugal. C’est la raison simple qui explique le principe selon lequel une demande de divorce est transformable en séparation de corps alors que l’inverse n’est pas possible, principe inscrit à l’article 1076 du code de procédure civile.

69.

Cette dernière disposition prévoit ainsi, comme la juridiction de renvoi l’a relevé, que le demandeur en séparation de corps ne peut transformer cette dernière en demande de divorce ( 20 ) et qu’il est en quelque sorte prisonnier de la procédure qu’il a initiée. Ainsi, dès lors que la juridiction saisie d’une demande en séparation de corps a adopté une ordonnance de non‑conciliation autorisant les époux à introduire l’instance en séparation de corps, comme dans l’affaire au principal, le demandeur ne dispose que de deux options. Il peut tout d’abord décider d’obtenir la séparation de corps et donc de mener la procédure à son terme, en assignant le défendeur en séparation de corps, ce qu’il est seul habilité à faire dans les trois premiers mois qui suivent l’ordonnance de non‑conciliation, conformément à l’article 1113 du code de procédure civile. Il peut toutefois également renoncer à la séparation de corps, pour un motif ou un autre et notamment pour lui préférer le divorce, en se désistant de sa requête en séparation de corps, la recevabilité d’une demande de divorce étant alors subordonnée à la condition que ce désistement soit accepté et définitif ( 21 ).

70.

En revanche, le défendeur dans une procédure en séparation de corps peut, une fois passé le délai de trois mois visé à l’article 1113 du code de procédure civile, non seulement suppléer la carence du demandeur en l’assignant lui‑même en séparation de corps, mais également l’assigner en divorce, sa demande reconventionnelle étant recevable au regard des articles 1076, 1111 et 1113 du code de procédure civile ( 22 ).

71.

C’est dans ce contexte légal ( 23 ) qu’il convient de replacer les principaux évènements de l’affaire au principal ainsi que les questions préjudicielles de la juridiction de renvoi.

2. Les particularités de l’affaire au principal

72.

Il est constant et non contesté que, dans la mesure où la requérante au principal et le défendeur au principal ont la nationalité française, la juridiction française saisie par ce dernier d’une requête en séparation de corps était internationalement compétente pour examiner celle‑ci, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 2201/2003, tout comme elle est également compétente pour connaître de la requête en divorce déposée par ce dernier le 17 juin 2014. Il n’est pas moins constant que, dans la mesure où les deux époux avaient leur résidence habituelle au Royaume‑Uni, les juridictions de cet État membre sont également internationalement compétentes pour prononcer leur divorce conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003.

73.

Il est également constant que, le défendeur au principal ayant, le premier, saisi une juridiction française d’une demande en séparation de corps, en l’occurrence le 30 mars 2011, la juridiction du Royaume‑Uni saisie par la requérante au principal, le 24 mai 2011, d’une demande de divorce l’a été en second lieu et devait, donc, surseoir à statuer, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, jusqu’à ce que la compétence de la juridiction française soit établie.

74.

Il est, enfin, tout aussi constant que la juridiction française saisie la première s’est, dans l’ordonnance de non‑conciliation adoptée le 15 décembre 2011, déclarée compétente pour statuer sur la demande de séparation de corps introduite par le défendeur au principal et a simultanément invité les parties à introduire l’instance en séparation de corps. En conséquence, et conformément à l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 2201/2003, la Haute Cour de justice a, ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi, rejeté la demande de divorce de la requérante au principal le 7 novembre 2012, avec le consentement de cette dernière.

75.

Il s’ensuit que, à tout le moins dans toute cette première phase de son développement, l’affaire au principal s’est déroulée dans le respect des règles de litispendance établies à l’article 19 du règlement no 2201/2003.

76.

Il doit en particulier être souligné, comme la Commission l’a fait observer, ce point n’étant pas discuté, qu’il y a litispendance au sens de cette disposition ( 24 ) dès lors qu’une demande de divorce est formée dans un État membre et qu’une demande en séparation de corps est parallèlement formée dans un autre État membre, cette disposition n’exigeant que l’identité des parties et non une stricte identité d’objet et de cause des demandes ( 25 ).

77.

Le litige au principal et les questions de la juridiction de renvoi ne portent toutefois pas sur cette première phase du développement de l’affaire au principal, mais sur une seconde, qui débute peu avant l’échéance de 30 mois prévue à l’article 1113 du code de procédure civile, au terme de laquelle l’ordonnance de non‑conciliation adoptée par la juridiction française première saisie devient caduque.

78.

En effet, et ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la requérante au principal a cherché à obtenir de la Haute Cour de justice, peu avant l’échéance de ce délai le 6 juin 2014, qu’elle accepte par anticipation sa demande de divorce ( 26 ). Cette demande, présentée par la juridiction de renvoi comme «ingénieuse», a toutefois été rejetée parce qu’elle apparaissait trop innovante. La requérante au principal a alors saisi la juridiction de renvoi, le 13 juin 2014, d’une demande de divorce.

79.

Il doit, à cet égard, être relevé que la demande de divorce du 13 juin 2014 n’a, à la différence de la demande du 6 juin 2014 dont l’objet était différent, pas été formellement rejetée par la juridiction de renvoi, sans que cette dernière s’en explique. La juridiction de renvoi, en particulier, n’indique pas si elle se considère comme étant valablement saisie, au regard du droit du Royaume‑Uni comme au regard de l’article 16 du règlement no 2201/2003.

80.

Quoiqu’il en soit, c’est la demande de divorce déposée par la requérante au principal le 13 juin 2014 qui est à l’origine de la procédure conduisant la Haute Cour de justice à saisir la Cour à titre préjudiciel dans l’affaire au principal, le défendeur au principal l’invitant à la rejeter en application, précisément, de l’article 19 du règlement no 2201/2003, en faisant valoir que la procédure de séparation de corps était toujours pendante le 13 juin 2014 et en dénonçant un abus de procédure.

81.

C’est, par ailleurs, le contexte spécifique dans lequel cette demande intervient qui explique le libellé pour le moins singulier des questions préjudicielles qu’elle pose à la Cour, sur lequel il convient maintenant de s’arrêter.

3. La singularité des questions préjudicielles

82.

Les deux questions préjudicielles de la juridiction de renvoi sont étroitement liées dans la mesure où, de par leur libellé même, elles portent expressément sur la notion de «compétence établie», au sens de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003.

83.

En effet, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche essentiellement à savoir, en substance, si les dispositions de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003 doivent être interprétées en ce sens que la compétence de la juridiction d’un État membre, première saisie d’une demande en séparation de corps, doit être considérée comme étant toujours «établie» dans les circonstances qu’elle décrit, à savoir:

lorsque la partie requérante dans cette procédure en séparation de corps, autorisée à assigner la partie défenderesse en séparation de corps dans un délai légal de 30 mois, omet de procéder à l’assignation dans ce délai et attend ainsi la caducité de ladite procédure pour initier une nouvelle procédure en divorce devant la même juridiction;

lorsque la caducité de la procédure en séparation de corps intervient très peu de temps après l’engagement d’une procédure en divorce initiée dans un autre État membre, et

lorsque la partie requérante dans la procédure en séparation de corps peut toujours, du fait des fuseaux horaires, engager une procédure en divorce avant la partie défenderesse.

84.

Par sa seconde question, elle se demande si l’article 19 du règlement no 2201/2003, et en particulier le terme «établi», doit être interprété en ce sens qu’il impose à la partie qui a engagé une procédure en séparation de corps devant la juridiction d’un État membre d’agir avec diligence et célérité aux fins de mener cette procédure à son règlement.

85.

À bien des égards, la seconde question n’est qu’une reformulation de la première, la juridiction de renvoi cherchant finalement et essentiellement à déterminer si la compétence d’une juridiction d’un État membre, saisie la première d’une demande en séparation de corps, peut être considérée comme étant toujours établie, au sens de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003, en l’absence de toute diligence de la partie requérante pour la mener à son terme.

86.

Quoiqu’il en soit, l’interrogation de la juridiction de renvoi porte ainsi exclusivement sur la question de savoir si le règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que la compétence de la juridiction française, qui a été dûment établie au sens de l’article 19 dudit règlement pour ce qui est de la demande en séparation de corps introduite par le défendeur au principal le 30 mars 2011, doit être considérée comme étant «toujours» établie dans les circonstances de l’affaire au principal et si elle doit, partant, surseoir à statuer et, le cas échéant, se dessaisir, au profit de la juridiction française, dans le cadre de la procédure en divorce initiée devant elle par la requérante au principal le 13 juin 2014.

87.

Toutefois, pour répondre à cette question, il faut d’abord déterminer qui, de la juridiction de renvoi saisie par la requérante au principal d’une demande de divorce le 13 juin 2014 ou de la juridiction française saisie par le défendeur au principal d’une requête en divorce le 17 juin 2014, doit, dans les circonstances particulières de l’affaire au principal, caractérisée par le fait que la procédure en séparation de corps introduite en France a été frappée de caducité entre ces deux dates, être considérée comme étant la «juridiction première saisie», au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003. Or, cette question dépend de l’interprétation tant de l’article 16 du règlement no 2201/2003, non évoqué par la juridiction de renvoi, que de l’article 19 de ce règlement.

88.

Partant, les deux questions préjudicielles de la juridiction de renvoi doivent, d’une part, être examinées ensemble et, d’autre part, être élargies et reformulées de manière à porter également sur l’article 16 du règlement no 2201/2003.

89.

Dès lors, et aux fins de fournir à la juridiction de renvoi les éléments lui permettant de trancher le litige au principal, j’estime que la question principale à laquelle la Cour doit répondre peut être formulée dans les termes suivants:

«Les articles 16 et 19 du règlement no 2201/2003 doivent‑ils être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal:

dans lesquelles une procédure en séparation de corps engagée devant une juridiction d’un premier État membre est devenue caduque et

dans lesquelles deux demandes en divorce ont été introduites parallèlement, la première devant une juridiction d’un autre État membre peu avant la date de caducité de la procédure en séparation de corps et la seconde devant la juridiction du premier État membre peu après cette même date de caducité,

la compétence de la juridiction du premier État membre pour connaître de la demande de divorce doit être considérée comme étant établie?»

B – Sur l’interprétation des articles 16 et 19 du règlement no 2201/2003

90.

Si la Cour a déjà eu l’occasion d’interpréter l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 2201/2003 concernant la litispendance en matière de responsabilité parentale ( 27 ), elle n’a pas encore eu l’occasion d’interpréter les dispositions de son article 19, paragraphes 1 et 3, pas plus que celles de l’article 11, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1347/2000 ou encore de l’article 11, paragraphes 1 et 3, de la convention de Bruxelles du 28 mai 1998.

91.

La Cour a, en revanche, eu l’occasion d’interpréter des dispositions équivalentes à ces dernières se trouvant dans d’autres instruments, et en particulier celles de l’article 21 de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 28 ) et de l’article 27 du règlement no 44/2001 ( 29 ), et peut donc utilement s’appuyer sur cette jurisprudence pour répondre aux questions de la juridiction de renvoi ( 30 ).

92.

En l’occurrence, les dispositions de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003 prévoient que, dans une situation de litispendance, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction saisie en premier lieu soit établie et, lorsque tel est le cas, se dessaisir en faveur de cette dernière.

93.

La juridiction d’un État membre saisie, par exemple, d’une demande de divorce doit ainsi d’office surseoir à statuer si une juridiction d’un autre État membre a antérieurement été saisie d’une demande en séparation de corps, par exemple, jusqu’à ce que la compétence de cette dernière soit établie. Une fois cette compétence établie, la juridiction saisie en second lieu de la demande de divorce doit se dessaisir au profit de la juridiction saisie en premier lieu de la demande en séparation de corps.

94.

Ces dispositions établissent ainsi, à l’instar de l’article 21 de la convention de Bruxelles, une règle procédurale de litispendance qui se fonde clairement et uniquement sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions en cause ont été saisies ( 31 ).

95.

Dans les circonstances de l’affaire au principal, comme je l’ai déjà relevé, la juridiction du Royaume‑Uni saisie de la demande de divorce de la requérante au principal du 24 mai 2011 devait surseoir à statuer, en application de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 2201/2003, puis se dessaisir en application de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 2201/2003, ce qu’elle a fait.

96.

Toutefois, les questions que la juridiction de renvoi se pose ne concernent pas la demande de divorce de la requérante au principal du 24 mai 2011, mais celle du 13 juin 2014, le problème de litispendance auquel elle s’estime confrontée procédant de la succession de la procédure de séparation de corps engagée en France le 30 mars 2011 et de la procédure de divorce engagée en France le 17 juin 2014 et de l’introduction, entre ces deux dates d’une demande de divorce au Royaume‑Uni.

97.

Or, sur le strict plan chronologique, force est de constater que, si la procédure de divorce engagée au Royaume‑Uni, le 13 juin 2014, l’a été avant la procédure de divorce engagée en France, le 17 juin 2014, la procédure en séparation de corps engagée en France le 30 mars 2011 était toujours pendante à la date à laquelle la procédure de divorce a été engagée au Royaume‑Uni.

98.

Autrement dit, les dispositions de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2201/2003 ne permettent pas à elles seules de résoudre le problème de litispendance qui se pose dans une situation comme celle de l’affaire au principal, marquée par la dualité de la procédure de «démariage» en France et l’introduction dans deux États membres différents de procédures parallèles en divorce peu avant et immédiatement après la caducité d’une procédure en séparation de corps.

99.

Il pourrait en effet être jugé, d’une part, que, au moment où elle a été saisie de la demande de divorce, le 13 juin 2014, la juridiction de renvoi était, encore et toujours, la juridiction seconde saisie et qu’elle devait donc surseoir à statuer et se dessaisir, dans la mesure où la procédure en séparation de corps était toujours pendante.

100.

Il pourrait cependant également être jugé, d’autre part, que, au moment où la juridiction française a été saisie de la requête en divorce le 17 juin 2014, la juridiction de renvoi était la juridiction première saisie, dans la mesure où la procédure en séparation de corps était devenue caduque.

101.

Par conséquent, et conformément à une jurisprudence constante, c’est en tenant compte de l’économie générale du règlement no 2201/2003, ainsi que de la finalité que les règles qu’il établit poursuivent, ( 32 ) qu’il convient de rechercher la solution du problème posé par l’affaire au principal.

102.

J’estime, en particulier, que la proposition de la Commission, qui consisterait pour la Cour à fixer de façon prétorienne la date à laquelle la litispendance doit être appréciée, ne saurait être suivie dans la mesure où elle revient, en réalité, à nier l’existence même de toute litispendance dans l’affaire au principal. L’approche préconisée par le gouvernement du Royaume‑Uni, consistant à déterminer, parmi les deux juridictions parallèlement saisies d’une demande de divorce et également compétentes pour en connaître, laquelle doit, dans les circonstances de l’affaire au principal, être considérée comme étant la première saisie, me semble plus appropriée.

103.

Il doit, à cet égard, être rappelé que les règles relatives à la litispendance tendent, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice au sein de l’Union, à éviter des procédures parallèles devant les juridictions de différents États membres et les contrariétés de décisions qui pourraient en résulter ( 33 ).

104.

Dans cet objectif, le règlement no 2201/2003 a établi, à son article 19, le mécanisme clair et efficace de résolution des cas de litispendance fondé sur la règle procédurale chronologique examinée ci‑dessus, mais a également défini, à son article 16 ( 34 ), la notion de «saisine d’une juridiction».

105.

Il importe, en effet, de rappeler que, aux fins de l’application des règles de litispendance, une juridiction est réputée saisie, conformément à cette disposition, soit à la date à laquelle l’acte introductif d’instance lui a été déposé, soit à la date à laquelle l’acte introductif d’instance est reçu par l’autorité chargée de sa notification ou signification, suivant l’option choisie par l’État membre dont elle relève, étant précisé que, dans les deux cas, le demandeur ne doit pas négliger de prendre les mesures qu’il est tenu de prendre pour que ledit acte, c’est selon, soit notifié ou signifié au défendeur ou soit déposé auprès de la juridiction.

106.

L’article 16 du règlement no 2201/2003 définit ainsi les caractéristiques tant procédurales que temporelles de la notion de saisine d’une juridiction, en prévoyant à quel moment et dans quelles conditions celle‑ci intervient, indépendamment des règles applicables dans les États membres ( 35 ). Plus largement, la notion de «juridiction première saisie» doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union ( 36 ).

107.

C’est en partant des dispositions de l’article 16 du règlement no 2201/2003 qu’il convient donc de déterminer comment la règle de litispendance établie par l’article 19 du règlement no 2201/2003 doit concrètement être appliquée dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, cette application devant permettre de limiter au maximum le risque de procédures parallèles et d’éviter que la durée du sursis à statuer de la juridiction saisie en second lieu ne se prolonge ( 37 ).

108.

Dès lors, le premier problème qu’il convient de trancher est celui de savoir s’il peut être considéré que la juridiction de renvoi a bien été «saisie» le 13 juin 2014 au sens de l’article 16 du règlement no 2201/2003.

109.

Tel semble bien être le cas. En effet, la requérante au principal a déposé sa demande de divorce le 13 juin 2014 devant la juridiction de renvoi et rien, dans la décision de renvoi, ne permet de considérer qu’elle n’aurait pas pris les mesures qu’elle était tenue de prendre, conformément à l’article 16 du règlement no 2201/2003. C’est toutefois à la juridiction de renvoi qu’incombent, en définitive, les vérifications qui s’imposent à cet égard.

110.

Il sera observé, par ailleurs, qu’il semble également que la juridiction française ait bien été «saisie» le 17 juin 2014, au sens de l’article 16 du règlement no 2201/2003, de la demande de divorce du défendeur au principal.

111.

L’application stricte de la règle procédurale chronologique établie à l’article 19 du règlement no 2201/2003 commande dès lors de considérer que, dans les circonstances de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi est la juridiction première saisie d’une demande de divorce, et que c’est donc à la juridiction française, seconde saisie, qu’il incombait de surseoir à statuer, jusqu’à ce que la compétence de la juridiction de renvoi soit établie, et, le cas échéant, de se dessaisir.

112.

Dès lors que, d’une part, la compétence de la juridiction française pour connaître de la procédure en séparation de corps initiée par le défendeur au principal doit être considérée comme révolue du fait de sa caducité et que, d’autre part, la juridiction de renvoi doit être considérée comme étant la première saisie d’une demande de divorce, les différents éléments factuels identifiés par la juridiction de renvoi comme étant décisifs dans ses questions préjudicielles ( 38 ) apparaissent comme dénués de pertinence. La seule question qui demeure est ainsi celle de savoir si la compétence de la juridiction de renvoi est établie au sens de l’article 19 du règlement no 2201/2003.

113.

Bien qu’il appartienne à la juridiction de renvoi de statuer à cet égard, il doit être relevé que, conformément à l’article 3 du règlement no 2201/2003, la juridiction de renvoi est compétente pour connaître du divorce voulu par les parties au principal. Il peut en outre être observé que, d’une part, la juridiction de renvoi n’a pas décliné sa compétence pour connaître de la demande de divorce déposée par la requérante au principal, bien au contraire, et, d’autre part, le défendeur au principal n’a pas soulevé l’incompétence de la juridiction de renvoi, mais seulement déposé une demande tendant au rejet ou à la radiation de la demande de divorce de la requérante au principal, en application de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 2201/2003 ( 39 ).

114.

Il pourrait encore être objecté que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’interprétation proposée des articles 16 et 19 du règlement no 2201/2003 désavantage les personnes qui, comme le défendeur au principal, se trouvent dans l’impossibilité d’engager une procédure de divorce en France après avoir engagé une procédure en séparation de corps, dès lors qu’une procédure en divorce est engagée dans un autre État membre peu de temps avant l’échéance du délai de caducité de la procédure en séparation de corps prévu à l’article 1113 du code de procédure civile.

115.

Ce désavantage est toutefois plus apparent que réel, dès lors qu’il est constant que le défendeur au principal pouvait se désister de sa demande en séparation de corps pour introduire ensuite, devant une juridiction française, une requête en divorce s’il le souhaitait. Si désavantage il y a, il n’est que la conséquence de la situation créée par la dualité de la procédure de «démariage» en France et du déséquilibre procédural que les articles 1076, 1111 et 1113 du code de procédure civile introduisent entre le requérant et le défendeur dans le cadre de la conduite d’une procédure en séparation de corps.

116.

En tout état de cause, et ainsi que l’a fait observer l’avocat général Jääskinen dans ses conclusions dans l’affaire Weber ( 40 ) en ce qui concerne l’article 27 du règlement no 44/2001, la priorité de compétence que cette disposition établit sur la seule base d’un critère chronologique conduit nécessairement à favoriser la partie qui s’est montrée la plus rapide pour saisir une juridiction d’un État membre.

117.

Il découle de ce qui précède que la réponse à apporter aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi est que les articles 16 et 19 du règlement no 2201/2003 doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal:

dans lesquelles une procédure en séparation de corps engagée devant une juridiction d’un premier État membre est devenue caduque et

dans lesquelles deux demandes en divorce ont été introduites parallèlement, la première devant une juridiction d’un autre État membre peu avant la date de caducité de la procédure en séparation de corps et la seconde devant la juridiction du premier État membre peu après cette même date de caducité,

la compétence de la juridiction du premier État membre pour connaître de la demande de divorce doit être considérée comme n’étant pas établie.

VI – Conclusion

118.

À la lumière des développements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de la Haute Cour de justice, division de la famille, en disant pour droit:

Les articles 16 et 19 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal:

dans lesquelles une procédure en séparation de corps engagée devant une juridiction d’un premier État membre est devenue caduque et

dans lesquelles deux demandes en divorce ont été introduites parallèlement, la première devant une juridiction d’un autre État membre peu avant la date de caducité de la procédure en séparation de corps et la seconde devant la juridiction du premier État membre peu après cette même date de caducité,

la compétence de la juridiction du premier État membre pour connaître de la demande de divorce doit être considérée comme n’étant pas établie.


( 1 )   Langue originale: le français.

( 2 )   JO L 338, p. 1, ci‑après le «règlement no 2201/2003».

( 3 )   Ci‑après la «requérante au principal».

( 4 )   Ci‑après le «défendeur au principal».

( 5 )   JO L 12, p. 1

( 6 )   JO L 351, p. 1.

( 7 )   C‑111/01, EU:C:2003:257, point 27.

( 8 )   Voir article 15 du règlement no 2201/2003.

( 9 )   Voir considérants 33 et 34 et articles 32 à 34.

( 10 )   JO L 7, p. 1.

( 11 )   JO L 201, p. 107.

( 12 )   Cour de cassation, 1re chambre civile, pourvoi no 12‑24001 (ECLI:FR:CCASS:2013:C100695).

( 13 )   Voir arrêt Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:665, point 86).

( 14 )   Voir arrêt C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268) et prise de position de l’avocat général Szpunar dans l’affaire C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2275, points 58 à 60).

( 15 )   Voir arrêt Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:665, points 64 et 66).

( 16 )   (JO 1972, L 299, p. 32, ci‑après la «convention de Bruxelles»). Voir arrêts Gasser (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 41) et Mærsk Olie & Gas (C‑39/02, EU:C:2004:615).

( 17 )   Voir arrêt Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109, point 40).

( 18 )   C‑1/13, EU:C:2014:109, point 45.

( 19 )   Pourvoi no 13/70007 (ECLI:FR:CCASS:2014:AV15001), ci‑après l’«avis du 10 février 2014».

( 20 )   Voir conclusions de Bernard de la Gâtinais sous l’avis du 10 février 2014 et jurisprudence de la Cour de cassation citée.

( 21 )   Voir Watine‑Drouin, C., Séparation de corps, causes, procédure, effets, JurisClasseur Notarial, Fascicule no 5, no 34 et jurisprudence citée.

( 22 )   Voir avis du 10 février 2014 et conclusions de Bernard de la Gâtinais.

( 23 )   Il doit à cet égard être relevé que, comme l’a relevé la requérante au principal, la Cour de Cassation a confirmé un arrêt d’une cour d’appel qui avait jugé que, conformément aux articles 3, paragraphe 1, sous a), et 16 du règlement no 2201/2003, «une juridiction est régulièrement saisie, en matière de divorce, à la date de dépôt de la requête à condition qu’il ait été suivi d’une assignation en divorce»; voir Cour de cassation, 1re chambre civile, arrêt du 26 juin 2013, pourvoi no 12‑24001 (ECLI:FR:CCASS:2013:C100695). S’il est vrai que cette interprétation du règlement no 2201/2003, à supposer qu’elle soit confirmée par la Cour, est de nature à résoudre le problème soulevé par le litige au principal, il demeure que les questions posées à la Cour ne portent pas sur le «caractère régulier» de la saisine de la juridiction française mais, comme nous le verrons dans la suite des développements, sur les notions de «compétence établie», au sens de l’article 19, du règlement no 2201/2003, et de «juridiction première saisie», au sens de l’article 16 de ce règlement.

( 24 )   Il doit néanmoins être observé que la Cour n’a pas encore eu l’occasion d’interpréter cette disposition.

( 25 )   Il sera rappelé que l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 reprend la substance de l’article 11, paragraphe 2, de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale, signée à Bruxelles le 28 mai 1998 (JO C 221, p. 2, ci‑après «la convention de Bruxelles du 28 mai 1998»), présentée comme une disposition novatrice appelée à traiter des cas de «fausse litispendance», en vue de «tenir compte de manière spécifique des différences entre les ordres juridiques des États liées au fait que tous ne connaissent pas la séparation, le divorce et l’annulation du mariage». Voir rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale, rédigé par Mme Alegría Borrás et approuvé par le Conseil le 28 mai 1998, point 54 (JO 221, p. 27). Voir également la proposition de la Commission [COM(1999) 220 final], conduisant à l’adoption du règlement no 1347/2000/CE du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (JO L 160, p. 19), auquel renvoie la proposition de la Commission [COM(2002) 222 final] conduisant à l’adoption du règlement no 2201/2003.

( 26 )   Voir, à cet égard, point 21 des présentes conclusions.

( 27 )   Voir arrêt Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:665, points 64 à 86).

( 28 )   Voir arrêts Zelger (129/83, EU:C:1984:215); Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528); Overseas Union Insurance e.a. (C‑351/89, EU:C:1991:279); Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400); von Horn (C‑163/95, EU:C:1997:472); Drouot assurances (C‑351/96, EU:C:1998:242); Gantner Electronic (C‑111/01, EU:C:2003:257); Gasser (C‑116/02, EU:C:2003:657); Mærsk Olie & Gas (C‑39/02, EU:C:2004:615).

( 29 )   Voir, en particulier, arrêts Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109) et Weber (C‑438/12, EU:C:2014:212)

( 30 )   Voir, en ce sens, mais avec les réserves qu’imposait la spécificité de la responsabilité parentale, prise de position de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:578, points 95 et suivants); voir également, notamment, arrêt Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:665, points 64 et suivants).

( 31 )   Voir arrêt Gasser (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 47).

( 32 )   Voir, notamment, arrêts Gasser (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 70) ainsi que Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109, point 33).

( 33 )   Voir, notamment, en ce qui concerne la convention de Bruxelles, arrêt Gasser (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 41) et, en ce qui concerne le règlement no 2201/2003, arrêt Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:665, point 64).

( 34 )   L’article 16 du règlement no 2201/2003 reprend, en l’occurrence, les dispositions de l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 1347/2000.

( 35 )   Ainsi que le relève à juste titre l’avocat général Jääskinen dans sa prise de position dans l’affaire Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:578, point 98). Il insiste, à cet égard, sur le renversement opéré par le législateur par rapport à la position qu’avait adoptée la Cour concernant l’article 21 de la convention de Bruxelles dans l’arrêt Zelger (129/83, EU:C:1984:215, point 16), dans lequel elle avait jugé que «l’article 21 de la convention doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme ‘première saisie’ la juridiction devant laquelle ont été remplies en premier lieu les conditions permettant de conclure à une litispendance définitive, ces conditions devant être appréciées, selon la loi nationale de chacune des juridictions concernées».

( 36 )   Voir prise de position de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:578, point 98).

( 37 )   Voir, par analogie avec l’article 27du règlement no 44/2001, arrêt Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109, points 38 et 41).

( 38 )   À savoir, premièrement, la circonstance que le défendeur au principal n’a pris aucune initiative afin de mener à son terme la procédure en séparation de corps qu’il a initié en France, voire qu’il ait manifestement tenté de manœuvrer pour faire obstacle à l’engagement de toute procédure de divorce au Royaume‑Uni et, deuxièmement, la circonstance que, du fait des fuseaux horaires respectifs du Royaume‑Uni et de la France, le demandeur s’adressant à une juridiction française est nécessairement favorisé du point de vue des règles chronologiques de litispendance établies par l’article 19 du règlement no 2201/2003.

( 39 )   Voir, par analogie avec l’article 27 du règlement no 44/2001, arrêt Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109, point 44).

( 40 )   C‑438/12, EU:C:2014:43, point 79.