ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

13 mai 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Espace de liberté, de sécurité et de justice — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Champ d’application — Arbitrage — Exclusion — Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales étrangères — Injonction prononcée par un tribunal arbitral situé dans un État membre — Injonction visant à empêcher l’introduction ou la poursuite d’une procédure devant une juridiction d’un autre État membre — Pouvoir des juridictions d’un État membre de refuser la reconnaissance de la sentence arbitrale — Convention de New York»

Dans l’affaire C‑536/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Lituanie), par décision du 10 octobre 2013, parvenue à la Cour le 14 octobre 2013, dans la procédure

«Gazprom» OAO

en présence de:

Lietuvos Respublika,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, A. Ó Caoimh et J.‑C. Bonichot, présidents de chambre, MM. E. Levits, M. Safjan (rapporteur), Mmes M. Berger, A. Prechal, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 septembre 2014,

considérant les observations présentées:

pour «Gazprom» OAO, par Me R. Audzevičius, advokatas,

pour le gouvernement lituanien, par Mmes A. A. Petravičienė et A. Svinkūnaitė ainsi que par M. D. Kriaučiūnas, en qualité d’agents, assistés de Mes V. Bernatonis et A. Šekštelo, advokatai,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,

pour le gouvernement français, par MM. F.-X. Bréchot, G. de Bergues et D. Colas, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Holt, en qualité d’agent, assisté de M. B. Kennelly, barrister,

pour la Confédération suisse, par Mme M. Jametti ainsi que par MM. M. Schöll et D. Klingele, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes A.-M. Rouchaud-Joët et A. Steiblytė, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 décembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours introduit par «Gazprom» OAO (ci-après «Gazprom»), société ayant son siège à Moscou (Russie), contre le refus de reconnaissance et d’exécution en Lituanie d’une sentence arbitrale rendue le 31 juillet 2012.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le règlement no 44/2001 a été abrogé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 351, p. 1), lequel est applicable à partir du 10 janvier 2015. Cependant, le règlement no 44/2001 demeure applicable dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

4

Il ressortait du considérant 2 du règlement no 44/2001 que celui-ci visait, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, à mettre en œuvre «[d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement».

5

Les considérants 7 et 11 dudit règlement énonçaient:

«(7)

Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies.

[...]

(11)

Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. [...]»

6

L’article 1er, paragraphes 1 et 2, sous d), du même règlement, figurant au chapitre I, intitulé «Champ d’application», était libellé comme suit:

«1.   Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2.   Sont exclus de son application:

[...]

d)

l’arbitrage.»

7

L’article 71, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 énonçait:

«Le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.»

Le droit lituanien

8

Le chapitre X de la partie II du deuxième livre du code civil est intitulé «Modalités de l’enquête sur les activités d’une personne morale» et comprend les articles 2.124 à 2.131.

9

L’article 2.124 du code civil, intitulé «Contenu de l’enquête sur les activités d’une personne morale», dispose:

«Les personnes énumérées à l’article 2.125 [...] ont le droit de demander à la juridiction de désigner des experts qui examineront si la personne morale, ses organes de direction ou ses membres ont agi de manière appropriée et, si des activités inappropriées sont constatées, d’appliquer des mesures prévues à l’article 2.131 [...]»

10

En vertu de l’article 2.125, paragraphe 1, point 1, dudit code, un ou plusieurs actionnaires détenant au moins 1/10e des actions de la personne morale peuvent introduire un tel recours.

11

Les mesures prévues à l’article 2.131 de ce même code incluent, notamment, l’annulation des décisions prises par les organes de direction de la personne morale, l’exclusion ou la suspension temporaire des pouvoirs des membres de ses organes et la possibilité de contraindre la personne morale à entreprendre ou à ne pas entreprendre certaines actions.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

Il ressort de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour que, à la date des faits au principal, les principaux actionnaires de «Lietuvos dujos» AB (ci-après «Lietuvos dujos») étaient E.ON Ruhrgas International GmbH, société de droit allemand détenant 38,91 % du capital social, Gazprom qui détenait 37,1 % de ce capital et l’État lituanien qui en détenait 17,7 %.

13

Le 24 mars 2004, Gazprom a conclu un accord d’actionnaires (ci-après l’«accord d’actionnaires») avec E.ON Ruhrgas International GmbH et le State Property Fund (Fonds des biens de l’État) agissant pour le compte de la Lietuvos Respublika, fonds auquel s’est par la suite substituée la Lietuvos Respublikos energetikos ministerija (ministère de l’Énergie de la République de Lituanie, ci-après la «ministerija»). Cet accord contenait, à son article 7.14, une clause compromissoire selon laquelle «tous les litiges, les désaccords ou les objections liés au présent accord ou à sa violation, à sa validité, à son entrée en vigueur ou à sa résiliation sont définitivement résolus par voie d’arbitrage».

14

Le 25 mars 2011, la Lietuvos Respublika, représentée par la ministerija, a introduit devant le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius) une requête visant l’ouverture d’une enquête sur les activités d’une personne morale.

15

Cette requête visait Lietuvos dujos ainsi que M. Valentukevičius, directeur général de cette société, ainsi que MM. Golubev et Seleznev, ressortissants russes membres de la direction de ladite société, nommés par Gazprom. Par ladite requête, la ministerija a également demandé que, si ladite enquête devait établir que les activités de la même société ou desdites personnes étaient inappropriées, certaines mesures correctives prévues à l’article 2.131 du code civil soient imposées.

16

Considérant que ce recours violait la clause compromissoire stipulée à l’article 7.14 de l’accord d’actionnaires, Gazprom a, le 29 août 2011, déposé auprès de l’institut d’arbitrage de la chambre de commerce de Stockholm une demande d’arbitrage formée contre la ministerija.

17

Gazprom a notamment demandé au tribunal arbitral constitué par l’institut d’arbitrage de la chambre de commerce de Stockholm d’enjoindre à la ministerija de mettre fin à l’examen de l’affaire pendante devant le Vilniaus apygardos teismas.

18

Par une sentence du 31 juillet 2012, ledit tribunal arbitral a constaté la violation partielle de la clause compromissoire contenue dans l’accord d’actionnaires et a enjoint à la ministerija, notamment, de retirer ou de réduire certaines des demandes dont celle-ci avait saisi ladite juridiction (ci-après la «sentence arbitrale du 31 juillet 2012»).

19

Par une ordonnance du 3 septembre 2012, le Vilniaus apygardos teismas a ordonné l’ouverture d’une enquête sur les activités de Lietuvos dujos. Il a également constaté qu’une demande d’enquête sur les activités d’une personne morale relevait de sa compétence et ne pouvait faire l’objet d’un arbitrage en vertu du droit lituanien.

20

Lietuvos dujos ainsi que MM. Valentukevičius, Golubev et Seleznev ont interjeté appel de cette décision devant le Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie). Par ailleurs, Gazprom a, dans le cadre d’une autre procédure, saisi cette même juridiction d’une demande de reconnaissance et d’exécution en Lituanie de la sentence arbitrale du 31 juillet 2012.

21

Par une première ordonnance du 17 décembre 2012, le Lietuvos apeliacinis teismas a rejeté cette dernière demande. Cette juridiction a considéré, d’une part, que le tribunal arbitral ayant rendu cette sentence arbitrale ne pouvait pas statuer sur une question déjà soulevée devant le Vilniaus apygardos teismas et examinée par cette dernière juridiction et, d’autre part, que, en se prononçant sur cette question, ce tribunal n’avait pas respecté l’article V, paragraphe 2, sous a), de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 330, p. 3, ci-après la «convention de New York»).

22

En outre, le Lietuvos apeliacinis teismas a indiqué que, par la sentence arbitrale du 31 juillet 2012, dont la reconnaissance et l’exécution étaient demandées, ledit tribunal arbitral a, non seulement, limité la capacité de la ministerija à agir devant une juridiction lituanienne en vue de l’ouverture d’une enquête sur les activités d’une personne morale, mais a aussi dénié à cette juridiction nationale le pouvoir dont celle-ci dispose de se prononcer sur sa compétence. De la sorte, le même tribunal arbitral aurait violé la souveraineté nationale de la République de Lituanie, ce qui serait contraire aux ordres publics lituanien et international. Selon le Lietuvos apeliacinis teismas, le refus de reconnaître la sentence était également justifié par l’article V, paragraphe 2, sous b), de ladite convention.

23

Par une seconde ordonnance du 21 février 2013, le Lietuvos apeliacinis teismas a rejeté l’appel de Lietuvos dujos ainsi que de MM. Valentukevičius, Golubev et Seleznev contre la décision du Vilniaus apygardos teismas, du 3 septembre 2012, d’ouvrir une enquête sur les activités de Lietuvos dujos. Il a également confirmé la compétence des juridictions lituaniennes pour examiner cette affaire.

24

Les deux ordonnances du Lietuvos apeliacinis teismas, du 17 décembre 2012 et du 21 février 2013, ont chacune fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie). Cette juridiction a décidé, par ordonnance du 20 novembre 2013, de surseoir à statuer sur le pourvoi formé contre la seconde de ces ordonnances, jusqu’à ce qu’elle tranche le pourvoi concernant la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale du 31 juillet 2012.

25

La juridiction de renvoi s’interroge, au vu de la jurisprudence de la Cour en la matière et de l’article 71 du règlement no 44/2001, sur le point de savoir si la reconnaissance et l’exécution de ladite sentence arbitrale qu’elle qualifie d’«anti-suit injunction» sont susceptibles d’être refusées au motif que, après une telle reconnaissance et une telle exécution, l’exercice par une juridiction lituanienne du pouvoir de se prononcer sur sa propre compétence pour statuer sur une demande d’ouverture d’une enquête sur les activités d’une personne morale serait restreint.

26

Dans ces conditions, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Dans l’hypothèse où une juridiction arbitrale émettrait une ‘anti-suit injunction’ et interdirait de ce fait à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction d’un État membre qui, en vertu des règles de compétence du règlement no 44/2001, est compétente pour examiner au fond une affaire civile, la juridiction de l’État membre a-t-elle le droit de refuser de reconnaître une telle sentence arbitrale du fait que celle-ci limite le droit de la juridiction de se prononcer elle-même sur sa compétence pour examiner une affaire en vertu des règles de compétence du règlement no 44/2001?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, celle-ci serait-elle valide également si l’‘anti-suit injunction’ prononcée par la juridiction arbitrale [imposait] à une partie à la procédure de limiter ses prétentions dans une affaire qui est examinée dans un autre État membre et [si] la juridiction de cet État membre [était] compétente pour examiner cette affaire en vertu des règles de compétence du règlement no 44/2001?

3)

Une juridiction nationale peut-elle, en souhaitant veiller à la primauté du droit de l’Union et à la pleine efficacité du règlement no 44/2001, refuser de reconnaître une sentence arbitrale si celle-ci limite le droit de la juridiction nationale de se prononcer sur sa compétence et ses attributions dans une affaire relevant du champ d’application du règlement no 44/2001?»

Sur les questions préjudicielles

27

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ou à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre.

28

Il y a lieu de préciser tout d’abord que ledit règlement exclut à son article 1er, paragraphe 2, sous d), l’arbitrage de son champ d’application.

29

Pour déterminer si un litige relève du champ d’application du règlement no 44/2001, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte (arrêt Rich, C‑190/89, EU:C:1991:319, point 26).

30

S’agissant de l’objet de l’affaire au principal, il y a lieu de préciser qu’il ressort de la décision de renvoi que le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas est saisi d’un recours dirigé contre l’ordonnance du Lietuvos apeliacinis teismas refusant la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale, qualifiée d’«anti-suit injunction» par la juridiction de renvoi, par laquelle un tribunal arbitral a enjoint à la ministerija de retirer ou de réduire certaines des demandes que celle-ci avait présentées devant les juridictions lituaniennes. Parallèlement, la juridiction de renvoi est également saisie d’un recours dirigé contre une ordonnance du Lietuvos apeliacinis teismas confirmant la décision du Vilniaus apygardos teismas d’ouvrir une enquête sur les activités de Lietuvos dujos, qui, selon elle, relève de la matière civile au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.

31

Selon la juridiction de renvoi, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction nationale pourrait porter atteinte à l’effet utile du règlement no 44/2001, en ce sens qu’elle pourrait restreindre l’exercice par une telle juridiction de son pouvoir de se prononcer elle-même sur sa compétence pour examiner une affaire relevant du champ d’application dudit règlement.

32

À cet égard, il convient de rappeler que, dans son arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69), la Cour a jugé qu’une injonction prononcée par une juridiction d’un État membre interdisant à une partie de recourir à une procédure autre que l’arbitrage ainsi que de poursuivre la procédure engagée devant une juridiction d’un autre État membre, compétente en vertu du règlement no 44/2001, n’est pas compatible avec ce règlement.

33

En effet, une injonction prononcée par une juridiction d’un État membre obligeant une partie à une procédure d’arbitrage à ne pas poursuivre une procédure devant une juridiction d’un autre État membre ne respecte pas le principe général qui se dégage de la jurisprudence de la Cour, selon lequel chaque juridiction saisie détermine elle-même, en vertu des règles applicables, si elle est compétente pour trancher le litige qui lui est soumis. À cet égard, il convient de rappeler que le règlement no 44/2001 n’autorise pas, en dehors de quelques exceptions limitées, le contrôle de la compétence d’une juridiction d’un État membre par une juridiction d’un autre État membre. Cette compétence est déterminée directement par les règles fixées par ledit règlement, dont celles qui concernent son champ d’application. Une juridiction d’un État membre n’est donc en aucun cas mieux placée pour se prononcer sur la compétence d’une juridiction d’un autre État membre (voir arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali, C‑185/07, EU:C:2009:69, point 29).

34

La Cour a notamment considéré qu’une entrave, au moyen d’une telle injonction, à l’exercice par une juridiction d’un État membre des pouvoirs que le même règlement lui confère va à l’encontre de la confiance que les États membres accordent mutuellement à leurs systèmes juridiques ainsi qu’à leurs institutions judiciaires et est susceptible de fermer au requérant, qui considère qu’une convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée, l’accès à la juridiction étatique que celui-ci avait néanmoins saisie (voir, en ce sens, arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali, C‑185/07, EU:C:2009:69, points 30 et 31).

35

Dans la présente affaire, toutefois, la juridiction de renvoi interroge la Cour non pas sur la compatibilité avec le règlement no 44/2001 d’une telle injonction prononcée par une juridiction d’un État membre, mais sur la compatibilité avec ce règlement de l’éventuelle reconnaissance et exécution, par une juridiction d’un État membre, d’une sentence arbitrale qui prononce une injonction obligeant une partie à une procédure d’arbitrage à réduire la portée des demandes formulées dans le cadre d’une procédure pendante devant une juridiction de ce même État membre.

36

À cet égard, il convient de rappeler tout d’abord que, ainsi qu’il a été indiqué au point 28 du présent arrêt, l’arbitrage ne relève pas du champ d’application du règlement no 44/2001, celui-ci ne régissant que les conflits de compétence entre les juridictions des États membres. Les tribunaux arbitraux n’étant pas des juridictions étatiques, il n’y a pas, dans l’affaire au principal, de tel conflit au sens dudit règlement.

37

Ensuite, en ce qui concerne le principe de confiance mutuelle, que les États membres accordent à leurs systèmes juridiques et à leurs institutions judiciaires respectifs, qui se traduit par l’harmonisation des règles de compétence des juridictions sur la base du système établi par le règlement no 44/2001, il y a lieu de relever que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’injonction ayant été prononcée par un tribunal arbitral, il ne saurait être question d’une violation de ce principe par l’ingérence d’une juridiction d’un État membre dans la compétence d’une juridiction d’un autre État membre.

38

De même, dans ces circonstances, l’interdiction faite par un tribunal arbitral à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction d’un État membre ne saurait priver cette partie de la protection juridictionnelle visée au point 34 du présent arrêt, dans la mesure où, dans le cadre de la procédure de reconnaissance et d’exécution d’une telle sentence arbitrale, d’une part, cette partie pourrait s’opposer à cette reconnaissance et à cette exécution et, d’autre part, la juridiction saisie devrait déterminer, sur la base du droit procédural national et du droit international applicables, s’il convient ou non de reconnaître et d’exécuter cette sentence.

39

Ainsi, dans lesdites circonstances, ni ladite sentence arbitrale ni la décision par laquelle, le cas échéant, la juridiction d’un État membre reconnaît celle-ci ne sont susceptibles d’affecter la confiance mutuelle entre les juridictions des différents États membres sur laquelle repose le règlement no 44/2001.

40

Enfin, à la différence de l’injonction en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69, point 20), le non-respect de la sentence arbitrale du 31 juillet 2012 par la ministerija dans le cadre de la procédure visant l’ouverture d’une enquête sur les activités d’une personne morale n’est pas susceptible de donner lieu au prononcé, contre celle-ci, de sanctions par une juridiction d’un autre État membre. Il s’ensuit que les effets juridiques d’une sentence arbitrale telle que celle en cause au principal se distinguent de ceux de l’injonction en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

41

Partant, la procédure de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale telle que celle en cause au principal relève du droit national et du droit international applicables dans l’État membre dans lequel cette reconnaissance et cette exécution sont demandées, et non du règlement no 44/2001.

42

Ainsi, dans les circonstances de l’affaire au principal, la limitation éventuelle du pouvoir conféré à une juridiction d’un État membre saisie d’un litige parallèle de se prononcer sur sa propre compétence pourrait résulter uniquement de la reconnaissance et de l’exécution par une juridiction de ce même État membre d’une sentence arbitrale, telle que celle en cause au principal, au titre du droit procédural de cet État membre et, le cas échéant, de la convention de New York, qui régissent cette matière exclue du champ d’application dudit règlement.

43

Dès lors que la convention de New York régit un domaine exclu du champ d’application du règlement no 44/2001, elle ne porte notamment pas sur une «matière particulière», au sens de l’article 71, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, l’article 71 dudit règlement ne régit que les relations entre ce même règlement et les conventions relevant des matières particulières qui entrent dans le champ d’application du règlement no 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt TNT Express Nederland, C‑533/08, EU:C:2010:243, points 48 et 51).

44

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre aux questions posées que le règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre, dans la mesure où ce règlement ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

Le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre, dans la mesure où ce règlement ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le lituanien.