ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

15 mai 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Article 90 — Réduction de la base d’imposition — Étendue des obligations des États membres — Effet direct»

Dans l’affaire C‑337/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Kúria (Hongrie), par décision du 23 mai 2013, parvenue à la Cour le 20 juin 2013, dans la procédure

Almos Agrárkülkereskedelmi Kft

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-magyarországi Regionális Adó Főigazgatósága,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Almos Agrárkülkereskedelmi Kft, par Me T. Garadnai, ügyvéd,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

pour le gouvernement grec, par Mme M. Germani, en qualité d’agent,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Brighouse, en qualité d’agent, assistée de M. R. Hill, barrister,

pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 90 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Almos Agrárkülkereskedelmi Kft (ci-après «Almos») à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-magyarországi Regionális Adó Főigazgatósága (administration nationale des impôts et des douanes – direction principale régionale de la fiscalité de Hongrie centrale, ci‑après l’«administration fiscale») au sujet du refus de cette dernière d’admettre la rectification de factures à laquelle avait procédé Almos en vue d’obtenir une réduction de la base de la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA»), en raison de l’inexécution d’une vente.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le titre VII de la directive TVA, intitulé «Base d’imposition», comprend notamment les articles 73 et 90.

4

Selon l’article 73 de cette directive:

«Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations.»

5

Aux termes de l’article 90 de ladite directive:

«1.   En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

2.   En cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger au paragraphe 1.»

6

L’article 273 de la même directive dispose:

«Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3.»

Le droit hongrois

7

Aux termes de l’article 77 de la loi CXXVII de 2007 relative à la TVA (általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény, ci-après la «loi relative à la TVA»):

«(1)   En cas de livraison de biens, de prestation de services ou d’acquisition intracommunautaire de biens, la base d’imposition est réduite a posteriori à concurrence de la contrepartie qui a été remboursée ou qui doit être remboursée à qui de droit lorsque, après la réalisation

a)

dans l’hypothèse de l’invalidité de l’opération:

aa)

la situation antérieure à la conclusion de l’opération est rétablie, ou

ab)

l’opération, bien qu’invalide, est déclarée avoir produit des effets pendant toute la période précédant l’adoption de la décision constatant cette invalidité, ou

ac)

l’opération est déclarée valide moyennant suppression d’un avantage disproportionné;

b)

dans l’hypothèse de vices d’exécution:

ba)

l’opération est résolue par qui de droit, ou

bb)

une réduction du prix est consentie à qui de droit.

(2)   La base d’imposition est réduite a posteriori également

a)

en cas de remboursement des avances en raison de l’absence de réalisation de l’opération;

b)

en cas de résolution par l’obligé, en raison de l’absence de paiement de la totalité du prix du bien, d’une opération consistant en une livraison ou une location de biens relevant de l’article 10, sous a), de la présente loi, dès lors que les parties rétablissent la situation antérieure à la conclusion de l’opération ou, si cela est impossible, reconnaissent que cette opération a produit des effets jusqu’à la survenance de l’échec de la réalisation de celle-ci;

c)

en cas de remboursement de la consigne lors du rachat de biens consignés.

(3)   La base d’imposition peut être réduite a posteriori en cas de réduction du prix, conformément à l’article 71, paragraphe 1, sous a) et b), intervenant après la réalisation.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8

Au cours des mois d’août et de septembre 2008, Almos a vendu des graines de colza à une autre entreprise hongroise, Bio‑Ma Magyarország Energiaszolgáltató Zrt (ci-après «Bio‑Ma»). Ces graines ont été livrées et placées en entrepôt, mais l’acheteur n’en a pas réglé le prix.

9

Pour ce motif, il a été convenu entre les parties, dans un accord conclu le 1er octobre 2008, que les graines de colza étaient la propriété d’Almos, que celle-ci était seule autorisée à en disposer et que Bio‑Ma ne pouvait ni les grever de droits, ni les vendre, ni les remettre matériellement à un tiers. La date limite pour la restitution des graines de colza a été fixée au 10 octobre 2008, date jusqu’à laquelle Bio‑Ma était tenue de se comporter en gardien de la chose.

10

La restitution de la marchandise n’a toutefois pas eu lieu le 10 octobre 2008 car, entre-temps, celle-ci a été saisie.

11

Almos a engagé un recours civil afin d’obtenir la restitution des graines de colza. La Szegedi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Szeged) a obligé l’acheteur, par un jugement définitif, à restituer 2263,796 tonnes de graines de colza ou, à défaut, à payer une somme de 1022783 euros. Le jugement précisait que les parties avaient résolu le contrat de vente qui les liait et qu’Almos était désormais propriétaire des graines de colza.

12

Almos a, en conséquence, rectifié les factures relatives à la vente à Bio‑Ma et, dans sa déclaration fiscale mensuelle de décembre 2009, a déclaré un montant de 116705000 forints hongrois (HUF) au titre de la TVA récupérable.

13

L’administration fiscale a cependant considéré que cette déclaration était injustifiée à hauteur de 48043000 HUF, montant auquel elle a appliqué une majoration de 10 % à titre de pénalité. Elle a fait valoir que, malgré l’absence de paiement de la contrepartie, il y avait eu une livraison de biens, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA. Selon cette administration, la rectification des factures n’était pas justifiée et l’accord conclu entre les parties après la livraison devait être considéré comme une nouvelle opération. En outre, la situation antérieure n’aurait pas non plus été rétablie puisqu’il n’y a pas eu restitution des graines de colza et que le prix convenu n’a pas été payé. Les dispositions de l’article 77, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la TVA prévoiraient la réduction a posteriori de la base imposable dans l’hypothèse où l’opération n’aurait pas été valable, hypothèse qui se distinguerait de la résolution du contrat, telle que celle intervenue en l’espèce. La loi relative à la TVA ne contiendrait pas de disposition qui permette une réduction a posteriori de la base d’imposition au seul motif d’un non-paiement total ou partiel des biens en cause.

14

La juridiction de première instance a rejeté le recours d’Almos dirigé contre la décision de l’administration fiscale.

15

Dans son pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi, Almos souligne que la résolution du contrat a eu pour effet de lui transférer de nouveau la propriété des biens vendus. Selon cette société, il y a eu, dès lors, non pas la réalisation d’une opération autonome du point de vue du droit fiscal, mais une opération étroitement et intrinsèquement liée au contrat de vente initial puisque l’acheteur ne serait devenu le propriétaire des graines de colza que s’il en avait payé le prix de vente. Elle fait valoir que, au regard de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, aucun comportement irrégulier ne peut lui être reproché en ce qui concerne la situation lui ouvrant droit à réduction.

16

La juridiction de renvoi relève que, au moment de l’introduction de la demande de remboursement, la loi relative à la TVA ne couvrait pas la totalité des hypothèses énumérées à l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA et ne prévoyait notamment pas la possibilité d’une réduction de la base d’imposition en cas d’annulation, de résiliation, de résolution et de non-paiement total ou partiel de la contrepartie. Elle se demande si cette loi n’a pas privé les assujettis des droits auxquels ils auraient pu prétendre à ce titre.

17

Dans ces conditions, la Kúria (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Les dispositions de l’article 77, paragraphes 1 et 2, de la loi [relative à la TVA], dans leur version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2010, sont-elles compatibles avec celles de l’article 90, paragraphe 1, de la directive [TVA] en ce sens que la loi [relative à la TVA] couvre la totalité des hypothèses de réduction de la base d’imposition énumérées dans cette disposition?

2)

Si tel n’est pas le cas, un contribuable qui, postérieurement à la réalisation d’une opération, n’a pas obtenu la contrepartie de cette dernière, peut-il prétendre, en l’absence d’une disposition de droit national en ce sens, à une réduction de l’impôt sur le fondement des principes de neutralité de l’impôt et de proportionnalité, compte tenu des dispositions de l’article 90, paragraphe 1, de la directive [TVA]?

3)

Si l’article 90, paragraphe 1, de la directive [TVA] est doté d’un effet direct, à quelles conditions est alors subordonnée la possibilité d’exercer le droit à une réduction fiscale? Suffit-il que le vendeur ait établi une facture rectificative et l’ait envoyée à l’acheteur ou est-il également nécessaire qu’il prouve que le bien est effectivement retourné en sa propriété, en ce sens qu’il lui a été matériellement remis?

4)

En cas de réponse négative à la troisième question, l’État membre est-il tenu, sur le fondement du droit de l’Union, de réparer le préjudice découlant d’un manquement à son obligation d’harmonisation en conséquence duquel le contribuable a été privé de la possibilité de bénéficier d’une réduction fiscale?

5)

L’article 90, paragraphe 2, de la directive [TVA] peut-il être compris en ce sens que les États membres gardent le droit, en cas de non-paiement total ou partiel, de ne pas octroyer de réduction de la base d’imposition et, si oui, faut-il pour cela qu’une règle de droit national ait expressément exclu la possibilité d’une telle réduction, ou peut-on considérer que le silence sur ce point de la réglementation applicable les autorise également à refuser la réduction en question?»

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et cinquième questions

18

À titre liminaire, il convient de rappeler que le système de coopération établi par l’article 267 TFUE est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. Dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de cet article, l’interprétation des dispositions nationales appartient aux juridictions des États membres et non à la Cour, et il n’incombe pas à cette dernière de se prononcer sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit de l’Union. En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui permettent à celle‑ci d’apprécier la compatibilité de normes de droit interne avec la réglementation communautaire (voir, notamment, arrêt Placanica e.a., C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, EU:C:2007:133, point 36).

19

S’il n’incombe pas, dès lors, à la Cour de se prononcer, dans la présente affaire, sur la compatibilité de l’article 77 de la loi relative à la TVA avec l’article 90 de la directive TVA, en revanche, il lui appartient de fournir tous les éléments d’interprétation de cette dernière disposition pour permettre à la juridiction de renvoi d’apprécier cette compatibilité.

20

Ainsi, il y a lieu de considérer que, par ses première et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de l’article 90 de la directive TVA exigent que les dispositions nationales qui les transposent énumèrent explicitement toutes les situations ouvrant droit, selon le paragraphe 1 de cet article, à la réduction de la base d’imposition de la TVA.

21

Selon la jurisprudence de la Cour, la transposition en droit national d’une directive n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale expresse et spécifique et peut, en fonction de son contenu, se satisfaire d’un contexte juridique général, dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise, afin que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales (voir, notamment, arrêts Commission/Suède, C‑287/04, EU:C:2005:330, point 6, et Commission/Irlande, C‑427/07, EU:C:2009:457, point 54).

22

À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, qui vise les cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, oblige les États membres à réduire la base d’imposition et, partant, le montant de la TVA due par l’assujetti chaque fois que, postérieurement à la conclusion d’une transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti. Cette disposition constitue l’expression d’un principe fondamental de la directive TVA, selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et dont le corollaire consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait perçu (voir, en ce sens, arrêt Kraft Foods Polska, C‑588/10, EU:C:2012:40, points 26 et 27).

23

Cependant, le paragraphe 2 dudit article 90 permet aux États membres de déroger à la règle susmentionnée en cas de non-paiement total ou partiel du prix de l’opération. Les assujettis ne sauraient, dès lors, se prévaloir, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, d’un droit à la réduction de leur base d’imposition de la TVA en cas de non-paiement du prix si l’État membre concerné a entendu faire application de la dérogation prévue à l’article 90, paragraphe 2, de ladite directive.

24

Il convient d’admettre qu’une disposition nationale qui, dans l’énumération des situations dans lesquelles la base d’imposition est réduite, ne vise pas celle du non-paiement du prix de l’opération soit regardée comme le résultat de l’exercice, par l’État membre, de la faculté de dérogation qui lui a été accordée en vertu de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA.

25

Il doit être relevé, en effet, à cet égard que, si le non-paiement total ou partiel du prix d’achat intervient sans qu’il y ait eu résolution ou annulation du contrat, l’acheteur reste redevable du prix convenu et le vendeur, bien que n’étant plus propriétaire du bien, dispose toujours en principe de sa créance, dont il peut se prévaloir en justice. Dès lors qu’il ne saurait être exclu, cependant, qu’une telle créance devienne en fait définitivement irrécouvrable, le législateur de l’Union a entendu laisser à chaque État membre le choix de déterminer si la situation de non‑paiement du prix d’achat, qui, par elle-même, contrairement à la résolution ou à l’annulation du contrat, ne remet pas les parties dans leur situation initiale, ouvre droit à la réduction de la base d’imposition à due concurrence dans les conditions qu’il fixe, ou bien si une telle réduction n’est pas admise dans cette situation.

26

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, d’une part, que la seule circonstance que, dans l’énumération des situations dans lesquelles la base d’imposition est réduite, la disposition nationale de transposition ne reprenne pas toutes les situations visées à l’article 90, paragraphe 1, de cette directive, ne permet pas de considérer, eu égard au contexte juridique général dans lequel s’inscrit cette mesure de transposition, que celle-ci ne serait pas de nature à assurer effectivement la pleine application de la directive TVA d’une façon suffisamment claire et précise.

27

D’autre part, il importe, en revanche, que, pour les situations autres que celles liées au non-paiement du prix, les dispositions nationales de transposition prennent en compte toutes les situations dans lesquelles, postérieurement à la conclusion d’une transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

28

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et cinquième questions que les dispositions de l’article 90 de la directive TVA doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une disposition nationale qui ne prévoit pas la réduction de la base d’imposition de la TVA en cas de non-paiement du prix s’il est fait application de la dérogation prévue au paragraphe 2 de cet article. Toutefois, cette disposition doit alors viser toutes les autres situations dans lesquelles, en vertu du paragraphe 1 dudit article, postérieurement à la conclusion d’une transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

Sur les deuxième à quatrième questions

29

Par ses deuxième à quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, pour le cas où, au terme de la vérification à laquelle elle doit procéder, elle devrait considérer que, en dehors du cas de non-paiement du prix, les dispositions nationales en cause au principal ne transposent pas correctement les dispositions de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, quels sont les droits dont l’assujetti pourrait se prévaloir, et, le cas échéant, dans quelles conditions, pour obtenir une réduction de sa base d’imposition de la TVA ou une mesure équivalente.

30

La juridiction de renvoi demande ainsi, en premier lieu, si l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA remplit les conditions pour produire un effet direct dans le chef des assujettis.

31

Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (voir arrêts Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 103, et Association de médiation sociale, C‑176/12, EU:C:2014:2, point 31).

32

Une disposition du droit de l’Union est inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres (voir, en ce sens, arrêt Pohl-Boskamp, C‑317/05, EU:C:2006:684, point 41).

33

En l’occurrence, l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit que, dans les cas qu’il vise, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

34

Si cet article laisse ainsi aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils fixent les mesures permettant de déterminer le montant de la réduction, cette circonstance n’affecte pas, cependant, le caractère précis et inconditionnel de l’obligation de faire droit à la réduction de la base d’imposition dans les cas visés par ledit article. Celui-ci remplit dès lors les conditions pour produire un effet direct (voir par analogie, notamment, arrêt Association de médiation sociale, EU:C:2014:2, point 33).

35

Il en résulte que, dès lors que les assujettis peuvent invoquer l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État pour obtenir la réduction de leur base d’imposition de la TVA, la question de la juridiction de renvoi tendant à savoir si l’État membre concerné serait tenu de réparer le préjudice que subiraient les intéressés en raison du fait que cet État, en ne transposant pas correctement ladite directive, les aurait privés de leur droit à réduction est sans objet.

36

En second lieu, quant à la question de savoir à quelles formalités peut être soumis l’exercice de ce droit à réduction de la base d’imposition, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 273 de la directive TVA, les États membres peuvent prévoir les obligations qu’ils jugent nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, à condition notamment que cette faculté ne soit pas utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3 de cette directive.

37

Étant donné que, en dehors des limites qu’elles fixent, les dispositions des articles 90, paragraphe 1, et 273 de la directive TVA ne précisent ni les conditions ni les obligations que les États membres peuvent prévoir, force est de constater que ces dispositions confèrent à ces derniers une marge d’appréciation, notamment, quant aux formalités à remplir par les assujettis devant les autorités fiscales desdits États, aux fins de procéder à une réduction de la base d’imposition (voir, en ce sens, arrêt Kraft Foods Polska, EU:C:2012:40, point 23).

38

Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que les mesures de nature à éviter des fraudes ou des évasions fiscales ne peuvent en principe déroger au respect des règles relatives à la base d’imposition que dans les limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif spécifique. En effet, elles doivent affecter le moins possible les objectifs et les principes de la directive TVA et ne peuvent, dès lors, être utilisées d’une manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA (voir, en ce sens, arrêts Kraft Foods Polska, EU:C:2012:40, point 28, ainsi que Petroma Transports e.a., C‑271/12, EU:C:2013:297, point 28).

39

Il importe, par conséquent, que les formalités à remplir par les assujettis pour exercer, devant les autorités fiscales, le droit de procéder à une réduction de la base d’imposition de la TVA soient limitées à celles qui permettent de justifier que, postérieurement à la conclusion de la transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie ne sera définitivement pas perçue. Il incombe à cet égard aux juridictions nationales de vérifier que tel est le cas des formalités exigées par l’État membre concerné.

40

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions que les assujettis peuvent invoquer l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État membre pour obtenir la réduction de leur base d’imposition de la TVA. Si les États membres peuvent prévoir que l’exercice du droit à la réduction d’une telle base d’imposition est subordonné à l’accomplissement de certaines formalités permettant de justifier notamment que, postérieurement à la conclusion de la transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’a pas été perçue définitivement par l’assujetti et que celui-ci pouvait se prévaloir de l’une des situations visées à l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, les mesures ainsi adoptées ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire à cette justification, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

Sur les dépens

41

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit:

 

1)

Les dispositions de l’article 90 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une disposition nationale qui ne prévoit pas la réduction de la base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée en cas de non-paiement du prix s’il est fait application de la dérogation prévue au paragraphe 2 de cet article. Toutefois, cette disposition doit alors viser toutes les autres situations dans lesquelles, en vertu du paragraphe 1 dudit article, postérieurement à la conclusion d’une transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’est pas perçue par l’assujetti, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

 

2)

Les assujettis peuvent invoquer l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112 devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État membre pour obtenir la réduction de leur base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée. Si les États membres peuvent prévoir que l’exercice du droit à la réduction d’une telle base d’imposition est subordonné à l’accomplissement de certaines formalités permettant de justifier notamment que, postérieurement à la conclusion de la transaction, une partie ou la totalité de la contrepartie n’a pas été perçue définitivement par l’assujetti et que celui-ci pouvait se prévaloir de l’une des situations visées à l’article 90, paragraphe 1, de la directive 2006/112, les mesures ainsi adoptées ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire à cette justification, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le hongrois.