CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 10 avril 2014 ( 1 )

Affaire C‑4/13

Agentur für Arbeit Krefeld – Familienkasse

contre

Susanne Fassbender-Firman

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«Sécurité sociale — Règlement (CEE) no 1408/71 — Article 76, paragraphe 2 — Prestations familiales — Règles ‘anticumul’ — Absence d’une demande de prestations dans l’État membre de résidence des membres de la famille — Possibilité de suspendre des prestations»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle, déposée au greffe de la Cour le 2 janvier 2013 par le Bundesfinanzhof (Allemagne), porte sur l’interprétation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 ( 2 ), tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 ( 3 ) (ci-après le «règlement no 1408/71»).

2.

Cette demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant l’Agentur für Arbeit Krefeld – Familienkasse (Agence du travail de Krefeld – Caisse d’allocations familiales, ci-après la «Familienkasse») à Mme Fassbender-Firman, au sujet d’une révocation de l’octroi d’allocations familiales avec effet au mois de juillet 2006 et de la récupération des allocations familiales versées entre le mois de juillet 2006 et le mois de mars 2007 (ci-après la «période litigieuse»).

3.

Mme Fassbender-Firman et son époux ont droit à des allocations familiales pour leur fils en Allemagne et en Belgique. En application de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, le Royaume de Belgique, État membre de résidence des membres de cette famille, est prioritairement compétent pour le paiement de leurs prestations familiales, afin d’éviter leur cumul injustifié. Toutefois, pour la période litigieuse, Mme Fassbender-Firman a perçu des allocations familiales en Allemagne alors que son époux n’en a ni demandé ni reçu en Belgique.

4.

La juridiction de renvoi interroge la Cour, notamment, sur la question de savoir si, et le cas échéant, dans quelles conditions, en l’absence de présentation d’une demande de prestations familiales dans l’État membre de résidence des membres de la famille (le Royaume de Belgique), l’institution compétente de l’autre État membre (la République fédérale d’Allemagne) dispose, en application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, d’un pouvoir discrétionnaire de suspendre, à concurrence du montant prévu par la législation belge, les prestations payées en Allemagne.

II – Le cadre juridique

A – La réglementation de l’Union

5.

L’article 1er, sous u), du règlement no 1408/71 dispose:

«i)

le terme ‘prestations familiales’ désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d’une législation prévue à l’article 4 paragraphe 1 point h), [...];

ii)

le terme ‘allocations familiales’ désigne les prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre et, le cas échéant, de l’âge des membres de la famille».

6.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71, celui-ci s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent les prestations familiales.

7.

L’article 73 du règlement no 1408/71, intitulé «Travailleurs salariés ou non salariés dont les membres de la famille résident dans un État membre autre que l’État compétent», disposait:

«Le travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d’un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci, sous réserve des dispositions de l’annexe VI.»

8.

L’article 76 du règlement no 1408/71, intitulé «Règles de priorité en cas de cumul de droits à prestations familiales en vertu de la législation de l’État compétent et en vertu de la législation du pays de résidence des membres de la famille», dans sa version applicable aux faits du litige au principal prévoyait:

«1.   Lorsque des prestations familiales sont, au cours de la même période, pour le même membre de la famille et au titre de l’exercice d’une activité professionnelle, prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel les membres de la famille résident, le droit aux prestations familiales dues en vertu de la législation d’un autre État membre, le cas échéant en application des articles 73 ou 74, est suspendu jusqu’à concurrence du montant prévu par la législation du premier État membre.

2.   Si une demande de prestations n’est pas introduite dans l’État membre sur le territoire duquel les membres de la famille résident, l’institution compétente de l’autre État membre peut appliquer les dispositions du paragraphe 1 comme si des prestations étaient octroyées dans le premier État membre.»

B – Le cadre juridique national allemand en vigueur pendant la période litigieuse

9.

L’article 65 de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, ci-après l’«EStG»), intitulé «Autres prestations pour enfants», disposait:

«1.   Les allocations familiales ne sont pas versées pour un enfant qui bénéficie de l’une des prestations suivantes ou qui en bénéficierait si une demande en ce sens était présentée:

1)

allocations pour enfant à charge au titre de l’assurance accidents légale ou des suppléments pour enfant au titre des assurances invalidité‑vieillesse légales;

2)

prestations pour enfant octroyées à l’étranger et comparables aux allocations familiales ou à l’une des prestations mentionnées au point 1;

[...]»

10.

Aux termes de l’article 4 de la loi sur les allocations familiales pour enfants à charge (Bundeskindergeldgesetz, ci‑après le «BKGG»), intitulé «Autres prestations pour enfants»:

«Les allocations familiales ne sont pas accordées pour un enfant qui bénéficie de l’une des prestations suivantes ou qui en bénéficierait si une demande en ce sens était présentée:

1)

allocations pour enfant à charge au titre de l’assurance accidents légale ou des suppléments pour enfant au titre des assurances invalidité‑vieillesse légales;

2)

prestations pour enfant octroyées hors d’Allemagne et comparables aux allocations familiales ou à l’une des prestations mentionnées au point 1;

[...]»

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

11.

Mme Fassbender-Firman, de nationalité allemande, et son époux, de nationalité belge, ont un fils né en 1995. Mme Fassbender-Firman exerce en Allemagne un emploi pour lequel sont dues des cotisations de sécurité sociale. L’époux de Mme Fassbender-Firman quitte le chômage pour travailler à partir du mois de novembre 2006 pour une entreprise de travail temporaire belge. La famille, qui vivait en Allemagne, a déménagé en Belgique au mois de juin 2006, où elle est désormais domiciliée. Mme Fassbender-Firman a continué de percevoir des allocations familiales en Allemagne pour son enfant alors que son époux n’avait ni demandé ni reçu d’allocations familiales en Belgique.

12.

Lorsque la Familienkasse a appris le déménagement de la famille en Belgique, elle a révoqué l’octroi des allocations familiales avec effet à partir du mois de juillet 2006 et a réclamé le remboursement des allocations familiales versées à partir de cette date et pour toute la période litigieuse. La Familienkasse a estimé que, si, en vertu de la réglementation allemande, Mme Fassbender-Firman avait droit aux allocations familiales pour la période litigieuse, il existait également un droit aux allocations familiales en Belgique. Ce droit s’élevait, selon la Familienkasse, à 77,05 euros par mois, du mois de juillet au mois de septembre 2006, et à 78,59 euros par mois, du mois d’octobre 2006 au mois de mars 2007. Selon la Familienkasse, en application des articles 76 à 79 du règlement no 1408/71, le droit aux allocations familiales allemandes devait être suspendu à hauteur des allocations familiales belges et elle ne devait plus verser que la différence entre les montants promérités en Allemagne et en Belgique. Selon la Familienkasse, le fait que le bénéfice des allocations familiales prévues en Belgique n’ait pas été demandé était sans incidence au regard de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, puisque cette disposition vise précisément à éviter que le système d’attribution de compétences, établi par le règlement no 1408/71, ne soit contourné par l’omission d’un assuré de présenter une demande d’allocations familiales.

13.

Le Finanzgericht (tribunal des finances), saisi par Mme Fassbender-Firman, a jugé que la décision de la Familienkasse de révocation et de récupération des allocations familiales était illégale. Il a considéré que la Familienkasse n’avait pas exercé le pouvoir d’appréciation qui lui était conféré par l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71. En effet, selon le Finanzgericht ( 4 ), la conséquence juridique de l’imputation des allocations familiales belges – qui n’ont pas été réclamées – en déduction des allocations familiales allemandes relève, en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, du pouvoir d’appréciation de la Familienkasse, contrairement à ce qui est le cas en vertu de l’article 76, paragraphe 1, de ce même règlement. Autrement dit, cette décision ne relèverait pas d’une compétence liée. Il a estimé en outre que, en application de l’article 102, première phrase, du code des juridictions fiscales (Finanzgerichtsordnung), les décisions discrétionnaires de l’administration ne pouvaient faire l’objet que d’un contrôle juridictionnel limité.

14.

Par son pourvoi introduit devant la juridiction de renvoi contre l’arrêt du Finanzgericht, la Familienkasse fait valoir que l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 ne confère pas à l’administration un pouvoir discrétionnaire au sens du droit fiscal et social allemand, dans l’appréciation des conséquences juridiques qu’elle tire des faits. Elle affirme que l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 contient les règles fondamentales permettant de résoudre les problèmes de cumul de droits à prestations familiales.

15.

Selon la Familienkasse, il en résulte pour le litige au principal que le droit aux allocations familiales allemandes est suspendu à concurrence du montant d’allocations familiales, auquel Mme Fassbender-Firman peut prétendre dans l’État de résidence. Cela revient à dire, selon elle, que, s’il existe certes en principe un droit à prestations familiales, la suspension susmentionnée doit intervenir automatiquement.

16.

Sur cette base, la Familienkasse estime que le mot «peut», utilisé dans l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, ne peut être interprété comme donnant à l’administration un pouvoir discrétionnaire et que, au contraire, il signifierait simplement que l’État membre, dont la prestation est suspendue, ne doit plus octroyer que la partie des prestations familiales qui lui incombe, et ce même si aucune demande de prestations familiales n’a été introduite dans l’État membre de résidence de la famille.

17.

En revanche, Mme Fassbender-Firman considère – comme le Finanzgericht – que la déduction des allocations familiales prévues à l’étranger relève d’un pouvoir d’appréciation de la Familienkasse en application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71.

18.

Selon la juridiction de renvoi, l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 a pour effet de conférer à l’institution compétente le pouvoir de décider ou non d’appliquer l’article 76, paragraphe 1, de ce règlement en l’absence d’une demande de prestations dans l’État membre de résidence des membres de la famille, et donc de suspendre, en tout ou en partie, le droit aux prestations familiales qu’elle doit verser. La juridiction de renvoi estime qu’il ressort notamment de la genèse de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 que cette disposition constitue une règle spéciale applicable au cas particulier de l’absence de présentation d’une demande de prestations dans l’État membre de résidence de la famille. En insérant ce paragraphe 2 dans l’article 76 du règlement no 1408/71, le législateur a voulu réagir de manière ciblée à la jurisprudence antérieure de la Cour ( 5 ), selon laquelle, quand aucune demande de prestations n’a été introduite dans l’État membre du domicile de la famille, le droit aux allocations familiales dans l’État membre d’emploi ne doit pas être suspendu.

19.

La juridiction de renvoi relève toutefois que, dans la conception allemande, l’emploi du mot «peut» dans un texte législatif ou réglementaire ne signifie pas nécessairement qu’un pouvoir d’appréciation soit conféré à l’administration. Ce mot serait utilisé comme simple synonyme de «est habilité(e) à» ou «est en droit de». La juridiction de renvoi considère que, si l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 confère à l’institution compétente le pouvoir de décider ou non d’appliquer l’article 76, paragraphe 1, de ce règlement en l’absence de demande de prestations introduite dans l’État membre de résidence des membres de la famille, il conviendrait alors de préciser les considérations sur lesquelles l’institution devrait baser sa décision. Elle ajoute que, si l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 confère un pouvoir d’appréciation à l’institution compétente, se pose alors la question de la portée du pouvoir de contrôle du juge.

20.

C’est dans ces circonstances que le Bundesfinanzhof a décidé, aux fins de la résolution du présent litige, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 doit‑il être interprété en ce sens que l’institution compétente de l’État membre d’emploi est libre d’appliquer ou non l’article 76, paragraphe 1, de ce règlement lorsque aucune demande de prestations n’a été déposée dans l’État membre du domicile des membres de la famille?

2)

Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question par l’affirmative, quels sont les éléments d’appréciation en fonction desquels l’institution de l’État membre d’emploi compétente en matière de prestations familiales peut appliquer l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 comme si des prestations étaient octroyées dans l’État membre du domicile des membres de la famille?

3)

Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question par l’affirmative, dans quelle mesure la décision discrétionnaire de l’institution compétente est-elle soumise à un contrôle juridictionnel?»

IV – La procédure devant la Cour

21.

Des observations écrites ont été présentées par la République hellénique et la Commission européenne. La Cour a posé une question écrite à la République fédérale d’Allemagne, à laquelle celle-ci a répondu dans le délai imparti.

22.

L’organisation d’une audience avait été prévue pour le 5 mars 2014. En dehors d’une question à la Commission qui était invitée à y répondre à cette audience, les parties et les intéressés avaient été invités à s’y prononcer sur des éléments de réponse aux questions préjudicielles proposés par la Commission dans ses observations écrites. Ces questions avaient été posées dans l’espoir que l’audience puisse apporter certains éléments de réflexion en comptant sur la présence éventuelle, notamment, des parties au principal et de la République fédérale d’Allemagne, qui n’ont pas présenté d’observations écrites.

23.

Toutefois, puisque seule la Commission a manifesté sa volonté d’y participer, l’audience a été annulée et la question qui lui avait été posée pour réponse orale a été transformée en question pour réponse écrite, parvenue à la Cour le 10 mars 2014.

V – Analyse

A – Argumentation

1. Sur la première question préjudicielle

24.

La République hellénique considère que l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 ne doit pas être interprété en ce sens que l’institution compétente de l’État membre d’emploi serait libre d’appliquer ou non l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, lorsque aucune demande de prestation n’a été déposée dans l’État membre de résidence des membres de la famille. Selon une jurisprudence constante, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union européenne, il appartiendrait à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions d’octroi des prestations de sécurité sociale ainsi que le montant et la durée d’octroi de celles-ci ( 6 ).

25.

Dès lors, selon la République hellénique, si l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 n’étend pas ipso jure l’interdiction de cumul dans l’exercice du droit aux prestations familiales aux situations dans lesquelles aucune demande n’a été faite dans l’État membre de résidence des membres de la famille, rien, dans cette disposition, n’interdit à l’État membre d’emploi de régler directement la question en faisant le choix législatif de l’une ou l’autre option.

26.

La Commission estime que le libellé du règlement no 1408/71 et, en particulier, l’utilisation du mot «peut» indiquent que l’article 76, paragraphe 2, de ce règlement constitue une disposition d’habilitation. Selon elle, le fait que l’interprétation et l’application de l’article 76 du règlement no 1408/71 permettent d’envisager plusieurs «critères» plaide en faveur d’une habilitation des États membres. La Commission observe que le législateur de l’Union a également adopté, tant à l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 qu’à l’article 10 du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) no 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 74, p. 1), dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97, des dispositions concernant les prestations familiales qui ne laissent aucun choix aux institutions concernées. L’utilisation du mot «peut» à l’article 76 du règlement no 1408/71 devrait, a contrario, nécessairement signifier que la conséquence juridique prévue n’est pas automatique.

27.

Toutefois, la Commission considère que le droit des assujettis à des prestations familiales ne peut être tributaire du pouvoir d’appréciation de l’administration, mais que celles-ci doivent être réglées de façon claire et non équivoque par les législateurs des États membres. Elle estime qu’une décision discrétionnaire n’est en effet pas possible faute de critères devant orienter l’administration. Il ne serait pas souhaitable ni envisageable que, dans la perspective d’une politique familiale, l’importante question de l’aide aux familles soit laissée au pouvoir d’appréciation de l’administration.

28.

À cet égard, la Commission relève qu’il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où la prestation en cause est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie et où elle se rapporte à l’un des risques énumérés expressément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1408/71. Selon la Commission, si la prestation doit être prévue dans la législation, il doit en aller de même d’une éventuelle réduction, qui ne peut relever du pouvoir d’appréciation de l’institution de l’État membre.

29.

Dans sa réponse à une question écrite de la Cour, la Commission a indiqué à celle-ci qu’elle ne disposait pas d’informations précises sur les intentions qu’avait le législateur lors de l’insertion de l’article 76, paragraphe 2, dans le règlement no 1408/71. La proposition de la Commission visant à modifier le règlement no 1408/71 [COM(88) 27 final], qu’elle a présentée au Conseil de l’Union européenne le 5 février 1988, ne comportait pas la modification dudit article 76, laquelle a été adoptée ultérieurement par le Conseil. La Commission suppose que, par cette modification, le Conseil entendait réagir à la jurisprudence constante de la Cour et, en particulier, aux arrêts Salzano (EU:C:1984:343), Ferraioli (EU:C:1986:168) et Kracht (EU:C:1990:279). La Commission n’a pas répondu à la question de la Cour sur le point de savoir si le législateur avait entendu conférer à l’institution compétente la possibilité d’appliquer directement l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 en se contentant de répéter, dans une large mesure, ses observations sur la deuxième question préjudicielle. Elle a ajouté qu’une règle de priorité obligatoire excluant l’exercice d’une appréciation au cas par cas constituerait une limitation disproportionnée du principe de la libre circulation des travailleurs.

2. Sur la deuxième question préjudicielle

30.

La Commission, la seule à avoir présenté des observations sur cette question, estime que, avant que l’institution compétente ne suspende ses versements ou, comme en l’espèce, ne les limite au montant de la différence entre sa prestation plus élevée et la prestation moins élevée de l’État de résidence, elle doit s’assurer que quatre conditions sont réunies. Premièrement, elle doit informer les parents et, en particulier, le parent qui relève de sa compétence que ce dernier a droit à des prestations familiales dans l’État membre de résidence. Deuxièmement, elle doit s’assurer que le droit aux prestations familiales existe au moins en principe dans l’État membre de résidence. Troisièmement, elle doit donner aux parents titulaires du droit un délai pour s’acquitter des formalités nécessaires en vertu des dispositions de l’État membre de résidence, en particulier pour introduire la demande correspondante. Quatrièmement, elle doit disposer d’informations précises sur les conditions d’ouverture du droit et son montant dans l’État membre de résidence car, en l’absence de telles informations, il lui serait impossible de calculer correctement la différence entre les deux montants. Ce ne serait que, une fois ces conditions remplies et si l’absence de demande dans l’État membre de résidence persiste malgré tout, que l’institution compétente pourrait faire usage de l’habilitation que lui confère l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71. Selon la Commission, idéalement, toutes les conditions qui précèdent devraient être inscrites dans la loi de l’État membre compétent.

3. Sur la troisième question préjudicielle

31.

Personne n’a déposé d’observations sur cette question.

B – Appréciation

1. Observations liminaires sur la législation en cause

32.

Les questions de la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 ( 7 ) et, plus particulièrement, sur la question de savoir si cette disposition confère à l’institution compétente un pouvoir discrétionnaire d’appliquer ou non la règle «anticumul» prévue à l’article 76, paragraphe 1, de ce règlement en l’absence d’une demande de prestations introduite dans l’État membre de résidence des membres de la famille.

33.

Il convient de relever que le règlement no 1408/71 a été remplacé par le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1), qui est devenu applicable le 1er mai 2010, date à laquelle le règlement no 1408/71 a cessé d’être applicable. Étant donné toutefois que les faits du litige au principal sont antérieurs à la date de l’entrée en vigueur du règlement no 883/2004, le règlement no 1408/71 demeure applicable ratione temporis à ce litige. Je relève également que, étant donné que le paragraphe 2 de l’article 76 du règlement no 1408/71 n’a pas été incorporé dans le règlement no 883/2004, l’interprétation demandée par la juridiction de renvoi n’aura qu’une utilité très limitée pour l’avenir.

34.

Les règles de priorité en cas de cumul des prestations familiales sont actuellement prévues à l’article 68 du règlement no 883/2004 dont le paragraphe 2 prévoit notamment que, en cas de cumul de droits, les prestations familiales sont servies conformément à la législation désignée comme étant prioritaire et les droits aux prestations familiales dues, en vertu de la ou des autres législations en présence, sont suspendus à concurrence du montant prévu par la première législation et servis, le cas échéant, sous forme de complément différentiel, pour la partie qui excède ce montant. L’article 68, paragraphe 3, de ce même règlement prévoit que, si une demande de prestations familiales est introduite auprès de l’institution compétente d’un État membre dont la législation est applicable mais n’est pas prioritaire, cette institution transmet la demande sans délai à l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en priorité, en informe l’intéressé et sert, le cas échéant, le complément différentiel visé audit paragraphe 2. En outre, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en priorité traite cette demande comme si celle-ci lui avait été soumise directement et la date à laquelle une telle demande a été introduite auprès de la première institution est considérée comme la date d’introduction de la demande auprès de l’institution prioritaire.

35.

Avant de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, je pense qu’il est utile de rappeler les dispositions pertinentes du règlement no 1408/71 applicables aux faits du litige au principal.

2. Rappel des dispositions applicables à la présente affaire

36.

En vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71, la personne qui, comme Mme Fassbender-Firman, exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre (en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne) est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ( 8 ) (dans ce cas, le Royaume de Belgique). Mme Fassbender-Firman était donc soumise aux dispositions du droit allemand aux fins de la sécurité sociale. Selon l’article 73 du règlement no 1408/71, un travailleur soumis à la législation d’un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci ( 9 ). Il s’ensuit que Mme Fassbender-Firman avait droit aux prestations familiales allemandes pour son fils au cours de la période litigieuse.

37.

En outre, l’époux de Mme Fassbender-Firman remplissait, au cours de la période litigieuse et pour le même enfant, les conditions d’octroi des prestations familiales sur la base de la législation belge en raison de son statut de chômeur indemnisé, d’abord, et de son activité professionnelle en Belgique, ensuite.

38.

L’article 76 du règlement no 1408/71 comporte, aux termes mêmes de son intitulé, des «[r]ègles de priorité en cas de cumul de droits à prestations familiales en vertu de la législation de l’État compétent et en vertu de la législation du pays de résidence des membres de la famille». Il ressort des termes de cette disposition qu’elle vise le cumul de droits à des prestations familiales dues en vertu, d’une part, notamment, de l’article 73 de ce règlement et, d’autre part, de la législation nationale de l’État de résidence des membres de la famille ouvrant droit à des prestations familiales au titre de l’exercice d’une activité professionnelle ( 10 ).

39.

Comme l’application parallèle des réglementations de sécurité sociale allemande et belge en cause dans l’affaire au principal aurait pu donner lieu à un cumul de droits à prestations familiales et donc à une surcompensation des charges familiales ( 11 ), étant donné que Mme Fassbender-Firman et son époux avaient droit aux prestations familiales au titre de leurs activités professionnelles respectives en Allemagne et en Belgique, leurs droits à des prestations familiales doivent être traités à la lumière des dispositions «anticumul» prévues à l’article 76 du règlement no 1408/71.

40.

En application du paragraphe 1 de cet article 76, l’exercice par l’époux de Mme Fassbender-Firman d’une activité professionnelle dans l’État membre de résidence des membres de la famille suspend, en principe, le droit aux prestations familiales prévues par la législation allemande à concurrence du montant des prestations familiales prévu par la législation belge ( 12 ). En effet, le Royaume de Belgique est prioritairement compétent pour le paiement des prestations familiales en cause et la République fédérale d’Allemagne doit, le cas échéant, verser un complément différentiel.

41.

Toutefois, il importe de rappeler que, dans l’affaire au principal, l’époux de Mme Fassbender-Firman n’avait ni introduit une demande de prestations familiales en Belgique pour la période litigieuse ni reçu ces prestations. Les raisons à l’origine de cette omission n’ont pas été communiquées à la Cour. En outre, nous ignorons si les prestations belges pour la période litigieuse restent payables à l’époux de Mme Fassbender-Firman en cas de demande de sa part ou si une telle demande tardive serait prescrite. Le défaut d’information dans la présente affaire a été accentué, voire aggravé, par le fait que ni la Familienkasse, ni Mme Fassbender-Firman, ni la République fédérale d’Allemagne, ni d’ailleurs le Royaume de Belgique n’ont présenté d’observations écrites ou manifesté leur volonté de participer à l’audience prévue par la Cour. Ce manque d’intérêt des parties au principal et de la République fédérale d’Allemagne pourrait être lié à l’ancienneté des faits en cause dans l’affaire au principal, lesquels remontent aux années 2006 et 2007, aux sommes très faibles en cause et au fait que la disposition dont l’interprétation a été demandée par la juridiction de renvoi n’est plus en vigueur depuis le 1er mai 2010 et n’a pas été reprise dans le règlement no 883/2004.

3. Interprétation de l’article 76 du règlement no 1408/71

42.

Il ressort d’une jurisprudence constante relative à l’application de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 que, pour pouvoir considérer les prestations familiales comme dues en vertu de la législation d’un État membre, la loi de cet État doit reconnaître le droit au versement de prestations en faveur du membre de la famille qui travaille dans cet État. Il est donc nécessaire que la personne intéressée remplisse toutes les conditions, tant de forme que de fond, imposées par la législation dudit État pour pouvoir exercer ce droit, parmi lesquelles peut figurer, le cas échéant, la condition qu’une demande préalable ait été introduite en vue du versement de pareilles prestations ( 13 ).

43.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ragazzoni (134/77, EU:C:1978:88), la Cour a expliqué que cet article 76, paragraphe 1, constituait une exception au principe posé par l’article 73 dudit règlement et que cette disposition ne visait qu’à limiter la possibilité de cumul ( 14 ). La suspension du droit aux prestations familiales dues dans l’État membre d’emploi ne s’impose donc que s’il y a effectivement un cumul avec celles de l’État membre de résidence des membres de la famille, ce qui présuppose qu’elles aient été effectivement perçues et donc demandées dans cet État ( 15 ).

44.

Il résulte des considérations qui précèdent que, en application de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, tel qu’interprété par la Cour, le droit de Mme Fassbender-Firman à prestations familiales en Allemagne en application de l’article 73 de ce règlement ne devait pas être suspendu, puisque des prestations familiales n’ont pas été perçues ( 16 ) en Belgique, l’État membre de résidence des membres de la famille, faute d’y avoir été demandées ( 17 ).

45.

Le paragraphe 2 de l’article 76 du règlement no 1408/71, inséré par le règlement no 3427/89, modifie-t-il cette conclusion?

46.

Selon le libellé de cette disposition, lorsqu’une demande de prestations n’est pas introduite dans l’État membre sur le territoire duquel les membres de la famille résident, «l’institution compétente» de l’autre État membre «peut» appliquer les dispositions de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 et, donc, suspendre le droit aux allocations familiales dues dans ce dernier État membre à concurrence du montant prévu par la législation de l’État membre de résidence des membres de la famille, comme si des prestations étaient octroyées dans ce dernier État membre.

47.

Contrairement aux arguments soulevés par la Familienkasse devant la juridiction de renvoi, je considère que l’utilisation du mot «peut» dans cette disposition indique clairement que la suspension du droit aux prestations familiales dues dans l’État membre d’emploi n’est pas impérative. Il s’ensuit que l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 autorise, mais n’impose pas une telle suspension.

48.

Il ressort sans équivoque de son libellé que l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 reconnaît la possibilité d’une telle suspension même en l’absence de cumul effectif des prestations.

49.

Cette disposition permet donc de priver un travailleur migrant ou ses ayants droit du bénéfice de prestations accordées en vertu de la législation d’un État membre avec la conséquence qu’ils percevraient un montant de prestations familiales inférieur au montant prévu par la législation à la fois de l’État membre d’emploi et de l’État membre de résidence des membres de la famille ( 18 ). Une telle dérogation est, à mon avis, d’interprétation stricte, ce qui justifie qu’elle ne puisse être impérative.

50.

À ce stade, il faut examiner qui peut exercer cette faculté et dans quelles conditions. Je considère que ces questions sont liées et doivent s’analyser à la lumière de la jurisprudence constante qui dispose qu’une prestation de sécurité sociale au sens du règlement no 1408/71 doit être octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire de leurs besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie et se rapporter à l’un des risques expressément énumérés à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 ( 19 ).

51.

L’exigence que des prestations familiales soient octroyées sur la base d’une situation légalement définie implique que non seulement les conditions qui régissent leur octroi, mais aussi, le cas échéant, leur suspension soient définies par la législation de l’État membre compétent et, notamment dans le cas qui nous occupe, de l’État membre d’emploi. Je relève, à cet égard, que l’article 1er, sous j), du règlement no 1408/71 dispose que «le terme ‘législation’ désigne, pour chaque État membre, les lois, les règlements, les dispositions statutaires et toutes les autres mesures d’application, existants ou futurs, qui concernent les branches et les régimes de sécurité sociale visés à l’article 4, paragraphe[...] 1».

52.

Par conséquent, l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 constitue en droit de l’Union, conformément aux observations de la juridiction de renvoi et de la Commission dans la présente affaire, une disposition d’habilitation. Cette habilitation autorise «l’État membre d’emploi» ( 20 ) à prévoir dans sa législation la suspension par l’institution compétente du droit aux prestations familiales si une demande en vue de l’obtention de ces prestations n’a pas été introduite dans l’État membre de résidence des membres de la famille. Il s’ensuit que l’institution compétente de l’État membre d’emploi ne peut appliquer l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, lorsque aucune demande de prestations n’a été déposée dans l’État membre de résidence des membres de la famille, que si la législation de l’État membre d’emploi prévoit explicitement et sans équivoque une telle éventualité.

53.

En effet, seules des dispositions de ce type peuvent assurer l’information minimale du public. Comme le relève à juste titre la Commission, le droit des assujettis à des prestations familiales ne peut être tributaire du pouvoir d’appréciation de l’institution compétente.

54.

L’exigence de sécurité juridique et de transparence impose que les travailleurs migrants ou leurs ayants droit bénéficient d’une situation juridique claire et précise, leur permettant de connaître non seulement la plénitude de leurs droits mais aussi, le cas échéant, les limitations de ceux-ci ( 21 ).

4. Sur la législation nationale en cause

55.

Il convient d’examiner brièvement la question de savoir si des dispositions nationales telles que l’article 65 de l’EStG et l’article 4 du BKGG respectent les conditions de l’habilitation prévues au paragraphe 2 de l’article 76 du règlement no 1408/71.

56.

La République fédérale d’Allemagne relève en substance que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour, Hudzinski et Wawrzyniak (C‑611/10 et C‑612/10, EU:C:2012:339), l’article 65 de l’EStG et l’article 4 du BKGG ont été interprétés et appliqués de manière conforme au droit de l’Union. La suspension y est clairement prévue ainsi que le versement de l’éventuelle différence entre les allocations familiales étrangères plus faibles et les allocations familiales nationales plus élevées. Cet État membre estime que l’institution compétente ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation à cet égard.

57.

Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, je considère qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que des dispositions telles que l’article 65 de l’EStG et l’article 4 du BKGG remplissent les critères de sécurité juridique et de transparence exigées en droit de l’Union pour exercer l’habilitation prévue à l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 et assurent qu’un complément différentiel soit éventuellement versé ( 22 ).

5. Sur l’exigence éventuelle de conditions supplémentaires à la suspension

58.

Je dois revenir sur les observations de la Commission quant aux conditions qui devraient, selon elle, être remplies avant que des prestations familiales soient suspendues en application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 ( 23 ).

59.

À mon avis, les conditions décrites avec force détails par la Commission sont partiellement inspirées par les termes de l’article 68, paragraphe 3, du règlement no 883/2004 ( 24 ) qui visent à sauvegarder les droits aux prestations familiales dues dans l’État membre dont la législation est applicable en priorité, lorsqu’une demande de ces prestations est introduite auprès de l’institution compétente de l’État membre non prioritaire.

60.

Force est de constater que ces conditions précises proposées par la Commission sont clairement absentes du texte de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 et ne peuvent conduire à circonscrire rétroactivement l’habilitation prévue par cette disposition.

61.

En conclusion, je suis d’avis que l’institution compétente ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation dans la décision de suspendre ou non les prestations familiales en application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71. Cette disposition autorise l’État membre d’emploi à prévoir dans sa législation la suspension par l’institution compétente du droit aux prestations familiales si une demande en vue de l’obtention de ces prestations n’a pas été introduite dans l’État membre de résidence des membres de la famille. La législation de l’État membre d’emploi doit clairement délimiter l’usage fait de cette faculté. J’estime que l’évaluation «au cas par cas» proposée par la Commission dans sa réponse écrite à une question posée par la Cour ( 25 ) est non seulement en contradiction avec ses observations écrites antérieures relatives à l’absence de pouvoir d’appréciation de l’institution compétente en la matière ( 26 ), mais est également contraire à la notion même d’une prestation de sécurité sociale au sens du règlement no 1408/71 ( 27 ).

62.

Je considère que, au vu de ce qui précède, et en particulier de l’absence de pouvoir d’appréciation de l’institution compétente en la matière, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions posées par la juridiction de renvoi.

VI – Conclusion

63.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre au Bundesfinanzhof de la manière suivante:

L’institution compétente ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation dans la décision de suspendre ou non les prestations familiales en application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006. Cette disposition autorise l’État membre d’emploi à prévoir dans sa législation la suspension par l’institution compétente du droit aux prestations familiales si une demande en vue de l’obtention de ces prestations n’a pas été introduite dans l’État membre de résidence des membres de la famille. La législation de l’État membre d’emploi doit clairement délimiter l’usage fait de cette faculté.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO 1997, L 28, p. 1.

( 3 ) JO L 392, p. 1.

( 4 ) Et contrairement à la thèse soutenue par la Familienkasse.

( 5 ) Arrêts Salzano (191/83, EU:C:1984:343); Ferraioli (153/84, EU:C:1986:168), et Kracht (C‑117/89, EU:C:1990:279).

( 6 ) Arrêts Klöppel (C‑507/06, EU:C:2008:110, point 16) et Xhymshiti (C‑247/09, EU:C:2010:698, point 43).

( 7 ) Cette disposition a été insérée par le règlement (CEE) no 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989, modifiant le règlement (CEE) no 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, et le règlement no 574/72 (JO L 331, p. 1), et a été applicable à partir du 1er mai 1990. L’objectif de cette disposition n’est pas exposé dans les considérants du règlement no 3427/89. En outre, l’insertion en cause effectuée par le règlement no 3427/89 n’était pas prévue par la proposition de règlement modifiant le règlement no 1408/71 et le règlement no 574/72 [COM(88) 27 final], présentée par la Commission au Conseil le 5 février 1988 (voir point 29 des présentes conclusions). Je relève, également, que la décision 91/425/CEE, du 10 octobre 1990, décision no 147 concernant l’application de l’article 76 du règlement (CEE) no 1408/71 (JO L 235, p. 21), de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, laquelle définit notamment les modalités d’application dudit article quant aux renseignements à fournir par l’institution du lieu de résidence à l’institution compétente, en vue de la suspension des prestations en vertu de son paragraphe 2, quant à la comparaison entre les montants prévus par les deux législations en cause et quant à la détermination du complément différentiel éventuel à verser par l’institution compétente, n’explique pas non plus l’objectif de cette disposition.

( 8 ) Arrêt Bosmann (C‑352/06, EU:C:2008:290, point 17).

( 9 ) Voir, notamment, arrêts Dodl et Oberhollenzer (C‑543/03, EU:C:2005:364, point 45); Weide (C‑153/03, EU:C:2005:428, point 20), ainsi que Slanina (C‑363/08, EU:C:2009:732, point 21).

( 10 ) Arrêt Schwemmer (C‑16/09, EU:C:2010:605, point 45).

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêt Dodl et Oberhollenzer (EU:C:2005:364, point 51). En effet, conformément à l’objectif d’éviter des cumuls injustifiés de prestations énoncé au vingt-septième considérant du règlement no 1408/71, l’article 12 du même règlement, intitulé «Non-cumul de prestations», prescrit, entre autres, à son paragraphe 1, que le règlement «ne peut ni conférer ni maintenir le droit de bénéficier de plusieurs prestations de même nature se rapportant à une même période d’assurance obligatoire». Étant donné que l’article 12 du règlement no 1408/71 se situe sous le titre I de ce règlement, relatif aux dispositions générales, les principes dégagés par cette disposition s’appliquent aux règles de priorité en cas de cumul de droits à prestations familiales prévues à l’article 76 du même règlement. Voir, aussi, mes conclusions dans l’affaire Wiering (C‑347/12, EU:C:2013:504, points 51 et 52).

( 12 ) Dans son arrêt Ferraioli (EU:C:1986:168), la Cour a rappelé que l’objectif des traités d’établir la libre circulation des travailleurs conditionnait l’interprétation des dispositions du règlement no 1408/71 et que l’article 76 du même règlement ne saurait être appliqué de manière à priver le travailleur, par la substitution des allocations ouvertes par un État membre aux allocations dues par un autre État membre, du bénéfice des allocations plus favorables. Selon la Cour, les principes dont s’inspire le règlement no 1408/71 exigent que, si le montant des prestations servies par l’État de résidence est inférieur à celui des prestations accordées par l’autre État débiteur, le travailleur conserve le bénéfice du montant plus élevé et a le droit de recevoir, à la charge de l’institution sociale de ce dernier État, un complément de prestations égal à la différence entre les deux montants. Il convient de rappeler que des modalités d’application des règles de non-cumul de prestations familiales ont été mises en place par le législateur de l’Union prévoyant, notamment, l’échange d’informations entre les institutions des États membres de résidence et d’emploi en vue de la comparaison des prestations en cause et de leurs montants pour permettre la détermination du complément différentiel éventuel. Voir, notamment, décision 91/425. Voir mes conclusions dans l’affaire Wiering (EU:C:2013:504, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

( 13 ) Arrêt Schwemmer (EU:C:2010:605, point 53 et jurisprudence citée).

( 14 ) Points 6 et 7.

( 15 ) Arrêt Kracht (EU:C:1990:279, point 11).

( 16 ) Alors que la disposition parle de prestations «prévues».

( 17 ) Je relève que, au point 54 de l’arrêt Schwemmer (EU:C:2010:605), la Cour a rappelé que, dans les arrêts Ragazzoni (EU:C:1978:88), Salzano (EU:C:1984:343), Ferraioli (EU:C:1986:168) et Kracht (EU:C:1990:279), les raisons de l’absence de demande préalable sont restées sans incidence sur les réponses fournies par la Cour dans les procédures concernées.

( 18 ) Voir, par analogie, arrêt Schwemmer (EU:C:2010:605, point 58). En effet, en application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, seule la différence entre une prestation supérieure allemande et une prestation inférieure belge, à savoir un complément différentiel, serait, le cas échéant, payable malgré le fait que Mme Fassbender-Firman et son époux avaient droit aux allocations familiales pour leur fils dans ces deux États membres.

( 19 ) Voir, en ce sens, arrêt Lachheb (C‑177/12, EU:C:2013:689, point 30 et jurisprudence citée). C’est moi qui souligne.

( 20 ) Arrêts Kracht (EU:C:1990:279, point 10) et Schwemmer (EU:C:2010:605, point 56).

( 21 ) Voir, par analogie, arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, points 58 et 59).

( 22 ) Voir point 12 des présentes conclusions. En effet, il semble que la Familienkasse considère qu’un complément différentiel est payable.

( 23 ) Voir point 30 des présentes conclusions.

( 24 ) Voir point 34 des présentes conclusions.

( 25 ) Voir point 29 des présentes conclusions.

( 26 ) Voir points 27 et 53 des présentes conclusions.

( 27 ) Voir point 50 des présentes conclusions.