ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

6 mars 2014 (*)

«Pourvoi – FEOGA, FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement de l’Union européenne – Recevabilité du recours en annulation – Situation du requérant non directement affectée par la décision litigieuse»

Dans l’affaire C‑248/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 mai 2012,

Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Development, représenté par M. K. Brown, solicitor,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. N. Donnelly et P. Rossi, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), président de chambre, MM. G. Arestis et J.-C. Bonichot, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, le Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Development demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 6 mars 2012, Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Developement/Commision, (T‑453/10, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle ce dernier a rejeté comme irrecevable son recours tendant à l’annulation partielle de la décision 2010/399/UE de la Commission, du 15 juillet 2010, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «Garantie», du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 184, p. 6, ci-après la «décision litigieuse»).

 Les antécédents du litige

2        Il résulte de l’ordonnance attaquée que la Commission européenne a adopté la décision litigieuse à la suite de l’identification de carences dans la gestion et le contrôle par le requérant du régime de paiement unique en Irlande du Nord. Ces carences concernaient, notamment, le système d’identification des parcelles agricoles et le système d’information géographique, les contrôles sur place effectués par les inspecteurs du requérant ainsi que l’application des sanctions et des récupérations rétroactives.

3        L’article 1er de la décision litigieuse prévoit:

«Les dépenses des organismes payeurs agréés des États membres déclarées au titre du FEOGA, section ‘Garantie’, au titre du FEAGA ou au titre du Feader et indiquées à l’annexe sont écartées du financement de l’Union européenne en raison de leur non-conformité aux règles de l’Union européenne.»

4        L’article 2 de cette même décision dispose:

«Le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Hongrie, la République d’Autriche, la République de Slovénie, la République slovaque, la République de Finlande et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sont les destinataires de la présente décision.»

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

5        Par requête en date du 24 septembre 2010, le requérant a introduit, devant le Tribunal, un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse.

6        La demande visait plus précisément à obtenir l’annulation de ladite décision en tant qu’elle porte sur une correction forfaitaire de 5 % appliquée à certaines dépenses effectuées en Irlande du Nord au cours de l’exercice financier 2007, d’un montant de 18 600 258,71 euros.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 janvier 2011, la Commission a contesté la recevabilité dudit recours en application de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

8        La Commission a, notamment, fait valoir que le recours devait être déclaré irrecevable en ce que le requérant n’était pas le destinataire de la décision litigieuse et ne pouvait être considéré comme directement et individuellement concerné par cette dernière. Elle a soutenu, notamment, que les effets que cette décision a eus sur la situation juridique du requérant ne peuvent être considérés comme étant la conséquence directe de la décision litigieuse, mais résultent uniquement des procédures nationales instaurées par l’État membre concerné.

9        Dans ses observations en réponse à cette exception d’irrecevabilité, le requérant a relevé que, s’il n’est certes pas destinataire de la décision litigieuse, cette dernière le concerne toutefois directement et individuellement, dès lors, en particulier, que cette décision a généré un passif net dans ses comptes.

10      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé que le recours devait être considéré comme irrecevable, notamment en ce que le requérant ne satisfait pas à l’une des conditions énoncées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, selon laquelle l’auteur d’un recours dirigé contre un acte dont il n’est pas le destinataire doit être concerné directement par un tel acte.

11      Après avoir rappelé, aux points 42 et 43 de l’ordonnance attaquée, les deux critères cumulatifs qui doivent être réunis afin qu’une personne physique ou morale puisse être considérée comme directement concernée par l’acte qui fait l’objet du recours, le Tribunal a jugé que ces critères ne sont pas remplis en l’espèce. En effet, en se fondant sur le point 41 de son ordonnance du 25 avril 2001, Coillte Teoranta/Commission (T‑244/00, Rec. p. II‑1275), le Tribunal a conclu, tout d’abord, aux points 44 à 53 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse, en tant qu’elle porte sur le refus de financement de la Commission, affecte seulement le budget national de l’État membre concerné, de sorte que les conséquences de cette décision sur le budget du requérant découlent non pas de la réglementation de l’Union ou de cette décision, mais d’une mesure prise par les autorités du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

12      Ensuite, le Tribunal a constaté, aux points 54 à 57 de l’ordonnance attaquée, qu’il ne résulte ni de la décision litigieuse ni du droit de l’Union en général que le Royaume-Uni était tenu de faire supporter par le budget du requérant les dépenses visées dans cette décision et dont la Commission a refusé le financement.

13      Enfin, le Tribunal a examiné, aux points 60 à 64 de l’ordonnance attaquée, l’applicabilité au litige dont il était saisi des arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, Rec. p. 207), ainsi que du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission (C‑386/96 P, Rec. p. I‑2309), et il a considéré que ces arrêts, rendus à propos de cas très spécifiques, n’étaient pas transposables audit litige.

 Les conclusions des parties devant la Cour

14      Le requérant demande à la Cour:

–        d’annuler l’ordonnance attaquée, de déclarer recevable son recours en annulation et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il examine au fond le recours introduit devant celui-ci;

–        de condamner la Commission aux dépens de la présente instance ainsi qu’à ceux exposés en première instance et liés au moyen d’irrecevabilité, et

–        de réserver les dépens en cas de renvoi de l’affaire devant le Tribunal.

15      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation du requérant aux dépens.

 Sur le pourvoi

16      En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée.

17      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur les premier et deuxième moyens

 Argumentation des parties

18      Par ses premier et deuxième moyens, le requérant reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en estimant qu’il ne pouvait pas être considéré comme directement concerné en vertu du critère défini dans les arrêts précités Piraiki-Patraiki e.a/Commission et Dreyfus/Commission, alors qu’un tel critère constituerait, selon lui, l’expression d’un principe juridique plus large. Il ajoute que le Tribunal a violé le principe de sécurité juridique en tentant de limiter le champ d’application de ces arrêts.

19      En se fondant, notamment, sur l’arrêt du 23 novembre 1971, Werner A. Bock/Commission (62/70, Rec. p. 897), ainsi que sur l’ordonnance du Tribunal du 10 septembre 2002, Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil (T‑223/01, Rec. p. II‑3259), le requérant affirme que le Tribunal aurait dû appliquer à l’espèce le principe général résultant de ces décisions et conclure que les effets de la décision litigieuse ne font pas de doute et que la possibilité que celle-ci ait un effet différent n’est que théorique. Le requérant fait également valoir que le critère tenant à «un contexte factuel très spécifique» est contraire au principe de sécurité juridique en raison de son manque de clarté et de précision.

20      La Commission soutient que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés. Elle souligne que le «critère» auquel le requérant fait référence constitue non pas une règle générale, mais une exception à l’un des deux critères cumulatifs permettant de considérer qu’un acte affecte directement la situation d’un requérant et que le Tribunal n’a aucunement limité la portée des arrêts précités Piraiki-Patraiki e.a./Commission ainsi que Dreyfus/Commission.

 Appréciation de la Cour

21      Il convient de rappeler que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C‑15/06 P, Rec. p. I‑2591, point 31, ainsi que du 13 octobre 2011, Deutsch Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, Rec. p. I‑9639, point 66).

22      Il y a également lieu de mentionner l’analyse consacrée par la Cour dans les arrêts précités Piraiki-Patraiki e.a./Commission et Dreyfus/Commission qui permet, dans certains cas spécifiques, de considérer qu’un tiers peut être concerné directement par une décision de la Commission dont il n’est pas le destinataire lorsque la possibilité pour le destinataire de ne pas donner suite à cet égard est purement théorique.

23      Dans la mesure où le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que cette analyse s’applique à titre exceptionnel et ne constitue pas une règle de droit d’application générale, force est de constater d’emblée que le caractère exceptionnel de la solution consacrée dans les arrêts précités Piraiki-Patraiki e.a./Commission et Dreyfus/Commission ressort des termes même de ces derniers.

24      En effet, en se référant expressément aux arrêts précités Piraiki‑Patraiki e.a./Commission et Dreyfus/Commission, la Cour a précisé que c’est à titre exceptionnel qu’elle avait jugé que le requérant pouvait être «directement affecté», au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors que d’autres facteurs, parmi lesquels la faculté purement théorique de ne pas donner suite à la décision en cause, permettaient de conclure à l’existence d’un intérêt direct dans son chef (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, Rec. p. I‑7993, point 58).

25      En outre et en tout état de cause, le requérant n’a pas établi en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit en estimant que cette jurisprudence n’avait pas vocation à s’appliquer à la situation en cause au principal.

26      Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a constaté que la jurisprudence issue des arrêts précités Piraiki-Patraiki e.a./Commission ainsi que Dreyfus/Commission revêt un caractère exceptionnel qui s’explique par les situations spécifiques au regard desquelles elle a été rendue et qu’elle n’était, dès lors, pas applicable au cas d’espèce.

27      Il s’ensuit que les deux premiers moyens invoqués par le requérant au soutien de son pourvoi doivent être écartés comme manifestement non fondés.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

28      Par son troisième moyen, le requérant reproche, en substance, au Tribunal d’avoir violé l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, en appliquant de façon restrictive la condition de la qualité pour agir.

29      Il soutient, d’une part, que le traité de Lisbonne a supprimé le critère, requis à l’article 230 CE, selon lequel, dans le cas d’actes qui ne comportent pas de mesures d’exécution, ceux-ci doivent concerner individuellement la personne physique ou morale en cause et, d’autre part, que ladite disposition du traité FUE retient seulement le critère selon lequel une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte attaqué. Il précise également que ce dernier critère a exactement le même sens que lorsqu’il est utilisé dans le cadre de l’appréciation de la condition relative à la qualité pour agir.

30      Le requérant ajoute qu’une telle modification revêt une importance particulière au regard du droit à une protection juridictionnelle effective, principe général du droit de l’Union garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ainsi que par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il estime que, dans ces circonstances, l’intention des États membres était d’ouvrir l’accès au prétoire en assouplissant le critère de l’«affectation individuelle» et qu’il serait ainsi contraire à cet objectif et au principe de protection juridictionnelle effective de restreindre la portée de ce critère.

31      La Commission considère que le troisième moyen doit être rejeté. Elle rappelle que le Tribunal a correctement appliqué les deux critères cumulatifs rappelés au point 21 de la présente ordonnance et se demande si, n’étant ni un État membre ni le bénéficiaire de l’aide faisant l’objet de la correction, le requérant peut être considéré comme tirant de l’ordre juridique de l’Union un droit nécessitant une protection juridictionnelle effective.

 Appréciation de la Cour

32      Il convient de rappeler que les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, sans pour autant aboutir à écarter les conditions expressément prévues par le traité (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, non encore publié au Recueil, point 98).

33      Or, la Cour a déjà jugé que, lorsqu’un recours en annulation est introduit par une partie requérante non privilégiée contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, l’exigence selon laquelle les effets juridiques obligatoires de la mesure attaquée doivent être de nature à affecter les intérêts de cette partie, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci, se chevauche avec les conditions posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (arrêt Deutsch Post et Allemagne/Commission, précité, point 38).

34      Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a, notamment aux points 42 et 43 de l’ordonnance attaquée, appliqué la jurisprudence constante de la Cour relative au critère de l’«affectation directe», telle que rappelée au point 21 de la présente ordonnance. Cette jurisprudence, ainsi que le reconnaît le requérant, n’est pas remise en cause par les modifications issues du traité de Lisbonne figurant à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. 

35      Partant, le troisième moyen invoqué par le requérant au soutien de son pourvoi doit être rejeté comme manifestement non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

36      Par son quatrième moyen, le requérant soutient que, si le Tribunal avait fait une correcte application du droit existant, il en aurait conclu que l’auteur du recours est directement concerné par la décision litigieuse.

37      Ainsi, il estime être directement affecté par cette décision dans la mesure où la correction financière exigée par celle-ci a, d’une part, abouti à l’épuisement total du crédit ouvert pour couvrir les refus de financement susceptibles d’intervenir au cours de toute une année et, d’autre part, donné lieu à un besoin de financement de 5 millions d’euros nécessitant une inscription de cette dette au passif du requérant .

38      Ce dernier ajoute que le point 52 de l’ordonnance attaquée contient une contradiction et que l’affirmation du Tribunal selon laquelle sa situation serait directement affectée en raison de la législation du Royaume-Uni est erronée en droit.

39      La Commission soutient que ce moyen ne saurait prospérer dans la mesure où la décision litigieuse n’affecte pas directement la situation juridique du requérant.

 Appréciation de la Cour

40      Il résulte des points 21 à 27 ainsi que 32 à 35 de la présente ordonnance que le Tribunal n’a pas méconnu l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en considérant que le requérant n’est pas directement concerné par la décision litigieuse.

41      Dès lors, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur le quatrième moyen, qui ne fait que répéter les considérations avancées dans le cadre des autres moyens du recours, lesquels ont déjà été examinés et écartés par la présente ordonnance.

42      Partant, aucun des moyens invoqués par le requérant au soutien de son pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, celui-ci doit être rejeté comme manifestement non fondé.

 Sur les dépens

43      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

44      La Commission ayant conclu à la condamnation du requérant et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents au présent pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Le Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Development est condamné à supporter les dépens afférents au présent pourvoi.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.