ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 décembre 2013 ( *1 )

«Médicaments à usage humain — Certificat complémentaire de protection — Règlement (CE) no 469/2009 — Article 3 — Conditions d’obtention de ce certificat — Notion de ‘produit protégé par un brevet de base en vigueur’ — Critères — Libellé des revendications du brevet de base — Précision et spécificité — Définition fonctionnelle d’un principe actif — Définition structurelle d’un principe actif — Convention sur le brevet européen»

Dans l’affaire C‑493/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) (Royaume-Uni), par décision du 24 octobre 2012, parvenue à la Cour le 5 novembre 2012, dans la procédure

Eli Lilly and Company Ltd

contre

Human Genome Sciences Inc.,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2013,

considérant les observations présentées:

pour Eli Lilly and Company Ltd, par MM. A. Waugh, QC, T. Mitcheson, barrister, et M. Hodgson, solicitor,

pour Human Genome Sciences Inc., par M. M. Tappin, QC, ainsi que par Mmes J. Antcliff et P. Gilbert, lawyers,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme J. Beeko, en qualité d’agent, assistée de Mme C. May, barrister,

pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et S. Menez, en qualité d’agents,

pour le gouvernement letton, par M. I. Kalniņš et Mme I. Ņesterova, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. F.W. Bulst et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 152, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eli Lilly and Company Ltd (ci-après «Eli Lilly») à Human Genome Sciences Inc. (ci-après «HGS») et visant à empêcher HGS d’obtenir tout certificat complémentaire de protection (ci-après le «CCP») sur le fondement du brevet de base dont HGS est le titulaire et d’une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«AMM») qu’Eli Lilly est sur le point de demander, voire d’obtenir, pour la commercialisation d’un médicament comprenant un anticorps qu’elle aurait développé et mis au point.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 4 et 5 ainsi que 9 et 10 du règlement no 469/2009 se lisent comme suit:

«(4)

À l’heure actuelle, la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et l’[AMM] dudit médicament réduit la protection effective conférée par le brevet à une durée insuffisante pour amortir les investissements effectués dans la recherche.

(5)

Ces circonstances conduisent à une insuffisance de protection qui pénalise la recherche pharmaceutique.

[…]

(9)

La durée de la protection conférée par le certificat devrait être déterminée de telle sorte qu’elle permette une protection effective suffisante. À cet effet, le titulaire, à la fois d’un brevet et d’un certificat, doit pouvoir bénéficier au total de quinze années d’exclusivité au maximum à partir de la première [AMM], dans la Communauté, du médicament en question.

(10)

Néanmoins, tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique devraient être pris en compte. À cet effet, le certificat ne saurait être délivré pour une durée supérieure à cinq ans. La protection qu’il confère devrait en outre être strictement limitée au produit couvert par l’autorisation de sa mise sur le marché en tant que médicament.»

4

L’article 1er de ce règlement, intitulé «Définitions», prévoit:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

a)

‘médicament’: toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines […];

b)

‘produit’: le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament;

c)

‘brevet de base’: un brevet qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un certificat;

d)

‘certificat’: le [CCP];

[…]»

5

L’article 3 dudit règlement, intitulé «Conditions d’obtention du certificat», dispose:

«Le certificat est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande:

a)

le produit est protégé par un brevet de base en vigueur;

b)

le produit, en tant que médicament, a obtenu une [AMM] en cours de validité conformément à la directive 2001/83/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67) […];

c)

le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat;

d)

l’autorisation mentionnée au point b) est la première [AMM] du produit, en tant que médicament.»

La convention sur le brevet européen

6

Sous l’intitulé «Étendue de la protection», l’article 69 de la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la «CBE»), dispose:

«(1)   L’étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet européen est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications.

(2)   Pour la période allant jusqu’à la délivrance du brevet européen, l’étendue de la protection conférée par la demande de brevet européen est déterminée par les revendications contenues dans la demande telle que publiée. Toutefois, le brevet européen tel que délivré ou tel que modifié au cours de la procédure d’opposition, de limitation ou de nullité détermine rétroactivement la protection conférée par la demande, pour autant que cette protection ne soit pas étendue.»

7

S’agissant de cet article 69, le protocole interprétatif de l’article 69 de cette convention, qui fait partie intégrante de celle-ci en vertu de l’article 164, paragraphe 1, de ladite convention, indique, à son article 1er:

«L’article 69 ne doit pas être interprété comme signifiant que l’étendue de la protection conférée par le brevet européen est déterminée au sens étroit et littéral du texte des revendications et que la description et les dessins servent uniquement à dissiper les ambiguïtés que pourraient recéler les revendications. Il ne doit pas davantage être interprété comme signifiant que les revendications servent uniquement de ligne directrice et que la protection s’étend également à ce que, de l’avis d’un homme du métier ayant examiné la description et les dessins, le titulaire du brevet a entendu protéger. L’article 69 doit, par contre, être interprété comme définissant entre ces extrêmes une position qui assure à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de sécurité juridique aux tiers.»

8

L’article 83 de la CBE dispose:

«L’invention doit être exposée dans la demande de brevet européen de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter.»

9

L’article 84 de la CBE prévoit que «[l]es revendications définissent l’objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises et se fonder sur la description.»

Le droit du Royaume-Uni

10

La section 60 de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977 (UK Patents Act 1977), relative à la «[d]éfinition de la contrefaçon», est libellée comme suit:

«1)

Conformément aux dispositions de la présente section, viole un brevet d’invention quiconque, alors que le brevet est en vigueur, accomplit l’un des actes suivants, et seulement l’un de ces actes, au Royaume-Uni, en relation avec l’invention, sans le consentement du titulaire du brevet:

a)

si l’invention est un produit, fabriquer le produit, disposer du produit, offrir d’en disposer, l’utiliser, l’importer ou le conserver que ce soit pour en disposer ou autrement;

[…]

2)

Conformément aux dispositions suivantes de la présente section, viole également un brevet d’invention quiconque (autre que le titulaire du brevet), alors que le brevet est en vigueur et sans le consentement du titulaire, fournit ou offre de fournir au Royaume-Uni à un tiers autre que le titulaire d’une licence ou que toute autre personne habilitée à travailler l’invention les moyens, quels qu’ils soient, portant sur un élément essentiel de l’invention, destinés à mettre en œuvre l’invention, sachant ou devant normalement savoir, compte tenu des circonstances, que ces moyens sont adaptés et destinés à la mise en œuvre de l’invention au Royaume-Uni.»

11

Les autres dispositions pertinentes de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977 (UK Patents Act 1977) disposent:

«Section 125 – Portée de l’invention

1)

Aux fins de la loi, l’invention pour laquelle un brevet a été demandé ou a été délivré, à moins que le contexte n’en dispose autrement, doit être considérée comme étant celle spécifiée dans une revendication du fascicule de la demande ou du brevet, selon le cas, telle qu’interprétée au moyen de la description et d’éventuels dessins contenus dans cette spécification, et l’étendue de la protection conférée par le brevet ou la demande de brevet est déterminée de façon correspondante.

3)

Le protocole interprétatif de l’article 69 de la convention sur le brevet européen (cet article contenant une disposition correspondant à la sous-section 1), ci-dessus, s’applique, tant qu’il est en vigueur, aux finalités de ladite sous-section 1 comme il s’applique aux finalités de cet article.

[…]

Section 130 – Interprétation

[…]

7)

Attendu que, en vertu d’une résolution adoptée lors de la signature de la convention sur le brevet européen, les gouvernements des États membres de la Communauté économique européenne se sont engagés à adapter leur législation sur le brevet de façon à (notamment) mettre cette législation en conformité avec les dispositions correspondantes de la convention sur le brevet européen, de la convention sur le brevet communautaire et du traité de coopération en matière de brevets, nous déclarons par la présente que les dispositions suivantes de la présente loi, à savoir, les sections 1, sous-sections 1 à 4, 2 à 6, 14, sous-sections 3, 5 et 6, 37, sous-section 5, 54, 60, 69, 72, sous-sections 1 et 2, 74, sous-sections 4, 82, 83, 100 et 125, sont conçues de manière à avoir, autant que possible en pratique, les mêmes effets au Royaume-Uni que les dispositions correspondantes de la convention sur le brevet européen, de la convention sur le brevet communautaire et du traité de coopération en matière de brevets ont dans les territoires dans lesquels ces conventions s’appliquent.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

HGS est titulaire du brevet européen (UK) no EP 0 939 804 (ci-après le «brevet de HGS»), déposé le 25 octobre 1996, délivré le 17 août 2005 par l’Office européen des brevets (OEB) et expirant le 25 octobre 2016. Ce brevet porte sur la découverte d’une nouvelle protéine, en l’occurrence la neutrokine alpha (α). Ledit brevet divulgue et revendique notamment cette protéine. Il ressort des revendications dudit brevet qu’il porte également sur des anticorps qui se lient spécifiquement à cette protéine. La neutrokine α agit comme un médiateur intercellulaire dans les réponses inflammatoires et immunitaires, d’une façon telle qu’un excédent ou une insuffisance de ladite protéine est associé à des maladies du système immunitaire. Ainsi, des anticorps qui se lient spécifiquement à cette protéine peuvent inhiber son activité et être utiles dans le traitement des maladies auto-immunes.

13

Les revendications 13, 14 et 18 du brevet de HGS se lisent comme suit:

«13.

Un anticorps isolé ou une portion de celui-ci qui se lie spécifiquement au:

a)

polypeptide de neutrokine α entier ayant la séquence d’acides aminés composée des résidus 1 à 285 de SEQ ID No:2; ou

b)

domaine extracellulaire du polypeptide de neutrokine α ayant la séquence d’acides aminés composée des résidus 73 à 285 de SEQ ID No:2.

14.

L’anticorps ou la portion de celui-ci de la revendication 13 est choisi dans le groupe composé de:

a)

un anticorps monoclonal;

[…]

18.

Une composition pharmaceutique comprenant […] l’anticorps ou une portion de celui-ci de l’une quelconque des revendications 13 à 17, et optionnellement un excipient.»

14

Eli Lilly souhaite commercialiser une composition pharmaceutique qui pourrait être utilisée dans le traitement d’une maladie auto-immune. Cette composition contiendrait comme principe actif un anticorps qui se lie spécifiquement à la neutrokine α, auquel elle se réfère sous le nom de LY2127399 (désormais connu sous le nom de tabalumab). Selon la juridiction de renvoi, Eli Lilly reconnaît que, si elle commercialisait ladite composition avant l’expiration du brevet de HGS, l’anticorps LY2127399 enfreindrait la revendication 13 de ce brevet.

15

Cette juridiction en déduit alors que l’anticorps LY2127399 est un anticorps correspondant à la définition de la revendication 13 du brevet de HGS en tant qu’anticorps isolé ou une portion de celui-ci qui se lie spécifiquement au polypeptide de neutrokine α. Toute composition pharmaceutique contenant le LY2127399 serait ainsi une composition pharmaceutique correspondant à la revendication 18 de ce brevet et, partant, protégée par cette revendication.

16

Eli Lilly a formé devant la juridiction de renvoi un recours afin d’obtenir une déclaration d’invalidité de tout CCP ayant pour base légale le brevet de HGS et qui serait fondé sur une AMM d’un médicament contenant le LY2127399. Elle fait valoir, à cet égard, que cet anticorps n’est pas couvert par un «brevet de base» au sens de l’article 3 du règlement no 469/2009, dans la mesure où la revendication 13 du brevet de HGS serait rédigée de manière trop large pour que ledit anticorps puisse être considéré comme étant mentionné, au sens de l’arrêt du 24 novembre 2011, Medeva (C-322/10, Rec. p. I-12051), dans le libellé des revendications dudit brevet. En effet, cette revendication, qui fait état d’«anticorps isolé ou [de] portion de celui-ci se liant […] au polypeptide de neutrokine α entier […] ou au domaine extracellulaire du polypeptide de neutrokine α […]», ne donne aucune description de l’anticorps en cause, notamment quant à la séquence d’anticorps primaire spécifique, et ne divulgue pas d’informations fonctionnelles sur le point de savoir auxquels épitopes de la neutrokine α il serait censé se lier ou encore quelle activité neutralisante il serait censé exercer.

17

Ainsi, selon Eli Lilly, pour qu’il puisse servir de base à la délivrance d’un CCP, le brevet de HGS aurait dû contenir une définition structurelle de principes actifs et les revendications auraient dû présenter un degré significativement plus élevé de spécificités.

18

Si la revendication 13 du brevet de HGS utilise une formule large, couvrant de nombreux anticorps, Eli Lilly a toutefois souligné devant la juridiction de renvoi que, dans d’autres demandes de brevets déposées par HGS relatifs aux anticorps se liant à la neutrokine α, HGS avait utilisé des revendications libellées de manière plus spécifique et plus précise, qui définissaient clairement un anticorps en fonction de sa séquence d’acides aminés primaires. Ainsi, le brevet européen no 1 294 769, déposé le 15 juin 2001 et invoqué par HGS à l’appui de sa demande de CCP présentée le 10 janvier 2012 pour le produit BENLYSTA (belimumab), ayant obtenu une AMM de l’Union européenne le 13 juillet 2011, revendique un anticorps fondé sur la séquence d’acides aminés de la chaîne lourde variable et de la chaîne légère variable de l’anticorps monoclonal de la neutrokine α. En outre, dans les brevets divisionnaires nos 10165 182.2 et 10185 178.0 du brevet européen no 1 294 769, de telles revendications spécifiques seraient également utilisées.

19

En revanche, dans le brevet de HGS en cause au principal, l’anticorps serait défini de façon fonctionnelle, mais non de manière structurelle, de sorte que cette définition couvre un nombre inconnu d’anticorps non autrement spécifiés. Il s’agirait de la façon la plus large de formuler une revendication pour un anticorps. En outre, le fascicule de ce brevet ne comporte aucun exemple de production d’un anticorps ou encore un essai concernant un tel anticorps. Enfin, ledit brevet ne contiendrait pas non plus de description structurelle d’anticorps susceptibles de fonctionner comme anticorps thérapeutiques.

20

En défense, HGS a fait valoir qu’un CCP peut être délivré sur le fondement de son brevet de base et d’une AMM d’un médicament contenant le LY2127399. Elle a souligné que son brevet a été considéré comme valide tant par la chambre de recours de l’OEB dans sa décision T‑18/09, du 21 octobre 2009, que par les juridictions du Royaume-Uni, en l’occurrence la Supreme Court, par un arrêt du 2 novembre 2011, ainsi que la Court of Appeal, par un arrêt du 5 septembre 2012. Ces juridictions auraient notamment considéré que les revendications dudit brevet étaient nouvelles, fondées sur une activité inventive, susceptibles de faire l’objet d’une application industrielle, et étaient suffisantes en ce sens que le brevet de HGS divulguait les inventions revendiquées de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme de métier puisse les exécuter.

21

Selon HGS, ce brevet utilise une formulation usuelle pour des revendications auxquelles l’OEB donne habituellement suite dans le cas de brevets pour des nouvelles protéines et des anticorps qui se lient à elles. Il serait en effet de pratique courante que les anticorps se liant à des protéines auparavant non identifiées soient considérés comme nouveaux et fondés sur une activité inventive. Cela justifierait qu’une large protection puisse être obtenue pour un anticorps en tant que tel, lorsque le brevet de base comporte des revendications mentionnant explicitement «un anticorps susceptible de se lier à [la nouvelle protéine]». Ainsi que l’expose la juridiction de renvoi, le droit des brevets admettrait donc que des revendications, telles que la revendication 13 du brevet de HGS, portant sur des anticorps qui se lient spécifiquement à une nouvelle protéine, soient valables et que, même si elles couvrent en elles-mêmes de multiples anticorps, elles confèrent un niveau approprié et justifié de protection pour l’invention. Il s’agirait d’un cas dans lequel l’inventeur a découvert une nouvelle protéine cible et, pour la première fois, a permis aux hommes de métier de produire la protéine et les anticorps qui se lient à cette protéine cible. Le droit des brevets européens admettrait qu’il n’est pas nécessaire ou approprié d’exiger de ces inventeurs qu’ils fournissent une définition spécifique, structurelle, des anticorps dans leurs revendications.

22

Pour ces raisons, HGS fait valoir qu’un CCP pourra lui être valablement délivré sur le fondement de son brevet de base et de la future AMM qui sera obtenue par Eli Lilly pour le LY2127399. HGS relève que le critère proposé par Eli Lilly, tenant à l’exigence d’une définition structurelle aux fins de considérer qu’un produit est protégé par un brevet de base au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, ne tient pas compte du fait que les revendications portant sur un anticorps défini de façon fonctionnelle sont habituellement accueillies par l’OEB et sont utilisées de façon habituelle à l’appui de demandes de CCP.

23

C’est dans ces conditions que la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Quels sont les critères permettant de déterminer si ‘le produit est protégé par un brevet de base en vigueur’ au sens de l’article 3, sous a), du règlement [no 469/2009]?

2)

Ces critères sont-ils différents si le produit n’est pas une composition, et, dans l’affirmative, quels sont ces critères?

3)

Dans le cas d’une revendication portant sur un anticorps ou une classe d’anticorps, suffit-il que le ou les anticorps soient définis en fonction des caractéristiques par lesquelles ils se lient à une protéine cible ou est-il nécessaire de fournir une définition structurelle du ou des anticorps, et, dans l’affirmative, dans quelle mesure?»

Sur les questions préjudicielles

24

Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que, pour pouvoir considérer qu’un principe actif est «protégé par un brevet de base en vigueur» au sens de cette disposition, il est nécessaire que le principe actif soit mentionné dans les revendications de ce brevet au moyen d’une formule structurelle ou si ce principe actif peut également être considéré comme protégé lorsqu’il est couvert par une formule fonctionnelle figurant dans ces revendications.

25

Dans cette perspective, en l’absence de jurisprudence de la Cour portant spécifiquement sur cet aspect de la protection d’un principe actif unique, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si les critères, permettant de déterminer si un «produit est protégé par un brevet de base en vigueur», au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, sont différents lorsque le «produit», au sens de l’article 1er, sous b), de ce règlement, est un principe actif unique plutôt qu’une composition de principes actifs.

26

À cet égard, tandis que HGS fait valoir qu’un produit peut être considéré comme mentionné dans les revendications d’un brevet de base, et, partant, protégé par ce brevet, lorsque cette mention est faite au moyen d’une formule ou d’une définition fonctionnelle, y compris par l’indication de l’appartenance du produit à une classe thérapeutique spécifique, Eli Lilly est d’avis que, pour pouvoir être protégé à ce titre, le principe actif doit être suffisamment identifié et décrit dans les descriptions et les revendications dudit brevet, ce qui ne serait pas le cas dans l’affaire au principal. Ainsi, Eli Lilly soutient que, dans cette affaire, au regard de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, le principe actif tabalumab qu’elle a mis au point n’est pas mentionné ni «protégé» par le brevet de HGS, malgré la circonstance qu’elle ne peut, pendant la durée de validité de ce brevet, mettre sur le marché ce principe actif sans contrefaire le brevet de HGS.

27

Les gouvernements français et letton ainsi que la Commission européenne partagent également en substance cette position. Le gouvernement letton souligne en particulier que, même si le recours à une définition ou à une formule fonctionnelle d’un principe actif n’est pas en soi un obstacle à la délivrance d’un CCP, encore faut-il toutefois, pour considérer qu’un principe actif est protégé par un brevet de base en vigueur, que ce principe actif soit revendiqué plus spécifiquement dans les descriptions de ce brevet, de façon à pouvoir être clairement identifié. Le cas échéant, le titulaire d’un tel brevet devra préciser son invention dans le cadre de brevets ultérieurs, notamment divisionnaires.

28

Pour le gouvernement français, il conviendrait, aux fins de l’application de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, de s’inspirer des règles de la CBE, notamment des articles 69 et 83 de cette convention ainsi que du protocole interprétatif à l’article 69 de ladite convention. L’essentiel en la matière serait que, à la lumière de la description de l’invention figurant dans le brevet de base, les revendications de ce brevet visent sans ambiguïté le principe actif pour lequel un CCP est demandé. Le cas échéant, il appartiendrait au titulaire de ce brevet de caractériser de manière plus précise un ou plusieurs anticorps sélectionnés dans le cadre de brevets ultérieurs, suffisamment précis, permettant à ce titre la délivrance de CCP.

29

La Commission reconnaît qu’exiger une référence littérale au principe actif dans les revendications d’un brevet de base serait indûment restrictif. Cette institution estime cependant que, pour une personne compétente et sur le fondement des connaissances générales de l’homme du métier, il devrait ressortir sans ambiguïté des revendications d’un brevet de base que le principe actif, pour lequel un CCP est demandé, y est effectivement revendiqué. À cet égard, il y aurait lieu, aux fins de l’application de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, de s’inspirer notamment des critères établis par l’OEB quant à la recevabilité de corrections à apporter à des brevets européens.

30

À cet égard, il convient de rappeler que, en l’état du droit de l’Union applicable à l’affaire au principal, les dispositions relatives aux brevets n’avaient fait l’objet d’aucune forme d’harmonisation dans le cadre de l’Union ni d’un rapprochement des législations (voir arrêt Medeva, précité, point 22 et jurisprudence citée), même si, désormais, ont été adoptés le règlement (UE) no 1257/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet (JO L 361, p. 1), ainsi que l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JO 2013, C 175, p. 1), lequel accord pourrait s’appliquer à l’avenir, en vertu de son article 3, sous b), aux CCP délivrés sur le fondement du règlement no 469/2009.

31

En l’absence d’harmonisation du droit des brevets au niveau de l’Union applicable dans l’affaire au principal, l’étendue de la protection conférée par un brevet de base ne peut être déterminée qu’au regard des règles qui régissent ce dernier, lesquelles ne relèvent pas du droit de l’Union (arrêt Medeva, précité, point 23 et jurisprudence citée).

32

Il convient de souligner que ces règles devant servir à déterminer ce qui est protégé par le brevet de base au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 sont celles relatives à l’étendue de l’invention faisant l’objet d’un tel brevet, à l’instar de ce que prévoit, dans l’affaire au principal, la section 125 de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977. Ces règles sont également, lorsqu’il s’agit d’un brevet délivré par l’OEB, celles tirées de la CBE ainsi que du protocole interprétatif de l’article 69 de cette convention.

33

En revanche, ainsi que cela ressort de la réponse fournie par la Cour aux première à cinquième questions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Medeva, précité, aux fins de déterminer si un produit est «protégé par un brevet de base en vigueur» au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, il ne saurait être recouru aux règles relatives aux actions en contrefaçon telles que, dans l’affaire au principal, celles résultant de la section 60 de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977.

34

En jugeant que l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 s’oppose à la délivrance d’un CCP portant sur des principes actifs qui ne figurent pas dans les revendications d’un brevet de base (voir arrêt Medeva, précité, point 25; ordonnances du 25 novembre 2011, University of Queensland et CSL, C-630/10, Rec. p. I-12231, point 31, et Daiichi Sankyo, C-6/11, Rec. p. I-12255, point 30), la Cour a souligné le rôle essentiel des revendications aux fins de déterminer si un produit est protégé par un brevet de base au sens de cette disposition.

35

L’importance de ces revendications est par ailleurs corroborée par le point 20, deuxième alinéa, de l’exposé des motifs de la proposition de règlement (CEE) du Conseil du 11 avril 1990 concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments [COM(90) 101 final], où il est expressément et uniquement fait référence, en ce qui concerne ce qui est «protégé par le brevet de base», aux revendications de ce dernier. Cette importance est également confirmée par le considérant 14 du règlement (CE) no 1610/96 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 1996, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques (JO L 198, p. 30), lequel se réfère, s’agissant de la délivrance de CCP dans le domaine phytopharmaceutique, à la nécessité que des «produits»«soient l’objet de brevets les revendiquant spécifiquement» (voir arrêt Medeva, précité, point 27).

36

Dans l’affaire au principal, il est constant que le principe actif tabalumab, à savoir le LY2127399, n’est pas nommément mentionné dans les revendications du brevet de HGS. Par ailleurs, il ne semble pas être autrement spécifié dans les descriptions et les fascicules de ce brevet et n’est pas donc pas identifiable en tant que tel.

37

S’agissant de la circonstance que la commercialisation par Eli Lilly de ce principe actif constituerait, pendant la durée de validité dudit brevet, une contrefaçon de ce dernier, force est relever que, au regard de ce qui a été constaté aux points 32 et 33 du présent arrêt, celle-ci ne saurait être décisive, aux fins de la délivrance d’un CCP sur le fondement du règlement no 469/2009, notamment au regard de l’article 3, sous a), de ce dernier, pour déterminer si ledit principe actif est protégé par ce brevet.

38

Il convient de relever que, en application de la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt, un principe actif qui n’est pas mentionné dans les revendications d’un brevet de base, au moyen d’une définition structurelle, voire même d’une définition fonctionnelle, ne peut pas, en tout état de cause, être considéré comme protégé au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009.

39

Quant au point de savoir si l’utilisation d’une définition fonctionnelle peut en soi être suffisante, il convient de constater que l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un principe actif répondant à une définition fonctionnelle figurant dans les revendications d’un brevet délivré par l’OEB puisse être considéré comme étant protégé par ledit brevet, à la condition toutefois que, sur la base de telles revendications, interprétées notamment à la lumière de la description de l’invention, ainsi que le prescrivent l’article 69 de la CBE et le protocole interprétatif de celui-ci, il est possible de conclure que ces revendications visaient, implicitement mais nécessairement, le principe actif en cause, et ce de manière spécifique.

40

Il convient toutefois de préciser, s’agissant des exigences tirées de la CBE, que la Cour n’est nullement compétente pour interpréter les dispositions de cette convention, étant donné que, à la différence des États membres, l’Union n’a pas adhéré à celle-ci. Partant, la Cour ne saurait fournir d’autres indications à la juridiction de renvoi quant à la manière dont elle devrait apprécier la portée des revendications d’un brevet délivré par l’OEB.

41

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le CCP ne vise qu’à rétablir une durée de protection effective suffisante du brevet de base en permettant à son titulaire de bénéficier d’une période d’exclusivité supplémentaire à l’expiration de ce brevet, destinée à compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l’exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s’est écoulé entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de l’obtention de la première AMM dans l’Union (arrêts du 11 novembre 2010, Hogan Lovells International, C-229/09, Rec. p. I-11335, point 50; ainsi que du 12 décembre 2013, Actavis Group PTC et Actavis UK, C‑443/12, point 31; et Georgetown University, C‑484/12, point 36).

42

Ainsi que cela ressort du considérant 4 du règlement no 469/2009, l’octroi de cette période d’exclusivité supplémentaire a vocation à encourager la recherche et, pour ce faire, vise à permettre un amortissement des investissements effectués dans cette recherche.

43

Au regard de l’objectif du règlement no 469/2009, un refus opposé à une demande de CCP pour un principe actif qui n’est pas visé de manière spécifique par un brevet délivré par l’OEB invoqué au soutien d’une telle demande pourrait se justifier, dans des circonstances telles que celles au principal et ainsi que l’a souligné Eli Lilly, dans la mesure où le titulaire du brevet en cause n’a pas entrepris de démarches tendant à approfondir et à préciser son invention de manière à identifier clairement le principe actif susceptible d’être exploité commercialement dans un médicament, répondant aux besoins de certains patients. Dans une telle configuration, octroyer un CCP au titulaire du brevet alors même que, n’étant pas le titulaire de l’AMM du médicament développé au-delà des spécifications du brevet source, ce titulaire dudit brevet n’a pas réalisé d’investissements dans la recherche portant sur ce volet de son invention initiale, reviendrait à méconnaître l’objectif du règlement no 469/2009, tel que visé au considérant 4 de ce dernier.

44

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que, pour pouvoir considérer qu’un principe actif est «protégé par un brevet de base en vigueur» au sens de cette disposition, il n’est pas nécessaire que le principe actif soit mentionné dans les revendications de ce brevet au moyen d’une formule structurelle. Lorsque ce principe actif est couvert par une formule fonctionnelle figurant dans les revendications d’un brevet délivré par l’OEB, cet article 3, sous a), ne s’oppose pas en principe à la délivrance d’un CCP pour ce principe actif, à la condition toutefois que, sur la base de telles revendications, interprétées notamment à la lumière de la description de l’invention, ainsi que le prescrivent l’article 69 de la CBE et le protocole interprétatif de celui-ci, il est possible de conclure que ces revendications visaient, implicitement mais nécessairement, le principe actif en cause, et ce de manière spécifique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

L’article 3, sous a), du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens que, pour pouvoir considérer qu’un principe actif est «protégé par un brevet de base en vigueur» au sens de cette disposition, il n’est pas nécessaire que le principe actif soit mentionné dans les revendications de ce brevet au moyen d’une formule structurelle. Lorsque ce principe actif est couvert par une formule fonctionnelle figurant dans les revendications d’un brevet délivré par l’Office européen des brevets, cet article 3, sous a), ne s’oppose pas en principe à la délivrance d’un certificat complémentaire de protection pour ce principe actif, à la condition toutefois que, sur la base de telles revendications, interprétées notamment à la lumière de la description de l’invention, ainsi que le prescrivent l’article 69 de la convention sur la délivrance de brevets européens et le protocole interprétatif de celui-ci, il est possible de conclure que ces revendications visaient, implicitement mais nécessairement, le principe actif en cause, et ce de manière spécifique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.