ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 janvier 2014 ( *1 )

«Politique sociale — Directive 2002/14/CE — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 27 — Subordination de la mise en place d’institutions représentatives du personnel à certains seuils de travailleurs employés — Calcul des seuils — Réglementation nationale contraire au droit de l’Union — Rôle du juge national»

Dans l’affaire C‑176/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 11 avril 2012, parvenue à la Cour le 16 avril 2012, dans la procédure

Association de médiation sociale

contre

Union locale des syndicats CGT,

Hichem Laboubi,

Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône,

Confédération générale du travail (CGT),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič et M. Safjan, présidents de chambre, MM. J. Malenovský, E. Levits (rapporteur), J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, M. D. Šváby, Mmes M. Berger et A. Prechal, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2013,

considérant les observations présentées:

pour l’Union locale des syndicats CGT, M. Laboubi, l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône et la Confédération générale du travail (CGT), par Mes H. Didier et F. Pinet, avocats,

pour le gouvernement français, par Mme N. Rouam ainsi que par MM. G. de Bergues et J. Rossi, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par Mme K. Petersen, en qualité d’agent,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Noort et C. Wissels, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par Mmes J. Faldyga et A. Siwek, ainsi que par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren, D. Martin et G. Rozet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 juillet 2013,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 27 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») ainsi que de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (JO L 80, p. 29).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Association de médiation sociale (ci-après l’«AMS») à l’Union locale des syndicats CGT ainsi qu’à M. Laboubi, à l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône et à la Confédération générale du travail (CGT) au sujet de la mise en place, par l’union syndicale localement compétente, d’institutions représentatives du personnel au sein de l’AMS.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3

L’article 27 de la Charte est libellé comme suit:

«Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.»

4

L’article 1er de la directive 2002/14, intitulé «Objet et principes», prévoit:

«1.   La présente directive a pour objectif d’établir un cadre général fixant des exigences minimales pour le droit à l’information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises ou les établissements situés dans la Communauté.

2.   Les modalités d’information et de consultation sont définies et mises en œuvre conformément à la législation nationale et aux pratiques en matière de relations entre les partenaires sociaux en vigueur dans les différents États membres, de manière à assurer l’effet utile de la démarche.

[...]»

5

L’article 2 de cette directive, relatif aux définitions, est libellé comme suit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

d)

‘travailleur’, toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi et conformément aux pratiques nationales;

[...]»

6

L’article 3 de ladite directive, intitulé «Champ d’application», dispose à son paragraphe 1:

«La présente directive s’applique, selon le choix fait par les États membres:

a)

aux entreprises employant dans un État membre au moins 50 travailleurs, ou

b)

aux établissements employant dans un État membre au moins 20 travailleurs.

Les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés.»

7

L’article 4 de la directive 2002/14, intitulé «Modalités de l’information et de la consultation», énonce à son paragraphe 1:

«Dans le respect des principes énoncés à l’article 1er et sans préjudice des dispositions et/ou pratiques en vigueur plus favorables aux travailleurs, les États membres déterminent les modalités d’exercice du droit à l’information et à la consultation au niveau approprié, conformément au présent article.»

8

L’article 11 de la directive 2002/14 prévoit que les États membres doivent adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux obligations de cette directive, au plus tard le 23 mars 2005, ou s’assurer que les partenaires sociaux mettent en place à cette date ces dispositions, les États membres devant alors prendre toutes les dispositions nécessaires pour leur permettre d’être toujours en mesure de garantir les résultats imposés par ladite directive.

La réglementation française

9

Conformément à l’article L. 2312‑1 du code du travail, l’élection de délégués du personnel est obligatoire pour tous les établissements comptant au moins onze salariés.

10

Dès lors que l’entreprise ou l’établissement compte cinquante salariés ou plus, les organisations syndicales désignent, en application des articles L. 2142‑1‑1 et L. 2143‑3 de ce code, un représentant syndical et créent, en application de l’article L. 2322‑1 dudit code, un comité d’entreprise.

11

L’article L. 1111‑2 du code du travail dispose:

«Pour la mise en œuvre des dispositions du présent code, les effectifs de l’entreprise sont calculés conformément aux dispositions suivantes:

1o

Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l’effectif de l’entreprise;

2o

Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d’un contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l’effectif de l’entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents. Toutefois, les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée et les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure, y compris les salariés temporaires, sont exclus du décompte des effectifs lorsqu’ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d’un congé de maternité, d’un congé d’adoption ou d’un congé parental d’éducation;

3o

Les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail».

12

L’article L. 1111‑3 du code du travail prévoit:

«Ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise:

1o

Les apprentis;

2o

Les titulaires d’un contrat initiative-emploi, pendant la durée de la convention prévue à l’article L. 5134‑66;

3o

(Abrogé);

4o

Les titulaires d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi pendant la durée de la convention mentionnée à l’article L. 5134‑19‑1;

5o

(Abrogé);

6o

Les titulaires d’un contrat de professionnalisation jusqu’au terme prévu par le contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée ou jusqu’à la fin de l’action de professionnalisation lorsque le contrat est à durée indéterminée.

Toutefois, ces salariés sont pris en compte pour l’application des dispositions légales relatives à la tarification des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

L’AMS est une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Cette association participe à la mise en place de dispositifs de médiation sociale et de prévention de la délinquance dans la ville de Marseille (France). Elle a également pour mission de favoriser la réinsertion professionnelle des personnes sans emploi ou rencontrant des difficultés sociales et professionnelles d’accès à l’emploi. À cet égard, l’AMS leur propose d’acquérir une formation professionnelle dans le domaine de la médiation sociale au terme d’un projet professionnel individuel.

14

Le 4 juin 2010, l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône a désigné M. Laboubi en qualité de représentant de la section syndicale créée au sein de l’AMS.

15

L’AMS conteste cette désignation. Elle considère que son effectif est de moins de onze et, a fortiori, de moins de cinquante salariés et que, par conséquent, elle n’est pas tenue, selon la réglementation nationale pertinente, de prendre des mesures de représentation des travailleurs, telles que l’élection d’un délégué du personnel.

16

En effet, pour déterminer si ces seuils de onze ou de cinquante salariés sont atteints au sein de l’association, il convient, selon l’AMS, d’exclure du calcul de son effectif, conformément à l’article L. 1111‑3 du code du travail, les apprentis, les travailleurs titulaires d’un contrat initiative-emploi ou d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi ainsi que les travailleurs titulaires de contrats de professionnalisation (ci-après les «travailleurs titulaires de contrats aidés»).

17

Le tribunal d’instance de Marseille, saisi d’une demande de l’AMS tendant à l’annulation de la désignation de M. Laboubi en qualité de représentant de la section syndicale CGT ainsi que d’une demande reconventionnelle de ce syndicat visant à ce qu’il soit enjoint à l’AMS d’organiser des élections aux fins de la mise en place d’institutions représentatives du personnel en son sein, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation portant sur les dispositions de l’article L. 1111‑3 du code du travail.

18

La Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel de cette question. Le 29 avril 2011, ce dernier a déclaré que l’article L. 1111‑3 du code du travail est conforme à la Constitution.

19

Devant le tribunal d’instance de Marseille, M. Laboubi et l’Union locale des syndicats CGT des Quartiers Nord – auxquels l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône et la CGT se sont volontairement jointes – ont fait valoir que les dispositions de l’article L. 1111‑3 du code du travail sont néanmoins contraires au droit de l’Union comme aux engagements internationaux de la République française.

20

En statuant à nouveau le 7 juillet 2011, le tribunal d’instance de Marseille a fait droit à cette argumentation et a écarté l’application des dispositions de l’article L. 1111‑3 du code du travail, celles-ci n’étant pas conformes au droit de l’Union. Ainsi, ledit tribunal a validé la désignation de M. Laboubi en qualité de représentant de section syndicale, après avoir constaté que, en l’absence d’application des exclusions instituées par l’article L. 1111‑3 du code de travail, l’effectif de l’association en cause dépassait largement le seuil de cinquante salariés.

21

L’AMS a formé un pourvoi devant la Cour de cassation contre ce jugement.

22

Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Le droit fondamental relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, reconnu par l’article 27 de la [Charte], tel que précisé par les dispositions de la directive [2002/14] peut-il être invoqué dans un litige entre particuliers aux fins de vérifier la conformité d’une mesure nationale de transposition de [cette] directive?

2)

Dans l’affirmative, ces mêmes dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une disposition législative nationale excluant du calcul des effectifs de l’entreprise, notamment pour déterminer les seuils légaux de mise en place des institutions représentatives du personnel, les travailleurs titulaires [de] contrats [aidés]?»

Sur les questions préjudicielles

23

Par ses questions, qu’il y a lieu de traiter ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 27 de la Charte, seul ou en combinaison avec les dispositions de la directive 2002/14, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une disposition nationale de transposition de cette directive, telle que l’article L. 1111‑3 du code du travail, est incompatible avec le droit de l’Union, cet article de la Charte peut être invoqué dans un litige entre particuliers afin de laisser inappliquée ladite disposition nationale.

24

À cet égard, il convient, en premier lieu, de relever que la Cour a déjà jugé que, la directive 2002/14 ayant défini, à son article 2, sous d), le cadre des personnes à prendre en considération lors du calcul des effectifs de l’entreprise, les États membres ne sauraient exclure dudit calcul une catégorie déterminée de personnes entrant initialement dans ce cadre (voir arrêt du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail e.a., C-385/05, Rec. p. I-611, point 34).

25

En effet, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui exclut du calcul des effectifs de l’entreprise une catégorie déterminée des travailleurs, a pour conséquence de soustraire certains employeurs aux obligations prévues par la directive 2002/14 et de priver leurs travailleurs des droits reconnus par celle-ci. En conséquence, elle est de nature à vider lesdits droits de leur substance et ôte ainsi à cette directive son effet utile (voir arrêt Confédération générale du travail e.a., précité, point 38).

26

Certes, il est de jurisprudence constante que la promotion de l’emploi, mise en avant par le gouvernement français dans l’affaire au principal, constitue un objectif légitime de politique sociale et que les États membres disposent, lors du choix des mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale, d’une large marge d’appréciation (voir arrêt Confédération générale du travail e.a., précité, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

27

Toutefois, cette marge d’appréciation dont les États membres disposent en matière de politique sociale ne saurait avoir pour effet de vider de sa substance la mise en œuvre d’un principe fondamental du droit de l’Union ou d’une disposition de ce même droit (voir arrêt Confédération générale du travail e.a., précité, point 29).

28

Or, une interprétation de la directive 2002/14, selon laquelle l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci permet aux États membres d’exclure du calcul des effectifs de l’entreprise une catégorie déterminée des travailleurs pour des motifs tels que ceux mis en avant par le gouvernement français dans l’affaire au principal, serait incompatible avec l’article 11 de ladite directive, qui prévoit que les États membres doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour être en mesure de garantir les résultats imposés par la directive 2002/14, en ce qu’elle impliquerait qu’il serait permis aux États membres de se soustraire à cette obligation de résultat claire et précise imposée par le droit de l’Union (voir arrêt Confédération générale du travail e.a., précité, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

29

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a donc lieu de conclure que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article L. 1111‑3 du code du travail, qui exclut les travailleurs titulaires de contrats aidés du calcul des effectifs de l’entreprise dans le cadre de la détermination des seuils légaux de mise en place des institutions représentatives du personnel.

30

Il convient, en deuxième lieu, d’examiner si la directive 2002/14, et notamment son article 3, paragraphe 1, remplit les conditions pour produire un effet direct et, si tel est le cas, si les défendeurs au principal peuvent s’en prévaloir à l’encontre de l’AMS.

31

À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (voir arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, Rec. p. I-8835, point 103 ainsi que jurisprudence citée).

32

En l’occurrence, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 prévoit qu’il appartient aux États membres de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés.

33

Si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre cette directive, cette circonstance n’affecte pas, cependant, le caractère précis et inconditionnel de l’obligation de prise en compte de tous les travailleurs, prescrite à cet article.

34

En effet, la Cour a déjà constaté, ainsi qu’il a été souligné au point 24 du présent arrêt, que la directive 2002/14 ayant défini le cadre des personnes à prendre en considération lors de ce calcul, les États membres ne sauraient exclure dudit calcul une catégorie déterminée de personnes entrant initialement dans ce cadre. Ainsi, si ladite directive ne prescrit pas aux États membres la manière dont ceux-ci doivent tenir compte des travailleurs relevant de son champ d’application lors du calcul des seuils de travailleurs employés, elle prescrit néanmoins qu’ils doivent en tenir compte (voir arrêt Confédération générale du travail e.a., précité, point 34).

35

Eu égard à cette jurisprudence concernant l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 (voir arrêt Confédération générale du travail e.a., précité, point 40), il s’ensuit que cette disposition remplit les conditions requises pour produire un effet direct.

36

Cependant, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive visant à conférer des droits ou à imposer des obligations aux particuliers ne saurait trouver application en tant que telle dans le cadre d’un litige qui oppose exclusivement des particuliers (voir arrêts Pfeiffer e.a., précité, point 109, ainsi que du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07, Rec. p. I-365, point 46).

37

À cet égard, il a été constaté au point 13 du présent arrêt que l’AMS est une association de droit privé, même si elle a une vocation sociale. Il en découle que, en raison de la nature juridique de l’AMS, les défendeurs au principal ne sauraient se prévaloir des dispositions de la directive 2002/14, en tant que telles, à l’encontre de cette association (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, point 42).

38

Toutefois, la Cour a jugé qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne adoptées aux fins de transposer les obligations prévues par une directive, de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour aboutir à une solution conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci (voir arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C-212/04, Rec. p. I-6057, point 111, ainsi que Pfeiffer e.a., précité, point 119 et Dominguez, précité, point 27).

39

Néanmoins, la Cour a précisé que ce principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (voir arrêts du 15 avril 2008, Impact, C-268/06, Rec. p. I-2483, point 100, et Dominguez, précité, point 25).

40

Dans l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi que la Cour de cassation se voit confrontée à une telle limite, de sorte que l’article L. 1111‑3 du code du travail n’est pas susceptible d’une interprétation conforme à la directive 2002/14.

41

Dans ces circonstances, il convient de vérifier, en troisième lieu, si la situation de l’affaire au principal est similaire à celle de l’affaire ayant conduit à l’arrêt Kücükdeveci, précité, de sorte que l’article 27 de la Charte, seul ou en combinaison avec les dispositions de la directive 2002/14, peut être invoqué dans un litige entre particuliers afin d’écarter, le cas échéant, la disposition nationale non conforme à ladite directive.

42

À l’égard de l’article 27 de la Charte en tant que tel, il convient de rappeler, qu’il résulte d’une jurisprudence constante que les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union (voir arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, point 19).

43

Ainsi, la réglementation nationale en cause au principal constituant la mise en œuvre de la directive 2002/14, l’article 27 de la Charte a vocation à être appliqué à l’affaire au principal.

44

Il convient également de relever que l’article 27 de la Charte, intitulé «Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise», prévoit que les travailleurs doivent se voir garantir, à différents niveaux, une information et une consultation dans les cas et les conditions prévus par le droit de l’Union ainsi que par les législations et pratiques nationales.

45

Il ressort donc clairement du libellé de l’article 27 de la Charte, que, afin que cet article produise pleinement ses effets, il doit être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national.

46

En effet, l’interdiction, prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 et adressée aux États membres, d’exclure du calcul des effectifs de l’entreprise une catégorie déterminée de travailleurs entrant initialement dans le cadre des personnes à prendre en considération lors dudit calcul ne saurait être déduite, en tant que règle de droit directement applicable, ni du libellé de l’article 27 de la Charte ni des explications relatives audit article.

47

Il convient de noter, à cet égard, que les circonstances de l’affaire au principal se distinguent de celles ayant donné lieu à l’arrêt Kücükdeveci, précité, dans la mesure où le principe de non-discrimination en fonction de l’âge, en cause dans cette dernière affaire, consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, se suffit à lui-même pour conférer aux particuliers un droit subjectif invocable en tant que tel.

48

Partant, l’article 27 de la Charte ne saurait, en tant que tel, être invoqué dans un litige, tel que celui au principal, afin de conclure que la disposition nationale non conforme à la directive 2002/14 est à écarter.

49

Cette constatation n’est pas susceptible d’être infirmée par la combinaison de l’article 27 de la Charte avec les dispositions de la directive 2002/14, étant donné que, dans la mesure où cet article ne se suffit pas à lui-même, pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel, il ne saurait en être autrement dans le cas d’une telle combinaison.

50

Toutefois, la partie lésée par la non-conformité du droit national au droit de l’Union pourrait se prévaloir de la jurisprudence issue de l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), pour obtenir, le cas échéant, réparation du dommage subi (voir arrêt Dominguez, précité, point 43).

51

Il découle de tout ce qui précède que l’article 27 de la Charte, seul ou en combinaison avec les dispositions de la directive 2002/14, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une disposition nationale de transposition de cette directive, telle que l’article L. 1111‑3 du code du travail, est incompatible avec le droit de l’Union, cet article de la Charte ne peut pas être invoqué dans un litige entre particuliers afin de laisser inappliquée ladite disposition nationale.

Sur les dépens

52

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

L’article 27 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, seul ou en combinaison avec les dispositions de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une disposition nationale de transposition de cette directive, telle que l’article L. 1111‑3 du code du travail français, est incompatible avec le droit de l’Union, cet article de la Charte ne peut pas être invoqué dans un litige entre particuliers afin de laisser inappliquée ladite disposition nationale.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.