ORDONNANCE DE LA COUR (deuxième chambre)

4 juillet 2013 (*)

«Directive 2006/112/CE – TVA – Droit à déduction – Refus – Taxe mentionnée sur une facture – Réalisation effective d’une opération imposable – Absence – Preuve – Principes de neutralité fiscale et de protection de la confiance légitime»

Dans l’affaire C‑572/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (Bulgarie), par décision du 26 octobre 2011, parvenue à la Cour le 11 novembre 2011, dans la procédure

Menidzherski biznes reshenia OOD

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. G. Arestis, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 168, sous a), et 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Menidzherski biznes reshenia OOD (ci-après «MBR») au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et gestion de l’exécution», pour la ville de Veliko Tarnovo, près l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques) au sujet du refus du droit à déduction, sous la forme d’un crédit d’impôt, de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») mentionnée sur des factures émises par l’un de ses fournisseurs, au motif que la réalité des opérations concernées par ces factures n’est pas établie.

 Le cadre juridique

3        L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112 prévoit que les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.

4        L’article 62 de cette directive est libellé comme suit:

«Aux fins de la présente directive sont considérés comme:

1)      ‘fait générateur de la taxe’ le fait par lequel sont réalisées les conditions légales nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

2)      ‘exigibilité de la taxe’ le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.»

5        Aux termes de l’article 63 de ladite directive:

«Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.»

6        Selon l’article 167 de la même directive, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

7        L’article 168 de la directive 2006/112 dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

[...]»

8        L’article 178 de cette directive énonce:

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;

[...]»

9        L’article 203 de ladite directive prévoit:

«La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      Au mois de mai 2010, MBR a fait l’objet d’un contrôle fiscal au cours duquel les autorités fiscales bulgares ont procédé à une contre-vérification auprès de l’un de ses fournisseurs, 2 Trade OOD (ci-après «2 Trade»), dont elles ont conclu que, dans la mesure où il ne pouvait pas être établi de manière incontestable que les livraisons et les prestations correspondant à des factures, émises aux mois de décembre 2008 ainsi que de mars et de juillet 2009 par 2 Trade, avaient été effectuées, les opérations facturées présentaient un caractère fictif et que l’existence de ces factures ne pouvait pas, à elle seule, justifier la déduction, sous la forme d’un crédit d’impôt, de la TVA mentionnée sur celles-ci.

11      Par conséquent, à la suite de ce contrôle, lesdites autorités ont, par un avis d’imposition rectificatif du 3 janvier 2011, refusé à MBR le droit de déduire, sous la forme d’un crédit d’impôt, la TVA mentionnée sur lesdites factures.

12      MBR a formé un recours administratif contre l’avis d’imposition rectificatif du 3 janvier 2011 devant le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, qui, par une décision du 10 mars 2011, a confirmé cet avis.

13      MBR a ensuite introduit un recours à l’encontre dudit avis devant la juridiction de renvoi.

14      Au cours de la procédure juridictionnelle, il a été constaté que 2 Trade avait fait l’objet d’un contrôle fiscal comprenant les périodes en cause au principal, à savoir les mois de décembre 2008 ainsi que de mars et de juillet 2009, et que, à la suite de ce contrôle, les autorités fiscales bulgares n’avaient pas relevé de motifs justifiant une rectification de l’assiette fiscale pour les opérations déclarées par 2 Trade, dont celles concernées par le litige au principal.

15      C’est dans ces conditions que l’Administrativen sad Veliko Tarnovo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Dans un cas comme celui de l’affaire au principal et eu égard aux principes de neutralité de la TVA et de [protection de la] confiance légitime, les dispositions de l’article 203 [de la directive 2006/112], lu en combinaison avec l’article 168, sous a), de [cette directive,] doivent-elles être interprétées en ce sens que la déduction de la TVA peut être refusée, alors que le risque d’une perte pour le fisc est écarté, lorsque ledit risque n’est écarté qu’au regard de la perception, par le Trésor public, de l’impôt mentionné dans une facture du fournisseur, sans que le fait que le risque d’une perte pour le fisc soit écarté n’influence les agissements ou les intentions du fournisseur ayant donné lieu à un contenu frauduleux de la facture, dans laquelle l’impôt est déclaré comme étant dû par ledit fournisseur?»

 Sur la question préjudicielle

16      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

17      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

18      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 168, sous a), et 203 de la directive 2006/112 ainsi que les principes de neutralité fiscale et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens que le destinataire d’une facture peut se voir refuser le droit de déduire la TVA mentionnée sur cette facture lorsque les opérations sur lesquelles porte cette dernière n’ont pas été réalisées effectivement, et ce même si le risque de perte de recettes fiscales est écarté au motif que l’émetteur de ladite facture a acquitté la TVA indiquée sur celle-ci.

19      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 63 et 167 de la directive 2006/112 que le droit à déduction prend naissance dès que la livraison de biens ou la prestation de services concernée est effectuée (voir arrêts du 8 juin 2000, Breitsohl, C‑400/98, Rec. p. I‑4321, point 36; du 29 avril 2004, Terra Baubedarf-Handel, C‑152/02, Rec. p. I‑5583, point 31, et du 26 mai 2005, António Jorge, C‑536/03, Rec. p. I‑4463, point 24) et que, par conséquent, dans le système de cette directive, ce droit est, en principe, lié à la réalisation effective de la livraison de biens ou de la prestation de services en cause (voir arrêts António Jorge, précité, point 25, et du 31 janvier 2013, LVK – 56, C‑643/11, non encore publié au Recueil, point 34).

20      Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’exercice du droit à déduction ne s’étend pas à une taxe qui est due exclusivement parce qu’elle est mentionnée sur une facture (voir arrêts du 13 décembre 1989, Genius, C‑342/87, Rec. p. 4227, points 13 et 19; du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel, C‑454/98, Rec. p. I‑6973, point 53; du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken, C‑35/05, Rec. p. I‑2425, point 23, ainsi que LVK – 56, précité, point 34).

21      Il s’ensuit que, pour pouvoir conclure à l’existence du droit à déduction invoqué par MBR sur le fondement des opérations sur lesquelles portent les factures en cause au principal, il est nécessaire que ces opérations aient été effectivement réalisées, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

22      À cet égard, il convient de rappeler que, d’une part, il incombe à celui qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions pour en bénéficier (voir arrêt du 26 septembre 1996, Enkler, C‑230/94, Rec. p. I‑4517, point 24) et que, d’autre part, il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles nationales relatives à l’administration de la preuve, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait dudit litige afin de déterminer si MBR peut exercer un droit à déduction sur le fondement des opérations sur lesquelles portent les factures en cause au principal (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2012, Mecsek-Gabona, C‑273/11, non encore publié au Recueil, point 53, et du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, non encore publié au Recueil, point 32).

23      Quant à la question de savoir si la circonstance que l’émetteur des factures en cause au principal a acquitté la TVA mentionnée sur celles-ci est susceptible d’avoir une incidence sur l’interprétation figurant aux points 19 et 20 de la présente ordonnance, la Cour a également jugé que, eu égard au libellé de l’article 203 de la directive 2006/112, selon lequel la TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture, ces personnes sont redevables de la TVA mentionnée sur une facture indépendamment de toute obligation de l’acquitter en raison d’une opération soumise à la TVA (voir arrêts du 18 juin 2009, Stadeco, C‑566/07, Rec. p. I‑5295, point 26, et LVK – 56, précité, point 33).

24      Cette disposition vise ainsi à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de ladite directive (voir arrêts précités Stadeco, point 28, et LVK – 56, point 36).

25      En effet, même si l’exercice de ce droit est limité aux seules taxes correspondant à une opération soumise à la TVA, le risque de perte de recettes fiscales n’est pas, en principe, complètement éliminé tant que le destinataire d’une facture mentionnant indûment une TVA est encore susceptible de l’utiliser aux fins d’un tel exercice, conformément à l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 (voir arrêts précités Stadeco, point 29, et LVK – 56, point 35).

26      Par conséquent, s’agissant du traitement d’une TVA qui, en raison de l’absence de réalisation effective d’une opération imposable, est indûment mentionnée sur une facture, il découle des dispositions de la directive 2006/112 que l’émetteur et le destinataire de cette facture ne se trouvent pas dans une situation comparable et ne sont donc pas nécessairement traités de manière identique, puisque, d’une part, l’émetteur d’une facture est, en vertu de l’article 203 de cette directive, redevable de la TVA mentionnée sur cette facture, même en l’absence d’une opération imposable, et que, d’autre part, l’exercice du droit à déduction du destinataire d’une facture est, conformément aux articles 63 et 167 de ladite directive, limité aux seules taxes correspondant à une opération soumise à la TVA (voir arrêt LVK – 56, précité, points 46, 47 et 56).

27      Dans une telle situation, le respect du principe de neutralité fiscale est assuré par la possibilité, à prévoir par les États membres dans leurs ordres juridiques internes, de corriger toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi ou lorsque celui-ci a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales (voir arrêts Genius, précité, point 18; Schmeink & Cofreth et Strobel, précité, points 56 à 61 et 63; du 6 novembre 2003, Karageorgou e.a., C‑78/02 à C‑80/02, Rec. p. I‑13295, point 50, ainsi que LVK – 56, précité, points 37 et 48).

28      En outre, la Cour a déjà jugé que les articles 167 et 168, sous a), de la directive 2006/112 ainsi que le principe de neutralité fiscale ne s’opposent pas à ce que le bénéfice du droit à déduction soit refusé au destinataire d’une facture, en raison de l’absence d’une opération imposable, alors même que, dans l’avis d’imposition rectificatif adressé à l’émetteur de cette facture, la TVA déclarée par ce dernier n’a pas été rectifiée (voir arrêt LVK – 56, précité, point 50).

29      Enfin, le principe de protection de la confiance légitime ne saurait conduire à une appréciation différente. En effet, ce principe, qui fait partie de l’ordre juridique de l’Union et constitue le corollaire du principe de sécurité juridique, ne peut être invoqué à l’encontre d’une réglementation de l’Union que dans la mesure où l’Union européenne elle-même a créé au préalable une situation susceptible d’engendrer une confiance légitime (voir arrêts du 15 février 1996, Duff e.a., C‑63/93, Rec. p. I‑569, point 20; du 6 mars 2003, Niemann, C‑14/01, Rec. p. I‑2279, point 56, et du 14 juin 2012, ANAFE, C‑606/10, non encore publié au Recueil, point 78).

30      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a itérativement jugé que le principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout justiciable dans le chef duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées et que nul ne peut invoquer la violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (voir arrêts du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. I‑5479, point 147; du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C‑67/09 P, Rec. p. I‑9811, point 71; du 22 septembre 2011, Bell & Ross/OHMI, C‑426/10 P, Rec. p. I‑8849, point 56, ainsi que du 14 mars 2013, Agrargenossenschaft Neuzelle, C‑545/11, non encore publié au Recueil, points 24 et 25). Ledit principe doit également être respecté par les États membres dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives de l’Union (voir arrêt du 14 septembre 2006, Elmeka, C‑181/04 à C‑183/04, Rec. p. I‑8167, point 31).

31      Or, dans la mesure où le refus du droit à déduction en cause au principal résulte d’une application des dispositions de la directive 2006/112 et où il ne ressort pas du dossier transmis à la Cour que MBR ait reçu des assurances précises de nature à faire naître, dans son chef, des espérances quant à la possibilité de déduire la TVA mentionnée sur les factures concernées, le principe de protection de la confiance légitime ne saurait s’opposer à ce refus.

32      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 168, sous a), et 203 de la directive 2006/112 ainsi que les principes de neutralité fiscale et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que le destinataire d’une facture se voie refuser le droit de déduire la TVA mentionnée sur cette facture lorsque les opérations sur lesquelles porte cette dernière n’ont pas été réalisées effectivement, et ce même si le risque de perte de recettes fiscales est écarté au motif que l’émetteur de ladite facture a acquitté la TVA indiquée sur celle-ci. Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles nationales relatives à l’administration de la preuve, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du litige dont elle est saisie afin de déterminer si tel est le cas des opérations sur lesquelles portent les factures en cause au principal.

 Sur les dépens

33      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Les articles 168, sous a), et 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les principes de neutralité fiscale et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que le destinataire d’une facture se voie refuser le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur cette facture lorsque les opérations sur lesquelles porte cette dernière n’ont pas été réalisées effectivement, et ce même si le risque de perte de recettes fiscales est écarté au motif que l’émetteur de ladite facture a acquitté la taxe sur la valeur ajoutée indiquée sur celle-ci. Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles nationales relatives à l’administration de la preuve, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du litige dont elle est saisie afin de déterminer si tel est le cas des opérations sur lesquelles portent les factures en cause au principal.

Signatures


* Langue de procédure: le bulgare.