ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
5 septembre 2012 ( *1 )
«Directive 2004/38/CE — Droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres — Article 3, paragraphe 2 — Obligation de favoriser, conformément à la législation nationale, l’entrée et le séjour de ‘tout autre membre de la famille’ à la charge d’un citoyen de l’Union»
Dans l’affaire C‑83/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber) (Royaume-Uni), par décision du 3 février 2011, parvenue à la Cour le 22 février 2011, dans la procédure
Secretary of State for the Home Department
contre
Muhammad Sazzadur Rahman,
Fazly Rabby Islam,
Mohibullah Rahman,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mme A. Prechal, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, E. Juhász, G. Arestis, M. Ilešič (rapporteur), Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 février 2012,
considérant les observations présentées:
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pour le Centre for Advice on Individual Rights in Europe (AIRE Centre), par M. A. Weiss ainsi que par Mmes N. Mole et S. Chaudary, conseillers, |
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pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Seeboruth, en qualité d’agent, assisté de M. R. Palmer, barrister, |
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pour le gouvernement belge, par M. T. Materne, en qualité d’agent, |
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pour le gouvernement danois, par M. C. Vang et Mme V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents, |
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pour le gouvernement allemand, par Mme A. Wiedmann, en qualité d’agent, |
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pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. L. D’Ascia, avvocato dello Stato, |
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pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. Bulterman, en qualité d’agents, |
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pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar, en qualité d’agent, |
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pour la Commission européenne, par Mme C. Tufvesson et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 mars 2012,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphe 2, et 10, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et — rectificatifs — JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Secretary of State for the Home Department (ci-après le «Secretary of State») à MM. Muhammad Sazzadur Rahman, Fazly Rabby Islam et Mohibullah Rahman, ressortissants bangladais, au sujet de la demande de ces derniers de bénéficier d’un titre de séjour au Royaume-Uni en tant que membres de la famille d’un ressortissant d’un État de l’Espace économique européen (ci-après l’«EEE»). |
Le cadre juridique
La directive 2004/38
3 |
Le considérant 6 de la directive 2004/38 énonce: «En vue de maintenir l’unité de la famille au sens large du terme et sans préjudice de l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, la situation des personnes qui ne sont pas englobées dans la définition des membres de la famille au titre de la présente directive et qui ne bénéficient donc pas d’un droit automatique d’entrée et de séjour dans l’État membre d’accueil devrait être examinée par ce dernier sur la base de sa législation nationale, afin de décider si le droit d’entrée ou de séjour ne pourrait pas être accordé à ces personnes, compte tenu de leur lien avec le citoyen de l’Union et d’autres circonstances telles que leur dépendance pécuniaire ou physique envers ce citoyen.» |
4 |
Aux termes de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, il convient, aux fins de cette directive, d’entendre par «membre de la famille»:
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5 |
L’article 3 de la directive 2004/38, intitulé «Bénéficiaires», prévoit: «1. La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent. 2. Sans préjudice d’un droit personnel à la libre circulation et au séjour de l’intéressé, l’État membre d’accueil favorise, conformément à sa législation nationale, l’entrée et le séjour des personnes suivantes:
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6 |
L’article 10 de la directive 2004/38, intitulé «Délivrance de la carte de séjour», dispose: «1. Le droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre est constaté par la délivrance d’un document dénommé ‘Carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union’ au plus tard dans les six mois suivant le dépôt de la demande. Une attestation du dépôt de la demande de carte de séjour est délivrée immédiatement. 2. Pour la délivrance de la carte de séjour, les États membres demandent la présentation des documents suivants: […]
[…]» |
La réglementation nationale
7 |
La directive 2004/38 a été transposée au Royaume-Uni par le règlement de 2006 sur l’immigration (Espace économique européen) [Immigration (European Economic Area) Regulations 2006], tel que modifié par le règlement de 2009 sur l’immigration (Espace économique européen) [Immigration (European Economic Area) (Amendment) Regulations 2009] (ci-après «le règlement sur l’immigration»). |
8 |
L’article 7 du règlement sur l’immigration, intitulé «Membre de la famille», dispose:
[…]» |
9 |
L’article 8 du règlement sur l’immigration, intitulé «Membre de la famille élargie», se lit comme suit:
[…]
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10 |
L’article 17 du règlement sur l’immigration, intitulé «Délivrance de la carte de séjour», dispose: «[…]
[…]» |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 |
Le 31 mai 2006, M. Mahbur Rahman, ressortissant bangladais, a épousé une ressortissante irlandaise travaillant au Royaume-Uni. |
12 |
À la suite de ce mariage, M. Muhammad Sazzadur Rahman, son frère, M. Fazly Rabby Islam, son demi-frère, et M. Mohibullah Rahman, son neveu, ont déposé une demande de titre familial EEE afin de bénéficier du droit de séjour au Royaume-Uni en qualité de personnes à charge des époux Rahman. Ces demandes ont été rejetées par l’Entry Clearance Officer au Bangladesh, le 27 juillet 2006, les défendeurs au principal n’ayant pu démontrer qu’ils étaient à la charge des époux Rahman au Bangladesh. |
13 |
Les défendeurs au principal ont alors introduit un recours contre cette décision de refus devant l’Immigration Judge of the Asylum and Immigration Tribunal. Cette juridiction a accueilli leur recours le 19 juin 2007. Elle a jugé qu’ils pouvaient bénéficier des dispositions de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38 et que, dès lors, leur entrée au Royaume-Uni devait être facilitée. En conséquence, des titres familiaux EEE ont été délivrés aux défendeurs au principal et ils ont pu rejoindre les époux Rahman au Royaume-Uni. |
14 |
Le 9 janvier 2008, les défendeurs au principal ont sollicité la délivrance de cartes de séjour en vue de confirmer leur droit de séjour au Royaume-Uni. Ces demandes ont été rejetées par une décision du 24 décembre 2008 du Secretary of State, car ce dernier a considéré qu’ils n’avaient prouvé ni qu’ils avaient résidé avec Mme Rahman, citoyen de l’Union concerné, dans le même État membre de l’EEE avant qu’elle n’arrive au Royaume-Uni, ni qu’ils continuaient à être à la charge de celle-ci ou faisaient partie de son ménage au Royaume-Uni. |
15 |
Saisi d’un recours contre cette décision, l’Immigration Judge of the Asylum and Immigration Tribunal a jugé, le 6 avril 2009, que les défendeurs au principal étaient effectivement «à charge» et a, par conséquent, considéré que leur dossier devait faire l’objet d’un examen en application de l’article 17, paragraphes 4 et 5, du règlement sur l’immigration. |
16 |
Le Secretary of State a demandé un réexamen de cette décision devant l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber). Ce réexamen a été ordonné par décision du 30 avril 2009 et l’affaire a été portée devant ladite juridiction en tant que juge d’appel. |
17 |
C’est dans ces conditions que l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
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Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
18 |
S’agissant des première et deuxième questions, qu’il convient de traiter ensemble, il y a lieu de relever d’emblée que la directive 2004/38 n’oblige pas les États membres à accueillir toute demande d’entrée ou de séjour introduite par des personnes qui démontrent qu’elles sont des membres de la famille «à charge» d’un citoyen de l’Union au sens de l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de cette directive. |
19 |
En effet, ainsi que les gouvernements ayant soumis des observations à la Cour, de même que la Commission européenne, l’ont fait valoir, il découle tant du libellé de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38 que du système général de celle-ci que le législateur de l’Union a établi une distinction entre les membres de la famille du citoyen de l’Union définis à l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, qui bénéficient, dans les conditions énoncées dans cette directive, d’un droit d’entrée et de séjour dans l’État membre d’accueil dudit citoyen, et les autres membres de la famille visés à l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la même directive, dont l’entrée et le séjour doivent uniquement être favorisés par cet État membre. |
20 |
Cette interprétation est corroborée par le considérant 6 de la directive 2004/38, selon lequel, «[e]n vue de maintenir l’unité de la famille au sens large du terme […], la situation des personnes qui ne sont pas englobées dans la définition des membres de la famille au titre de la présente directive et qui ne bénéficient donc pas d’un droit automatique d’entrée et de séjour dans l’État membre d’accueil devrait être examinée par ce dernier sur la base de sa législation nationale, afin de décider si le droit d’entrée ou de séjour ne pourrait pas être accordé à ces personnes, compte tenu de leur lien avec le citoyen de l’Union et d’autres circonstances telles que leur dépendance pécuniaire ou physique envers ce citoyen». |
21 |
S’il s’avère, ainsi, que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38 n’oblige pas les États membres à reconnaître un droit d’entrée et de séjour en faveur de personnes qui sont des membres de la famille, au sens large du terme, à la charge d’un citoyen de l’Union, il n’en demeure pas moins, ainsi qu’il ressort de l’emploi de l’indicatif présent «favorise» audit article 3, paragraphe 2, que cette disposition fait peser sur les États membres une obligation d’octroyer un certain avantage, par rapport aux demandes d’entrée et de séjour d’autres ressortissants d’États tiers, aux demandes introduites par des personnes qui présentent un lien de dépendance particulière vis-à-vis d’un citoyen de l’Union. |
22 |
Afin de remplir cette obligation, les États membres doivent, conformément à l’article 3, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2004/38, prévoir la possibilité pour les personnes visées au paragraphe 2, premier alinéa, du même article d’obtenir une décision sur leur demande qui soit fondée sur un examen approfondi de leur situation personnelle et qui, en cas de refus, soit motivée. |
23 |
Dans le cadre dudit examen de la situation personnelle du demandeur, ainsi qu’il ressort du considérant 6 de la directive 2004/38, il incombe à l’autorité compétente de tenir compte des différents facteurs qui peuvent être pertinents selon le cas, tels que le degré de dépendance économique ou physique et le degré de parenté entre le membre de la famille et le citoyen de l’Union qu’il souhaite accompagner ou rejoindre. |
24 |
Au regard tant de l’absence de règles plus précises dans la directive 2004/38 que de l’emploi des termes «conformément à sa législation nationale» à l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci, force est de constater que chaque État membre dispose d’une large marge d’appréciation quant au choix des facteurs à prendre en compte. Cela étant, l’État membre d’accueil doit veiller à ce que sa législation comporte des critères qui soient conformes au sens habituel du terme «favorise» ainsi que des termes relatifs à la dépendance employés audit article 3, paragraphe 2, et qui ne privent pas cette disposition de son effet utile. |
25 |
Il importe de relever, enfin, que, même si, comme l’ont à juste titre observé les gouvernements ayant soumis des observations, les termes employés à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ne sont pas suffisamment précis pour permettre à un demandeur d’entrée ou de séjour de se prévaloir directement de cette disposition pour invoquer des critères d’appréciation qui devraient selon lui être appliqués à sa demande, il n’en demeure pas moins qu’un tel demandeur a le droit de faire vérifier par une juridiction si la législation nationale et l’application de celle-ci sont restées dans les limites de la marge d’appréciation tracée par ladite directive (voir, par analogie, arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a., C-72/95, Rec. p. I-5403, point 56; du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C-127/02, Rec. p. I-7405, point 66, ainsi que du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a., C-165/09 à C-167/09, Rec. p. I-4599, points 100 à 103). |
26 |
Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions posées que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens
– que les États membres ont une large marge d’appréciation dans le choix desdits critères, ces derniers devant cependant être conformes au sens habituel du terme «favorise» ainsi que des termes relatifs à la dépendance employés audit article 3, paragraphe 2, et ne pas priver cette disposition de son effet utile; et – que tout demandeur a le droit de faire vérifier par une juridiction si la législation nationale et l’application de celle-ci remplissent ces conditions. |
Sur les troisième et quatrième questions
27 |
Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient également d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si, pour relever de la catégorie des membres de la famille «à charge» d’un citoyen de l’Union visée à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38, il est nécessaire d’avoir séjourné dans le même État que ce citoyen et d’avoir été à la charge de ce dernier peu de temps avant ou au moment où il s’est installé dans l’État membre d’accueil. |
28 |
Ainsi que l’ont notamment fait valoir le Centre for Advice on Individual Rights in Europe (AIRE Centre), le gouvernement néerlandais et la Commission, le libellé de la directive 2004/38 ne permet pas de conclure que des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui ne sont pas couverts par la définition figurant à l’article 2, point 2, de cette directive et qui ont dûment démontré leur situation de dépendance à l’égard de ce citoyen, puissent être exclus du champ d’application de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive au seul motif qu’ils n’ont pas séjourné dans le même État que ledit citoyen. |
29 |
Aux termes dudit article 3, paragraphe 2, les États membres favorisent, conformément à leur législation nationale, l’entrée et le séjour de «tout autre membre de la famille, […] si, dans le pays de provenance, il est à charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union bénéficiaire du droit de séjour à titre principal». |
30 |
De même, l’article 10, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/38, relatif à la délivrance de la carte de séjour, autorise les États membres à demander aux membres de la famille visés à l’article 3, paragraphe 2, de la même directive la présentation d’un «document délivré par l’autorité compétente du pays d’origine ou de provenance attestant qu’ils sont à charge du citoyen de l’Union». |
31 |
Ainsi que l’a exposé M. l’avocat général aux points 91, 92 et 98 de ses conclusions, rien n’indique que l’expression «pays de provenance» utilisée dans ces dispositions doit être comprise comme se référant au pays dans lequel le citoyen de l’Union séjournait avant de s’installer dans l’État membre d’accueil. Il ressort, au contraire, d’une lecture combinée desdites dispositions que le «pays de provenance» visé est, dans le cas d’un ressortissant d’un État tiers qui déclare être «à charge» d’un citoyen de l’Union, l’État dans lequel il séjournait à la date où il a demandé à accompagner ou à rejoindre le citoyen de l’Union. |
32 |
En ce qui concerne le moment auquel le demandeur doit se trouver dans une situation de dépendance pour être considéré «à charge» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38, il y a lieu de relever que l’objectif de cette disposition consiste, ainsi qu’il découle du considérant 6 de cette directive, à «maintenir l’unité de la famille au sens large du terme» en favorisant l’entrée et le séjour des personnes qui ne sont pas incluses dans la définition de membre de la famille d’un citoyen de l’Union contenue à l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, mais qui entretiennent néanmoins avec un citoyen de l’Union des liens familiaux étroits et stables en raison de circonstances factuelles spécifiques, telles qu’une dépendance économique, une appartenance au ménage ou des raisons de santé graves. |
33 |
Or, force est de constater que de tels liens peuvent exister sans que le membre de la famille du citoyen de l’Union ait séjourné dans le même État que ce citoyen ou ait été à la charge de ce dernier peu de temps avant ou au moment où celui-ci s’est installé dans l’État d’accueil. La situation de dépendance doit en revanche exister, dans le pays de provenance du membre de la famille concerné, au moment où il demande à rejoindre le citoyen de l’Union dont il est à la charge. |
34 |
Dans l’affaire au principal, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, sur la base des éléments d’interprétation fournis ci-dessus, si les défendeurs au principal étaient à charge du citoyen de l’Union, en l’occurrence Mme Rahman, dans leur pays de provenance, le Bangladesh, au moment où ils ont demandé à la rejoindre au Royaume-Uni. C’est uniquement s’ils peuvent apporter la preuve de cette dépendance dans le pays de provenance, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2004/38, que l’État membre d’accueil devra favoriser leur entrée et leur séjour conformément à l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive, tel qu’interprété aux points 22 à 25 du présent arrêt. |
35 |
Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions posées que, pour relever de la catégorie des membres de la famille «à charge» d’un citoyen de l’Union visée à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38, la situation de dépendance doit exister dans le pays de provenance du membre de la famille concerné, et cela à tout le moins au moment où il demande à rejoindre le citoyen de l’Union dont il est à la charge. |
Sur la cinquième question
36 |
Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un État membre peut imposer des exigences particulières concernant la nature ou la durée de la dépendance au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38, afin de s’assurer qu’une telle dépendance est réelle et stable et n’a pas été provoquée dans le seul but d’obtenir l’entrée et le séjour sur le territoire de celui-ci. |
37 |
À cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été exposé en réponse aux première et deuxième questions, que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation quant au choix des facteurs à prendre en compte lors de l’examen des demandes d’entrée et de séjour introduites par des membres de la famille d’un citoyen de l’Union visés à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38. |
38 |
Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 105 de ses conclusions, les États membres peuvent, dans l’exercice de cette marge d’appréciation, prévoir dans leurs législations des exigences particulières concernant la nature et la durée de la dépendance, et cela afin notamment de s’assurer que cette situation de dépendance est réelle et stable et n’a pas été provoquée dans le seul but d’obtenir l’entrée et le séjour dans l’État membre d’accueil. |
39 |
Il importe, toutefois, ainsi qu’il a été jugé au point 24 du présent arrêt, que ces exigences soient conformes au sens habituel des termes relatifs à la dépendance visée à l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la directive 2004/38 et qu’elles ne privent pas cette disposition de son effet utile. |
40 |
Dès lors, il convient de répondre à la cinquième question posée que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que les États membres peuvent, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, imposer des exigences particulières tenant à la nature et à la durée de la dépendance, pourvu que ces exigences soient conformes au sens habituel des termes relatifs à la dépendance visée à l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la directive 2004/38 et qu’elles ne privent pas cette disposition de son effet utile. |
Sur la sixième question
41 |
Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la délivrance de la carte de séjour visée à l’article 10 de la directive 2004/38 peut être subordonnée à l’exigence que la situation de dépendance au sens de l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de cette directive ait perduré dans l’État membre d’accueil. |
42 |
À cet égard, il convient de relever que, s’agissant de la délivrance de la carte de séjour visée par la directive 2004/38, le législateur de l’Union s’est pour l’essentiel limité à énumérer, à l’article 10 de cette directive, les documents qu’il convient de présenter afin d’obtenir une telle carte, laquelle doit alors être fournie dans les six mois suivant le dépôt de la demande. |
43 |
Pour ce qui concerne les demandeurs visés à l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la directive 2004/38, ledit article 10 énonce que ces demandeurs doivent notamment présenter «un document délivré par l’autorité compétente du pays d’origine ou de provenance attestant [la dépendance] du citoyen de l’Union». |
44 |
Force est de constater que le législateur n’a pas réglé, ni par cette disposition ni par d’autres dispositions de la directive 2004/38, la question de savoir si des membres de la famille d’un citoyen de l’Union, non couverts par la définition figurant à l’article 2, point 2, de ladite directive, qui demandent la délivrance d’une carte de séjour en présentant un document délivré dans leur pays de provenance et attestant de leur dépendance à l’égard de ce citoyen de l’Union, peuvent se voir refuser cette carte de séjour au motif qu’ils ont, après leur entrée dans l’État membre d’accueil, cessé d’être dépendants dudit citoyen. |
45 |
Il y a donc lieu de répondre à la sixième question que la question de savoir si la délivrance de la carte de séjour visée à l’article 10 de la directive 2004/38 peut être subordonnée à l’exigence que la situation de dépendance au sens de l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de cette directive ait perduré dans l’État membre d’accueil ne relève pas du champ d’application de ladite directive. |
Sur les dépens
46 |
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.