CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 26 juin 2012 ( 1 )

Affaire C‑199/11

Europese Gemeenschap, optredend via de Europese Commissie

contre

Otis NV,

General Technic-Otis Sàrl (GTO),

Kone Belgium NV,

Kone Luxembourg Sàrl,

Schindler NV,

Schindler Sàrl,

ThyssenKrupp Liften Ascenseurs NV,

ThyssenKrupp Ascenseurs Luxembourg Sàrl

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank van koophandel te Brussel (Belgique)]

«Représentation de l’Union européenne devant les juridictions nationales — Compétences attribuées à la Commission — Article 282 CE — Comportement anticoncurrentiel formellement constaté par la Commission — Action en responsabilité extracontractuelle pour dommages exercée par la Commission au nom de l’Union — Pouvoirs de sanction de la Commission en matière de concurrence — Article 47 de la charte — Indépendance du judiciaire — Étendue du contrôle juridictionnel des juridictions de l’Union et des juridictions nationales — Égalité des armes»

1. 

Saisi d’une action en réparation formée par la Commission européenne, au nom de l’Union, contre plusieurs fabricants d’ascenseurs, le rechtbank van koophandel te Brussel (Belgique) a soumis à la Cour une demande de décision préjudicielle portant sur deux questions relatives, d’une part, à la représentation en justice de l’Union devant les juridictions nationales et, d’autre part, à l’indépendance du judiciaire et à l’égalité des armes entre les parties à une procédure civile dans laquelle l’Union est demanderesse à une action en responsabilité extracontractuelle.

2. 

Sur la question de la représentation en justice, la juridiction de renvoi souhaite savoir si c’est à la Commission qu’il appartient de représenter l’Union, bien que les dommages subis découlent de contrats signés par différentes institutions et organes de l’Union. La Cour doit donc se prononcer sur la portée dans le temps et sur la teneur des articles 282 du traité instituant la Communauté européenne et 335 TFUE, au regard de procédures intentées devant les juridictions nationales avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

3. 

Plus singulière et comparativement plus complexe apparaît la question de l’indépendance du judiciaire et de l’égalité des armes, et donc de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour est appelée à résoudre la question de savoir si l’Union a, d’une certaine manière, vocation à former une demande en réparation devant les juridictions nationales lorsque le préjudice subi a pour origine un comportement anticoncurrentiel constaté par l’une des institutions de l’Union. Les parties défenderesses au principal font valoir que la Commission, en tant qu’auteur d’une décision contraignante constatant une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE), agit comme un requérant privilégié qui dénature le pouvoir juridictionnel du juge national, ainsi que le rapport de forces équilibré qui doit régner entre les parties à la procédure.

I – Cadre juridique

4.

L’article 282 du traité CE disposait:

«Dans chacun des États membres, la Communauté possède la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales; elle peut notamment acquérir ou aliéner des biens immobiliers et mobiliers et ester en justice. À cet effet, elle est représentée par la Commission.»

5.

Au 1er décembre 2009, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 282 CE a été remplacé par l’actuel article 335 TFUE, selon lequel:

«Dans chacun des États membres, l’Union possède la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales; elle peut notamment acquérir ou aliéner des biens immobiliers et mobiliers et ester en justice. À cet effet, elle est représentée par la Commission. Toutefois, l’Union est représentée par chacune des institutions, au titre de leur autonomie administrative, pour les questions liées à leur fonctionnement respectif.»

6.

L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte»), intitulé: «Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial», dispose:

«Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.»

7.

Le règlement (CE) no 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ( 2 ), prévoit, à son article 16, intitulé: «Application uniforme du droit communautaire de la concurrence», ce qui suit:

«1.   Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 81 [CE] ou 82 [CE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article 234 du traité.

2.   Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 81 [CE] ou 82 [CE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission.»

II – Les faits et la procédure

8.

Après avoir reçu plusieurs plaintes, la Commission a ouvert en 2004 une enquête pour établir l’existence de pratiques anticoncurrentielles émanant des quatre principaux fabricants européens d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques, Kone, Otis, Schindler et ThyssenKrupp. L’enquête a débouché sur la décision du 21 février 2007, en vertu de laquelle les quatre entreprises citées ont été sanctionnées pour quatre lourdes infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101 TFUE) ( 3 ).

9.

Les sociétés affectées ont formé devant le Tribunal un recours en annulation, qui a donné lieu aux arrêts de rejet du 13 juillet 2011 ( 4 ). Le Tribunal a rejeté tous les moyens d’annulation invoqués par les requérantes, à l’exception de celui avancé par ThyssenKrupp sur le montant de l’amende, qui a été partiellement accueilli et a entraîné une réduction de la sanction ( 5 ).

10.

Le 20 juin 2008, la Commission, représentant à l’époque la Communauté européenne, a saisi les juridictions belges d’une demande par laquelle elle réclamait aux sociétés concernées, à titre de réparation, le montant de 7061688 euros. La Commission faisait valoir que la Communauté européenne avait subi un préjudice financier en Belgique et au Luxembourg en raison des pratiques anticoncurrentielles illégalement convenues entre les sociétés défenderesses. La Communauté européenne avait en effet conclu plusieurs marchés d’installation, d’entretien et de rénovation d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques dans différents bâtiments des institutions européennes ayant leur siège dans ces deux pays, dont le prix aurait été supérieur à celui du marché en raison de l’entente déclarée illégale par la Commission.

11.

Les sociétés mises en cause ont répondu à la demande en contestant la capacité de la Commission à agir en tant que représentante de la Communauté européenne. Les défenderesses ont également invoqué le défaut d’impartialité de la juridiction belge et l’infraction au principe de l’égalité des armes, en raison de la position particulière que la Commission occupe dans le cadre d’une procédure d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE).

12.

Au vu des arguments opposés par les défenderesses, le rechtbank van koophandel te Brussel a décidé de soumettre une question préjudicielle à la Cour.

III – La question préjudicielle et la procédure devant la Cour

13.

Le 28 avril 2011 a été enregistrée au greffe de la Cour la demande de décision préjudicielle du rechtbank van koophandel te Brussel, qui pose les questions suivantes:

«1)

a)

Aux termes de l’article 282 CE, devenu article 335 TFUE, l’Union est représentée par la Commission; l’article 335 TFUE, d’une part, et les articles 103 et 104 du règlement financier, d’autre part, disposent que, pour ce qui concerne les questions administratives liées à leur fonctionnement, les institutions concernées représentent l’Union, ce qui peut impliquer que les institutions elles-mêmes soient habilitées, exclusivement ou non, à ester en justice; il ne fait pas de doute que, pour des entrepreneurs notamment, le fait d’obtenir des prix exagérés à la suite de la formation d’un cartel relève de la notion de fraude; en droit belge prévaut le principe ‘lex specialis generalibus derogat’; dans la mesure où ce principe vaut également en droit européen, ne convient-il pas de considérer que l’initiative d’engager une procédure (sauf lorsque la Commission est elle-même le pouvoir adjudicateur) appartient aux institutions concernées?

b)

Question subsidiaire: la Commission ne doit-elle pas, pour le moins, disposer d’un mandat de représentation de la part des institutions pour défendre leurs intérêts en justice?

2)

a)

L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantissent le droit de toute personne à un procès équitable ainsi que le principe corollaire selon lequel nul ne peut être juge dans sa propre cause; est-il conforme à ce principe que la Commission agisse dans un premier temps comme autorité de la concurrence et sanctionne le comportement incriminé, à savoir la formation de cartel, en ce qu’il constitue une infraction à l’article 81 CE, devenu article 101 TFUE, après avoir mené elle-même l’enquête, et dans un deuxième temps prépare la procédure d’indemnisation devant une juridiction nationale et décide de l’engager, alors que le même membre de la Commission est responsable des deux questions, qui sont liées et cela d’autant plus que la juridiction nationale saisie ne peut pas s’écarter de la décision de sanction?

b)

Question subsidiaire: s’il est répondu par [la négative] à la seconde question, sous a) (en ce sens qu’il y a incompatibilité), comment la victime (la Commission, les institutions, ou l’Union) d’un acte illicite (la formation du cartel) doit-elle faire valoir en droit de l’Union son droit à indemnisation, qui est un droit fondamental [...]?»

14.

Des observations écrites ont été soumises par les parties défenderesses au principal (Schindler NV, Otis NV, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs NV et Kone Belgium NV), ainsi que par la Commission.

15.

Toutes les parties à la procédure au principal, ainsi que le Conseil, ont comparu à l’audience, qui a eu lieu le 14 mars 2012.

IV – La première question

16.

La première question qui nous est posée porte sur l’interprétation de l’article 282 CE, aujourd’hui abrogé, et ses rapports avec la disposition équivalente à l’heure actuelle: l’article 335 TFUE.

17.

La question formulée par le rechtbank comporte en réalité deux volets: l’un relatif à l’application dans le temps de l’article 282 CE, concrètement aux procédures nationales engagées avant le 1er décembre 2009, date de l’entrée en vigueur du nouvel article 335 TFUE; et l’autre relatif à l’interprétation de l’article 282 CE. J’aborderai successivement ces deux questions.

A – Sur l’application dans le temps de l’article 282 CE

18.

Le premier point sur lequel je dois me prononcer porte sur l’application ratione temporis de l’article 282 CE, puisque la Commission a introduit la demande devant le rechtbank le 20 juin 2008, un an et demi donc avant l’entrée en vigueur de l’article 335 TFUE.

19.

L’article 335 TFUE, on le sait, en consacrant dans le droit primaire une pratique préexistante de représentation de l’Union par les différentes institutions dûment habilitées à cet effet, avec des nuances non pertinentes en l’espèce, a en définitive inversé la règle contenue à l’article 282 CE. Si, dans le traité CE, la représentation de la Communauté incombait à la Commission, cette représentation est désormais attribuée à chaque institution de l’Union. Il s’agit donc de deux normes du droit de l’Union qui, a priori, organisent de manière différente la représentation de l’Union devant les tribunaux des États membres ( 6 ). Il est, par conséquent, nécessaire de déterminer si, dans la présente procédure, engagée avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c’est l’article 282 CE ou l’article 335 TFUE qui s’applique.

20.

Il convient de relever, dès le départ, que ni l’article 282 CE ni l’article 335 TFUE ne constituent des règles de procédure, mais bien des règles de fond de l’organisation interne de l’Union. L’Union détermine, par ces dispositions, quelle institution assume sa représentation à l’extérieur, y compris sa représentation dans les procédures courant devant les juridictions nationales. Le traité de Lisbonne ne contient, par ailleurs, aucune disposition établissant les effets dans le temps de l’article 335 TFUE. En l’absence d’une telle disposition, l’article en question ne sortit d’effets que pour l’avenir. Par conséquent, tout éventuel effet rétroactif doit demeurer exclu, sans que les rapports juridiques préalablement constitués, y compris les rapports de droit processuel, puissent être affectés.

21.

Par conséquent, la disposition du droit de l’Union en vigueur à la date où la procédure devant le rechtbank a été engagée, qui permet de déterminer l’autorité qui assume la représentation à l’Union à l’extérieur, était l’article 282 CE. Une fois le rapport de droit processuel correctement constitué, l’entrée en vigueur du nouvel article 335 TFUE, dont les effets ne s’exercent qu’à l’égard des rapports juridiques constitués après le 1er décembre 2009, n’a en rien modifié le statut processuel de la demanderesse au principal.

22.

La question de savoir si, au vu des circonstances particulières de l’espèce et à la lumière de l’article 282 CE, c’est à la Commission qu’il appartient d’agir au nom de la Communauté est une autre question.

B – Sur la portée de l’article 282 CE

23.

Comme on l’a exposé, la juridiction de renvoi se demande si la Commission est habilitée à représenter l’Union européenne dans la procédure pendante devant elle. L’article 282 CE, qui, on l’a dit, est la disposition applicable au présent litige, prévoit que la Commission exerce, à titre exclusif, la représentation de l’Union devant les juridictions des États membres.

24.

Les parties défenderesses au principal exposent en détail que cette disposition n’est qu’une règle générale, à laquelle dérogent en l’espèce les articles 274 CE et 279 CE, qui contiennent des dispositions particulières relatives à la protection des intérêts financiers de la Communauté, elles-mêmes mises en œuvre par le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 ( 7 ). Les défenderesses font valoir que les articles 59 et 60 dudit règlement attribuent à chaque institution de la Communauté l’exécution de ses propres postes budgétaires. Ces dispositions établissent que, en cas de constatation d’erreurs, d’irrégularités ou de fraude imputables à un entrepreneur, chaque institution pourra recouvrer les montants déjà payés.

25.

En définitive, toujours selon les défenderesses, à la règle générale de l’article 282 CE, qui attribue la représentation en justice de la Communauté à la Commission, dérogerait une lex specialis prévue dans la réglementation financière, en vertu de laquelle chaque institution serait chargée d’assurer elle-même la défense en justice de ses intérêts financiers.

26.

À mon sens, l’application de l’adage «lex specialis derogat legi generali» aux rapports entre les dispositions citées n’est absolument pas concluante. La règle en question s’applique lorsque deux dispositions poursuivent des objectifs identiques, et que leur contenu est antinomique ( 8 ). Or, comme je le montrerai ci-après, les dispositions invoquées par les parties défenderesses poursuivent des objectifs différents et, de plus, leur contenu n’est pas du tout inconciliable.

27.

En effet, les articles 274 CE et 279 CE, ainsi que les dispositions du règlement no 1605/2002, établissent les pouvoirs d’exécution budgétaire de chaque institution, parmi lesquels figurent ceux relatifs à l’adoption de «toutes les mesures qu’elles considèrent nécessaires, y compris l’annulation de la procédure». Au contraire, l’article 282 CE se réfère uniquement à la capacité juridique de la Communauté, et au pouvoir de représentation de celle-ci que détient la Commission. Il n’existe pas de contradiction entre les deux dispositions, et elles ne poursuivent pas non plus des objectifs identiques: l’une prévoit que chaque institution est compétente pour décider des mesures de garantie des ressources financières qui lui reviennent, l’autre définit les fonctions de représentation de la Communauté confiées à la Commission, y compris devant les juridictions nationales. Il s’agit de deux aspects distincts et autonomes qui admettent une interprétation harmonisée, étant donné que la décision sur les mesures d’exécution budgétaire qu’adopte une institution de la Communauté n’est absolument pas la même chose que l’attribution de la représentation de la Communauté au cas où elle décide de recourir aux juridictions nationales.

28.

Cette interprétation du traité a été implicitement confirmée par la Cour dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale ( 9 ), qui a confirmé la licéité de la délégation des pouvoirs de représentation de la Commission en faveur d’autres institutions de la Communauté. Selon la Cour, reconnaissant une large pratique juridictionnelle, «il était […] de l’intérêt d’une bonne administration que les Communautés fussent concrètement représentées, […] pour les actions en justice intentées devant les juridictions nationales, par l’institution concernée par l’acte ou l’action en cause» ( 10 ). Cette meilleure efficacité passait par la délégation des pouvoirs de la Commission en faveur de l’institution concernée ( 11 ).

29.

Le raisonnement de l’arrêt confirme l’existence d’un pouvoir de représentation exclusif de la Commission, susceptible cependant de délégation en faveur d’autres institutions. Mais il n’a en aucun cas reconnu une application préférentielle du règlement no 1605/2002 qui priverait la Commission des pouvoirs que lui attribue l’article 282 CE. En tout état de cause, dans les hypothèses dans lesquelles une institution autre que la Commission avait assuré la représentation de l’Union devant les juridictions d’un État membre, cette fonction était assumée du fait de la délégation donnée par la Commission, et non comme conséquence du caractère de lex specialis des articles 274 CE et 279 CE et du règlement no 1605/2002, comme le soutiennent les défenderesses au principal.

30.

Enfin, si la thèse de la lex specialis était correcte, la réforme de l’article 282 CE opérée par l’actuel article 335 TFUE aurait été superflue. Comme on le sait, la nouvelle disposition attribue à chaque institution de l’Union le pouvoir de représenter celle-ci, privant ainsi la Commission de sa traditionnelle exclusivité en la matière. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exposer dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale, précitée, l’actuel article 335 TFUE est la consécration formelle d’une pratique consolidée assise sur des délégations de pouvoirs ( 12 ). Pratique qui était, comme la Cour l’a confirmé dans l’affaire précitée, parfaitement licite, quoique susceptible d’être améliorée du point de vue de son efficacité.

31.

C’est donc à bon droit que la Commission estime, et le Conseil de l’Union européenne l’entend également ainsi, agir en conformité avec l’article 282 CE. Ce n’est pas la Commission, mais la Communauté européenne qui était partie au litige pendant devant le rechtbank. La Commission, en tant que représentante de la Communauté en vertu de l’article 282 CE, avait la légitimité requise pour renoncer à déléguer les fonctions de représentation à d’autres institutions, et assurer ainsi la défense de la Communauté dans son ensemble. Il n’y a rien à objecter, dans l’optique de l’article 282 CE, à cette décision.

C – Récapitulation

32.

En résumé, je considère que l’article 282 CE est applicable aux procédures nationales encore en cours au 1er décembre 2009, sans qu’il soit nécessaire d’exiger a posteriori de l’Union qu’elle remplisse les conditions de représentation requises par l’article 335 TFUE.

33.

J’estime donc que l’article 282 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la Commission forme, en tant que représentante de la Communauté, une demande en réparation du préjudice subi par celle-ci et attribuable à plusieurs institutions et organes de la Communauté.

V – La seconde question

34.

Dans sa seconde question préjudicielle, le rechtbank expose à la Cour ses doutes sur le point de savoir si l’article 47 de la charte admet que la Commission, représentant l’Union, intente une action en responsabilité du fait du préjudice causé par une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE), alors que c’est la Commission elle-même qui a précédemment pris la décision constatant cette infraction, laquelle lie la juridiction compétente. Du fait du caractère contraignant de la décision de la Commission, la juridiction de renvoi doute qu’elle ait la faculté de résoudre le litige de manière indépendante. La juridiction de renvoi nous interroge en outre sur la conformité de cette situation avec le principe de l’égalité des armes dans la procédure civile.

35.

Les parties défenderesses au principal estiment que le fait que la juridiction nationale soit liée par la décision de la Commission porte atteinte au principe de l’indépendance du judiciaire, sous-tendant l’article 47 de la charte, et expressément établi à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les défenderesses estiment également qu’il a été porté atteinte au principe de l’égalité des armes, lui aussi garanti par les deux dispositions citées. Les défenderesses font valoir que la Commission, dans sa fonction et en sa qualité d’autorité de la concurrence, dispose d’informations privilégiées sur les entreprises affectées, qui ne sont pas accessibles à toutes les défenderesses. Outre ces arguments, les défenderesses invoquent d’autres arguments étrangers aux questions posées par la juridiction de renvoi, de sorte qu’il n’y a pas lieu de les aborder dans ces conclusions ( 13 ).

36.

Pour sa part, la Commission maintient, avec le soutien du Conseil, qu’elle a agi en toute légalité, et observe qu’il n’existe aucune incompatibilité entre sa position comme requérante dans la procédure au principal, son action en amont en tant qu’autorité de la concurrence, et les exigences des articles 47 de la charte et 6 de la convention européenne des droits de l’homme. Elle fait valoir que les services juridiques chargés de la défense de l’Union dans la procédure au principal ont agi sans contact avec les membres du service juridique responsables des dossiers en matière de concurrence. La Commission soutient également qu’elle n’a utilisé aucune information confidentielle, ni dans la requête ni dans aucun autre document produit dans l’affaire au civil. D’autre part, elle considère que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne fait pas obstacle au fait que sa décision, bien que prise par l’une des parties, lie la juridiction nationale, dès lors que la décision en question est soumise à un contrôle de pleine juridiction, ce qui se produit en l’espèce, et s’est effectivement produit.

37.

Pour répondre aux interrogations soulevées par le rechtbank, j’aborderai, en premier lieu, la question relative à l’indépendance de la juridiction compétente, interrogation qui, comme je le ferai valoir ci-après, porte davantage sur l’étendue de la compétence que sur l’impartialité du juge. Je me pencherai ensuite plus précisément sur le principe de l’égalité des armes dans la procédure civile nationale.

A – La limitation de l’étendue de la compétence de la juridiction de renvoi à connaître de l’action en responsabilité extracontractuelle pour dommages

38.

La juridiction de renvoi nous fait part d’un doute qui peut se résumer de la manière suivante: en adoptant une décision constatant un accord contraire à l’article 81 CE (devenu article 101 TFUE), la Commission lie tous les pouvoirs publics, y compris nationaux. Si, par la suite, la Commission intente devant une juridiction nationale une action en responsabilité pour les dommages subis par l’Union du fait du comportement anticoncurrentiel, il y aura légitimement lieu de douter de la conformité de la procédure en question avec le droit de toute personne à être jugée par un tribunal impartial. Dans la mesure où la juridiction nationale compétente, en l’espèce le rechtbank van koophandel te Brussel, doit déclarer l’existence d’un dommage sur la base d’une illégalité dont la constatation lui est pratiquement imposée par l’une des parties, la diminution qui en résultera de la marge d’appréciation du juge paraît constituer une restriction injustifiée de son indépendance.

39.

Cet argument, tel qu’il vient d’être exposé, et au delà de son apparence, est à mon sens dépourvu de fondement.

40.

Il convient de souligner, pour commencer, que ce n’est pas la Commission qui intente l’action en responsabilité devant la juridiction belge, mais la Communauté et, à l’heure actuelle, l’Union. Nous ne sommes pas devant un cas dans lequel la Commission prend un acte et, par la suite, attrait elle-même un particulier pour réclamer la réparation du préjudice subi. Bien au contraire, la Commission intervient dans la procédure nationale, non pas en tant que partie, mais comme représentante de l’Union, éventuellement comme victime, pour une fraction donnée, d’un préjudice individualisable et éventuellement attribuable à plusieurs de ses institutions et organes.

41.

Cette constatation affaiblit déjà l’argument des défenderesses au principal, puisque la dualité de fonctions qu’elles dénoncent n’est que la conséquence d’une répartition normale de pouvoirs au sein d’une organisation politico-administrative complexe, dont les fonctions comprennent la conception et l’exécution de politiques publiques, mais aussi la défense de ses droits et intérêts légitimes devant n’importe quelle juridiction. Tel est le cas de l’Union, dont la répartition interne des pouvoirs confie d’importantes responsabilités à la Commission. En effet, le fait que ce soit la Commission qui exerce les pouvoirs qui lui sont attribués en matière de concurrence et qui, en même temps, assure la représentation de l’Union en justice n’est pas le reflet d’une construction faussée et arbitraire de la séparation des pouvoirs, comme le soutiennent les sociétés défenderesses. Au contraire, toutes les organisations politiques, les États membres compris, disposent de voies de droit pour faire valoir leurs droits et intérêts en justice ( 14 ). En outre, le droit des administrations publiques d’accéder aux juridictions ordinaires constitue une avancée significative dans la consolidation de l’État de droit, en vertu duquel les pouvoirs publics perdent graduellement leurs pouvoirs d’autocontrôle et confient la défense de leurs droits aux juridictions de droit commun. C’est le cas, dans la présente affaire, de l’Union qui, ne disposant pas de mécanismes autonomes de recouvrement forcé du préjudice subi, doit recourir à la voie judiciaire, en l’occurrence nationale, pour obtenir réparation des dommages qui lui ont été illégalement causés. La représentation de l’Union en justice est confiée en pareil cas, en vertu de l’article 282 CE, et indépendamment de la matière concernée, à la Commission.

42.

Dans la ligne de ce qui précède, il convient de souligner que l’Union (et non la Commission) n’engage pas la procédure au principal en tant qu’institution titulaire d’un pouvoir public, chargée de garantir la concurrence dans le marché intérieur, mais en qualité de cliente, comme consommateur, d’entreprises présumées responsables d’avoir illégalement causé un dommage. Si l’Union, certes, exécute sa politique de concurrence moyennant des décisions arrêtées en vertu du traité, il s’agit ici de l’exercice d’une action civile qui ne fait pas partie de cette politique, mais est une voie d’indemnisation patrimoniale destinée à restaurer une situation juridique sur le plan privé. Dans la procédure pendante devant le rechtbank, et comme tant la Commission que le Conseil l’ont fait valoir à l’audience, l’Union agit comme un particulier, victime d’un dommage patrimonial. Par conséquent, et à l’encontre de l’argumentation des parties défenderesses, il existe non pas une superposition de fonctions, mais deux actions clairement différenciées, non seulement dans le temps, mais surtout dans les moyens et les objectifs ( 15 ).

43.

Cette première observation faite, il convient ensuite d’analyser si une décision adoptée par une institution de l’Union, en l’occurrence la Commission, dont le contenu lie tous les pouvoirs publics nationaux, y compris le pouvoir judiciaire, prive sans justification ce dernier de son indépendance lorsqu’il est appelé à statuer sur une demande d’indemnisation fondée sur cette décision. Cependant, je considère que cette analyse de la situation, centrée sur l’indépendance de l’organe juridictionnel et avancée tant par la juridiction de renvoi que par les parties à la procédure au principal, n’est pas celle qui convient. Aucune des parties à la présente procédure ne doute de l’impartialité de la juridiction de renvoi, et l’on ne peut pas dire non plus qu’il s’agisse d’une immixtion abusive et illégitime dans le déroulement de la procédure au principal. Les doutes portent, plus exactement, dans les circonstances de l’espèce, sur la portée du pouvoir juridictionnel de la juridiction de renvoi, qui serait restreint du fait d’une décision de la Commission qui la lie et prédétermine l’une des conditions préalables de l’affaire: l’existence d’un délit constaté par l’organe compétent à cet effet. C’est aussi ainsi que l’entend la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle traite d’affaires dans lesquelles une juridiction voit sa marge d’appréciation réduite. En pareil cas, la Cour européenne des droits de l’homme considère que ce n’est pas tant l’indépendance de l’organe qui est en cause que son statut même de «tribunal» ( 16 ).

44.

Dans ces circonstances, j’estime que l’objection soulevée par le rechtbank ne porte pas sur son «indépendance» en tant que juge, mais sur sa capacité à résoudre souverainement une affaire civile qui lui est soumise.

45.

Pour lever ce doute, je propose d’examiner en premier lieu la nature de la décision de la Commission en question et ses effets juridiques devant les juridictions nationales. Ensuite, je rappellerai comment ladite décision est susceptible d’un recours de pleine juridiction devant les tribunaux de l’Union, les juridictions nationales étant celles qui sont, le cas échéant, appelées, dans la procédure civile en réparation, à déterminer le préjudice et le lien de causalité. En définitive, j’estime que le rechtbank ne voit pas son pouvoir juridictionnel limité, mais l’exerce dans le cadre d’une répartition normale des fonctions entre les juridictions nationales et celle de l’Union.

46.

Dans son arrêt Masterfoods et HB ( 17 ), la Cour a eu l’occasion de définir la portée des décisions prises par la Commission au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE (article 101, paragraphe 1, TFUE). Le contenu de ladite décision a par la suite été repris à l’article 16 du règlement no 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence. En résumé, l’arrêt cité et le règlement établissent l’obligation pour toutes les autorités nationales, y compris les juridictions nationales, de s’abstenir de rendre des décisions incompatibles avec une décision adoptée par la Commission au titre de l’article 81 CE (actuel article 101 TFUE) ( 18 ). En d’autres termes, les décisions de la Commission fondées sur ces dispositions lient les juridictions nationales ( 19 ).

47.

Il est certain que l’arrêt Masterfoods et HB a laissé sans solution d’importantes questions qui aideraient sensiblement à délimiter la portée du caractère contraignant des décisions de la Commission en matière de concurrence. Ainsi, il reste à déterminer si ces effets s’étendent au dispositif de la décision ou à tout son contenu, y compris les appréciations de fait. À l’audience, la Commission a estimé, en réponse à des questions de la Cour, que ses décisions ne lient pas les pouvoirs publics dans tous leurs éléments, mais s’est abstenue de préciser lesquels. En tout état de cause, et pour ce qui importe dans la présente affaire, il paraît ne pas faire de doute que la constatation du comportement illicite contenue dans la décision s’impose dans tous les cas aux juridictions nationales. Cette constatation constitue la base de toute action en responsabilité extracontractuelle en droit national, dont l’existence d’un dommage illégal est l’une des conditions requises.

48.

De ce fait, la juridiction de renvoi pourrait avoir des raisons de se méfier, a priori, d’un recours formé par un pouvoir public qui aurait lui-même prédéterminé, avec les effets qui en découlent, le délit qui est à la base de son recours. Cependant, et comme la Commission le relève à juste titre dans ses observations écrites, cette circonstance cesse d’être problématique dès le moment où il existe une voie de recours effective devant les juridictions de l’Union contre la décision constatant le délit. En effet, la compétence juridictionnelle d’une juridiction nationale pourrait être limitée sans justification si elle perdait la capacité de constater ou de contester la constatation de l’existence d’un délit dans le cadre d’un jugement en indemnisation. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce, pour les motifs que je vais maintenant exposer.

49.

En premier lieu, la juridiction nationale n’est pas habilitée à écarter ou à apprécier la validité de la décision de la Commission, et cela non seulement parce que l’arrêt Masterfoods et HB en a jugé ainsi, mais aussi parce qu’une jurisprudence consolidée, depuis l’affaire Foto-Frost ( 20 ), interdit aux pouvoirs publics nationaux d’apprécier la validité des actes de l’Union. Le monopole de l’appréciation de la validité dont jouissent les juridictions de l’Union, et elles seules, serait menacé si une juridiction nationale pouvait mettre en cause, au cours d’un litige en réparation, la constatation d’un délit précédemment établi par une décision de la Commission. Dans ce cas, le droit de l’Union habilite la juridiction nationale à poser une question préjudicielle de validité à la Cour, sauvegardant ainsi l’indépendance de la juridiction nationale et, dans le même temps, l’unité et la cohérence du système de sources du droit de l’Union ( 21 ).

50.

En outre, les parties concernées par la décision qui, en l’espèce, interviennent comme défenderesses dans le litige au principal ont toujours disposé de la faculté de former un recours en annulation devant le Tribunal et, en dernière instance, devant la Cour. Le recours en annulation, on le sait, constitue un moyen de contrôle juridictionnel qui permet une vérification intégrale de l’acte attaqué. Les motifs énoncés à l’article 230, deuxième alinéa, CE (devenu article 263, deuxième alinéa, TFUE) sont suffisamment larges pour permettre un contrôle juridique de tous les éléments constitutifs de l’acte ( 22 ). Le fait que la jurisprudence de la Cour et du Tribunal reconnaisse à la Commission une marge d’appréciation technique ne signifie pas que le contrôle juridictionnel soit un contrôle a minima, comme les sociétés défenderesses l’ont soutenu dans leurs observations écrites. La reconnaissance de cette marge de décision trouve son équivalent dans la justice administrative des différents systèmes juridiques représentés dans l’Union, dont le contrôle sur l’administration porte sur les questions de droit, et qui soumet les aspects techniques à un examen basé sur l’erreur manifeste ( 23 ). L’étendue et l’intensité de ce type de contrôle juridictionnel dans les États membres sont, en outre, compatibles avec les exigences de la convention européenne des droits de l’homme ( 24 ). Le contrôle effectué par les juridictions de l’Union sur les décisions de la Commission adoptées au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE) constitue, d’une manière générale, un contrôle juridictionnel complet qui, dans le cas où la décision serait dépourvue de fondement, garantit au justiciable une protection effective de ses droits.

51.

Ces précisions ayant été apportées, on observe donc que les juridictions nationales disposent de plusieurs options lorsqu’elles sont confrontées à une décision de la Commission dans le contexte d’une procédure civile en réparation.

52.

Avant tout, et comme on l’a relevé au point 47 des présentes conclusions, la juridiction nationale, si elle a des doutes sur la légalité de la décision, a la faculté de poser une question préjudicielle de validité concernant la décision de la Commission. D’autre part, si la décision a un destinataire individualisé, il est impératif que celui-ci ait formé devant le Tribunal un recours contestant sa validité ( 25 ). Dans cette hypothèse, qui s’est réalisée dans le cas d’espèce, la juridiction nationale aurait la possibilité de suspendre la procédure en attendant que le juge de l’Union ait rendu un arrêt définitif. C’est ce que suggère l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, en déclarant qu’il appartient à la juridiction nationale d’«évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure» quand elle peut «prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission». Dès lors, si le rechtbank avait des doutes sur la validité de la décision et, en outre, observait que celle-ci fait l’objet d’un recours devant les juridictions de l’Union, la suspension de la procédure nationale éviterait tout risque de contradiction entre les arrêts rendus par les juridictions de l’Union et la jurisprudence belge.

53.

Cette conclusion est une exigence non seulement de la sécurité juridique, mais aussi du principe de coopération loyale. Dans l’arrêt Masterfoods et HB, précité, la Cour déclarait que, «[l]orsque la solution du litige pendant devant la juridiction nationale dépend de la validité de la décision de la Commission, il résulte de l’obligation de coopération loyale que la juridiction nationale devrait, afin d’éviter de prendre une décision allant à l’encontre de celle de la Commission, surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision définitive sur le recours en annulation soit rendue par les juridictions communautaires, sauf si elle considère que, dans les circonstances de l’espèce, il est justifié de déférer une question préjudicielle à la Cour sur la validité de la décision de la Commission» ( 26 ). Selon la Cour, cette obligation de surseoir à statuer découlerait du fait que «l’application des règles de concurrence communautaires repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, respectivement, la Commission et les juridictions communautaires, dans le cadre de laquelle chacun agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité» ( 27 ).

54.

En résumé, bien que le rechtbank soit lié par la constatation du délit établie dans la décision de la Commission, cela n’implique nullement que le contrôle juridictionnel soit restreint et que les parties n’aient pas accès à un «tribunal». Au contraire, il appartient au rechtbank de constater et de quantifier le dommage subi en l’espèce par l’Union, après avoir établi le lien de causalité, fonction qui suppose une analyse détaillée et complexe de nature juridictionnelle. Et s’il avait des doutes sur la validité de la décision de la Commission, bien qu’il ne puisse en contester le contenu en raison du monopole de contrôle que détiennent les juridictions de l’Union, il pourrait toujours, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, surseoir à statuer en attendant que le Tribunal ou la Cour confirment la validité de cette décision. Par conséquent, on peut en conclure que le rechtbank n’a pas fait l’objet d’une restriction de ses pouvoirs juridictionnels, et que les parties défenderesses n’ont pas davantage été privées de leur droit d’accès à un juge de pleine juridiction. Au contraire, du fait de l’existence de deux systèmes de droit qui interagissent et se soumettent respectivement à leurs propres chaînes de validité, la procédure reflète la répartition fonctionnelle existant entre deux juridictions, l’une, celle de l’Union, et l’autre, la juridiction nationale, chargées chacune de se prononcer dans le cadre de l’exercice de leurs compétences respectives.

55.

En définitive, considérant les arguments exposés, j’estime que l’article 47 de la charte, du point de vue du droit à un juge, doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction nationale se prononce sur une demande en réparation du préjudice subi par l’Union, lorsque le délit à l’origine du dommage a été constaté par une décision de la Commission adoptée au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE).

B – L’égalité des armes entre les parties à la procédure civile

56.

La juridiction de renvoi nous demande enfin si le fait que la Commission dispose d’informations recueillies durant le déroulement de la procédure d’infraction, informations que, par ailleurs, toutes les parties défenderesses ne détiennent pas, puisqu’il peut s’agir d’informations soumises au secret professionnel, porte atteinte au principe de l’égalité des armes tel qu’il découle de l’article 47 de la charte et de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme.

57.

Le principe de l’égalité des armes, en tant que partie intégrante du droit fondamental à un recours effectif devant un tribunal garanti par l’article 47 de la charte, fait partie de longue date du droit de l’Union. Le principe est invocable non seulement devant les juridictions de l’Union ( 28 ), mais aussi dans les procédures de sanction intentées par la Commission ( 29 ), de même que dans les procédures nationales d’exécution du droit de l’Union ( 30 ). C’est sur ce dernier aspect que nous devons nous focaliser maintenant, et sur lequel la Cour s’inspire largement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

58.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’égalité des armes a pour but d’assurer l’équilibre entre les parties à la procédure, en garantissant ainsi que tout document fourni à la juridiction puisse être évalué et contesté par toute partie à la procédure. Inversement, le préjudice que le déséquilibre doit provoquer doit en principe être prouvé par celui qui l’a subi ( 31 ). La théorie dite «des apparences», appliquée au principe de l’égalité des armes depuis l’arrêt Kress c. France ( 32 ), a amené la Cour européenne des droits de l’homme à déclarer qu’un déséquilibre objectif et abstrait peut aussi être suffisant pour constater une infraction au principe de l’égalité des armes ( 33 ). Cette jurisprudence s’est appliquée principalement aux procédures nationales dans l’ordre pénal, mais aussi, quoique moins fréquemment, à celles des ordres civil, social et administratif ( 34 ).

59.

La Cour a fait sienne cette jurisprudence et a appliqué à maintes reprises les garanties élaborées par la Cour européenne des droits de l’homme exposées ci-dessus ( 35 ). Bien que la jurisprudence de la Cour ne semble pas avoir accueilli la «théorie des apparences» avec un enthousiasme démesuré, et qu’elle exige dans la majorité des cas la preuve d’un préjudice effectif résultant du déséquilibre entre les parties, le niveau de protection est, en substance, équivalent à celui de la Cour européenne des droits de l’homme ( 36 ).

60.

Si l’on applique la jurisprudence citée au cas d’espèce, la question qui nous est maintenant posée porte sur des aspects bien déterminés. Elle porte, d’une part, sur l’accès de la Commission, en tant que représentante de l’Union devant les tribunaux belges, aux informations figurant dans le dossier à la base de la décision constatant une infraction à 1’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE). Les défenderesses au principal font valoir que la Commission a pu orienter la rédaction de sa décision dans le but de créer des conditions favorables au succès d’une demande ultérieure au civil en réparation. D’autre part, les défenderesses contestent la position privilégiée que la Commission tire du fait qu’elle est l’auteur de la décision qui détermine l’existence du délit dans la procédure nationale. Enfin, les défenderesses soulignent que les informations qui figurent dans le dossier, y compris celles couvertes par le secret professionnel, ne sont pas mises à la disposition de toutes les parties défenderesses, ce qui place la Commission dans une situation avantageuse du point de vue informatif, portant atteinte à l’équilibre qui doit régner entre les parties à la procédure.

61.

Pour répondre à la première des objections tirées du principe de l’égalité des armes, il convient de relever, pour commencer, que les informations détenues par la Commission auxquelles se réfèrent les parties défenderesses n’ont pas été fournies à la juridiction nationale. C’est ce qui ressort de l’ordonnance de renvoi et des observations écrites et orales qui ont été soumises à la Cour. Les informations litigieuses font donc partie d’un dossier à la disposition de la Commission, dont le contenu n’a pas été transmis au juge national à l’insu des parties défenderesses.

62.

Cette circonstance conditionne fortement l’analyse du cas d’espèce au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, puisqu’il y a lieu de rappeler que, en vertu de cette jurisprudence, la constatation du déséquilibre doit se refléter d’une manière ou d’une autre dans l’intervention du juge. En d’autres termes, l’inégalité se révèle par le fait que le juge dispose d’éléments effectifs ou objectifs qui favorisent une partie au détriment de l’autre, sans que celle-ci dispose de moyens effectifs de s’en défendre.

63.

Dans les circonstances de l’espèce, il n’a pas été démontré qu’il existe des informations extérieures à la décision publique, dont la Commission disposerait sur la base de procédures antérieures, qui auraient été versées à la procédure au principal. J’analyserai plus loin l’utilisation spécifique des informations confidentielles dans la procédure au principal, mais il suffit d’ajouter pour l’heure que, si ce point se confirmait, le succès de la stratégie de défense de la Commission dépendrait de la validité des arguments invoqués dans sa requête, ainsi que de la pertinence des faits qu’elle cite au long de la procédure civile y afférente. S’il apparaît que les informations qui préoccupent les parties défenderesses figurent dans la requête ou qu’elles ont été fournies dans les documents de preuve joints, elles disposent toujours de la possibilité de les confronter et de les contester (sous réserve des objections que cette attitude de la Commission appellerait du point de vue du devoir de confidentialité, sur lequel je me prononcerai plus loin). Si, au contraire, ces informations ne sont pas présentes dans la procédure civile, il sera difficile au juge de faire pencher la balance en faveur de l’une des parties au détriment de l’autre. J’estime donc que la Commission ne se trouve pas a priori dans une position avantageuse qui porte atteinte au principe de l’égalité des armes du simple fait qu’elle a recueilli des informations déterminées dans le cadre d’une opération de contrôle antérieure.

64.

Avec leur deuxième objection tirée du principe de l’égalité des armes, les parties défenderesses estiment que la faculté de la Commission de prendre des décisions contraignantes qui prédéterminent l’existence du délit dans la procédure au principal entraîne un déséquilibre dans la procédure contraire à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. En particulier, les parties au principal ont souligné l’importance de l’arrêt Yvon c. France ( 37 ), dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a jugé incompatible avec l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme l’intervention du commissaire du gouvernement français dans une procédure d’appel contre la fixation de l’indemnité d’expropriation. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a spécialement pris en considération le fait que la position adoptée par le commissaire du gouvernement conditionnait l’obligation de motivation du juge. Même si le montant auquel concluait le commissaire du gouvernement ne liait pas le juge, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné que le droit français obligeait le juge, tant en première instance qu’en appel, à indiquer «spécialement» les motifs de sa décision dans le cas où il écartait la proposition du commissaire du gouvernement ( 38 ).

65.

Outre cette circonstance, la Cour européenne des droits de l’homme a pris en considération le fait que le justiciable, en l’occurrence l’exproprié, était confronté à la fois à l’administration expropriatrice et au commissaire du gouvernement. Au sujet de ce dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a relevé qu’il dispose d’informations précieuses dont ne dispose pas l’exproprié ( 39 ).

66.

C’est la somme de ces trois circonstances (conditionnement de l’organe judiciaire, double défense de l’administration et accès aux informations), et non chaque circonstance prise individuellement, qui constituait, selon la Cour européenne des droits de l’homme, une violation de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme.

67.

Il suffit de rappeler les circonstances à la base de l’affaire Yvon c. France pour parvenir à la conclusion que cet arrêt n’amène pas à remettre en cause le rôle de la Commission dans la présente affaire. De plus, comme on l’a exposé, le fait que la liberté de jugement de la juridiction était conditionnée par l’intervention du commissaire du gouvernement n’a pas été le seul élément pris en considération par la Cour européenne des droits de l’homme pour constater l’infraction à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. C’est au contraire la somme des circonstances, et non pas chacune d’elles, qui aboutissait à une atteinte au droit. En outre, comme on l’a déjà exposé aux points 50 et 52 des présentes conclusions, le fait que la juridiction nationale soit liée par la décision de la Commission découle de la répartition normale des fonctions entre les juridictions de l’Union et celles des États membres, et les limitations que cela entraîne pour cette juridiction nationale se résolvent par une révision de la décision au moyen des voies de recours prévues dans les traités.

68.

En troisième et dernier lieu, sur le fait que les organes de la Commission compétents pour traiter le dossier d’infraction sont les mêmes que ceux chargés de former la demande en réparation du dommage, j’estime qu’il s’agit d’un argument aisément réfutable. Les sociétés défenderesses font valoir que la Commission a toujours un accès privilégié au dossier d’infraction, y compris aux données soumises au secret professionnel, en vue de former la demande en réparation, puisqu’il s’agit en définitive d’un organe collégial qui prend à la majorité des décisions auxquelles tous ses membres participent. Par conséquent, toujours selon les défenderesses, le responsable ultime de la prise de la décision constatant une infraction sera aussi le responsable de la décision de former la demande d’indemnisation au nom de l’Union. Il faudrait en déduire que l’action en responsabilité s’exercerait à partir d’une position incontestablement avantageuse par rapport à celle des parties défenderesses.

69.

Cet argument n’est pas non plus convaincant, puisqu’il impose à la Commission une probatio diabolica difficilement surmontable. La Commission a expliqué, dans ses observations écrites, que les services juridiques chargés de préparer la demande en dommages et intérêts ont travaillé à l’écart des services qui avaient à l’époque traité le dossier d’infraction. C’est ce qu’elle a confirmé à l’audience, s’agissant, selon les propos de son agent, d’une pratique habituelle qui concerne non seulement les cas dans lesquels la Commission participe à la procédure nationale, mais aussi, plus généralement, toute procédure dans laquelle les informations confidentielles pourraient être utilisées à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été fournies ( 40 ). Cette pratique s’est reflétée au niveau législatif à l’article 28 du règlement no 1/2003, qui stipule que les informations obtenues au cours d’une procédure d’infraction «ne peuvent être utilisées qu’aux fins auxquelles elles ont été recueillies» ( 41 ).

70.

Si la Commission était tenue de démontrer dans chaque affaire quelles mesures elle a adoptées pour garantir une utilisation appropriée des informations obtenues durant la phase de constitution d’un dossier, on exigerait la preuve d’une conduite qui, comme on l’a relevé, est prévue dans la réglementation en vigueur. Dans ces circonstances, la raison veut que la charge de la preuve incombe aux parties défenderesses dans le litige au principal, qui devraient produire des preuves effectives de ce que la Commission s’est illégalement servie d’informations confidentielles pour préparer sa défense dans une procédure civile telle qu’en l’espèce. Comme cela se produit dans les systèmes juridiques nationaux des États membres de l’Union, la charge de la preuve d’une infraction au droit incombe, en règle générale, à la partie qui l’allègue ( 42 ). En l’espèce, cette preuve incombe aux défenderesses au principal, qui n’ont fourni aucun indice de ce que la Commission aurait fait un usage illicite des informations versées aux dossiers d’infraction ouverts avant l’introduction de la demande devant le rechtbank.

71.

En définitive, et compte tenu des arguments qui précèdent, j’estime que l’article 47 de la charte, du point de vue du droit à l’égalité des armes, doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas opposition à ce que la Commission introduise une action en réparation du préjudice devant les juridictions nationales, bien qu’elle ait précédemment traité un dossier d’infraction dont la décision a servi de base à la demande.

VI – Conclusion

72.

Pour les motifs précédemment exposés, je propose donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles qui lui ont été soumises dans les termes suivants:

«1)

L’article 282 CE est applicable aux procédures nationales encore en cours au 1er décembre 2009, sans qu’il soit nécessaire d’exiger a posteriori de l’Union européenne qu’elle remplisse les conditions de représentation requises par l’article 335 TFUE.

L’article 282 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la Commission européenne forme, en tant que représentante de la Communauté européenne, une demande en réparation du préjudice subi par celle-ci et attribuable à plusieurs institutions et organes de la Communauté européenne.

2)

L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, du point de vue du droit à un juge, doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction nationale se prononce sur une demande en réparation du préjudice subi par l’Union européenne, lorsque le délit à l’origine du dommage a été constaté par une décision de la Commission adoptée au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE (actuellement article 101, paragraphe 1, TFUE).

L’article 47 de la charte, du point de vue du droit à l’égalité des armes, doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas opposition à ce que la Commission introduise, en tant que représentante de l’Union européenne, une action en réparation du préjudice devant les juridictions nationales, bien que ce soit elle qui ait précédemment traité un dossier d’infraction dont la décision a servi de base à la demande.»


( 1 ) Langue originale: l’espagnol.

( 2 ) Règlement du Conseil, du 16 décembre 2002 (JO 2003, L 1, p. 1).

( 3 ) Décision C(2007) 512 final de la Commission, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne (affaire COMP/E-1/38.823 – ascenseurs et escaliers mécaniques) (JO 2008, C 75, p. 19).

( 4 ) Arrêts Schindler e.a./Commission (T-138/07, Rec. p. II-4819), General Technic-Otis e.a./Commission (T-141/07, T-142/07, T-145/07 et T-146/07, Rec. p. II-4977), ThyssenKrupp Liften Ascenceurs e.a./Commission (T-144/07, T-147/07, T-148/07, T-149/07, T-150/07 et T-154/07, Rec. p. II-5129) et Kone e.a./Commission (T-151/07, Rec. p. II-5313).

( 5 ) Arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenceurs e.a./Commission, précité (note 4), points 303 à 323.

( 6 ) Je me suis prononcé sur les différences entre les deux dispositions au point 46 de mes conclusions du 13 janvier 2011 dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale (arrêt du 5 mai 2011, C-137/10, Rec. p. I-3515).

( 7 ) Règlement du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1).

( 8 ) Voir, notamment, arrêts du 15 décembre 2004, Siig (C-272/03, Rec. p. I-11941, point 16); du 14 avril 2005, Belgique/Commission (C-110/03, Rec. p. I-2801, point 3), et du 18 juillet 2007, Derin (C-325/05, Rec. p. I-6495, point 55).

( 9 ) Arrêt précité (note 6).

( 10 ) Ibidem, point 20.

( 11 ) Voir également, en ce sens, arrêt du 13 novembre 1973, Werhahn Hansamühle e.a./Conseil (63/72 à 69/72, Rec. p. 1229, point 7).

( 12 ) Conclusions précitées, point 46.

( 13 ) Les sociétés défenderesses ont invoqué une éventuelle infraction au droit fondamental à la vie privée, du point de vue de la protection tant de l’intimité des personnes morales que du secret professionnel.

( 14 ) Cette voie judiciaire de protection des pouvoirs publics est protégée, dans certains cas, par le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective des droits. Tel est le cas, entre autres, de la République d’Autriche (voir, par exemple, arrêt de sa Cour constitutionnelle 11.828/1988); de la République fédérale d’Allemagne [voir, entre autres, arrêts de sa Cour constitutionnelle 6, 45 (49); 21, 362 (373) et 61, 82 (104)] ou du Royaume d’Espagne (voir arrêt de sa Cour constitutionnelle 175/2001). Voir, à ce sujet, Velasco Caballero, F., Tutela Judicial Efectiva a las Administraciones Públicas. La Administración como titular de los derechos fundamentales del art. 24.1 de la Constitución, Bosch, Barcelone, 2003.

( 15 ) Sur les différents fondements et objectifs des politiques publiques de concurrence et les actions civiles en réparation, voir Wils, W. P. J., «The Relationship between Public Antitrust Enforcement and Private Actions for Damages», World Competition, 32, no 1, 2009, p. 5 à 11, et Komninos, A. P., EC Private Antitrust Enforcement. Decentralised Application of EC Competition Law by National Courts, Hart Publishing, Oxford-Portland, 2008, p. 7 à 12.

( 16 ) Voir, entre autres Cour eur. D. H., arrêts Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A no 288, § 45 à 55; Terra Woningen BV c. Pays-Bas du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, fasc. 25, § 51 à 55, et Sigma Radio Television Ltd c. Chypre du 21 juillet 2011, nos 32181/04 et 35122/05 (sect. 5) (Eng), § 147 à 169.

( 17 ) Arrêt du 14 décembre 2000 (C-344/98, Rec. p. I-11369).

( 18 ) Selon les termes de la Cour, repris ultérieurement à l’article 16, précité, du règlement no 1/2003, «lorsque les juridictions nationales se prononcent sur des accords ou pratiques qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent pas prendre des décisions allant à l’encontre de celle de la Commission, même si cette dernière est en contradiction avec la décision rendue par une juridiction nationale de première instance» (arrêt Masterfoods et HB, précité, point 52). La question avait été précédemment résolue de la même manière, y compris dans des cas dans lesquels la décision de la Commission n’avait pas encore été prise (arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935, point 47).

( 19 ) Cette solution a également été adoptée au niveau interne dans plusieurs États membres, au sujet des décisions en matière de concurrence. Par exemple, dans le cas de la République fédérale d’Allemagne, les décisions de toutes les autorités nationales des États membres ont le même effet contraignant que les décisions de la Commission en vertu de l’article 33, paragraphe 4, du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen du 26 juillet 1998. Le principe se reflète également dans la législation du Royaume-Uni, concrètement aux sections 47A(9), 47B(5), 58 et 58A du Competition Act de 1998.

( 20 ) Arrêt du 22 octobre 1987 (314/85, Rec. p. 4199, points 12 à 20).

( 21 ) Voir, notamment, arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415, point 17); du 21 mars 2000, Greenpeace France e.a. (C-6/99, Rec. p. I-1651, point 54); du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C-344/04, Rec. p. I-403, point 27); du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667, point 54), et du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C-366/10, Rec. p. I-13755, point 47).

( 22 ) À cet effet, le critère appliqué par la Cour est formulé, dans ses grandes lignes, de la manière suivante: «lorsqu’une autorité communautaire est appelée, dans le cadre de sa mission, à effectuer des évaluations complexes, elle jouit de ce fait d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice est soumis à un contrôle juridictionnel limité qui n’implique pas que le juge communautaire substitue son appréciation des éléments de fait à celle de ladite autorité. Ainsi, le juge communautaire se limite, en pareil cas, à examiner la matérialité des faits et les qualifications juridiques que cette autorité en déduit et, en particulier, si l’action de cette dernière n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir, ou si cette autorité n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation» (arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429; du 22 janvier 1976, Balkan-Import Export, 55/75, Rec. p. 19, point 8; du 14 juillet 1983, Øhrgaard et Delvaux/Commission, 9/82, Rec. p. 2379, point 14, et Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 34; du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, points 24 et 25, et du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C-157/96, Rec. p. I-2211, point 39).

( 23 ) Pour une synthèse, voir Fromont, M., Droit administratif des États européens, PUF, Paris, 2006, p. 200 et suiv.

( 24 ) Voir Cour eur. D. H., arrêts Bryan c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A no 335-A, § 44 à 47; Tsfayo c. Royaume-Uni du 14 novembre 2006, no 60860/00, § 46, et Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, no 73053/01, Recueil des arrêts et décisions 2006-XIV, § 57.

( 25 ) En effet, le particulier directement et individuellement affecté par la décision, qui renonce à la contester devant les juridictions de l’Union, est privé de la faculté de demander le renvoi préjudiciel en appréciation de validité, selon une jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêts du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C-188/92, Rec. p. I-833, point 23, et du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C-310/97 P, Rec. p. I-5363, points 60 et suiv.).

( 26 ) Arrêt précité, point 57.

( 27 ) Ibidem, point 56.

( 28 ) Voir, entre autres décisions, ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar (C-17/98, Rec. p. I-665, points 8, 9 et 18), et arrêt du 10 février 2000, Deutsche Post (C-270/97 et C-271/97, Rec. p. I-929, point 30).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission (T-23/99, Rec. p. II-1705, point 171).

( 30 ) Voir, entre autres, arrêts du 2 mai 2006, Eurofood IFSC (C-341/04, Rec. p. I-3813, point 66), et du 9 octobre 2008, Katz (C-404/07, Rec. p. I-7607, point 49).

( 31 ) Voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Neumeister c. Autriche du 27 juin 1968, série A no 8; Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A no 11; Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, 214-B, et Dombo Beheer BV c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A no 274.

( 32 ) Cour eur. D. H., arrêt du 7 juin 2001, no 39594/98, Recueil des arrêts et décisions 2001-VI. Sur la théorie des apparences et son application au principe de l’égalité des armes dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, voir Alonso García, R., «El enjuiciamiento por el Tribunal Europeo de Derechos Humanos del funcionamiento contencioso del Conseil d’État y del Tribunal de Justicia de las Comunidades Europeas (en concreto, del papel desempeñado, respectivamente, por el Comisario del Gobierno y por el Abogado General)», Revista Española de Derecho Europeo, 2002, no 1, p. 1, et Santamaría Dacal, A., «El Tribunal de Estrasburgo, el commissaire du gouvernement y la tiranía de las apariencias», Revista de Administración Pública, no 157, 2002.

( 33 ) Arrêt Kress c. France, précité (note 32), § 85.

( 34 ) Voir, entre autres, Cour eur. D. H., arrêts Feldbrugge c. Pays-Bas du 29 mai 1986, série A no 99; Bendenoun c. France du 24 février 1994, série A no 284; Hentrich c. France du 22 septembre 1994, 296-A, et Miailhe c. France du 26 septembre 1996 (no 2), Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, fasc. 16.

( 35 ) Voir, entre autres, arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, Rec. p. I-5305, point 31); du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a. (C-89/08 P, Rec. p. I-11245, points 52 et suiv.), et du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, (C-197/09 RX-II, Rec. p. I-12033, points 39 et 40).

( 36 ) Ce contraste se confirme si l’on compare le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kress c. France, précitée, et celui de la Cour dans l’ordonnance Emesa Sugar, précitée. La Cour se concentre sur le préjudice effectivement causé au requérant, face à la difficulté de répondre aux conclusions de l’avocat général, sans faire la moindre allusion à la théorie des apparences. Cela ne signifie pas que le niveau de protection soit inférieur à celui de la Cour européenne des droits de l’homme, puisque, quelques années plus tard, celle-ci a confirmé la conclusion à laquelle la Cour était parvenue dans l’affaire Emesa Sugar (voir Cour eur. D. H., décision Cooperatieve Producentenorganisatie van de Nederlandse Kokkelvisserij UA c. Pays-Bas du 20 janvier 2009, no 13645/05, Recueil des arrêts et décisions 2009).

( 37 ) Cour eur. D. H., arrêt du 24 avril 2003, no 44962/98, Recueil des arrêts et décisions 2003-V.

( 38 ) Ibidem, point 36.

( 39 ) Ibidem, point 37.

( 40 ) Voir livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante adopté par la Commission [COM(2008) 165 final, du 2 avril 2008, point 2.9]. Voir, également, Staff Working Document de la Commission, accompagnant le livre blanc précité, p. 84 et suiv. Voir, à ce sujet, Siracusa, M., et Rizza, C., EU Competition Law, vol. III, Claeys et Casteels, Deventer-Louvain, 2012, p. 490 et suiv.

( 41 ) Compte tenu toutefois des exceptions prévues aux articles 12 et 15 dudit règlement.

( 42 ) Voir article 2 dudit règlement.