ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

20 septembre 2012 ( *1 )

«Concurrence — Abus de position dominante — Marchés grecs de la fourniture de lignite et de gros de l’électricité — Décision constatant une infraction à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE — Octroi ou maintien des droits accordés par la République hellénique en faveur d’une entreprise publique pour l’extraction de lignite»

Dans l’affaire T‑169/08,

Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), établie à Athènes (Grèce), représentée par Me P. Anestis, avocat,

partie requérante,

soutenue par

République hellénique, représentée par MM. K. Boskovits et P. Mylonopoulos, en qualité d’agents, assistés initialement de Mes A. Komninos et M. Marinos, puis de Me Marinos, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, A. Bouquet et Mme A. Antoniadis, en qualité d’agents, assistés de Me A. Oikonomou, avocat,

partie défenderesse,

soutenue par

Energeiaki Thessalonikis AE, établie à Echedoros (Grèce), représentée par Mes P. Skouris et E. Trova, avocats,

et par

Elliniki Energeia kai Anaptyxi AE (HE & DSA), établie à Kifissia (Grèce), représentée par Mes Skouris et Trova,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2008) 824 final de la Commission, du 5 mars 2008, concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la DEI pour l’extraction de lignite,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen (rapporteur), président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences du 6 avril 2011 et du 2 février 2012,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

La requérante, la Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), a été créée par la loi grecque no 1468, des 2/7 août 1950 (FEK A’ 169), sous la forme d’une entreprise publique appartenant à la République hellénique et bénéficiait du droit exclusif de produire, de transporter et de fournir de l’électricité en Grèce.

2

En 1996, la loi grecque no 2414/1996, relative à la modernisation des entreprises publiques (FEK A’ 135), a permis la transformation de la requérante en société par actions, mais toujours détenue par l’État en tant qu’actionnaire unique.

3

La requérante a été transformée en société anonyme le 1er janvier 2001, conformément, d’une part, à la loi grecque no 2773/1999, relative à la libéralisation du marché de l’électricité (FEK A’ 286), qui a notamment transposé la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), et, d’autre part, au décret présidentiel grec no 333/2000 (FEK A’ 278).

4

La République hellénique détient 51,12 % des actions de la requérante. Selon l’article 43, paragraphe 3, de la loi no 2773/1999, la participation de l’État au capital de la requérante ne peut, en aucun cas, être inférieure à 51 % des actions avec droit de vote, même après une augmentation de capital. Depuis le 12 décembre 2001, les actions de la requérante sont cotées à la Bourse d’Athènes (Grèce), ainsi qu’à la Bourse de Londres (Royaume-Uni).

5

Le lignite est un minerai de charbon. Ce combustible solide est essentiellement utilisé à des fins de production d’électricité.

6

La Grèce est le cinquième producteur de lignite au monde et le deuxième producteur de l’Union européenne, après l’Allemagne. Selon l’Institouto geologikon kai metallourgikon erevnon (Institut de recherches géologiques et minières grec), les réserves connues de l’ensemble des gisements de lignite en Grèce étaient estimées, jusqu’au 1er janvier 2005, à 4415 millions de tonnes. Selon la Commission européenne, il existe 4590 millions de tonnes de réserves de lignite en Grèce.

7

La République hellénique a attribué des droits d’exploration et d’exploitation du lignite à la requérante pour des mines dont les réserves s’élèvent à environ 2200 millions de tonnes ; 85 millions de tonnes de réserves appartiennent à des tiers personnes privées et environ 220 millions de tonnes de réserves sont des gisements publics qui font l’objet d’une exploration et d’une exploitation par des tiers personnes privées, mais qui approvisionnent en partie les centrales électriques de la requérante. Aucun droit d’exploitation n’a encore été attribué pour environ 2000 millions de tonnes de réserves de lignite en Grèce.

8

Les centrales électriques grecques fonctionnant au lignite appartiennent toutes à la requérante.

9

À la suite de l’entrée en vigueur de la directive 96/92, le marché grec de l’électricité a été ouvert à la concurrence.

10

La concession des licences de production d’électricité et de construction de centrales électriques est réglée par la loi no 2773/1999, telle que modifiée.

11

La loi grecque no 3175/2003 (FEK A’ 207) a prévu la création d’un marché journalier obligatoire pour tous les vendeurs et acheteurs d’électricité dans le réseau interconnecté grec qui comprend la Grèce continentale et certaines îles grecques. Cette création est intervenue en mai 2005.

12

Sur le marché journalier obligatoire, les producteurs et les importateurs d’électricité injectent et vendent leur production et leurs importations sur une base journalière. Plus précisément, ils soumettent dès la veille des offres (comprenant l’indication d’un prix et d’une quantité d’électricité), tandis que les fournisseurs et les clients soumettent des prévisions de charge. Tenant compte de ces éléments, des prix offerts, des quantités et des heures d’activité de chaque centrale, l’entité gestionnaire des réseaux de transport d’électricité, dénommée la Hellenic Transmission System Operator SA (HTSO) élabore le programme horaire de chargement des centrales pour le lendemain.

13

Pour élaborer un tel programme, la HTSO prend en considération la prévision de certaines injections obligatoires d’électricité (telles que l’injection d’électricité par des centrales produisant à partir d’énergies renouvelables, la production des centrales électrocalogènes, des centrales hydroélectriques obligatoires, les importations et les exportations). La priorité est donc accordée à ces vendeurs sur le marché de gros de l’électricité ; viennent ensuite les autres vendeurs (toutes les centrales thermiques, dont les centrales alimentées au lignite, au gaz et au pétrole).

14

Pour déterminer le prix du marché, il est tenu compte de la plus chère des offres retenues. Le système est le suivant : le principe de base est que les tarifs horaires pratiqués par les producteurs doivent être au moins égaux au coût variable de la centrale ; les offres des centrales électriques ayant le coût variable le plus bas sont les premières à intégrer le réseau, à l’exception des centrales fonctionnant aux énergies renouvelables, qui sont intégrées par priorité ; le prix auquel l’électricité est achetée et vendue est déterminé chaque fois par la dernière centrale de production (la plus chère) qui a été intégrée dans le programme de distribution en vue de satisfaire la demande concernée – appelé la Centrale marginale du réseau (System Marginal Unit) ; au point d’équilibre où l’offre correspond à la demande, le prix offert est le prix de règlement du marché, appelé le «prix plafond du système».

15

En 2003, la Commission a reçu une plainte déposée par un particulier demandant que son identité reste confidentielle et l’informant du fait que, en vertu du décret législatif grec no 4029/1959, des 12 et 13 novembre 1959 (FEK A’ 250), et de la loi grecque no 134/1975, des 23 et 29 août 1975 (FEK A’ 180), la République hellénique aurait octroyé à la requérante une licence exclusive d’exploration et d’exploitation du lignite en Grèce. Selon la plainte, ces mesures étatiques seraient contraires à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE.

16

La Commission a examiné les éléments de fait et a adressé des demandes d’informations à la requérante, ainsi qu’à la Rythmistiki Archi Energias (RAE, autorité régulatrice de l’énergie). La première y a répondu par lettres des 23 et 30 mai et du 11 juillet 2003, et la seconde par lettre du 25 juin 2003.

17

Le 1er avril 2004, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure à la République hellénique pour l’informer des griefs préliminaires qu’elle avait retenus. En particulier, la Commission se référait aux mesures prises en application du décret législatif no 4029/1959 et de la loi no 134/1975, octroyant des droits d’exploration et d’exploitation à la requérante sur les gisements de lignite de la Megalopolis, de la région de Ptolemaïs, dans les bassins d’Amynteon et dans celui de Flórina, ces droits expirant respectivement en 2026, en 2024 et en 2018. La Commission faisait également état de tels droits accordés pour les gisements de Dráma et d’Elassona. Elle ajoutait que de telles mesures avaient été prises en faveur de la requérante sans aucune contrepartie financière, alors que les entités autres que celle-ci bénéficiant de tels droits seraient tenues à une telle contrepartie. En raison de ces mesures donnant un accès privilégié à la requérante au combustible le plus attractif pour la production d’électricité, la Commission considérait que la République hellénique aurait permis à la requérante de maintenir ou d’étendre sa position dominante existant sur le marché de la fourniture du lignite vers le marché de gros de l’électricité, en violation de l’article 86 CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE. La Commission concluait en indiquant que la violation desdites dispositions existait au moins depuis le mois de février 2001, c’est-à-dire à la date à laquelle l’État grec aurait dû libéraliser le marché de l’électricité en vertu de la directive 96/92.

18

Le 3 mai 2004, la Commission a envoyé une copie de cette lettre à la requérante en lui offrant la possibilité de formuler ses observations à ce sujet. La République hellénique et la requérante ont répondu par lettres du 2 juillet 2004. Dans leurs réponses, la République hellénique et la requérante faisaient notamment état des développements législatifs récents, relatifs à l’adoption de la loi no 3175/2003, des développements du marché de l’électricité, avec l’octroi de licences à des entités autres que la requérante pour la construction de nouvelles centrales électriques, et soutenaient que la législation grecque n’accordait aucun droit exclusif à la requérante, tant concernant l’exploitation du lignite que la production d’électricité à partir de ce combustible.

19

Par lettre du 21 septembre 2005, la Commission a demandé certaines précisions à la République hellénique, qui a répondu par lettres des 22 et 28 novembre 2005 et du 19 juin 2006. Dans ces lettres, cette dernière soumettait une série d’informations et de nouveaux éléments de fait. Elle mentionnait l’adoption de la loi grecque no 3426/2005 (FEK A’ 309) et, pour la première fois, les sept gisements de lignite de petite taille pour lesquels des droits d’exploration et d’exploitation ont été octroyés à des personnes morales de droit privé et à des personnes physiques après 1985 , donnait une liste des licences octroyées ou refusées pour la construction de nouvelles centrales électriques et indiquait son intention, premièrement, de modifier le décret législatif no 4029/1959 et la loi no 134/1975, deuxièmement, de réattribuer par appel d’offres les gisements de Vevi, puis ceux de Vegora, et troisièmement, d’octroyer des droits d’exploitation pour les gisements de Dráma et d’Elassona.

20

La Commission a envoyé le 18 octobre 2006 une lettre de mise en demeure complémentaire à la République hellénique, dans laquelle elle explicitait les conclusions qu’elle avait tirées des nouveaux éléments d’information communiqués par celle-ci. En particulier, elle indiquait que ces nouveaux éléments ne modifiaient pas les griefs qu’elle avait exposés dans sa première lettre de mise en demeure du 1er avril 2004. La Commission réitérait ainsi sa position selon laquelle, en maintenant et en octroyant des droits quasi monopolistiques qui offraient à la requérante un accès privilégié au lignite, la République hellénique avait donné à celle-ci la possibilité de maintenir une position dominante sur le marché de la production d’électricité en situation de quasi-monopole, en excluant ou en entravant de nouvelles entrées sur le marché.

21

Dans une lettre datée du 19 janvier 2007, la requérante a transmis ses observations à la Commission sur la lettre de mise en demeure complémentaire, en communiquant dans le même temps certaines informations, notamment quant aux droits d’exploitation de certains gisements de lignite, quant aux coûts de production de centrales électriques fonctionnant au lignite ou au gaz, quant au marché de la fourniture de lignite qui s’étendrait au-delà du territoire national et quant à l’éventuelle abrogation des dispositions du décret législatif no 4029/1959 et de la loi no 134/1975. Elle y exprimait également ses objections quant au raisonnement suivi par la Commission et contestait toute infraction au droit de l’Union. La requérante a envoyé une nouvelle lettre à la Commission le 4 avril 2007, dans laquelle elle lui soumettait d’autres éléments, relatifs notamment à l’extraction et aux importations potentielles de lignite.

22

La République hellénique a répondu à la lettre de mise en demeure complémentaire par lettre du 24 janvier 2007. Dans cette lettre, elle faisait état de la situation actuelle concernant les gisements de lignite exploités par la requérante et par d’autres entités. Sur le fond, elle réfutait l’analyse juridique de la Commission quant à l’application en l’espèce de la «théorie de l’extension de la position dominante».

23

Le 8 février 2008, la requérante a soumis à la Commission des données sur le marché grec de l’électricité mises à jour pour la période 2006-2007.

24

Le 5 mars 2008, la Commission a adopté la décision C (2008) 824 final, concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la requérante pour l’extraction de lignite (ci-après la «décision attaquée»).

25

Dans cette décision, la Commission indique que la République hellénique savait depuis l’adoption de la directive 96/92, dont la transposition était prévue pour le 19 février 2001 au plus tard, que le marché de l’électricité devait être libéralisé (considérants 61 et 150).

26

La Commission considère que la République hellénique a adopté certaines mesures étatiques concernant deux marchés de produits distincts, le premier étant celui de la fourniture de lignite et le second étant le marché de gros de l’électricité, qui concerne la production et la fourniture d’électricité dans des centrales et l’importation d’électricité par le biais des dispositifs d’interconnexion. La Commission indique que, jusqu’en mai 2005, date de la création du marché journalier obligatoire, le second de ces marchés était celui de la fourniture aux clients éligibles de l’électricité produite au niveau national et importée et que l’analyse de ce marché sur la période allant jusqu’en mai 2004 a conduit aux mêmes conclusions que l’analyse qui aurait été réalisée concernant le marché de gros de l’électricité, marché potentiel à cette date. Ainsi, et compte tenu de cette évolution du marché grec signalée par la République hellénique dans sa lettre du 24 janvier 2007, la Commission souligne que, s’il convient de considérer le second marché comme le marché de gros de l’électricité, il faut néanmoins aborder les arguments présentés par la République hellénique sur la base de la définition initiale du marché (considérants 158 et suivants). Quant aux marchés géographiques en cause, le marché de la fourniture de lignite serait de dimension nationale tandis que le marché de gros de l’électricité s’étendrait au «territoire du réseau interconnecté» (considérants 167 à 172).

27

La Commission avance ensuite que la requérante détient une position dominante sur le marché de la fourniture de lignite. La part de la requérante quant à la quantité totale de lignite extraite en Grèce aurait toujours été supérieure à 97 % depuis 2000. La requérante détiendrait également une position dominante sur le marché de gros de l’électricité, puisque sa part sur un tel marché resterait supérieure à 85 %. Il n’y aurait pas de perspective de nouvelle entrée susceptible de retirer une part significative du marché de gros de l’électricité à la requérante et les importations, représentant 7 % de la consommation totale, ne constitueraient pas une réelle contrainte concurrentielle sur ce marché (considérant 177). En outre, le marché de gros de l’électricité dans le réseau interconnecté grec, qui représenterait plus de 90 % de la consommation totale d’électricité de la Grèce, constituerait une partie substantielle du marché commun (considérant 179).

28

S’agissant des mesures étatiques en cause, la Commission fait observer que la requérante s’est vu octroyer, en vertu du décret législatif no 4029/1959 et de la loi no 134/1975, des droits d’exploitation pour 91 % des gisements publics de lignite totaux pour lesquels des droits ont été accordés. Elle précise que ces mesures ont été maintenues dès lors que, en dépit des possibilités offertes par le code minier, introduit en Grèce par le décret législatif grec no 210/1973 (FEK A’ 277), puis modifié par la loi grecque no 274/1976 (FEK A’ 50), aucun droit sur un gisement significatif n’a été accordé. En outre, elle indique que la requérante a obtenu des droits d’exploration sans appels d’offres sur des gisements exploitables, Dráma et Elassona essentiellement, pour lesquels des droits d’exploitation n’ont pas encore été accordés. La Commission ajoute enfin que les centrales fonctionnant au lignite, qui seraient les moins coûteuses en Grèce, sont les plus utilisées, puisqu’elles produisent 60 % de l’électricité permettant d’approvisionner le réseau interconnecté (considérants 185 à 187).

29

Par conséquent, grâce à l’octroi et au maintien de droits d’exploitation du lignite quasi monopolistiques en faveur de la requérante, la République hellénique aurait créé une inégalité des chances entre les opérateurs économiques sur le marché de gros de l’électricité et donc faussé la concurrence, renforçant ainsi la position dominante de la requérante (considérant 190).

30

La Commission conclut que, en octroyant et en maintenant des droits quasi monopolistiques à l’entreprise publique qu’est la requérante sur l’exploitation de lignite, la République hellénique a garanti à la requérante un accès privilégié au combustible le plus attractif qui existait en Grèce à des fins de production d’électricité. La République hellénique a ainsi donné à cette entreprise la possibilité de maintenir une position dominante sur le marché de gros de l’électricité en situation de quasi-monopole, en excluant toute nouvelle entrée sur le marché ou en y faisant obstacle. En conséquence, elle aurait permis à la requérante de protéger sa position quasi monopolistique sur le marché en dépit de la libéralisation du marché de gros de l’électricité et a ainsi maintenu et renforcé sa position dominante sur ce marché (considérant 238).

31

Enfin, la Commission constate que la République hellénique n’a pas invoqué les dispositions de l’article 86, paragraphe 2, CE pour justifier l’adoption des mesures octroyant à la requérante des droits d’extraction du lignite (considérants 239 et 240). Elle considère également que les mesures étatiques affectent les échanges interétatiques, puisqu’elles découragent tout concurrent potentiel d’investir dans la production et la fourniture d’électricité en Grèce (considérants 241 à 244).

32

En vertu de l’article 1er de la décision attaquée, l’article 22, paragraphe 1, du décret législatif no 4029/1959, l’article 3, paragraphe 1, de la loi no 134/1975 et les décisions du ministre de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies grec de 1976 (FEK B’ 282), de 1988 (FEK B’ 596) et de 1994 (FEK B’ 633) sont contraires à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE, dans la mesure où ils accordent et maintiennent des droits privilégiés en faveur de la requérante pour l’exploitation de lignite en Grèce, créant ainsi une situation d’inégalité des chances entre les opérateurs économiques en ce qui concerne l’accès aux combustibles primaires aux fins de la production d’électricité et permettant à la requérante de maintenir ou de renforcer sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité de la Grèce en excluant toute nouvelle entrée sur le marché ou en y faisant obstacle.

33

Il y a lieu d’observer que l’article 1er de la décision attaquée contient une erreur matérielle, en ce qu’il fait référence à l’article 3, paragraphe 1, de la loi no 134/1975. En effet, il ressort du dossier que la disposition visée par la décision attaquée est le paragraphe 3 dudit article.

34

Dans l’article 2 de la décision attaquée, la Commission demande à la République hellénique de l’informer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de cette décision, des mesures qu’elle a l’intention de prendre pour corriger les effets anticoncurrentiels des mesures étatiques visées à l’article 1er. La Commission indique au surplus que ces mesures seront adoptées et mises en œuvre dans les huit mois à compter de cette décision.

Procédure et conclusions des parties

35

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2008, la requérante a introduit le présent recours.

36

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 septembre 2008, la République hellénique a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

37

Par actes déposés au greffe du Tribunal le 9 septembre 2008, Elliniki Energeia kai Anaptyxi AE (HE & DSA) et Energeiaki Thessalonikis AE, sociétés anonymes qui opèrent dans le domaine de la production d’énergie électrique en Grèce (ci-après les «entreprises intervenantes»), ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, ces demandes ont été signifiées aux parties. La Commission a déposé ses observations le 23 octobre 2008. Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 7 et le 10 novembre 2008, la requérante a soulevé des objections à l’encontre de chacune de ces deux demandes en intervention.

38

Par ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 3 décembre 2008, la République hellénique a été admise à intervenir dans le présent litige au soutien des conclusions de la requérante.

39

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2008, la requérante a demandé, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, à ce que le Tribunal ordonne, dans l’hypothèse où la Commission n’accepterait pas de modifier le mémoire en défense de sa propre initiative, le remplacement d’une certaine formulation apparaissant dans celui-ci.

40

Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal en date du 23 janvier 2009 sur la demande de mesures d’organisation de la procédure de la requérante, la Commission a accepté, comme proposé par la requérante, de modifier une certaine formulation du mémoire en défense.

41

La République hellénique a déposé son mémoire en intervention au greffe du Tribunal le 18 février 2009. Dans ce mémoire, elle a notamment indiqué que l’article 3, paragraphe 3, de la loi no 134/1975, mis en cause à l’article 1er de la décision attaquée, a été abrogé par l’article 36, paragraphe 3, de la loi grecque no 3734/2009 (FEK A’ 8).

42

Par ordonnances du président de la septième chambre du Tribunal du 18 septembre 2009, les entreprises intervenantes ont été admises à intervenir dans le présent litige au soutien des conclusions de la Commission.

43

Les entreprises intervenantes ont déposé leur mémoire en intervention au greffe du Tribunal le 13 novembre 2009.

44

La Commission, par lettres des 23 octobre 2008, 19 février et 16 mars 2009, et la requérante, par lettres des 7 et 10 novembre 2008, 8 janvier et 23 juin 2009 et 28 janvier 2010, ont demandé que certains éléments confidentiels contenus dans la requête, le mémoire en défense, la réplique, la duplique, les observations sur les mémoires en intervention de la République hellénique et les observations sur le mémoire en intervention des entreprises intervenantes soient exclus de la communication à ces dernières. La communication aux entreprises intervenantes desdits actes de procédure a été limitée à la version non confidentielle, ce qu’elles n’ont pas contesté.

45

La requérante, soutenue par la République hellénique, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

condamner la Commission aux dépens.

46

La Commission, soutenue par les entreprises intervenantes, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

47

La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté, en qualité de président, à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

48

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

49

Dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, décidée conformément à l’article 64 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties principales et la République hellénique, par lettres du 14 décembre 2010, à déposer des statistiques et des tableaux relatifs au marché journalier obligatoire, pour la période allant de 2005 jusqu’à l’adoption de la décision attaquée. La requérante et la République hellénique ont déféré à cette mesure, par courriers déposés au greffe du Tribunal en date du 1er février 2011. Par courrier déposé au greffe du Tribunal en date du 7 mars 2011, la Commission a déféré à la demande du Tribunal, en envoyant deux versions, l’une confidentielle pour la requérante et la République hellénique, l’autre non confidentielle pour les entreprises intervenantes. Les parties ont été invitées à formuler leurs observations sur le contenu de ces réponses lors de l’audience.

50

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 6 avril 2011.

51

Le juge rapporteur ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s’est désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, pour compléter la sixième chambre, en qualité de juge rapporteur.

52

Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu’elles seraient entendues lors d’une nouvelle audience.

53

Par la suite, le président du Tribunal a réattribué l’affaire au nouveau président de la sixième chambre et l’a désigné comme juge rapporteur.

54

Les parties ont été entendues lors d’une nouvelle audience le 2 février 2012.

En droit

55

À l’appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens, tirés, premièrement, de l’erreur de droit lors de l’application des dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE, ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation, deuxièmement, de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE, troisièmement, d’une part, de la violation des principes de sécurité juridique, de la protection de la confiance légitime et de la protection de la propriété privée, et, d’autre part, de l’existence d’un détournement de pouvoir, et, quatrièmement, d’une violation du principe de proportionnalité.

56

Le premier moyen s’articule en cinq branches, tirées, en premier lieu, d’une erreur manifeste d’appréciation dans la définition des marchés en cause, en deuxième lieu, de l’absence d’extension de la position dominante du marché de la fourniture de lignite au marché de gros de l’électricité en ce qui concerne l’interprétation de la condition relative à l’existence de droits exclusifs ou spéciaux pour la violation combinée de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE, en troisième lieu, de l’absence d’une situation d’inégalité des chances au détriment des nouveaux concurrents en raison de la législation grecque attribuant à la requérante les droits d’exploitation du lignite, en quatrième lieu, de l’absence d’extension de la position dominante du marché de la fourniture de lignite au marché de gros de l’électricité en ce qui concerne le prétendu accès privilégié à un combustible primaire, et, en cinquième lieu, d’une erreur manifeste d’appréciation dans la prise en compte des évolutions sur le marché grec de l’électricité.

57

Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que les mesures étatiques en cause concernaient deux marchés : un marché en amont, qui est celui de la fourniture de lignite, à l’exclusion des autres combustibles, et un marché en aval, qui est celui de gros de l’électricité, à savoir le marché de la production et de la fourniture de gros de l’électricité, à l’exclusion des marchés du transport et de la distribution de l’électricité (considérants 158 à 166). Quant aux marchés géographiques en cause, le marché de la fourniture de lignite serait de dimension nationale et celui de gros de l’électricité s’étendrait au territoire du réseau interconnecté grec (considérants 167 à 171).

58

Selon la Commission, les mesures adoptées par la République hellénique, en octroyant des droits d’exploitation du lignite à la requérante et en excluant ou en faisant obstacle à toute nouvelle entrée de concurrents sur ce marché, permettent à la requérante de maintenir ou de renforcer sa position dominante sur le marché en aval, à savoir le marché de gros de l’électricité.

59

Le Tribunal considère qu’il convient d’examiner tout d’abord les deuxième et quatrième branches du premier moyen, sans qu’il soit besoin à ce stade de se prononcer sur le bien-fondé de la définition des marchés pertinents retenue par la Commission dans la décision attaquée et partant sur la prémisse que ladite définition, contrairement à ce que la requérante fait valoir, n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

Arguments des parties

60

La requérante conteste, en substance, la conclusion de la Commission selon laquelle l’exercice des droits d’exploitation du lignite, dont la requérante est titulaire, aurait eu pour effet l’extension de sa position dominante du marché du lignite au marché de gros de l’électricité, en violation des dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE.

61

Premièrement, la requérante soutient que, même si, en ce qui concerne le champ d’application général de l’article 86, paragraphe 1, CE, il suffit que l’entreprise soit une entreprise publique, l’existence de droits exclusifs ou spéciaux est une condition nécessaire pour fonder une violation des dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE au motif d’une extension de position dominante d’une entreprise publique d’un marché vers un autre marché, voisin, mais distinct. En effet, dans tous les arrêts dans lesquels la Cour a identifié une violation combinée de ces dispositions par le biais de l’extension d’une position dominante, l’entreprise concernée aurait fondé son comportement sur un droit spécial ou exclusif dont l’existence aurait été déterminante.

62

La requérante fait observer qu’elle n’est titulaire ni d’un droit exclusif, car elle n’a pas l’exclusivité pour exercer l’activité d’extraction du lignite, ni d’un droit spécial, puisque aucune décision étatique ne détermine le nombre des bénéficiaires, même si ce nombre ne peut nécessairement pas dépasser le nombre de gisements existant sur le territoire grec.

63

Deuxièmement, la requérante indique qu’elle n’a pas de compétence réglementaire lui permettant de déterminer à son gré l’activité de ses concurrents et de les obliger à dépendre d’elle. Il n’y aurait pas non plus atteinte à la concurrence, puisque la requérante n’imposerait pas, par exemple, des coûts élevés à ses concurrents et elle ne leur fournirait pas non plus une matière première moins appropriée pour leur activité. C’est à tort que la Commission n’aurait pas précisé la nature du comportement abusif auquel la requérante aurait été prétendument amenée par la prétendue inégalité des chances.

64

Troisièmement, la Commission aurait dû expliquer ou, du moins examiner, dans quelle mesure la prétendue violation de l’article 82 CE lésait les intérêts des consommateurs. La Cour aurait examiné, dans des arrêts portant sur la violation de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE, dans quelle mesure le cadre juridique national aboutissait à une situation préjudiciable aux intérêts des consommateurs au sens de l’article 82, second alinéa, sous b), CE. En l’espèce, il n’y aurait pas de préjudice actuel ou potentiel pour les intérêts des consommateurs, eu égard au fait que les prix de détail sont fixés par l’État à un faible niveau pour des raisons sociales.

65

Quatrièmement, selon la requérante, la Commission définirait le lignite comme un facteur de production absolument nécessaire (essential facility), sans avoir démontré que le lignite serait absolument nécessaire pour opérer sur le marché de gros de l’électricité.

66

La Commission aurait au moins dû démontrer que le lignite était beaucoup moins cher que tous les autres combustibles au point que, sans accès au lignite, la possibilité d’accéder au marché de gros de l’électricité serait exclue.

67

S’appuyant sur l’arrêt de la Cour du 23 avril 1991, Höfner et Elser (C-41/90, Rec. p. I-1979) et sur la jurisprudence subséquente, la République hellénique fait valoir que la Commission ne mentionne aucune sorte d’abus de position dominante de la part de la requérante, existant ou même potentiel. Or, dans le présent litige, l’existence d’un tel abus serait une condition nécessaire et préalable aux fins de l’application combinée de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE. Il ne suffirait pas à la Commission de démontrer qu’une mesure étatique crée une inégalité des chances sur le marché. En outre, la Commission n’aurait pas démontré l’existence d’un lien de causalité fort entre la position de la requérante sur le marché en amont et l’infraction alléguée sur le marché en aval.

68

La Commission conteste les allégations avancées par la requérante et par la République hellénique.

69

De l’avis de la Commission, l’argument de la requérante, selon lequel, d’une part, l’entreprise dominante devrait aussi jouir de droits spéciaux ou exclusifs pour qu’une violation des dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE soit établie, et, d’autre part, en l’espèce, de tels droits spéciaux ou exclusifs ne lui ont pas été concédés, serait dépourvu de fondement en droit. D’une part, le champ d’application de ces dispositions ne serait pas limité aux mesures étatiques qui concèdent des droits spéciaux ou exclusifs et, d’autre part, de tels droits exclusifs auraient été concédés à la requérante par effet même de l’octroi de la licence d’exploitation d’un gisement de lignite.

70

La Commission ajoute que, même si dans les arrêts cités par la requérante l’octroi de droits spéciaux ou exclusifs a joué un rôle dans l’appréciation de l’infraction, cela n’empêcherait pas d’estimer que, dans le cas d’une entreprise publique, une ou plusieurs mesures étatiques violent les dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE, et de l’article 82 CE, sans que l’existence d’un droit spécial ou exclusif soit nécessaire. La Cour l’aurait d’ailleurs déclaré dans l’arrêt du 22 mai 2003, Connect Austria (C-462/99, Rec. p. I-5197). La Commission fait également observer que les caractéristiques des affaires invoquées par la requérante n’étaient pas les mêmes que celles de l’affaire en cause.

71

La Commission réitère que les droits d’exploitation de réserves de lignite d’une région donnée, obtenus en vertu des dispositions législatives et des arrêtés ministériels litigieux, octroient à la requérante le droit d’exploiter ces réserves d’une manière exclusive. Bien que le fait d’octroyer à la requérante un droit exclusif pour l’exploitation de lignite, pris singulièrement, ne constitue pas en soi une violation des dispositions de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE, ces droits – considérés globalement – fourniraient à la requérante un accès privilégié et exclusif couvrant presque l’ensemble des réserves publiques exploitables de lignite en Grèce. Ce serait ce résultat que la Commission qualifie d’«accès privilégié» et de «droits quasi-monopolistiques» dans la décision attaquée afin de décrire la situation de la requérante qui détient sur le marché en cause une position dominante.

72

À l’audience du 2 février 2012, la Commission a soutenu, en réponse à une question du Tribunal, que l’application de l’article 86, paragraphe 1, CE s’est faite en l’espèce en se fondant sur le critère de l’«entreprise publique».

73

En s’appuyant sur l’arrêt Connect Austria, précité, la Commission fait valoir que, pour appliquer la théorie de l’extension de la position dominante, il n’est pas nécessaire que l’entreprise dominante exerce une fonction régulatrice sur un marché voisin.

74

L’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait dû examiner le préjudice potentiel causé aux consommateurs par l’infraction aux dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE serait dépourvue de fondement. Une pratique qui affecte la structure de la concurrence sur le marché de gros de l’électricité en Grèce serait considérée comme indirectement préjudiciable aux consommateurs.

75

La Commission rappelle qu’elle a fondé sa conclusion constatant l’infraction aux dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE sur les arrêts de la Cour du 19 mars 1991, France/Commission (C-202/88, Rec. p. I-1223), du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM (C-18/88, Rec. p. I-5941), du 12 février 1998, Raso e.a. (C-163/96, Rec. p. I-533), et Connect Austria, précité. Cette jurisprudence reconnaîtrait l’existence d’une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE, quand des mesures étatiques faussent la concurrence en créant une inégalité des chances entre les opérateurs, sans exiger en même temps la définition d’une pratique abusive concrète – réelle ou potentielle. Par conséquent, la Commission réfute l’allégation selon laquelle elle aurait également dû établir, au-delà de l’inégalité des chances, une pratique abusive concrète de la requérante.

76

Contrairement à l’argumentation de la République hellénique, la Commission estime que la référence de l’arrêt Connect Austria, précité, à l’inégalité des chances et les critères élaborés par la Cour de justice dans l’affaire Höfner et Elser, précitée, ne sont pas des conditions cumulatives.

77

La Commission conteste l’allégation de la requérante selon laquelle elle aurait considéré son accès quasi monopolistique au lignite comme une forme d’«essential facility», puisqu’elle n’a pas eu recours à cette notion.

78

S’agissant du prétendu caractère non attractif du lignite comme moyen de production de l’électricité, d’une part, la Commission rappelle que certaines entreprises ont soumis des demandes dans le cadre de l’appel d’offres relatif aux droits d’exploitation de la mine de lignite de Vevi. D’autre part, la requérante aurait fait preuve d’un intérêt constant pour la construction de nouvelles centrales électriques au lignite ou pour le remplacement de celles existantes. Cela suffirait pour réfuter les arguments de la requérante sur ce point.

Appréciation du Tribunal

79

En vertu de l’article 86, paragraphe 1, CE, les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité CE, notamment à celles en matière de concurrence, sous réserve de l’article 86, paragraphe 2, CE. Cet article n’a pas une application indépendante et ne trouve à s’appliquer qu’en combinaison avec d’autres dispositions du traité.

80

En l’espèce, la Commission a appliqué l’article 86, paragraphe 1, CE en combinaison avec l’article 82 CE. Cette dernière disposition interdit l’exploitation abusive, par une entreprise, d’une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté.

81

À l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a considéré que les mesures étatiques en cause étaient contraires à ces dispositions combinées dans la mesure où elles accordaient et maintenaient des droits privilégiés en faveur de la requérante pour l’exploitation du lignite en Grèce. Cela créerait une situation d’inégalité des chances entre les opérateurs économiques en ce qui concerne l’accès aux combustibles primaires aux fins de la production d’électricité permettant à la requérante de maintenir ou de renforcer sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité en excluant toute nouvelle entrée sur le marché ou en y faisant obstacle.

82

En substance, la requérante présente deux griefs à l’encontre de cette conclusion de la Commission.

83

Par son premier grief, la requérante fait valoir que, alors même que l’article 86, paragraphe 1, CE est en principe applicable aux entreprises publiques auxquelles les États membres n’ont pas accordé des droits spéciaux ou exclusifs, il ressort de la jurisprudence que, pour établir une infraction à cette disposition appliquée en combinaison avec l’article 82 CE au motif d’une extension de la position dominante, il est nécessaire que l’entreprise concernée jouisse d’un droit exclusif ou spécial au sens de l’article 86, paragraphe 1, CE. Or, les droits d’exploitation de lignite qui lui ont été accordés ne constitueraient pas un tel droit.

84

Par son second grief, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas établi dans la décision attaquée l’existence d’un abus réel ou potentiel de la position dominante de la requérante sur les marchés concernés, alors qu’elle serait obligée de le faire pour appliquer l’article 86, paragraphe 1, CE en combinaison avec l’article 82 CE. Il convient d’examiner tout d’abord ce grief.

85

À cet égard, le différend, en l’espèce, se focalise principalement sur la question de savoir si la Commission devait identifier un abus de la position dominante, réel ou potentiel, de la requérante ou s’il lui suffisait d’établir que les mesures étatiques en cause faussaient la concurrence en créant une inégalité des chances entre les opérateurs économiques, en faveur de la requérante. Les parties tirent sur ce point des conclusions différentes de la jurisprudence de la Cour qui interprète l’article 86, paragraphe 1, CE appliqué en combinaison avec l’article 82 CE.

86

Il y a tout d’abord lieu d’observer que les interdictions prévues à l’article 86, paragraphe 1, CE s’adressent aux États membres, alors que l’article 82 CE s’adresse, pour sa part, aux entreprises, leur interdisant l’exploitation abusive d’une position dominante. Dans le cas de l’application combinée de ces deux dispositions, la violation de l’article 86, paragraphe 1, CE par un État membre ne peut être établie que si la mesure étatique est contraire à l’article 82 CE. Se pose donc la question de savoir dans quelle mesure doit être identifié un abus, ne serait-ce que potentiel, de la position dominante d’une entreprise, cet abus ayant un lien avec la mesure étatique.

87

S’agissant du marché de la fourniture de lignite, il ressort du dossier que, par l’article 22 du décret législatif no 4029/1959 et par l’article 3, paragraphe 3, de la loi no 134/1975, sur environ 4500 millions de tonnes de réserves totales de lignite en Grèce, la République hellénique a octroyé à la requérante des droits d’exploitation du lignite pour des mines dont les réserves s’élèvent à environ 2200 millions de tonnes. Ces mesures étatiques, antérieures à la libéralisation du marché de l’électricité ont été maintenues et continuent à affecter le marché de la fourniture de lignite.

88

Il ressort également du dossier que, nonobstant l’intérêt que les concurrents de la requérante avaient manifesté, aucun opérateur économique n’a pu obtenir de la République hellénique des droits d’exploitation sur des gisements de lignite, bien que la Grèce dispose d’environ 2000 millions de tonnes de lignite non encore exploitées.

89

Toutefois, l’impossibilité, pour les autres opérateurs économiques, d’avoir accès aux gisements de lignite encore disponibles ne peut pas être imputée à la requérante. Ainsi qu’elle l’a indiqué, à juste titre, lors de l’audience du 2 février 2012, le fait de ne pas avoir octroyé des licences d’exploitation de lignite dépend exclusivement de la volonté de la République hellénique. Sur le marché de la fourniture de lignite, le rôle de la requérante s’est limité à exploiter les gisements sur lesquels elle détient les droits et la Commission n’a pas soutenu qu’elle a abusé de sa position dominante sur ce marché en ce qui concerne l’accès au lignite.

90

Selon la Commission, l’impossibilité pour les concurrents de la requérante d’entrer sur le marché de fourniture de lignite a des répercussions sur le marché de gros de l’électricité. Puisque le lignite serait le combustible le plus attractif en Grèce, son exploitation permettrait de produire de l’électricité à un coût variable faible, ce qui, selon la Commission, garantit que l’électricité ainsi produite puisse entrer dans le marché journalier obligatoire avec une marge de profit plus intéressante que l’électricité produite à partir d’autres combustibles. D’après la Commission, la conséquence est que la requérante peut maintenir ou renforcer sa position dominante sur le marché de gros de l’électricité en excluant toute nouvelle entrée sur ce marché ou en y faisant obstacle.

91

À cet égard, il convient de rappeler que, à la suite de la libéralisation du marché de gros de l’électricité, un marché journalier obligatoire a été créé et que les règles de fonctionnement de celui-ci ne sont pas remises en question par la décision attaquée. Ainsi qu’il ressort des points 11 à 14 ci-dessus, les vendeurs sur le marché de gros de l’électricité, à savoir la requérante et ses concurrents, doivent respecter ce système. En outre, la requérante a été présente sur ce marché avant sa libéralisation.

92

Or, la Commission n’a pas établi que l’accès privilégié au lignite aurait été susceptible de créer une situation dans laquelle, par le simple exercice de ses droits d’exploitation, la requérante aurait pu commettre des abus de position dominante sur le marché de gros de l’électricité ou aurait été amenée à commettre de tels abus sur ce marché. De même, la Commission ne reproche pas à la requérante d’avoir étendu, sans justification objective, sa position dominante sur le marché de la fourniture de lignite au marché de gros d’électricité.

93

En constatant simplement que la requérante, ancienne entreprise monopolistique, continue à maintenir une position dominante sur le marché de gros de l’électricité grâce à l’avantage que lui donne l’accès privilégié au lignite et que cette situation crée une inégalité des chances sur ce marché entre la requérante et les autres entreprises, la Commission n’a ni identifié ni établi à suffisance de droit à quel abus, au sens de l’article 82 CE, la mesure étatique en cause a amené ou pouvait amener la requérante.

94

Il importe d’ajouter que, dans la décision attaquée, la Commission a mentionné d’abord, en citant l’arrêt Raso e.a., précité (point 27), la jurisprudence de la Cour selon laquelle un État membre enfreint les interdictions édictées par l’article 86, paragraphe 1, CE et l’article 82 CE lorsque l’entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs ou spéciaux qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus. Cette jurisprudence est constante et rappelée notamment dans les arrêts de la Cour Höfner et Elser, précité (point 29), du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C-179/90, Rec. p. I-5889, point 17), du 11 décembre 1997, Job Centre (C-55/96, Rec. p. I-7119, point 31), et du 1er juillet 2008, MOTOE (C-49/07, Rec. p. I-4863, points 50 et 51).

95

Or il ressort de ces arrêts, débattus devant le Tribunal, que la Cour, après avoir rappelé que le simple fait de créer ou de renforcer une position dominante, par une mesure étatique au sens de l’article 86, paragraphe 1, CE, n’est pas en tant que tel incompatible avec l’article 82 CE, a vérifié dans chaque cas d’espèce si l’entreprise en cause pouvait être amenée, par le simple exercice du droit exclusif ou spécial conféré par la mesure étatique, à exploiter sa position dominante de façon abusive.

96

Il y a lieu de relever que, dans l’arrêt Raso e.a., précité, la Cour a reconnu que, dans la mesure où la disposition nationale en cause non seulement octroyait à une compagnie portuaire le droit exclusif de fournir de la main-d’œuvre aux entreprises autorisées à opérer dans le port, mais lui permettait également de concurrencer ces entreprises sur le marché des services portuaires, cette compagnie portuaire se trouvait en situation de conflit d’intérêt. La compagnie en cause était amenée à abuser de son droit exclusif en imposant à ses concurrents sur le marché des opérations portuaires des prix excessifs pour la fourniture de main-d’œuvre ou en mettant à leur disposition une main-d’œuvre moins adaptée aux tâches à accomplir (arrêt Raso e.a., précité, points 28 et 30).

97

Dans l’arrêt MOTOE, précité, il s’agissait de savoir si l’article 82 CE et l’article 86, paragraphe 1, CE s’opposaient à une réglementation nationale qui donnait à une personne morale, qui pouvait se charger elle-même de l’organisation de compétitions de motocyclisme et de leur exploitation commerciale, le pouvoir de donner un avis conforme sur les demandes d’autorisation présentées en vue de l’organisation de ces compétitions, sans que ce pouvoir soit assorti de limites, d’obligations et d’un contrôle. La Cour a reconnu que conférer par une mesure étatique les droits en cause à cette entité revenait de facto à lui conférer le pouvoir de désigner les personnes autorisées à organiser lesdites compétitions ainsi que de fixer les conditions dans lesquelles ces dernières étaient organisées, et à octroyer ainsi à cette entité un avantage évident sur ses concurrents, qui pouvait l’amener à empêcher l’accès des autres opérateurs au marché concerné (arrêt MOTOE, précité, point 51).

98

Dans l’arrêt Höfner et Elser, précité, la Cour était appelée à vérifier si le maintien d’un monopole de placement des cadres et dirigeants d’entreprises, consistant essentiellement à mettre les demandeurs d’emploi en contact avec des employeurs, activité exercée par un office public pour l’emploi, au titre d’un droit exclusif, constituait une infraction aux dispositions combinées de l’article 90, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 1, CE) et de l’article 86 du traité CE (devenu article 82 CE). La Cour a reconnu qu’il y avait une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE si l’office public était nécessairement amené, par le simple exercice du droit exclusif qui lui avait été conféré, à exploiter sa position dominante de façon abusive, ce qui était le cas lorsque l’office public n’était manifestement pas en mesure de satisfaire la demande que présentait le marché pour ce genre d’activités et lorsque l’exercice effectif de ces activités par des sociétés privées était rendu impossible par le maintien en vigueur d’une disposition légale interdisant ces activités sous peine de nullité des contrats correspondants (arrêt Höfner et Elser, précité, points 30, 31 et 34).

99

Dans cet arrêt, la Cour a identifié une mesure étatique qui conduisait l’office public à un comportement abusif, au sens de l’article 86, second alinéa, sous b), du traité CE [devenu article 82, second alinéa, sous b), CE], en ce que l’activité de l’office public pouvait consister en une limitation de la prestation offerte au préjudice des demandeurs du service en cause.

100

Dans l’arrêt Job Centre, précité, la Cour a également constaté que la mesure nationale pouvait créer une situation dans laquelle la prestation était limitée, au sens de l’article 82, second alinéa, sous b), CE. En effet, selon la Cour, en interdisant, sous peine de sanctions pénales et administratives, toute activité de médiation et d’interposition entre demandes et offres d’emploi, lorsqu’elle n’est pas exercée par des bureaux publics de placement, un État membre crée une situation dans laquelle la prestation est limitée, au sens de l’article 82, second alinéa, sous b), CE, lorsque ces bureaux ne sont manifestement pas en mesure de satisfaire, pour tous genres d’activités, la demande que présente le marché du travail (arrêt Job Centre, précité, points 32 et 35).

101

L’arrêt Merci convenzionali porto di Genova, précité, vise une réglementation nationale en vertu de laquelle une entreprise bénéficiait d’un droit exclusif pour les opérations portuaires, notamment d’embarquement, de débarquement et de mouvement en général des marchandises dans le port.

102

Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’un État membre enfreignait l’article 86, paragraphe 1, CE lorsqu’il créait une situation où l’entreprise investie de droits exclusifs était, de ce fait, amenée soit à exiger le paiement de services non demandés, soit à facturer des prix disproportionnés, soit à refuser de recourir à la technologie moderne, soit à octroyer des réductions de prix à certains utilisateurs avec compensation concomitante de ces réductions par une augmentation des prix facturés à d’autres utilisateurs (points 19 et 20). Or, à cet égard, la Cour s’est référée explicitement à l’article 86, second alinéa, sous a) à c), du traité CE [devenu article 82, second alinéa, sous a) à c), CE].

103

Il ressort de ces arrêts, rappelés aux points 96 à 102 ci-dessus, que l’abus de position dominante de l’entreprise jouissant d’un droit exclusif ou spécial peut soit résulter de la possibilité d’exercer ce droit de manière abusive, soit être une conséquence directe de ce droit. Toutefois, il ne ressort pas de cette jurisprudence que le seul fait que l’entreprise en cause se trouve dans une situation avantageuse par rapport à ses concurrentes, en raison d’une mesure étatique, constitue en soi un abus de position dominante.

104

En s’appuyant notamment sur les arrêts France/Commission, GB-Inno-BM et Connect Austria, précités, la Commission fait toutefois valoir qu’elle a fondé sa conclusion constatant l’infraction aux dispositions combinées de l’article 86, paragraphe 1, CE et de l’article 82 CE plus précisément sur la jurisprudence selon laquelle un système de concurrence non faussée tel que celui prévu par le traité ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. Si l’inégalité des chances entre les opérateurs économiques, et donc la concurrence faussée, est le fait d’une mesure étatique, une telle mesure constitue une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE.

105

Or, il ne découle pas de ces arrêts que, pour considérer qu’une infraction à l’article 86, paragraphe 1, CE appliqué en combinaison avec l’article 82 CE a été commise, il suffit d’établir qu’une mesure étatique fausse la concurrence en créant une inégalité des chances entre les opérateurs économiques, sans qu’il soit nécessaire d’identifier un abus de la position dominante de l’entreprise.

106

En effet, dans l’arrêt GB-Inno-BM, précité, la Régie des télégraphes et des téléphones (RTT) détenait, en vertu de la loi belge, le monopole de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications et cumulait également, en vertu de la loi, les pouvoirs d’autoriser ou de refuser le raccordement des appareils téléphoniques au réseau, de préciser les normes techniques qui devaient être satisfaites par ces équipements et de vérifier si les appareils non produits par elle étaient conformes aux spécifications qu’elle avait adoptées. La Cour a tout d’abord constaté que le fait, pour une entreprise qui détenait un monopole sur le marché de l’établissement et l’exploitation du réseau, de se réserver, sans nécessité objective, un marché voisin, mais distinct, en l’occurrence celui de l’importation, de la commercialisation, du raccordement, de la mise en service et de l’entretien des appareils destinés à être reliés à ce réseau, en éliminant ainsi toute concurrence de la part d’autres entreprises, constituait une violation de l’article 82 CE (arrêt GB-Inno-BM, précité, points 15 et 19).

107

Ensuite, après avoir rappelé que l’article 82 CE ne visait que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative et non des mesures étatiques, la Cour a considéré que, si l’extension de la position dominante de l’entreprise publique ou de l’entreprise à laquelle l’État a octroyé des droits spéciaux ou exclusifs était le fait d’une mesure étatique, une telle mesure constituait une violation de l’article 90 du traité CE (devenu article 86 CE) en liaison avec l’article 82 CE. En effet, selon la Cour, l’article 86 CE interdit aux États membres de mettre, par des mesures législatives, réglementaires ou administratives, ces entreprises dans une situation dans laquelle ces entreprises ne pourraient pas se placer elles-mêmes par des comportements autonomes sans violer les dispositions de l’article 82 CE (point 20).

108

Lors de l’audience du 2 février 2012, la Commission a soutenu que, dans ledit arrêt, la Cour a jugé, au point 24 de celui-ci, en réponse à un argument de la RTT, qu’il n’était pas nécessaire de constater un comportement abusif de l’entreprise.

109

Toutefois, la Cour a bien pris le soin d’indiquer que confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d’agréer ces appareils revenait à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels étaient les appareils terminaux susceptibles d’être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents (point 25). C’est l’extension du monopole de l’établissement et de l’exploitation du réseau téléphonique au marché des appareils téléphoniques, sans justification objective, que la Cour a considéré prohibée comme telle par l’article 86, paragraphe 1, CE en relation à l’article 82 CE, lorsque cette extension était le fait d’une mesure étatique (arrêt GB-Inno-BM, précité, points 23 à 25).

110

Dans l’arrêt Connect Austria, précité, une entreprise publique, qui jouissait d’un droit exclusif d’exploiter le réseau de télécommunications mobiles analogiques, avait reçu l’attribution à titre gratuit de fréquences DCS 1800, ce qui lui permettait d’être le seul opérateur pouvant offrir la gamme complète des services de télécommunications mobiles techniquement disponibles, alors qu’un de ses concurrents, Connect Austria, s’était vu attribuer une licence pour la prestation de services de télécommunications mobiles sur la bande de fréquences DCS 1800 moyennant une redevance (points 43 à 45).

111

La Cour a constaté qu’une réglementation nationale qui permettait d’attribuer, sans imposer une redevance distincte, des fréquences supplémentaires dans la bande de fréquences réservée à la norme DCS 1800 à une entreprise publique en position dominante, alors que le nouvel entrant sur le marché en cause avait dû verser une redevance pour sa licence DCS 1800, était susceptible d’amener l’entreprise publique en position dominante à violer les dispositions de l’article 82 CE, en étendant ou en renforçant sa position dominante. Étant donné que, dans ce cas, la concurrence faussée serait le fait d’une mesure étatique créant une situation dans laquelle l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques concernés ne serait pas assurée, celle-ci était susceptible de constituer une violation de l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE (arrêt Connect Austria, précité, point 87). À cet égard, la Cour a précisé que l’entreprise publique pourrait se trouver dans une situation où elle serait notamment amenée à offrir des tarifs réduits, en particulier aux abonnés potentiels du système DCS 1800, et à mener des campagnes de publicité intensives dans des conditions telles que Connect Austria aurait des difficultés à la concurrencer (point 86). Ainsi, la Cour a également pris en considération le comportement de l’entreprise publique sur le marché.

112

De même, dans l’arrêt France/Commission, précité (point 51), la Cour, après avoir relevé qu’un système de concurrence non faussée, tel que celui prévu par le traité, ne pouvait être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques était assurée, a observé que confier à une entreprise qui commercialisait des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d’agréer ces appareils revenait à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels étaient les appareils terminaux susceptibles d’être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents.

113

Ainsi, s’il est exact que la Cour a utilisé les formulations rappelées au point 104 ci-dessus, invoquées par la Commission, celle-ci ne saurait s’appuyer uniquement sur ces formulations tirées isolément des arrêts sans prendre en considération leur contexte.

114

À l’audience du 2 février 2012, la Commission a également invoqué l’arrêt de la Cour du 25 juin 1998, Dusseldorp e.a. (C-203/96, Rec. p. I-4075), pour soutenir sa thèse.

115

Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les autorités néerlandaises avaient désigné la société AVR Chemie CV comme le seul opérateur final pour l’incinération des déchets dangereux dans un four rotatif à haute performance. La société Chemische Afvalstoffen Dusseldorp BV s’était vu refuser l’autorisation d’exporter en Allemagne ses filtres à huile, soit des déchets dangereux, au motif que, conformément aux dispositions nationales, le traitement de ces déchets était assuré par AVR Chemie. La Cour a constaté que le fait d’interdire à Chemische Afvalstoffen Dusseldorp d’exporter ses filtres à huile revenait, en pratique, à lui imposer une obligation de confier ses déchets destinés à être valorisés à l’entreprise nationale, détentrice du droit exclusif d’incinérer les déchets dangereux, alors même que la qualité du traitement offert dans un autre État membre était comparable à celle de l’entreprise nationale.

116

La Cour a jugé qu’une telle obligation, qui avait pour effet de favoriser l’entreprise nationale en lui permettant de traiter des déchets qui étaient destinés à être traités par une entreprise tierce, avait pour conséquence de limiter les débouchés de manière contraire à l’article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE (arrêt Dusseldorp e.a., précité, point 63).

117

Il est vrai que, comme le souligne la Commission, la limitation des débouchés constatée dans cette affaire dérivait de l’octroi par la loi néerlandaise d’un droit exclusif de traitement des déchets dangereux au profit de l’entreprise AVR Chemie, ce qui empêchait toute autre voie assurant le traitement du produit en cause, et non de la manière dont cette entreprise exerçait ce droit exclusif. Il n’en reste pas moins que la Cour a identifié l’abus auquel la loi néerlandaise amenait l’entreprise en situation de position dominante, à savoir la limitation des débouchés au préjudice des consommateurs au sens de l’article 82, deuxième phrase, sous b), CE. Par ailleurs, il y a lieu de relever que, dans cet arrêt, la Cour a indiqué qu’elle fondait son raisonnement sur la jurisprudence selon laquelle un État membre enfreint les interdictions édictées par l’article 86 CE, lu en combinaison avec l’article 82 CE, s’il prend une mesure qui conduit une entreprise à laquelle il a conféré des droits exclusifs à abuser de sa position dominante (point 61).

118

Il n’apparaît donc pas que la jurisprudence invoquée par la Commission permette d’ignorer la jurisprudence citée au point 94 ci-dessus et de se fonder uniquement sur la question de savoir si l’inégalité des chances entre les opérateurs économiques, la concurrence étant alors faussée, est le fait d’une mesure étatique. Ainsi, la Commission ne saurait soutenir qu’elle n’était pas tenue d’identifier et d’établir l’abus de la position dominante auquel la mesure étatique en cause a amené ou pouvait amener la requérante. Or, comme il a été constaté aux points 87 à 93 ci-dessus, une démonstration à cet égard fait défaut dans la décision attaquée.

119

Il s’ensuit que le grief mentionné au point 84 ci-dessus, soulevé par la requérante dans le cadre des deuxième et quatrième branches du premier moyen, est fondé. La décision attaquée doit, par conséquent, être annulée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs, branches et moyens présentés.

Sur les dépens

120

Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante.

121

En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la République hellénique supportera ses propres dépens. En outre, en application de l’article 87, paragraphe 4, dernier alinéa, de ce même règlement de procédure, il y a lieu de condamner les entreprises intervenantes à supporter leurs propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

La décision C (2008) 824 final de la Commission, du 5 mars 2008, concernant l’octroi ou le maintien par la République hellénique de droits en faveur de la Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) pour l’extraction de lignite est annulée.

 

2)

La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la DEI.

 

3)

La République hellénique, Elliniki Energeia kai Anaptyxi AE (HE & DSA) et Energeiaki Thessalonikis AE supporteront leurs propres dépens.

 

Kanninen

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2012.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le grec.