ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)
5 mars 2009 (*)
«Pourvoi – Article 119 du règlement de procédure – Conditions de recevabilité d’un recours en annulation – Intérêt à agir – Appel à propositions concernant le financement d’actions innovatrices au titre du Fonds social européen – Décision de rejet – Existence, dans le chef du requérant, d’un bénéfice résultant d’une annulation éventuelle de l’acte attaqué»
Dans l’affaire C‑183/08 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 28 avril 2008,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. D. Martin et L. Flynn, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Provincia di Imperia, représentée par Me K. Platteau, advocaat, et Me S. Rostagno, avocat,
partie requérante en première instance,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász et J. Malenovský (rapporteur), juges,
avocat général: Mme V. Trstenjak,
greffier : M. R. Grass,
l’avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 14 février 2008, Provincia di Imperia/Commission (T‑351/05, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), en tant que, par cet arrêt, le Tribunal a déclaré recevable le recours introduit par la Provincia di Imperia, tendant à l’annulation de la décision de la Commission refusant de lui octroyer une subvention au titre du Fonds social européen (ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
2 Le règlement (CE) nº 1784/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 1999, relatif au Fonds social européen (JO L 213, p. 5), a pour objet de soutenir les mesures de prévention du chômage et de lutte contre celui-ci ainsi que les mesures de développement des ressources humaines et d’intégration sociale au marché du travail afin de promouvoir un niveau élevé d’emploi, l’égalité entre les hommes et les femmes, un développement durable et la cohésion économique et sociale. L’article 6 dudit règlement habilite la Commission à financer des actions de préparation, de suivi et d’évaluation nécessaires à la réalisation des actions qu’il vise.
3 Le 12 janvier 2001, la Commission a adopté une communication sur la mise en œuvre des actions innovatrices au titre de l’article 6 du règlement relatif au Fonds social européen pour la période de programmation 2000-2006 [COM (2000) 894 final].
4 Au point 43 de cette communication, il est indiqué que, «[a]fin de garantir la transparence de l’aide accordée au travers des actions innovatrices, la Commission aura recours à des appels à propositions ouverts qui seront publiés au Journal officiel et sur le site web Europa. L’éligibilité des projets éventuels sera déterminée par le champ d’application et le thème de l’appel à propositions publié».
5 Sur cette base, a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 31 octobre 2003 (JO C 262, p. 22) un «appel à propositions» portant la référence VP/2003/021 et intitulé «Ligne budgétaire B2-1630 – Actions innovatrices au titre de l’article 6 du règlement relatif au Fonds social européen: ‘Approches novatrices en matière de gestion du changement’».
6 Sous l’intitulé «Thème retenu», il est indiqué, dans cet appel à propositions, que, «pour la période allant de 2004 à 2006, l’article 6 [du règlement n° 1784/1999] accordera un soutien financier à l’élaboration et à la mise à l’essai d’actions novatrices visant à anticiper et à gérer les changements, s’inscrivant dans le thème général des ‘Approches novatrices en matière de gestion du changement’».
7 Sous l’intitulé «Calendrier», il est indiqué ce qui suit:
«Dans le cadre du présent appel à propositions, trois échéances ont été fixées pour l’introduction des candidatures:
– […]
– L’échéance du deuxième cycle de candidatures est le 26 janvier 2005 […]
– L’échéance du troisième cycle de candidatures est le 25 janvier 2006 […]»
Les faits à l’origine du litige
8 Il ressort du point 16 de l’arrêt attaqué que, «[l]e 21 janvier 2005, la Provincia di Imperia a adressé à la Commission, dans le cadre du deuxième cycle de candidatures, une demande de subvention […] intitulée ‘Flores’, visant à intervenir dans le secteur floricole en Italie, en France et en Espagne, pour lutter contre les effets négatifs des processus de restructuration et pour promouvoir le développement».
9 Par courrier électronique daté du 29 juin 2005, confirmé par une lettre en date du 30 juin 2005, la Commission a informé la Provincia di Imperia de sa décision de rejeter la demande de subvention. La lettre du 30 juin 2005 énonçait:
«[…] au terme de la procédure de sélection relative à l’appel à propositions [VP/2003/021], je suis au regret de vous informer que la décision a été prise de ne pas retenir votre proposition pour un cofinancement communautaire. […]»
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 septembre 2005, la Provincia di Imperia a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
11 Le Tribunal a considéré que, pour apprécier l’intérêt à agir de la Provincia di Imperia, il convenait de rechercher le bénéfice qu’elle pourrait éventuellement tirer d’une annulation de la décision litigieuse.
12 Le point 33 de l’arrêt attaqué dispose à cet égard:
«[…] bien que l’annulation de [la décision litigieuse] ne puisse en aucun cas conduire à la situation dans laquelle la [Provincia di Imperia] aurait droit à ce que la Commission lui accorde une subvention au titre de sa demande d’un concours financier du Fonds social européen faite dans le cadre du deuxième cycle de candidatures, il n’en demeure pas moins qu’une telle annulation donnerait à la [Provincia di Imperia] une chance supplémentaire de pouvoir bénéficier d’une telle subvention. En effet, dans l’hypothèse d’une annulation, la Commission serait tenue de prendre à nouveau en considération la proposition de la [Provincia di Imperia], telle que présentée le 21 janvier 2005, en tenant compte de l’appréciation effectuée par le Tribunal. Ainsi, la [Provincia di Imperia] n’aurait pas à apporter de modifications à sa proposition, ni à la mettre à jour, ce qui ne serait pas le cas si elle devait présenter à nouveau sa candidature dans le cadre du troisième cycle de candidatures.»
13 Le Tribunal en a alors déduit, au point 34 de l’arrêt attaqué, que la Provincia di Imperia disposait d’un intérêt à agir de sorte que le recours devait être déclaré recevable. Il a par ailleurs rejeté ce recours comme non fondé.
Les conclusions des parties
14 Dans son pourvoi, la Commission demande à ce qu’il plaise à la Cour:
– annuler l’arrêt attaqué;
– déclarer irrecevable le recours introduit par la Provincia di Imperia devant le Tribunal, et
– condamner la Provincia di Imperia aux dépens de la Commission dans la présente affaire.
15 Par courrier enregistré au greffe de la Cour le 3 octobre 2008, la Provincia di Imperia a indiqué qu’elle n’entendait pas déposer de mémoire en réponse et qu’elle s’en remettait à la Cour quant à la liquidation des dépens.
Sur le pourvoi
16 En vertu de l’article 119 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, rejeter le pourvoi par voie d’ordonnance motivée.
17 Devant la Cour, la Commission conteste l’arrêt attaqué en tant que celui-ci a déclaré recevable le recours introduit par la Provincia di Imperia. À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque un moyen unique tiré de l’absence d’intérêt à agir de la Provincia di Imperia, divisé en trois branches. Par la première branche de ce moyen, la Commission soutient que la requérante en première instance était dépourvue d’intérêt à agir car elle n’avait aucun droit à obtenir la subvention sollicitée. Par la deuxième branche de son moyen, la Commission avance que, le Tribunal ayant recherché l’intérêt à agir de la requérante en première instance au regard du bénéfice que cette dernière pouvait tirer d’une annulation de la décision litigieuse, la Provincia di Imperia n’aurait eu qu’une chance tout à fait hypothétique d’être recommandée pour l’octroi d’une subvention, ce qui ne constitue pas un bénéfice au sens de la jurisprudence communautaire. Enfin, par la troisième branche de son moyen, la Commission soutient que, en tout état de cause, l’intérêt à agir de la Provincia di Imperia avait disparu au jour du prononcé de l’arrêt attaqué, puisque la procédure d’octroi des subventions était alors close.
Sur la première branche du moyen unique
18 La Commission soutient que l’octroi d’une subvention est une libéralité et qu’un soumissionnaire répondant à un appel à propositions n’a aucun droit à obtenir une telle subvention. Elle en déduit qu’un arrêt d’annulation n’était, en l’espèce, pas susceptible, par lui-même, d’avoir des conséquences juridiques.
19 Selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’un requérant, au vu de l’objet du recours, suppose que ledit recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 21, ainsi que, par analogie, arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C-19/93 P, Rec. p. I-3319, point 13; du 13 juillet 2000, Parlement/Richard, C-174/99 P, Rec. p. I-6189, point 33, et du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C-362/05 P, Rec. p. I-4333, point 42).
20 En l’espèce, s’il est constant, en effet, que la Provincia di Imperia n’avait aucun droit à obtenir la subvention sollicitée, il demeure néanmoins qu’elle avait un intérêt à ce qu’un tel avantage lui soit octroyé et, par suite, un intérêt à contester le refus qui lui a été opposé. Le recours intenté par elle devant le Tribunal était donc susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice au sens de la jurisprudence susmentionnée.
21 Il s’ensuit que la première branche du moyen unique doit être écartée comme manifestement non fondée.
Sur la deuxième branche du moyen unique
Argumentation de la Commission
22 La Commission soutient que, en première instance, l’annulation de la décision litigieuse n’aurait pas eu pour effet de procurer un «bénéfice» à la Provincia di Imperia, l’intérêt à agir s’appréciant au regard du bénéfice que le requérant peut escompter du recours qu’il a formé. En effet, une telle annulation n’aurait pas permis, par elle-même, de garantir l’octroi de la subvention sollicitée.
23 La Commission expose, en substance, que la décision litigieuse s’inscrit dans le cadre d’un processus complexe de sélection des propositions, qui comprend plusieurs phases successives. Or, même si elle avait été favorable, la décision litigieuse, qui n’avait pas pour objet de statuer définitivement sur la proposition de la Provincia di Imperia, n’aurait, en tout état de cause, pas eu pour effet de clore ladite procédure de sélection et d’attribuer la subvention sollicitée. Dès lors, un éventuel arrêt d’annulation aurait eu pour seule conséquence que la Provincia di Imperia aurait eu «une chance tout à fait hypothétique» d’obtenir, au terme de la procédure de sélection, la subvention sollicitée. Or, selon la Commission, une «chance tout à fait hypothétique» ne constitue pas un «bénéfice» au sens de la jurisprudence de la Cour sur l’intérêt à agir.
Appréciation de la Cour
24 Il ressort des termes mêmes de la décision litigieuse que celle-ci a pour effet de mettre un terme, dans le cadre du deuxième cycle de candidatures et en ce qui concerne la proposition de la Provincia di Imperia, à la procédure de sélection. Si, ainsi que cela ressort de la décision litigieuse, la Provincia di Imperia conserve la possibilité de présenter une nouvelle proposition, dans le cadre du troisième cycle de candidatures, il est constant que sa proposition est définitivement rejetée s’agissant du deuxième cycle de candidatures.
25 En outre, la circonstance qu’une éventuelle décision favorable n’aurait constitué qu’une décision préparatoire, dont l’objet aurait été seulement de permettre à la Provincia di Imperia d’accéder à une étape ultérieure du processus de sélection, est sans incidence sur le caractère définitif de la décision litigieuse.
26 Ainsi, à la date d’introduction de son recours devant le Tribunal, la Provincia di Imperia avait un intérêt à agir, né et actuel, à l’encontre d’une telle décision négative, dans la mesure où, si celle-ci avait été annulée, elle aurait été admise à participer à la suite de la procédure de sélection. Cette circonstance, à elle seule, était suffisante pour procurer à la Provincia di Imperia un «bénéfice» au sens de la jurisprudence précitée.
27 La deuxième branche du moyen unique doit, par suite, être écartée comme manifestement non fondée.
Sur la troisième branche du moyen unique
Argumentation de la Commission
28 La Commission soutient que, à supposer même qu’il soit reconnu que, en l’espèce, la Provincia di Imperia disposait d’un intérêt à agir, au jour de l’introduction du recours devant le Tribunal, contre la décision litigieuse, il n’en demeure pas moins que cet intérêt avait disparu au jour du prononcé de l’arrêt attaqué.
29 Ainsi, dans l’hypothèse d’un arrêt d’annulation, la Commission n’aurait pas été en mesure de prendre de nouveau en considération la proposition de la Provincia di Imperia dans le cadre du «deuxième cycle de candidatures». En effet, à la date du prononcé de l’arrêt attaqué, l’entièreté du budget fixé pour l’appel à propositions était épuisée et la programmation était terminée. Par ailleurs, la Commission estime que, en raison d’une modification de la base juridique des appels à propositions tels que ceux en cause en l’espèce, elle n’aurait de toute façon pas été en mesure d’exécuter un arrêt prononçant l’annulation de la décision litigieuse, de sorte qu’un tel arrêt ne pouvait plus, par lui-même, procurer un bénéfice à la Provincia di Imperia.
Appréciation de la Cour
30 Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’intérêt à agir d’un requérant au vu de l’objet du recours s’apprécie, sous peine d’irrecevabilité, au jour où ledit recours est formé. En outre, cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer (voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 décembre 1963, Forges de Clabecq/Haute Autorité, 14/63, Rec. p. 719, 748, et Wunenburger/Commission, précité, point 42). Par ailleurs, même dans l’hypothèse où, en raison des circonstances, la mise en œuvre de l’obligation incombant à l’institution dont émane l’acte annulé de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal devait s’avérer impossible, le recours en annulation conserverait à tout le moins un intérêt en tant que base d’un recours éventuel en responsabilité (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1980, Könecke Fleischwarenfabrik/Commission, 76/79, Rec. p. 665, points 8 et 9, ainsi que du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 74).
31 Il s’ensuit que la Commission ne saurait utilement faire valoir qu’elle n’aurait pas été en mesure d’exécuter un arrêt prononçant l’annulation de la décision litigieuse, afin de démontrer que celui-ci n’était pas susceptible, à la date d’introduction du recours devant le Tribunal, de procurer par lui-même un bénéfice à la Provincia di Imperia. La circonstance, à la supposer établie, que, au cours de la première instance, le litige ait perdu son objet, aurait pu, le cas échéant, conduire le juge de l’annulation à prononcer, quant au fond, un non-lieu à statuer, mais demeure, en tout état de cause, sans incidence sur la recevabilité du recours, telle qu’appréciée à la date de son introduction.
32 Il résulte de ce qui précède que la troisième branche du moyen unique doit être écartée comme manifestement non fondée.
33 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter le pourvoi, dans son intégralité, comme manifestement non fondé.
Sur les dépens
34 En application de l’article 69 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, la Commission supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne:
1) Le pourvoi est rejeté comme manifestement non fondé.
2) La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure: le français.