Affaire C-499/08

Ingeniørforeningen i Danmark, agissant pour Ole Andersen

contre

Region Syddanmark

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Vestre Landsret)

«Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Interdiction des discriminations fondées sur l’âge — Non-paiement d’indemnités de licenciement aux travailleurs éligibles au bénéfice d’une pension de vieillesse»

Sommaire de l'arrêt

Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78 — Interdiction de discrimination fondée sur l'âge

(Directive du Conseil 2000/78, art. 2 et 6, § 1)

Les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les travailleurs éligibles au bénéfice d’une pension de vieillesse versée par leur employeur au titre d’un régime de pension auquel ils ont adhéré avant l’âge de 50 ans ne peuvent, en raison de ce seul fait, bénéficier d’une indemnité spéciale de licenciement destinée à favoriser la réinsertion professionnelle des travailleurs ayant une ancienneté supérieure à douze ans dans l’entreprise.

En effet, cette exclusion repose sur l’idée selon laquelle les salariés quittent le marché du travail dès lors qu’ils sont éligibles à une pension de vieillesse versée par leur employeur et ont adhéré à ce régime de pension avant l’âge de 50 ans. En raison de cette appréciation liée à l’âge, un travailleur qui, bien que remplissant les conditions d’éligibilité au bénéfice d’une pension versée par son employeur, souhaite y renoncer temporairement afin de poursuivre sa carrière professionnelle ne pourra percevoir l’indemnité spéciale de licenciement, pourtant destinée à le protéger. Ainsi, dans le but légitime d’éviter que cette indemnité ne bénéficie à des personnes qui ne cherchent pas un nouvel emploi mais vont percevoir un revenu de substitution prenant la forme d’une pension de vieillesse issue d’un régime professionnel, la mesure en cause aboutit à priver de ladite indemnité des travailleurs licenciés qui veulent rester sur le marché du travail, au seul motif qu’ils pourraient, en raison notamment de leur âge, disposer d’une telle pension.

Par ailleurs, la mesure en cause interdit à toute une catégorie de travailleurs définie selon le critère de l’âge de renoncer temporairement au versement d’une pension de vieillesse par leur employeur en contrepartie de l’octroi de l’indemnité spéciale de licenciement, destinée à les aider à retrouver un emploi. Cette mesure peut ainsi obliger ces travailleurs à accepter une pension de vieillesse d’un montant réduit par rapport à celui auquel ils pourraient prétendre en demeurant actifs jusqu’à un âge plus avancé, entraînant pour eux une perte de revenus significative à long terme.

(cf. points 44, 46, 49 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

12 octobre 2010 (*)

«Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction des discriminations fondées sur l’âge – Non-paiement d’indemnités de licenciement aux travailleurs éligibles au bénéfice d’une pension de vieillesse»

Dans l’affaire C‑499/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Vestre Landsret (Danemark), par décision du 14 novembre 2008, parvenue à la Cour le 19 novembre 2008, dans la procédure

Ingeniørforeningen i Danmark, agissant pour Ole Andersen,

contre

Region Syddanmark,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et A. Arabadjiev, présidents de chambre, MM. G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský, L. Bay Larsen, Mme P. Lindh (rapporteur) et M. T. von Danwitz, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 février 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour l’Ingeniørforeningen i Danmark, agissant pour M. Andersen, par MK. Schioldann, advokat,

–        pour la Region Syddanmark, par Me M. Ulrich, advokat,

–        pour le gouvernement danois, par M. J. Bering Liisberg et Mme B. Weis Fogh, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. G. Iván, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. M. Wissels et M. de Mol, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. N. B. Rasmussen, J. Enegren et S. Schønberg, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Ingeniørforeningen i Danmark à la Region Syddanmark au sujet du licenciement de M. Andersen.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Le vingt-cinquième considérant de la directive 2000/78 énonce:

«L’interdiction des discriminations liées à l’âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l’emploi et encourager la diversité dans l’emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l’âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des États membres. Il est donc essentiel de distinguer entre les différences de traitement qui sont justifiées, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et les discriminations qui doivent être interdites.»

4        Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».

5        L’article 2 de la directive 2000/78, intitulé «Concept de discrimination», prévoit:

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1:

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

b)      une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:

i)      cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que

ii)      dans le cas des personnes d’un handicap donné, l’employeur ou toute personne ou organisation auquel s’applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées conformément aux principes prévus à l’article 5 afin d’éliminer les désavantages qu’entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique.

[...]»

6        L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/78, intitulé «Champ d’application», est rédigé comme suit:

«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

a)       les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion;

b)       l’accès à tous les types et à tous les niveaux d’orientation professionnelle, de formation professionnelle, de perfectionnement et de formation de reconversion, y compris l’acquisition d’une expérience pratique;

c)       les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

d)       l’affiliation à, et l’engagement dans, une organisation de travailleurs ou d’employeurs, ou toute organisation dont les membres exercent une profession donnée, y compris les avantages procurés par ce type d’organisations.»

7        Aux termes de l’article 6 de la directive 2000/78, intitulé «Justification des différences de traitement fondées sur l’âge»:

«1.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)      la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

b)      la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

c)      la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.

2.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d’âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l’utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d’âge dans les calculs actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.»

 La réglementation nationale

8        La loi relative aux employés [lov om retsforholdet mellem arbejdsgivere og funktionærer (funktionærloven)] contient à son article 2a les dispositions suivantes relatives à l’indemnité spéciale de licenciement:

«1.      En cas de licenciement d’un employé qui a été au service de la même entreprise pendant une durée ininterrompue de 12, 15 ou 18 ans, l’employeur acquitte, lors du départ de l’employé, un montant correspondant respectivement à un, deux ou trois mois de salaire.

2.      Les dispositions du paragraphe 1 ne sont pas applicables si l’employé va toucher, au moment du départ, la pension de retraite du régime général.

3.      Si l’employé va toucher, au moment du départ, une pension de vieillesse versée par l’employeur et si l’employé a adhéré au régime de retraite en question avant d’avoir atteint l’âge de 50 ans, l’indemnité de licenciement n’est pas versée.

[…]»

9        La juridiction de renvoi précise que, selon une jurisprudence nationale constante, le droit à l’indemnité spéciale de licenciement s’éteint dès lors qu’un régime privé de retraite auquel l’employeur a contribué permet le versement d’une pension de vieillesse au moment du départ, et ce quand bien même l’employé ne souhaite pas exercer ce droit à la retraite. Il en est ainsi même si le montant de la pension est minoré compte tenu de l’avancement de la date de départ à la retraite.

10      La directive 2000/78 a été transposée en droit national par la loi n° 1417, du 22 décembre 2004, modifiant la loi relative au principe de non-discrimination sur le marché du travail (lov om ændring af lov om forbud mod forskelsbehandling på arbejdsmarkedet m. v.).

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      M. Andersen a été recruté le 1er janvier 1979 par le Sønderjyllands Amtsråd, devenu la Region Syddanmark (région du Danemark du Sud).

12      Le 22 janvier 2006, la Region Syddanmark a notifié à M. Andersen sa décision de le licencier au terme d’un préavis dont l’échéance était fixée à la fin du mois d’août 2006. Ce licenciement a été reconnu, à l’issue d’une procédure arbitrale, comme abusif.

13      Au terme de sa relation de travail avec la Region Syddanmark, M. Andersen, alors âgé de 63 ans, a choisi non pas de faire valoir ses droits à la retraite mais de s’inscrire auprès des organismes compétents comme demandeur d’emploi.

14      Le 2 octobre 2006, M. Andersen a réclamé à son ancien employeur le paiement de l’indemnité spéciale de licenciement correspondant à trois mois de salaire, faisant valoir la circonstance qu’il avait accompli plus de 18 années de service.

15      Le 14 octobre 2006, la Region Syddanmark a rejeté cette demande sur le fondement de l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés, au motif que M. Andersen pouvait bénéficier d’une pension financée par son employeur.

16      L’Ingeniørforeningen i Danmark, syndicat agissant pour M. Andersen, a alors introduit un recours contre cette décision devant le Vestre Landsret. Selon la décision de renvoi, le requérant au principal soutient que l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés constitue une mesure discriminatoire à l’égard des travailleurs âgés de plus de 60 ans, incompatible avec les articles 2 et 6 de la directive 2000/78, ce que la Region Syddanmark conteste.

17      C’est dans ces conditions que le Vestre Landsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’interdiction des discriminations directes ou indirectes fondées sur l’âge, résultant des articles 2 et 6 de la directive 2000/78 [...], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre maintienne un régime juridique prévoyant que, en cas de licenciement d’un employé qui a été au service de la même entreprise pendant une durée ininterrompue de 12, 15 ou 18 ans, l’employeur acquitte, lors du départ de l’employé, une indemnité correspondant respectivement à un, deux ou trois mois de salaire, mais que cette indemnité n’est pas versée si l’employé a la possibilité, au moment du départ, de toucher une pension de vieillesse servie par un régime de retraite auquel l’employeur a contribué?»

 Sur la question préjudicielle

18      Afin de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de vérifier si la réglementation nationale en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2000/78 et, dans l’affirmative, si elle constitue une différence de traitement fondée sur l’âge, susceptible, le cas échéant, d’être considérée comme justifiée au regard de l’article 6 de ladite directive.

19      S’agissant, dans un premier temps, de la question de savoir si la réglementation en cause au principal entre dans le champ d’application de la directive 2000/78, il convient de souligner qu’il ressort, tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de cette directive, que celle-ci tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement «en matière d’emploi et de travail», en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure l’âge.

20      Plus particulièrement, il découle de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 que celle-ci s’applique, dans le cadre des compétences dévolues à l’Union, «à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics», en ce qui concerne, notamment, «les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération».

21      En excluant de manière générale du bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement toute une catégorie de travailleurs, l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés affecte ainsi les conditions de licenciement de ces travailleurs au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78. Cette dernière, dès lors, s’applique à une situation telle que celle qui a donné lieu au litige dont est saisie la juridiction de renvoi.

22      S’agissant, dans un deuxième temps, de la question de savoir si la réglementation en cause au principal contient une différence de traitement fondée sur l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, il y a lieu de rappeler que, aux termes de cette disposition, «on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur l’un des motifs visés à l’article 1er» de cette directive. L’article 2, paragraphe 2, sous a), de celle-ci précise que, pour les besoins de l’application de son paragraphe 1, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de la même directive.

23      En l’occurrence, l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés a pour effet de priver du droit à l’indemnité spéciale de licenciement certains travailleurs et ce au seul motif qu’ils peuvent bénéficier, à la date de leur licenciement, d’une pension de vieillesse versée par leur employeur en vertu d’un régime de retraite auquel ils ont adhéré avant d’avoir atteint l’âge de 50 ans. Or, il ressort du dossier que l’admission au bénéfice d’une pension de vieillesse est soumise à une condition d’âge minimal qui, dans le cas de M. Andersen, a été fixé par une convention collective à 60 ans. Cette disposition se fonde ainsi sur un critère qui est indissociablement lié à l’âge des salariés.

24      Il s’ensuit que la réglementation nationale en cause au principal contient une différence de traitement directement fondée sur le critère de l’âge au sens des dispositions combinées des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.

25      Il convient, dans un troisième temps, d’examiner si cette différence de traitement est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6 de la directive 2000/78.

26      À cet égard, l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 énonce qu’une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

27      Pour apprécier le caractère légitime de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause au principal, il y a lieu de relever, d’une part, que l’indemnité spéciale de licenciement a pour objet, comme l’indique la juridiction de renvoi en se référant à l’exposé des motifs du projet de loi relative aux employés, de faciliter la transition vers un nouvel emploi des travailleurs les plus âgés qui disposent d’une ancienneté importante auprès du même employeur. D’autre part, si le législateur a entendu restreindre le bénéfice de cette indemnité aux travailleurs qui, à la date de leur licenciement, n’ont pas été admis au bénéfice d’une pension de vieillesse, les travaux préparatoires de cette mesure législative, cités par la juridiction de renvoi, démontrent que cette limitation repose sur le constat selon lequel les personnes admises au bénéfice d’une pension de retraite décident, en règle générale, de quitter le marché du travail.

28      Dans ses observations écrites, le gouvernement danois a souligné que la limitation instaurée à l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés garantit, de manière simple et rationnelle, que les employeurs ne paient pas aux employés licenciés jouissant d’une grande ancienneté une double compensation qui ne servirait aucun objectif en matière de politique de l’emploi.

29      La finalité de protection des travailleurs disposant d’une importante ancienneté dans l’entreprise et d’aide à leur réinsertion professionnelle poursuivie par l’indemnité spéciale de licenciement relève de la catégorie des objectifs légitimes de politique de l’emploi et du marché du travail au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

30      Selon cette dernière disposition, ces objectifs sont susceptibles de justifier, à titre de dérogation au principe d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge, des différences de traitement liées, notamment, «à la mise en place de conditions spéciales […] d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour […] les travailleurs âgés […], en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection».

31      Par conséquent, des objectifs tels que ceux poursuivis par la réglementation nationale en cause au principal doivent, en principe, être considérés comme étant de nature à justifier «objectivement et raisonnablement», «dans le cadre du droit national», ainsi que le prévoit l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l’âge.

32      Encore faut-il vérifier, selon les termes mêmes de ladite disposition, si les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs sont «appropriés et nécessaires». Il y a lieu, en l’occurrence, d’examiner si l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés permet d’atteindre les objectifs de politique de l’emploi poursuivis par le législateur sans pour autant porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs qui se trouvent, du fait de cette disposition, privés de cette indemnité au motif qu’ils sont éligibles au bénéfice d’une pension de vieillesse à laquelle l’employeur a contribué (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa, C-411/05, Rec. p. I-8531, point 73).

33      À cet égard, il convient de souligner que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix des mesures susceptibles de réaliser leurs objectifs en matière de politique sociale et d’emploi (arrêts du 22 novembre 2005, Mangold, C‑144/04, Rec. p. I‑9981, point 63, et Palacios de la Villa, précité, point 68). Toutefois, cette marge d’appréciation ne saurait avoir pour effet de vider de sa substance la mise en œuvre du principe de non-discrimination fondée sur l’âge (arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England, C-388/07, Rec. p. I-1569, point 51).

34      Or, restreindre l’indemnité spéciale de licenciement aux seuls travailleurs qui ne vont pas, au moment de leur licenciement, bénéficier d’une pension de vieillesse à laquelle a contribué leur employeur n’apparaît pas déraisonnable au regard de la finalité poursuivie par le législateur, consistant à apporter une protection accrue aux travailleurs dont la transition vers un nouvel emploi s’avère délicate en raison de leur ancienneté dans l’entreprise. L’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés permet également de limiter les possibilités d’abus consistant, pour un travailleur, à bénéficier d’une indemnité destinée à le soutenir dans la recherche d’un nouvel emploi alors qu’il va partir à la retraite.

35      Dès lors, il convient de considérer qu’une disposition telle que l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés n’apparaît pas manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif légitime de politique de l’emploi poursuivi par le législateur.

36      Il convient encore de vérifier si cette mesure excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur.

37      À cet égard, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi ainsi que par les parties au principal et le gouvernement danois que le législateur, dans l’exercice de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique sociale et de l’emploi, a cherché à atteindre un équilibre entre des intérêts légitimes mais opposés.

38      Selon ces explications, le législateur a mis en balance la protection des travailleurs qui, en raison de leur ancienneté dans l’entreprise, sont généralement parmi les plus âgés, avec celle des travailleurs plus jeunes, lesquels ne peuvent prétendre au bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement. Les travaux préparatoires de la loi n° 1417, du 22 décembre 2004, par laquelle a été transposée la directive 2000/78, cités par la juridiction de renvoi, démontreraient, à cet égard, que le législateur a pris en considération le fait que l’indemnité spéciale de licenciement, en tant qu’instrument de protection renforcée d’une catégorie de travailleurs définie par rapport à leur ancienneté de service, constitue une forme de différence de traitement au détriment des travailleurs plus jeunes. Le gouvernement danois fait ainsi observer que la limitation du champ d’application de l’indemnité spéciale de licenciement prévue à l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés permet de ne pas étendre au-delà de ce qui est nécessaire une mesure de protection sociale qui n’a pas vocation à s’appliquer aux travailleurs les plus jeunes.

39      En outre, ledit gouvernement a exposé que la mesure en cause au principal cherche à mettre en balance la protection des travailleurs et les intérêts des employeurs. La mesure en cause au principal tendrait ainsi à garantir, conformément au principe de proportionnalité et à la nécessité de lutter contre les abus, que l’indemnité spéciale de licenciement ne soit versée qu’aux personnes auxquelles elle est destinée, c’est-à-dire celles qui entendent demeurer actives, mais qui, eu égard à leur âge, éprouvent généralement plus de difficultés à trouver un nouvel emploi. Cette mesure permettrait également d’éviter que les employeurs ne soient tenus d’octroyer l’indemnité spéciale de licenciement à des personnes auxquelles ils vont, par ailleurs, verser une pension de retraite à partir de leur licenciement.

40      Il ressort de ces éléments que l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés, dans la mesure où il exclut du bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement les travailleurs qui vont percevoir, au moment de leur licenciement, une pension de vieillesse de leur employeur, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il vise à concilier.

41      Ce constat ne permet toutefois pas de répondre de manière complète à la question posée par la juridiction de renvoi. Celle-ci a, en effet, précisé que cette disposition assimile aux personnes qui vont effectivement percevoir une pension de vieillesse de leur employeur celles qui sont éligibles au bénéfice d’une telle pension.

42      Certes, le législateur danois est intervenu en vue d’éviter qu’une telle exclusion ne porte une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs. Depuis 1996, l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés prévoit, en effet, que l’exclusion du bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement n’est pas applicable aux travailleurs qui ont adhéré au régime de pension de vieillesse de l’employeur après avoir atteint l’âge de 50 ans. Cette disposition permet donc d’accorder cette indemnité à des travailleurs qui, bien qu’admis au bénéfice d’une pension, ne disposent pas d’une affiliation suffisamment longue à leur régime professionnel pour pouvoir prétendre à une pension d’un montant pouvant leur assurer un revenu de substitution raisonnable.

43      Il demeure néanmoins que l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés a pour effet d’exclure du bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement tous les travailleurs qui sont éligibles, au moment de leur licenciement, à une pension de vieillesse de leur employeur et qui ont adhéré à ce régime de retraite avant l’âge de 50 ans. Il convient donc d’examiner si une telle exclusion ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

44      Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi et le gouvernement danois que cette exclusion repose sur l’idée selon laquelle, en règle générale, les salariés quittent le marché du travail dès lors qu’ils sont éligibles à une pension de vieillesse versée par leur employeur et ont adhéré à ce régime de pension avant l’âge de 50 ans. En raison de cette appréciation liée à l’âge, un travailleur qui, bien que remplissant les conditions d’éligibilité au bénéfice d’une pension versée par son employeur, souhaite y renoncer temporairement afin de poursuivre sa carrière professionnelle, ne pourra percevoir l’indemnité spéciale de licenciement, pourtant destinée à le protéger. Ainsi, dans le but légitime d’éviter que cette indemnité ne bénéficie à des personnes qui ne cherchent pas un nouvel emploi mais vont percevoir un revenu de substitution prenant la forme d’une pension de vieillesse issue d’un régime professionnel, la mesure en cause aboutit à priver de ladite indemnité des travailleurs licenciés qui veulent rester sur le marché du travail, au seul motif qu’ils pourraient, en raison notamment de leur âge, disposer d’une telle pension.

45      Cette mesure rend plus difficile pour les travailleurs qui peuvent bénéficier d’une pension de vieillesse l’exercice ultérieur de leur droit de travailler, car, se trouvant en situation de transition vers un nouvel emploi, ils ne bénéficient pas, contrairement à d’autres travailleurs ayant une ancienneté équivalente, de l’indemnité spéciale de licenciement.

46      Par ailleurs, la mesure en cause au principal interdit à toute une catégorie de travailleurs définie selon le critère de l’âge de renoncer temporairement au versement d’une pension de vieillesse par leur employeur en contrepartie de l’octroi de l’indemnité spéciale de licenciement, destinée à les aider à retrouver un emploi. Cette mesure peut ainsi obliger ces travailleurs à accepter une pension de vieillesse d’un montant réduit par rapport à celui auquel ils pourraient prétendre en demeurant actifs jusqu’à un âge plus avancé, entraînant pour eux une perte de revenus significative à long terme.

47      Il s’ensuit que, en ne permettant pas le versement de l’indemnité spéciale de licenciement à un travailleur qui, bien qu’éligible au bénéfice d’une pension de vieillesse versée par son employeur, entend néanmoins renoncer temporairement au bénéfice d’une telle pension en vue de poursuivre sa carrière professionnelle, l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés a pour effet de porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs se trouvant dans une telle situation et excède ainsi ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de politique sociale poursuivis par cette disposition.

48      Dès lors, la différence de traitement résultant de l’article 2a, paragraphe 3, de la loi relative aux employés ne saurait être justifiée au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

49      Il convient, par conséquent, de répondre à la question posée que les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les travailleurs éligibles au bénéfice d’une pension de vieillesse versée par leur employeur au titre d’un régime de pension auquel ils ont adhéré avant l’âge de 50 ans ne peuvent, en raison de ce seul fait, bénéficier d’une indemnité spéciale de licenciement destinée à favoriser la réinsertion professionnelle des travailleurs ayant une ancienneté supérieure à douze ans dans l’entreprise.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

Les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les travailleurs éligibles au bénéfice d’une pension de vieillesse versée par leur employeur au titre d’un régime de pension auquel ils ont adhéré avant l’âge de 50 ans ne peuvent, en raison de ce seul fait, bénéficier d’une indemnité spéciale de licenciement destinée à favoriser la réinsertion professionnelle des travailleurs ayant une ancienneté supérieure à douze ans dans l’entreprise.

Signatures


* Langue de procédure: le danois.