ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

15 octobre 2009 ( *1 )

«Environnement et protection des consommateurs — Classification, emballage et étiquetage du bromure de n-propyle en tant que substance dangereuse — Directive 2004/73/CE — Directive 67/548/CEE — Devoir de transposition»

Dans l’affaire C-425/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 17 septembre 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

Enviro Tech (Europe) Ltd

contre

État belge,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme C. Toader (rapporteur), président de la huitième chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, MM. C. W. A. Timmermans, K. Schiemann, P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 juin 2009,

considérant les observations présentées:

pour Enviro Tech (Europe) Ltd, par Mes C. Mereu et E. Cusas, avocats,

pour le gouvernement belge, par M. T. Materne, en qualité d’agent, assisté de Mes P. Legros, S. Rodrigues et J. Sohier, avocats,

pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk et M. A. Engman, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Oliver et Mme O. Beynet, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de la directive 2004/73/CE de la Commission, du 29 avril 2004, portant vingt-neuvième adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO L 152, p. 1), au regard de la directive 67/548/CEE du Conseil, du (JO 1967, 196, p. 1), telle que modifiée par la directive 2001/59/CE de la Commission, du (JO L 225, p. 1, ci-après la «directive 67/548»), et notamment de ses annexes V (titre A.9) et VI (point 4.2.3).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Enviro Tech (Europe) Ltd (ci-après «Enviro Tech»), société de droit anglais, à l’État belge et visant à l’annulation de la classification du bromure de n-propyle par l’annexe III de l’arrêté royal du 11 mars 2005 modifiant l’arrêté royal du réglementant la classification, l’emballage et l’étiquetage des préparations dangereuses en vue de leur mise sur le marché ou de leur emploi (Moniteur belge du , p. 30680, ci-après l’«arrêté royal du »), qui transpose les dispositions de la directive 2004/73.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

La directive 67/548

3

La directive 67/548 constitue, dans le domaine des produits chimiques, la première directive d’harmonisation posant les règles relatives à la commercialisation de certaines substances et de certaines préparations.

4

Cette première directive d’harmonisation a fait l’objet, préalablement aux modifications apportées par la directive 2001/59 à l’annexe VI de celle-ci, de modifications apportées, notamment, par la directive 92/32/CEE du Conseil, du 30 avril 1992 (JO L 154, p. 1), en ce qui concerne les dispositions principales en cause en l’espèce et par la directive 92/69/CEE de la Commission, du (JO L 383, p. 113), pour ce qui est des méthodes de détermination du point d’éclair prévues au titre A.9 de son annexe V.

5

L’article 2, paragraphe 2, de la directive 67/548, qualifie de «dangereuses», au sens de ladite directive, les substances et les préparations qui sont, notamment, «extrêmement inflammables», «facilement inflammables» et «inflammables» ou «toxiques pour la reproduction».

6

Conformément aux critères de classification d’une substance en tant que substance inflammable qui figurent aux points 2.2.3 à 2.2.5 de l’annexe VI de la directive 67/548, les liquides peuvent être classés comme suit:

«inflammables» si leur point d’éclair se situe entre 21 oC et 55 oC. Ces liquides seront alors étiquetés R10;

«facilement inflammables» si leur point d’éclair est inférieur à 21 oC. Ces liquides sont à étiqueter R11, ou

«extrêmement inflammables» lorsque leur point d’éclair est inférieur à 0 oC et que leur température d’ébullition (ou, dans le cas d’un intervalle de distillation, la température initiale d’ébullition) est au maximum de 35 oC. Ces liquides doivent être étiquetés R12.

7

Le titre A.9 de l’annexe V de la directive 67/548 fixe les méthodes de détermination des points d’éclair. À cette fin, il identifie deux méthodes, appelées de l’équilibre et du non-équilibre, en fonction desquelles sont choisis le matériel et les instruments de mesure, et les normes ISO correspondantes.

8

Ainsi, la méthode de l’équilibre renvoie aux normes ISO 1516, 3680, 1523 et 3679. À la méthode du non-équilibre correspond l’utilisation de certains appareils de mesure du point d’éclair, dont l’un est appelé appareil Pensky-Martens, qui renvoie à l’utilisation des normes suivantes: ISO 2719, EN 11, DIN 51758, ASTM D 93, BS 2000-34 et NF M07-019.

9

Concernant les substances toxiques pour la reproduction, le point 4.2.3 de l’annexe VI de la directive 67/548 les répartit en trois catégories:

catégorie 1: «substances connues pour altérer la fertilité dans l’espèce humaine» et «substances connues pour provoquer des effets toxiques sur le développement dans l’espèce humaine»;

catégorie 2: «substances devant être assimilées à des substances altérant la fertilité dans l’espèce humaine» et «substances devant être assimilées à des substances causant des effets toxiques sur le développement dans l’espèce humaine», et

catégorie 3: «substances préoccupantes pour la fertilité dans l’espèce humaine» et «substances préoccupantes pour l’homme en raison d’effets toxiques possibles sur le développement».

10

Le point 4.2.3.1 de l’annexe VI de la directive 67/548 dispose:

«En ce qui concerne la classification et l’étiquetage, et vu l’état actuel des connaissances, ces substances sont divisées en trois catégories.

[…]

Catégorie 2

Substances devant être assimilées à des substances altérant la fertilité dans l’espèce humaine

On dispose de suffisamment d’éléments pour justifier une forte présomption que l’exposition de l’homme à de telles substances peut altérer la fertilité. Cette présomption se fonde sur:

la mise en évidence nette, dans des études sur l’animal, d’une altération de la fertilité intervenant soit en l’absence d’effets toxiques, soit à des niveaux de doses proches des doses toxiques, mais qui n’est pas un effet non spécifique secondaire aux effets toxiques,

d’autres informations pertinentes.

[…]»

11

S’agissant des essais pouvant être réalisés afin de classer les substances chimiques, l’article 3 de la directive 67/548 dispose:

«1.   Les essais des produits chimiques réalisés dans le cadre de la présente directive sont en règle générale effectués conformément aux méthodes définies à l’annexe V. Les propriétés physico-chimiques des substances sont déterminées selon les méthodes prévues à l’annexe V partie A […]».

12

L’article 4, paragraphe 2, de la directive 67/548 dispose que les principes généraux de classification et d’étiquetage des substances et préparations sont appliqués selon les critères prévus à l’annexe VI, sauf prescriptions contraires relatives aux préparations dangereuses prévues dans des directives particulières.

13

Le point 1.6.1, sous b), de l’annexe VI de la directive 67/548 précise que les données requises pour la classification et l’étiquetage peuvent être obtenues notamment à partir de résultats d’essais antérieurs, d’informations tirées de travaux de référence ou d’expérience pratique. Elle précise aussi que, de façon plus générale, «il est possible de prendre également en compte […] les avis d’experts».

14

L’article 28 de la directive 67/548 a prévu l’adaptation de celle-ci au progrès technique, en disposant que «[l]es modifications nécessaires pour adapter les annexes au progrès technique sont arrêtées conformément à la procédure prévue à l’article 29».

15

La procédure prévue à l’article 29 de la directive 67/548 est la suivante:

«1.   La Commission est assistée par un comité composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.

2.   Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 148, paragraphe 2, du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote.

3.   La Commission arrête les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité.

Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre. Le Conseil statue à la majorité qualifiée.

a)

Sauf dans les cas visés au point b), si, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la saisine du Conseil, celui-ci n’a pas statué, les mesures proposées sont arrêtées par la Commission. Ce délai est de six semaines dans le cas visé à l’article 31, paragraphe 2.

b)

Dans les cas de mesures d’adaptation au progrès technique des annexes II, VI, VII et VIII, si, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la saisine du Conseil, celui-ci n’a pas statué, les mesures proposées sont arrêtées par la Commission, sauf dans le cas où le Conseil s’est prononcé à la majorité simple contre lesdites mesures».

La directive 2004/73

16

L’article 1er de la directive 2004/73 procède à de nombreuses modifications des annexes I et V de la directive 67/548.

17

En ce qui concerne l’étiquetage du bromure de n-propyle, l’annexe I, B, de cette directive impose de faire figurer les mentions R60, R11, R36/37/38, R48/20, R63, R67, S53, ou S45, dont la signification est la suivante: R60 (peut altérer la fertilité), R11 (facilement inflammable), R36/37/38 (irritant pour les yeux, les voies respiratoires et la peau), R48/20 (risque d’effets graves pour la santé en cas d’exposition prolongée par inhalation), R63 (risque possible pendant la grossesse d’effets néfastes pour l’enfant), R67 (l’inhalation de vapeurs peut provoquer somnolences et vertiges), S53 (éviter l’exposition — se procurer des instructions spéciales avant l’utilisation) et S45 [en cas d’accident ou de malaise, consulter immédiatement un médecin (si possible lui montrer l’étiquette)].

Le droit national

18

L’arrêté royal du 11 mars 2005 a transposé en droit belge la directive 2004/73.

19

Concernant l’étiquetage du bromure de n-propyle, cet arrêté a repris les prescriptions figurant à l’annexe I, B, de la directive 2004/73.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20

Enviro Tech fabrique des produits appelés Ensolv®, une famille de solvants brevetés à base de bromure de n-propyle, dont la formule est spécifiquement conçue pour le dégraissage par vaporisation d’appareils délicats.

21

Dans une affaire introduite le 23 décembre 2003 devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, enregistrée sous le numéro T-422/03, Enviro Tech et Enviro Tech International Inc. demandent l’annulation de deux lettres de la Commission en date du concernant la reclassification à venir du bromure de n-propyle.

22

Le 16 juillet 2004, ces mêmes requérantes ont introduit un recours en annulation devant le Tribunal, enregistré sous le numéro T-291/04, contre la directive 2004/73.

23

Dans ces deux affaires, qui ont été jointes, Enviro Tech sollicite également la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait des actes dont elle demande l’annulation. Par ailleurs, les recours intentés devant le Tribunal sont toujours pendants, en attente de la décision dans la présente affaire.

24

Enviro Tech a aussi agi au niveau national pour contester la classification, en tant que substance dangereuse, du bromure de n-propyle.

25

Ainsi, selon les actes du dossier, une procédure nationale est en cours devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Royaume-Uni). Cette procédure a également été suspendue dans l’attente d’une décision du Tribunal dans les affaires jointes T-422/03 et T-291/04.

26

En Belgique, le 6 septembre 2005, Enviro Tech a introduit devant le Conseil d’État une requête en annulation de la classification du bromure de n-propyle par l’annexe III de l’arrêté royal du .

27

Dans le cadre de cette action, le juge de renvoi s’interroge sur le fait de savoir si la directive 2004/73, qui qualifie le bromure de n-propyle de substance facilement inflammable et de substance toxique pour la reproduction, est conforme à la directive 67/548. En cas de réponse négative à cette question, le Conseil d’État demande à la Cour si le Royaume de Belgique aurait dû s’abstenir de transposer la classification du bromure de n-propyle telle qu’issue de la directive 2004/73 ou s’écarter de cette classification.

28

Le Conseil d’État, considérant que la protection juridictionnelle garantie par le droit communautaire comporte le droit pour les justiciables de contester, de façon incidente, la légalité de normes communautaires devant le juge national à l’occasion d’un procès dirigé contre la norme nationale de transposition, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1)

En tant qu’elle classifie le [bromure de n-propyle] comme substance facilement inflammable (R11) sur la base d’un seul test effectué à une température de –10 oC, la directive [2004/73] est-elle conforme à la [directive 67/548], plus particulièrement à son annexe V, point A.9, qui fixe les méthodes de détermination des points d’éclair?

En tant qu’elle classifie le [bromure de n-propyle] comme substance toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R60), d’une part, sans mise en évidence nette, dans des études appropriées sur un animal, d’effets toxiques observés pour justifier une forte présomption que l’exposition humaine à une telle substance peut entraîner des effets toxiques sur le développement et, d’autre part, sur la base de tests ne décelant des effets toxiques que chez les animaux soumis à une concentration de 250 PPM, soit onze fois le maximum et quarante fois la moyenne de la concentration de [bromure de n-propyle] à laquelle l’homme est exposé lors de la manipulation du produit, la directive [2004/73] est-elle conforme à la [directive 67/548], plus particulièrement à son annexe VI, point 4.2.3?

En tant qu’elle classifie le [bromure de n-propyle] comme substance facilement inflammable (R11) et toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R60) au nom du principe de précaution sans respecter les méthodes et les critères fixés aux annexes V et VI de la directive [67/548], la directive [2004/73] est-elle conforme à la [directive 67/548], plus particulièrement à ses annexes V et VI?

En tant qu’elle classifie le [bromure de n-propyle] comme substance facilement inflammable (R11) et toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R60) en se basant sur des tests qui sont différents de ceux effectués sur des produits compétitifs, notamment les halogénés chlorés, et en méconnaissance du principe de proportionnalité, la directive [2004/73] est-elle conforme à la [directive 67/548]?

2)

En cas de non-conformité de la directive [2004/73] à la directive [67/548], le Royaume de Belgique aurait-il dû s’abstenir de transposer en droit interne la classification du [bromure de n-propyle] telle qu’issue de la directive [2004/73], voire s’écarter de cette classification, alors que selon l’article 2 de la directive [2004/73], ‘les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 octobre 2005’?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

Observations des parties

29

Enviro Tech invoque plusieurs arguments à l’encontre de la directive 2004/73.

30

Ainsi, premièrement, la requérante au principal soutient que ladite directive, en classant le bromure de n-propyle comme substance facilement inflammable, serait illégale en ce que les méthodes de détermination des points d’éclair fixées au titre A.9 de l’annexe V de la directive 67/548 n’auraient pas été respectées. La Commission aurait commis une illégalité en se fondant sur un seul test effectué à une température de –10°C avec l’appareil Pensky-Martens en référence ISO 1523 et sans respecter la méthode liée à cette spécification, qui imposerait la détermination de la valeur entre 10 oC et 110 oC.

31

Concernant, deuxièmement, la classification du bromure de n-propyle en tant que substance toxique pour la reproduction de catégorie 2, Enviro Tech considère que la Commission a commis une erreur en suivant la recommandation en ce sens du groupe de travail. Elle soutient notamment que les tests effectués sur les rats n’apportent pas la preuve suffisante permettant de reconnaître qu’il existerait une forte présomption qu’une exposition humaine à cette substance soit toxique pour la reproduction. La requérante au principal soutient également que la toxicité pour les animaux qui avait été observée s’est produite à des niveaux d’exposition 16 fois supérieurs à ceux de l’exposition humaine moyenne et plus de 40 fois supérieurs au niveau d’exposition en cas de manipulation et d’utilisation normales par la requérante au principal elle-même.

32

Troisièmement, Enviro Tech soutient que, selon la directive 2004/73, le bromure de n-propyle est classé en tant que substance facilement inflammable et toxique pour la reproduction de catégorie 2 au nom du principe de précaution, et ce sans respecter les méthodes et les critères fixés aux annexes V et VI de cette directive.

33

Quatrièmement, en vertu de la directive 2004/73, le bromure de n-propyle serait considéré comme une substance facilement inflammable et toxique pour la reproduction de catégorie 2 sur la base de tests différents de ceux effectués sur des produits concurrents et en méconnaissance du principe de proportionnalité.

34

À cet égard, la requérante au principal fait valoir que la classification de la substance en cause au principal, telle qu’elle ressort de la directive 2004/73, est contraire au principe de proportionnalité si la mention d’inflammabilité qui peut lui être attribuée est fondée sur un point d’éclair qui n’a pu être décelé qu’à une température de –10 oC, alors que la manipulation est normalement effectuée à température ambiante. L’obtention de tels résultats traduirait ainsi une certaine malhonnêteté intellectuelle puisque, pour le surplus, aucun point d’éclair n’a été constaté entre 10 oC et 110 oC, et il en serait de même pour ce qui est de la mise en évidence d’effets toxiques et de la forte présomption d’effets dommageables pour la fertilité humaine.

35

Le gouvernement belge propose de répondre que la directive 2004/73 est conforme à la directive 67/548 sur les quatre aspects invoqués par la requérante au principal.

36

Le gouvernement suédois considère, à l’instar du gouvernement belge, que, d’une part, la directive 2004/73 est conforme à la directive 67/548 et, d’autre part, la classification du bromure de n-propyle comme substance facilement inflammable (R11) a été réalisée conformément aux critères et aux méthodes prescrits.

37

D’une part, tant les résultats de deux tests réalisés en laboratoire indépendamment l’un de l’autre que les informations ayant fait l’objet de publications et d’autres calculs démontreraient que le point d’éclair du bromure de n-propyle est nettement inférieur à 21 oC. Le bromure de n-propyle devrait donc être classé en tant que substance facilement inflammable (R11).

38

D’autre part, des informations résultant de tests de qualité réalisés sur des animaux démontreraient que le bromure de n-propyle a des effets nettement toxiques sur la reproduction. Ces effets ne se manifesteraient pas uniquement en cas de dosages élevés et ils seraient considérés comme pertinents pour l’homme. Le bromure de n-propyle devrait par conséquent être également classé comme une substance devant être assimilée à des substances altérant la fertilité de l’espèce humaine (R60) ainsi que comme une substance préoccupante pour la fertilité de l’espèce humaine et pour l’homme en raison d’effets toxiques possibles sur le développement (R63).

39

Pour la Commission, il conviendrait de répondre au juge de renvoi que l’examen des questions dont le Conseil d’État a saisi la Cour ne révèle aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 2004/73 en ce qu’elle classe le bromure de n-propyle comme étant une substance facilement inflammable (R11) et toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R60).

40

Ainsi, concernant l’inflammabilité, le point 2.2.4 de l’annexe VI de la directive 67/548 indiquerait, pour le classement dans la catégorie de substance «facilement inflammable», un point d’éclair inférieur à 21 oC, sans indication de valeur inférieure minimale. La température de –10 oC répondrait donc incontestablement aux critères posés par la définition de la catégorie «facilement inflammable».

41

Selon la Commission, les dispositions du titre A.9 de l’annexe V de la directive 67/548 ne détermineraient pas la manière dont les essais d’inflammabilité doivent être menés. En réalité, ledit titre A.9 décrirait, plutôt qu’il n’imposerait, certaines spécifications des essais. Il existerait ainsi une flexibilité dans l’utilisation des méthodes d’essai. En outre, le point 1.6.3.2 figurant sous ledit titre A.9 mentionnerait expressément la norme ISO 1523 et, en conséquence, l’emploi de cette spécification particulière ne saurait être contraire à l’annexe V de la directive 67/548.

42

Concernant le caractère toxique pour la reproduction du bromure de n-propyle, la Commission considère que, puisque les critères de classification dans la catégorie 2 de l’annexe VI de la directive 67/548 d’une substance altérant la fertilité dans l’espèce humaine sont clairement remplis, tant pour les éléments de preuve obtenus à partir des expérimentations sur une espèce animale que pour les éléments corroborants, c’est à bon droit que le groupe de travail a conclu que le bromure de n-propyle devait être classé comme tel. En outre, une marge de flexibilité serait nécessaire pour interpréter les résultats des tests effectués sur les animaux en termes d’effets possibles sur les êtres humains.

43

Concernant, finalement, les griefs relatifs à la prétendue méconnaissance des principes de précaution et de proportionnalité, la Commission considère que ceux-ci ne sont pas fondés.

44

Ainsi, la directive 2004/73 aurait respecté les méthodes et les critères fixés par les annexes V et VI de la directive 67/548 et la Commission ne se serait en aucun cas fondée uniquement sur le principe de précaution.

45

Quant à la prétendue méconnaissance du principe de proportionnalité, la Commission considère que la classification du bromure de n-propyle en tant que substance dangereuse est fondée sur des avis scientifiques réfléchis et des critères précis prévus par les annexes V et VI de la directive 67/548, et qu’elle est proportionnelle aux risques potentiels identifiés.

Réponse de la Cour

— Observations liminaires

46

À titre liminaire, il y a lieu de souligner que, dans ce cadre technique et juridique complexe, à caractère essentiellement évolutif, la directive 67/548 laisse sur le fond un pouvoir d’appréciation important à la Commission sur la portée des mesures à prendre pour adapter les annexes de cette directive au progrès technique.

47

Ainsi qu’il a été jugé, dès lors que les autorités communautaires disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant à l’appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, le contrôle du juge communautaire doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge communautaire ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions à qui, seules, le traité a conféré cette tâche (voir arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C-326/05 P, Rec. p. I-6557, points 75 à 77).

— Sur la question de l’inflammabilité

48

Conformément au point 1.2 figurant sous le titre A.9 de l’annexe V de la directive 67/548, l’inflammabilité d’un liquide est déterminée, en premier lieu, en mesurant le point d’éclair de celui-ci. Le point d’éclair est constitué par la température la plus basse d’un liquide à laquelle, dans les circonstances spécifiques à la méthode d’essai, ses vapeurs forment avec l’air un mélange inflammable.

49

Selon la requérante au principal, en classant le bromure de n-propyle en tant que substance facilement inflammable, la directive 2004/73 n’aurait pas respecté les méthodes de détermination des points d’éclair fixées au titre A.9 de l’annexe V de la directive 67/548.

50

À cet égard, il y a lieu d’observer que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 7 et 8 du présent arrêt, pour déterminer le point d’éclair des liquides, il y a lieu de choisir entre une méthode de l’équilibre utilisée selon les normes ISO 1516, 3680, 1523 ou 3679, ou une méthode du non-équilibre. Ainsi que l’a souligné le gouvernement suédois dans ses observations écrites, le choix de la méthode la plus pertinente dépend des propriétés de la substance à analyser.

51

Ces méthodes comportent des critères pour le choix du matériel en fonction du gradient de température auquel les mesures doivent être réalisées. Il existe plusieurs catégories d’instruments de mesure applicables aux différents gradients de température.

52

Il ressort des éléments du dossier que la Commission, se fondant sur l’avis des experts en la matière contenu dans le compte rendu du groupe d’experts sur l’inflammabilité réunis le 4 décembre 2002 (document no ECBI/59/02, ci-après le «compte rendu des experts sur l’inflammabilité»), a considéré que le bromure de n-propyle était une substance facilement inflammable en raison des résultats obtenus à la suite d’expériences réalisées, entre autres, selon la méthode de l’équilibre et la norme ISO 1523, avec un appareil Pensky-Martens, qui avait permis d’identifier un point d’éclair à –10 oC.

53

Concernant, en premier lieu, le grief de la requérante au principal selon lequel la classification du bromure de n-propyle en tant que substance facilement inflammable repose sur le résultat d’un seul test effectué selon les spécifications susmentionnées, le compte rendu des experts sur l’inflammabilité permet d’écarter cette allégation.

54

Ainsi, il ressort de ce document que plusieurs tests ont été effectués selon les normes de mesure du point d’éclair les plus répandues et que la plupart de ces tests n’ont pas permis d’identifier un point d’éclair pour la substance en question.

55

Toutefois, ainsi que l’a souligné le gouvernement suédois dans ses observations écrites, il convient de tenir compte du fait qu’il est généralement difficile de déterminer le point d’éclair pour les hydrocarbures halogénés, tels que le bromure de n-propyle, qui présentent des propriétés pouvant entraîner des résultats inexacts ou imprécis lors des calculs. Ainsi que le rappelle la norme ISO 1523 elle-même, il convient de considérer avec circonspection les résultats obtenus sur des mélanges de solvants contenant des hydrocarbures halogénés, ceux-ci pouvant donner des résultats anormaux.

56

Ceci étant, le résultat obtenu selon la méthode de l’équilibre et la norme ISO 1523 avec un appareil Pensky-Martens n’est pas le seul à avoir révélé l’existence, pour le bromure de n-propyle, d’un point d’éclair inférieur à 21 °C.

57

Outre la mesure mentionnée, le compte rendu des experts sur l’inflammabilité contient des résultats d’un autre test effectué avec le même appareil, mais selon la méthode du non-équilibre, ASTM D 93-94, ce qui correspond exactement aux prescriptions du point 1.6.3.2 figurant sous le titre A.9 de l’annexe V de la directive 67/548, et qui a décelé un point d’éclair du bromure de n-propyle à –4,5 oC. En complément de ces tests, il a aussi été procédé à un calcul théorique du point d’éclair, qui a mis en évidence que le bromure de n-propyle pourrait devenir inflammable à partir de –7 oC. Sur la base de ces informations et après délibérations, l’opinion majoritaire du groupe d’experts a été que le bromure de n-propyle est une substance facilement inflammable qui doit avoir la classification R11.

58

Il résulte de ce qui précède que tant le groupe d’experts que la Commission ne se sont pas fondés sur un test unique mais sur plusieurs éléments scientifiques permettant de déceler, pour le bromure de n-propyle, un point d’éclair inférieur à 21 oC, ce qui leur a permis de classer cette substance dans la catégorie des liquides «facilement inflammables», conformément aux points 2.2.3 à 2.2.5 de l’annexe VI de la directive 67/548.

59

En second lieu, la requérante au principal allègue que, selon ses spécifications techniques, l’appareil Pensky-Martens est plus approprié pour déterminer le point d’éclair en vertu de la norme ISO 1523 dans un gradient de température compris entre 10 oC et 110 oC.

60

À cet égard, il y a lieu de constater que le fait que les mesures ont été réalisées dans un gradient de température autre que le gradient recommandé pour l’instrument de mesure est de nature à influencer la fiabilité de la classification.

61

Toutefois, il importe de souligner que, compte tenu de la marge de sécurité qui doit être observée pour le résultat obtenu par rapport à la température déterminante pour la classification, ce fait ne saurait suffire, à lui seul, pour remettre en cause les conclusions du groupe d’experts et de la Commission, selon lesquelles le bromure de n-propyle doit être classé comme substance facilement inflammable.

62

Ainsi, il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une autorité communautaire est appelée, dans le cadre de sa mission, à effectuer des évaluations complexes, le pouvoir d’appréciation dont elle jouit s’applique également, dans une certaine mesure, à la constatation des éléments factuels à la base de son action (voir, en ce sens, arrêts du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil, 138/79, Rec. p. 3333, point 25, et du , Upjohn, C-120/97, Rec. p. I-223, point 34). De plus, dans de telles circonstances, l’institution compétente a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt du , Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14).

63

Il ressort du compte rendu du groupe d’experts sur l’inflammabilité que, même si ceux-ci n’ont pas été unanimes sur la question de savoir si le bromure de n-propyle devait ou non recevoir la classification R11, une opinion majoritaire en ce sens est apparue au sein dudit groupe. Il doit également être observé que le fait que le bromure de n-propyle avait bien un point d’éclair et une plage d’explosibilité permettant de considérer qu’il présentait, dès lors, un risque intrinsèque d’inflammabilité a fait l’objet d’un consensus parmi ces experts.

64

Il résulte de ce qui précède que, dans l’appréciation du caractère inflammable du bromure de n-propyle, la Commission a suivi l’avis du groupe d’experts sur l’inflammabilité, lequel repose sur les résultats de plusieurs tests effectués selon des méthodes différentes, confirmés par des informations tirées de publications spécialisées.

65

Dès lors, il apparaît que l’exercice du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission quant à la classification du bromure de n-propyle en tant que substance «facilement inflammable» n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir et que la Commission n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

— Sur la question de la toxicité pour la reproduction humaine

66

La classification du bromure de n-propyle en tant que substance toxique pour la reproduction humaine reposant uniquement sur les résultats de tests effectués sur des animaux, lesquels ont révélé l’existence d’effets toxiques notables sur la reproduction de ceux-ci, la requérante au principal a contesté, devant la juridiction de renvoi, le fait que ces résultats puissent être interprétés extensivement afin d’en déduire que la substance en question était nocive pour la reproduction humaine.

67

Les critères de classification d’une substance en tant que substance toxique pour la reproduction figurent au point 4.2.3 de l’annexe VI de la directive 67/548. En particulier, pour classer une substance dans la catégorie 2 de toxicité sur le fondement d’une altération de la fertilité, des preuves manifestes d’une altération de la fertilité sur une espèce animale doivent être rapportées, accompagnées soit de preuves complémentaires sur le mécanisme ou le site d’action ou sur l’existence d’une analogie chimique avec d’autres agents d’«antifertilité» connus, soit d’autres informations qui permettent de conclure que des effets comparables seraient susceptibles d’être observés chez l’homme.

68

Or, ainsi que cela ressort des comptes rendus succincts des réunions du groupe de travail CMR — Produits cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction des 14- et des - (documents no ECBI/56/03 Rev.2 et no ECBI/30/03 Rev.3, ci-après les «comptes rendus du groupe de travail CMR»), les motifs de la classification du bromure de n-propyle dans la catégorie 2 de toxicité reposent sur les effets néfastes sur la fertilité, constatés durant les études standards sur une espèce de rats ainsi que sur la similitude structurelle entre cette substance et son isomère, le 2-bromopropane, également dénommé iso-bromopropane, classé dans la catégorie 1 de toxicité en raison tant d’une altération connue de la fertilité humaine que des effets toxiques sur le développement chez l’homme.

69

Aussi, le fait que le bromure de n-propyle provoque des dommages notables sur les organes reproducteurs des rats des deux sexes lors de l’administration de doses qui n’a pas donné lieu à d’autres effets systématiques constitue l’effet le plus notable résultant des études mentionnées dans les comptes rendus du groupe de travail CMR. Ces études concluent en outre que les effets toxiques ne se manifestent pas uniquement en cas d’administration de doses élevées.

70

Il apparaît donc que l’avis des experts a été fondé sur les critères prévus au point 4.2.3 de l’annexe VI de la directive 67/548, et en particulier au point 4.2.3.3 de cette annexe, et que, ainsi, la Commission, sur la base de cet avis, a pu valablement classer le bromure de n-propyle en tant que substance «toxique pour la reproduction de catégorie 2».

71

Dès lors, il convient de constater que l’exercice du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission quant à la classification du bromure de n-propyle en tant que substance «toxique pour la reproduction de catégorie 2» n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir et que la Commission n’a manifestement pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

— Sur les questions concernant le principe de précaution et le principe de proportionnalité

72

Devant le Conseil d’État, Enviro Tech a fait valoir que la Commission aurait appliqué uniquement le principe de précaution lors de la classification du bromure de n-propyle en tant que substance facilement inflammable et toxique pour la reproduction afin de contourner les critères prévus aux annexes V et VI de la directive 67/548.

73

De surcroît, le principe de proportionnalité aurait été méconnu lors de cette classification du bromure de n-propyle.

74

À cet égard, il suffit de constater que, contrairement aux allégations de la requérante au principal, la Commission n’a pas fondé sa décision de classification de bromure de n-propyle sur le principe de précaution, mais s’est appuyée sur des analyses effectuées conformément aux méthodes et aux critères prévus aux annexes V et VI de la directive 67/548.

75

Quant à la prétendue violation du principe de proportionnalité, la requérante au principal soutient que la Commission s’est fondée sur des tests différents de ceux effectués sur des produits concurrents, en particulier des halogènes chlorés.

76

Toutefois, cet argument ne saurait être retenu. En effet, ainsi que cela résulte de la prise de position du gouvernement suédois, la structure des halogènes chlorés par rapport à celle des halogènes bromés est très différente.

77

En outre, la requérante au principal n’a pas démontré que la classification du bromure de n-propyle en tant que substance «facilement inflammable» et substance «toxique pour la reproduction de catégorie 2», au sens de la directive 67/548 serait manifestement inappropriée pour la réalisation de l’objectif poursuivi et que les inconvénients causés par cette classification auraient un caractère démesuré par rapport à cet objectif.

78

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la juridiction de renvoi que l’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 2004/73, en ce qu’elle qualifie le bromure de n-propyle de substance facilement inflammable (R11) et toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R60).

Sur la seconde question

79

La seconde question n’ayant été posée que dans l’hypothèse où la Cour constaterait la non-conformité de la directive 2004/73 à la directive 67/548, il n’y a pas lieu d’y répondre.

Sur les dépens

80

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

L’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 2004/73/CE de la Commission, du 29 avril 2004, portant vingt-neuvième adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses, en ce qu’elle qualifie le bromure de n-propyle de substance facilement inflammable (R11) et toxique pour la reproduction de catégorie 2 (R60).

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.