ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

6 octobre 2009 ( *1 )

«TVA — Droit à déduction de la taxe payée en amont — Notion d’‘activités économiques’ — Organisation régionale d’un parti politique — Activités publicitaires bénéficiant aux organisations locales du parti — Dépenses afférentes à ces activités dépassant les revenus»

Dans l’affaire C-267/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Klagenfurt (Autriche), par décision du 16 juin 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

SPÖ Landesorganisation Kärnten

contre

Finanzamt Klagenfurt,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.-C. Bonichot, J. Makarczyk (rapporteur), L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. K. Malaček, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2009,

considérant les observations présentées:

pour le Finanzamt Klagenfurt, par M. J. Wogrin, en qualité d’agent, assisté de Me G. Lackner, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement grec, par Mmes O. Patsopoulou, S. Trekli et V. Karra, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Triantafyllou, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juillet 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive TVA»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la SPÖ Landesorganisation Kärnten, qui est la section du parti socialiste autrichien dans le Land de Carinthie (ci-après la «Landesorganisation»), au Finanzamt Klagenfurt au sujet du traitement fiscal, du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), de certaines activités publicitaires développées par cette section pour le compte des organisations régionales et locales dudit parti dans le Land de Carinthie, pendant les années 1988 à 2004.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3

L’article 4 de la sixième directive TVA est rédigé comme suit:

«1.   Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.   Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[…]

5.   Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

[…]»

La réglementation nationale

4

L’article 1er de la loi sur les partis (Parteiengesetz), qui a rang constitutionnel, prévoit:

«(1)   L’existence et la multiplicité des partis politiques sont des éléments essentiels du système démocratique de la République d’Autriche [article 1er de la constitution fédérale autrichienne].

(2)   La participation à la formation de la volonté politique est une des tâches des partis politiques.

[…]»

5

Selon l’article 6 de la loi modificatrice en matière fiscale de 1975 (Abgabenänderungsgesetz 1975), les partis politiques doivent, dans le champ d’application des règles fiscales fixées à l’article 3, paragraphe 3, du code fiscal fédéral (Bundesabganbenordnung), être traités comme des organismes de droit public s’ils bénéficient de la personnalité juridique conformément à l’article 1er de la loi sur les partis.

6

L’article 2 de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires de 1994 (Umsatzteuergesetz 1994) définit les notions d’entrepreneur et d’entreprise. Le paragraphe 3 de cet article porte sur les organismes de droit public.

7

Selon ledit paragraphe 3, les organismes de droit public exercent en principe des activités commerciales ou professionnelles exclusivement dans le cadre de leurs entreprises ayant une nature commerciale au sens de l’article 2 de la loi relative à l’impôt sur les sociétés de 1988 (Körperschaftsteuergesetz 1988), sous réserve des exceptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce.

8

L’article 2 de cette loi définit une entreprise de nature commerciale d’un organisme de droit public comme suit:

«(1)   Constitue une entreprise de nature commerciale d’un organisme de droit public toute entité qui

est économiquement autonome et

exerce exclusivement ou principalement une activité économique privée durable et importante et

dans le but de percevoir des revenus ou, en cas d’absence de participation aux activités économiques générales, en vue de percevoir d’autres avantages économiques et

n’agit pas dans le domaine de la sylviculture ni de l’agriculture (article 21 de la loi relative à l’impôt sur les revenus de 1988 [Einkommensteuergesetez 1988]).

La recherche de bénéfices n’est pas requise. Les activités de l’organisme sont toujours considérées comme entreprise commerciale.

[…]

(4)   Une entreprise de nature commerciale est également assujettie de manière illimitée lorsqu’elle est elle-même un organisme de droit public.

(5)   Une activité qui sert principalement à l’exercice de l’autorité publique (entreprise publique) ne constitue pas une activité économique privée au sens du paragraphe 1. L’exercice de l’autorité publique est notamment démontré par le fait qu’il s’agit de prestations auxquelles est tenu de recourir le bénéficiaire en raison des dispositions légales ou administratives.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9

Le recours au principal a été introduit par la Landesorganisation. Cette section, dotée de la personnalité juridique, a réalisé certaines activités pour les sections régionales et locales qui lui sont subordonnées, dans le domaine des relations publiques, de la publicité et de l’information, activités qui sont qualifiées de «publicité externe». Elle a notamment acheté du matériel publicitaire avant les élections, qu’elle a distribué ensuite, contre facturation, aux diverses organisations régionales et locales selon leurs besoins, et a organisé tous les ans le bal du SPÖ.

10

Les parties à la procédure au principal s’opposent sur la question de savoir si la Landesorganisation doit être considérée comme un assujetti au sens de la sixième directive TVA dans le cadre de ses activités de publicité externe destinées aux sections subordonnées et donc si elle a le droit de déduire la TVA payée en amont dans ce contexte.

11

Selon les constatations de la juridiction de renvoi, les recettes perçues par la Landesorganisation entre l’année 1998 et l’année 2004 provenaient principalement de la facturation de prestations aux sections régionales et locales ainsi que de la vente des billets d’entrée au bal annuel du SPÖ. En revanche, seule une petite fraction des dépenses de la Landesorganisation a été facturée aux sections subordonnées. Ces dernières participent aux dépenses de la Landesorganisation en fonction de leurs possibilités — sans qu’il existe de règles préétablies à respecter — ce qui aboutit à obliger la Landesorganisation à supporter elle-même la plus grande partie des coûts exposés dans le cadre de l’activité publicitaire en question. Les pertes qui en ont résulté ont pu être contrebalancées par l’argent provenant des subsides publics, les contributions des adhérents, les cotisations perçues auprès de ceux-ci et les dons.

12

Ce n’est qu’à partir de l’année 2004 que les prestations qui ne pouvaient être imputées à un bénéficiaire précis ont été facturées aux sections régionales sous la forme d’un prélèvement dit «de relations publiques». La hauteur du prélèvement dépendait, d’une part, du nombre d’adhérents au parti dans chaque région et, d’autre part, du nombre de parlementaires élus provenant de cette région.

13

C’est dans ces conditions que l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Klagenfurt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive [TVA] doit-il être interprété en ce sens que la ‘publicité externe’ (Außenwerbung) d’une section régionale juridiquement autonome d’un parti politique (organisée au niveau du Land) se manifestant par des activités de relations publiques, d’information, d’organisation d’événements, de livraison de matériel publicitaire aux sections locales ainsi que d’organisation et de réalisation d’un bal annuel (‘SPÖ-Ball’) doit être considérée comme une activité économique lorsque, à cette occasion, des revenus sont perçus au moyen de la facturation (partielle) des dépenses au titre de la ‘publicité externe’ aux sections du parti (organisations régionales, etc.) également juridiquement autonomes ainsi que par la vente de billets d’entrée audit bal?

2)

Dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une ‘activité économique’ au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive [TVA], s’avère-t-il préjudiciable que les activités désignées à la première question ‘aient une répercussion’ sur l’organisation régionale et que, ainsi, elles lui soient utiles? Il est dans la nature des choses que, dans le cadre de ces activités, une renommée soit forcément donnée au parti, à ses idées et à ses objectifs, même si cela n’est pas au premier plan, mais est plutôt une conséquence inévitable.

3)

Peut-on encore parler d’une ‘activité économique’ dans le sens indiqué ci-dessus lorsque les dépenses exposées pour la ‘publicité externe’ sont durablement nettement supérieures aux revenus provenant de ces activités et perçus par la facturation de ces dépenses et l’organisation du bal?

4)

Une activité est-elle également de nature ‘économique’ lorsque la facturation des dépenses ne s’effectue pas selon des critères économiques clairement identifiables (par exemple par l’imputation des coûts au responsable ou à l’utilisateur) et que les organisations locales ont, en substance, la liberté de déterminer si et dans quelle mesure elles participent aux dépenses de l’organisation régionale?

5)

Une activité est-elle également de nature ‘économique’ lorsque la facturation des services de publicité aux organisations locales s’effectue au moyen d’un prélèvement dont le montant dépend, d’une part, du nombre de membres inscrits localement et, d’autre part, du nombre des parlementaires envoyés par cette organisation?

6)

Pour apprécier si une activité a un caractère économique, les subsides publics (tels que le régime de financement des partis du Land de Carinthie) pour lesquels aucune taxe sur le chiffre d’affaires ne doit être payée doivent-ils être considérés comme des avantages économiques?

7)

Si la ‘publicité externe’ devait, en tant que telle, être qualifiée d’activité économique au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive [TVA]: le fait que les activités de relations publiques et de propagande électorale relèvent du noyau dur des missions des partis politiques et constituent une condition sine qua non pour la réalisation des objectifs politiques et des idées s’oppose-t-il au fait que ces activités soient qualifiées d’‘activités économiques’?

8)

Les activités réalisées par la requérante et qualifiées de ‘publicité externe’ sont-elles comparables à celles des agences de publicité au sens de l’annexe D, [point] 10, de la sixième directive [TVA] et/ou peuvent-elles correspondre à celles-ci de par leur contenu? En cas de réponse affirmative à cette question, l’étendue de ces activités peut-elle être qualifiée de ‘significative’ compte tenu de la présente structure de revenus et de dépenses existant dans la période pertinente du recours?»

Sur les questions préjudicielles

14

Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive TVA doit être interprété en ce sens que des activités de publicité externe réalisées par la section d’un parti politique d’un État membre doivent être considérées comme une activité économique.

15

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive TVA, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 du même article, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Cette notion d’«activités économiques» est définie audit paragraphe 2 comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

16

À cet égard, il convient de préciser que, si l’article 4 de la sixième directive TVA assigne un champ d’application très large à la TVA, seules sont visées par cette disposition les activités ayant un caractère économique (voir arrêts du 26 juin 2007, T-Mobile Austria e.a., C-284/04, Rec. p. I-5189, point 34, ainsi que Hutchison 3G e.a., C-369/04, Rec. p. I-5247, point 28).

17

Il résulte également d’une jurisprudence constante que l’analyse des définitions des notions d’assujetti et d’activités économiques met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’activités économiques ainsi que le caractère objectif de cette notion, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (voir, notamment, arrêts du 21 février 2006, University of Huddersfield, C-223/03, Rec. p. I-1751, point 47; T-Mobile Austria e.a., précité, point 35, ainsi que Hutchison 3G e.a., précité, point 29).

18

Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, l’activité exercée par la Landesorganisation a consisté à mettre en œuvre des activités de relations publiques, d’information, d’organisation d’événements, de livraisons de matériels publicitaires à d’autres sections du SPÖ et en la réalisation d’un bal annuel.

19

À cet égard, il y a lieu d’observer, en premier lieu, que la base d’imposition d’une prestation de services est constituée par tout ce qui est reçu en contrepartie du service presté et qu’une prestation de services n’est, dès lors, taxable que s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contrepartie reçue. Il en résulte qu’une prestation de services n’est effectuée «à titre onéreux», au sens de l’ article 2, point 1, de la sixième directive TVA, et n’est dès lors taxable, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire (arrêt du 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93, Rec. p. I-743, points 13 et 14 ainsi que jurisprudence citée).

20

En deuxième lieu, il importe de préciser que, dans le cadre de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive TVA, le concept d’«exploitation» se réfère, conformément aux exigences du principe de neutralité du système commun de TVA, à toutes les opérations, quelle que soit leur forme juridique, qui visent à retirer du bien en question des recettes ayant un caractère de permanence (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, EDM, C-77/01, Rec. p. I-4295, point 48, et du , BBL, C-8/03, Rec. p. I-10157, point 36).

21

À cet égard, il importe de relever que l’activité en cause au principal, telle que décrite au point 18 du présent arrêt, consiste en des opérations de publicité. Or, en l’occurrence, cette exploitation ne permet pas de dégager des revenus ayant un caractère de permanence.

22

En effet, il convient de constater que le SPÖ, afin de permettre la pérennité de ses activités, est financé au moyen de subsides publics, conformément à la loi nationale sur le financement des partis politiques, de divers dons et de cotisations versées par les membres de ce parti.

23

Partant, les seuls revenus ayant un caractère de permanence proviennent du financement public et des cotisations des membres dudit parti, ces revenus venant notamment combler les pertes générées par l’activité en cause au principal.

24

Ainsi, par de telles activités, le SPÖ exerce une activité de communication dans le cadre de la réalisation de ses objectifs politiques qui vise à diffuser ses idées en tant qu’organisation politique. Plus particulièrement, l’activité du SPÖ, par l’intermédiaire notamment de la Landesorganisation, est de contribuer à la formation de la volonté politique en vue de participer à l’exercice du pouvoir politique. En exerçant cette activité, le SPÖ ne participe cependant pas à un quelconque marché.

25

Par conséquent, l’activité en cause au principal ne saurait constituer une activité économique, au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive TVA.

26

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre que l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive TVA doit être interprété en ce sens que des activités de publicité externe réalisées par la section d’un parti politique d’un État membre ne doivent pas être considérées comme une activité économique.

Sur les dépens

27

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que des activités de publicité externe réalisées par la section d’un parti politique d’un État membre ne doivent pas être considérées comme une activité économique.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.