CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 7 juillet 2009 ( 1 )

Affaire C-246/08

Commission des Communautés européennes

contre

République de Finlande

«Manquement d’État — Sixième directive TVA — Articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2 — Notion d’‘activités économiques’ — Bureaux publics d’assistance juridique — Services d’assistance juridique fournis dans le cadre d’une procédure judiciaire en contrepartie d’une contribution partielle versée par le bénéficiaire — Notion de ‘lien direct’ entre le service fourni et la contre-valeur reçue»

I — Introduction

1.

En 2002, la République de Finlande a décidé d’étendre l’assistance juridique gratuite, traditionnellement destinée aux citoyens à bas revenus, à un autre segment de la population disposant de ressources légèrement plus élevées, mais qui rencontrerait des difficultés à supporter intégralement les dépenses liées à ce service. Toutefois, en pareils cas, la loi prévoit que, par un montant qui varie en fonction de ses moyens financiers, le bénéficiaire rémunère partiellement le travail du conseil juridique, qui peut être un employé public ou un professionnel privé.

2.

La législation finlandaise exonère de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») l’assistance juridique en question lorsque celle-ci est fournie par l’un des bureaux publics créés à cet effet et lorsque le client la rémunère en partie. Dans la présente affaire, la Commission des Communautés européennes estime que cette règle du droit finlandais est contraire à plusieurs dispositions de la sixième directive 77/388/CEE ( 2 ).

3.

L’analyse du régime fiscal applicable à ce type d’activités permet d’aborder la question du transfert vers le secteur privé de la prestation de certains services publics, une technique de plus en plus répandue dans des secteurs publics particulièrement surchargés tels que ceux de la santé ou de l’éducation.

II — Le cadre juridique

A — Le droit communautaire

4.

Le recours de la Commission est fondé sur la sixième directive, bien que, le 1er janvier 2007, soit entrée en vigueur la directive 2006/112/CE ( 3 ).

5.

L’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive soumet à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

6.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, «[e]st considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité». Ces «activités économiques» englobent, selon ledit article 4, paragraphe 2, «toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées» ainsi que, notamment, l’«opération comportant l’exploitation d’un bien […] incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence».

7.

Ce même article 4 réglemente, au paragraphe 5, l’assujettissement à la TVA des organismes de droit public qui «ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions». Toutefois, le deuxième alinéa dudit paragraphe 5 précise qu’«ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance».

B — Le droit national

8.

Le système finlandais d’assistance juridique repose sur quatre textes adoptés en 2002, à savoir la loi sur l’assistance juridique ( 4 ), la loi sur les bureaux d’assistance juridique de l’État ( 5 ), le décret ministériel sur l’assistance juridique ( 6 ), et le décret ministériel sur les critères de rémunération de l’assistance juridique ( 7 ).

9.

Conformément à cette réglementation, lorsqu’un individu a besoin de l’assistance d’un professionnel du droit, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou en marge de son déroulement, mais que sa situation financière ne lui permet pas de supporter intégralement les dépenses liées à ce service, l’État garantit, sur les deniers publics, cet accès à un conseil juridique.

10.

L’assistance juridique est accordée sur demande et peut être totalement gratuite ou fournie contre une rémunération partielle qui est déterminée en fonction des revenus mensuels et des actifs du demandeur ( 8 ). Cette assistance juridique «semi-gratuite» a été mise en place en 2002, étendant ainsi le bénéfice de l’aide aux individus disposant de ressources légèrement plus élevées. Le montant à la charge de l’intéressé comporte, en pareil cas, deux éléments, à savoir l’«apport de base» et l’«apport additionnel».

11.

L’apport de base («perusomavastuu») oscille, en fonction des ressources du bénéficiaire, entre 0 % et 75 % des honoraires et frais courants du conseil auquel il est fait appel ( 9 ). En tout état de cause, l’assistance juridique n’est pas accordée lorsque les ressources d’une personne célibataire dépassent 1400 euros par mois ou lorsque celles d’un couple marié excèdent 1200 euros par personne ( 10 ).

12.

L’apport additionnel («lisäomavastuu») n’est versé par le bénéficiaire de l’assistance juridique que s’il dispose d’actifs liquides ou facilement liquidables d’une valeur supérieure à 5000 euros. Cet apport correspond à la moitié du montant de ces biens qui dépassent 5000 euros ( 11 ).

13.

En règle générale, l’assistance juridique est fournie par les conseils juridiques publics, qui sont employés par l’un des 65 bureaux d’assistance juridique existant en Finlande. Toutefois, dans le cadre d’une procédure judiciaire, il est possible de désigner un conseil juridique privé ayant donné son consentement à cet effet. Si le bénéficiaire de l’assistance juridique propose lui-même, pour le représenter, un professionnel qui satisfait aux conditions requises, ce dernier doit être désigné, sauf si des raisons particulières s’y opposent ( 12 ).

14.

Les bureaux d’assistance juridique publics sont financés majoritairement par des ressources publiques. Les montants versés par les clients à titre d’apport de base ou d’apport additionnel, selon les cas, sont inscrits en tant que recettes au budget de chaque bureau ( 13 ). Les conseils juridiques qui travaillent dans ces bureaux sont des employés publics et perçoivent un traitement de l’État.

15.

Les conseils juridiques privés se voient garantir une rémunération raisonnable en contrepartie des interventions nécessaires et du temps qu’ils y consacrent, ainsi qu’une indemnisation de leurs frais. Lorsque la partie au litige a droit à l’assistance juridique gratuite, l’État paie intégralement le service. Dans le cadre de l’assistance semi-gratuite, l’intéressé acquitte ce qui lui incombe selon la loi et l’État verse le reste.

16.

Les honoraires d’un conseil juridique privé et ceux d’un bureau public sont calculés selon les mêmes critères ( 14 ). En conséquence, le montant à la charge du client est identique, quelle que soit la personne qui fournit le service.

17.

La seule différence réside dans le régime de TVA, car un avocat privé, en application de la loi sur l’assistance juridique, est toujours assujetti à la TVA, alors que l’assistance juridique fournie par les employés publics, que ce soit à titre gratuit ou contre rémunération partielle, n’est pas soumise à ladite taxe ( 15 ).

III — La procédure précontentieuse

18.

Le 13 octobre 2004, la Commission a adressé aux autorités finlandaises une première lettre attirant leur attention sur le traitement différent réservé, aux fins de la législation nationale en matière de TVA, à des services d’assistance juridique de même nature, selon qu’ils étaient fournis par des avocats privés ou par des juristes travaillant auprès d’un bureau public. La Commission ajoutait que, d’après les informations dont elle disposait, ce régime entraînait une distorsion de concurrence d’une certaine importance au détriment des professionnels privés.

19.

Par lettre du 17 décembre 2004, les autorités finlandaises ont décrit le régime de TVA litigieux et fait valoir que, même s’il faussait la concurrence, c’était de manière négligeable, dès lors que le choix opéré par le bénéficiaire entre un conseil juridique public et un conseil juridique privé n’était pas seulement déterminé par l’assujettissement à la TVA, mais l’était également par d’autres facteurs tels que l’expérience professionnelle, les qualifications de la personne désignée ou l’importante charge de travail des bureaux publics.

20.

Le 19 décembre 2005, tenant ces explications pour insuffisantes, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République de Finlande, l’invitant à soumettre à la TVA les services d’assistance juridique fournis par des juristes publics dans le cadre d’une procédure judiciaire (services qui pourraient donc être prestés également par un avocat privé), pour autant que le bénéficiaire acquitte une contrepartie partielle. La Commission a estimé que, dans de tels cas, les employés de l’État n’exerçaient pas d’activités publiques pouvant être exonérées de la TVA au titre de l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, exonération qui entraînerait une distorsion de concurrence d’une certaine importance au sens dudit article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa.

21.

Dans sa réponse du 16 février 2006, la République de Finlande a réitéré les arguments déjà exposés dans sa lettre de 2004, en qualifiant en outre d’artificielle la double prémisse de la Commission selon laquelle les bureaux publics d’assistance juridique agissent en tant qu’autorités publiques lorsqu’ils fournissent des conseils en marge d’une procédure judiciaire, mais pas s’ils interviennent en ce domaine, et selon laquelle ils opèrent en tant que tels lorsque leur mission d’assistance ne donne lieu à aucune rétribution, mais pas s’ils agissent en échange d’une rémunération partielle.

22.

Cette argumentation n’a pas convaincu la Commission, qui a adressé un avis motivé au gouvernement concerné le 15 décembre 2006. Le , les autorités finlandaises ont exprimé leur désaccord à l’égard de cet avis, de sorte que la Commission a décidé de former le présent recours en manquement devant la Cour.

IV — La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23.

La requête de la Commission a été enregistrée au greffe de la Cour le 3 juin 2008 et le mémoire en défense du gouvernement finlandais, le 17 juillet suivant.

24.

La réplique a été déposée le 3 octobre 2008 et la duplique, le .

25.

Aucune des parties n’ayant demandé la tenue d’une audience, l’affaire a été prête pour la rédaction des présentes conclusions dès le 28 avril 2009.

26.

La Commission demande à la Cour de constater que, en ne prélevant pas de TVA sur les services de conseil juridique fournis contre rémunération partielle par les bureaux publics d’assistance juridique, alors que les services équivalents sont assujettis à la TVA lorsqu’ils sont fournis par des conseils privés, la République de Finlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive. Elle conclut également à ce que la République de Finlande soit condamnée aux dépens.

27.

L’État défendeur demande le rejet du recours en manquement et la condamnation de la Commission aux dépens.

V — Analyse du manquement

28.

Le régime finlandais d’assistance juridique aux particuliers à l’occasion d’une procédure judiciaire présente, comme je l’ai indiqué, une double variante. D’une part, le bénéficiaire peut obtenir le service à titre totalement gracieux ou contre une rémunération partielle, selon le niveau de ses revenus. D’autre part, l’assistance juridique peut être fournie par les employés de l’un des bureaux publics créés à cet effet ou par un avocat. La législation finlandaise en matière de TVA soumet à cette taxe l’activité exercée dans ce cadre spécifique par les professionnels du secteur, mais pas celle des bureaux publics d’assistance juridique, indépendamment du fait de savoir, dans les deux cas, si le particulier verse un quelconque apport.

29.

Cette différence de traitement fiscal a attiré l’attention de la Commission, qui concentre ses griefs sur un aspect très précis de la réglementation finlandaise. Selon la requérante, il est justifié que l’assistance fournie par les conseils juridiques privés soit toujours soumise à la TVA et que les interventions effectuées par les employés publics restent en dehors du champ d’application de la taxe lorsqu’elles sont totalement gratuites. La Commission conteste en revanche le non-assujettissement de ces activités lorsqu’elles sont accomplies par un bureau public et que l’intéressé verse une rémunération.

30.

Le recours en manquement de la Commission est fondé sur trois moyens dont la pertinence est examinée dans les présentes conclusions.

31.

En premier lieu, la Commission soutient que, lorsque les conseils juridiques publics fournissent le service en cause contre une rémunération partielle, ils exercent une «activité économique» au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, ce qui implique une «prestation de services effectuée à titre onéreux», de sorte que la TVA est exigible conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive.

32.

En deuxième lieu, la Commission rappelle que, dans ce cas, les juristes publics n’agissent pas en tant qu’autorités publiques et que, partant, le non-assujettissement prévu à l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive n’est pas applicable.

33.

En troisième lieu, la Commission affirme, à titre surabondant, que la concurrence des bureaux publics engendre une distorsion de concurrence d’une certaine importance, de sorte que, même si l’on considérait qu’ils exercent leurs activités en tant qu’autorités publiques, il conviendrait de les qualifier d’assujettis en vertu de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive.

A — Sur la notion d’«activité économique» aux fins de la TVA (articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la sixième directive)

34.

Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, la Commission fonde son recours sur l’idée selon laquelle l’assistance juridique fournie par les bureaux publics finlandais revêt un caractère économique pour autant que le bénéficiaire de l’aide verse une somme, aussi modique soit-elle, à titre de contre-valeur. Il s’agit de l’élément le plus important de la requête, mais sur lequel la Commission, curieusement, s’attarde le moins.

35.

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel». L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive complète cette définition en ajoutant que doit être considéré comme assujetti quiconque accomplit l’une des «activités économiques» mentionnées au paragraphe 2 du même article, parmi lesquelles figurent l’exercice de «professions libérales ou assimilées» et l’«exploitation d’un bien […] incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence».

36.

Sans «activité économique», point d’imposition ( 16 ). La jurisprudence a déjà fixé certains critères permettant de clarifier cette notion, mais la présente affaire m’oblige à approfondir quelque peu ce travail d’interprétation, car il n’existe à ma connaissance aucun précédent reposant sur de tels éléments de fait.

1. La jurisprudence

37.

En premier lieu, la Cour a rappelé que la notion d’activité économique revêt un caractère objectif et qu’elle doit être considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats ( 17 ). En conséquence, il est sans pertinence que la tâche dont il est ici question soit accomplie dans l’intérêt général et en application de la loi, ou encore dans un but d’assistance (faciliter et améliorer l’accès des citoyens à la justice), et non dans un esprit purement commercial ou en vue d’obtenir des résultats. Ces circonstances ne permettent pas, à elles seules, de conclure que l’activité litigieuse est dépourvue de valeur économique.

38.

L’activité économique, aux fins de son assujettissement à la TVA, n’est pas forcément une activité commerciale visant à dégager un bénéfice, comme en témoigne le fait que la sixième directive qualifie d’assujettis des organismes à but non lucratif, même s’ils se voient ensuite appliquer l’une des exonérations prévues à son article 13, A, paragraphe 1. La rédaction de l’article 4 de la deuxième directive 67/228/CEE ( 18 ) était également très éloquente, puisque cette disposition décrivait l’assujetti comme «quiconque accomplit d’une façon indépendante et à titre habituel des opérations relevant des activités de producteur, de commerçant ou de prestation de services, que ce soit ou non dans un but lucratif».

39.

On pourrait certes, en principe, réfuter cette idée en s’appuyant sur le libellé de l’arrêt Floridienne et Berginvest, selon lequel, «[p]our que l’activité d’un holding consistant à mettre un capital à disposition de ses filiales puisse être considérée comme une activité économique par elle-même, consistant à exploiter ce capital en vue d’en tirer des recettes à caractère permanent […], il est nécessaire que cette activité ne soit pas exercée à titre occasionnel seulement et qu’elle ne se limite pas à gérer des investissements à l’instar d’un investisseur privé […], mais qu’elle soit effectuée dans le cadre d’un objectif d’entreprise ou dans un but commercial, caractérisé notamment par un souci de rentabilisation des capitaux investis» ( 19 ). À mon avis, ce passage tend à préciser les conditions dans lesquelles il existe une activité économique d’«exploitation d’un bien […] incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence», mais il ne peut être étendu à tous les autres cas de figure envisagés à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive ( 20 ). Toute autre interprétation méconnaîtrait le caractère objectif de cette notion. La perception de recettes est également indispensable dans les autres cas, non pas en tant qu’exigence de productivité, mais d’«équivalence de prestations», comme je vais l’expliquer.

40.

En second lieu, la jurisprudence a aussi précisé que l’activité en cause doit être effectuée contre rémunération ( 21 ). L’article 2 de la sixième directive attribue lui-même un caractère onéreux au fait générateur de la taxe. Ce caractère apparaît immanent à la TVA, dès lors que, pour être appliquée, celle-ci exige, comme son nom l’indique, l’existence d’une valeur ajoutée inhérente aux biens et services assujettis ( 22 ).

41.

C’est en ce sens que la Cour s’est prononcée dans l’arrêt Hong-Kong Trade Development Council, dans lequel elle a jugé que les services fournis sans contrepartie n’étaient pas soumis à la TVA, car, lorsque l’activité d’un prestataire consiste à fournir exclusivement des prestations sans contrepartie directe, il n’existe pas de base d’imposition. Le caractère onéreux des opérations taxables est confirmé par le fait que les activités économiques des assujettis sont nécessairement des activités exercées dans le but d’obtenir une contre-valeur ou susceptibles d’être compensées par une contre-valeur, car si elles sont exclusivement gratuites, elles ne rentrent pas dans le système de la TVA, puisqu’elles ne peuvent, selon l’article 8, constituer une base d’imposition ( 23 ).

42.

Il convient, toutefois, de ne pas écarter d’emblée l’application de la TVA à une activité partiellement rétribuée ( 24 ), même s’il n’y a pas lieu de conclure non plus que la simple existence d’un paiement, aussi peu élevé soit-il, confère un caractère économique à une activité déterminée. La jurisprudence a élaboré une solution plus nuancée pour ce type d’hypothèses, en ce sens qu’une prestation de services n’est effectuée «à titre onéreux», aux fins de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, et n’est dès lors taxable, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire ( 25 ). En outre, il doit exister un lien direct et nécessaire entre le service rendu et la contre-valeur reçue ( 26 ).

43.

Ainsi, la Cour a estimé que des activités telles que celles qu’exerçaient l’Apple and Pear Development Council n’étaient pas assujetties à la TVA ( 27 ), car les activités de promotion agricole de cet organisme public bénéficiaient à l’ensemble du secteur et non pas uniquement aux producteurs de pommes et de poires tenus de verser une taxe annuelle au Council. Selon cet arrêt, il n’existait pas de lien direct entre l’avantage obtenu par ces particuliers et le montant qu’ils étaient tenus d’acquitter. Sur la base du même critère, la Cour a jugé, dans l’arrêt Tolsma, précité, que jouer de la musique sur la voie publique, pour laquelle aucune rémunération n’est stipulée, même si l’intéressé sollicite un versement d’argent et perçoit certaines sommes sous forme d’oboles, n’est pas une prestation de services à titre onéreux, puisque ces recettes ne sauraient être considérées comme constituant la contrepartie d’un service rendu et qu’il n’existe aucun lien entre les deux. À l’inverse, la jurisprudence a reconnu comme étant une activité économique la mise à disposition d’une infrastructure routière moyennant acquittement d’un péage dont le prix est fonction, notamment, de la catégorie de véhicules utilisée et de la distance parcourue ( 28 ).

2. Application au présent litige

44.

Conformément à l’arrêt Hong-Kong Trade Development Council, la Commission admet qu’il n’existe pas d’activité économique lorsque les bureaux publics fournissent une assistance juridique à un citoyen à titre entièrement gracieux. Toutefois, son raisonnement à cet égard contredit son appréciation finale selon laquelle les services en question sont fournis sans contrepartie au motif que, «en tant qu’employé d’un bureau public d’assistance juridique, le conseil perçoit pour seule rémunération son salaire normal». Cet argument dessert la cause de la Commission, car le salaire du conseil juridique public ne varie pas lorsque l’intéressé doit verser une somme à l’administration, de sorte que, dans les cas de rémunération partielle, l’indispensable caractère onéreux ferait également défaut.

45.

À mon sens, toutefois, le traitement du fonctionnaire qui intervient dans l’une de ces procédures est dénué de pertinence aux fins de déterminer si l’activité du bureau public est soumise à la TVA. La cause de la non-imposition des services rendus à titre entièrement gracieux réside, comme la jurisprudence l’indique, dans le fait qu’il ne peut y avoir d’activité économique sans échange de prestations et qu’il n’existe aucune base pour cette imposition.

46.

Dans le cas de l’assistance juridique fournie contre rémunération partielle, il est indispensable de prendre en considération la nature du paiement et sa composition, pour ainsi déterminer s’il représente la «contre-valeur effective» du service rendu et s’il existe un «lien direct et nécessaire» entre les deux.

47.

Lorsque l’assistance juridique subventionnée est fournie par un avocat privé, il est facile d’identifier ce lien direct, car, que le client ne verse aucune rémunération ou qu’il verse seulement une partie des honoraires, leur montant intégral est acquitté par l’État. Le professionnel obtient dans tous les cas une véritable contre-valeur — à savoir la somme des émoluments légalement dus — qui est assujettie, par conséquent, à la TVA. Que cette contre-valeur provienne entièrement ou partiellement des caisses de l’État, le prix dépend uniquement et exclusivement de la nature du travail accompli.

48.

En ce qui concerne les bureaux publics, en revanche, le lien entre l’apport dû par le bénéficiaire et l’assistance fournie remplit difficilement la condition relative au caractère «direct et nécessaire» exigée par la jurisprudence. La rémunération perçue par l’administration ne correspond pas à la valeur réelle du service, ni même à celle prévue par la loi (et qui est versée à l’avocat privé), mais ne représente qu’un pourcentage de cette valeur. Le bureau recouvre au maximum 75 % des honoraires fixés par la réglementation finlandaise ( 29 ). Il encaisse 20 %, 30 %, 40 % ou 55% de ce montant, en fonction des ressources de l’intéressé.

49.

La contrepartie versée par le particulier ne dépend pas uniquement et exclusivement du coût du travail, mais dépend également, et dans une large mesure, de la situation financière du client. On constate donc un certain lien entre le service rendu et le montant acquitté (cette contribution étant calculée à partir de la valeur légale de l’assistance juridique fournie), mais ce lien n’est pas direct et n’a pas l’intensité requise par la jurisprudence pour permettre de conclure à l’existence d’une prestation à titre onéreux, puisqu’il est en quelque sorte «contaminé» par la prise en considération des revenus et du patrimoine du client. Plus les ressources de l’intéressé sont modestes, moins le lien en question est direct.

50.

Les informations communiquées par le gouvernement finlandais en ce qui concerne le financement de ses bureaux publics d’assistance juridique sont très révélatrices. En 2007, d’après ces déclarations, 34 % seulement de l’assistance juridique fournie par ces bureaux a donné lieu à une rémunération partielle et les apports des particuliers dans ce cadre se sont élevés à 1,9 million d’euros, contre 24,5 millions d’euros de frais de fonctionnement bruts exposés par l’administration à ce titre.

51.

Bien que je partage le point de vue de l’avocat général VerLoren van Themaat selon lequel «ce qui importe dans l’article 4 [de la sixième directive], c’est la nature économique des activités concernées et non pas les hypothèses juridiques, ni le mode de financement des activités en question» ( 30 ), en l’occurrence les informations rappelées ci-dessus confirment que les paiements d’origine privée couvrent une faible part du coût de l’assistance juridique prise en charge par l’État finlandais. Si l’on ajoute à cela que la contribution des bénéficiaires s’apparente quelque peu à un instrument fiscal en raison de sa progressivité et que, conformément à l’arrêt Götz, la perception d’une redevance n’est pas, en soi, de nature à conférer un caractère économique à une activité donnée ( 31 ), il apparaît évident que l’assistance juridique fournie par l’administration finlandaise dans le cadre du régime de semi-gratuité ne répond pas aux critères d’une activité économique soumise à la TVA.

52.

La jurisprudence concernant l’assujettissement à la TVA des notaires, des percepteurs et d’autres agents publics ne suffit pas, à mes yeux, à réfuter cette thèse. Il ressort des arrêts Commission/Pays-Bas et Ayuntamiento de Sevilla, ou encore de l’ordonnance Mihal ( 32 ), que les fonctions de ces professionnels impliquent une véritable activité économique, car, bien que conférées par la loi pour des raisons d’intérêt général, elles supposent l’existence d’une prestation de services permanente fournie à des particuliers contre rémunération. Or la sixième directive ne prévoit aucune exonération en faveur des professions réglementées. La différence entre ces précédents et l’affaire qui nous intéresse ici réside dans le type de contrepartie, car, dans les cas de figure décrits, rien n’indique que les honoraires dépendent de facteurs étrangers aux caractéristiques propres du service.

53.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que les tâches accomplies par les bureaux publics finlandais d’assistance juridique impliquent une «activité économique» aux fins de leur assujettissement à la TVA. Ce motif permettrait à lui seul de rejeter le recours de la Commission sans examiner l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive.

54.

Toutefois, dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas cette analyse et estimerait que la Commission a rapporté cette preuve, j’examinerai ci-après les notions d’autorité publique et de distorsion de concurrence d’une certaine importance dans le cadre de la présente affaire.

B — Sur la notion d’«autorité publique» aux fins de la TVA (article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive)

55.

Selon les éléments versés au dossier, les bureaux publics d’assistance juridique font partie intégrante de l’administration finlandaise. Dans ces circonstances (en partant du principe que ces bureaux exercent une activité économique), il convient de vérifier si cette dernière peut être exonérée de la TVA en vertu de l’exception figurant à l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive.

56.

Cette disposition prévoit, en son premier alinéa, que les organismes publics «ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions».

57.

Par conséquent, deux conditions doivent être remplies cumulativement pour que la règle du non-assujettissement joue, à savoir l’exercice d’activités par un organisme public et l’exercice d’activités accomplies en tant qu’autorité publique ( 33 ).

58.

La Cour a fourni une définition précise de cette seconde condition en indiquant que «les organismes de droit public visés à l’article 4, paragraphe 5, [premier alinéa], de la sixième directive exercent des activités ‘en tant qu’autorités publiques’ au sens de cette disposition lorsqu’ils les accomplissent dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier. En revanche, lorsqu’ils agissent dans les mêmes conditions juridiques que les opérateurs économiques privés», ils n’exercent pas de telles activités ( 34 ).

59.

Ces explications ne signifient pas que la simple présence d’entreprises ou de professionnels privés dans le même domaine d’action exclue la possibilité, pour l’organisme en question, d’agir «en tant qu’autorité publique». Cette notion doit être interprétée largement, en ce sens qu’elle englobe tant les activités proprement publiques, interdites aux particuliers, que celles pour lesquelles il existe une situation de concurrence avec le secteur privé ( 35 ). S’il en était autrement, l’«exception à l’exception», prévue à l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive, qui soumet à la TVA «de telles activités ou opérations» ( 36 ) s’il existe un risque de distorsion de concurrence d’une certaine importance, pourrait difficilement trouver à s’appliquer.

60.

L’exclusion prévue à l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive revêt donc un caractère objectif, car, bien qu’il en ressorte que les organismes publics «ne sont pas considérés comme des assujettis», seules les modalités d’exercice des activités en cause déterminent la portée du non-assujettissement de ces entités. Ainsi, la jurisprudence souligne que la sixième directive considère comme imposables les activités qu’accomplissent les organismes publics «non pas en leur qualité de sujets de droit public, mais en tant que sujets de droit privé» et que le seul critère permettant de distinguer avec certitude ces deux catégories est le régime juridique applicable en vertu du droit national ( 37 ).

61.

En l’espèce, la Commission soutient que les bureaux publics d’assistance juridique finlandais, lorsqu’ils fournissent leurs services dans le cadre d’une procédure judiciaire, agissent dans les mêmes conditions juridiques que les professionnels privés habilités à fournir ce type de services, car l’activité en question est régie par la même réglementation, quelle que soit la personne chargée de la défense. Plus concrètement, la Commission ajoute que sa position «repose exclusivement sur la question de savoir si les bureaux publics d’assistance juridique fournissent leurs services en vertu de dispositions spécifiques qui ne s’appliqueraient pas aux bureaux privés». Étant donné que tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de procédures judiciaires, elle affirme que les bureaux de l’État n’agissent pas en tant qu’autorités publiques, de sorte qu’ils sont assujettis à la TVA ( 38 ).

62.

À mon sens, ce raisonnement est fondé sur des prémisses erronées, car la jurisprudence exige uniquement que les activités accomplies par les organismes publics «en tant qu’autorités publiques» soient exercées dans le cadre du régime juridique propre à ces derniers, et non que cette réglementation leur soit applicable. Dans la présente affaire, les opérateurs privés travaillent, en vertu d’une habilitation spéciale de la loi, dans un cadre juridique particulier aux organismes publics, et non l’inverse, ainsi que la Commission semble le suggérer.

63.

L’assistance juridique, qu’elle soit fournie par un conseil public ou par un avocat privé, constitue une mission publique et, dans les deux cas, ce sont les dispositions de la réglementation de 2002 qui prévalent. Le conseil juridique privé qui intervient éventuellement dans ce cadre ne relève pas uniquement des règles propres à l’exercice de sa profession, comme c’est le cas pour la défense de tout autre client, car la réglementation applicable impose d’autres exigences: en premier lieu, l’administration (par l’intermédiaire des bureaux publics) décide si l’intéressé peut assurer la défense de son client, en vérifiant à cet égard si les conditions légales sont réunies et s’il existe une raison particulière qui s’y oppose ( 39 ); en deuxième lieu, la rémunération du conseil dépend de barèmes officiels distincts des barèmes généraux de fixation des honoraires ( 40 ), et, en troisième lieu, le paiement provient de l’État et non pas du client. Au-delà des règles déontologiques et des règles strictement procédurales, il existe peu de similitudes entre le régime juridique de la profession d’avocat et celui qui organise les relations du conseil avec ces clients spécifiques.

64.

Il s’agit donc non pas d’une activité soumise aux règles générales du marché, mais d’opérations d’une autorité publique qui, lorsqu’elles sont directement réalisées par l’administration, sont exonérées de la TVA.

65.

Le législateur finlandais a créé cette activité publique particulière afin de favoriser l’accès des administrés à une assistance juridique de qualité. Pour faciliter cette mission, il en a confié l’exécution non seulement à des employés publics, mais également à des juristes privés qui agissent ainsi «en tant qu’autorités publiques». Toutefois, l’exonération de TVA n’a pas lieu d’être, car l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive la réserve aux organismes publics.

66.

Cette conséquence n’est pas surprenante. La Cour a jugé que, dans l’hypothèse où l’on considérerait que certains professionnels sont dotés de prérogatives de puissance publique en vertu d’une investiture publique, il n’en découlerait pas qu’ils peuvent bénéficier des dispositions de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive lorsqu’ils exercent ces prérogatives à titre indépendant, dans le cadre d’une profession libérale et sans être intégrés dans l’organisation de l’administration publique ( 41 ).

67.

Par conséquent, les bureaux en cause opèrent en qualité de sujets de droit public lorsqu’ils sont chargés, à l’occasion d’une procédure judiciaire, des activités d’assistance juridique que la loi leur confie. Ils agissent donc en tant qu’autorités publiques, bien qu’ils perçoivent une certaine rémunération en contrepartie et que des bureaux privés exercent la même pratique. Il s’ensuit que ce chef de manquement doit être rejeté.

C — Sur la notion de «distorsion de concurrence d’une certaine importance» aux fins de la TVA (article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive)

68.

Le troisième et dernier argument invoqué par la Commission dans sa requête vise à démontrer que, même si l’on considérait que les bureaux en question agissent en tant qu’autorités publiques, leur non-assujettissement serait susceptible d’entraîner des «distorsions de concurrence d’une certaine importance» au sens de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive lorsqu’ils interviennent dans des procédures judiciaires. Conformément à cette disposition, de telles activités seraient imposables bien qu’elles soient exercées par une autorité publique. Par cette mesure, le législateur communautaire entend empêcher les violations des principes de généralité et de neutralité de l’impôt ( 42 ).

69.

La Commission soutient dans sa requête que le non-assujettissement des bureaux publics renchérit de 22 % ( 43 ) le recours à un avocat privé. Elle rappelle que les bénéficiaires du service d’assistance juridique sont des consommateurs finals qui n’ont pas le droit de déduire la TVA, élément fondamental pour apprécier les perturbations de la concurrence ( 44 ).

70.

Pour sa défense, le gouvernement finlandais ajoute que le choix entre un bureau privé et un bureau public dépend non pas uniquement du prix, mais également d’autres facteurs tels que la relation de clientèle antérieure entre le bénéficiaire de l’assistance juridique et le conseil, la réputation ou l’expertise de ce dernier dans un domaine juridique particulier, la charge de travail pesant à un moment donné sur les conseils juridiques publics ou encore les conflits d’intérêts qui peuvent survenir. Il indique en outre que, selon les statistiques se rapportant aux années 2002 à 2006, seule une minorité de bénéficiaires de l’assistance juridique faisant appel aux services d’un avocat privé paient une contrepartie partielle (à savoir environ 20 %, les 80 % restants bénéficient d’une prise en charge intégrale du service par l’État), que la proportion des affaires traitées par les bureaux publics et par les bureaux privés, dans les conditions de semi-gratuité décrites plus haut, est demeurée stable entre 2004 et 2006, et que, pour cette période, le nombre de clients qui versent une rétribution partielle et qui ont recours à un conseil juridique privé a augmenté davantage (155 %) que le nombre de particuliers qui, dans les mêmes conditions, sont représentés par des employés publics (hausse de 30 %).

71.

La Commission ne considère pas ces chiffres comme définitifs, car, estime-t-elle, les faits qu’ils reflètent peuvent être imputables «à de nombreux facteurs et n’invalide[nt] pas, en soi, l’allégation de traitement différent dans des situations comparables, qui est bel et bien une réalité» ( 45 ).

72.

Dans l’arrêt Isle of Wight Council e.a. ( 46 ), récemment rendu, la Cour a jugé qu’une éventuelle distorsion de concurrence d’une certaine importance (au sens de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive) doit affecter l’activité concernée non seulement au regard de la concurrence actuelle, mais également de la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d’entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. En outre, les distorsions de concurrence doivent être «plus que négligeables».

73.

Ces règles d’interprétation limitent considérablement les cas dans lesquels l’activité d’une autorité publique n’est pas assujettie à la TVA. D’une part, il n’est pas indispensable d’établir que, par le passé, la différence de traitement fiscal ait assuré un avantage compétitif à l’organisme public. Il suffit d’entrevoir une future distorsion de concurrence. D’autre part, le niveau minimal de perturbation du marché, au-delà duquel l’exonération des organismes publics est exclue, me paraît très bas, puisqu’il suffit qu’il soit «plus que négligeable».

74.

Les données statistiques fournies par le gouvernement finlandais démontrent que, dans les premières années de son application, la loi sur l’assistance juridique a majoritairement bénéficié aux bureaux privés, et cela parce que la personne qui choisit de faire appel à un professionnel privé — l’État subventionnant une partie des services fournis — est influencée par des aspects étrangers au prix. Néanmoins, aucun de ces motifs, pris isolément, ne se révèle indispensable.

75.

Il existe toutefois un élément qui, même s’il n’a pas été invoqué dans le dossier, pourrait atténuer l’éventuel caractère anticoncurrentiel de la différence de traitement fiscal dont il est ici question, car le choix entre un conseil juridique public ou un conseil juridique privé ne dépend pas toujours de la volonté du client. Selon la loi sur l’assistance juridique, lorsque le citoyen propose un avocat privé, les démarches nécessaires à sa désignation sont entreprises, bien que l’administration ait la possibilité de prendre cette initiative ( 47 ), ce qu’elle peut faire, par exemple, en vue de répartir une charge de travail impossible à assumer pour les conseils juridiques publics (situation qui ne manquerait pas de se produire si tous les particuliers optaient pour l’assistance fournie par les bureaux publics).

76.

Ainsi, sans minimiser l’impact qu’une différence de prix de 22 % peut avoir sur le choix de l’un ou de l’autre mode de défense, la Commission n’a pas établi que ce facteur ait, dans le processus de décision, un poids supérieur aux autres facteurs mentionnés, ni qu’il entraîne une distorsion de concurrence d’une certaine importance dont il n’existe, à ce jour, aucun indice.

D — Le corollaire

77.

À mon sens, il est évident que le caractère non strictement économique de l’apport de l’intéressé interdit de qualifier le service fourni par les conseils juridiques publics en Finlande d’«activité économique». Je recommande donc à la Cour de rejeter le recours en manquement formé par la Commission.

78.

Cela étant, pour le cas où la Cour ne partagerait pas cet avis, j’analyse, dans les parties B et C des présentes conclusions, à titre subsidiaire, le libellé de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive et j’en déduis que les bureaux publics en question agissent en tant qu’autorités publiques et que leur non-assujettissement ne perturbe pas la concurrence, de sorte que, en tout état de cause, le manquement ne serait pas établi.

VI — Dépens

79.

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens et la République de Finlande ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de faire droit à cette demande.

VII — Conclusion

80.

À la lumière des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour:

de rejeter le recours en manquement formé par la Commission des Communautés européennes contre la République de Finlande, et

de condamner la Commission des Communautés européennes aux dépens.


( 1 ) Langue originale: l’espagnol.

( 2 ) Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1) (ci-après la «sixième directive»).

( 3 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

( 4 ) Oikeusapulaki (257/2002), du 5 avril 2002. Une version (non officielle) en anglais du texte de cette loi, publiée par le ministère de la justice finlandais, peut être consultée sur Internet à l’adresse http://www.finlex.fi/fi/laki/kaannokset/2002/en20020257.pdf. Un guide sur l’application de cette loi figure également sur Internet à l’adresse http://www.om.fi/en/Etusivu/Julkaisut/Esitteet/Oikeusapu/pagename/esite/Tulosta (pour la version en anglais).

( 5 ) Laki valtion oikeusaputoimistoista (258/2002).

( 6 ) Valtioneuvoston asetus oikeusavusta (388/2002), du 23 mai 2002.

( 7 ) Valtioneuvoston asetus oikeusavun palkkioperusteista (389/2002), du 23 mai 2002.

( 8 ) Article 3, paragraphe 1, de la loi sur l’assistance juridique.

( 9 ) Pour une personne célibataire, le barème est le suivant: avec des revenus mensuels ne dépassant pas 650 euros, il n’y a aucun apport, l’assistance est fournie gratuitement; avec 850 euros ou moins, le bénéficiaire doit payer 20 % du service; avec 1000 euros ou moins, 30 %; avec 1200 euros ou moins, 40 %; avec 1300 euros ou moins, 55 %, et avec 1400 euros ou moins, 75 %.

Si la personne qui demande l’assistance juridique est mariée, les montants sont différents: si le conjoint dispose de revenus individuels de 550 euros ou moins, l’assistance est gratuite; avec 650 euros ou moins, l’apport est de 20 %; avec 800 euros ou moins, de 30 %; avec 1000 euros ou moins, de 40 %; avec 1100 euros ou moins, de 55 %, et avec 1200 euros ou moins, de 75 %.

( 10 ) Article 6 du décret ministériel sur l’assistance juridique.

( 11 ) Article 7 du décret ministériel sur l’assistance juridique.

( 12 ) Article 8 de la loi sur l’assistance juridique.

( 13 ) Selon le gouvernement finlandais, en 2007, les dépenses brutes de fonctionnement de ces bureaux publics se sont élevées à 24,5 millions d’euros, contre 1,9 million d’euros de recettes d’exploitation incluant notamment les honoraires partiellement acquittés par les bénéficiaires de l’assistance juridique semi-gratuite et les dépens mis à la charge de la partie ayant succombé dans le cadre d’une procédure judiciaire (point 35 du mémoire en défense).

( 14 ) Article 11 du décret ministériel sur les critères de rémunération de l’assistance juridique.

( 15 ) Loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée [arvonlisäverolaki (1501/1993)], du 30 décembre 1993.

( 16 ) Bien que l’article 4 de la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA, seules sont visées par cette disposition les activités ayant un caractère économique [arrêts du 11 juillet 1996, Régie dauphinoise (C-306/94, Rec. p. I-3695, point 15); du , EDM (C-77/01, Rec. p. I-4295, point 47), et du , Kretztechnik (C-465/03, Rec. p. I-4357, point 18)]. Outre l’exercice d’une activité économique, la directive énonce trois autres conditions permettant d’identifier l’assujetti à la TVA, certaines subjectives et d’autres de nature objective, à savoir l’indépendance, le caractère professionnel et le caractère habituel.

( 17 ) Arrêts du 14 février 1985, Rompelman (268/83, Rec. p. 655, point 19); du , Commission/Pays-Bas (235/85, Rec. p. 1471, points 6 à 10); du , Zita Modes (C-497/01, Rec. p. I-14393, point 38); du , University of Huddersfield (C-223/03, Rec. p. I-1751, point 47), et du , T-Mobile Austria e.a. (C-284/04, Rec. p. I-5189, point 35) et Hutchison 3G e.a. (C-369/04, Rec. p. I-5247, point 28).

( 18 ) Directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303).

( 19 ) Arrêt du 14 novembre 2000 (C-142/99, Rec. p. I-9567, point 28). Voir également, dans cette affaire, les conclusions de l’avocat général Fennelly du (points 34 et 35).

( 20 ) En ce qui concerne les holdings, la Cour a reconnu que la simple acquisition et la simple détention de parts sociales ne constituent pas une «activité économique» au sens de la sixième directive, sauf si le holding intervient dans la gestion des sociétés [arrêt du 20 juin 1991, Polysar Investments Netherlands (C-60/90, Rec. p. I-3111)]. On introduit ainsi de nouveau le critère relatif à l’objectif d’entreprise pour expliciter le sens de la notion d’«exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence», figurant à l’article 4, paragraphe 2. Sur cette notion, voir arrêts du , van Tiem (C-186/89, Rec. p. I-4363); du , Enkler (C-230/94, Rec. p. I-4517), et Hutchison 3G e.a., précité, ainsi que Terra, B., et Kajus, J., A guide to the European VAT Directives. Introduction to European VAT 2009, vol. 1, IBFD, 2009, p. 360.

( 21 ) Arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, précité, points 9 et 15; du , Commission/France (C-276/97, Rec. p. I-6251, point 32), et du , Götz (C-408/06, Rec. p. I-11295, point 18).

( 22 ) Herrero de la Escosura, P., El IVA en la jurisprudencia del Tribunal de Justicia de las Comunidades Europeas, Universidad de Oviedo, éd. Marcial Pons, Madrid, 1996, p. 120.

( 23 ) Arrêt du 1er avril 1982 (89/81, Rec. p. 1277, points 10 et 11).

( 24 ) Un tel point de vue conduirait à admettre, par exemple, l’exonération des ventes qui, inférieures au prix de revient, donnent lieu à des rabais ou à des liquidations.

( 25 ) Arrêts du 3 mars 1994, Tolsma (C-16/93, Rec. p. I-743, point 14); du , SDC (C-2/95, Rec. p. I-3017, point 45), et du , MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring (C-305/01, Rec. p. I-6729, point 47).

( 26 ) Arrêts du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council (102/86, Rec. p. 1443, points 11 et 12); du , Fillibeck (C-258/95, Rec. p. I-5577, point 12), et Commission/France, précité (points 34 et 35).

( 27 ) Arrêt Apple and Pear Development Council, précité (points 11 à 16).

( 28 ) Arrêt Commission/France, précité (point 35).

( 29 ) Éventuellement un peu plus, si le particulier dispose d’actifs facilement liquidables d’une valeur supérieure à 5000 euros. Le dossier ne permet pas de déterminer si le montant peut représenter 100 % des honoraires, mais cela paraît hautement improbable, car l’article 6 du décret ministériel sur l’assistance juridique fixe un plafond de ressources mensuelles pour l’accès à la prestation en cause.

( 30 ) Conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hong-Kong Trade Development Council, précité (point 3.4 in fine).

( 31 ) Arrêt Götz, précité (point 21). Voir, dans le même sens, arrêts du 18 mars 1997, Diego Calì & Figli (C-343/95, Rec. p. I-1547, point 24); Hutchison 3G e.a., précité (point 39), et T-Mobile Austria e.a., précité (point 45).

( 32 ) Arrêts Commission/Pays-Bas, précité, et du 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla (C-202/90, Rec. p. I-4247), ainsi que ordonnance du , Mihal (C-456/07).

( 33 ) Voir, notamment, arrêt Ayuntamiento de Sevilla, précité (point 18).

( 34 ) Arrêt du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a. (231/87 et 129/88, Rec. p. 3233, point 16). Voir également arrêts du , Comune di Carpaneto Piacentino e.a. (C-4/89, Rec. p. I-1869, point 8); du , Marktgemeinde Welden (C-247/95, Rec. p. I-779, point 17); Commission/France, précité (point 40); du , Commission/Irlande (C-358/97, Rec. p. I-6301, point 38); Commission/Royaume-Uni (C-359/97, Rec. p. I-6355, point 50); Commission/Pays-Bas (C-408/97, Rec. p. I-6417, point 35); Commission/Grèce (C-260/98, Rec. p. I-6537, point 35); du , Fazenda Pública (C-446/98, Rec. p. I-11435, point 17), et du , Feuerbestattungsverein Halle (C-430/04, Rec. p. I-4999, point 32).

( 35 ) Selon l’arrêt Commission/France, précité, «il y a lieu de rejeter la thèse […] selon laquelle un organisme agit ‘en tant qu’autorité publique’ pour les seules activités qui relèvent de la notion d’autorités publiques au sens strict de ce terme» (point 41).

( 36 ) La jurisprudence a souligné que cette expression correspond aux activités ou opérations accomplies par les organismes de droit public en tant qu’autorités publiques (arrêt du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a., précité, point 21).

( 37 ) Arrêts précités du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a. (point 15), et Fazenda Pública (point 16).

( 38 ) Point 61 de la requête de la Commission.

( 39 ) Article 8 de la loi sur l’assistance juridique.

( 40 ) Définis par le décret ministériel sur les critères de rémunération de l’assistance juridique.

( 41 ) Arrêts précités Commission/Pays-Bas (points 21 et 22) et Ayuntamiento de Sevilla (points 18 à 21) ainsi que ordonnance Mihal, précitée.

( 42 ) Selon Casado Ollero, «l’objectif de cette règle communautaire est d’éviter que le non-assujettissement à la TVA porte atteinte à la généralité et à la neutralité de l’impôt, mais, au lieu de mentionner ces deux principes, le législateur indique le résultat qui peut découler de leur non-respect: l’apparition de distorsions de concurrence» (Casado Ollero, G., «El IVA y las operaciones de los entes públicos», El IVA en el sistema tributario español, vol. II, éd. Ministerio de Economía y Hacienda, Madrid, 1986, p. 194).

( 43 ) Taux de TVA en Finlande.

( 44 ) Elle se fonde sur les conclusions de l’avocat général Kokott dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités T-Mobile Austria e.a. ainsi que Hutchison 3G e.a.

( 45 ) Point 56 de la requête de la Commission.

( 46 ) Arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07, Rec. p. I-7203).

( 47 ) Article 8 de la loi sur l’assistance juridique.