ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
10 décembre 2009 (*)
Table des matières
I – Le cadre juridique
II – Les antécédents du recours et les procédures précontentieuses
A – L’affaire 1998/2265 (Angleterre, Pays de Galles et Écosse)
B – L’affaire 2003/2008 (Irlande du Nord)
III – Sur le recours
A – Sur le premier grief, tiré de l’identification incomplète des zones sensibles
1. Observations liminaires
a) Sur la notion d’eutrophisation
b) Sur la charge de la preuve
c) Sur la date pertinente à prendre en compte pour l’examen des éléments de preuve
2. Sur les zones litigieuses
a) Sur l’estuaire de la Humber
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
b) Sur le Wash
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
c) Sur les estuaires de la Deben et de la Colne
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
– Sur l’estuaire de la Deben
– Sur l’estuaire de la Colne
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
– Sur l’estuaire de la Deben
– Sur l’estuaire de la Colne
d) Sur l’estuaire extérieur de la Tamise
i) Sur les premier et deuxième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs et d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
ii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
e) Sur la Southampton Water
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
f) Sur la partie nord-est de la mer d’Irlande
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
3. Conclusion sur le premier grief
B – Sur le second grief, tiré de la violation des obligations de collecte et de traitement des eaux urbaines résiduaires
C – Conclusion
Sur les dépens
«Manquement d’État – Environnement – Directive 91/271/CEE – Traitement des eaux urbaines résiduaires – Article 3, paragraphes 1 et 2, article 5, paragraphes 1 à 3 et 5, et annexes I et II – Défaut d’identification initiale des zones sensibles – Notion d’‘eutrophisation’ – Critères – Charge de la preuve – Date pertinente pour l’examen des éléments probants – Mise en œuvre des obligations de collecte – Mise en œuvre d’un traitement plus rigoureux des rejets dans les zones sensibles»
Dans l’affaire C‑390/07,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 17 août 2007,
Commission européenne, représentée par Mme S. Pardo Quintillán, MM. X. Lewis et H. van Vliet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes C. Gibbs et V. Jackson, en qualité d’agents, assistées de M. D. Anderson, QC, et de Mme S. Ford, barrister,
partie défenderesse,
soutenu par:
République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes et Mme M. J. Lois, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. U. Lõhmus et A. Ó Caoimh (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 mars 2009,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:
– en ne désignant pas l’estuaire de la Humber, le Wash, les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise, la Southampton Water et la partie nord-est de la mer d’Irlande – à l’exception du Solway Firth – comme zones sensibles à l’égard de l’eutrophisation, et
– en ne soumettant pas à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires provenant des agglomérations dont l’équivalent habitant (EH) est supérieur à 10 000 dans l’estuaire de la Humber, le Wash, les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise, la Southampton Water, la partie nord-est de la mer d’Irlande – à l’exception du Solway Firth – ainsi que dans le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne,
le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations que lui imposent les articles 3, paragraphes 1 et 2, et 5, paragraphes 1 à 3 et 5, ainsi que l’annexe II de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO L 135, p. 40).
I – Le cadre juridique
2 Aux termes de son article 1er, la directive 91/271 concerne la collecte, le traitement et le rejet des eaux urbaines résiduaires ainsi que le traitement et le rejet des eaux usées provenant de certains secteurs industriels, et a pour objet de protéger l’environnement contre une détérioration due aux rejets de ces eaux résiduaires.
3 L’article 2 de la directive 91/271 dispose:
«Aux fins de la présente directive, on entend par:
1) ‘eaux urbaines résiduaires’: les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement;
2) ‘eaux ménagères usées’: les eaux usées provenant des établissements et services résidentiels et produites essentiellement par le métabolisme humain et les activités ménagères;
3) ‘eaux industrielles usées’: toutes les eaux usées provenant de locaux utilisés à des fins commerciales ou industrielles, autres que les eaux ménagères usées et les eaux de ruissellement;
4) ‘agglomération’: une zone dans laquelle la population et/ou les activités économiques sont suffisamment concentrées pour qu’il soit possible de collecter les eaux urbaines résiduaires pour les acheminer vers une station d’épuration ou un point de rejet final;
5) ‘système de collecte’: un système de canalisations qui recueille et achemine les eaux urbaines résiduaires;
6) ‘un équivalent habitant (EH)’: la charge organique biodégradable ayant une demande biochimique d’oxygène en cinq jours (DB05) de 60 grammes d’oxygène par jour;
[…]
8) ‘traitement secondaire’: le traitement des eaux urbaines résiduaires par un procédé comprenant généralement un traitement biologique avec décantation secondaire ou par un autre procédé permettant de respecter les conditions du tableau 1 de l’annexe I;
[…]
11) ‘eutrophisation’: l’enrichissement de l’eau en éléments nutritifs, notamment des composés de l’azote et/ou du phosphore, provoquant un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures qui entraîne une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de l’eau en question;
12) ‘estuaire’: la zone de transition à l’embouchure d’un cours d’eau entre l’eau douce et les eaux côtières. Les États membres établissent les limites extérieures (maritimes) des estuaires aux fins de la présente directive […];
13) ‘eaux côtières’: les eaux en dehors de la laisse de basse mer ou de la limite extérieure d’un estuaire.»
4 L’article 3 de la directive 91/271 prévoit:
«1. Les États membres veillent à ce que toutes les agglomérations soient équipées de systèmes de collecte des eaux urbaines résiduaires:
– au plus tard le 31 décembre 2000 pour celles dont l’[EH] est supérieur à 15 000
et
– au plus tard le 31 décembre 2005 pour celles dont l’EH se situe entre 2 000 et 15 000.
Pour les rejets d’eaux urbaines résiduaires dans des eaux réceptrices considérées comme des ‘zones sensibles’, telles que définies à l’article 5, les États membres veillent à ce que des systèmes de collecte soient installés au plus tard le 31 décembre 1998 pour les agglomérations dont l’EH est supérieur à 10 000.
[…]
2. Les systèmes de collecte décrits au paragraphe 1 doivent répondre aux prescriptions de l’annexe I point A. […]»
5 L’article 4 de la directive 91/271 prévoit que les États membres doivent veiller à ce que les eaux urbaines résiduaires qui pénètrent dans les systèmes de collecte soient, avant d’être rejetées, soumises à un traitement secondaire ou à un traitement équivalent selon les modalités définies par cette disposition.
6 L’article 5 de la directive 91/271 dispose:
«1. Aux fins du paragraphe 2, les États membres identifient, pour le 31 décembre 1993, les zones sensibles sur la base des critères définis à l’annexe II.
2. Les États membres veillent à ce que les eaux urbaines résiduaires qui entrent dans les systèmes de collecte fassent l’objet, avant d’être rejetées dans des zones sensibles, d’un traitement plus rigoureux que celui qui est décrit à l’article 4, et ce au plus tard le 31 décembre 1998 pour tous les rejets provenant d’agglomérations ayant un EH de plus de 10 000.
3. Les rejets provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires visées au paragraphe 2 répondent aux prescriptions pertinentes de l’annexe I point B. […]
[…]
5. Pour les rejets des stations d’épuration d’eaux urbaines qui sont situées dans les bassins versants pertinents des zones sensibles et qui contribuent à la pollution de ces zones, les paragraphes 2, 3 et 4 sont applicables.
[…]
6. Les États membres veillent à ce que la liste des zones sensibles soit revue au moins tous les quatre ans.
7. Les États membres veillent à ce que les zones identifiées comme sensibles à la suite de la révision prévue au paragraphe 6 se conforment aux exigences précitées dans un délai de sept ans.
[…]»
7 L’annexe I de la directive 91/271, intitulée «Prescriptions relatives aux eaux urbaines résiduaires», prévoit à son point A, lui-même intitulé «Systèmes de collecte», que ceux-ci doivent tenir compte des prescriptions en matière de traitement des eaux usées et que leur conception, leur construction ainsi que leur entretien doivent être entrepris sur la base des connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner de coûts excessifs.
8 Le point B de cette annexe I, intitulé «Rejets provenant de stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires dans les eaux réceptrices», prévoit à ses points 2 et 3, respectivement, que «[l]es rejets provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires, traités conformément aux articles 4 et 5 de la [directive 91/271], répondent aux prescriptions figurant au tableau 1» et que «[l]es rejets des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires dans des zones sensibles sujettes à eutrophisation, telles qu’identifiées à l’annexe II point A lettre a), répondent en outre aux prescriptions figurant au tableau 2 de [l’annexe I]».
9 Le tableau 1 de l’annexe I de la directive 91/271 fixe, notamment, des taux maximaux de concentration et des pourcentages minimaux de réduction de demande biochimique et chimique en oxygène ainsi que du total des matières solides en suspension dans les rejets provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires. Le tableau 2 de cette annexe, relatif à ces rejets dans des zones sensibles à l’eutrophisation, fixe, notamment, des taux maximaux de concentration et des pourcentages minimaux de réduction du phosphore total et de l’azote total.
10 L’annexe II de la directive 91/271, intitulée «Critères d’identification des zones sensibles et moins sensibles», prévoit à son point A, relatif aux zones sensibles:
«Une masse d’eau doit être identifiée comme zone sensible si elle appartient à l’un des groupes ci-après:
a) Lacs naturels d’eau douce, autres masses d’eau douce, estuaires et eaux côtières, dont il est établi qu’ils sont eutrophes ou pourraient devenir eutrophes à brève échéance si des mesures de protection ne sont pas prises.
Il pourrait être tenu compte des aspects ci-après lors de l’examen des éléments nutritifs à réduire par un traitement complémentaire:
[…]
ii) estuaires, baies et autres eaux côtières où il est établi que l’échange d’eau est faible, ou qui reçoivent de grandes quantités d’éléments nutritifs. Les rejets provenant des petites agglomérations sont généralement de peu d’importance dans ces zones, mais, en ce qui concerne les grandes agglomérations, l’élimination du phosphore et/ou de l’azote doit être prévue, à moins qu’il ne soit démontré que cette élimination sera sans effet sur le niveau d’eutrophisation.
[…]»
11 Ladite annexe II prévoit à son point B, intitulé «Zones moins sensibles», notamment que, lors de l’identification de ces zones, il est tenu compte des éléments suivants: «baies ouvertes, estuaires et autres eaux côtières avec un bon échange d’eau et sans risque d’eutrophisation ou de déperdition d’oxygène ou dont on considère qu’il est peu probable qu’ils deviennent eutrophes ou subissent une déperdition d’oxygène à la suite du déversement d’eaux urbaines résiduaires».
II – Les antécédents du recours et les procédures précontentieuses
A – L’affaire 1998/2265 (Angleterre, Pays de Galles et Écosse)
12 En vue de l’identification des zones sensibles aux fins de la directive 91/271, le Royaume-Uni a publié différents rapports:
– premièrement, en mars 1992, un mémorandum consultatif intitulé Criteria and Procedures for identifying Sensitive Areas and Less Sensitive Areas (Urban Waste Water Treatment Directive) and Polluted Waters (Nitrates Directive) in England and Wales [Critères et procédures d’identification des zones sensibles et des zones moins sensibles (directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires) et des eaux polluées (directive sur les nitrates) en Angleterre et au Pays de Galles], qui indiquait les critères sur la base desquels le Royaume-Uni se proposait d’identifier les zones sensibles à l’eutrophisation;
– deuxièmement, en mars 1993, un nouveau mémorandum consultatif intitulé Methodology for identifying Sensitive Areas (Urban Waste Water Treatment Directive) and methodology for designating vulnerable zones (Nitrates Directive) in England and Wales [Méthodologie d’identification des zones sensibles (directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires) et méthodologie de désignation des zones vulnérables (directive sur les nitrates) en Angleterre et au Pays de Galles], dont l’annexe B contient la liste des critères pour l’appréciation de l’eutrophisation des eaux estuariennes et côtières;
– troisièmement, en janvier 1997, un rapport préparé par le Comprehensive Studies Task Team (groupe de travail sur les études approfondies), intitulé Comprehensive Studies for the purposes of Articles 6 & 8.5 of Directive 91/271 EEC, the Urban Waste Water Treatment Directive (Étude approfondie aux fins des articles 6 et 8, paragraphe 5, de la directive 91/271, directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, ci-après le «rapport CSTT de 1997»).
13 De son côté, en vue de vérifier l’identification des zones sensibles au sens de la directive 91/271 telle qu’opérée par les États membres, la Commission a commandé un ensemble de rapports à la société Environmental Resources Management. S’agissant de la situation des masses d’eau du Royaume-Uni, un rapport intitulé Verification of Vulnerable Zones Identified Under the Nitrate Directive and Sensitive Areas Identified Under the Urban Waste Water Treatment Directive, United Kingdom (Vérification des zones vulnérables identifiées dans le cadre de la directive sur les nitrates et des zones sensibles identifiées dans le cadre de la directive sur le traitement des eaux résiduaires urbaines au Royaume-Uni, ci-après le «rapport ERM») a été publié en mars 1999.
14 Le 4 novembre 1999, la Commission a envoyé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure identifiant, sur la base du rapport ERM, certaines zones que, à son estime, cet État membre aurait dû qualifier de zones sensibles aux fins de la directive 91/271, à savoir l’estuaire de la Humber, le Wash, les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise ainsi que la Southampton Water et la partie nord-est de la mer d’Irlande.
15 Par lettre du 9 mars 2000, le Royaume-Uni a répondu en soulignant notamment les insuffisances que présentait, selon lui, le rapport ERM. Il a en outre fourni à la Commission, par lettres du 6 décembre 2000 et du 7 février 2001, des évaluations de ce rapport réalisées par les professeurs D. Nedwell, de l’University of Essex (université d’Essex) [Peer Review of ERM Reports for the DETR (Department of the Environment, Transport and the Regions) (Examen par des pairs des rapports ERM pour le DETR [département de l’environnement, du transport et des régions])], et S. Nixon, de la Rhode Island University (université de Rhode Island, États-Unis) [A Review of the Final Report from Environmental Resources Management Ltd. to the European Commission (Examen du rapport final d’Environmental Resources Management Ltd à la Commission)].
16 Le 19 avril 2001, la Commission a envoyé un avis motivé au Royaume-Uni, maintenant ses griefs concernant les zones identifiées dans la lettre de mise en demeure susmentionnée (ci-après l’«avis motivé du 19 avril 2001»), auquel cet État membre a répondu le 30 août 2001.
17 Le Royaume-Uni a fourni par la suite à la Commission des rapports supplémentaires concernant l’évaluation de l’état d’eutrophisation de chacune des zones en cause en annexe à ses lettres datées, respectivement, du 15 octobre 2001, en ce qui concerne l’estuaire de la Humber, la Southampton Water et le Wash, et du 26 novembre 2001, en ce qui concerne les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise ainsi que certaines zones de la partie nord-est de la mer d’Irlande (baie de Liverpool et Solway Firth).
18 Enfin, par lettre du 28 mai 2002, le Royaume-Uni a envoyé à la Commission un supplément au mémorandum consultatif de 1993, mentionné au point 12, deuxième tiret, du présent arrêt, en vue d’expliciter la méthodologie et l’approche appliquées pour identifier les zones sensibles au sens de la directive 91/271.
B – L’affaire 2003/2008 (Irlande du Nord)
19 En 1994 et en 1995, le Royaume-Uni a identifié des zones sensibles en Irlande du Nord aux fins de la directive 91/271, dont, notamment, le Lough Neagh ainsi que l’Upper and Lower Lough Erne.
20 Le 11 juillet 2003, la Commission a envoyé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure dans laquelle elle reprochait à ce dernier, notamment, de ne pas avoir soumis les rejets provenant de certaines agglomérations dont l’EH est supérieur à 10 000 dans lesdites zones au traitement plus rigoureux requis par la directive 91/271. Cet État membre y a répondu par une lettre du 10 septembre 2003.
21 Le 9 juillet 2004, la Commission a envoyé un avis motivé au Royaume-Uni, maintenant ses griefs s’agissant du Lough Neagh ainsi que de l’Upper and Lower Lough Erne (ci-après l’«avis motivé du 9 juillet 2004»), auquel cet État membre a répondu le 9 septembre 2004.
22 Estimant que la situation visée tant dans ce dernier avis motivé que dans celui du 19 avril 2001 demeurait insatisfaisante, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
23 Par ordonnance du président de la Cour du 6 février 2008, la République portugaise a été admise à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Royaume-Uni.
III – Sur le recours
A – Sur le premier grief, tiré de l’identification incomplète des zones sensibles
24 Par son premier grief, la Commission reproche au Royaume-Uni d’avoir enfreint l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/271 ainsi que l’annexe II, A, sous a), de celle-ci, en n’ayant pas identifié l’estuaire de la Humber, le Wash, les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise ainsi que la Southampton Water et la partie nord-est de la mer d’Irlande – à l’exception du Solway Firth – (ci-après les «zones litigieuses») comme zones sensibles à l’eutrophisation au sens de ces dispositions.
1. Observations liminaires
a) Sur la notion d’eutrophisation
25 La Commission et le Royaume-Uni ne s’accordant pas totalement sur la portée de la notion d’eutrophisation définie à l’article 2, point 11, de la directive 91/271, il y a lieu, avant d’examiner les griefs formulés par la Commission dans le cadre de son recours, de rappeler la portée de cette notion, telle que celle-ci a été précisée par la Cour aux points 12 à 25 de l’arrêt du 23 septembre 2004, Commission/France (C‑280/02, Rec. p. I‑8573).
26 Ainsi qu’il ressort des points 13 à 17 de cet arrêt, la notion d’eutrophisation définie à l’article 2, point 11, de la directive 91/271 doit être interprétée à la lumière de l’objectif poursuivi par cette directive, lequel va au-delà de la seule protection des écosystèmes aquatiques et tend à préserver l’homme, la faune, la flore, le sol, l’eau, l’air et les paysages de toute incidence négative notable du développement accéléré d’algues et de végétaux d’espèces supérieures consécutif aux rejets d’eaux résiduaires urbaines.
27 Ainsi que la Cour l’a souligné au point 18 de ce même arrêt, l’eutrophisation est caractérisée, aux termes dudit article 2, point 11, par la réunion de quatre critères (ci-après les «critères de l’eutrophisation»):
– l’enrichissement de l’eau en éléments nutritifs, notamment des composés de l’azote et du phosphore;
– le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures;
– une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau;
– une dégradation de la qualité de l’eau en question.
28 De surcroît, pour qu’il y ait eutrophisation au sens de la directive 91/271, il doit y avoir une relation de cause à effet, d’une part, entre l’enrichissement en nutriments et le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, et, d’autre part, entre ce développement accéléré et une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ainsi qu’une dégradation de la qualité de l’eau (arrêt Commission/France, précité, point 19).
29 Enfin, il y a lieu de rappeler également que, compte tenu de l’objectif du législateur communautaire, qui est de protéger l’environnement contre une détérioration due au rejet des eaux urbaines résiduaires, l’obligation qui pèse sur les États membres en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/271 leur impose uniquement d’identifier les zones pour lesquelles un tel rejet contribue de manière significative à l’eutrophisation ou au risque d’eutrophisation (voir arrêt Commission/France, précité, point 25, ainsi que, par analogie, arrêt du 29 avril 1999, Standley e.a., C‑293/97, Rec. p. I‑2603, point 35).
30 En l’espèce, il y a lieu de constater d’emblée que le rapport ERM, antérieur de plus de cinq années à l’arrêt Commission/France, précité, et sur lequel la Commission a fondé l’essentiel de ses allégations à l’appui du présent recours, bien qu’il se réfère à la définition de la notion d’eutrophisation figurant à l’article 2, point 11, de la directive 91/271, ne vise pas à démontrer selon un plan systématique que l’existence de chacun des quatre critères de l’eutrophisation et des liens de causalité entre ceux-ci, tels qu’énoncés par la Cour dans cet arrêt, est vérifiée en ce qui concerne les zones litigieuses.
31 Ainsi que le Royaume-Uni l’a fait observer à juste titre lors de l’audience, et comme la Commission l’a elle-même indiqué dans sa requête, ce rapport cherche davantage à démontrer que l’eutrophisation des zones en question peut être prouvée par le recours à un ensemble de facteurs environnementaux ayant trait, notamment, à l’enrichissement en éléments nutritifs, aux conditions hydrodynamiques ainsi qu’aux effets directs et indirects de cet enrichissement. Ainsi, les auteurs dudit rapport définissent l’eutrophisation, en se référant à la littérature scientifique, comme consistant, en substance, dans l’apport accru de matières organiques dans un écosystème, soit une définition qui ne correspond pas aux critères de l’eutrophisation et aux relations entre ceux-ci tels qu’énoncés par la Cour dans l’arrêt Commission/France, précité.
32 Il ne saurait cependant être déduit de ce seul élément que le rapport ERM n’est pas apte à démontrer que les critères de l’eutrophisation au sens de la directive 91/271 sont réunis en ce qui concerne les zones litigieuses, l’appréciation du caractère probant des données figurant dans ce rapport au regard desdits critères devant être effectuée in concreto au stade de l’examen de chacune de ces zones en fonction du contenu dudit rapport concernant celles-ci.
33 S’agissant plus particulièrement du troisième critère de l’eutrophisation, la Commission fait cependant valoir que la prolifération d’une seule espèce représente en soi une perturbation suffisante de l’équilibre écologique, étant donné qu’elle entraîne souvent, voire toujours, la réduction d’autres espèces. Sous réserve que les autres conditions préalables soient remplies, une mesure globale, largement acceptée, du développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, comme celle relative à la coloration de l’eau par la chlorophylle du phytoplancton, pourrait donc être considérée comme une démonstration de l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau, pour autant qu’il y ait également un développement accéléré indésirable, en d’autres termes une prolifération, par rapport aux fluctuations habituelles.
34 Une telle argumentation, qui tend à confondre le deuxième critère de l’eutrophisation avec les troisième et quatrième critères de celle-ci, ne saurait être retenue.
35 Certes, la Cour a jugé, au point 21 de l’arrêt Commission/France, précité, que toute prolifération d’une espèce particulière d’algues ou d’autres végétaux constitue, en tant que telle, une perturbation de l’équilibre de l’écosystème aquatique et, partant, de celui des organismes présents dans l’eau, quand bien même les autres espèces resteraient stables. La Cour a relevé à cet égard que, compte tenu de la compétition entre les espèces végétales pour l’acquisition des sels nutritifs et de l’énergie lumineuse, la prolifération d’une ou de plusieurs espèces, en monopolisant les ressources nécessaires à la croissance des autres algues et végétaux aquatiques, implique le plus souvent, sinon toujours, la diminution des autres espèces.
36 Toutefois, contrairement à ce que suggère la Commission, la Cour a également précisé, aux points 22 et 23 de ce même arrêt, que le troisième critère de l’eutrophisation exige qu’une telle perturbation de l’équilibre des organismes présents dans l’eau soit «indésirable». Ce caractère indésirable doit être considéré comme établi en cas d’incidences négatives notables sur la faune ou la flore ainsi que, eu égard à l’objectif poursuivi par la directive 91/271, sur l’homme, le sol, l’eau, l’air ou les paysages. Sont ainsi constitutifs d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau, notamment, des changements d’espèces avec perte de biodiversité de l’écosystème, des nuisances dues à la prolifération de macroalgues opportunistes et des poussées intenses de phytoplancton toxique ou nuisible.
37 De même, s’agissant du quatrième critère de l’eutrophisation, la Cour a jugé, au point 24 de l’arrêt Commission/France, précité, qu’il vise les dégradations de la qualité de l’eau ayant des effets néfastes sur les écosystèmes ainsi que la dégradation de la couleur, de l’aspect, du goût ou de l’odeur de l’eau ou tous autres changements qui empêchent ou limitent les usages de l’eau tels que le tourisme, la pêche et la pisciculture, la collecte de coquillages et la conchyliculture, le captage d’eau potable ou le refroidissement des installations industrielles.
38 Il s’ensuit que la preuve d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures ne peut pas être considérée, en tant que telle, comme la démonstration de l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci au sens de l’article 2, point 11, de la directive 91/271, le caractère indésirable ou néfaste d’une prolifération devant s’examiner dans le cadre non pas du deuxième critère de l’eutrophisation, comme le suggère la Commission, mais des troisième et quatrième critères de celle-ci (voir, par analogie, arrêt Commission/France, précité, points 48, 61 et 97).
39 Il en résulte, en particulier, aux fins de l’examen du présent recours, que, si le taux de concentration de chlorophylle dans l’eau, qui permet de mesurer la biomasse du phytoplancton, est susceptible de démontrer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, ce qui est admis par les parties, il n’apporte, en revanche, aucune preuve de l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou d’une dégradation de la qualité de celle-ci. En effet, ainsi que le Royaume-Uni l’a exposé sans être à cet égard contredit par la Commission, le taux de concentration de chlorophylle dans l’eau ne fournit aucune information sur le nombre ou le type des espèces présentes ni sur le fait que ces dernières produisent des toxines ou sont nuisibles, ou non. La mesure de ce taux peut donc être utilisée pour détecter un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, mais elle ne permet pas de déterminer si ce développement est écologiquement nuisible ou s’il entraîne une perte indésirable de biodiversité de l’écosystème.
b) Sur la charge de la preuve
40 La Commission soutient que, à supposer que les preuves produites à l’appui du premier grief ne démontrent pas que les zones litigieuses sont déjà eutrophes, il importerait de tenir compte du fait que, conformément à l’annexe II, A, sous a), de la directive 91/271, les États membres doivent également désigner comme zones sensibles les zones qui «pourraient devenir eutrophes à brève échéance». Les États membres ne pourraient donc pas attendre que tous les symptômes et effets de l’eutrophisation soient réunis pour prendre des mesures. Il en résulterait par exemple que, si, s’agissant d’une masse d’eau déterminée, certains paramètres hydrochimiques susceptibles de provoquer une eutrophisation sont présents et qu’un seul, tel que la faible turbidité, fait défaut, il pourrait être nécessaire de considérer que cette masse d’eau peut devenir eutrophe si des mesures de protection ne sont pas prises. En outre, la Commission fait valoir que les autorités du Royaume-Uni ont tendance à reconnaître les premiers signes de risque d’eutrophisation, à savoir l’hyperenrichissement en nutriments, mais ne collectent pas assez de données, telles que celles obtenues en étudiant, notamment, la présence d’espèces nuisibles, l’évolution des espèces, l’appauvrissement en oxygène ou la présence de toxines algales, pour réfuter l’existence d’une eutrophisation.
41 Le Royaume-Uni estime, pour sa part, que la Commission s’appuie de manière excessive sur des présomptions et sur le principe de précaution pour tenter de pallier son incapacité à démontrer que certains critères de l’eutrophisation sont réunis ou qu’ils ont un lien de causalité entre eux. En particulier, la Commission préconiserait un niveau de preuve excessivement bas en ce qui concerne les eaux «qui pourraient devenir eutrophes à brève échéance» au sens de l’annexe II, A, sous a), de la directive 91/271. Or, le constat qu’une telle situation existe exigerait la preuve que les masses d’eau concernées sont susceptibles de réunir les quatre critères de l’eutrophisation et de présenter les relations de cause à effet requises entre ces critères. En l’espèce, cependant, la Commission s’appuierait sur la présomption que, si certains symptômes sont présents, il existe déjà une probabilité que la zone devienne eutrophe. Par ailleurs, la Commission tenterait à plusieurs égards de déplacer la charge de la preuve sur le Royaume-Uni en reprochant à celui-ci un défaut d’évaluation des zones litigieuses sans fournir la moindre preuve d’une perturbation indésirable sur l’équilibre des organismes présents dans l’eau.
42 À cet égard, il y a lieu d’observer que, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/271, les États membres devaient identifier pour le 31 décembre 1993 les zones sensibles à l’eutrophisation sur la base des critères définis à l’annexe II de cette directive, en vue d’assurer pour le 31 décembre 1998, conformément au paragraphe 2 de cet article, que, avant d’être rejetées dans ces zones, les eaux urbaines résiduaires qui entrent dans les systèmes de collecte fassent l’objet d’un traitement plus rigoureux pour tous les rejets provenant d’agglomérations ayant un EH de plus de 10 000. Cette obligation d’identification des zones sensibles impliquait que les données nécessaires à cette fin soient récoltées par les États membres (voir, par analogie, arrêt du 22 septembre 2005, Commission/Belgique, C‑221/03, Rec. p. I‑8307, point 79).
43 Toutefois, il convient de rappeler que, dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est donc elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur des présomptions quelconques (voir, notamment, arrêts du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, Rec. p. I‑3331, point 41 et jurisprudence citée; du 7 mai 2009, Commission/Portugal, C‑530/07, point 32, ainsi que du 6 octobre 2009, Commission/Finlande, C‑335/07, non encore publié au Recueil, point 46).
44 Les États membres sont cependant tenus, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, qui consiste notamment, selon l’article 211 CE, à veiller à l’application des dispositions du traité CE ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci. En particulier, il convient de tenir compte du fait que, s’agissant de vérifier l’application correcte en pratique des dispositions nationales destinées à assurer la mise en œuvre effective d’une directive, la Commission, qui ne dispose pas de pouvoirs propres d’investigation en la matière, est largement tributaire des éléments fournis par d’éventuels plaignants ainsi que par l’État membre concerné (voir, notamment, arrêt Commission/Irlande, précité, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).
45 Il s’ensuit notamment que, lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître certains faits situés sur le territoire de l’État membre défendeur, il incombe à celui-ci de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent (voir arrêt Commission/Irlande, précité, point 44 et jurisprudence citée).
46 En conséquence, en l’espèce, même si les États membres avaient l’obligation de réunir les données nécessaires pour déterminer les masses d’eau qui devaient être identifiées comme sensibles à l’eutrophisation en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/271, lu en combinaison avec l’annexe II de celle-ci, il appartient à la Commission d’apporter, à l’appui du présent recours en manquement, un minimum de preuves de l’existence, pour chacune des zones litigieuses, d’une part, des quatre critères de l’eutrophisation énoncés au point 27 du présent arrêt, en particulier en ce qui concerne les incidences négatives notables sur l’environnement visées par les deux derniers critères, et, d’autre part, des relations de cause à effet mentionnées au point 28 dudit arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑508/03, Rec. p. I‑3969, point 78).
47 Cette même obligation s’impose également s’agissant des masses d’eau qui «pourraient devenir eutrophes à brève échéance» au sens de l’annexe II, A, sous a), de la directive 91/271, la Commission pouvant tout au plus, dans un tel cas, démontrer que la réunion des quatre critères de l’eutrophisation ainsi que l’existence desdites relations de cause à effet présentent, en l’état des données scientifiques et techniques disponibles, un degré de probabilité suffisant pour exiger l’adoption des mesures de protection de l’environnement prévues par cette directive (voir, par analogie, arrêt Commission/France, précité, point 34). Une telle exigence de probabilité s’inscrit pleinement dans l’économie et le système de ladite directive, dès lors que, selon l’annexe II, B, de celle-ci, l’identification d’une «zone moins sensible» à l’eutrophisation est indiquée lorsqu’«il est peu probable» que cette zone devienne eutrophe.
48 En conséquence, c’est certes à bon droit que la Commission soutient que l’identification d’une masse d’eau comme zone sensible à l’eutrophisation au sens de la directive 91/271 n’exige pas qu’elle rapporte la preuve que tous les paramètres hydrochimiques susceptibles de provoquer une telle eutrophisation, par exemple en matière de température ou de turbidité, sont présents ni la preuve irréfutable que chacun des critères de l’eutrophisation existe, et en particulier que tous les effets négatifs d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures se sont effectivement produits, notamment ceux qui sont perceptibles à l’extrême fin du processus d’eutrophisation, tels que les évolutions dans la composition des espèces ainsi que la mortalité du benthos et des poissons. Pour autant, la Commission ne saurait se dispenser de prouver, sur la base d’éléments concrets et concordants, qu’il est probable que, dans cette masse d’eau, un tel développement accéléré causé par un enrichissement en éléments nutritifs entraînera, à brève échéance, une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de celle-ci. La preuve de tels effets négatifs probables sur l’environnement est donc en tout état de cause requise.
49 Le point de savoir si, s’agissant des masses d’eau de chacune des zones litigieuses, la Commission démontre effectivement à suffisance de droit, au regard desdits critères, qu’elles étaient eutrophes ou qu’elles pouvaient le devenir à brève échéance devra toutefois être examiné dans le cadre de l’analyse des arguments présentés par celle-ci concernant chacune de ces zones, à la lumière des preuves concrètes et des éléments avancés par l’une et l’autre des parties.
c) Sur la date pertinente à prendre en compte pour l’examen des éléments de preuve
50 Selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg, C‑23/05, Rec. p. I‑9535, point 9; du 30 novembre 2006, Commission/Luxembourg, C‑32/05, Rec. p. I‑11323, point 22, et du 11 septembre 2008, Commission/Irlande, C‑316/06, point 20).
51 En l’espèce, il est constant que, à la date d’expiration du délai dans lequel le Royaume-Uni devait donner suite à l’avis motivé du 19 avril 2001, aucune des zones litigieuses n’avait été identifiée par cet État membre comme zone sensible à l’eutrophisation.
52 Par ailleurs, selon l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/271, lu en combinaison avec l’annexe II, A, sous a), de celle-ci, les État membres avaient l’obligation d’identifier les zones sensibles à l’eutrophisation pour le 31 décembre 1993 au plus tard.
53 Dans ces conditions, il convient de déterminer la date pertinente à prendre en compte aux fins de l’examen, dans le cadre du présent recours, des éléments de preuve présentés par la Commission en vue de démontrer que les critères de l’eutrophisation sont vérifiés en ce qui concerne les zones litigieuses.
54 Le Royaume-Uni observe à cet égard que, dans la requête introductive d’instance, la Commission n’invoque pas une violation de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 91/271, qui requiert des États membres qu’ils révisent la liste des zones identifiées comme sensibles à des intervalles qui ne peuvent être supérieurs à quatre ans. Il s’ensuivrait que cette requête concerne le prétendu défaut d’identification comme zones sensibles des zones litigieuses à la date du 31 décembre 1993, mais pas à un quelconque autre moment après cette date.
55 Quant à la Commission, tout en indiquant que le point de départ du présent recours est l’absence d’une telle identification à ladite date des zones litigieuses alors qu’il existait à ce moment suffisamment de preuves pour justifier cette identification et qu’il n’était pas nécessaire d’attendre une révision au titre de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 91/271 pour y procéder, elle soutient néanmoins que, dans l’hypothèse où elle démontrerait que ladite identification aurait dû intervenir ultérieurement, la Cour devrait déclarer ce fait.
56 À cet égard, il convient d’observer qu’il ressort clairement des termes de la requête introductive d’instance que, ainsi que la Commission l’a explicitement confirmé dans son mémoire en réplique, le présent recours vise uniquement l’absence d’identification initiale des zones litigieuses en tant que zones sensibles à l’eutrophisation à la date du 31 décembre 1993, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/271, à l’exclusion, à la différence de l’avis motivé du 19 avril 2001, de l’absence de révision de la liste desdites zones sensibles prévue au moins tous les quatre ans au titre du paragraphe 6 dudit article 5, cette dernière disposition n’étant d’ailleurs pas mentionnée dans ladite requête.
57 Interrogée sur cette question à l’audience, la Commission a confirmé que le recours avait pour objet de faire constater que, déjà en 1993, les zones litigieuses auraient dû être désignées comme zones sensibles par le Royaume-Uni.
58 Il s’ensuit que les éléments présentés à titre de preuves par la Commission, à laquelle incombe la charge de prouver le manquement allégué, ainsi que ceux apportés par le Royaume-Uni en vue de réfuter les premiers ne sont susceptibles de revêtir une valeur probante dans le cadre de l’examen du présent recours que s’ils concernent l’état des zones litigieuses au regard des critères de l’eutrophisation à la date du 31 décembre 1993, ce qui est le cas, en principe, des études scientifiques fournies par les parties qui ont été élaborées au cours d’une période rapprochée de cette date, que ce soit peu avant ou peu après celle-ci.
59 En revanche, les autres études scientifiques également produites par les parties, dont la date de publication démontre qu’elles ont été élaborées à une époque éloignée de la période entourant la date du 31 décembre 1993, notamment après l’expiration du délai durant lequel il devait être donné suite à l’avis motivé du 19 avril 2001, voire après le 17 août 2007, date d’introduction du présent recours, ne sont pas, en principe, susceptibles de revêtir une telle valeur probante, sauf si les éléments de preuve qu’elles comportent se rapportent à cette période et que les résultats qu’elles fournissent auraient pu être établis à partir de l’état des connaissances scientifiques et techniques prévalant au cours de ladite période.
60 À cet égard, il convient encore de tenir compte du fait que, conformément à l’annexe II, A, sous a), de la directive 91/271, les zones sensibles devaient être identifiées comme telles par les États membres à la date du 31 décembre 1993 s’il était établi soit qu’elles étaient eutrophes à cette date, soit qu’elles pouvaient le devenir «à brève échéance» si des mesures de protection n’étaient pas prises.
61 Ainsi que le Royaume-Uni l’a soutenu à juste titre, et comme la Commission l’a d’ailleurs admis lors de l’audience, dès lors que les États membres ont l’obligation, en vertu de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 91/271, de revoir la liste des zones sensibles au moins tous les quatre ans, les termes «brève échéance» au sens de l’annexe II, sous a), de celle-ci doivent se comprendre comme visant une période d’environ quatre années.
62 En effet, d’une part, un tel laps de temps s’inscrit pleinement dans le système et la logique du réexamen à intervalles réguliers prévu par cette directive, en permettant de tenir compte, notamment lors de l’identification initiale des zones sensibles à l’eutrophisation à la date du 31 décembre 1993, des évolutions ultérieures susceptibles de précéder la réalisation d’une nouvelle évaluation au titre de l’article 5, paragraphe 6, de ladite directive. D’autre part, ce laps de temps est suffisamment court pour permettre, conformément à ce qui a été jugé au point 47 du présent arrêt, de déterminer avec un degré de probabilité suffisant notamment si, en fonction de l’état des données scientifiques et techniques disponibles à la date du 31 décembre 1993, l’adoption des mesures de protection de l’environnement prévues par cette même directive était requise concernant des zones qui ne réunissaient pas à cette date tous les critères de l’eutrophisation.
63 En conséquence, il convient de considérer que les éléments de preuve présentés par les parties, pour autant qu’ils concernent une période postérieure à celle entourant la date du 31 décembre 1993, ne peuvent s’avérer pertinents dans le cadre du présent recours que s’ils concernent la situation dans les zones litigieuses au cours d’une période courant jusqu’à la fin de l’année 1997 (ci-après la «période pertinente»). Il s’ensuit, en particulier, que, lorsqu’ils sont fournis par la Commission, de tels éléments peuvent être suffisants pour démontrer a posteriori, compte tenu de la date d’introduction du présent recours, que, à la date du 31 décembre 1993, lesdites zones risquaient de devenir eutrophes à brève échéance, de sorte que, si ces éléments s’avèrent tels, c’est alors au Royaume-Uni qu’il appartient, conformément à la jurisprudence rappelée au point 45 du présent arrêt, d’en réfuter la pertinence à cet égard en les contestant de manière substantielle et détaillée.
64 C’est à la lumière de ces considérations préalables qu’il convient d’examiner le bien-fondé du présent recours en ce qui concerne chacune des zones litigieuses.
2. Sur les zones litigieuses
65 À titre liminaire, la Commission ainsi que le Royaume-Uni invoquent certains rapports relatifs aux procédures de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, du 22 septembre 1992 (ci-après la «convention OSPAR»), signée et ratifiée notamment par le Royaume-Uni, et entrée en vigueur le 25 mars 1999, qui font état de l’identification, entre l’année 2000 et l’année 2007, d’une série d’eaux côtières de l’Angleterre en tant que «zones à problèmes» d’eutrophisation ainsi que du déclassement ultérieur de celles-ci. Toutefois, sans qu’il soit besoin de déterminer si ces zones recouvrent les zones litigieuses, les parties ne sauraient, conformément à ce qui a été indiqué au point 63 du présent arrêt, déduire de ces circonstances aucun élément probant à l’appui de leur argumentation dans le cadre du premier grief.
66 Il convient dès lors d’examiner si les autres éléments de preuve présentés par la Commission sont susceptibles d’établir ce grief en ce qui concerne chacune des zones litigieuses.
a) Sur l’estuaire de la Humber
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
67 Si le Royaume-Uni soutient que l’enrichissement de l’estuaire de la Humber en éléments nutritifs s’est considérablement réduit au cours des dernières années, il ne conteste pas l’existence d’un tel enrichissement au cours de la période pertinente, tel que celui-ci ressort des données figurant dans le rapport ERM, produit par la Commission.
68 Il convient dès lors de considérer que l’existence du premier critère de l’eutrophisation est établie en ce qui concerne l’estuaire de la Humber.
69 Dans ces conditions, il reste à examiner si la Commission a prouvé à suffisance de droit l’existence des trois autres critères de l’eutrophisation en ce qui concerne cette zone litigieuse.
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
70 La Commission soutient que l’enrichissement de l’estuaire de la Humber en éléments nutritifs a entraîné un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cet estuaire. Elle fait valoir que l’estuaire de la Humber présente à cet égard deux problèmes distincts, à savoir, d’une part, une abondance de phytoplancton dans l’eau et, d’autre part, une forte croissance de plantes intertidales due aux macroalgues vertes et aux diatomées benthiques sur le substrat.
71 En premier lieu, en ce qui concerne le phytoplancton, la Commission estime qu’il ressort d’une imagerie par satellite effectuée en 1996 que la chlorophylle du phytoplancton présent dans la mer proprement dite révèle l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. En effet, des taux exceptionnellement élevés de concentration de chlorophylle auraient été enregistrés dans les eaux côtières de la Humber. Le Royaume-Uni n’aurait en outre procédé à aucun contrôle systématique avant l’année 2000. Il ne pourrait donc être présumé que tout le phytoplancton présent appartenait à des espèces d’eau douce. Il ne serait par ailleurs pas exact que le développement du phytoplancton dans la Humber serait nécessairement faible en raison de la turbidité élevée de l’eau. Le rapport établi par le professeur Nedwell à la demande du Royaume-Uni, mentionné au point 15 du présent arrêt, mentionnerait d’ailleurs que la production de phytoplancton est considérable dans le panache de la Humber.
72 À cet égard, il y a lieu de relever que les seules preuves concrètes fournies par la Commission à l’appui de ses allégations concernant la présence de phytoplancton dans l’estuaire de la Humber consistent en des mesures du taux de concentration de chlorophylle dans l’eau, soit par l’analyse d’échantillons d’eau, soit par une appréciation à distance de l’aspect vert de l’eau dû à la présence de chlorophylle.
73 Force est toutefois de constater que les données relatives aux taux de concentration de chlorophylle fournies par la Commission se rapportent essentiellement aux années 1998 à 2000. De telles données, qui ne concernent pas la période pertinente, ne sauraient dès lors démontrer que l’estuaire de la Humber était eutrophe ou pouvait le devenir à brève échéance à la date du 31 décembre 1993.
74 Se fondant sur les données fournies par le Royaume-Uni dans le cadre de l’OSPAR [Malcolm, S., e.a., First Application of the OSPAR Comprehensive Procedure to waters around England and Wales (Première application de la procédure complète de l’OSPAR aux eaux bordant l’Angleterre et le Pays de Galles), 2002], la Commission ajoute toutefois que des concentrations de chlorophylle supérieures à 10 µg/l ont été constatées chaque année entre l’année 1991 et l’année 2000, ce qui inclut la période pertinente. Or, ce niveau de chlorophylle constituerait le seuil à prendre en compte aux fins de l’examen du deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à la preuve d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures.
75 Il convient dès lors, à titre préalable, d’examiner la pertinence dudit seuil de 10 µg/l pour démontrer l’existence d’un tel développement accéléré, pertinence contestée par le Royaume-Uni.
76 Selon cet État membre, le seuil en question, qui figure tant dans le mémorandum consultatif de mars 1993 concernant les estuaires et les eaux côtières que dans le rapport CSTT de 1997 concernant les eaux côtières aux fins de définir les «zones moins sensibles», doit être utilisé avec une certaine flexibilité. En effet, les estuaires étant des zones de gradation et de transition entre les eaux douces et les eaux côtières plus salines, il serait approprié de retenir un seuil progressif en fonction de la salinité du point de mesure concerné. Ainsi, un seuil supérieur, de 100 µg/l, serait indiqué pour les eaux douces courantes, tandis qu’un seuil moyen, de 25 µg/l, serait pertinent à la limite des eaux douces des estuaires, les valeurs limites décroissant ensuite avec l’augmentation de la salinité de l’eau pour atteindre le seuil de 10 µg/l dans les eaux côtières.
77 Force est de constater que la Commission ne conteste pas véritablement cette méthodologie. En effet, elle admet explicitement que plus l’eau est saline, moins le phytoplancton peut être toléré. En outre, la Commission a reconnu dans sa requête que la prise en considération d’un seuil absolu de 10 µg/l ne peut suffire à elle seule à évaluer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, de sorte que ce seuil est purement indicatif. Par ailleurs, il ressort du mémoire en réplique que la Commission partage le point de vue exprimé dans le rapport CSTT de 1997, fourni par le Royaume-Uni à l’appui de son argumentation, selon lequel, s’agissant des eaux côtières, seul un dépassement régulier dudit seuil au cours de la saison d’été peut révéler un problème d’eutrophisation. Interrogée à l’audience à ce sujet, la Commission a admis qu’une certaine flexibilité pouvait être adoptée concernant l’usage du seuil de 10 µg/l.
78 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, s’agissant du niveau de concentration de chlorophylle, seul le dépassement régulier du seuil de 10 µg/l, en particulier au cours de l’été et dans les eaux côtières de l’estuaire, est susceptible de démontrer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures lorsqu’il est corroboré par d’autres éléments probants. En revanche, le dépassement sporadique de ce seuil, surtout s’il a lieu dans les eaux non côtières de l’estuaire, ne saurait, en tant que tel, constituer l’indice d’un tel développement accéléré.
79 En l’occurrence, il y a lieu d’observer que les taux de concentration dont la Commission fait état concernent tous les niveaux maximaux atteints au printemps au cours de la période pertinente, le taux de concentration de chlorophylle moyen n’ayant, quant à lui, jamais dépassé, selon ces mêmes données, le seuil de 10 µg/l.
80 Or, d’une part, le Royaume-Uni a exposé que ces cas de dépassement ont été peu nombreux. Tout en admettant ne pas avoir systématiquement enregistré les taux de concentration de chlorophylle avant l’année 2000, il se prévaut à cet égard des résultats d’analyse de 250 échantillons prélevés par l’Environment Agency (Agence de l’environnement) entre l’année 1992 et l’année 2000, mentionnés dans son rapport sur l’estuaire de la Humber en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 [Urban Waste Water Treatment Directive: Assessment of the Eutrophic Status of the Humber Estuary (Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires: évaluation de l’état eutrophique de l’estuaire de la Humber), ci-après le «rapport du Royaume-Uni sur l’estuaire de la Humber»].
81 D’autre part, le Royaume-Uni a précisé, en se fondant sur une étude plus récente [Humber Habitats Directive Review of Consents Report: Nutrient Enrichment (Rapport sur la révision des approbations dans le cadre de la directive habitats dans la Humber: enrichissement en éléments nutritifs), Environment Agency, 2007], mais qui porte notamment sur les années 1995 à 1997, que les taux moyens de concentration de chlorophylle dans cet estuaire n’ont été supérieurs à 10 µg/l au cours de cette période qu’au seul point de contrôle situé à la limite des eaux salines, ce qui indiquerait que les niveaux de chlorophylle observés dans ledit estuaire peuvent avoir été importés par les eaux douces.
82 Force est de constater que, si la Commission a cherché à remettre en cause, du moins en partie, la méthodologie appliquée dans le cadre de cette dernière étude, elle n’a en revanche pas contesté le caractère sporadique des dépassements du seuil de 10 µg/l, caractère qui est d’ailleurs corroboré par le rapport Modus Vivendi [Review of UK Implementation of UWWTD for Six Estuarine or Coastal Sites, Final Report (Examen de la mise en œuvre par le Royaume-Uni de la directive 91/271 en ce qui concerne six sites estuariens et côtiers – rapport final), ci-après le «rapport MV»], non daté, fourni par la Commission et qui contient notamment un examen des données transmises par le Royaume-Uni en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001. En effet, il est constaté dans ce rapport que les taux de chlorophylle dans l’estuaire de la Humber «sont généralement bas».
83 En outre, la Commission n’a apporté aucun élément probant propre à réfuter l’allégation selon laquelle les taux élevés de concentration de chlorophylle observés dans l’estuaire de la Humber peuvent résulter du phytoplancton importé des eaux douces, de sorte que le seuil de 10 µg/l ne serait pas dépassé dans les eaux côtières de cet estuaire.
84 Quant aux données relatives aux taux de concentration de chlorophylle enregistrés dans le panache de la Humber, elles ne sauraient être utilisées par la Commission à l’appui du présent grief, dès lors qu’il est constant que cette région se situe en dehors de l’estuaire lui-même et, donc, de la zone litigieuse délimitée par la Commission dans sa requête.
85 Il s’ensuit que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que la concentration de chlorophylle du phytoplancton révélait, au cours de la période pertinente, l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Humber.
86 En second lieu, en ce qui concerne la croissance des plantes intertidales, la Commission fait valoir que la télédétection selon l’imagerie CASI (Compact Aerial Spectrographic Image) effectuée dans les zones intertidales de l’estuaire de la Humber le 19 août 1996 par l’Environment Agency est destinée à indiquer la croissance de macroalgues nuisibles, comme l’ulve et l’entéromorphe. Les images enregistrées à cette occasion révéleraient dans cet estuaire une grande étendue d’algues denses, qui serait le signe d’un développement algal massif.
87 À cet égard, contrairement à ce que fait valoir le Royaume-Uni, cette prise d’images par télédétection ne saurait, en tant que telle, être considérée comme non fiable, cet État membre ayant d’ailleurs lui-même recours à de telles images pour soutenir certains de ses arguments concernant d’autres zones litigieuses, et constitue donc un moyen susceptible de révéler l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures.
88 Il y a cependant lieu de constater que la Commission se fonde, en l’occurrence, sur une prise d’images unique effectuée près de trois ans après la date à laquelle le Royaume-Uni devait désigner les zones sensibles à l’eutrophisation aux fins de la directive 91/271, soit le 31 décembre 1993.
89 Or, une telle prise d’images ponctuelle ne saurait révéler à elle seule l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Humber de nature à démontrer, fût-ce a posteriori, que cet estuaire pouvait devenir eutrophe à brève échéance à partir de cette dernière date.
90 Tel est d’autant moins le cas que le rapport MV, présenté par la Commission à l’appui de son recours, aboutit lui-même à la conclusion selon laquelle «les autorités du Royaume-Uni ont probablement eu raison de considérer que les algues vertes ne se développent pas de manière importante dans l’estuaire de la Humber».
91 À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de constater que, ni dans son mémoire en réplique ni à l’audience, la Commission n’a contesté les explications fournies dans le rapport du Royaume-Uni sur l’estuaire de la Humber, mentionné au point 80 du présent arrêt, selon lesquelles il résulterait d’une enquête réalisée en 1996, confirmée par des enquêtes ultérieures, que les algues prétendument identifiées par les images enregistrées lors de la télédétection opérée le 19 août 1996 par l’Environment Agency selon l’imagerie CASI sont, en réalité, des diatomées benthiques dont la présence à la surface des vasières constituerait un élément naturel de l’écosystème estuarien, qui alimente sa grande population d’oiseaux.
92 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que ces images ne sauraient, en tant que telles, démontrer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Humber au cours de la période pertinente.
93 La Commission estime cependant que lesdites images sont confirmées par les données relatives aux taux de concentration de chlorophylle fournies dans le rapport du Royaume-Uni sur l’estuaire de la Humber ainsi qu’à la suite d’une réunion ayant eu lieu au cours du mois d’octobre 2005 avec cet État membre. Ces données révéleraient en effet des taux de concentration de chlorophylle supérieurs au seuil de 10 µg/l.
94 À cet égard, il y a toutefois lieu de constater d’emblée que les données fournies lors de cette réunion se rapportent aux années 2002 à 2004, soit une période non pertinente dans le cadre du présent recours.
95 Quant aux données fournies dans le rapport du Royaume-Uni sur l’estuaire de la Humber, la Commission se prévaut uniquement de deux mesures du taux de concentration de chlorophylle excédant le seuil allégué de 10 µg/l enregistrées vers la moitié de l’année 1996. Or, ainsi qu’il ressort du point 77 du présent arrêt, la Commission a reconnu elle-même que ce taux de concentration de chlorophylle de 10 µg/l ne peut être érigé en un seuil absolu dont le dépassement suffirait à lui seul à établir un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans une masse d’eau et que seul un dépassement régulier de ce taux au cours de la saison d’été peut révéler un problème d’eutrophisation.
96 Il en résulte que la Commission n’a pas non plus démontré à suffisance de droit l’existence d’une forte croissance de plantes intertidales dans l’estuaire de la Humber au cours de la période pertinente.
97 Dans ces conditions, sans qu’il soit besoin de prendre position sur le point de savoir si, comme le fait valoir le Royaume-Uni, la turbidité de l’estuaire de la Humber est à l’origine de l’absence de développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans celui-ci, il suffit de constater que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que l’enrichissement de cet estuaire en éléments nutritifs a entraîné ou a pu entraîner à brève échéance un tel développement accéléré et que, partant, elle n’a pas établi l’existence du deuxième critère de l’eutrophisation.
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
98 La Commission soutient que l’estuaire de la Humber présente d’importants indicateurs d’eutrophisation, comme de forts apports en nutriments issus des bassins versants ainsi que des concentrations élevées de chlorophylle.
99 Il y a toutefois lieu de constater que, si de tels éléments sont susceptibles de démontrer l’existence, respectivement, d’un enrichissement en éléments nutritifs et d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Humber, ils sont, en revanche, sans pertinence, comme il ressort déjà en substance du point 39 du présent arrêt, pour démontrer l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou une dégradation de la qualité de celle-ci.
100 Or, à cet égard, la Commission se borne à reprocher au Royaume-Uni de ne pas avoir procédé à la moindre évaluation quantitative de la présence d’espèces révélatrices d’un état d’eutrophisation.
101 Toutefois, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt, si le Royaume-Uni avait, en vertu de la directive 91/271, l’obligation d’identifier les masses d’eau eutrophes ou risquant de le devenir à brève échéance, il appartient à la Commission de prouver le manquement allégué et, à cette fin, d’apporter un minimum de preuves des incidences négatives, au moins probables, sur l’environnement causées par un enrichissement en éléments nutritifs et un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures.
102 S’agissant de tels effets négatifs, la Commission se prévaut, tout au plus, d’une part, de la disparition des zostères dans l’estuaire de la Humber et, d’autre part, d’un appauvrissement en oxygène ainsi que du développement de toxines algales dans celui-ci.
103 En ce qui concerne, en premier lieu, l’effet sur les zostères, il y a lieu de constater que, s’il est constant que celles-ci ont presque totalement disparu de l’estuaire de la Humber dans les années 1970, la Commission n’apporte aucune preuve précise et concordante du fait que cette disparition aurait pour origine, fût-ce probable, le prétendu développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement en éléments nutritifs de cet estuaire, et ce alors que le Royaume-Uni énumère pour sa part, sans d’ailleurs être contredit sur ce point, de nombreux facteurs alternatifs susceptibles d’être à l’origine de ladite disparition.
104 La Commission se borne en effet à cet égard à alléguer, de manière générale et abstraite, que les zostères peuvent être affectées par l’enrichissement en éléments nutritifs et que, dans l’estuaire de la Humber, «il ne saurait être exclu» que cet enrichissement soit «au moins partiellement» responsable de leur disparition. Elle n’apporte cependant aucun élément probant concret en ce sens.
105 Ainsi, les contributions scientifiques invoquées sur ce point par la Commission dans son mémoire en réplique [Davidson, D. M., et Hughes, D. J., Zostera Biotopes. An overview of dynamics and sensitivity characteristics for conservation management of marine SACs (Biotopes des zostères. Une vue d’ensemble de la dynamique et des caractéristiques de sensibilité dans le cadre de la gestion de la protection des zones spéciales de conservation marines), 1998, ainsi que Burkholder, J. M., e.a., Seagrasses and eutrophication (Zostères et eutrophisation), 2007], si elles relèvent, respectivement, que l’enrichissement en éléments nutritifs «est susceptible» d’entraîner un phénomène d’eutrophisation ou qu’il constitue «une cause majeure de la disparition de la zostère sur l’ensemble de la planète», sont des études générales sur le sujet qui ne portent en rien sur les causes concrètes du déclin allégué des zostères dans l’estuaire de la Humber au cours de la période pertinente et qui, en outre, énumèrent d’autres causes possibles que l’enrichissement en éléments nutritifs ayant causé un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures comme explication du déclin de ce type d’herbiers.
106 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 46 du présent arrêt, c’est à la Commission qu’il appartient de prouver le lien de causalité entre le deuxième et les troisième ainsi que quatrième critères de l’eutrophisation dans chacune des zones litigieuses.
107 En réalité, il y a lieu de constater que le rapport MV, produit par la Commission, indique tout au contraire, dans sa partie concernant l’estuaire de la Humber, que «l’on ne peut pas affirmer que l’eutrophisation soit la cause concrète du déclin de la zostère ni qu’une réduction des éléments nutritifs entraînerait par elle-même le retour de celle-ci».
108 Certes, il ressort du New Atlas of the British and Irish Flora (Nouvel atlas de la flore britannique et irlandaise), édité par C. D. Preston e.a. en 2002 (ci-après le «nouvel atlas de Preston»), que la Commission invoque dans son mémoire en réplique, de même que d’une contribution scientifique produite par celle-ci en vue de l’audience [Butcher, R. W., Zostera. Report on the Present Condition of Eel Grass on the Coasts of England, based on a Survey during August to October, 1933 (Zostère. Rapport sur l’état actuel de la zostère sur les côtes de l’Angleterre, établi à partir d’une étude effectuée entre août et octobre 1933), 1941, ci-après l’«étude Butcher de 1933»], que les zostères ont été présentes à certaines époques passées dans l’estuaire de la Humber.
109 Toutefois, une telle présence passée, qui n’est d’ailleurs pas contestée par le Royaume-Uni, est dépourvue de toute pertinence dans le cadre de l’examen du présent grief. En effet, une telle circonstance ne démontre en rien que la disparition alléguée des zostères aurait pour origine le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Humber causé par son enrichissement en éléments nutritifs.
110 En particulier, il découle des points 58 à 63 du présent arrêt qu’une étude scientifique concernant la situation dans l’estuaire de la Humber en 1933, qui a été publiée en 1941, ne saurait revêtir une force probante déterminante quant au point de savoir si cet estuaire devait être désigné par le Royaume-Uni comme zone sensible à l’eutrophisation à la date du 31 décembre 1993. En outre, il ressort de cette étude elle-même que de multiples facteurs peuvent être la cause de la disparition des zostères, ladite étude rejoignant ainsi les allégations formulées à cet égard par le Royaume-Uni dans le cadre de la présente procédure.
111 Par ailleurs, si le nouvel atlas de Preston, auquel la Commission se réfère, démontre que les zostères ont pu être présentes jusque dans les années 1970 dans l’estuaire de la Humber, il ne fournit aucune indication quant à leur étendue. Or, le Royaume-Uni expose sans être contredit sur ce point par la Commission qu’il ressort des données fournies par l’étude de M. Best [The occurrence (or presence) versus the prevalence of seagrasses (Zostera and Spartina spp) – an examination of evidence presented by the Atlas of British Flora, vascular plants database, Preston et al. 2002 (La survenance [ou la présence] par opposition à l’extension des herbiers [Zostera et Spartina spp.] – une analyse des preuves présentées par l’Atlas de la flore britannique, banque de données des plantes vasculaires, de Preston et autres, de 2002), Environment Agency, 2008, ci-après l’«étude Best de 2008»], qui porte sur la période couvrant les années 1800 à 2007, que la présence de zostères dans cet estuaire a toujours été relativement sporadique.
112 Dans ces conditions, il apparaît d’autant moins probable, et la Commission n’apporte en tout état de cause aucune preuve en sens contraire, que la rareté des zostères dans l’estuaire de la Humber au cours de la période pertinente ait pour origine un prétendu développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement en éléments nutritifs.
113 En ce qui concerne, en second lieu, l’appauvrissement en oxygène et le développement de toxines algales, il convient d’emblée de rejeter l’allégation du Royaume-Uni, formulée à l’audience, selon laquelle il résulte de données récentes approuvées dans le cadre de l’OSPAR [Second OSPAR Integrated Report on the Eutrophication Status of the OSPAR Maritime Area (Deuxième rapport intégré de l’OSPAR sur l’état eutrophe de la zone maritime de l’OSPAR), 2008, ci-après le «rapport OSPAR de 2008»] qu’un consensus émerge quant au fait que le lien entre l’enrichissement en éléments nutritifs et l’abondance d’algues produisant des toxines formant des efflorescences de faibles biomasses ne constitue pas un paramètre suffisamment indicatif de l’existence d’un risque d’eutrophisation. En effet, pour autant que ce consensus reflète l’état des connaissances scientifiques et techniques non pas à la date du 31 décembre 1993, mais à une époque bien postérieure, il ne saurait, ainsi qu’il ressort des points 58 à 63 du présent arrêt, revêtir un caractère pertinent dans le cadre du présent recours.
114 Cela étant, il y a lieu de constater que le rapport MV, produit par la Commission à l’appui de son grief, contredit les allégations de cette dernière, puisque, selon ce rapport, d’une part, «il est peu probable que l’appauvrissement en oxygène, lorsqu’il a lieu, soit le résultat de l’eutrophisation de l’estuaire» et, d’autre part, «les toxines algales ne sont pas considérées comme un problème sur la côte de l’Angleterre, hormis dans certaines parties de la côte nord-est».
115 En outre, la Commission ne conteste pas les données fournies par le Royaume-Uni selon lesquelles la surveillance continue de l’estuaire de la Humber n’a révélé aucune mousse algale, aucune modification significative de la composition et de la répartition générales des communautés d’invertébrés vivant sur les fonds marins de l’estuaire, ni aucune augmentation ou réduction de la variété des espèces.
116 Dans ces conditions, il convient de constater que, à supposer même qu’il puisse être considéré que l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Humber aurait été prouvée, la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que ce développement accéléré aurait entraîné à la date du 31 décembre 1993 ou aurait pu entraîner à brève échéance une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de l’eau de cet estuaire.
117 En conséquence, les deuxième à quatrième critères de l’eutrophisation n’ayant pas été prouvés à suffisance de droit, le premier grief doit être rejeté en tant qu’il porte sur l’estuaire de la Humber.
b) Sur le Wash
118 À titre liminaire, il y a lieu de préciser que le Royaume-Uni n’est pas fondé à soutenir que la Commission doit démontrer que les critères de l’eutrophisation sont réunis en ce qui concerne non seulement le Wash lui-même, mais également chacun des quatre estuaires des rivières Witham, Welland, Nene et Great Ouse qui s’y déversent.
119 En effet, cet État membre expose lui-même dans son rapport concernant le Wash fourni en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 [Urban Waste Water Treatment Directive: Assessment of the Eutrophic Status of the Wash Embayment (Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires: évaluation de l’état eutrophique de l’estuaire du Wash), ci-après le «rapport du Royaume-Uni sur le Wash»], ce qui est d’ailleurs confirmé par les diverses cartes géographiques jointes à ce rapport, que ces quatre estuaires font partie du système complexe formé par le Wash. À ce titre, le Wash et lesdits estuaires (ci-après, ensemble, «le Wash») doivent être considérés comme formant une masse d’eau unique aux fins de la directive 91/271.
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
120 Si le Royaume-Uni soutient que l’enrichissement du Wash en éléments nutritifs s’est considérablement réduit au cours des dernières années, il ne conteste pas l’existence d’un tel enrichissement au cours de la période pertinente, tel que celui-ci ressort des données figurant dans le rapport ERM, produit par la Commission.
121 En tout état de cause, le Royaume-Uni ne saurait valablement soutenir à cet égard que, dès lors que les stations de traitement des eaux urbaines résiduaires contribuent aux apports en azote dans le Wash pour moins de 5 % de ceux-ci, la désignation de cette masse d’eau comme zone sensible, en ce qu’elle implique un traitement plus rigoureux des eaux urbaines résiduaires, entraînerait des dépenses disproportionnées. En effet, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper de difficultés pratiques ou administratives pour justifier l’inobservation des obligations et des délais prescrits par une directive. Il en va de même pour les difficultés financières, qu’il appartient aux États membres de surmonter en prenant les mesures appropriées (voir, notamment, arrêts du 16 octobre 2003, Commission/Belgique, C‑433/02, Rec. p. I‑12191, point 22, et du 30 novembre 2006, Commission/Italie, C‑293/05, point 35).
122 De même, il convient d’écarter la thèse du Royaume-Uni selon laquelle il serait plus efficace de lutter contre l’enrichissement en azote en prenant des mesures dans le cadre de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO L 375, p. 1). En effet, un État membre ne saurait se dispenser de se conformer à la directive 91/271 au motif qu’il respecte la directive 91/676, dès lors que celle-ci, visant à réduire et à prévenir la pollution des eaux provoquée ou induite par l’azote à partir de sources agricoles (arrêt Standley e.a., précité, point 35), est sans incidence, notamment, sur l’enrichissement des eaux en phosphore, auquel la directive 91/271 vise, entre autres, à remédier. Or, le Royaume-Uni ne conteste pas les constatations du rapport ERM selon lesquelles les apports en phosphore sont également à l’origine de l’enrichissement du Wash en éléments nutritifs.
123 Il convient dès lors de considérer que le premier critère de l’eutrophisation est établi en ce qui concerne le Wash.
124 Dans ces conditions, il reste à examiner si la Commission prouve à suffisance de droit que les trois autres critères de l’eutrophisation sont également réunis en ce qui concerne cette zone litigieuse.
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
125 Selon la Commission, les données scientifiques contenues dans le rapport ERM montrent que l’enrichissement du Wash en éléments nutritifs a entraîné un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans le Wash. Un tel développement serait attesté par le dépassement du seuil de concentration de chlorophylle de 10 μg/l ainsi que par l’existence d’importants herbiers de macroalgues dans cette zone.
126 En ce qui concerne, en premier lieu, le taux de concentration de chlorophylle, il y a lieu d’emblée d’écarter comme dépourvues de pertinence dans le cadre de l’examen du présent recours, conformément à ce qui a été indiqué aux points 58 à 63 du présent arrêt, les données figurant dans le rapport Eastern English Coast (Côte anglaise orientale) de 2007, invoqué par la Commission dans son mémoire en réplique en ce que le Royaume-Uni y aurait attribué au Wash une note «+» pour la chlorophylle. En effet, dès lors qu’il concerne la période comprise entre les années 1999 et 2006, ce rapport n’a pas de valeur probante dans le cadre du présent recours.
127 À cet égard, le Royaume-Uni est d’ailleurs également fondé à soutenir que le seuil de 15 μg/l au 90e percentile, d’où il découle qu’un dépassement dudit seuil par le neuvième échantillon sur un total de dix classés par ordre croissant démontre l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, seuil accepté par cet État membre en 2007 dans le cadre de l’OSPAR et invoqué par la Commission dans son mémoire en réplique, ne saurait être retenu pour apprécier les mérites du présent recours. En effet, le Royaume-Uni ayant exposé sans être contredit sur ce point que cette méthode d’évaluation n’était pas d’application à la date du 31 décembre 1993, celle-ci étant destinée à identifier les eaux eutrophes dans le cadre de l’OSPAR à compter de 2007, ladite méthode ne saurait revêtir aucune pertinence dans le cadre de ce recours.
128 S’agissant du taux de concentration de chlorophylle mesuré dans le Wash, il y a cependant lieu de constater que, selon le rapport ERM, produit par la Commission, l’estuaire de la Great Ouse a présenté entre l’année 1987 et l’année 1992 des «niveaux […] supérieurs à 10 μg/l tout au long de cette période, avec des pics entre 100 [et] 200 μg/l». En outre, il ressort d’une étude produite par la Commission dans son mémoire en réplique [Rendell, A. R., e.a., Nutrient Cycling in the Great Ouse Estuary and its Impact on Nutrient Fluxes to the Wash, England (Cycle nutritif dans l’estuaire de la Great Ouse et son impact sur les flux nutritifs dans le Wash, Angleterre), 1997, ci-après l’«étude Rendell de 1997»] que des concentrations de chlorophylle très élevées, variant de 40 μg/l à 190 μg/l, ont été enregistrées dans cet estuaire tout au long de la saison de croissance, entre mars et septembre 1993.
129 Par ailleurs, si les données mentionnées à cet égard dans le rapport ERM pour le Wash font apparaître un taux de concentration de chlorophylle en général moins élevé, il n’en demeure pas moins que, selon ce rapport, ce taux a excédé le seuil de 10 μg/l dans cette zone, surtout dans sa partie sud, en 1993, tant en juin (11 μg/l) qu’en septembre (23 et 33 μg/l), ainsi qu’en juin 1994 (entre 10 et 15,1 μg/l).
130 Il en découle que, comme le rapport ERM le note, les taux de concentration de chlorophylle enregistrés dans le Wash ont, au cours de la période pertinente, régulièrement excédé, parfois de manière substantielle, le seuil de 10 μg/l lors de la saison d’été, seuil qui, comme il ressort des points 75 à 78 du présent arrêt, est susceptible d’indiquer un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. En tout état de cause, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, les taux de concentration de chlorophylle supérieurs audit seuil qui ont été relevés ne sauraient être considérés, compte tenu de leur survenance répétée, comme des «pics exceptionnels».
131 Aucun des arguments et des éléments avancés par le Royaume-Uni n’est de nature à remettre en cause ces constatations.
132 S’agissant, premièrement, de l’allégation selon laquelle il ressortirait des données fournies dans le rapport du Royaume-Uni sur le Wash que le taux moyen de concentration de chlorophylle n’y a pas dépassé ledit seuil entre l’année 1992 et l’année 2000, il convient de constater que ces données ne remettent pas en cause les taux de concentration de chlorophylle indiqués dans le rapport ERM pour l’estuaire de la Great Ouse et que le rapport du Royaume-Uni sur le Wash concède lui-même que, entre l’année 1995 et l’année 1997, une partie non négligeable des échantillons prélevés, à savoir, en substance, entre 20 % et 35 % de ceux-ci, révélait un dépassement dudit seuil de 10 μg/l, ce également en été.
133 En outre, le rapport MV a relevé à cet égard que, selon les données fournies dans le rapport du Royaume-Uni sur le Wash, les taux moyens de concentration de chlorophylle enregistrés au cours des étés 1995 et 1996 étaient, s’agissant de l’estuaire de la Nene, de l’ordre de 40 μg/l au centre de l’estuaire, avec des pics supérieurs à 100 μg/l, et, s’agissant de l’estuaire de la Welland, d’au moins 30 μg/l au centre de l’estuaire, avec des pics proches de 100 μg/l.
134 S’agissant, deuxièmement, de l’allégation selon laquelle les niveaux élevés de chlorophylle mentionnés dans le rapport ERM concernent les parties d’eau douce moins salines du Wash, dans lesquelles un taux de concentration de chlorophylle de 100 μg/l peut être considéré comme normal, il y a lieu d’observer que, à supposer même qu’un tel taux puisse être admis en tant que concentration maximale dans les parties d’eau douce des estuaires, le rapport ERM fait état, en citant l’étude Rendell de 1997, de taux substantiellement supérieurs à ce taux de 100 μg/l, puisqu’il constate que des taux allant jusqu’à 189 μg/l ont été enregistrés dans les zones moins salines de l’estuaire de la Great Ouse. Le Royaume-Uni ne saurait donc soutenir que les données de l’étude Rendell de 1997 concordent avec sa thèse.
135 S’agissant, troisièmement, de l’allégation selon laquelle les conditions hydrodynamiques du Wash ne sont pas favorables à la survenance d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures en raison, notamment, de la turbidité naturelle tant de la baie que des estuaires, elle ne peut non plus être retenue.
136 En effet, le rapport ERM ainsi que le rapport MV, reprenant les résultats de l’étude Rendell de 1997, constatent explicitement à cet égard que des taux de concentration de chlorophylle élevés, atteignant, selon les cas, 36 μg/l, 55 μg/l et même 114 μg/l, ont été observés en mars et en juin 1992 dans les parties les plus turbides de l’estuaire de la Great Ouse, témoignant ainsi d’une croissance importante du phytoplancton dans ces zones à une période rapprochée de la période pertinente, et ce en dépit des conditions turbides. Selon l’étude Rendell de 1997, des taux maximaux de concentration de chlorophylle aussi élevés observés régulièrement durant les mois de printemps et d’été s’expliquent «par le développement rapide du phytoplancton dans l’ensemble de la colonne d’eau […] et par son adaptation à la faible luminosité […], ce qui permet une production primaire nette malgré les conditions de turbidité».
137 Au demeurant, les taux régulièrement élevés de concentration de chlorophylle dans le Wash relevés dans le rapport ERM tendent à indiquer que l’éventuelle turbidité de cette masse d’eau n’est pas véritablement de nature à empêcher un développement accéléré du phytoplancton. Le Royaume-Uni ne semble d’ailleurs pas véritablement dénier ce fait, dès lors qu’il se borne à cet égard à alléguer avec prudence que «l’étendue de la croissance des algues est limitée et [qu’]il est donc peu probable que se produisent des efflorescences algales à large échelle et sur une vaste étendue provoquant une perturbation indésirable», contestant ainsi davantage la réunion des troisième et quatrième critères de l’eutrophisation que l’existence du deuxième critère de celle-ci.
138 Il en résulte que les données fournies par la Commission concernant le taux de concentration de chlorophylle dans le Wash peuvent être considérées comme constituant l’indice d’un certain développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette zone litigieuse.
139 En ce qui concerne, en second lieu, la présence de macroalgues, il ressort du rapport ERM qu’aucune étude systématique n’a été réalisée à ce sujet. Cependant, la Commission se prévaut du passage dudit rapport selon lequel la présence d’herbiers de macroalgues couvrant une surface étendue aurait été relevée dans la région de l’estuaire de la Welland en 1997. Elle invoque également le fait que, en 1993, la commission de l’OSPAR aurait déjà souligné une évolution dans le développement des macrophytes, notamment une présence massive d’ulves, dans le Wash due à une intensification à long terme de l’eutrophisation anthropique dans ces eaux côtières.
140 À cet égard, il y a lieu de constater que, si, en se référant au rapport du Royaume-Uni sur le Wash, ce dernier conteste la présence de macroalgues dans cette zone, il se borne sur ce point à des affirmations non étayées par des sources scientifiques documentées, hormis en ce qui concerne les années 2000 à 2002, pour lesquelles il se réfère à une enquête réalisée par l’Environment Agency. Toutefois, cette dernière période n’est pas pertinente dans le cadre du présent recours. Pour le même motif, cet État membre ne saurait remettre en cause les données figurant dans le rapport ERM en se prévalant du rapport Eastern English Coast, évoqué au point 126 du présent arrêt, dès lors que ce dernier concerne la période située entre les années 1999 et 2006.
141 Il y a cependant lieu de constater que les éléments de preuve présentés par la Commission concernant la présence de macroalgues dans le Wash ne contiennent aucune donnée chiffrée susceptible d’étayer l’ampleur de la couverture alléguée. D’une part, l’affirmation figurant dans le rapport ERM évoquée au point 139 du présent arrêt, outre qu’elle ne repose pas sur une observation directe, est parcellaire. En effet, cette affirmation, qui résulte d’un simple entretien téléphonique avec un fonctionnaire de l’English Nature, organisme public qui était responsable de la protection de la nature en Angleterre, concerne une seule année de la période pertinente et un seul des estuaires du Wash. D’autre part, les constatations attribuées à la commission de l’OSPAR en 1993 n’apparaissent pas dans le rapport de suivi du Centre for Environment, Fisheries and Aquaculture Science (centre pour les sciences de l’environnement, de la pêche et de l’aquaculture, ci-après le «CEFAS») contenu dans l’édition de Shellfish News (Nouvelles sur les mollusques) de mai 2003, auquel renvoie la Commission dans sa requête.
142 Toutefois, aux fins de l’examen relatif au deuxième critère de l’eutrophisation, il convient d’admettre que ces quelques éléments épars apportés par la Commission, attestant la présence de macroalgues dans le Wash au cours de la période pertinente, pris ensemble avec les preuves précises et concordantes, plus nombreuses, concernant l’enregistrement régulier de taux élevés de concentration de chlorophylle dans cette zone litigieuse au cours de cette même période, en ce compris en été, démontrent à suffisance de droit l’existence d’un développement accéléré d’algues et de végétaux d’espèces supérieures dans celle-ci au cours de ladite période, développement accéléré qui n’avait d’ailleurs pas été contesté par le Royaume-Uni dans sa réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001.
143 Partant, le Royaume-Uni n’ayant produit aucun élément de nature à mettre en cause les conclusions du rapport ERM selon lesquelles ce développement a été causé par l’enrichissement en éléments nutritifs du Wash, il convient de considérer que la Commission a prouvé à suffisance de droit l’existence du deuxième critère de l’eutrophisation en ce qui concerne cette zone litigieuse.
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
144 La Commission fait valoir, en premier lieu, qu’il résulte des données fournies par le Royaume-Uni lui-même que les eaux côtières de l’Angleterre en cause, à savoir la subdivision allant de la Humber au Norfolk, qui comprend le Wash, sont extrêmement enrichies en nutriments. En outre, les taux de concentration de chlorophylle dans le Wash auraient souvent et largement dépassé le seuil de 10 µg/l. Le rapport MV aurait mis en évidence à cet égard un rythme de développement rapide inattendu du phytoplancton en dépit de la forte turbidité. Il en résulterait une sursaturation en oxygène dans tous les estuaires du Wash. Par ailleurs, les autorités du Royaume-Uni n’auraient apporté aucune preuve du fait que le faible taux d’oxygène dissous relevé dans le Wash n’aurait aucune incidence sur l’environnement.
145 Force est toutefois de constater que ces circonstances, si elles sont susceptibles de démontrer que les premier et deuxième critères de l’eutrophisation sont réunis dans la zone litigieuse, ne permettent pas, en revanche, de savoir si les troisième et quatrième critères le sont également.
146 Certes, la sursaturation en oxygène ou la désoxygénation, qui, selon le rapport ERM, constituent des tendances contradictoires susceptibles de se présenter parallèlement dans des eaux eutrophes, pourraient entraîner une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau (voir, par analogie, arrêt Commission/France, précité, points 44 et 54). Toutefois, la Commission n’apporte aucun élément concret de nature à démontrer en l’espèce l’existence d’une telle perturbation.
147 À cet égard, la Commission ne saurait utilement reprocher aux autorités du Royaume-Uni de ne pas avoir prouvé que le faible taux d’oxygène dissous relevé dans le Wash n’aurait aucune incidence sur l’environnement. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 42 à 48 du présent arrêt, il incombe à la Commission, qui a la charge de prouver le manquement allégué, d’apporter un minimum de preuves du fait que les critères de l’eutrophisation étaient réunis en ce qui concerne la zone litigieuse à la date du 31 décembre 1993 ou qu’il était probable qu’ils le seraient à brève échéance. Ce n’est que si de telles preuves ont été fournies par la Commission que l’État membre concerné doit, à son tour, réfuter la thèse de la Commission en apportant tout élément de preuve pertinent à cette fin.
148 En deuxième lieu, la Commission constate qu’une forme atypique d’intoxication diarrhéique par les mollusques (ci-après l’«IDM») a été détectée dans les coques du Wash, ce qui a entraîné la fermeture des exploitations de mollusques dans cette zone litigieuse.
149 Il y a cependant lieu de relever à cet égard que les cas d’IDM invoqués par la Commission, lesquels ont été révélés par les résultats d’études mentionnés dans le rapport MV ainsi que par les rapports de suivi du CEFAS, contenus dans les éditions de Shellfish News de mai 2003 et de mai 2005, concernent les années 2002 à 2005, soit une période largement postérieure à la période pertinente. Partant, conformément aux points 58 à 63 du présent arrêt, les éventuels effets néfastes pour l’environnement ainsi constatés dans ces rapports ne sauraient revêtir de force probante dans le cadre du présent recours.
150 En troisième lieu, la Commission souligne que le Wash a connu de grandes efflorescences de Phaeocystis. Or, dans certaines circonstances, la démonstration d’un développement accéléré d’une espèce de phytoplancton telle que le Phaeocystis constituerait en soi une preuve directe de la survenance d’un changement indésirable, dans la mesure où une modification des concentrations ambiantes d’éléments nutritifs induit un changement dans la combinaison des espèces présentes. Ainsi, le Phaeocystis serait connu pour donner, à des concentrations importantes, l’aspect d’une masse de mousse visqueuse recouvrant la surface de l’eau, se déposant sur la côte ou colmatant les filets de pêche. Cette espèce serait reconnue par l’OSPAR comme nuisible, car elle ne serait pas appréciée du zooplancton dont se nourrissent les poissons et ses efflorescences pourraient provoquer une accumulation de mousse sur les plages. Le Royaume-Uni ne semblerait toutefois guère préoccupé par la présence de ces efflorescences.
151 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, comme il a déjà été indiqué au point 38 du présent arrêt, la preuve de l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, qui constitue le deuxième critère de l’eutrophisation, ne peut, en tant que telle, être considérée comme la démonstration de l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau, voire d’une dégradation de la qualité de celle-ci, qui correspondent aux troisième et quatrième critères de l’eutrophisation.
152 Certes, la Cour a déjà jugé, d’une part, que la modification de la structure de la communauté phytoplanctonique dans le sens d’un renforcement de la présence d’une espèce telle que le Phaeocystis, qui, bien que non toxique, n’en est pas moins nuisible, constitue une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et, d’autre part, que les modifications de la couleur, de l’odeur et de la consistance de l’eau, dont les conséquences négatives sur les activités touristiques sont manifestes et qui, en outre, ont vraisemblablement des effets néfastes sur les activités de pêche, représentent une dégradation de la qualité de l’eau (voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, points 23, 38, 55 et 56).
153 En l’espèce, il convient cependant de constater que, s’il est exact que l’étude Rendell de 1997, qui porte sur des enquêtes réalisées entre 1992 et 1994, indique que l’enrichissement du Wash en éléments nutritifs «pourrait affecter la production primaire dans les eaux côtières en induisant le remplacement des diatomées par des flagellés en tant qu’espèce dominante et en influençant la probabilité de voir survenir des conditions d’efflorescence durant les mois d’été», la Commission n’apporte aucun élément concret attestant l’existence d’efflorescences de Phaeocystis dans le Wash au cours de la période pertinente.
154 En effet, si le rapport ERM, sur lequel elle se fonde essentiellement, mentionne que, en 1989, des niveaux très élevés de concentration de chlorophylle ont été associés à des efflorescences importantes de Phaeocystis, il y a lieu de relever que ce constat concerne la partie sud de la mer du Nord, et non le Wash. Or, s’agissant du Wash, ledit rapport observe lui-même que les cas de présence de mousse sur les plages sont rares.
155 De la même manière, la Commission ne saurait déduire aucun élément probant de l’étude, invoquée dans son mémoire en réplique, de P. Shaw et D. Purdie [Phytoplankton photosynthesis-irradiance parameters in the near-shore UK coastal waters of the North Sea: temporal variation and environmental control (Paramètres de l’exposition à la photosynthèse du phytoplancton dans les eaux côtières de la mer du Nord: variation temporelle et contrôle environnemental)], de 2001, dès lors que cette étude, même si elle porte sur des enquêtes réalisées entre 1993 et 1995, concerne la présence de Phaeocystis dans les eaux côtières de la mer du Nord.
156 Or, pour le surplus, la Commission se borne à souligner que les pics de concentration de chlorophylle observés dans le Wash sont cohérents avec des efflorescences de Phaeocystis. Cependant, une telle allégation générale et abstraite concernant le lien possible entre le niveau de chlorophylle et la présence de cette espèce de phytoplancton ne démontre en rien que de telles efflorescences ont effectivement existé dans le Wash au cours de la période pertinente.
157 Quant à l’allégation de la Commission selon laquelle le Royaume-Uni n’a pas suffisamment étudié la composition du phytoplancton, par exemple en ne procédant pas à l’analyse de carottes sédimentaires, il suffit de réitérer que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 42 à 48 du présent arrêt, c’est à la Commission qu’il incombe de prouver le manquement allégué en apportant un minimum de preuves du fait que les critères de l’eutrophisation étaient réunis dans la zone litigieuse à la date du 31 décembre 1993 ou qu’il était probable qu’ils le seraient à brève échéance, et que ce n’est que si de telles preuves ont été fournies que l’État membre concerné doit, à son tour, réfuter la thèse de la Commission en apportant tout élément de preuve pertinent à cette fin. Or, en l’espèce, ainsi qu’il a déjà été souligné, la Commission n’apporte aucune preuve de la présence d’efflorescences de Phaeocystis dans le Wash durant la période pertinente.
158 En tout état de cause, quand bien même de telles preuves auraient été fournies, dès lors que le Royaume-Uni a fait valoir sans être contredit sur ce point que la présence limitée de mousse sur les plages de cet État membre est ancienne et signalée depuis plus d’un siècle, il appartenait à la Commission, à laquelle incombe la charge de la preuve en ce qui concerne le lien de causalité entre le deuxième critère de l’eutrophisation et les troisième ainsi que quatrième critères de celle-ci, de démontrer que les cas de présence de mousse allégués ont pour origine, fût-ce probable, le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement en éléments nutritifs.
159 À cet égard, la Commission ne saurait se prévaloir utilement de la circonstance que la communauté scientifique a tendance a admettre davantage qu’avant le lien entre la fréquence d’occurrences de prolifération d’algues, y compris celles formant de l’écume, comme le Phaeocystis, et l’apport accru en matières nutritives, lien qui serait confirmé par le rapport OSPAR de 2008, qu’elle a produit lors de l’audience. En effet, une telle conclusion ne constitue pas une preuve concrète de l’existence d’un tel lien en ce qui concerne le Wash. En outre, pour autant qu’elle ne semble pas refléter l’état des connaissances scientifiques et techniques à la date du 31 décembre 1993, ladite conclusion ne saurait revêtir, ainsi qu’il ressort des points 58 à 63 du présent arrêt, un caractère pertinent dans le cadre du présent recours.
160 En quatrième lieu, la Commission invoque la présence d’herbiers importants de macroalgues, comme l’ulve («marées vertes»), dans le Wash. Or, le Royaume-Uni n’aurait effectué aucune étude pour mesurer la densité de ces algues et démontrer qu’un benthos sain existait dans et sur le sédiment.
161 À cet égard, il y a d’abord lieu de réitérer que, certes, comme le soutient le Royaume-Uni, et ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 38 du présent arrêt, la preuve de l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, qui constitue le deuxième critère de l’eutrophisation, ne peut, en tant que telle, être considérée comme la démonstration de l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou d’une dégradation de la qualité de celle-ci, qui correspondent aux troisième et quatrième critères de l’eutrophisation.
162 Toutefois, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la prolifération de macroalgues telles que l’ulve, qui sont des algues opportunistes, constitue une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et les marées vertes, par leurs conséquences négatives notamment sur les activités touristiques, sont également constitutives d’une dégradation de la qualité de l’eau. En effet, ces algues, qui sont facilement arrachées de leur substrat et finissent par s’échouer sur les plages qu’elles recouvrent sur une épaisseur souvent importante, provoquent une forte gêne ou même une impossibilité de pratiquer les activités telles que la baignade, la pêche ou la randonnée le long de la côte (voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, points 23, 73 et 74).
163 En l’espèce, il y a cependant lieu d’observer, premièrement, que, si, comme il ressort du point 142 du présent arrêt, la Commission a certes apporté certains éléments épars susceptibles de suggérer la présence de macroalgues dans le Wash ou, du moins, dans une partie de celui-ci, éléments qui, pris ensemble avec les taux élevés de concentration de chlorophylle, peuvent démontrer que le deuxième critère de l’eutrophisation est vérifié en ce qui concerne cette zone litigieuse, elle n’a pas apporté de preuve que cette présence revêtait un caractère significatif et, partant, qu’elle correspondait à une véritable prolifération.
164 À cet égard, le rapport MV, produit par la Commission à l’appui de sa thèse, se limite d’ailleurs à affirmer que les macroalgues vertes étaient abondantes dans le Wash au début du XXe siècle, soit bien avant la période pertinente. En outre, si ce rapport indique qu’il ne peut pas être affirmé que les algues vertes ne prolifèreront pas de manière dangereuse compte tenu de l’enrichissement actuel de cette masse d’eau en éléments nutritifs, l’hypothèse d’une prolifération n’est cependant étayée par aucune donnée scientifique précise et chiffrée.
165 Deuxièmement, force est de constater que la Commission n’a apporté aucune preuve que la présence alléguée d’ulves dans le Wash, même limitée, aurait entraîné des conséquences négatives notables sur l’environnement. À cet égard, la Commission, à laquelle incombe la charge de prouver le manquement allégué, ne saurait se borner à reprocher au Royaume-Uni de ne pas avoir effectué les études nécessaires afin de démontrer l’absence de telles conséquences négatives, sous peine de renverser la charge de la preuve. En tout état de cause, la Commission n’a pas contesté l’affirmation de cet État membre, tirée du rapport du Royaume-Uni sur le Wash, selon laquelle les invertébrés benthiques associés aux sédiments sont sains, les données portant sur quinze années révélant une communauté normale qui évolue en fonction du régime de salinité et des caractéristiques des sédiments.
166 Enfin, en cinquième lieu, la Commission évoque la disparition des zostères dans le Wash comme conséquence possible de l’eutrophisation. L’effet de l’eutrophisation sur les zostères serait en effet un phénomène bien établi. Or, des publications historiques datant du début du XXe siècle et d’autres plus récentes prouveraient l’abondance de macroalgues ainsi qu’une certaine présence d’espèces de zostères. La maladie du dépérissement invoquée par le Royaume-Uni comme explication à leur disparition n’aurait pas affecté la Zostera noltii et la hausse des concentrations en azote renforcerait la vulnérabilité de la Zostera marina à cette maladie. Bien que cet État membre énoncerait de nombreux facteurs comme causes potentielles de la disparition des zostères, il ne semblerait pas se soucier du fait que l’une des causes principales de celle-ci serait leur exposition à un enrichissement excessif en éléments nutritifs et à des taux élevés d’ammoniac.
167 Par identité de motifs avec ce qui a été jugé aux points 103 à 112 du présent arrêt en ce qui concerne l’estuaire de la Humber, ces allégations doivent toutefois être rejetées.
168 En effet, la Commission n’apporte aucune preuve précise du fait que la faible présence de zostères dans cette zone litigieuse aurait pour origine, fût-ce probable, le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement en éléments nutritifs. Elle se borne à cet égard à alléguer de manière générale et abstraite que les zostères peuvent être affectées par de telles circonstances et que leur disparition est «une conséquence possible de l’eutrophisation».
169 Certes, la Commission soutient qu’il ressort du nouvel atlas de Preston ainsi que d’autres indications, en particulier un discours prononcé en 1966 par M. Pilcher à la Lincolnshire Naturalists Society (société naturaliste du Lincolnshire), citée dans le rapport MV, que les zostères ont pu être présentes en quantités plus importantes dans le Wash au cours de la première partie du XXe siècle.
170 Toutefois, cette présence antérieure, qui n’est d’ailleurs pas contestée par le Royaume-Uni, est sans pertinence, dès lors qu’elle ne démontre en rien que la disparition alléguée des zostères aurait pour origine au moins probable le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans le Wash causé par son enrichissement en éléments nutritifs.
171 En outre, il ressort du rapport MV, fourni par la Commission elle-même, que les zostères n’ont jamais été présentes en abondance dans le Wash. À cet égard, si le nouvel atlas de Preston, également produit par la Commission, démontre que les zostères ont effectivement pu être présentes jusque dans les années 1970, voire jusqu’en 1986, dans le Wash, il ne fournit aucune indication quant à leur étendue. Or, le Royaume-Uni expose, sans être contredit sur ce point par la Commission, qu’il ressort des données fournies par l’étude Best de 2008 concernant la période allant de l’année 1800 à l’année 2007 que la présence de zostères dans le Wash a toujours été relativement sporadique.
172 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans le Wash a entraîné ou aurait pu entraîner à brève échéance dans cette zone litigieuse une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de l’eau.
173 En conséquence, l’existence des troisième et quatrième critères de l’eutrophisation n’ayant pas été prouvée à suffisance de droit en ce qui concerne le Wash, le premier grief doit être rejeté en tant qu’il porte sur cette zone litigieuse.
c) Sur les estuaires de la Deben et de la Colne
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
174 Si le Royaume-Uni soutient que l’enrichissement des estuaires de la Deben et de la Colne en éléments nutritifs s’est considérablement réduit au cours des dernières années, il ne conteste pas l’existence d’un tel enrichissement au cours de la période pertinente, tel que celui-ci ressort des données figurant dans le rapport ERM, produit par la Commission.
175 Quant à la thèse du Royaume-Uni selon laquelle il serait plus efficace de lutter contre l’enrichissement en azote en prenant des mesures dans le cadre de la directive 91/676, elle doit être rejetée pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 122 du présent arrêt s’agissant du Wash.
176 Il convient dès lors de considérer que l’existence du premier critère de l’eutrophisation est établie pour les estuaires de la Deben et de la Colne.
177 Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si la Commission prouve à suffisance de droit la réunion des trois autres critères de l’eutrophisation en ce qui concerne ces zones litigieuses.
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
178 Dès lors qu’il est constant que les estuaires de la Deben et de la Colne forment des masses d’eau distinctes, il convient d’examiner séparément la situation de chacun de ces estuaires au regard du deuxième critère de l’eutrophisation.
– Sur l’estuaire de la Deben
179 Selon la Commission, il ressort du rapport ERM que les apports en éléments nutritifs, en provenance essentiellement des stations d’épuration, ont entraîné un développement accéléré d’algues et de végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Deben. Elle se fonde à cet égard, d’une part, sur le développement du phytoplancton et, d’autre part, sur la couverture de macroalgues.
180 En ce qui concerne, en premier lieu, le développement du phytoplancton, il y a lieu de constater que, même si, comme il a déjà été indiqué au point 127 du présent arrêt, la Commission ne saurait valablement se prévaloir du dépassement du seuil de concentration de chlorophylle de 15 μg/l au 90e percentile, accepté par le Royaume-Uni dans le cadre de l’OSPAR, il ressort du rapport ERM, qui se fonde à cet égard sur un «rapport Elliott de 1994», que cet estuaire a connu des pics très élevés de concentration de chlorophylle, s’élevant à 86,6 µg/l en 1992 et, surtout, à 339 µg/l en 1993. À cet égard, c’est à tort que le Royaume-Uni soutient que la Commission n’a pas pris en considération la durée et l’étendue de la croissance du phytoplancton ainsi que leur évolution tout au long de l’année. En effet, le rapport ERM indique explicitement que ces pics ont eu lieu du printemps jusqu’à l’automne.
181 Or, si le Royaume‑Uni entend contester les données figurant dans le rapport ERM, les éléments qu’il présente sur ce point, à savoir les résultats d’une étude réalisée par l’Environment Agency repris dans le rapport relatif aux estuaires de la Deben et de la Colne fourni en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 [Urban Waste Water Treatment Directive: Assessment of the Eutrophic Status of the Deben and the Colne Estuaries (Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires: évaluation de l’état eutrophique des estuaires de la Deben et de la Colne), ci-après le «rapport du Royaume-Uni sur les estuaires de la Deben et de la Colne»], confirment les conclusions du rapport ERM, dès lors qu’ils attestent la présence entre l’année 1992 et l’année 1997 d’efflorescences algales impliquant des taux de concentration de chlorophylle excédant 10 µg/l et des valeurs dépassant aussi ce seuil durant les mois d’été sur les sites les plus en amont des deux estuaires concernés. Le rapport du Royaume-Uni sur les estuaires de la Deben et de la Colne précise en outre que ceux-ci ont des eaux salines dans leurs parties extérieure et centrale, ce qui justifie que le seuil de 10 µg/l soit considéré comme critère pertinent. Or, selon ce rapport, ce seuil a aussi été dépassé dans lesdites parties durant l’été.
182 Par ailleurs, le Royaume-Uni ne saurait utilement invoquer, pour contester les données figurant dans le rapport ERM, l’étude Deben Habitats Directive Review of Consents Report: Water Quality Assessment (Rapport sur la révision des approbations dans le cadre de la directive habitats dans la Deben: évaluation de la qualité de l’eau), publiée par l’Environment Agency en 2007. En effet, conformément à ce qui a été indiqué aux points 58 à 63 du présent arrêt, cette étude portant sur les taux de concentration de chlorophylle dans cet estuaire entre 2002 et 2005, elle ne revêt aucune force probante dans le cadre du présent recours. Il en est de même des données fournies par le Royaume-Uni dans la présentation adressée à la Commission à la suite d’une réunion tenue avec les services de celle-ci en octobre 2005, dès lors qu’elles concernent les années 2002 et 2003.
183 La circonstance, alléguée par le Royaume-Uni, que l’estuaire de la Deben est turbide n’est pas de nature à remettre en cause ces constatations. En effet, force est de constater, d’une part, que cette turbidité n’empêche pas la présence de taux élevés de chlorophylle révélateurs d’une production abondante de phytoplancton et, d’autre part, que la moyenne de lumière de 28 et de 29 jours par an mentionnée par cet État membre n’exclut pas la croissance de phytoplancton durant cette période d’environ un mois. À cet égard, le rapport ERM, qui cite sur ce point une «étude Sage de 1997», expose d’ailleurs que le niveau de lumière incidente constaté dans l’estuaire de la Deben était suffisant pour permettre une croissance maximale du phytoplancton pendant toute la période d’avril à octobre, que le phytoplancton était capable de compenser la baisse du niveau de lumière et que certains éléments indiquaient que la turbidité était partiellement due au phytoplancton lui-même.
184 Il en résulte que les données fournies par la Commission concernant le taux de concentration de chlorophylle et le développement du phytoplancton dans l’estuaire de la Deben peuvent être considérées comme constituant l’indice d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette zone litigieuse au cours de la période pertinente.
185 En ce qui concerne, en second lieu, la couverture de macroalgues, il ressort du rapport ERM, citant les résultats enregistrés à partir d’images aériennes dans le cadre de ladite «étude Sage de 1997», que d’importantes masses d’algues ont été observées dans l’estuaire de la Deben entre les mois de juin et de décembre 1996. En outre, selon une autre étude portant également sur cette période [Nedwell, D., e.a., Rapid assessment of macro-algal cover on intertidal sediments in a nutrified estuary (Évaluation rapide de la couverture de macroalgues sur les sédiments intertidaux dans un estuaire enrichi en nutriments), 2002, ci-après l’«étude Nedwell de 2002»], dont les résultats sont repris dans le rapport MV, la couverture moyenne de macroalgues dans l’ensemble de cet estuaire avoisinait 42 % lorsque l’analyse a débuté en juin, pour passer ensuite à 47 % en juillet, puis redescendre à 30 % en septembre et à environ 10 % en décembre.
186 Si ces éléments sont de nature à indiquer la présence de macroalgues dans l’estuaire de la Deben au cours d’une année de la période pertinente, il y a toutefois lieu de relever que, comme l’admet le rapport ERM, la biomasse de ces algues n’a pas été mesurée. En outre, l’étude Nedwell de 2002, sur laquelle se fonde essentiellement la Commission, conclut explicitement que cet estuaire n’est pas sujet à des efflorescences importantes de macroalgues en dépit de son enrichissement en nutriments, ce dernier rapport indiquant cependant que l’absence de prolifération de macroalgues dans ledit estuaire peut résulter d’un manque de points d’attache adéquats, de sorte qu’elle ne constituerait pas la preuve de l’absence d’eutrophisation.
187 Toutefois, il convient d’admettre que les éléments probants apportés par la Commission concernant la présence, même limitée, de macroalgues dans l’estuaire de la Deben au cours de la période pertinente, pris ensemble avec les différentes données établissant l’enregistrement de taux élevés de concentration de chlorophylle dans cette zone litigieuse, démontrent à suffisance de droit l’existence dans ladite zone d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures.
188 Partant, le Royaume-Uni n’ayant produit aucun élément de nature à mettre en cause les conclusions du rapport ERM selon lesquelles ce développement a été occasionné par l’enrichissement en éléments nutritifs de l’estuaire de la Deben, il convient de considérer que la Commission a prouvé à suffisance de droit l’existence du deuxième critère de l’eutrophisation en ce qui concerne cet estuaire.
– Sur l’estuaire de la Colne
189 De la même manière que pour l’estuaire de la Deben, la Commission fait valoir qu’il ressort du rapport ERM que les apports en éléments nutritifs, en provenance essentiellement des stations d’épuration, ont entraîné un développement accéléré d’algues et de végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Colne. Elle se fonde à cet égard, d’une part, sur le développement du phytoplancton et, d’autre part, sur la couverture de macroalgues.
190 En ce qui concerne, en premier lieu, le développement du phytoplancton, il y a lieu de constater que, même si, comme il a déjà été indiqué au point 127 du présent arrêt, la Commission ne saurait se prévaloir du dépassement du seuil de concentration de chlorophylle de 15 μg/l au 90e percentile, accepté par le Royaume-Uni dans le cadre de l’OSPAR, il ressort du rapport ERM, qui, sur ce point, se fonde encore sur le «rapport Elliott de 1994», susmentionné, que des pics élevés de concentration de chlorophylle, de 30 à 40 μg/l en 1992 et de 20 à 30 μg/l en 1993, ont été observés dans cet estuaire. À cet égard, c’est de nouveau à tort que le Royaume-Uni soutient que la Commission n’a pas pris en considération la durée et l’étendue de la croissance du phytoplancton ainsi que leur évolution tout au long de l’année. En effet, le rapport ERM indique explicitement que ces pics de chlorophylle ont été observés du printemps jusqu’à l’automne.
191 Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 181 du présent arrêt, les données figurant dans le rapport du Royaume-Uni sur les estuaires de la Deben et de la Colne, qui ne distinguent pas, sur ce point, selon les estuaires, loin de remettre en cause les conclusions du rapport ERM, sont au contraire de nature à les confirmer.
192 Par ailleurs, les données figurant dans le rapport Colne Habitats Directive Review of Consents Report: Water Quality Assessment (Rapport sur la révision des approbations dans le cadre de la directive habitats dans la Colne: évaluation de la qualité de l’eau), publié par l’Environment Agency en 2007, ainsi que celles fournies par le Royaume-Uni dans la présentation qu’il a adressée à la Commission en 2005 doivent être écartées pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 182 du présent arrêt.
193 Enfin, la circonstance, alléguée par le Royaume-Uni, que l’estuaire de la Colne est turbide n’est pas de nature à remettre en cause ces constatations, dès lors, d’une part, que cette turbidité n’empêche pas l’existence de taux élevés de concentration de chlorophylle révélateurs d’une production abondante de phytoplancton et, d’autre part, que la moyenne de lumière de 28 et de 29 jours par an alléguée par le Royaume-Uni n’exclut pas la croissance de phytoplancton durant cette période d’environ un mois.
194 Il en résulte que les données fournies par la Commission concernant le taux de concentration de chlorophylle et le développement du phytoplancton dans l’estuaire de la Colne peuvent être considérées comme constituant l’indice d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette zone litigieuse au cours de la période pertinente.
195 En ce qui concerne, en second lieu, la couverture de macroalgues, il ressort du rapport ERM, citant les résultats d’analyses réalisées à partir d’images aériennes dans le cadre de l’«étude Sage de 1997», susmentionnée, que d’importantes masses d’algues ont été observées entre les mois de juin et de décembre 1996.
196 Les données figurant dans le rapport du Royaume-Uni sur les estuaires de la Deben et de la Colne ne permettent pas à cet État membre de contester utilement ces constatations. En effet, ainsi qu’il le reconnaît, ce rapport ne contient aucune donnée, fût-ce sous la forme d’images photographiques, concernant la présence de macroalgues dans l’estuaire de la Colne. Tout au plus ledit rapport se borne-t-il, sur ce point, à relever que le Joint Nature Conservation Council (conseil commun pour la protection de la nature) a souligné en 1995 la prédominance d’étendues de boue dans ce dernier estuaire. Une telle affirmation non autrement étayée n’est cependant pas susceptible de remettre en cause les constatations contenues dans le rapport ERM concernant la présence de macroalgues.
197 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les preuves apportées par la Commission concernant la présence de macroalgues dans l’estuaire de la Colne constituent elles aussi une preuve de l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette zone.
198 Le Royaume-Uni n’ayant produit aucun élément de nature à mettre en cause les constatations du rapport ERM selon lesquelles ce développement a été causé par l’enrichissement en éléments nutritifs de l’estuaire de la Colne, il convient dès lors de conclure que la Commission a également prouvé à suffisance de droit l’existence du deuxième critère de l’eutrophisation en ce qui concerne cet estuaire.
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
199 À l’appui de ses allégations quant à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans les estuaires de la Deben et de la Colne, la Commission fait valoir tout d’abord que la corrélation positive entre l’apport en éléments nutritifs en provenance des estuaires continentaux du Royaume-Uni et la concentration de chlorophylle indique que la nette évolution de cet apport entre l’année 1930 et l’année 1990 devrait avoir entraîné d’importants changements dans le développement du phytoplancton. Un taux élevé de concentration de chlorophylle serait en effet le signe d’une perturbation indésirable, compte tenu de l’impact sur la structure phytoplanctonique raisonnablement prévisible. Or, les informations rassemblées par le Royaume-Uni sur ce point seraient ponctuelles, limitées et contraires aux critères définis par l’OSPAR. En outre, des échantillons auraient dû être prélevés à l’égard d’une période où les niveaux d’éléments nutritifs n’étaient pas élevés et leur analyse aurait dû montrer qu’aucun changement n’était intervenu. La seule manière d’y parvenir consisterait à analyser des carottes sédimentaires pour établir les profils de nutriments et déterminer la structure antérieure de la communauté phytoplanctonique.
200 Il y a cependant lieu de constater que, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 39 du présent arrêt, si le niveau élevé des taux de concentration de chlorophylle enregistrés dans les estuaires concernés et la circonstance que ce niveau pourrait résulter d’un apport en éléments nutritifs constituent des indications susceptibles de démontrer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par un enrichissement en éléments nutritifs, ces éléments sont en revanche sans pertinence pour démontrer l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou une dégradation de la qualité de celle-ci.
201 Or, à cet égard, alors que le Royaume-Uni avance un certain nombre d’éléments concernant les années 1992 et 1997 en vue d’établir, notamment, l’absence d’incidence négative sur la structure de la communauté phytoplanctonique dans les estuaires de la Deben et de la Colne, la Commission se borne à contester la force probante des éléments ainsi avancés, sans elle-même apporter le moindre élément de preuve à l’appui de cette contestation. Il appartient cependant à la Commission, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt, de prouver le manquement allégué et, à cette fin, d’apporter un minimum de preuves des incidences négatives, au moins probables, sur l’environnement causées par un enrichissement en éléments nutritifs et un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures.
202 Il convient dès lors d’examiner si les autres éléments avancés par la Commission suffisent à démontrer de telles incidences négatives en ce qui concerne chacun des estuaires en cause, lesquels constituent des masses d’eau distinctes.
– Sur l’estuaire de la Deben
203 La Commission invoque, en premier lieu, la couverture importante de macroalgues dans cet estuaire. Les similarités avec des zones déjà désignées comme sensibles, telles que l’estuaire de l’Ythan et Langstone Harbour, seraient à cet égard si frappantes qu’il serait difficile de comprendre pourquoi le Royaume-Uni refuse de désigner l’estuaire de la Deben comme zone sensible. Les macroalgues seraient en effet à l’origine de la dégradation des marais salants et de la disparition des zostères. S’agissant des marais salants, la Commission estime que des contrôles occasionnels par voie aérienne ne sont pas suffisants. De plus, il aurait été rapporté que l’entéromorphe et l’ulve proliféraient dans les marais salants. Selon la Commission, s’il était vrai, comme le soutient le Royaume-Uni, que les macroalgues vertes sont rares, il serait d’autant plus vital de préserver les marais salants pour les oiseaux comme l’avocette et la bernache cravant, qui ont besoin d’un habitat. Quant à l’effet sur les zostères, celles-ci auraient autrefois été prolifiques sur les côtes du Royaume-Uni, mais leur présence n’aurait pas été signalée récemment dans l’estuaire de la Deben. Or, les macroalgues, qui utilisent les zostères comme points d’attache, auraient un effet négatif sur celles-ci.
204 À cet égard, il convient de relever que, comme il ressort des points 185 à 187 du présent arrêt, les données produites par la Commission concernant la présence de macroalgues dans l’estuaire de la Deben ne démontrent pas à suffisance de droit que cette présence était significative au cours de la période pertinente. La Commission ne saurait, sur ce point, se borner à critiquer la pertinence des données obtenues au départ des observations aériennes réalisées par le Royaume-Uni, dès lors que, comme il a été souligné aux points 42 à 48 de cet arrêt, c’est à elle qu’il incombe de prouver que les critères de l’eutrophisation étaient réunis à la date du 31 décembre 1993 ou qu’il devait être considéré alors qu’ils le seraient à brève échéance. Par ailleurs, la Commission ne saurait se dispenser de satisfaire à cette obligation au motif que l’estuaire de l’Ythan, qui constitue une masse d’eau distincte de celle en cause, même à supposer qu’il présente les mêmes caractéristiques que cette dernière, ce qui n’est cependant nullement prouvé, aurait été désigné par le Royaume-Uni comme zone sensible au sens de la directive 91/271. En effet, la preuve de la présence de macroalgues dans cet estuaire ne démontre en rien une telle présence dans l’estuaire de la Deben.
205 Or, la Commission n’apporte pas la moindre preuve du fait que la présence, même limitée, de macroalgues dans l’estuaire de la Deben serait la cause probable de la dégradation des marais salants et de la disparition des zostères.
206 S’agissant, premièrement, de l’effet allégué sur les marais salants, si la Commission fait état de la diminution de ceux-ci, ce que ne conteste pas le Royaume-Uni, elle se borne à affirmer que celle-ci «peut» avoir un lien avec l’eutrophisation, mais ne fournit aucun indice susceptible d’étayer l’existence d’un tel lien, au moins probable, en ce qui concerne spécifiquement l’estuaire de la Deben.
207 Bien au contraire, il ressort de l’étude Nedwell de 2002, produite par la Commission, que l’entéromorphe et l’ulve, loin de proliférer dans les marais salants, ont seulement été observées en bordure de ceux-ci. L’étude scientifique produite par la Commission dans son mémoire en réplique au soutien de son argumentation sur ce point [Deegan, L., Lessons learned: the effects of nutrient enrichment on the support of nekton by seagrass and saltmarsh ecosystems (Enseignements à tirer: les effets de l’enrichissement en éléments nutritifs sur le support du necton dans les écosystèmes de zostères et de marais salants), 2002] n’est en rien de nature à remettre en cause ces constatations, dès lors qu’elle se borne à souligner de manière générale que l’enrichissement en éléments nutritifs peut affecter les écosystèmes côtiers tels que les marais salants, sans analyser la situation particulière de l’estuaire de la Deben. La Commission n’apporte pas non plus de preuve d’un effet négatif concret sur les populations d’oiseaux présentes dans cet estuaire. En tout état de cause, en l’absence de preuve que la diminution de l’étendue des marais salants a pour origine le développement algal dû à l’enrichissement dudit estuaire en éléments nutritifs, les effets négatifs éventuels résultant de cette diminution pour les oiseaux n’entrent pas dans le champ d’application de la directive 91/271.
208 S’agissant, deuxièmement, de l’effet allégué sur les zostères, les allégations de la Commission doivent être rejetées par identité de motifs avec ce qui a été jugé aux points 103 à 112 du présent arrêt en ce qui concerne l’estuaire de la Humber.
209 En effet, la Commission n’apporte aucune preuve précise et concordante du fait que la prétendue disparition des zostères dans l’estuaire de la Deben aurait pour origine, fût-ce probable, le développement accéléré d’algues et de végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement en éléments nutritifs, se bornant à affirmer de manière générale que «la zostère était autrefois prolifique sur les côtes du Royaume-Uni, mais sa présence n’a pas été signalée récemment dans la Deben», et que «les macroalgues […] ont un effet négatif sur la zostère».
210 En vue de l’audience, la Commission a certes produit l’étude Butcher de 1933, qui indique que les zostères étaient présentes en abondance en 1917 dans l’estuaire de la Deben. Toutefois, une telle présence passée ne démontre en rien que la disparition alléguée des zostères aurait pour origine le développement accéléré d’algues et de végétaux d’espèces supérieures dans cet estuaire causé par son enrichissement en éléments nutritifs. Tel est d’autant plus le cas que cette étude scientifique publiée en 1941 concerne la situation dans l’estuaire de la Deben en 1917, que ladite étude expose elle-même que de multiples facteurs pourraient être la cause de la disparition des zostères et que l’une des espèces de zostère avait déjà disparu dès 1920. Cette dernière constatation rejoint, au demeurant, les conclusions formulées dans l’étude Best de 2008, fournie par le Royaume-Uni, portant sur la période comprise entre les années 1800 et 2007, selon lesquelles les zostères n’ont été présentes dans ledit estuaire que de manière sporadique.
211 En deuxième lieu, la Commission estime que le rapport ERM mentionne des preuves d’une présence de voiles de diatomées benthiques se détachant des sédiments telle qu’elle devient une nuisance esthétique. Or, le Royaume‑Uni ne présenterait aucune évaluation de l’impact environnemental de la prolifération des couches de diatomées benthiques.
212 Il y a cependant lieu de constater que le rapport ERM ne contient aucune preuve concrète d’une présence notable de diatomées benthiques dans l’estuaire de la Deben, mais indique uniquement que, selon l’étude scientifique qui y est citée, des colonies de diatomées benthiques peuvent parfois («could») se détacher des sédiments à la fin de l’été, signalant ainsi une nuisance sporadique. Par ailleurs, la Commission ayant la charge de prouver le manquement, elle ne saurait, conformément à ce qui a été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt, utilement reprocher au Royaume-Uni un manque d’évaluation sur ce point, dès lors qu’elle reste en défaut de prouver l’existence d’un effet négatif notable sur l’environnement correspondant aux troisième et quatrième critère de l’eutrophisation.
213 Enfin, en troisième lieu, la Commission invoque la présence d’une IDM dans l’estuaire de la Deben.
214 Toutefois, il suffit de relever que le rapport du Royaume-Uni sur les estuaires de la Deben et de la Colne, dont tend à se prévaloir la Commission, fait uniquement état d’un cas d’IDM dans l’estuaire de la Colne, aucun test n’ayant été réalisé dans l’estuaire de la Deben, en l’absence d’exploitation de mollusques dans ce dernier. Partant, la Commission n’apporte de nouveau aucune preuve d’un effet négatif à cet égard.
215 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Deben a entraîné ou a pu entraîner à brève échéance dans cette zone litigieuse une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de celle-ci.
– Sur l’estuaire de la Colne
216 La Commission invoque, en premier lieu, la couverture importante de macroalgues dans cet estuaire.
217 À cet égard, comme il a été constaté aux points 195 à 197 du présent arrêt, la Commission a démontré une présence importante de macroalgues dans l’estuaire de la Colne. Néanmoins, pour autant que les arguments qu’elle avance en vue de démontrer les effets négatifs de celles-ci, dans cette zone litigieuse, sur les marais salants sont identiques à ceux qu’elle a présentés concernant l’estuaire de la Deben, il y a lieu de les rejeter par identité de motifs avec ce qui a été jugé aux points 206 et 207 du présent arrêt.
218 Pour le surplus, la Commission reproche au Royaume-Uni de ne pas avoir fourni des documents, qui, selon le rapport Colne Habitats Directive Review of Consents Report: Water Quality Assessment, évoqué au point 192 du présent arrêt, que produit cet État membre, identifieraient certains effets négatifs sur l’environnement, notamment sur les populations d’oiseaux, de l’enrichissement en éléments nutritifs de l’estuaire de la Colne. C’est toutefois à la Commission qu’il incombe de prouver de tels effets, conformément à ce qui a été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt. En tout état de cause, s’agissant de l’effet allégué sur les populations d’oiseaux, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que le rapport susmentionné indique que neuf espèces sur vingt sont menacées, il se borne à relever de manière très générale que les rejets dans l’eau sont «potentiellement» de nature à contribuer à la menace pesant sur ces espèces.
219 Par ailleurs, s’agissant de l’effet affirmé sur les zostères, les allégations de la Commission doivent être rejetées, par identité de motifs avec ce qui a été jugé aux points 103 à 112 du présent arrêt.
220 En effet, la Commission fait valoir, en se fondant notamment sur le rapport MV, dont la source sur ce point consiste dans un simple entretien téléphonique, et sur une étude scientifique plus récente [Chesman, B., e.a., Essex Estuaries European Marine Site (Site européen marin des estuaires de l’Essex), 2006, ci-après l’«étude Chesman de 2006»], que, alors que les zostères étaient présentes autrefois dans l’estuaire de la Colne, elles avaient disparu lors de recherches effectuées en 2002. Toutefois, une telle circonstance ne démontre en rien que la présence de macroalgues est la cause, au moins probable, de cette prétendue disparition. En tout état de cause, la Commission ne produit aucun élément probant en ce sens.
221 Par ailleurs, la Commission ne fournit aucun élément concret concernant l’importance de la présence de zostères enregistrée dans le passé dans l’estuaire de la Colne. À cet égard, il convient de préciser qu’il est sans pertinence que celles-ci aient pu être présentes de manière significative dans l’estuaire de la Blackwater, comme l’allègue la Commission. En effet, à supposer même que cette allégation soit établie, ce que conteste le Royaume-Uni, ce dernier estuaire constitue une masse d’eau distincte de celle de l’estuaire de la Colne. Ladite allégation ne démontre donc en rien que celui-ci a été affecté de la même manière par un phénomène de disparition des zostères. Or, le Royaume-Uni soutient sans être contredit sur ce point par la Commission que, selon l’étude Best de 2008, qui porte sur la période comprise entre les années 1800 et 2007, les zostères n’ont été présentes dans l’estuaire de la Colne que de manière sporadique.
222 Quant à la circonstance, alléguée par la Commission pour la première fois dans son mémoire en réplique, que les zostères sont extrêmement sensibles aux nitrates et à l’ammonium, et que les niveaux de ceux-ci dans l’estuaire de la Colne au cours des années 1992, 1993 et 1995 ont été nettement supérieurs aux niveaux auxquels l’existence d’effets toxiques a été démontrée, elle ne saurait, en tant que telle, établir, conformément aux points 27 et 28 du présent arrêt, que les critères de l’eutrophisation sont réunis en ce qui concerne l’estuaire de la Colne. En effet, une telle circonstance est tout au plus de nature à prouver que la disparition alléguée des zostères, à supposer qu’elle soit établie, résulte d’un enrichissement de l’eau en éléments nutritifs, mais non, comme l’exige la directive 91/271, qu’elle résulte du développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dû à un tel enrichissement dans cet estuaire.
223 En deuxième lieu, la Commission invoque la présence de diatomées benthiques dans l’estuaire de la Colne. Toutefois, ses arguments à cet égard se confondant avec ceux relatifs à l’estuaire de la Deben, il y a lieu de les rejeter pour les motifs mentionnés aux points 211 et 212 du présent arrêt.
224 Enfin, en troisième lieu, la Commission fait état d’un cas d’IDM dans l’estuaire de la Colne. À cet égard, il suffit cependant de constater qu’un tel cas isolé ne saurait à lui seul démontrer l’existence d’effets négatifs notables sur l’environnement correspondant aux troisième et quatrième critères de l’eutrophisation.
225 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire de la Colne a entraîné ou a pu entraîner à brève échéance dans cette zone litigieuse une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de celle-ci.
226 En conséquence, l’existence des troisième et quatrième critères de l’eutrophisation n’ayant pas été prouvée à suffisance de droit, le premier grief doit être rejeté en tant qu’il porte sur les estuaires de la Deben et de la Colne.
d) Sur l’estuaire extérieur de la Tamise
227 À titre liminaire, le Royaume-Uni fait valoir que l’objet du recours est imprécis en ce qui concerne l’estuaire extérieur de la Tamise. En effet, alors que la lettre de mise en demeure du 4 novembre 1999 indiquait que cet estuaire comprend, outre les eaux côtières de l’estuaire extérieur de la Tamise, les estuaires secondaires de celui-ci, dont l’estuaire de la Blackwater, la requête porterait uniquement sur les zones précisées dans l’une des cartes jointes en annexe à celle-ci, laquelle exclurait notamment l’estuaire de la Blackwater. Or, selon cet État membre, si le recours se limite à la zone indiquée sur ladite carte, les preuves relatives, par exemple, à ce dernier estuaire seraient sans pertinence. En revanche, si le recours vise une zone plus large, ledit État membre soutient que la Commission devrait apporter des preuves relatives à l’existence de chacun des quatre critères de l’eutrophisation pour chaque estuaire concerné, qui constitue une masse d’eau distincte.
228 Cette argumentation ne peut être retenue.
229 En effet, même à supposer que la carte pertinente jointe en annexe à la requête n’inclurait pas certains estuaires secondaires tels que celui de la Blackwater, ce que le Royaume-Uni affirme sans le démontrer de manière précise, la Commission n’a nullement indiqué dans cette requête, contrairement à ce que soutient cet État membre, qu’elle entendait limiter le champ de son recours aux seules zones mentionnées explicitement sur cette carte.
230 En effet, pour déterminer l’objet du présent recours, il convient d’avoir égard aux termes de ladite requête. Or, il ressort clairement de ceux-ci que le grief soulevé par la Commission concernant l’estuaire extérieur de la Tamise inclut, à l’instar de la lettre de mise en demeure du 4 novembre 1999 et de l’avis motivé du 19 avril 2001, tous ses estuaires secondaires, dont celui de la Blackwater.
231 C’est également à tort que le Royaume-Uni fait valoir que, dans un tel cas, il appartient à la Commission de prouver la réunion des quatre critères de l’eutrophisation en ce qui concerne chacun desdits estuaires secondaires. En effet, il ressort clairement du rapport ERM que l’estuaire extérieur de la Tamise inclut les estuaires secondaires situés sur ses rives nord et sud. Or, si le Royaume-Uni affirme que chaque estuaire en cause forme une masse d’eau distincte, il n’apporte aucune preuve concrète à l’appui de cette affirmation. Dans ces conditions, il convient de considérer que la Commission a prouvé à suffisance de droit que l’estuaire extérieur de la Tamise constitue, avec tous ses estuaires secondaires, une masse d’eau distincte au sens de la directive 91/271.
i) Sur les premier et deuxième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs et d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
232 Il est constant que, au cours de la période pertinente, l’estuaire extérieur de la Tamise connaissait un enrichissement en éléments nutritifs ayant entraîné un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures.
233 En effet, si le Royaume-Uni estime que l’enrichissement en phosphore et en nitrates de cet estuaire a été réduit au cours des dernières années, et s’il soutient que le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures y est limité, il ne conteste pas, en revanche, que les données figurant dans le rapport ERM, produit par la Commission, démontrent l’existence d’un tel enrichissement au cours de la période pertinente ayant à tout le moins donné lieu à un «certain» développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. Le Royaume-Uni a d’ailleurs réitéré qu’il reconnaissait que les deux premiers critères de l’eutrophisation étaient réunis dans cette zone litigieuse.
234 À cet égard, il convient de préciser que, comme l’admet implicitement cet État membre, le deuxième critère de l’eutrophisation n’exige pas un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures étendu et généralisé à l’ensemble de la masse d’eau en cause. En effet, il ne peut être exclu qu’un tel développement dans seulement certaines parties de celle-ci soit susceptible d’entraîner des incidences négatives notables sur l’environnement correspondant aux troisième et quatrième critères de l’eutrophisation.
235 Il convient dès lors de considérer qu’il est établi que les premier et deuxième critères de l’eutrophisation sont réunis en ce qui concerne l’estuaire extérieur de la Tamise.
236 Dans ces conditions, il reste à examiner si la Commission a prouvé à suffisance de droit la réunion des troisième et quatrième critères de l’eutrophisation en ce qui concerne cette zone litigieuse.
ii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
237 En premier lieu, la Commission observe qu’il ressort du rapport ERM que d’importantes proliférations de phytoplancton se seraient produites au cours de l’année 1995 dans l’estuaire de la Blackwater pendant les mois d’été, entraînant l’épuisement des nutriments jusqu’à un niveau proche ou inférieur au seuil de détection et une importante sursaturation en oxygène. Il ressortirait aussi de l’analyse de photographies prises par satellite que le taux de concentration de chlorophylle pendant les années 1998 à 2000 aurait généralement atteint des niveaux représentant de 300 à 500 %, voire plus, des taux observés dans la zone de référence.
238 Toutefois, outre le fait que plusieurs de ces éléments de preuve avancés par la Commission ne se rapportent pas à la période pertinente, il convient de rappeler que, comme il découle du point 39 du présent arrêt, la prolifération du phytoplancton et le caractère élevé des taux de concentration de chlorophylle enregistrés dans l’estuaire extérieur de la Tamise au cours de ladite période, s’ils sont susceptibles de démontrer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cet estuaire, lequel n’est, au demeurant, pas contesté par le Royaume-Uni, sont, en revanche, sans pertinence pour démontrer l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou une dégradation de la qualité de celle-ci.
239 En deuxième lieu, la Commission invoque le développement de toxines dans les mollusques, ce qui ressortirait des données présentées par le Royaume-Uni lui-même. En outre, les rapports de suivi du CEFAS, contenus dans les éditions de Shellfish News de mai 2003 et de mai 2005, feraient état de l’apparition d’une forme atypique d’IDM qui aurait eu d’importantes conséquences, touchant les exploitations de mollusques de la Tamise.
240 Toutefois, selon le rapport fourni par le Royaume-Uni en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 en ce qui concerne l’estuaire extérieur de la Tamise [Urban Waste Water Treatment Directive: Assessment of the Trophic Status of the Outer Thames Estuary (Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires: évaluation de l’état trophique de l’estuaire extérieur de la Tamise)], sur lequel la Commission entend se fonder et dont les données concernent notamment l’année 1996, l’estuaire extérieur de la Tamise ne présente pas, de manière générale, de problème de développement de toxines.
241 Quant aux cas d’IDM invoqués par la Commission, révélés par des contributions scientifiques publiées en 2003 et en 2005, ils concernent des analyses effectuées au cours des années 2002 à 2005. Or, conformément à ce qui a été indiqué aux points 58 à 63 du présent arrêt, de telles analyses ne sauraient revêtir aucune pertinence dans le cadre de l’examen du présent recours.
242 En troisième lieu, la Commission relève que le rapport du Royaume-Uni sur le Wash fait état de l’apparition de mousses d’algues sur les plages de l’estuaire extérieur de la Tamise. Or, les recherches effectuées par cet État membre sur ce point auraient été restreintes.
243 À cet égard, il convient de constater que, certes, ledit rapport relate la présence de mousses algales le long des côtes du Kent. Il y est toutefois précisé que ce phénomène est limité et qu’il s’agit d’une évolution conforme aux événements historiques. Or, la Commission n’apporte aucun élément probant susceptible de remettre en cause ces constatations. Par ailleurs, celle-ci ne saurait faire grief au Royaume‑Uni de ne pas avoir étudié davantage le phénomène en question, dès lors que c’est à elle qu’incombe la charge de la preuve du manquement allégué.
244 En quatrième lieu, la Commission évoque la présence de prairies de macroalgues, notamment d’entéromorphes.
245 Il est certes exact que, comme le soutient le Royaume-Uni, et ainsi qu’il a déjà été indiqué, notamment au point 38 du présent arrêt, la preuve de l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, qui constitue le deuxième critère de l’eutrophisation, ne peut, en tant que telle, être considérée comme la démonstration de l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou d’une dégradation de la qualité de celle-ci, phénomènes correspondant aux troisième et quatrième critères de l’eutrophisation.
246 Toutefois, ainsi que la Cour l’a rappelé au point 162 du présent arrêt, la prolifération de macroalgues opportunistes constitue une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et les marées vertes, par leurs conséquences négatives, notamment sur les activités touristiques, sont également constitutives d’une dégradation de la qualité de l’eau.
247 En l’occurrence, cependant, il apparaît, premièrement, que la Commission n’apporte aucune preuve de l’existence d’une prolifération de macroalgues dans l’estuaire extérieur de la Tamise.
248 À cet égard, il y a lieu de relever que, selon le rapport ERM, qui constitue le point de départ des allégations de la Commission sur ce point, la question de la présence de macroalgues dans l’estuaire extérieur de la Tamise est «largement non étudiée». Selon ce rapport, ce constat est «surprenant compte tenu de la forte teneur en nutriments et des références faites à une importante prolifération d’entéromorphes. Par exemple, la littérature rapporte que ‘[l’]English Nature considère que l’entéromorphe est un problème dans la Blackwater’».
249 De telles affirmations générales, non autrement étayées par des données scientifiques et sans la moindre précision quant à la période à laquelle elles se rapportent, ne sauraient cependant, en tant que telles, revêtir une valeur probante suffisante pour établir les allégations de la Commission. Dans son mémoire en réplique, celle-ci reproche d’ailleurs elle-même au Royaume-Uni de fournir un rapport de 2007 concernant notamment la Medway [East Anglian Coast (Côte de l’East Anglia)] qui ne présente pas de données, ce qui est, selon la Commission, «contraire aux bonnes pratiques et échoue à convaincre».
250 La Commission soutient certes que, selon plusieurs études scientifiques, les prairies d’algues représentent une couverture de 50 % dans l’estuaire de la Blackwater et que les études fournies par le Royaume-Uni concernant la Medway montrent une couverture importante de macroalgues dans l’estuaire de celle-ci. La Commission souligne aussi qu’aucune comparaison n’a été effectuée avec l’estuaire de l’Ythan, qui a, quant à lui, été identifié comme zone sensible, au motif que des zones importantes, mais d’une superficie bien inférieure à la superficie totale de ce dernier estuaire, étaient envahies par des prairies algales susceptibles d’interférer avec la capacité des oiseaux de se nourrir de la faune benthique.
251 Toutefois, d’une part, si les études concernant les estuaires de la Blackwater et de la Medway semblent effectivement indiquer une présence non négligeable de macroalgues dans ces zones, force est de constater qu’elles ne sauraient revêtir un caractère probant dans le cadre du présent recours, dès lors qu’elles ne concernent pas la situation de ces estuaires au cours de la période pertinente.
252 Ainsi, la Commission se réfère à l’étude Chesman de 2006, qui fait état de prairies étendues dans la Blackwater. Toutefois, ce constat se rapporte à une photographie aérienne prise en juillet 2005. De même, un rapport concernant, notamment, la Medway [Thames Estuary and Medway Estuary Habitats Directive Review of Consents Report (Rapport sur la révision des approbations dans le cadre de la directive habitats dans les estuaires de la Tamise et de la Medway), Environment Agency, 2007], dont la Commission se prévaut pour affirmer notamment que 21 % de l’estuaire de ce fleuve présente une couverture macroalgale d’au moins 25 % en moyenne, concerne des analyses effectuées dans le courant du mois d’août des années 2001, 2002 et 2004. Un autre rapport de 2007 soumis par cet État membre, cité au point 249 du présent arrêt, qui relève aussi la présence de macroalgues dans la Medway, concerne les seules années 2001 à 2003. Quant au document préparé par le Nature Conservation Council intitulé «Information Sheet on Ramsar Wetlands» (Feuille d’information concernant les zones humides Ramsar), il y a lieu de constater que ce document, s’il a été établi initialement le 31 décembre 1993, constitue, selon ce qui s’y trouve mentionné, une mise à jour effectuée à la date du 5 mai 2006 et qu’il n’est pas possible, à sa lecture, de déterminer si les indications fournies concernant la présence d’entéromorphes dans la Medway sont également valables pour la période pertinente. À défaut d’une telle précision, ce document ne saurait suffire à démontrer les allégations de la Commission sur ce point.
253 Par ailleurs, ainsi qu’il découle du point 204 du présent arrêt, la Commission ne saurait se dispenser de prouver par des éléments concrets la présence d’entéromorphes dans l’estuaire extérieur de la Tamise en raisonnant par analogie avec la situation constatée dans l’estuaire de l’Ythan, dès lors que, cette dernière masse d’eau étant distincte de celle de l’estuaire extérieur de la Tamise, la présence d’entéromorphes dans l’une ne prouve en rien une telle présence dans l’autre.
254 Deuxièmement, il y a lieu de constater que, même à supposer que la présence limitée de macroalgues puisse entraîner des effets négatifs notables sur l’environnement, la Commission, qui évoque leurs effets sur les zostères et les marais salants, n’a pas non plus prouvé ceux-ci.
255 En ce qui concerne les effets sur les zostères, la Commission observe que le Royaume-Uni n’a procédé à aucune évaluation de l’interaction entre les entéromorphes intertidales et les zostères intertidales ni des effets des niveaux élevés d’éléments nutritifs sur les zostères. Or, les scientifiques s’accorderaient à reconnaître que l’enrichissement en éléments nutritifs est tout au moins une cause majeure du déclin des zostères. En outre, la Zostera noltii et la Zostera angustifolium seraient moins vulnérables à la maladie du dépérissement que la Zostera marina.
256 Il y a lieu d’emblée de rappeler que, comme il a été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt, il incombe à la Commission de prouver le manquement allégué. Sous peine de renverser la charge de la preuve, elle ne saurait donc se borner à reprocher au Royaume-Uni un défaut d’évaluation quant à la disparition alléguée des zostères dans l’estuaire extérieur de la Tamise, sans elle-même produire d’éléments probants à l’appui de la présente allégation.
257 Or, ladite allégation doit être rejetée par identité de motifs avec ce qui a été jugé aux points 103 à 112 du présent arrêt en ce qui concerne l’estuaire de la Humber. En effet, la Commission n’apporte aucune preuve précise du fait que la prétendue disparition des zostères dans l’estuaire extérieur de la Tamise aurait pour origine, fût-ce probable, le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement de l’eau en éléments nutritifs.
258 À cet égard, l’étude Chesman de 2006, à laquelle la Commission se réfère, se borne à indiquer que l’enrichissement en éléments nutritifs «peut nuire» aux bancs de zostères par une série de mécanismes, les plus importants étant le déséquilibre métabolique, la prolifération phytoplanctonique, les algues épiphytiques et une vulnérabilité accrue au dépérissement. Si une telle affirmation générale et théorique révèle certes que la communauté scientifique semble s’accorder à reconnaître que l’enrichissement en éléments nutritifs constitue l’une des causes possibles de la disparition des zostères, elle ne saurait toutefois suffire à démontrer que, dans l’estuaire extérieur de la Tamise, le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures résultant de cet enrichissement a été une cause, au moins probable, de la prétendue disparition des zostères.
259 Par ailleurs, le fait qu’il ressorte du nouvel atlas de Preston que des zostères ont été observées à certaines époques passées dans cet estuaire est dépourvu de toute pertinence dans le cadre de l’examen du présent grief, dès lors qu’il ne démontre en rien que la disparition alléguée des zostères a pour origine probable le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans ledit estuaire causé par son enrichissement en éléments nutritifs.
260 En outre, le nouvel atlas de Preston ne fournit aucune donnée concrète concernant l’étendue de la présence de zostères observée dans l’estuaire extérieur de la Tamise. Quant à l’étude Chesman de 2006, elle se borne à indiquer que «les trois espèces de zostères formaient dans le passé de vastes bancs dans l’estuaire de la Blackwater, mais sont devenues relativement rares». Or, une telle affirmation générale, qui ne précise ni la période au cours de laquelle la présence de zostères a été observée dans cet estuaire ni l’étendue de cette présence, ne saurait suffire à démontrer que les zostères y ont été présentes de manière significative avant la période pertinente. Or, le Royaume-Uni expose sans être contredit sur ce point par la Commission que, selon l’étude Best de 2008, qu’il produit, les apparitions de zostères enregistrées au cours de la période étudiée, s’étendant entre l’année 1800 et l’année 2007, ont été sporadiques jusqu’au milieu des années 1970 dans l’estuaire de la Blackwater et jusqu’au début des années 1990 dans celui de la Tamise.
261 Ces constatations ne sont pas remises en cause par l’étude Butcher de 1933, produite par la Commission en vue de l’audience, qui décrit la situation dans l’estuaire de la Blackwater. En effet, cette étude, qui a été publiée en 1941 et concerne la situation dans cet estuaire en 1932 et en 1933, expose que de multiples facteurs peuvent être la cause de la disparition des zostères et indique qu’une partie importante de celles-ci avait déjà disparu en 1932, et que, lors de sa réapparition l’année suivante, même si toutes les variétés étaient à nouveau présentes, au moins l’une d’entre elles était rare.
262 Enfin, quant à l’allégation, formulée par la Commission pour la première fois dans son mémoire en réplique, selon laquelle les zostères sont extrêmement sensibles aux nitrates et à l’ammonium, et que les niveaux de ceux-ci dans l’estuaire extérieur de la Tamise au cours du mois de juillet 1995 ont été nettement supérieurs aux niveaux auxquels l’existence d’effets toxiques a été démontrée, elle doit être rejetée par identité de motif avec ce qui a été jugé au point 222 du présent arrêt concernant l’estuaire de la Colne.
263 En ce qui concerne l’effet sur les marais salants, la Commission soutient que, compte tenu de la présence de macroalgues, l’évolution de la composition des espèces dans lesdits marais peut susciter certaines inquiétudes. Par ailleurs, le déclin des zostères constituerait un facteur important de disparition des marais salants dans le sud-est de l’Angleterre.
264 Il y a cependant lieu de constater que la Commission n’apporte aucun élément de preuve concret de nature à étayer le bien-fondé des inquiétudes dont elle fait état.
265 Par ailleurs, dès lors qu’il ressort de ce qui précède que la Commission n’a en rien démontré que les zostères ont subi un déclin dans l’estuaire extérieur de la Tamise, l’allégation selon laquelle ce déclin aurait des effets négatifs sur les marais salants ne saurait être retenue.
266 En tout état de cause, la Commission se borne à cet égard à indiquer, en se fondant sur une étude publiée en 2004 [Hughes, R., et Paramor, O., On the loss of saltmarshes in south-east England and methods for their restoration (Sur la disparition de marais salants dans le sud-est de l’Angleterre et les méthodes pour leur restauration)], qu’il existe un lien entre la diminution des marais salants et la disparition des zostères. Cependant, une telle affirmation générale non autrement étayée par des éléments concrets ne saurait constituer la démonstration que cette prétendue disparition, à supposer même qu’elle soit avérée, constitue une cause, fût-ce probable, de la diminution des marais salants dans l’estuaire extérieur de la Tamise.
267 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans l’estuaire extérieur de la Tamise a entraîné ou a pu entraîner à brève échéance dans cette zone une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de celle-ci.
268 En conséquence, la réunion des troisième et quatrième critères de l’eutrophisation n’ayant pas été prouvée à suffisance de droit, le premier grief doit être rejeté en ce qui concerne l’estuaire extérieur de la Tamise.
e) Sur la Southampton Water
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
269 Si le Royaume-Uni soutient que l’enrichissement de la Southampton Water en éléments nutritifs s’est considérablement réduit au cours des dernières années, en particulier depuis l’année 2000, il ne conteste pas l’existence d’un tel enrichissement au cours de la période pertinente, tel que celui-ci ressort des données figurant dans le rapport ERM, produit par la Commission.
270 Il convient dès lors de considérer que l’existence du premier critère de l’eutrophisation est établie en ce qui concerne la Southampton Water.
271 Dans ces conditions, il reste à examiner si la Commission a prouvé à suffisance de droit la réunion des trois autres critères de l’eutrophisation en ce qui concerne cette zone.
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
272 La Commission souligne l’existence, dans la Southampton Water, de phénomènes appelés «marées rouges», provoqués par les efflorescences de Mesodinium, ce qui sous-entendrait une accélération de la croissance des algues. Des proliférations de Mesodinium, signalées pour la première fois dans cette zone litigieuse en 1980, seraient réapparues en 1998 et en 2000. L’existence d’efflorescences de Phaeocystis y seraient également mentionnée, de même que des prairies d’entéromorphes. Enfin, en ce qui concerne le niveau général de croissance du phytoplancton, il y aurait une prolifération printanière annuelle dans l’estuaire, caractérisée par une succession de proliférations transitoires d’ampleur variable. En général, au moins une de ces proliférations atteindrait l’intensité d’une prolifération majeure, définie par un taux de concentration de chlorophylle dépassant 10 µg/l.
273 En ce qui concerne, en premier lieu, l’existence de «marées rouges», il apparaît que, s’il est constant que des efflorescences de Mesodinium se sont produites dans les années 1980 et à partir de 1998, aucune preuve n’est fournie par la Commission que tel fut également le cas au cours de la période pertinente. Au contraire, le rapport ERM, qui constitue le fondement des allégations de la Commission sur ce point, indique que ces efflorescences ont réapparu en 1998 «après une absence de plusieurs années», confirmant ainsi les données fournies par le Royaume-Uni dans son rapport à cet égard présenté en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 [Urban Waste Water Treatment Directive: Assessment of the Eutrophic Status of Southampton Water (Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires: évaluation de l’état eutrophique de la Southampton Water»), ci-après le «rapport du Royaume-Uni sur la Southampton Water»], selon lequel lesdites efflorescences ont été «presque totalement absentes dans la Southampton Water tout au long des années 1990».
274 Certes, il ne saurait être exclu que la réapparition de «marées rouges» à compter de 1998 soit susceptible de démontrer que la Southampton Water constitue, comme le suggère le rapport MV, une zone propice à la présence de telles efflorescences. Les données fournies par le Royaume-Uni concernant les années 2000 semblent ainsi indiquer que des cas de «marées rouges» ont pu se produire à plus d’une reprise au cours de cette période plus récente, cet État membre se bornant à cet égard à dénier l’existence d’effets nuisibles de ces phénomènes sur l’environnement, considération qui est cependant sans pertinence au stade de l’examen du deuxième critère de l’eutrophisation.
275 Toutefois, à défaut de preuves concrètes que de telles efflorescences se sont effectivement produites durant les années 1993 à 1997, et même à supposer que l’absence de ce phénomène au cours de cette période constitue un événement purement fortuit au regard d’un examen sur le long terme de la situation dans la Southampton Water, l’allégation de la Commission selon laquelle l’existence de «marées rouges» démontre un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette masse d’eau ne saurait être retenue dans le cadre du présent grief, dès lors que, par celui-ci, il est reproché au Royaume‑Uni de ne pas avoir procédé à l’identification initiale de certaines zones sensibles à la date du 31 décembre 1993.
276 En ce qui concerne, en deuxième lieu, les efflorescences de Phaeocystis, il s’impose de constater que le rapport ERM se limite à indiquer que, «même si aucune information n’a été fournie en ce qui concerne les mousses algales, [les auteurs] Crawford [e.a.] [(Recurrent Red-tides in the Southampton Water Estuary Caused by the Phototrophic Ciliate Mesodinium rubrum [Marées rouges récurrentes dans la Southampton Water causées par le ciliate phototrophique Mesodinium rubrum], 1997, ci-après l’‘étude Crawford de 1997’)] ont indiqué que des efflorescences de Phaeocystis se sont produites». Aucune donnée n’est cependant fournie quant à l’intensité de ces efflorescences ni quant à la période au cours de laquelle elles se seraient produites. Quant aux efflorescences de Phaeocystis évoquées par la Commission dans son mémoire en réplique sur la base d’une étude de A. Iriarte et D. Purdie [Factors controlling the timing of major spring bloom events in an UK south coast estuary (Facteurs contrôlant le moment de l’apparition d’efflorescences printanières importantes dans un estuaire de la côte méridionale du Royaume-Uni), 2004], elles concernent une autre région que la Southampton Water.
277 Or, d’une part, il ressort du rapport du Royaume-Uni sur la Southampton Water que les cas de concentrations de Phaeocystis constitueraient un phénomène naturel le long de la côte méridionale du Royaume-Uni qui s’étendrait rarement à la Southampton Water. Selon cet État membre, le caractère rare et irrégulier des efflorescences démontrerait que celles-ci constituent en réalité un phénomène algal naturel. Or, la Commission n’a pas réfuté ces allégations, se bornant à reprocher au Royaume-Uni de n’avoir précisé ni le nombre de cellules ni la durée des proliférations. Un tel reproche ne saurait cependant être retenu, dès lors que c’est à la Commission qu’il incombe d’apporter la preuve du manquement allégué.
278 D’autre part, le Royaume-Uni a relevé sans non plus être contredit par la Commission sur ce point que l’étude Crawford de 1997, mentionnée dans le passage du rapport ERM reproduit au point 276 du présent arrêt, bien qu’elle ait été publiée en 1997, concerne les années 1985 à 1987, soit une période de plusieurs années antérieure à celle pertinente dans le cadre du présent recours.
279 En ce qui concerne, en troisième lieu, la présence d’entéromorphes, il suffit d’observer que celle-ci est simplement évoquée dans le rapport ERM, ce dernier indiquant à cet égard que «les entéromorphes sont abondantes sur les vasières qui bordent la Southampton Water», sans cependant fournir la moindre donnée concrète sur ce point. Or, selon le rapport du Royaume-Uni sur la Southampton Water, de telles prairies algales sont rares dans cette zone. Force est de constater que la Commission, qui ne développe pas davantage cette question dans ses écritures, mais se limite à renvoyer au rapport ERM, n’a pas contesté cette affirmation du Royaume-Uni, de sorte que ses propres allégations sur ce point ne sauraient être retenues.
280 Enfin, en ce qui concerne, en quatrième lieu, le taux de concentration de chlorophylle, il convient de relever que l’étude d’Iriarte et Purdie mentionnée au point 276 du présent arrêt, sur laquelle la Commission fonde ses allégations dans sa requête pour soutenir que, en général, au moins une des proliférations printanières annuelles dans la Southampton Water atteint l’intensité d’une prolifération majeure, n’a porté sur aucune des années comprises dans la période pertinente. Cette étude concerne en effet des relevés effectués en 1988, en 1992, en 2001, en 2002 et en 2003.
281 Pour autant que les données relatives à l’année 1992 figurant dans cette étude puissent revêtir un caractère indicatif pour ladite période pertinente, force est de constater que, comme le fait valoir le Royaume-Uni, le seuil de 10 µg/l applicable aux eaux côtières n’a été dépassé que faiblement et brièvement au cours du seul printemps de cette année, la Commission concédant d’ailleurs explicitement que le pic enregistré alors peut être qualifié d’éphémère. Or, à supposer même que, ainsi qu’il ressort du rapport ERM, la Southampton Water puisse être considérée dans son ensemble comme une eau côtière compte tenu de sa largeur et de son faible taux de salinité, seul un dépassement régulier du seuil de 10 µg/l au cours de la saison d’été peut révéler un problème d’eutrophisation, conformément à ce qui a été jugé au point 78 du présent arrêt.
282 Il ressort certes du rapport du Royaume-Uni sur la Southampton Water que des taux de concentration de chlorophylle de 38 µg/l et de 19 µg/l ont été enregistrés, respectivement, en juillet 1993 et en juillet 1994. Toutefois, de tels dépassements ponctuels ne sauraient, en eux-mêmes, constituer l’indice d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. Par ailleurs, pour les motifs indiqués au point 127 du présent arrêt, la Commission n’est pas fondée à cet égard à reprocher au Royaume-Uni de ne pas avoir appliqué le seuil de 15 µg/l au 90e percentile accepté par cet État membre en 2007 dans le cadre de l’OSPAR. Elle ne saurait non plus lui faire valablement grief de ne pas avoir fourni des données à long terme, par exemple en recourant à des analyses de carottes sédimentaires, dès lors que, comme il a été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt, c’est à elle qu’incombe la charge de prouver le manquement allégué.
283 Quant à l’étude de S. Torres-Valdès et D. Purdie [Nitrogen removal by phytoplankton uptake through a temperate non-turbid estuary (Élimination de l’azote par le phytoplancton dans un estuaire tempéré non turbide)], de 2006, à laquelle la Commission se réfère dans son mémoire en réplique, il y a lieu de constater que, couvrant la période comprise entre les mois d’avril et d’octobre 2001, elle ne porte pas sur la période pertinente. Certes, cette étude cite brièvement trois contributions scientifiques publiées, respectivement, en 1992, en 1993 et en 1994, pour constater que, «entre les mois de mars-mai et de juin-septembre […], des taux de chlorophylle de plus de 15 µg/l et jusqu’à 70 µg/l sont habituels, respectivement, dans la partie côtière et dans la partie moyenne de l’estuaire». Toutefois, ni ladite étude ni la Commission ne précisent les années auxquelles se rapportent ces constatations, de sorte que celles-ci ne sauraient être considérées comme comportant une force probante suffisante pour démontrer que les taux de concentration de chlorophylle enregistrés dans la Southampton Water au cours de la période pertinente ont régulièrement dépassé le seuil de 10 µg/l.
284 Cela étant, même à supposer que l’une de ces études publiées au cours de ladite période ait porté sur celle-ci, il convient de rappeler que ledit seuil de 10 µg/l ne peut constituer à lui seul un critère permettant de déterminer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. Or, il ressort des points 273 à 279 du présent arrêt que les autres indices d’un tel développement avancés par la Commission ne peuvent pas être retenus.
285 Dans ces conditions, il apparaît que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que l’enrichissement de la Southampton Water en éléments nutritifs a entraîné ou a pu entraîner à brève échéance un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette zone litigieuse et que, partant, elle n’a pas établi l’existence du deuxième critère de l’eutrophisation en ce qui concerne cette zone litigieuse.
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
286 La Commission fait valoir que la prolifération d’algues dans la Southampton Water a entraîné un appauvrissement en oxygène qui a causé un déplacement du zooplancton. Par ailleurs, il existerait une forte corrélation négative entre la profondeur des zostères et la biomasse de Mesodinium. Ainsi les taux de nitrates et de phosphore enregistrés suggèreraient que les zostères, dont il serait attesté qu’elles ont été présentes historiquement dans cette masse d’eau, pourraient désormais y pousser bien qu’il y aurait une réduction importante de la profondeur maximale. En outre, des toxines responsables d’IDM auraient été détectées, ce qui aurait donné lieu à une interdiction de la récolte des mollusques dans ladite masse d’eau. Enfin, des niveaux de chlorophylle élevés auraient été enregistrés dans la Southampton Water.
287 En ce qui concerne, en premier lieu, l’appauvrissement en oxygène et le déplacement du zooplancton, il y a lieu de rappeler, d’une part, qu’il résulte des points 272 à 285 du présent arrêt que la Commission n’a pas rapporté la preuve d’une prolifération d’algues, en particulier de Mesodinium, dans la Southampton Water au cours de la période pertinente, prolifération qui serait prétendument à l’origine des effets négatifs sur l’environnement allégués, et, d’autre part, que l’allégation concernant l’existence de tels effets est tirée du rapport ERM, lequel repose à cet égard sur l’étude Crawford de 1997 qui, ainsi qu’il ressort du point 278 du présent arrêt, ne porte pas sur ladite période.
288 En tout état de cause, en admettant même que cette étude puisse revêtir une quelconque force probante en l’espèce, il y a lieu de relever qu’elle souligne elle-même que le déplacement du zooplancton pourrait être causé par d’autres facteurs que la présence de Mesodinium et que des données supplémentaires sont requises avant que des conclusions puissent être tirées en ce qui concerne l’impact d’efflorescences de Mesodinium sur les populations de zooplancton dans la Southampton Water. Ladite étude relève également que, en dépit d’un déficit en oxygène, aucun effet négatif sur les macro-organismes n’a été démontré.
289 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la disparition alléguée des zostères, il convient de nouveau de relever que la Commission n’a pas rapporté la preuve de l’existence d’une prolifération d’algues, en particulier de Mesodinium, au cours de la période pertinente, prolifération qui serait prétendument à l’origine de l’effet négatif allégué.
290 En tout état de cause, les allégations de la Commission sur ce point doivent être rejetées par identité de motifs avec ce qui a été jugé aux points 103 à 112 du présent arrêt en ce qui concerne l’estuaire de la Humber.
291 En effet, la Commission n’apporte aucune preuve du fait que la prétendue disparition des zostères dans la Southampton Water aurait pour origine, fût-ce probable, le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures causé par l’enrichissement en éléments nutritifs, se bornant, à cet égard, à alléguer dans sa requête que «la zostère est vulnérable à l’eutrophisation». Par ailleurs, le fait qu’il ressorte du nouvel atlas de Preston que les zostères ont été observées à certaines époques passées dans la Southampton Water est sans pertinence à cet égard. En outre, le nouvel atlas de Preston ne fournit aucune donnée concrète concernant l’étendue de l’implantation de zostères observée. Or, il ressort de l’étude Best de 2008, produite par le Royaume-Uni, que la présence de zostères n’a été enregistrée dans cet estuaire entre l’année 1837 et l’année 2007 qu’au cours de huit années, dont trois avant 1900.
292 Dans son mémoire en réplique, la Commission fait cependant valoir qu’une évolution majeure s’est produite par rapport à la situation telle qu’elle est constatée dans les rapports ERM et MV en ce qui concerne l’effet du Mesodinium sur les zostères, une étude publiée en 2005 [Sagert, S., e.a., Integrated ecological assessment of Danish Baltic Sea coastal areas by means of phytoplankton and macrophytobenthos (Évaluation écologique intégrée des zones côtières de la mer Baltique danoise par le phytoplancton et le benthos macrophyte)] ayant relevé une forte corrélation négative entre la profondeur maximale des zostères et la biomasse de Mesodinium.
293 Toutefois, cette étude, qui n’est au demeurant pas produite, ne concerne pas la Southampton Water, mais une zone côtière de la mer Baltique qui constitue une masse d’eau distincte de celle-ci. En outre, pour autant que l’on puisse considérer, comme le suggère la Commission, que cette étude révèlerait une évolution de l’état de la recherche scientifique concernant le lien entre le Mesodinium et les zostères, cette évolution étant postérieure à la période pertinente, elle ne saurait, conformément à ce qui a été indiqué aux points 58 à 63 du présent arrêt, revêtir une force probante dans le cadre du présent recours, dès lors que ni la Commission ni le Royaume-Uni ne pouvaient en avoir connaissance au cours de ladite période.
294 Certes, en vue de l’audience, la Commission a produit l’étude Butcher de 1933 afin d’étayer ses allégations. Toutefois, pour les motifs déjà énoncés, notamment, au point 109 du présent arrêt, cette étude, qui a été publiée en 1941 et se rapporte à la situation dans la Southampton Water en 1933, ne saurait elle non plus revêtir une force probante déterminante quant au point de savoir si la Southampton Water devait être désignée par le Royaume-Uni comme zone sensible à l’eutrophisation à la date du 31 décembre 1993. Par ailleurs, et en tout état de cause, force est de constater que cette étude, loin de contredire les allégations du Royaume-Uni, les confirme, puisque, d’une part, elle expose que de multiples facteurs peuvent être la cause de la disparition des zostères et, d’autre part, elle indique que, si les zostères ont été présentes dans la Southampton Water en abondance «dans le passé», à savoir, compte tenu de la date des observations relatées dans ladite étude, avant 1933, elles n’y étaient plus présentes à l’époque desdites observations que par parcelles isolées, ayant totalement disparu à certains endroits depuis plus de sept ans.
295 En ce qui concerne, en troisième lieu, la présence, dans les mollusques, de toxines responsables d’IDM, il suffit de relever que le seul cas identifié par la Commission, qui ressort du rapport de suivi du CEFAS, contenu dans l’édition de Shellfish News de mai 2000, concerne l’année 2000, soit une année postérieure à la période pertinente.
296 Enfin, en quatrième lieu, en ce qui concerne le taux de concentration de chlorophylle, il convient de rappeler que, comme il ressort du point 39 du présent arrêt, si cet élément est susceptible de démontrer l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans la Southampton Water, il est, en revanche, sans pertinence pour prouver l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau ou une dégradation de la qualité de celle-ci.
297 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, à supposer même qu’il puisse être considéré que l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures a été prouvée en ce qui concerne la Southampton Water, la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que ce développement accéléré aurait entraîné ou aurait pu entraîner dans cette zone litigieuse une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de l’eau dans ledit estuaire.
298 En conséquence, l’existence des deuxième à quatrième critères de l’eutrophisation n’ayant pas été prouvée à suffisance de droit, le premier grief doit être rejeté en tant qu’il porte sur la Southampton Water.
f) Sur la partie nord-est de la mer d’Irlande
299 À titre liminaire, il y a lieu d’observer que la partie nord-est de la mer d’Irlande faisant l’objet du présent grief s’étend de la péninsule de Llyn, au pays de Galles, jusqu’au Mull de Galloway, en Écosse, à l’exception de la région du Solway Firth qui se situe au nord de cette zone, la Commission ayant, en ce qui concerne cette dernière région, abandonné tout grief après examen des éléments probants fournis à cet égard par le Royaume-Uni en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001.
300 Il convient dès lors d’examiner si, s’agissant de la partie nord-est de la mer d’Irlande ainsi définie, la Commission a établi que les critères de l’eutrophisation sont réunis.
i) Sur le premier critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs
301 Si le Royaume-Uni soutient, en ce qui concerne les régions côtières de la partie nord-est de la mer d’Irlande, à savoir, en substance, la baie de Liverpool ainsi que les eaux côtières du nord du Pays de Galles et de la Cumbria, que l’enrichissement en éléments nutritifs n’a pas augmenté depuis les années 1950, voire qu’il est en diminution, ou encore qu’il est inférieur à celui du Marsdiep (Pays-Bas), il ne conteste pas, ainsi qu’il l’indique lui-même d’emblée, l’existence d’un tel enrichissement pour ces différentes zones de la mer d’Irlande au cours de la période pertinente, tel que celui-ci ressort des données figurant dans le rapport ERM, produit par la Commission.
302 À cet égard, l’allégation selon laquelle des réductions supplémentaires du niveau de concentrations en nitrates sont prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 91/676 doit être rejetée pour le même motif que celui énoncé au point 122 du présent arrêt en ce qui concerne le Wash. En tout état de cause, la diminution alléguée par le Royaume-Uni concernant, selon cet État membre, au plus tôt l’année 2002, elle ne saurait revêtir aucune pertinence dans le cadre du présent recours.
303 En revanche, le Royaume-Uni conteste que les régions situées en haute mer («offshore») de la partie nord-est de la mer d’Irlande soient enrichies en éléments nutritifs.
304 À cet égard, il y a toutefois lieu de relever que le rapport ERM, dans sa section concernant la partie nord-ouest de l’Angleterre, précise explicitement, sur la base de données concernant l’année 1993, que «toutes les indications conduisent à constater que la partie est de la mer d’Irlande est hyperenrichie, une situation confirmée par les données concernant la haute mer». Il ressort, à cet égard, dudit rapport que cette dernière zone inclut, en particulier, la région de mer se situant à l’est de l’île de Man, laquelle se trouve au milieu de la mer d’Irlande. Par ailleurs, dans sa section concernant spécifiquement les zones situées en haute mer («other offshore areas»), ce même rapport constate, s’agissant de la partie de la mer d’Irlande située entre la péninsule de Llyn et le Mull de Galloway, l’existence d’un enrichissement en éléments nutritifs à la fin de l’année 1992.
305 En outre, il résulte d’une autre contribution scientifique produite par la Commission [Gowen, R. J., et Stewart, B. M., The Irish Sea: Nutrient status and phytoplankton (La mer d’Irlande: état des éléments nutritifs et phytoplancton), 2005, ci-après l’«étude Gowen et Stewart de 2005»], publiée après la période pertinente, mais contenant certaines données historiques relatives à cette période, que la partie est de la mer d’Irlande est enrichie en éléments nutritifs depuis 35 ans, aucune distinction n’étant opérée s’agissant de la haute mer.
306 Or, si le Royaume-Uni conteste que la haute mer de la partie nord-est de la mer d’Irlande soit enrichie en éléments nutritifs, il ne fournit aucune donnée à l’appui de cette contestation qui serait susceptible de remettre en cause les données fournies par la Commission. Le Royaume-Uni se borne en effet à faire valoir à cet égard que, dans les zones situées en haute mer, le niveau d’éléments nutritifs n’augmente pas depuis les années 1970 et 1980. Une telle circonstance, en tant que telle, ne démontre cependant en rien que lesdites zones ne sont pas enrichies en éléments nutritifs. Tel est d’autant plus le cas que la contribution scientifique produite par le Royaume-Uni sur ce point [Gowen, R. J., e.a., The Irish Sea: Is it eutrophic? (La mer d’Irlande: est-elle eutrophe?), 2007, ci-après l’«étude Gowen de 2007»] a été rédigée par l’un des deux auteurs de celle produite par la Commission, qui relève que la partie est de la mer d’Irlande est enrichie en éléments nutritifs depuis de nombreuses années.
307 En conséquence, il y a lieu d’admettre que la Commission a prouvé à suffisance de droit que la région de haute mer de la partie nord-est de la mer d’Irlande est enrichie en éléments nutritifs.
308 Il convient dès lors de considérer que l’existence du premier critère de l’eutrophisation est établie en ce qui concerne la partie nord-est de la mer d’Irlande visée par le présent grief.
309 Dans ces conditions, il reste à examiner si la Commission prouve à suffisance de droit la réunion des trois autres critères de l’eutrophisation en ce qui concerne cette zone litigieuse.
ii) Sur le deuxième critère de l’eutrophisation, relatif à l’existence d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures
310 Selon la Commission, les données scientifiques fournies dans le rapport ERM montrent que l’enrichissement de la zone litigieuse en éléments nutritifs a entraîné un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans cette zone.
311 Il convient d’observer d’emblée que le Royaume-Uni ne conteste pas l’existence d’un tel développement accéléré dans la baie de Liverpool, tel que celui-ci ressort du rapport ERM, produit par la Commission. Il conteste, en revanche, qu’un tel développement se soit produit dans le reste de la partie de la mer d’Irlande visée par le présent grief, à savoir les eaux côtières de la Cumbria et du nord du Pays de Galles ainsi que la haute mer.
312 À cet égard, il y a cependant lieu de constater que, à l’appui de cette contestation, le Royaume-Uni se fonde, en premier lieu, sur un rapport contenant des données fournies dans le cadre de l’OSPAR [North East Irish Sea, 2007 (Partie nord-est de la mer d’Irlande, 2007], qui, d’une part, applique un seuil de concentration de chlorophylle de 15 µg/l au 90e percentile dont la pertinence en l’espèce a été réfutée à juste titre par cet État membre, ainsi qu’il ressort du point 127 du présent arrêt, et, d’autre part, porte sur les années 1999 à 2006, soit une période postérieure à la période pertinente.
313 En second lieu, ledit État membre renvoie aux données figurant dans le rapport qu’il a établi à cet égard en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 [Urban Waste Water Treatment Directive: Assessment of the Trophic Status of the North-East Irish Sea – Liverpool Bay (Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires: évaluation du statut trophique de la partie nord-est de la mer d’Irlande – Baie de Liverpool)], rapport qui porte cependant sur la baie de Liverpool, pour laquelle ledit État membre ne conteste pas l’existence du deuxième critère de l’eutrophisation.
314 Or, il ressort du rapport ERM que, entre l’année 1993 et l’année 1996, le taux de concentration de chlorophylle le long de la côte septentrionale du Pays de Galles jusqu’à la frontière écossaise à dépassé régulièrement le seuil de 10 µg/l, dont le Royaume-Uni admet la pertinence s’agissant des eaux côtières.
315 Dès lors que, ainsi qu’il découle du point 78 du présent arrêt, un tel dépassement peut être considéré comme l’indice d’un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans les eaux côtières de la partie nord-est de la mer d’Irlande, il y a lieu d’admettre, à défaut pour le Royaume-Uni d’avoir apporté le moindre élément probant de nature à remettre en cause cette conclusion, que la Commission a prouvé à suffisance de droit l’existence d’un tel développement en ce qui concerne cette zone.
316 Certes, il apparaît plus douteux que la Commission ait apporté suffisamment d’éléments en ce sens s’agissant de la région de haute mer. Il ressort en effet du rapport ERM que le taux de concentration de chlorophylle dans la mer d’Irlande n’a pas dépassé 5 µg/l. Quant aux proliférations de Phaeocystis mentionnées dans ce rapport, elles ne concernent pas la période pertinente, mais les années 1978 à 1988, outre qu’il est exposé dans ledit rapport que les données en question portent sur une période trop courte pour que des tendances puissent être établies. À cet égard, la Commission ne saurait suppléer à l’absence de données concernant la zone en cause durant ladite période en établissant une analogie avec le Marsdiep, dès lors que celui-ci constitue une masse d’eau distincte. En effet, la circonstance que le Phaeocystis a proliféré dans le Marsdiep entre l’année 1960 et l’année 2000 ne démontre en rien, même à supposer que l’enrichissement en éléments nutritifs soit encore plus élevé dans la partie nord-est de la mer d’Irlande, que tel a également été le cas dans cette dernière région. Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 43 du présent arrêt, la Commission, qui a la charge de prouver le manquement, ne saurait se fonder sur des présomptions pour établir celui-ci.
317 Toutefois, dès lors que, dans le présent recours, la partie nord-est de la mer d’Irlande, à tout le moins en dehors de la baie de Liverpool, est envisagée comme une seule et même masse d’eau, la circonstance que la Commission n’aurait pas apporté d’éléments probants suffisants quant à l’existence de l’un des critères de l’eutrophisation en ce qui concerne une fraction de cette zone, en l’occurrence la haute mer, est dépourvue de pertinence à défaut pour le Royaume-Uni d’apporter le moindre élément de nature à démontrer que la haute mer de la partie nord-est de la mer d’Irlande peut être considérée comme une masse d’eau distincte.
318 Dans ces conditions, le Royaume-Uni n’ayant produit aucun élément de nature à mettre en cause les conclusions du rapport ERM selon lesquelles le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans la partie nord-est de la mer d’Irlande a été causé par l’enrichissement en éléments nutritifs de cette zone litigieuse, il convient de considérer que la Commission a prouvé à suffisance de droit que le deuxième critère de l’eutrophisation existe en ce qui concerne ladite zone.
iii) Sur les troisième et quatrième critères de l’eutrophisation, relatifs à l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci
319 La Commission fait valoir que l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans la partie nord-est de la mer d’Irlande et d’une dégradation de la qualité de l’eau de cette région est démontrée par les efflorescences régulières de Phaeocystis et la présence de plusieurs espèces d’algues toxiques à certains endroits dans la partie nord de la mer d’Irlande, ce qui pourrait nécessiter des mesures à l’égard des exploitations de mollusques dans cette zone. Par ailleurs, un faible taux d’oxygène dissous aurait été constaté dans les estuaires de la Mersey et de la Ribble.
320 En ce qui concerne, en premier lieu, les efflorescences de Phaeocystis, il y a lieu de relever que, même si les données fournies à cet égard par le rapport ERM, lequel fait état d’efflorescences importantes d’une durée pouvant atteindre 49 jours par an, concernent les seules années 1978 à 1988, il n’est pas contesté que de telles efflorescences ont également existé au cours de la période pertinente.
321 En effet, dès le stade de la procédure précontentieuse, le Royaume-Uni a admis qu’il était inhabituel d’avoir une année sans efflorescences de Phaeocystis dans la partie nord-est de la mer d’Irlande. En outre, dans le cadre du présent recours, cet État membre a produit l’étude Gowen de 2007, selon laquelle des efflorescences de Phaeocystis ont été enregistrées, à quatre endroits pertinents de la partie nord-est de la mer d’Irlande, chaque année entre 1991 et 1999, en moyenne quatre fois par an environ. Par ailleurs, le Royaume-Uni n’a pas contesté les allégations formulées par la Commission à l’audience sur la base d’un extrait de la contribution scientifique de R. J. Gowen e.a. [Production and its fate in two coastal regions of the Irish Sea: the influence of anthropogenic nutrients (La production et sa destinée dans deux régions côtières de la mer d’Irlande: l’influence des éléments nutritifs anthropiques)], de 2000, produite lors de celle-ci, qui relate une efflorescence significative de Phaeocystis en 1997.
322 Le Royaume-Uni ne conteste pas non plus que les efflorescences de Phaeocystis dans la baie de Liverpool sont nuisibles, dès lors qu’elles provoquent de la mousse sur les plages et la décoloration de l’eau.
323 Selon cet État membre, cependant, ces efflorescences constituent, dans cette région, un phénomène naturel, car elles y sont observées depuis plus de 150 ans. Elles ne pourraient dès lors pas être considérées comme un signe d’eutrophisation.
324 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé, d’une part, que la modification de la structure de la communauté phytoplanctonique dans le sens d’un renforcement de la présence d’une espèce telle que le Phaeocystis, qui, bien que non toxique, n’en est pas moins nuisible, constitue une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et, d’autre part, que les modifications de la couleur, de l’odeur et de la consistance de l’eau, dont les conséquences négatives sur les activités touristiques sont manifestes et qui, en outre, ont vraisemblablement des effets néfastes sur les activités de pêche, représentent une dégradation de la qualité de l’eau (voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, points 23, 38, 55 et 56).
325 Il en résulte que la seule présence de Phaeocystis dans les eaux en cause ne saurait en tant que telle démontrer l’existence d’une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et d’une dégradation de la qualité de celle-ci. En effet, ainsi que la Commission l’a elle-même reconnu dans ses écritures, rejoignant sur ce point l’argumentation du Royaume-Uni, il convient encore de démontrer, conformément à ce dont de nombreux États membres seraient convenus dans le cadre de l’OSPAR, que l’intensité et la durée de ces efflorescences ont augmenté par suite d’une hausse des niveaux d’éléments nutritifs ainsi que du développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures en ayant résulté, donnant ainsi lieu à une évolution dans le sens d’un renforcement de la présence de Phaeocystis, au sens de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt, susceptible d’établir un lien de causalité entre le deuxième et les troisième ainsi que quatrième critères de l’eutrophisation.
326 Or, la Commission, qui a la charge de la preuve sur ce point, n’apporte aucun élément probant en ce sens. Bien au contraire, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 316 du présent arrêt, le rapport ERM indique lui-même que les données fournies concernant les efflorescences de Phaeocystis concernent une période trop courte pour que des tendances puissent être établies. De même, l’étude Gowen et Stewart de 2005, produite par la Commission, aboutit à la conclusion selon laquelle l’absence de données historiques empêche toute évaluation de tendances à long terme dans la composition du phytoplancton dans la mer d’Irlande. Par ailleurs, le Royaume-Uni a fait valoir, en se fondant sur une contribution scientifique récente [Reid, P. C., et John, A. W. G., The occurrence of Phaeocystis in Liverpool Bay/Eastern Irish Sea since the early 1970s (L’apparition de Phaeocystis dans la baie de Liverpool et la partie orientale de la mer d’Irlande depuis le début des années 1970), 2008] qui a étudié l’apparition de Phaeocystis dans la zone en cause entre les années 1971 et 2006, et dont les résultats n’ont pas été contestés par la Commission, que les niveaux les plus élevés de Phaeocystis ont été enregistrés avant l’année 1993 et que les fréquences d’apparition de cette algue ont été moindres depuis cette époque.
327 Tout au plus la Commission a-t-elle soutenu à cet égard que, selon l’étude Gowen et Stewart de 2005, qui fournit certaines données historiques concernant la période pertinente, la baie de Liverpool et les régions de haute mer de la partie nord-est de la mer d’Irlande connaissent une tendance à la hausse sur le long terme en ce qui concerne la production phytoplanctonique. Toutefois, cette circonstance, à la supposer démontrée, concernerait tout le phytoplancton et, partant, ne fournirait aucune indication quant à la fréquence et à l’intensité des efflorescences de Phaeocystis. Or, selon ladite étude, la production phytoplanctonique dans la zone en cause en 1995 et en 1997 était dominée par des diatomées.
328 Par identité de motifs avec ce qui a été jugé au point 159 du présent arrêt en ce qui concerne le Wash, la Commission ne peut pas non plus se prévaloir utilement, à cet égard, de la circonstance que la communauté scientifique a tendance à admettre davantage qu’avant le lien entre la fréquence des occurrences de prolifération d’algues, y compris celles formant de l’écume, comme le Phaeocystis, et l’apport accru en matières nutritives, lien qui serait confirmé par le rapport OSPAR de 2008, qu’elle a produit lors de l’audience.
329 Par ailleurs, la Commission ne saurait reprocher au Royaume-Uni un défaut d’évaluation concernant l’importance des proliférations toxiques, notamment l’absence d’enregistrement du nombre de cellules. En effet, comme il a déjà été indiqué aux points 42 à 48 du présent arrêt, c’est à elle qu’incombe la charge de prouver l’existence de chacun des critères de l’eutrophisation. À cet égard, ainsi qu’il ressort déjà du point 316 du présent arrêt, la Commission ne saurait, en particulier, tenter de suppléer à l’absence de données concernant la fréquence et l’étendue des proliférations de Phaeocystis dans la partie nord-est de la mer d’Irlande en établissant une analogie avec les tendances observées dans le Marsdiep, dès lors que ces deux régions constituent des masses d’eau distinctes. La Commission ayant la charge de prouver le manquement, elle ne peut en effet se fonder sur des présomptions pour établir celui-ci.
330 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la présence d’algues toxiques, il y a lieu de constater que, si le Royaume-Uni a admis dans son rapport en réponse à l’avis motivé du 19 avril 2001 que des algues de ce type pouvaient être trouvées dans la partie nord-est de la mer d’Irlande, il ressort de l’étude Gowen de 2007, produite par cet État membre, que les espèces toxiques observées en 1992 et en 1993 dans certaines zones de cette région étaient peu abondantes, ce que, au demeurant, la Commission n’a pas contesté dans son mémoire en réplique. Or, une telle présence limitée d’algues toxiques ne saurait être considérée comme une poussée intense de phytoplancton nuisible susceptible de constituer une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de celle-ci (voir arrêt Commission/France, précité, point 23).
331 Par ailleurs, bien que la Commission évoque la possibilité que des mesures doivent être prises à l’égard des exploitations de mollusques en raison de la présence d’algues toxiques, elle n’apporte aucune preuve du fait que de telles mesures auraient effectivement été adoptées au cours de la période pertinente, les seuls cas répertoriés dans l’étude Gowen de 2007 concernant les années 2002 et 2004.
332 Enfin, en ce qui concerne, en troisième lieu, le taux d’oxygène dissous dans les estuaires de la Mersey et de la Ribble, il suffit de constater que la Commission n’apporte aucun élément probant à l’appui de ses allégations. Or, contrairement à ce que celle-ci soutient dans sa requête, l’étude Gowen de 2007, produite par le Royaume-Uni, qui contient certaines données historiques couvrant la période pertinente, aboutit à la conclusion selon laquelle, «à part le léger déficit d’oxygène qui s’accumule au fond de l’eau de la partie occidentale de la mer d’Irlande», qui n’est toutefois pas visée dans le cadre du présent grief, «il n’existe aucune preuve d’une désoxygénation de la mer d’Irlande». Force est de constater que la Commission n’a pas contesté ces conclusions dans son mémoire en réplique.
333 Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission n’a pas apporté un minimum de preuves susceptible de démontrer que le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures dans la partie nord-est de la mer d’Irlande – à l’exception du Solway Firth – a entraîné ou a pu entraîner à brève échéance dans cette zone une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de celle-ci.
334 En conséquence, la réunion des troisième et quatrième critères n’ayant pas été prouvée à suffisance de droit, le premier grief doit être rejeté en ce qui concerne la partie visée de la mer d’Irlande, soit sa partie nord‑est à l’exception du Solway Firth.
3. Conclusion sur le premier grief
335 Eu égard à l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier grief dans son intégralité.
B – Sur le second grief, tiré de la violation des obligations de collecte et de traitement des eaux urbaines résiduaires
336 Par son second grief, la Commission reproche au Royaume-Uni d’avoir enfreint les articles 3, paragraphes 1 et 2, ainsi que 5, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 91/271 en n’ayant pas soumis aux obligations de collecte et de traitement prévues par ces dispositions les rejets d’eaux urbaines résiduaires provenant des agglomérations dont l’EH est supérieur à 10 000 dans l’estuaire de la Humber, le Wash, les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise, la Southampton Water, la partie nord-est de la mer d’Irlande – à l’exception du Solway Firth – ainsi que le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne.
337 En ce que le second grief porte sur les zones litigieuses examinées dans le cadre du premier grief, à savoir l’estuaire de la Humber, le Wash, les estuaires de la Deben et de la Colne, l’estuaire extérieur de la Tamise, la Southampton Water et la partie nord-est de la mer d’Irlande – à l’exception du Solway Firth –, il y a lieu de constater d’emblée que, la Commission n’ayant pas prouvé à suffisance de droit, ainsi qu’il ressort du point 335 du présent arrêt, que le Royaume-Uni avait l’obligation de désigner ces masses d’eau comme zones sensibles au sens de l’article 5 de la directive 91/271, le second grief doit être rejeté, dès lors que la violation alléguée des obligations de collecte et de traitement prévues aux articles 3 et 5 de ladite directive concerne les rejets d’eaux urbaines résiduaires dans de telles zones sensibles.
338 En ce que le second grief porte sur le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni sans pour autant soulever une exception d’irrecevabilité, l’avis motivé du 9 juillet 2004, adressé à cet État membre en ce qui concerne ces masses d’eau, faisait valoir une violation, notamment, des articles 3, paragraphe 2, et 5, paragraphe 3, de la directive 91/271. Il ne saurait donc être reproché à la Commission d’invoquer la violation de ces dispositions dans le cadre du présent recours.
339 En revanche, pour autant que, par le dispositif de sa requête, la Commission reproche au Royaume-Uni une violation des obligations de collecte prévues à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/271 en ce qui concerne les rejets d’eaux urbaines résiduaires dans le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, en vertu des articles 21 du statut de la Cour de justice et 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir, entre autres, un exposé sommaire des moyens présentés. Par conséquent, il incombe à la Commission, dans toute requête déposée au titre de l’article 226 CE, d’indiquer les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés (voir, notamment, arrêts du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, C‑347/88, Rec. p. I‑4747, point 28, et du 16 juin 2005, Commission/Italie, C‑456/03, Rec. p. I‑5335, point 23).
340 Or, force est de constater que, s’agissant de la violation alléguée de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/271, la Commission ne présente aucune argumentation, ni en fait ni en droit, susceptible d’étayer une telle violation en ce qui concerne les rejets d’eaux urbaines résiduaires dans le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne, l’argumentation développée à l’appui du second grief à l’égard de ces zones portant uniquement sur la violation de l’article 5, paragraphes 2, 3 et 5, de cette directive.
341 Il est sans pertinence à cet égard que l’avis motivé du 9 juillet 2004 faisait, quant à lui, grief au Royaume-Uni de ne pas avoir respecté les dispositions de l’article 3 de la directive 91/271, dès lors que la Commission est libre, au stade de sa requête devant la Cour, de renoncer à certains griefs avancés dans l’avis motivé (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, point 36).
342 En conséquence, le second grief doit, pour autant qu’il vise à faire constater la violation de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/271 en ce qui concerne les rejets d’eaux urbaines résiduaires dans le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne, être rejeté comme irrecevable.
343 S’agissant du bien-fondé du second grief en ce qu’il porte sur la violation de l’article 5, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 91/271, la Commission fait valoir que le Royaume-Uni n’assurait pas, à la date du 31 décembre 1998, le respect des obligations de traitement plus rigoureux énoncées à ces dispositions pour plusieurs des agglomérations rejetant leurs eaux urbaines résiduaires dans le Lough Neagh et l’Upper and Lower Lough Erne, masses d’eau identifiées comme zones sensibles conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive. Pour vérifier si l’article 5, paragraphe 2, de celle-ci a été respecté, la Commission soutient qu’elle devrait pouvoir contrôler si les rejets provenant des stations de traitement concernées sont conformes aux prescriptions énoncées à l’annexe I, B, de ladite directive, visées à son article 5, paragraphe 3. Or, ces informations ne lui auraient pas été communiquées.
344 Avant l’audience, la Commission a indiqué à la Cour qu’elle retirait ce grief en tant qu’il vise huit des agglomérations mentionnées dans l’avis motivé du 9 juillet 2004, à savoir celles d’Armagh, de Ballyclare, de Ballymena, de Banbridge, de Cookstown, d’Enniskillen, de Moygashel et de Tandagree, au motif que le Royaume-Uni respecte désormais, pour ces agglomérations, les obligations de traitement visées par les dispositions susmentionnées de l’article 5 de la directive 91/271. Le présent grief n’est donc maintenu qu’en ce qui concerne les quatre autres agglomérations mentionnées dans cet avis motivé, à savoir celles d’Antrim, de Craigavon, de Magherafelt et de Portadown. À l’audience, la Commission a précisé à cet égard que l’agglomération de Craigavon est desservie par les installations de traitement de Ballynacor et de Bullay’s Hill, mentionnées dans ledit avis motivé, tandis que celle de Portadown est desservie par la station de traitement de Seagoe, également citée dans celui-ci.
345 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante citée au point 50 du présent arrêt, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé.
346 En l’occurrence, le délai imparti au Royaume-Uni dans l’avis motivé du 9 juillet 2004 expirait le 9 septembre 2004, date à laquelle le Royaume-Uni a d’ailleurs répondu à cet avis motivé.
347 Or, il ressort des données fournies par cet État membre dans son mémoire en défense concernant les installations de traitement de Craigavon (Ballynacor et Bullay’s Hill) ainsi que de Magherafelt que les rejets émanant de celles-ci en 2004 n’étaient pas entièrement conformes aux normes prévues à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/271, lu en combinaison avec l’annexe I, B, de celle-ci, en raison de l’insuffisance du nombre d’échantillons prélevés. Le manquement doit donc être considéré comme établi en ce qu’il vise ces installations de traitement.
348 En revanche, en ce qui concerne l’installation de traitement d’Antrim, le Royaume-Uni a exposé sans être contredit sur ce point par la Commission que cette installation était conforme aux dispositions de l’article 5 de la directive 91/271, lues en combinaison avec l’annexe I, B, de celle-ci, de 1999 à 2007.
349 Lors de l’audience, la Commission a certes indiqué, en se fondant sur un document produit par le Royaume-Uni en annexe à son mémoire en duplique pour démontrer la conformité des installations de traitement concernées avec la directive 91/271, que, la capacité de traitement de l’installation d’Antrim étant moindre que la quantité d’eau traitée, il doit être supposé que la charge excédentaire échappe à tout traitement.
350 Toutefois, ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 43 du présent arrêt, la Commission, qui a la charge d’établir l’existence du manquement allégué, ne saurait, à cette fin, se fonder sur des présomptions. Or, la Commission n’apporte aucun élément de preuve susceptible d’étayer son affirmation selon laquelle une partie des eaux urbaines résiduaires transitant par l’installation d’Antrim n’est pas traitée de manière conforme aux exigences posées à l’article 5 de la directive 91/271.
351 Par ailleurs, en ce qui concerne l’installation de traitement de Portadown (Seagoe), il ressort également des données fournies par le Royaume-Uni dans son mémoire en défense, lesquelles n’ont pas été contestées sur ce point par la Commission, que cette installation était conforme aux dispositions de l’article 5 de la directive 91/271, lues en combinaison avec l’annexe I, B, de celle-ci, à la date d’expiration du délai imparti dans l’avis motivé du 9 juillet 2004.
352 Certes, il ressort de ces mêmes données que, en 2001, les rejets émanant de cette installation n’ont pas respecté les normes fixées à l’article 5, paragraphe 3, de cette directive concernant la limite maximale de demande biochimique en oxygène fixée au tableau 1 de l’annexe I de ladite directive.
353 Toutefois, la Commission ne fait pas valoir, et partant ne cherche pas à démontrer, que ce cas limité de non-respect des exigences posées à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/271 avant la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 9 juillet 2004 serait de nature à révéler l’existence, à cette dernière date, d’une application en pratique incorrecte des dispositions nationales assurant la mise en œuvre effective de cette directive, par exemple en raison de procédures déficientes ou inadéquates aux fins de garantir le respect des prescriptions édictées par celle-ci concernant les rejets d’eaux urbaines résiduaires.
354 Enfin, l’allégation formulée à l’audience quant à l’insuffisance des capacités de traitement de l’installation de Portadown (Seagoe) par rapport aux quantités traitées doit être rejetée pour le même motif que celui exposé au point 350 du présent arrêt en ce qui concerne l’installation d’Antrim.
355 Quant au reproche de la Commission, articulé dans son mémoire en réplique, selon lequel le Royaume-Uni n’a pas transmis des données complètes concernant le respect, en ce qui concerne les installations en cause, des normes prévues à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/271, il convient de rappeler que, comme il a été indiqué aux points 43 et 44 du présent arrêt, même si les États membres sont tenus, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, c’est à cette dernière qu’il incombe d’établir l’existence du manquement allégué. Or, outre que, par son second grief tel que formulé dans la requête introductive d’instance, celle-ci ne reproche pas au Royaume-Uni une violation de l’obligation de coopération lui incombant en vertu dudit article 10 CE, elle ne démontre pas que cet État membre ne lui aurait pas fourni les informations requises à cet égard. Bien au contraire, il ressort de l’avis motivé du 9 juillet 2004 que ledit État membre avait transmis ces informations à la Commission au cours de la procédure précontentieuse, lesquelles informations ont amené cette dernière à soulever le présent grief, tiré d’une violation de l’article 5 de la directive 91/271.
356 En conséquence, il convient d’accueillir le second grief comme étant fondé uniquement en ce qu’il porte sur la violation de l’article 5, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 91/271 en ce qui concerne les installations de traitement de Craigavon (Ballynacor et Bullay’s Hill) ainsi que de Magherafelt. Pour le surplus, le second grief doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
C – Conclusion
357 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en ayant omis de soumettre à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires provenant de Craigavon (installations de traitement de Ballynacor et Bullay’s Hill) ainsi que de Magherafelt, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 91/271. Le recours est rejeté pour le surplus.
IV – Sur les dépens
358 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume-Uni ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et celle‑ci ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, du même règlement, la République portugaise, partie intervenante, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) En ayant omis de soumettre à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires provenant de Craigavon (installations de traitement de Ballynacor et Bullay’s Hill) ainsi que de Magherafelt, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La Commission européenne est condamnée aux dépens à l’égard du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
4) La République portugaise supporte ses propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure: l’anglais.