ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 décembre 2008 ( *1 )

«Articles 28 CE à 30 CE — Directive 97/7/CE — Protection des consommateurs en matière de contrats à distance — Délai de rétractation — Interdiction d’exiger du consommateur un acompte ou un paiement avant la fin du délai de rétractation»

Dans l’affaire C-205/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le hof van beroep te Gent (Belgique), par décision du 20 mars 2007, parvenue à la Cour le 19 avril 2007, dans la procédure pénale

contre

Lodewijk Gysbrechts,

Santurel Inter BVBA,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas et K. Lenaerts, présidents de chambre, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, J. Klučka et Mme C. Toader (rapporteur), juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mai 2008,

considérant les observations présentées:

pour Santurel Inter BVBA, par Me H. Van Dooren, advocaat,

pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. Stromsky et M. van Beek, en qualité d’agents,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 28 CE à 30 CE.

2

Cette demande a été soulevée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. Gysbrechts et la société Santurel Inter BVBA (ci-après «Santurel») pour des infractions à la législation belge sur la vente à distance.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3

L’article 6 de la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (JO L 144, p. 19), dispose:

«1.

Pour tout contrat à distance, le consommateur dispose d’un délai d’au moins sept jours ouvrables pour se rétracter sans pénalités et sans indication du motif. Les seuls frais qui peuvent être imputés au consommateur en raison de l’exercice de son droit de rétractation sont les frais directs de renvoi des marchandises.

Pour l’exercice de ce droit, le délai court:

pour les biens, à compter du jour de leur réception par le consommateur lorsque les obligations visées à l’article 5 ont été remplies,

[…]

2.

Lorsque le droit de rétractation est exercé par le consommateur conformément au présent article, le fournisseur est tenu au remboursement des sommes versées par le consommateur, sans frais. Les seuls frais qui peuvent être imputés au consommateur en raison de l’exercice de son droit de rétractation sont les frais directs de renvoi des marchandises. Ce remboursement doit être effectué dans les meilleurs délais et, en tout cas, dans les trente jours.

[…]»

4

L’article 14 de la directive 97/7 est formulé dans les termes suivants:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes compatibles avec le traité [CE], pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. Ces dispositions comprennent, le cas échéant, l’interdiction, pour des raisons d’intérêt général, de la commercialisation sur leur territoire par voie de contrats à distance de certains biens ou services, notamment des médicaments, dans le respect du traité.»

Le droit national

5

Le droit de rétractation du consommateur est régi par l’article 80 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur, telle que modifiée (ci-après la «loi sur la protection du consommateur»).

6

L’article 80, paragraphe 3, de la loi sur la protection du consommateur dispose:

«Sans préjudice de l’application de l’article 45, paragraphe 1er, de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, aucun acompte ou paiement quelconque ne peut être exigé du consommateur avant la fin du délai de renonciation de sept jours ouvrables visé au paragraphe 1er.

En cas d’exercice du droit de renonciation prévu aux paragraphes 1 et 2, le vendeur est tenu au remboursement des sommes versées par le consommateur, sans frais. Ce remboursement doit être effectué au plus tard dans les trente jours suivant la renonciation.

L’interdiction visée au premier alinéa est levée lorsque le vendeur apporte la preuve qu’il respecte les règles fixées par le Roi en vue de permettre le remboursement des sommes versées par le consommateur.»

7

L’arrêté royal auquel se réfère le dernier alinéa de cette disposition n’a pas encore été adopté.

Le litige au principal et la question préjudicielle

8

Santurel est une entreprise spécialisée dans la vente en gros et en détail de suppléments alimentaires. La majeure partie des ventes a lieu en ligne au moyen du site Internet de la société, les produits commandés étant ensuite expédiés aux acheteurs par colis postaux.

9

M. Gysbrechts est le fondateur et le gérant de cette entreprise.

10

En 2001, un litige a opposé Santurel à l’un de ses clients, M. Delahaye, résidant en France, en raison du non-paiement du prix de certains des produits qui lui ont été livrés. À l’issue dudit litige, le juge de paix de Dendermonde (Belgique), saisi par la société, a condamné par défaut M. Delahaye.

11

M. Delahaye a alors déposé plainte, affirmant, sans toutefois en apporter la preuve, qu’il aurait renvoyé à Santurel lesdits produits. L’administration de l’inspection économique belge a procédé par la suite à une enquête à l’occasion de laquelle ont été constatés des manquements aux obligations d’information concernant le droit de rétractation prévues par la loi sur la protection du consommateur. Ces manquements ont été signalés à Santurel et accompagnaient la demande de régularisation de sa situation.

12

Santurel a donc adapté les informations fournies sur son site Internet en indiquant, entre autres, que le paiement des produits doit intervenir dans les huit jours après la réception de ces derniers. Pour les produits livrés en Belgique, le prix peut être payé par virement bancaire, par mandat postal ou par carte de crédit. Pour les autres pays, le seul moyen de paiement accepté est la carte de crédit. Dans tous les cas, lorsqu’un paiement est effectué par carte de crédit, le client doit indiquer sur le bon de commande le numéro et la date de validité de cette carte.

13

L’inspection économique, jugeant cette modification insuffisante, a assigné en justice Santurel et M. Gysbrechts en sa qualité de gérant, en alléguant la commission d’infractions aux dispositions sur la vente à distance figurant dans la loi sur la protection du consommateur. Ces infractions concerneraient, notamment, le non-respect de l’interdiction, prévue à l’article 80, paragraphe 3, de cette loi, d’exiger du consommateur un acompte ou un paiement quelconque avant l’expiration du délai de sept jours ouvrables permettant la renonciation au contrat. Selon l’inspection économique, l’indication du numéro de carte de crédit sur le bon de commande des produits permettrait à Santurel d’encaisser le prix de ces derniers avant l’expiration du délai de rétractation de sept jours ouvrables, ce qui contreviendrait aux exigences prévues par la loi.

14

Le tribunal de première instance de Dendermonde a condamné pénalement Santurel et M. Gysbrechts à une amende de 1250 euros chacun. Toutes les parties au litige au principal ont interjeté appel de ce jugement devant le hof van beroep te Gent.

15

Le hof van beroep te Gent a constaté que l’interdiction visée à l’article 80, paragraphe 3, de la loi sur la protection du consommateur comporte le risque, pour un commerçant belge, de n’obtenir que difficilement le paiement de ses marchandises lorsqu’elles ont été livrées à des clients établis dans un autre État membre, ce risque ressortant avec d’autant plus d’acuité lorsqu’il s’agit, comme dans l’affaire au principal, de montants relativement faibles.

16

Dans ces conditions, il estime défendable le point de vue de Santurel et de M. Gysbrechts, selon lequel l’interdiction en question constitue une entrave non justifiée à la libre circulation des marchandises au sein de la Communauté européenne. Il a, par conséquent, décidé de surseoir à statuer et a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«La loi belge de 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur constitue-t-elle une mesure d’effet équivalent, interdite au titre des articles 28 [CE] à 30 CE, dans la mesure où cette loi nationale contient, en son article 80, paragraphe 3, une interdiction d’exiger un acompte ou un paiement quelconque du consommateur pendant le délai de renonciation obligatoire, et que, par conséquent, cette loi n’exerce pas la même influence de fait sur les échanges nationaux de marchandises que sur les transactions intervenant avec des ressortissants d’un autre État membre, si bien que cette situation entraîne une entrave de fait à la libre circulation des marchandises, principe consacré par l’article 23 CE?»

Sur la question préjudicielle

Observations des parties

17

Santurel soutient, en substance, que l’interprétation donnée par les autorités belges de la disposition en cause au principal, selon laquelle il est interdit au fournisseur d’exiger le numéro de la carte de paiement du consommateur dans une vente à distance, contrevient aux exigences établies par les articles 28 CE à 30 CE.

18

Se fondant sur les enseignements tirés des arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837), et du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097), Santurel fait valoir que l’interdiction imposée par la disposition en cause au principal affecte, en fait, de manière prépondérante l’exportation des marchandises nationales et constitue, partant, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, interdite par le traité.

19

Selon le gouvernement belge, l’article 80, paragraphe 3, de la loi sur la protection du consommateur vise à assurer un niveau de protection élevé des intérêts des consommateurs, en application de l’article 14 de la directive 97/7. Il s’ensuit que ledit article 80, paragraphe 3, devrait être interprété comme imposant au fournisseur l’obligation d’offrir le choix entre plusieurs modalités de paiement, dont au moins l’une d’entre elles permettrait au consommateur de payer les marchandises livrées après l’expiration du délai de rétractation.

20

En outre, les systèmes de paiement sécurisés, rendant impossible l’encaissement du montant des marchandises livrées avant l’expiration du délai légal de rétractation, seraient compatibles avec la disposition en cause au principal, dans la mesure où le consommateur exerçant sa faculté de rétractation conserverait le droit inconditionnel d’obtenir le remboursement du montant versé auprès de l’organisme de paiement. En revanche, la simple déclaration par laquelle le fournisseur s’engage à ne pas encaisser ce montant avant l’expiration du délai de rétractation ne répondrait pas aux exigences de la loi sur la protection du consommateur.

21

Le gouvernement belge précise également, à cet égard, qu’un arrêté royal, en cours d’adoption, réglementera à l’avenir un système de paiement en cas de vente à distance, lequel serait sans risque pour le consommateur, tout en protégeant également le fournisseur. Dans le cadre de ce système, le consommateur verserait le prix d’achat des marchandises sur le compte d’une tierce partie indépendante, puis, à l’expiration du délai de rétractation, la somme serait transférée au fournisseur de celles-ci.

22

Le gouvernement belge reconnaît, dans ses observations écrites, que la disposition en cause au principal produit un effet plus restrictif sur les transactions réalisées avec des personnes établies dans d’autres États membres. Toutefois, selon ledit gouvernement, quand bien même le risque assumé par le fournisseur serait plus important, cette disposition demeure conforme au droit communautaire.

23

S’agissant de la compatibilité desdites dispositions avec l’article 28 CE, le gouvernement belge soutient que la disposition en cause dans l’affaire au principal ne constitue pas une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, car elle ne rend pas plus difficile l’accès au marché belge des produits importés. Au contraire, elle créerait une situation moins favorable pour les opérateurs belges par rapport à celle des opérateurs des autres États membres, ce qui ne contreviendrait pas aux exigences de l’article 28 CE.

24

Dans l’hypothèse où la Cour considérerait toutefois que la disposition en cause au principal constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives, le gouvernement belge estime que cette mesure trouverait sa justification dans la protection des consommateurs, notamment afin de leur garantir l’exercice effectif du droit de rétractation prévu à l’article 6 de la directive 97/7. Elle serait, en même temps, proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. En effet, l’interdiction d’exiger du consommateur un acompte ou un paiement quelconque avant l’expiration du délai de rétractation viserait à garantir à ce même consommateur l’exercice efficace de son droit de rétractation, en évitant précisément que les difficultés liées à la récupération des sommes déjà versées ne le dissuadent d’exercer ce droit.

25

Concernant la compatibilité de la disposition en cause au principal avec l’article 29 CE, le gouvernement belge soutient que ladite disposition est appliquée indistinctement aux ventes conclues avec des personnes résidant sur le territoire belge comme à celles impliquant des consommateurs établis dans d’autres États membres et, partant, ne constitue pas une restriction spécifique à l’exportation.

26

Pour ce qui est de la compatibilité avec l’article 28 CE, la Commission des Communautés européennes est d’avis que la disposition en cause au principal concerne tous les opérateurs agissant sur le marché national et qu’elle affecte de la même manière, en droit, les produits nationaux et les produits importés. Il appartiendrait par ailleurs à la juridiction nationale d’apprécier l’affectation, en fait, du commerce intracommunautaire. Si la disposition nationale constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, la Commission estime, d’une part, qu’il serait possible de la justifier sur le fondement de la protection des consommateurs et, d’autre part, qu’elle serait proportionnée au regard du but légitime poursuivi.

27

S’agissant de la compatibilité avec l’article 29 CE, la Commission fait valoir que la disposition en cause au principal ne constitue pas une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation, car, en l’occurrence, il ne s’agit pas d’une mesure ayant pour objet ou effet de restreindre spécifiquement les courants d’exportation.

28

Au cours de l’audience, la Commission a néanmoins avancé la possibilité d’une révision de la définition des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’exportation, afin de comprendre les mesures «qui ont pour effet de restreindre les exportations et qui établissent une différence de traitement entre le commerce à l’intérieur d’un État membre et l’exportation». Aux termes de cette nouvelle définition, la disposition en cause au principal constituerait une telle mesure d’effet équivalent qui pourrait être justifiée par la protection des consommateurs, mais qui ne répondrait pas aux exigences de proportionnalité.

Réponse de la Cour

Observations liminaires

29

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 28 CE à 30 CE s’opposent à une disposition telle que celle en cause au principal, concernant les ventes à distance, qui interdit au fournisseur d’exiger un acompte ou un paiement quelconque avant l’expiration du délai de rétractation.

30

Dans ce contexte, il convient de relever qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, ainsi que des observations présentées devant celle-ci, que M. Gysbrechts et Santurel ont été condamnés pour avoir exigé des consommateurs ne résidant pas en Belgique le numéro de leur carte de paiement avant l’expiration du délai de rétractation. En effet, selon l’interprétation de la disposition en cause au principal adoptée par les autorités belges, lors de la conclusion d’un contrat à distance, le fournisseur ne peut pas exiger du consommateur le numéro de sa carte de crédit, bien qu’il s’engage à ne pas l’utiliser avant l’expiration du délai en question pour encaisser le paiement.

31

Afin de fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions (arrêt du 11 septembre 2007, Céline, C-17/06, Rec. p. I-7041, point 29), il convient d’examiner une interdiction telle que celle en cause au principal, ainsi qu’elle est exposée au point 30 du présent arrêt, également à la lumière de l’interprétation donnée, dans l’affaire au principal, par les autorités belges.

32

En outre, il importe de constater que l’interdiction prévue à l’article 80, paragraphe 3, de la loi sur la protection du consommateur relève du champ d’application de la directive 97/7.

33

Selon une jurisprudence constante, toute mesure nationale dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau communautaire doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation, et non pas de celles du droit primaire (arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C-322/01, Rec. p. I-14887, point 64).

34

Toutefois, en l’espèce, il ressort que la directive 97/7 n’a pas opéré une harmonisation exhaustive. À cet égard, ainsi que l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive le prévoit expressément, celle-ci autorise les États membres à adopter ou à maintenir, dans le domaine régi par cette directive, des dispositions plus strictes afin d’assurer un niveau de protection plus élevé du consommateur à condition que ce pouvoir soit exercé dans le respect du traité (voir arrêt Deutscher Apothekerverband, précité, point 64).

35

Il s’ensuit qu’une telle disposition n’exclut pas la nécessité d’examiner la compatibilité de la mesure nationale en cause dans l’affaire au principal avec les articles 28 CE à 30 CE.

36

Pour ce qui est de la compatibilité de l’article 80, paragraphe 3, de la loi sur la protection du consommateur avec les dispositions de l’article 28 CE, il importe de constater qu’une procédure telle que celle en cause au principal concerne non pas l’importation, mais, au contraire, l’exportation de marchandises depuis la Belgique vers d’autres États membres.

37

Étant donné que l’analyse de la compatibilité dudit article 80, paragraphe 3, avec l’article 28 CE n’a aucun rapport avec l’objet du litige au principal, la Cour n’a pas à se prononcer sur cet aspect de la question préjudicielle.

Sur l’existence d’une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation au sens de l’article 29 CE

38

Pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il y a donc lieu d’établir si l’interdiction prévue par la disposition en cause au principal constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation.

39

Il convient d’examiner la compatibilité de la disposition en cause au principal avec l’article 29 CE en prenant également en compte l’interprétation donnée par les autorités nationales selon laquelle les fournisseurs ne sont pas autorisés d’exiger des consommateurs le numéro de leur carte de paiement, alors même qu’ils s’engagent à ne pas l’utiliser avant l’expiration du délai de rétractation.

40

À cet égard, ont été qualifiées de mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’exportation les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d’exportation et d’établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d’un État membre et son commerce d’exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l’État intéressé, au détriment de la production ou du commerce d’autres États membres (arrêt du 8 novembre 1979, Groenveld, 15/79, Rec. p. 3409, point 7).

41

Dans l’affaire au principal, il apparaît, comme le gouvernement belge l’a d’ailleurs relevé dans ses observations écrites, que l’interdiction d’exiger un paiement anticipé prive les opérateurs concernés d’un instrument efficace pour se prémunir contre le risque de non-paiement. Cela est vrai, à plus forte raison, lorsque la disposition nationale en cause est interprétée comme interdisant aux fournisseurs de demander le numéro de carte de paiement des consommateurs, même s’ils s’engagent à ne pas l’utiliser avant l’expiration du délai de rétractation pour encaisser le paiement.

42

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, une telle interdiction a généralement des conséquences plus importantes dans les ventes transfrontalières faites directement aux consommateurs, en particulier, dans celles effectuées au moyen de l’Internet, et ce notamment en raison des obstacles auxquels se heurte la poursuite dans un autre État membre de consommateurs défaillants, surtout lorsqu’il s’agit de ventes portant sur des montants relativement faibles.

43

Par conséquent, il y a lieu de considérer que, même si une interdiction, comme celle en cause au principal, est applicable à tous les opérateurs agissant sur le territoire national, elle affecte toutefois en fait davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre.

44

Il y a lieu, dès lors, de constater qu’une interdiction, telle que celle en cause au principal, imposée au fournisseur dans une vente à distance d’exiger un acompte ou un paiement quelconque avant l’expiration du délai de rétractation constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation. Il en va de même de l’interdiction faite au fournisseur d’exiger des consommateurs le numéro de leur carte de paiement, même s’il s’engage à ne pas l’utiliser avant l’expiration dudit délai pour encaisser le paiement.

Sur la justification éventuelle de la mesure d’effet équivalent

45

Une mesure nationale contraire à l’article 29 CE peut être justifiée par l’une des raisons énoncées à l’article 30 CE, ainsi que par des exigences impératives tenant à l’intérêt général, pourvu que ladite mesure soit proportionnée au but légitime poursuivi.

46

À cet égard, il y a lieu de constater qu’aucune des raisons mentionnées à l’article 30 CE n’est pertinente dans le contexte de l’affaire au principal.

47

Il convient toutefois d’ajouter que, selon une jurisprudence constante, la protection des consommateurs peut constituer un objectif légitime d’intérêt général de nature à justifier une restriction à la libre circulation des marchandises (voir arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120/78, Rec. p. 649, point 8, et du 23 février 2006, A-Punkt Schmuckhandel, C-441/04, Rec. p. I-2093, point 27).

48

Dans l’affaire au principal, il n’est pas contesté que la disposition en cause a été adoptée dans le but d’assurer la protection du consommateur et, en particulier, l’exercice efficace du droit de rétractation qui lui est garanti par l’article 6 de la directive 97/7.

49

En effet, en vertu de la possibilité reconnue aux États membres par l’article 14 de la directive 97/7 d’adopter, dans le domaine qu’elle régit, des dispositions plus strictes, le Royaume de Belgique a choisi de protéger davantage le consommateur en interdisant aux fournisseurs non seulement d’imposer une pénalité pour l’exercice du droit de rétractation, mais aussi d’exiger un acompte ou un paiement quelconque avant l’expiration du délai de rétractation. La disposition en cause au principal entend renforcer ainsi la liberté du consommateur de mettre fin aux relations contractuelles, sans avoir à se soucier du remboursement des sommes qu’il a avancées.

50

Il reste à établir si cette disposition, ainsi que l’interprétation qui lui est donnée par les autorités nationales, sont proportionnées à l’objectif poursuivi.

51

À cet égard, selon une jurisprudence constante, pour qu’une réglementation nationale soit conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier non seulement si les moyens qu’elle met en œuvre sont propres à garantir la réalisation des objectifs poursuivis, mais également s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs (voir arrêt du 14 septembre 2006, Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour-Marinopoulos, C-158/04 et C-159/04, Rec. p. I-8135, point 22).

52

L’interdiction d’exiger un acompte ou un paiement quelconque avant l’expiration du délai de rétractation, ainsi que l’interdiction de demander aux acheteurs d’indiquer le numéro de leur carte de paiement, est propre à assurer une protection élevée des consommateurs dans le cadre des ventes à distance, notamment en ce qui concerne l’exercice de leur droit de rétractation.

53

Il convient toutefois d’examiner si la mesure nationale en cause dans l’affaire au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif proposé et, notamment, si des mesures également efficaces pour la protection des consommateurs, mais ayant un effet moins restrictif sur le commerce intracommunautaire, pourraient être envisagées.

54

Il importe en effet de rappeler que l’une des particularités des contrats de vente à distance est le décalage existant souvent entre l’exécution des obligations contractuelles de chacune des parties. Ainsi, il est possible que le consommateur soit amené à payer la marchandise avant qu’elle ne lui parvienne ou, au contraire, que le fournisseur soit conduit à livrer la marchandise sans en avoir reçu le prix. Or, ce décalage crée, à la charge des parties contractantes, un risque spécifique d’inexécution.

55

Il revient aux États membres de déterminer, dans le respect du droit communautaire, d’une part, la façon dont ce risque d’inexécution doit être réparti entre le fournisseur et le consommateur et, d’autre part, les moyens mis à la disposition de ces parties contractantes pour s’en prémunir.

56

Même si l’interdiction d’exiger un paiement dans le délai de rétractation augmente l’incertitude des fournisseurs quant au versement du prix de la marchandise livrée, cette interdiction apparaît nécessaire pour assurer le niveau de protection envisagé par la disposition en cause au principal. En effet, le consommateur ayant payé une avance au fournisseur sera moins disposé à exercer son droit de rétractation, et ce même si les produits livrés ne répondent pas entièrement à ses exigences.

57

Concernant plus spécifiquement l’interdiction imposée au fournisseur d’exiger le numéro de la carte de paiement du consommateur, il convient de relever que ladite interdiction est indissociable de l’interdiction énoncée à l’article 80, paragraphe 3, de la loi sur la protection des consommateurs.

58

En effet, d’une part, ladite interdiction résulte de la mise en œuvre, par les autorités belges compétentes, de l’interdiction énoncée par la disposition en cause au principal et, d’autre part, elle poursuit le même objectif, à savoir l’exercice effectif du droit de rétractation.

59

Tout comme l’interdiction énoncée par la disposition en cause au principal, l’interdiction imposée au fournisseur d’exiger le numéro de la carte de paiement du consommateur est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit, ainsi qu’il résulte du point 52 du présent arrêt.

60

Toutefois, ainsi que cela ressort du point 85 des conclusions de Mme l’avocat général, l’interdiction imposée au fournisseur d’exiger le numéro de la carte de paiement du consommateur ne présente une utilité que pour écarter le risque que le fournisseur procède à l’encaissement du prix avant l’expiration du délai de rétractation.

61

Or, si ce risque se réalise, le comportement du fournisseur enfreint, en soi, l’interdiction énoncée par la disposition en cause au principal, laquelle doit être considérée comme une mesure appropriée et proportionnée pour atteindre l’objectif qu’elle poursuit, ainsi que cela ressort des points 54 à 57 du présent arrêt.

62

Force est donc de constater que l’interdiction imposée au fournisseur d’exiger le numéro de la carte de paiement du consommateur va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

63

Il y a, dès lors, lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que l’article 29 CE ne s’oppose pas à une réglementation nationale interdisant au fournisseur, dans le cadre d’une vente à distance transfrontière, d’exiger un acompte ou un paiement quelconque de la part du consommateur avant l’expiration du délai de rétractation, mais qu’il s’oppose à ce que, en application de cette réglementation, il soit interdit, avant l’expiration dudit délai, de demander le numéro de la carte de paiement du consommateur .

Sur les dépens

64

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

L’article 29 CE ne s’oppose pas à une réglementation nationale interdisant au fournisseur, dans le cadre d’une vente à distance transfrontière, d’exiger un acompte ou un paiement quelconque de la part du consommateur avant l’expiration du délai de rétractation, mais il s’oppose à ce que, en application de cette réglementation, il soit interdit, avant l’expiration dudit délai, de demander le numéro de la carte de paiement du consommateur.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.