CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 10 mars 2009 ( 1 )

Affaire C-558/07

The Queen, à la demande de:

S.P.C.M. SA e.a.

contre

Secretary of State for the Environment, Food and Rural Affairs

«Règlement (CE) no 1907/2006 — Substances chimiques — Enregistrement, évaluation, autorisation de ces substances et restrictions applicables à celles-ci (REACH) — Notion de ‘substances monomères’ — Validité — Proportionnalité — Égalité de traitement»

I — Introduction

1.

La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni) demande à la Cour ce qu’il faut entendre par «substances monomères».

2.

À première vue, cette demande de décision préjudicielle apparaît étrange, on s’attendrait à ce que cette question soit plutôt adressée à un chimiste. Toutefois, considérée de plus près, cette question peut et doit recevoir une réponse à l’aide des instruments du droit communautaire.

3.

La Cour doit à cette fin, pour la première fois, interpréter le règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ( 2 ), ainsi que les restrictions applicables à ces substances (ci-après le «règlement REACH»).

II — Cadre juridique

4.

La disposition fondamentale au regard de la présente affaire est l’article 5 du règlement REACH, dans lequel est ancrée l’obligation d’enregistrement des substances, comme suit:

«Sous réserve des articles 6, 7, 21 et 23, des substances telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles ne sont pas fabriquées dans la Communauté ou mises sur le marché si elles n’ont pas été enregistrées conformément aux dispositions pertinentes du présent titre, lorsque cela est exigé.»

5.

L’article 3, point 1, du règlement REACH définit le concept de substance comme suit:

«un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre, mais à l’exclusion de tout solvant qui peut être séparé sans affecter la stabilité de la substance ou modifier sa composition».

6.

L’article 3, point 5, du règlement REACH définit le terme «polymère» comme suit:

«une substance constituée de molécules se caractérisant par la séquence d’un ou de plusieurs types d’unités monomères. Ces molécules doivent être réparties sur un éventail de poids moléculaires, les écarts de poids moléculaire étant dus essentiellement aux différences de nombres d’unités monomères. Un polymère comprend:

a)

une simple majorité pondérale de molécules contenant au moins trois unités monomères liées par covalence à au moins une autre unité monomère ou à une autre substance réactive;

b)

une quantité inférieure à une simple majorité pondérale de molécules présentant le même poids moléculaire.

Au sens de la présente définition, on entend par ‘unité monomère’, la forme réagie d’une substance monomère dans un polymère».

7.

Le terme monomère est défini à l’article 3, point 6, comme suit:

«une substance qui est capable de former des liens covalents avec une séquence d’autres molécules semblables ou non dans les conditions de la réaction de formation du polymère pertinente pour le processus particulier».

8.

Selon l’article 2, paragraphe 9, du règlement REACH, les dispositions des titres II et VI du règlement, à savoir, notamment, l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 5, ne sont pas applicables aux polymères.

9.

Ce régime trouve son explication au quarante et unième considérant:

«[…] Les polymères devraient être exemptés d’enregistrement et d’évaluation en attendant que ceux qui doivent être enregistrés en raison des risques qu’ils représentent pour la santé humaine ou l’environnement puissent être sélectionnés d’une manière efficace et économique sur la base de critères techniques et scientifiques valables.»

10.

À propos des conditions auxquelles serait subordonnée dans le futur une éventuelle obligation d’enregistrement pour certains polymères, l’article 138, paragraphe 2, prévoit en conséquence ce qui suit:

«La Commission peut présenter des propositions législatives, dès que peut être établie une méthode efficace et économique de sélection des polymères en vue de leur enregistrement sur la base de critères techniques et scientifiques valables, et après publication d’un rapport concernant:

a)

les risques que présentent les polymères par comparaison avec d’autres substances;

b)

la nécessité, le cas échéant, d’enregistrer certains types de polymères, en tenant compte de la compétitivité et de l’innovation d’une part et de la protection de la santé humaine et de l’environnement d’autre part.»

11.

En revanche, l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH prévoit les conditions d’enregistrement des substances monomères contenues dans les polymères:

«Tout fabricant ou importateur d’un polymère soumet une demande d’enregistrement à l’Agence pour la ou les substances monomères ou toutes autres substances qui n’ont pas encore été enregistrées par un acteur situé en amont dans la chaîne d’approvisionnement si les deux conditions suivantes sont remplies:

a)

le polymère contient 2 % masse/masse ou plus de cette ou de ces substances monomères ou autres sous forme d’unités monomériques ou de substances liées chimiquement;

b)

la quantité totale de cette ou de ces substances monomères ou autres atteint 1 tonne ou plus par an.»

III — Procédure au principal et les questions préjudicielles

12.

La procédure devant le juge a quo a été engagée par des entreprises fabriquant, entre autres, des polymères ou en important sur le marché européen. Le défendeur au principal est le Department for Environment Food and Rural Affairs, en tant qu’autorité compétente du gouvernement du Royaume-Uni aux fins de l’application du règlement REACH.

13.

La procédure a pour objet de lever les doutes quant à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH et, éventuellement, de faire constater la non-validité de cette disposition.

14.

La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a donc soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

À la lumière du fait que les conditions relatives à l’enregistrement figurant au titre II du règlement no 1907/2006 ne s’appliquent pas aux polymères en vertu de l’article 2, paragraphe 9, du même règlement, la référence aux substances monomères à l’article 6, paragraphe 3, désigne-t-elle:

a)

des monomères sous forme réagie, c’est-à-dire des monomères qui ont réagi entre eux de sorte qu’ils sont indissociables du polymère dont ils font partie;

b)

des monomères sous forme non réagie, c’est-à-dire des monomères qui sont résiduels au processus de polymérisation et qui conservent leurs propre identité et propriétés chimiques, distinctes du polymère après la fin de ce processus; ou

c)

à la fois les monomères sous forme réagie et les monomères sous forme non réagie?

2)

Si la réponse à la première question est soit a) soit c), l’application de l’article 6, paragraphe 3, du règlement aux fabricants ou aux importateurs de polymères est-elle illégale au motif que les conditions sont irrationnelles, discriminatoires ou disproportionnées?»

15.

Les sociétés C. H. Erbslöh KG et Lake Chemicals and Minerals Ltd., (ci-après, globalement, «Erbslöh») ainsi que les sociétés SPCM SA et Hercules Incorporated (ci-après, globalement, «SPCM»), en tant que demanderesses au principal, et, en outre, la République de Pologne, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission des Communautés européennes, ont pris part à la procédure écrite. Tous ces participants ont, à l’exception de la République de Pologne, participé à l’audience du 27 janvier 2009.

IV — Appréciation juridique

A — La demande de décision préjudicielle envisagée dans le cadre général du règlement REACH

16.

Le règlement REACH régit l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions applicables aux substances chimiques. La première étape est constituée par l’enregistrement.

17.

En principe, tout importateur ou fabricant est tenu de faire enregistrer les substances chimiques qu’il importe ou fabrique, et de produire à cet effet certaines informations. Le volume des informations nécessaires dépend des quantités de substances qu’il importe ou fabrique. Au cas où il ne dispose pas de ces informations, il est tenu de se les procurer avant l’enregistrement, le cas échéant, en faisant procéder à des études.

18.

Ces informations permettent, dans un premier temps, au fabricant, à l’importateur et à l’utilisateur en aval, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, du règlement REACH, de faire la preuve qu’ils n’ont pas d’effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement lorsqu’ils fabriquent, mettent sur le marché ou utilisent des substances.

19.

En outre, des substances chimiques peuvent faire l’objet d’une évaluation sur la base de l’enregistrement et d’autres informations. Cette évaluation peut amener la Commission à édicter des restrictions pour certaines substances, à savoir qu’elle en interdit certaines utilisations. Dans certaines circonstances, la Commission peut également interdire toute utilisation d’une substance. Des utilisations éventuelles supposent dès lors une autorisation.

20.

La présente affaire concerne l’enregistrement de substances monomères. Les monomères sont en quelque sorte les éléments fondamentaux à partir desquels se forment des molécules chimiques plus complexes, appelées polymères. C’est ainsi que le polyéthylène, qui sert à fabriquer de nombreux films plastiques, est un polymère. Ainsi que le nom déjà le laisse entendre, la substance de base est normalement constituée de monomères d’éthylène à l’état gazeux (C2H4). Les molécules d’éthylène, relativement petites, s’agrègent lors de la polymérisation, pour former de longues chaînes de molécules de polyéthylène.

21.

Selon les indications fournies par la Commission, il existe quelques centaines de monomères, pouvant être combinés pour donner entre 70000 et 400000 différents polymères.

22.

Les monomères sous forme non réagie doivent, selon l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement REACH, être enregistrés, étant donné qu’ils constituent des substances en tant que telles. À l’opposé, les polymères sont, conformément à l’article 2, paragraphe 9, exclus de l’obligation de l’enregistrement.

23.

Le point litigieux est de savoir si les monomères sous forme réagie, contenus dans des polymères, doivent, sur la base d’un régime spécifique défini à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, donner lieu à enregistrement, alors même qu’il ne s’agit pas intrinsèquement de substances. Cela concerne notamment l’importation de polymères, étant donné que les monomères utilisés, en dehors de la Communauté, pour la fabrication de polymères n’ont pas encore été enregistrés.

B — Sur la première question — Interprétation de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH

24.

Selon l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, le fabricant ou l’importateur d’un polymère soumet une demande d’enregistrement pour des substances qui n’ont pas encore été enregistrées par un acteur situé en amont dans la chaîne d’approvisionnement si le polymère contient au minimum 2 % masse/masse de cette ou de ces substances polymères sous forme d’unités monomériques et si la quantité totale du monomère atteint une tonne ou plus par an.

25.

La première question préjudicielle vise à voir clarifier ce que l’on entend par «substance monomère» au sens de cette disposition. La réponse se déduira pour l’essentiel du libellé des dispositions pertinentes. À titre complémentaire, nous examinerons cependant quelques arguments que SPCM et Erbslöh déduisent du système et des objectifs du règlement REACH.

1. Le libellé des dispositions pertinentes

26.

Le libellé de l’article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement REACH donne à penser que cette disposition vise les monomères liés aux polymères. En effet, les monomères sont en principe soumis à enregistrement si un polymère est constitué de ces éléments.

27.

Selon l’article 3, point 5, du règlement REACH, un polymère est constitué pour l’essentiel d’une chaîne de monomères liés entre eux, les unités de monomères. Logiquement, dans la dernière phrase de l’article 3, point 5, une unité monomérique est définie comme la forme réagie d’une substance monomère dans un polymère.

28.

L’ajout contenu à l’article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement REACH, «sous forme d’unités monomériques ou de substances liées chimiquement», reprend cette définition. Cet ajout montre que le législateur communautaire envisageait, dans le cadre de cette disposition, la forme réagie du monomère.

29.

La mention explicite des unités monomères à l’article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement REACH exclut en revanche l’inclusion des monomères sous forme non réagie, au sens de la variante b) de la première question préjudicielle. Pour autant qu’il s’agit de résidus du processus de polymérisation, présents dans le polymère, ils doivent certes être considérés comme des éléments constitutifs du polymère au sens de la définition générale des substances contenue à l’article 3, paragraphe 1, mais l’article 6, paragraphe 3, ne concerne précisément que les monomères sous forme réagie, constituées d’unités monomériques.

30.

Erbslöh et SPCM estiment cependant, après plus ample examen, qu’il serait contradictoire d’étendre l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH aux monomères sous forme réagie. Selon la définition qu’en donne l’article 3, paragraphe 6, les monomères n’ont pas encore formé de polymères, mais présentent simplement un potentiel à cet égard.

31.

Force est d’admettre que, si l’on se borne à considérer la définition générale des substances à l’article 3, paragraphe 1, du règlement REACH, seuls les monomères sous forme non réagie peuvent être des substances.

32.

L’article 3, paragraphe 1, du règlement REACH définit en effet une substance comme un élément chimique et ses composés. Les substances chimiques sont caractérisées, notamment, par des propriétés spécifiques, par exemple leur point de fusion. Suivant cette définition, les monomères et les polymères sont des substances, étant donné qu’il s’agit de composés de leurs éléments chimiques constitutifs.

33.

À l’opposé, les structures monomériques entrant dans la composition des polymères, à savoir les monomères sous forme réagie, ne sont pas intrinsèquement des composés autonomes. Comme le soulignent Erbslöh et SPCM, ils n’ont pas de propriétés chimiques propres, mais (uniquement) les propriétés des polymères dont ils sont les constituants. Dès lors, ces structures monomériques ne sont pas des substances au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement REACH.

34.

Erbslöh et SPCM méconnaissent cependant que le règlement REACH prévoit, pour les substances monomères, un régime spécial, distinct de la définition générale des substances. La notion d’unités monomériques est définie, à l’article 3, point 5, comme étant la forme réagie d’une substance monomère dans un polymère. On en déduit que le règlement REACH connaît deux formes de substances monomères, à savoir une forme réagie — l’unité monomère en tant que partie constitutive d’un polymère — et une forme non réagie — le monomère défini à l’article 3, point 6.

35.

SPCM objecte que, à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, il est question de substances monomères et non d’unités monomères. Le point a) de cette disposition précise cependant que les substances monomères sont entendues sous la forme d’unités monomériques. Au reste, cette disposition englobe également, pour enregistrement, des substances autres que des éléments constitutifs de polymères, non sous la forme correspondant à leur définition, à savoir non réagie, mais — expressément — sous forme réagie.

36.

Cette conclusion n’est pas altérée par le fait que quelques versions linguistiques — notamment les versions anglaise et française — n’utilisent pas, à l’article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement REACH, pour les unités monomériques, exactement les mêmes définitions qu’à l’article 3, point 5. Dans la version anglaise, on trouve d’une part «monomer unit» et d’autre part «monomeric units» et, dans la version française, les notions unité monomère et unités monomériques.

37.

Il est toutefois vraisemblable que ces différences (minimes) reposent sur une traduction imprécise lors des délibérations du Conseil. La définition des polymères à l’article 3, point 5 — qui détermine également la notion d’unité monomère — a été reprise, sans changement, de la proposition de la Commission. Par contre, l’ajout, à l’article 6, paragraphe 3, sous a), du membre de phrase «sous forme d’unités monomériques ou de substances liées chimiquement» n’est intervenu, au niveau du Conseil, que sur proposition de la délégation suédoise au Conseil ( 3 ). En suédois comme en allemand, les deux dispositions utilisent une notion uniforme de l’unité monomère ( 4 ). En particulier, la version originale suédoise est un indice de ce que les différences en anglais et en français ne visent pas à introduire un distinguo.

38.

Partant, il ressort du libellé des dispositions pertinentes, envisagées à la lumière de leur genèse, que la notion de «substances monomères» à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH ne se réfère qu’à des monomères sous forme réagie, c’est-à-dire des monomères ayant interagi de telle sorte qu’ils sont liés au polymère, dont ils font partie intégrante.

2. L’économie du règlement

39.

À ce résultat provisoire on oppose cependant différentes objections liées au contexte systématique du règlement REACH. L’objection porte avant tout sur le fait qu’à l’article 2, paragraphe 9, les polymères sont exemptés d’enregistrement.

40.

Erbslöh invoque, à cet égard, la règle générale d’interprétation du droit communautaire suivant laquelle les exceptions au régime général sont d’interprétation stricte. L’obligation d’enregistrement pour les substances monomères constituerait une exception à l’exemption applicable aux monomères et devrait donc être interprétée strictement.

41.

Sur ce point, Erbslöh méconnaît cependant que c’est l’enregistrement qui est le principe du règlement REACH. L’exemption des polymères est donc déjà une exception devant être strictement interprétée. En admettant que l’obligation d’enregistrement pour les monomères contenus dans les polymères soit une exception à rebours, il faudrait, en tant que retour à la règle, qu’elle soit interprétée de manière large ( 5 ).

42.

En définitive, l’obligation d’enregistrement pour les substances monomères sous forme d’unités monomères ne constitue pas une exception à l’exemption des polymères, mais fait au contraire partie intégrante du système d’obligations prévu par le règlement REACH. Pour cette raison, on ne saurait la considérer comme une exception d’interprétation stricte.

43.

En outre, Erbslöh et SPCM sont d’avis qu’une obligation d’enregistrement pour les substances monomères sous forme réagie dans les polymères rendrait sans objet l’exemption de l’obligation d’enregistrement au profit des polymères.

44.

On pourrait effectivement supposer que, l’enregistrement de substances monomères sous forme d’unités monomères, c’est-à-dire des éléments constitutifs, sous forme réagie, d’un polymère, emporte l’obligation de fournir des informations sur le polymère. On doit en effet rappeler que les substances monomères sous forme d’unités monomères n’ont que les propriétés du polymère au sein duquel elles ont réagi.

45.

Ainsi entendu, l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH se retrouverait effectivement — comme le soutiennent Erbslöh et SPCM — en contradiction avec l’article 2, paragraphe 9. En pratique, n’importe quel polymère mis sur le marché en Europe devrait, indirectement — par le biais de ses substances monomères —, faire l’objet d’un enregistrement.

46.

L’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH fait cependant clairement apparaître que ce ne sont pas les propriétés des polymères qui doivent être enregistrées, mais — comme l’entend la Commission — les propriétés des monomères. Il suffit en effet, selon cette disposition, qu’un acteur situé en amont dans la chaîne d’approvisionnement enregistre le monomère. Cet acteur n’est pas du tout tenu de savoir quels polymères sont produits à partir de ses monomères. Il se pourrait même que ce monomère soit utilisé dans la fabrication d’une grande variété de polymères.

47.

Il n’en est pas moins vrai que l’argumentaire de la Commission recèle, à tout le moins, une esquisse d’enregistrement des propriétés des polymères: lorsque des substances monomères sont fabriquées ou importées dans des quantités égales ou supérieures à dix tonnes par an, l’article 14, paragraphe 1, et l’annexe I du règlement REACH prévoient que l’enregistrement doit être assorti d’une évaluation de la sécurité chimique. Celle-ci doit, selon la Commission, englober le cycle de vie du polymère obtenu.

48.

Cette position aboutit à vider de sa substance l’exemption des polymères. Elle n’est en tout cas pas convaincante, étant donné que le cycle de vie du monomère se termine au moment de sa réaction au sein du polymère. Selon l’annexe I, point 0.3, du règlement REACH, le cycle de vie d’une substance comprend la fabrication et les utilisations identifiées. Un polymère est cependant non une utilisation, mais une substance propre au sens de la définition des substances contenue à l’article 3, point 1, du règlement REACH. Il n’a, dès lors, aucun cycle de vie propre.

49.

Les informations relatives à l’utilisation du monomère s’étendent donc à la circonstance qu’il est utilisé pour la fabrication de certains polymères, mais ne s’étendent pas en revanche aux propriétés de ces polymères. Au cas où un polymère a déjà été enregistré par un acteur situé en amont de la chaîne d’approvisionnement, sans que celui-ci connaisse l’utilisation de celui-ci aux fins de la fabrication de ce polymère, ladite utilisation doit faire l’objet, conformément aux articles 37 et 38 du règlement REACH, d’une notification par le fabricant en aval.

50.

Dans ces conditions, l’obligation d’enregistrement des substances monomères contenues dans des polymères ne rend pas vaine l’exemption des polymères. L’obligation d’enregistrement des substances monomères ne correspond pas à une obligation d’enregistrement indirecte des polymères.

51.

Ne serait-ce que pour cette raison, l’argumentation d’Erbslöh et de SPCM, faisant état des faibles risques qui découleraient des polymères, ne s’oppose pas à l’interprétation précitée de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH. Les risques attachés aux polymères sont sans importance directe aux fins de l’enregistrement des substances monomères. Au reste, la Commission souligne avec raison que l’obligation d’enregistrement ne présuppose aucun risque spécifique, mais qu’elle sert simplement à identifier des risques.

52.

Dès lors, l’obligation d’enregistrement applicable aux substances monomères contenues dans des polymères n’est pas contraire aux autres dispositions du règlement REACH.

3. Les objectifs du règlement REACH

53.

Enfin, les demanderesses au principal invoquent les objectifs du règlement REACH à l’encontre de l’obligation d’enregistrement des monomères contenus dans des polymères.

54.

Sur ce point, leur argumentation s’articule en deux branches. D’une part, elles soulignent à nouveau l’exemption des polymères, qui serait minée par l’obligation d’enregistrement des monomères. Nous avons cependant déjà montré qu’il n’en est rien.

55.

D’autre part, les demanderesses au principal mettent en doute que l’obligation d’enregistrement des monomères serve les objectifs généraux du règlement REACH. Selon l’article 1er, paragraphe 1, du règlement REACH, cette obligation vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité des innovations.

56.

On ne distingue pas de contradiction par rapport à ces objectifs. Il n’existe pas non plus d’indices permettant de croire que ces objectifs requerraient une autre interprétation de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH.

57.

Le point de savoir si l’obligation d’enregistrement des monomères peut se concilier avec ces objectifs revêt, en revanche, essentiellement un intérêt pour la seconde question, notamment dans la mesure où celle-ci a pour objet la compatibilité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH avec le principe de proportionnalité. Il y a lieu, dès lors, d’apprécier cette compatibilité dans le cadre de l’examen de cette seconde question.

4. Conclusion intermédiaire

58.

Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question en ce sens que la notion de «substances monomères» contenue à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH ne vise que les monomères sous forme réagie, à savoir des monomères ayant interagi en sorte d’être liés aux polymères, dont ils sont des éléments constitutifs.

C — Sur la seconde question — Validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH

59.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaiterait savoir si l’application de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH aux fabricants ou aux importateurs de polymères est illégale, au motif que les conditions sont irrationnelles, discriminatoires ou disproportionnées. Il y a donc lieu d’apprécier la validité de cette disposition.

1. Remarque préliminaire quant à l’obligation de motivation

60.

Erbslöh et SPCM critiquent la motivation insuffisante de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH.

61.

S’il est vrai que la demande de décision préjudicielle ne soulève pas la question de la motivation, la Cour n’en a pas moins, de manière réitérée, à l’occasion de recours directs formés contre des décisions individuelles, statué en ce sens qu’une motivation insuffisante, contraire à l’article 253 CE, constitue une violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE ( 6 ) et constitue de surcroît un aspect pouvant, et même devant, être soulevé d’office par le juge communautaire ( 7 ). Un défaut ou une insuffisance de motivation ne peuvent pas (en principe) être régularisés par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant la juridiction communautaire ( 8 ). La motivation d’une décision faisant grief doit en effet permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle sur sa légalité et de fournir à l’intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée, et s’il y a lieu pour lui d’introduire un recours ( 9 ). Elle apparaît ainsi comme une condition sine qua non du contrôle juridictionnel d’une mesure.

62.

Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 153 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause; elle doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution communautaire, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle. Il résulte cependant de cette jurisprudence que l’on ne saurait exiger que la motivation d’un acte spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. En effet, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. La Cour a notamment jugé que, si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés ( 10 ).

63.

S’il est vrai que l’on ne discerne aucune motivation spécifique de l’obligation d’enregistrement des monomères contenus dans des polymères, la disposition en cause constitue une décision à caractère technique, ne nécessitant aucune motivation spécifique. Comme on le verra ci-après, à l’occasion notamment du contrôle de proportionnalité, cette disposition peut se rattacher à la motivation générale du règlement REACH. Le fait qu’une disposition technique spécifique se rattache à une motivation générale ne doit pas nécessairement apparaître de manière expresse dans les motifs d’une réglementation générale. Ce rattachement peut également être créé, le cas échéant, par des explications fournies a posteriori.

64.

On ne saurait, dès lors, constater une violation de l’obligation de motivation.

2. Le grief tiré du défaut de logique

65.

La juridiction de renvoi demande si l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH est privé de validité pour cause d’irrationalité. Il n’est certes pas habituel de vérifier si le droit communautaire est — ou non — logique, mais l’argumentation des participants à la procédure montre que le principe en cause est, avant tout, celui de la sécurité juridique, envisagé sous l’angle particulier du principe de précision.

66.

Erbslöh et SPCM sont en effet d’avis que le caractère contradictoire (de l’obligation d’enregistrement) par rapport à l’exemption des polymères fait apparaître un manque de logique. Il se pourrait effectivement qu’une véritable contradiction entre dispositions de même rang mette en cause leur validité, sauf à être résolue par voie d’interprétation ou au moyen de principes de concurrence entre règles — par exemple lex posterior ou lex specialis. On ne pourrait pas en effet constater quelle règle est d’application. Une telle contradiction enfreindrait le principe de sécurité juridique. Ce principe fondamental de droit communautaire exige qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations, et prendre des dispositions en conséquence ( 11 ). Il a cependant déjà été montré que l’obligation d’enregistrement des polymères sous forme réagie et l’exemption des polymères ne sont pas contradictoires ( 12 ).

67.

En conséquence, l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH n’est pas illogique au sens d’une réglementation contradictoire.

3. Le principe de proportionnalité

68.

Le principe de proportionnalité fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire que le législateur communautaire est tenu de respecter ( 13 ). Partant, les actes des institutions communautaires ne sauraient dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés ( 14 ).

a) Charge de la preuve et critère d’appréciation

69.

Selon Erbslöh, le législateur communautaire doit démontrer le caractère proportionné des mesures restrictives de concurrence en matière de protection de la santé et de l’environnement. Cette opinion se fonde sur la jurisprudence concernant les articles 28 CE et 30 CE, laquelle cependant — pour ce qui est de la charge de la preuve — n’est pas transposable au principe de proportionnalité.

70.

Un État membre qui se prévaut d’une exception à la règle générale de l’article 28 CE — libre circulation des marchandises — doit démontrer que les conditions permettant une dérogation sont réunies ( 15 ). À l’opposé, il existe une présomption de légalité du droit communautaire ( 16 ). Cette présomption implique que la preuve de l’illégalité incombe à celui qui met en doute la validité d’un acte juridique communautaire ( 17 ).

71.

Comme dans de nombreux autres domaines législatifs, le respect du principe de proportionnalité n’est pas soumis en outre — également dans le cas du règlement REACH — à un contrôle juridictionnel rigoureux. On reconnaît, au contraire, au législateur un large pouvoir d’appréciation (dit «pouvoir discrétionnaire»), dans le cas de décisions complexes, à caractère technique et/ou politique ( 18 ). Dans le cas du règlement REACH, il a fallu trouver un compromis difficile entre les objectifs attachés aux politiques d’environnement et de santé, d’une part, et l’intérêt économique, d’autre part.

72.

En contrôlant l’exercice d’une telle compétence, le juge ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur communautaire, mais doit se limiter à examiner si elle n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation ( 19 ).

73.

On ne discerne pas toujours clairement les effets de cette limitation sur le contrôle de proportionnalité. Quelques arrêts constatent que la légalité d’une mesure adoptée par le législateur ne peut être affectée que si celle-ci est manifestement inappropriée pour atteindre le but poursuivi par l’institution compétente ( 20 ). Parfois, la jurisprudence précise même qu’il ne s’agit pas de savoir si la mesure adoptée par le législateur était la seule ou la meilleure possible, mais si elle était manifestement inappropriée ( 21 ).

74.

Ces constatations prêtent cependant à confusion. S’il existe manifestement des mesures moins contraignantes ou si les mesures prises sont manifestement disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, les intéressés doivent se voir accorder une protection juridique. Dans le cas contraire, le principe de proportionnalité qui ressortit au droit primaire serait privé de tout effet utile.

75.

C’est pourquoi la Cour examine, dans de nombreux arrêts, notamment, la question de savoir s’il existe des mesures manifestement moins drastiques ( 22 ) et même celle de savoir si les contraintes sont proportionnées aux objectifs recherchés ( 23 ).

76.

La Cour n’a jusqu’à présent pas défini de manière expresse les conditions dans lesquelles une mesure est manifestement incompatible avec le principe de proportionnalité. Le critère décisif doit en définitive nécessairement partir de la considération que les juridictions communautaires ne sauraient par principe substituer leur propre appréciation de questions difficiles à celle du législateur.

77.

Une telle appréciation du législateur communautaire ne peut normalement être mise en question qu’en l’absence de fondement raisonnable ( 24 ). Dans ce contexte, le contrôle du juge communautaire porte également sur le point de savoir si l’ensemble des données pertinentes ont été prises en considération pour apprécier une situation complexe et si elles sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées ( 25 ).

78.

À la lumière de ces considérations, il y a lieu d’examiner si l’obligation d’enregistrement des monomères est un moyen proportionné pour atteindre un objectif licite.

b) Les objectifs de la mesure et leur caractère approprié

79.

Si l’on reprend l’argumentaire des institutions, la mesure poursuivrait deux objectifs. D’une part, il s’agirait de protéger l’environnement et la santé, considération prise de ce que l’enregistrement de monomères permet de faire face à certains risques liés aux polymères. D’autre part, l’obligation d’enregistrement des monomères serait destinée à établir une égalité concurrentielle sur le marché européen des polymères.

En ce qui concerne les risques environnementaux et de santé

80.

Le règlement REACH a, aux termes de son article 1er et de son premier considérant, notamment, pour but d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Cette finalité correspond aux exigences des articles 95, paragraphe 3, 152, paragraphe 1, ainsi que 174, paragraphes 1 et 2, CE.

81.

Selon l’article 174, paragraphe 3, premier tiret, CE, la Communauté tient compte, dans l’élaboration de sa politique dans le domaine de l’environnement, des données scientifiques et techniques disponibles. Lorsque, en dépit des avancées de la science, des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre, par application du principe de précaution ancré à l’article 174, paragraphe 2, CE des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ( 26 ).

82.

Comme le soulignent notamment le Parlement et le Conseil, l’enregistrement de substances sert précisément à améliorer l’information sur les risques liés à ces substances. Par nature, il est donc un instrument d’amélioration d’une politique efficace de protection de l’environnement et de la santé.

83.

Les participants à la procédure expriment des avis divergents sur la question de l’existence et de l’étendue des risques que présentent les polymères pour la santé et l’environnement ( 27 ). Toutefois, étant donné que ce ne sont pas les polymères, mais uniquement les monomères utilisés pour leur fabrication, qui doivent faire l’objet d’un enregistrement, on ne peut se baser que sur les risques susceptibles d’être mieux évalués du fait de cet enregistrement.

84.

Il résulte en outre des enquêtes scientifiques produites par SPCM et Erbslöh, qui ne sont pas en elles-mêmes mises en doute par les institutions, que des informations relatives aux monomères utilisés ne permettent pas nécessairement d’inférer des conclusions quant aux propriétés et risques des polymères produits. On admet que les substances monomères constituent normalement des liaisons stables au sein des polymères et ne recèlent en principe pas de risques spécifiques.

85.

L’argument central des institutions tendant à établir une corrélation entre l’enregistrement de monomères et les risques des polymères est ancré dans l’article 138, paragraphe 2, et dans le 41e considérant du règlement REACH. Selon ces dispositions, la Commission pourra présenter des propositions législatives dès qu’aura pu être établie une méthode efficace et économique de sélection des polymères en vue de leur enregistrement sur la base de critères techniques et scientifiques valables. La Commission et le Conseil soutiennent que l’enregistrement de monomères est nécessaire pour pouvoir mener à bien cette tâche.

86.

La Commission en particulier a précisé cet argument en ce sens que, dans le cadre de l’enregistrement, un rapport sur la sécurité chimique doit également englober le cycle de vie du polymère issu de la transformation du monomère. Cet argument n’est toutefois pas convaincant.

87.

Nous avons en effet déjà montré que le rapport sur la sécurité n’a pas pour objet d’étudier les risques afférents à l’emploi d’un polymère fabriqué à part du monomère ( 28 ). Une telle conception réduirait en effet à néant l’exemption des polymères et étendrait à l’excès la notion de cycle de vie d’une substance chimique. Le rapport sur la sécurité n’englobe donc que la désignation du polymère fabriqué à partir du monomère.

88.

La Commission mentionne cependant, en se référant à un rapport d’experts déposé devant la High Court ( 29 ), deux risques spécifiques de polymères, en liaison avec les monomères utilisés pour leur fabrication.

89.

Premièrement, toutes les propriétés d’un monomère ne seraient pas forcément perdues lors de la polymérisation. La perte de certaines propriétés dépendrait au contraire des groupes fonctionnels de la molécule de monomère ayant participé à cette réaction chimique. Des groupes fonctionnels qui continueraient d’exister pourraient transmettre aux polymères les propriétés du monomère.

90.

Le fait de savoir si des propriétés de monomère continuent d’exister dépend manifestement, à chaque fois, de la réaction chimique, autrement dit du polymère produit. Pour autant que l’enregistrement de monomères incluse une désignation du polymère produit ( 30 ) et que la nomenclature chimique fournisse des indications sur la structure de la molécule polymérisée en question ( 31 ), un tel enregistrement permet de tirer des conclusions quant à la pérennité des propriétés du monomère. Dans cette mesure, l’enregistrement des monomères utilisés est de nature à combattre les risques inhérents au polymère.

91.

L’obligation d’enregistrement des substances monomères sous forme réagie importées par l’importateur dans des quantités comprises entre une et dix tonnes, est toutefois inopérante à cette fin. Une désignation précise du polymère obtenu n’est en effet — pour autant qu’on puisse en juger — nécessaire que s’il y a obligation de produire le rapport sur la sécurité visé à l’article 14 du règlement REACH. Cela présuppose cependant des importations annuelles supérieures à 10 tonnes de la substance en cause, alors que l’obligation d’enregistrement des substances monomères sous forme réagie s’applique déjà à partir d’une quantité supérieure à une tonne par an. À défaut d’identification chimique claire du polymère, il est impossible de s’appuyer sur des données concrètes sous l’angle de la subsistance des propriétés des monomères.

92.

Deuxièmement, les polymères peuvent également, dans certaines conditions, se dégrader. La Commission admet cependant expressément qu’il est rare, en pareil cas, que les polymères libèrent les monomères qu’il contient. La question de savoir si, et dans quelles conditions, un polymère se dégrade, dépend à l’évidence, avant tout, du polymère en question. On ne discerne pas le rôle que joueraient les monomères contenus dans un polymère par rapport à ce type de dégradation. Partant, il n’a pas été démontré de relation suffisante entre l’enregistrement de monomères et le risque de dégradation des polymères dans les monomères utilisés.

93.

En outre, l’obligation d’enregistrement des monomères sous forme réagie dans les polymères pourrait servir à combattre les risques découlant de la présence de monomères sous forme non réagie. Il est constant qu’une telle présence comporte des risques pour la santé et l’environnement. Les monomères sont des molécules relativement petites, particulièrement réactives et susceptibles dès lors, d’avoir des effets nocifs.

94.

Dans le cas d’une fabrication de polymères dans la Communauté, l’intérêt d’un enregistrement des monomères y contenus est évident: les substances monomères sont utilisées en tant que monomères sous forme non réagie au sein de la Communauté, de sorte qu’il est nécessaire que les informations afférentes à l’enregistrement soient connues sur ce territoire, afin de pouvoir maîtriser d’éventuels risques. Il est vraisemblable toutefois que l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH ne revêt qu’une importance secondaire pour ces monomères, étant donné qu’indépendamment même de leur utilisation aux fins de la fabrication de polymères, leur enregistrement s’impose au titre de l’article 6, paragraphes 1 et 2, en cas de fabrication ou d’importation. C’est pourquoi Erbslöh et SPCM ne soulèvent pas d’objections spécifiques à cet égard.

95.

Ces deux participants à la procédure soutiennent toutefois que la situation, en cas d’importation de polymères, se présente de façon tout à fait différente: dans ce cas, les monomères ne sont utilisés qu’en dehors de la Communauté. La Communauté n’entre en principe en contact avec des substances monomères que sous la forme d’unités monomères réagies de polymères.

96.

L’enregistrement de substances monomères présentes sous forme réagie dans des polymères importés ne contribue que dans la mesure indiquée ci-dessus à la protection de l’environnement et de la santé dans la Communauté.

97.

Or, il existe également des risques liés aux résidus monomères sous forme non réagie. Il est constant que des polymères peuvent être souillés par de tels résidus et que ces monomères peuvent, lors de l’utilisation du polymère, entrer en contact avec l’environnement.

98.

La Commission souligne ce risque dans ses observations et elle a exposé sa position devant le comité des entraves techniques au commerce de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), comme étant l’une des raisons de l’enregistrement des monomères sous forme réagie ( 32 ).

99.

De fait, l’enregistrement des monomères contenus sous forme réagie dans les polymères peut donner des indications quant au risque de résidus monomères. Il est en effet vraisemblable que les types de monomères utilisés pour la fabrication du polymère soient également ceux que l’on retrouve dans les résidus. Les types de monomères utilisés pourraient également permettre de conclure à la probabilité de résidus présents dans le polymère.

100.

S’il en est bien ainsi, l’obligation d’enregistrement serait de nature à contribuer à la maîtrise du risque découlant des impuretés monomériques.

Sur l’égalité de concurrence

101.

Le Conseil, mais également la Pologne, soulignent que l’enregistrement de substances monomères sous forme réagie favorise une concurrence loyale entre producteurs communautaires et importateurs de polymères.

102.

Les prix des polymères communautaires incluent normalement, et au prorata, les coûts d’enregistrement des monomères entrant dans la fabrication des polymères. On doit en effet supposer que ces monomères ont déjà fait l’objet d’un enregistrement en tant que substances spécifiques lors de leur fabrication ou importation. À l’opposé, des polymères peuvent être fabriqués au dehors de la Communauté, sans que les substances de base aient dû être enregistrées. L’obligation d’enregistrement, à tout le moins par les importateurs, des substances de base aura pour effet d’empêcher cette distorsion de concurrence sur le marché communautaire des polymères.

103.

L’obligation d’enregistrement imposée aux importateurs se traduit en même temps par une répartition plus juste des coûts d’enregistrement entre les différentes entreprises respectivement fabricants communautaires ou importateurs communautaires du polymère considéré. Le règlement REACH contient en effet des dispositions ayant pour objectif de répartir entre les demandeurs les coûts des études nécessaires aux fins de l’enregistrement. Une telle répartition des coûts correspond à la responsabilité et aux avantages liés à la mise sur le marché d’un polymère. Il s’agit là ainsi d’une concrétisation du principe pollueur-payeur, qui est à son tour un aspect du principe de proportionnalité ( 33 ).

104.

La création d’une concurrence loyale peut se rattacher à l’objectif du règlement REACH, mentionné à l’article 1er, paragraphe 1, à savoir améliorer la compétitivité ( 34 ). En outre, l’égalité de traitement des importateurs et des fabricants constitue, selon le troisième considérant, un objectif explicite du règlement REACH:

«Cette législation devrait être appliquée d’une manière non discriminatoire, que les substances fassent l’objet d’échanges dans le marché intérieur ou au niveau international dans le respect des engagements internationaux de la Communauté.»

105.

Préserver le producteur communautaire de désavantages concurrentiels est en principe un objectif licite du législateur communautaire ( 35 ). On peut laisser de côté la question de savoir si cet objectif entraîne des difficultés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Le régime présentement examiné a certes déjà fait l’objet, à plusieurs reprises, d’un examen au sein du comité des obstacles techniques au commerce ( 36 ). La compatibilité avec des réglementations de l’Organisation mondiale du commerce ne fait cependant pas l’objet de la présente procédure. De surcroît, la Cour n’a pas recours à ce critère aux fins de l’évaluation du droit communautaire ( 37 ).

106.

L’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH n’est ainsi pas manifestement inapproprié pour atteindre l’objectif légitime que constitue l’égalité de traitement.

Conclusion intermédiaire

107.

L’obligation d’enregistrement des monomères contenus sous forme réagie dans des polymères est de nature à servir trois objectifs légitimes: elle est de nature à faire face aux risques d’environnement et de santé résultant de la pollution des polymères par des résidus monomères; en outre, elle peut avoir son utilité dans certains cas aux fins de l’évaluation du risque lié à la persistance des propriétés monomères dans les polymères. Au surplus, l’enregistrement contribue à établir une concurrence loyale entre fabricants communautaires et importateurs de polymères.

c) Sur la nécessité de l’obligation d’enregistrement

108.

Il y a lieu de vérifier si l’obligation d’enregistrement des monomères contenus sous forme réagie dans des polymères est nécessaire pour atteindre les objectifs précités.

109.

En ce qui concerne les objectifs de protection de l’environnement et de la santé, il existe à vrai dire des doutes quant à la nécessité de l’obligation d’enregistrement.

110.

L’utilité de disposer d’informations étendues sur les monomères aux fins de l’appréciation des risques liés à la subsistance de propriétés monomères dans des polymères apparaît très restreinte. De nombreux éléments donnent à penser qu’une obligation d’informations limitée en volume, mais ciblée, concernant le polymère serait moins contraignante et au moins aussi efficace.

111.

S’agissant d’apprécier le risque présenté par des monomères résiduels, les informations relatives au monomère revêtent par contre, sans nul doute, un certain intérêt. On ne saurait néanmoins exclure que par rapport à ce risque une obligation d’enregistrement liée aux seules impuretés monomériques, en tant que telles, puisse suffire.

112.

En abondant dans cette direction, Erbslöh et SPCM proposent d’interpréter l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH en ce sens que seuls les résidus monomères sous forme non réagie doivent être enregistrés. Cependant, une limitation aux monomères sous forme non réagie ou aux résidus monomères aurait très vraisemblablement pour effet de priver l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, dans une large mesure, de son effet pratique. Il apparaît peu vraisemblable que de nombreux polymères contiennent 2 % masse/masse ou plus de monomères résiduels. Un produit contenant autant d’impuretés ne serait vraisemblablement pas conforme aux exigences des utilisateurs du polymère.

113.

Une telle obligation d’enregistrement devrait au contraire se rattacher à des impuretés qui se produiraient effectivement. Erbslöh a, lors de l’audience, soutenu, sans être contredit, que de telles impuretés pourraient, sans difficultés majeures, être identifiées en recourant aux procédés de distillation sous vide et de chromatographie gazeuse.

114.

On peut toutefois, en définitive, laisser ouverte la question de savoir si les doutes dont il a été fait état ont un caractère décisif ou s’ils pourraient être contredits par d’autres arguments des institutions et considération prise de la marge d’appréciation reconnue au législateur en application du principe de précaution.

115.

L’obligation d’enregistrement est en effet, sans nul doute, nécessaire pour atteindre l’objectif de l’égalité de concurrence.

116.

On pourrait certes concevoir de limiter les mesures de protection de la position concurrentielle de fabricants communautaires aux marchés sur lesquels ils sont effectivement actifs. Dans cette conception, l’obligation d’enregistrement des monomères utilisés ne vaudrait que dans le cas de polymères également produits dans la Communauté ( 38 ). Cela étant, la concurrence potentielle ne serait pas protégée aussi efficacement. Une nouvelle production communautaire de polymères ne peut en effet être entamée qu’une fois que les monomères utilisés ont fait l’objet d’un enregistrement. Dans ces conditions, le nouveau producteur communautaire devrait, alors qu’il ne dispose pas encore de recettes provenant de sa production propre, engager des fonds aux fins de l’enregistrement de monomères, alors que les concurrents externes pourraient encore (dans un premier temps) livrer des polymères dans la Communauté sans exposer de tels frais.

117.

De même un prélèvement frappant des polymères importés, en vue de compenser, de manière forfaitaire, l’économie (en termes de coût) résultant de l’absence d’enregistrement des monomères utilisés, ne s’impose pas en tant que moyen moins contraignant présentant le même degré d’efficacité.

118.

Dans ces conditions, la réglementation en question est en tout cas nécessaire par rapport à l’objectif consistant à assurer une égalité concurrentielle entre producteurs respectivement établis dans la Communauté et dans des États tiers.

d) Sur le caractère proportionné de l’obligation d’enregistrement

119.

Enfin, il se pose la question de savoir si les inconvénients induits par l’obligation d’enregistrement en cas d’importation de polymères sont proportionnés aux objectifs poursuivis.

120.

De l’avis d’Erbslöh et de SPCM, les importateurs seraient confrontés à de grandes difficultés pratiques. Il serait peu probable que les monomères aient déjà été enregistrés par des entreprises en amont de la chaîne d’approvisionnement, à savoir les fabricants des monomères ou des polymères. Ces fabricants ne seraient en règle générale pas tenus de procéder, en tant que fabricants communautaires, à l’enregistrement et n’auraient d’ailleurs peut-être aucun intérêt à faire enregistrer des substances monomères par le truchement d’un représentant exclusif.

121.

À l’opposé, les importateurs seraient fréquemment dans l’ignorance des substances monomères se trouvant sous forme réagie dans les polymères qu’ils importent. Leurs fournisseurs considéreraient cette information, en règle générale, comme participant d’un secret d’entreprise. Il n’existerait pas de méthode d’analyse efficace pour identifier les substances monomères sous forme réagie.

122.

La Commission ne contredit pas cette argumentation. Mais elle soutient, de manière pertinente, que ce problème est résolu par le marché. S’ils souhaitent commercialiser leurs polymères sur le marché européen, les fournisseurs permettront l’enregistrement des substances monomères ou — tout en préservant leurs secrets d’entreprise — procéderont eux-mêmes à l’enregistrement par le truchement d’un représentant exclusif. Dans le cas contraire, il leur faudra renoncer à ce marché. Les importateurs et éventuels utilisateurs des polymères peuvent le cas échéant influencer cette décision à travers les prix qu’ils sont prêts à payer.

123.

Il est vrai que Erbslöh craint une complication supplémentaire, dans la mesure où elle émet des doutes sur le point de savoir si un enregistrement de monomères par des fabricants externes exonère effectivement l’importateur de l’obligation d’enregistrement; ces doutes ne parviennent cependant pas à nous convaincre.

124.

Les institutions exposent que des fournisseurs non communautaires de polymères peuvent, selon l’article 8 du règlement REACH, désigner un représentant exclusif, qui fera procéder à l’enregistrement des monomères, en lieu et place de l’importateur. Erbslöh a des doutes sur le point de savoir si un tel enregistrement serait le fait d’un acteur situé en amont dans la chaîne d’approvisionnement, au sens de l’article 6, paragraphe 3, étant donné que le représentant exclusif n’est pas un acteur situé en amont et que l’acteur externe à la Communauté n’est pas tenu de procéder à l’enregistrement.

125.

L’institution du représentant exclusif présuppose toutefois que son enregistrement exonère d’obligations en ce sens les membres situés en aval de la chaîne d’approvisionnement. Il n’y aurait aucune logique à ce qu’il en soit autrement. C’est donc logiquement que l’article 8 du règlement REACH établit expressément que le représentant exclusif remplit l’obligation qui est celle de l’importateur. Partant, son enregistrement doit, également dans le cadre de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, avoir un effet libératoire vis-à-vis de l’importateur.

126.

Au reste, le recours à d’autres membres de la chaîne d’approvisionnement est une caractéristique fondamentale du règlement REACH. Également pour d’autres substances chimiques, l’enregistrement nécessite de se procurer des informations auprès d’autres entreprises. L’enregistrement doit en effet traiter les risques en rapport avec des utilisations identifiées de la substance. Or, des informations concernant ces utilisations et risques ne peuvent fréquemment être fournis que par les acquéreurs des substances. S’ils ne prennent pas part à l’enregistrement, ces derniers doivent éventuellement se procurer eux-mêmes des informations quant aux risques liés à l’utilisation, par eux, de la substance (voir articles 37 et suivants du règlement REACH).

127.

Même si l’enregistrement de monomères était, en pratique, impossible dans certains cas, le «Guidance for monomers and polymers» de l’Agence européenne des produits chimiques ( 39 ) indique une piste permettant néanmoins de commercialiser le polymère: le traitement en tant que substance de composition inconnue ou variable, produit de réactions complexes ou en tant que matériau biologique. Dans ce cas, le polymère pourrait exceptionnellement, à titre de palliatif, donner lui-même lieu à enregistrement ( 40 ).

128.

Une autre objection est fondée sur les coûts de l’enregistrement. Ceux-ci seraient, selon SPCM et Erbslöh, largement disproportionnés par rapport aux chiffres d’affaires réalisés notamment par l’entreprise concernée (Lake) et par rapport aux quantités de substances en question.

129.

Mais, par principe, ces coûts frappent l’ensemble des utilisateurs de produits chimiques. Un élément essentiel de la structure du règlement REACH réside précisément dans l’acceptation d’une telle charge. On doit en principe admettre qu’une substance ne soit plus demandée sur le marché du fait des coûts d’enregistrement y attachés.

130.

En outre, le règlement REACH prévoit que les coûts des études nécessaires peuvent, à tout le moins en partie, être répartis entre les différents déposants de la même substance. Étant donné qu’un nombre restreint de substances monomères peuvent être combinés à un très grand nombre de polymères ( 41 ), on doit s’attendre à ce que les mêmes substances monomères fassent l’objet d’un enregistrement de la part de fabricants et d’importateurs différents. En recourant à la procédure de coordination prévue dans le règlement REACH, ceux-ci peuvent répartir les coûts entre eux.

131.

La charge découlant de l’obligation d’enregistrement des substances monomères sous forme réagie au sein de polymères correspond donc, dans une large mesure, aux frais généraux liés au règlement REACH. Cette charge doit être mise en regard avec, notamment, l’objectif d’assurer une concurrence loyale entre fabricants communautaires de polymères et fabricants de pays tiers. Ce rapport n’apparaît manifestement déséquilibré.

132.

On ne saurait donc constater une violation du principe de proportionnalité.

4. Le principe d’égalité de traitement ou de non discrimination

133.

Enfin, il y a lieu d’examiner si l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH engendre une discrimination illicite. Cette partie de la deuxième question préjudicielle vise la compatibilité avec le principe d’égalité de traitement ou de non discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié ( 42 ).

134.

Une différence de traitement est justifié dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné ( 43 ). La législation considérée doit donc être en adéquation avec les différences et similitudes de chaque situation ( 44 ).

135.

De même que pour le principe de proportionnalité, on doit, s’agissant d’apprécier l’interdiction de discrimination, prendre en compte le fait que le législateur communautaire dispose d’un large pouvoir d’appréciation (dit «discrétionnaire») ( 45 ). Le législateur communautaire est toutefois tenu de baser son choix sur des critères objectifs et appropriés par rapport au but poursuivi par la législation en cause, en tenant compte de tous les éléments factuels ainsi que des données techniques et scientifiques disponibles au moment de l’adoption de l’acte en question ( 46 ). Outre l’objet principal de la réglementation il doit également tenir pleinement compte des intérêts en présence ( 47 ).

136.

Erbslöh et SPCM font grief de ce que, même si les importateurs et fabricants communautaires de polymères sont soumis à la même obligation, la charge pèse nettement plus sur les importateurs.

137.

Les fabricants communautaires de polymères peuvent bien plus facilement que les importateurs de polymères faire enregistrer les substances monomères utilisées. Les fabricants connaissent les monomères utilisés et peuvent donc les faire enregistrer.

138.

À l’opposé, les importateurs dépendent du soutien que leur accordent leurs fournisseurs externes, avant de pouvoir se préoccuper de l’enregistrement. Erbslöh et SPCM craignent que les fournisseurs s’abstiennent tant de mettre à disposition des importateurs les informations nécessaires concernant les substances monomères utilisées que d’enregistrer eux-mêmes, par l’entremise d’un représentant exclusif, ces substances monomères.

139.

Cette dépendance des importateurs est cependant la conséquence nécessaire de l’absence de compétence communautaire aux fins de l’adoption d’obligations contraignantes dans le chef d’entreprises situées dans des pays tiers.

140.

L’obligation d’enregistrement se concrétise certes dans la personne de l’importateur. Elle s’adresse cependant aux fournisseurs de celui-ci. Les fournisseurs sont en principe comparables aux producteurs communautaires. En outre, les polymères importés ne diffèrent normalement pas des polymères fabriqués dans la Communauté. Des situations égales sont donc traitées de manière égale.

141.

Compte tenu de l’objectif (précité) que poursuit l’obligation d’enregistrement, à savoir créer les conditions d’une égalité concurrentielle, il est justifié de faire peser sur ces situations comparables des exigences de même ordre. Les fabricants situés dans les États tiers sont libres de se soumettre à ces contraintes, ou de renoncer au marché communautaire.

142.

Si l’on compare les importateurs aux producteurs communautaires, on s’aperçoit certes qu’ils ne sont pas affectés dans la même mesure, mais qu’ils ne se trouvent pas non plus dans une situation comparable. Les importateurs sont appréhendés en leur qualité de seul représentant tangible des producteurs externes — du moins tant que ces derniers n’ont pas désigné de représentants exclusifs au sens de l’article 8 du règlement REACH. Le fait que les importateurs soient affectés différemment par l’obligation d’enregistrement est conforme à cette différence par rapport à la situation d’un producteur.

143.

On ne saurait, dès lors, constater une violation du principe d’égalité.

V — Conclusion

144.

Nous proposons donc à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle comme suit:

«1)

La notion de ‘substances monomères’ contenue à l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, ne vise que les monomères sous forme réagie, à savoir des monomères ayant interagi en sorte d’être liés aux polymères dont ils sont des éléments constitutifs.

2)

L’examen de la question 2 n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1907/2006 sous l’angle des principes de sécurité juridique, proportionnalité et non-discrimination.»


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) Titre in extenso: règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1). Les modifications qui ont été jusqu’à présent apportées à ce règlement n’importent pas aux fins de la présente affaire.

( 3 ) Voir document du Conseil no 13788/04, du 5 novembre 2004, p. 5, note 25.

( 4 ) Suédois: monomerenhet.

( 5 ) Voir arrêt du 12 février 1998, Blasi (C-346/95, Rec. p. I-481, point 19), et nos conclusions du 14 octobre 2004 dans l’affaire Fonden Marselisborg Lystbådehavn (arrêt du 3 mars 2005, C-428/02, Rec. p. I-1527), point 16, et, pour une opinion contraire, conclusions de l’avocat général Alber du 29 juin 2000 dans l’affaire Fazenda Pública (arrêt du 14 décembre 2000, C-446/98, Rec. p. I-11435), point 71.

( 6 ) Voir, par exemple, arrêts du 7 juillet 1981, Rewe (158/80, Rec. p. 1805, points 25 à 27); du 26 mars 1987, Commission/Conseil (45/86, Rec. p. 1493, point 9), et du 15 avril 2008, Nuova Agricast (C-390/06, Rec. p. I-2577, points 79 à 86).

( 7 ) Arrêts du 20 février 1997, Commission/Daffix (C-166/95 P, Rec. p. I-983, point 24), et du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C-413/06 P, Rec. p. I-4951, point 174).

( 8 ) Arrêts du 26 novembre 1981, Michel/Parlement (195/80, Rec. p. 2861, point 22); du 26 septembre 2002, Espagne/Commission (C-351/98, Rec. p. I-8031, point 84); du 22 janvier 2004, Mattila/Conseil et Commission (C-353/01 P, Rec. p. I-1073, point 32); du 29 avril 2004, IPK-München/Commission (C-199/01 P et C-200/01 P, Rec. p. I-4627, point 66), et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 463), ainsi qu’arrêts du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil (T-228/02, Rec. p. II-4665, point 139), et du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil (T-256/07, Rec. p. II-3019, point 182).

( 9 ) Arrêt Commission/Daffix (précité note 7, point 23).

( 10 ) Arrêt du 12 mars 2002, Omega Air e.a. (C-27/00 et C-122/00, Rec. p. I-2569, points 46 et suiv.).

( 11 ) Arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand Frères et Garancini (169/80, Rec. p. 1931, point 17); du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten (C-143/93, Rec. p. I-431, point 27); du 14 avril 2005, Belgique/Commission (C-110/03, Rec. p. I-2801, point 30), et du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C-344/04, Rec. p. I-403, point 68). Voir également nos conclusions du 3 mai 2007, dans l’affaire Commission/Parlement et Conseil (arrêt du 18 octobre 2007, C-299/05, Rec. p. I-8695), point 55.

( 12 ) Voir ci-dessus, points 43 et suiv.

( 13 ) Arrêts du 17 décembre 1970, Köster (25/70, Rec. p. 1161, points 21 et suiv.); du 18 novembre 1987, Maizena (137/85, Rec. p. 4587, point 15); du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C-331/88, Rec. p. I-4023, point 13); IATA et ELFAA (précité note 11, point 79); du 7 septembre 2006, Espagne/Conseil (C-310/04, Rec. p. I-7285, point 97), et du 17 janvier 2008, Viamex Agrar Handel et ZVK (C-37/06 et C-58/06, Rec. p. I-69, point 33).

( 14 ) Voir, en ce sens, arrêts précités note 13, Köster, points 28 et 32; Fedesa e.a., point 13, et Viamex Agrar Handel et ZVK, point 35, ainsi qu’arrêts du 11 juillet 1989, Schräder et ZVK, (265/87, Rec. p. 2237, point 21), et du 12 juillet 2001, Jippes e.a. (C-189/01, Rec. p. I-5689, point 81).

( 15 ) Arrêts du 8 novembre 1979, Denkavit Futtermittel (251/78, Rec. p. 3369, point 24), et du 12 juillet 1990, Commission/Italie (C-128/89, Rec. p. I-3239, point 23).

( 16 ) Arrêts du 13 février 1979, Granaria (101/78, Rec. p. 623, point 4); du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C-137/92 P, Rec. p. I-2555, point 48); du 5 octobre 2004, Commission/Grèce (C-475/01, Rec. p. I-8923, point 18), et du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C-199/06, Rec. p. I-469, point 59).

( 17 ) Arrêt du Tribunal du 26 avril 2005, Sison/Conseil (T-110/03, T-150/03 et T-405/03, Rec. p. II-1429, point 98); voir également Kokott, J., «Die Durchsetzung der Normenhierarchie im Gemeinschaftsrecht», dans Müller, G. e.a., Festschrift für Günter Hirsch zum 65. Geburtstag, C. H. Beck, 2008, p. 122 et suiv.

( 18 ) Arrêt du 12 décembre 2006, Allemagne/Parlement et Conseil (C-380/03, Rec. p. I-11573, point 145). En matière de politique de l’environnement, voir, également, arrêts du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech (C-284/95, Rec. p. I-4301, point 37), et du 15 décembre 2005, Grèce/Commission (C-86/03, Rec. p. I-10979, point 88). Voir, également, Kokott, J., précitée note 17, p. 124 et suiv.

( 19 ) Arrêts du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C-248/95 et C-249/95, Rec. p. I-4475, point 24), et Omega Air e.a. (précité note 10, point 64).

( 20 ) Voir, en matière de politique agricole, arrêts Schräder (précités note 14, point 22), Fedesa e.a. (précité note 13, point 14), Jippes e.a. (précité note 14, point 82), et Viamex Agrar Handel et ZVK (précité note 13, point 36), ainsi que, en matière d’harmonisation du marché intérieur, arrêts du 14 décembre 2004, Arnold André (C-434/02, Rec. p. I-11825, point 46) et Swedish Match (C-210/03, Rec. p. I-11893, point 48), ainsi que du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C-154/04 et C-155/04, Rec. p. I-6451, point 52).

( 21 ) Arrêts Jippes e.a. (précité note 14, point 83) et Viamex Agrar Handel et ZVK (précité note 13, point 36).

( 22 ) Arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, points 94 et suiv.); du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil (C-84/94, Rec. p. I-5755, points 58 et suiv.); du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil (C-233/94, Rec. p. I-2405, points 54 et suiv.); du 8 février 2000, Emesa Sugar (C-17/98, Rec. p. I-675, points 53 et suiv.); du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C-491/01, Rec. p. I-11453, points 123, 126, 128 et suiv., 132 et 139 et suiv.); du 6 décembre 2005, ABNA e.a. (C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I-10423, points 69 et 83), et IATA et ELFAA (précité note 11, point 87). Voir aussi arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C-127/07, Rec. p. I-9895, point 59), à propos du contrôle du principe de proportionnalité dans le cadre de la justification d’un traitement différent.

( 23 ) Arrêt IATA et ELFAA (précité note 11, points 88 et suiv.).

( 24 ) Voir arrêt Omega Air e.a. (précité note 10, point 72) et nos conclusions du 1er février 2007 dans l’affaire Espagne/Lenzing (arrêt du 22 novembre 2007, C-525/04 P, Rec. p. I-9947), point 71.

( 25 ) Voir, à propos de décisions de la Commission en matière de concurrence et d’environnement, les arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C-12/03 P, Rec. p. I-987, point 39); du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C-326/05 P, Rec. p. I-6557, point 77); du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C-525/04 P, Rec. p. I-9947, point 57); Bertelsmann (précité note 7, point 145) et du 6 novembre 2008, Pays-Bas/Commission (C-405/07 P, Rec. p. I-8301, point 55).

( 26 ) Arrêts du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a. (C-157/96, Rec. p. I-2211, point 63); du 12 janvier 2006, Agrarproduktion Staebelow (C-504/04, Rec. p. I-679, point 39), et du 19 juin 2008, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel (C-219/07, Rec. p. I-4475, point 38).

( 27 ) Il est constant que certains polymères peuvent être dangereux. La Commission renvoie aux règlements (CE) no 1451/2007 de la Commission, du 4 décembre 2007, concernant la seconde phase du programme de travail de dix ans visé à l’article 16, paragraphe 2, de la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil, concernant la mise sur le marché des produits biocides (JO L 325, p. 3), dans lequel divers polymères sont reconnus comme biocides actifs. De même, l’article 12 de la directive 67/548/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO 196, p. 1), inséré par la directive 92/32/CEE du Conseil, du 30 avril 1992, portant septième modification de la directive 67/548/CEE (JO L 154, p. 1), tout comme la directive 93/105/CE de la Commission, du 25 novembre 1993, établissant l’annexe VII D contenant les informations requises pour les dossiers techniques visés à l’article 12 de la directive portant septième modification de la directive 67/548/CEE du Conseil (JO L 294, p. 21), montre que le législateur a, dans le passé, considéré les polymères comme une source de risques suffisante pour requérir une notification.

( 28 ) Voir ci-dessus, points 47 et suiv.

( 29 ) Rapport Gary Dougherty, annexe 4 à la demande de décision préjudicielle.

( 30 ) Voir ci-dessus, points 47 et suiv.

( 31 ) Voir Leigh G. J. e.a., «Principles of Chemical Nomenclature, A Guide to IUPAC Recommendations», Blackwell Science, 1998, p. 104 et suiv. (http://old.iupac.org/publications/brooks/principles/principles_of_nomenclature.pdf). Il semble toutefois qu’une désignation précise réserve de sérieuses difficultés justement dans le cas de polymères.

( 32 ) Voir le procès-verbal G/TBT/M/41 du 12 juin 2008 de la réunion du comité des entraves techniques au commerce de l’OMC, du 21 mars 2007, point 40.

( 33 ) Voir à cet égard nos conclusions du 13 mars 2008 dans l’affaire Commune de Mesquer (arrêt du 24 juin 2008, C-188/07, Rec. p. I-4501), point 120.

( 34 ) Le fait d’orienter l’obligation d’enregistrement en fonction de l’égalité de traitement n’est au reste pas non plus étranger au règlement REACH. Alors que pour la protection de l’environnement et de la santé un seul enregistrement par substance suffirait, tout fabricant/tout importateur est tenu d’enregistrer la substance.

( 35 ) Voir, par exemple, les arrêts du 10 décembre 1987, Nicolet Instrument (232/86, Rec. p. 5025); du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil (C-353/92, Rec. p. I-3411, point 50); Allemagne/Conseil (précité note 22, point 92), et du 10 mars 2005, Espagne/Conseil (C-342/03, Rec. p. I-1975, point 18).

( 36 ) Voir notamment les procès-verbaux G/TBT/M/44 du 10 juin 2008 de la réunion du 20 mars 2008, points 119 et suiv. (USA) et 140 (Japon) et G/TBT/M/45 du 9 septembre 2008 de la réunion des 1er et 2 juillet 2008, point 36 (Brésil).

( 37 ) Arrêts du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil (C-149/96, Rec. p. I-8395, point 47); du 1er mars 2005, Van Parys (C-377/02, Rec. p. I-1465, point 39), et du 9 septembre 2008, FIAMM et FIAMM Technologies/Conseil et Commission (C-120/06 P et C-121/06 P, Rec. p. I-6513, point 111).

( 38 ) Voir l’arrêt Nicolet Instrument (précité note 35) concernant une exonération douanière ne s’appliquant que si aucune production communautaire n’est concernée.

( 39 ) Dernière mise à jour: mai 2008; voir http://guidance.echa.europa.eu/docs/guidance_document/polymers_en.pdf.

( 40 ) Guidance, p. 9.

( 41 ) Voir ci-dessus, point 21.

( 42 ) Arrêts IATA et ELFAA (précité note 11, point 95); du 12 septembre 2006, Eman et Sevinger (C-300/04, Rec. p. I-8055, point 57), ainsi que du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil (C-227/04 P, Rec. p. I-6767, point 63).

( 43 ) Arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité note 22, point 47).

( 44 ) Voir les conclusions de l’avocat général Poiares Maduro du 3 avril 2008 dans l’affaire Huber (arrêt du 16 décembre 2008, C-524/06, Rec. p. I-9705, point 7) et nos conclusions du 8 septembre 2005 dans l’affaire Parlement/Conseil (arrêt du 27 juin 2006, C-540/03, Rec. p. I-5769, point 107, ainsi que les notes de bas de page).

( 45 ) Voir ci-dessus, point 69. En ce qui concerne la prise en compte du pouvoir d’appréciation sous l’angle de l’interdiction de discrimination, voir également arrêts du 13 avril 2000, Karlsson e.a. (C-292/97, Rec. p. I-2737, points 35 et 49); Lindorfer (précité note 42, point 78), et Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité note 22, point 57).

( 46 ) Arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité note 22, point 58).

( 47 ) Arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité note 22, point 59).