ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

30 avril 2009 (*)

«Pourvoi – Responsabilité non contractuelle – Procédure d’adjudication – Paiement en nature – Paiement des adjudicataires en fruits autres que ceux spécifiés dans l’avis d’adjudication – Lien de causalité»

Dans l’affaire C‑497/06 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 1er décembre 2006,

CAS Succhi di Frutta SpA, établie à Castagnaro (Italie), représentée par Mes F. Sciaudone, R. Sciaudone et D. Fioretti, avvocati,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Cattabriga, en qualité d’agent, assistée de Me A. Dal Ferro, avvocato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis et J. Malenovský, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 novembre 2008,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, CAS Succhi di Frutta SpA (ci-après «Succhi di Frutta») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 septembre 2006, CAS Succhi di Frutta/Commission (T‑226/01, Rec. p. II‑2763, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à la réparation du préjudice allégué, causé par les décisions de la Commission des Communautés européennes C (96) 1916, du 22 juillet 1996, et C (96) 2208, du 6 septembre 1996, adoptées dans le cadre du règlement (CE) n° 228/96 de la Commission, du 7 février 1996, relatif à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (JO L 30, p. 18, ci-après l’«avis d’adjudication»).

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) n° 1975/95 du Conseil, du 4 août 1995, relatif à des actions de fourniture gratuite de produits agricoles destinés aux populations de la Géorgie, de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, du Kirghizstan et du Tadjikistan (JO L 191, p. 2), prévoit à son article 2, paragraphe 2, que les denrées alimentaires à fournir peuvent être obtenues sur le marché moyennant la fourniture en paiement de produits provenant des stocks d’intervention appartenant au même groupe de produits.

3        Le règlement (CE) n° 2009/95 de la Commission, du 18 août 1995, portant dispositions applicables pour la fourniture gratuite de produits agricoles détenus dans les stocks d’intervention, destinés à la Géorgie, à l’Arménie, à l’Azerbaïdjan, au Kirghizstan et au Tadjikistan prévue par le règlement n° 1975/95 (JO L 196, p. 4), a été adopté afin, selon son premier considérant, de définir les modalités communes de participation aux adjudications d’exécution des fournitures ainsi que les obligations des adjudicataires.

4        Selon l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2009/95:

«Compte tenu des offres soumises, la Commission peut décider pour chaque lot:

–        de ne procéder à aucune attribution

ou

–        d’attribuer la fourniture sur base du prix offert ou des quantités offertes et des autres éléments de l’offre qui présentent les meilleures garanties de livraison dans des bonnes conditions techniques et sanitaires et dans le respect des délais prescrits.»

5        L’avis d’adjudication dispose à son article 1er:

«Il est procédé à une adjudication pour la fourniture d’un maximum de 1 000 tonnes de jus de fruits, 1 000 tonnes de jus de fruits concentrés et 1 000 tonnes de confitures de fruits, comme indiqué à l’annexe I [...]»

6        En vertu de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de l’avis d’adjudication, l’offre du soumissionnaire indique, pour chaque lot, la quantité totale de fruits, retirée du marché, qu’il s’engage à prendre en charge, en paiement de tous les frais que comporte la fourniture des services et des produits faisant l’objet de l’adjudication.

7        Selon l’annexe I de l’avis d’adjudication, les lots nos 1, 2 et 5 portaient respectivement sur la fourniture de 500 tonnes net de jus de pommes, de 500 tonnes net de jus de pommes concentrés à 50 % et de 500 tonnes net de confitures de fruits divers, les fruits à retirer pour ces lots étant des pommes. Les lots nos 3, 4 et 6 portaient respectivement sur la fourniture de 500 tonnes net de jus d’orange, de 500 tonnes net de jus d’orange concentrés à 50 % et de 500 tonnes net de confitures de fruits divers, les fruits à retirer pour ces lots étant des oranges.

 Les faits à l’origine du litige

8        Les faits à l’origine du litige sont exposés aux points 5 à 22 de l’arrêt attaqué comme suit:

«5      Par lettre du 15 février 1996, la requérante a soumis une offre pour les lots nos 1 et 2, proposant de retirer, en paiement de la fourniture de ces lots, respectivement, 12 500 tonnes et 25 000 tonnes de pommes.

6      Les sociétés Trento Frutta SpA [(ci-après ‘Trento Frutta’)] et Loma GmbH [(ci-après ‘Loma’)] ont offert, respectivement, de retirer 8 000 tonnes de pommes pour le lot n° 1 et 13 500 tonnes de pommes pour le lot n° 2. En outre, Trento Frutta a indiqué que, en cas d’insuffisance de pommes, elle était disposée à retirer des pêches.

7      Le 6 mars 1996, la Commission a adressé à l’Azienda di Stato per gli Interventi nel Mercato Agricolo (organisme d’intervention italien, ci-après l’‘AIMA’), avec copie à Trento Frutta, la note n° 10 663 indiquant qu’elle avait adjugé les lots nos 1, 3, 4, 5 et 6 à cette dernière. Selon cette note, Trento Frutta recevrait en paiement, à titre prioritaire, les quantités suivantes de fruits retirés du marché:

–      lot n° 1: 8 000 tonnes de pommes ou, à titre d’alternative, 8 000 tonnes de pêches;

–      lot n° 3: 20 000 tonnes d’oranges ou, à titre d’alternative, 8 500 tonnes de pommes ou 8 500 tonnes de pêches;

–      lot n° 4: 32 000 tonnes d’oranges ou, à titre d’alternative, 13 000 tonnes de pommes ou 13 000 tonnes de pêches;

–      lot n° 5: 18 000 tonnes de pommes ou, à titre d’alternative, 18 000 tonnes de pêches;

–      lot n° 6: 45 000 tonnes d’oranges ou, à titre d’alternative, 18 000 tonnes de pommes ou 18 000 tonnes de pêches.

8      Le 13 mars 1996, la Commission a adressé à l’AIMA la note n° 11 832 l’informant de ce qu’elle avait adjugé le lot n° 2 à Loma.

9      Le 14 juin 1996, la Commission a adopté la décision C (96) 1453, relative à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, prévue par le règlement n° 228/96 (ci-après la ‘décision du 14 juin 1996’). Selon le deuxième considérant de ladite décision, depuis l’adjudication, les quantités de fruits en cause retirés du marché étaient négligeables par rapport aux quantités nécessaires, alors que la campagne de retrait était pratiquement achevée. Il était donc nécessaire, afin de mener à terme cette opération, de permettre aux entreprises adjudicataires qui le souhaitaient de prendre en paiement, en remplacement des pommes et des oranges, d’autres fruits retirés du marché dans des proportions préétablies qui reflètent l’équivalence de transformation des fruits en question.

10      L’article 1er de la décision du 14 juin 1996 disposait que les fruits retirés du marché étaient mis à la disposition des adjudicataires (à savoir Trento Frutta et Loma), à leur demande, selon les coefficients de substitution suivants:

‘a)      1 tonne de pêches pour 1 tonne de pommes;

b)      0,667 tonne d’abricots pour 1 tonne de pommes;

c)      0,407 tonne de pêches pour 1 tonne d’oranges;

d)      0,270 tonne d’abricots pour 1 tonne d’oranges’.

11      Le 22 juillet 1996, la Commission a adopté la décision C (96) 1916, relative à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, prévue par le règlement n° 228/96 (ci-après la ‘décision du 22 juillet 1996’). Selon le troisième considérant de ladite décision, la quantité disponible de pêches ne serait pas suffisante pour terminer l’opération. En conséquence, il était opportun de permettre, en outre, de substituer des nectarines aux pommes devant être retirées par les adjudicataires.

12      L’article 1er de la décision du 22 juillet 1996 disposait que les fruits retirés du marché étaient mis à la disposition de Trento Frutta et de Loma, à leur demande, selon le coefficient de substitution de 1,4 tonne de nectarines pour une tonne de pommes.

13      Le 26 juillet 1996, au cours de la réunion organisée à sa demande avec les services de la direction générale ‘Agriculture’ de la Commission, la requérante a présenté ses objections à la substitution d’autres fruits aux pommes et aux oranges autorisée par la Commission, et a obtenu une copie de la décision du 14 juin 1996.

[…]

15      Le 6 septembre 1996, la Commission a adopté la décision C (96) 2208, modifiant la décision de la Commission du 14 juin 1996, relative à la fourniture de jus de fruits et de confitures destinés aux populations de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, prévue par le règlement n° 228/96 (ci-après la ‘décision du 6 septembre 1996’). […] Suivant le deuxième considérant de ladite décision, afin de réaliser une substitution des fruits plus équilibrée, sur l’ensemble de la période de retrait des pêches, entre les pommes et les oranges utilisées pour la fourniture de jus de fruits aux populations du Caucase, d’une part, et les pêches retirées du marché pour le paiement de la fourniture des produits concernés, d’autre part, il était opportun de modifier les coefficients établis dans la décision du 14 juin 1996. Les nouveaux coefficients devaient s’appliquer uniquement aux fruits qui n’avaient pas encore été retirés par les adjudicataires en paiement des produits à fournir.

16      Aux termes de l’article 1er de la décision du 6 septembre 1996, l’article 1er, sous a) et c), de la décision du 14 juin 1996 était modifié comme suit:

‘a)      0,914 tonne de pêches pour 1 tonne de pommes;

b)      0,372 tonne de pêches pour 1 tonne d’oranges’.

17      La requérante a introduit deux recours en annulation, l’un à l’encontre de la décision du 6 septembre 1996 (enregistré sous la référence T‑191/96) et l’autre à l’encontre de la décision du 22 juillet 1996 (enregistré sous la référence T‑106/97).

18      Par arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission (T‑191/96 et T‑106/97, Rec. p. II‑3181 [...]), le Tribunal a annulé la décision du 6 septembre 1996 dans l’affaire T‑191/96 et a rejeté comme irrecevable le recours dans l’affaire T‑106/97. En substance, le Tribunal a accueilli le premier moyen d’annulation dans l’affaire T‑191/96 en considérant que la substitution des pêches aux pommes et aux oranges constituait une modification importante d’une condition essentielle de l’avis d’adjudication, non prévue par les textes, et constituait, ce faisant, une violation de l’avis d’adjudication ainsi que des principes de transparence et d’égalité de traitement (points 74 à 82).

19      Le 21 décembre 1999, la Commission a introduit un pourvoi à l’encontre de l’arrêt [du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité], enregistré sous le numéro C‑496/99 P.

[…]

22      Par arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta (C‑496/99 P, Rec. p. I‑3801 [...]), la Cour a rejeté au fond le pourvoi introduit par la Commission contre l’arrêt [du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité] […]»

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2001, Succhi di Frutta a demandé la réparation du préjudice qui lui aurait été causé par les décisions des 22 juillet et 6 septembre 1996, évalué à 1 385 163 euros (2 682 049 410 ITL).

10      La Commission a conclu au rejet du recours et à la condamnation de Succhi di Frutta aux dépens.

11      À titre liminaire, Succhi di Frutta a soutenu qu’il ressortait de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, que toutes les conditions permettant d’admettre le bien-fondé du recours en indemnité étaient remplies.

12      Elle a fait valoir que les décisions des 22 juillet et 6 septembre 1996, en tant qu’elles ont, d’une part, organisé la substitution de pêches et de nectarines aux pommes prévues en paiement des produits devant être fournis et, d’autre part, fixé des coefficients pour procéder à celle-ci, constituaient une violation de plusieurs dispositions et principes du droit communautaire et étaient donc illégales.

13      Succhi di Frutta a allégué avoir dû pratiquer des prix de vente de ses produits transformés à base de pêches et de nectarines inférieurs à ses coûts de production. Elle a invoqué comme préjudice le montant de la différence entre les coûts de production et les prix de vente effectifs ainsi que celui de la perte des bénéfices propres au secteur de 15 %. Elle a demandé, en outre, le remboursement des coûts d’assistance technique et juridique engagés pour défendre ses droits ainsi que des frais exposés pour sa participation à l’adjudication.

14      S’agissant du lien de causalité, Succhi di Frutta a fait valoir, en substance, que, en raison de la substitution des fruits et de la fixation de coefficients trop généreux, Trento Frutta avait reçu une quantité très importante de pêches et de nectarines et ceci à très bas prix. Cet adjudicataire aurait alors bouleversé le marché en écoulant à très bas prix ses produits transformés à base de pêches et de nectarines. Succhi di Frutta aurait dû, pour survivre, s’aligner sur les prix pratiqués par Trento Frutta et donc pratiquer la vente à perte.

15      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Succhi di Frutta.

16      Tout d’abord, le Tribunal a relevé, au point 28 de l’arrêt attaqué, que la requérante prétendait que la Cour, au point 83 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, aurait déjà reconnu son droit à réparation. Le Tribunal a écarté cet argument, aux points 29 à 31 de l’arrêt attaqué. Selon celui-ci, l’appréciation de la Cour, intervenue dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours en annulation et visant la situation de la requérante dans le cadre de l’adjudication, ne pouvait en aucun cas préjuger de l’engagement de la responsabilité de la Communauté relatif à un préjudice subi en tant qu’opérateur économique agissant sur le même marché que les adjudicataires.

17      Ensuite, le Tribunal a examiné l’existence d’un lien de causalité entre les illégalités invoquées et le prétendu préjudice constitué par les ventes à perte et a conclu que la requérante n’avait pas démontré l’existence d’un tel lien.

18      S’agissant de la substitution des fruits, le Tribunal a pris en compte l’ensemble des fruits devant être reçus par Trento Frutta. Il a constaté, au point 46 de l’arrêt attaqué, d’une part, que, «en l’absence de substitution, les adjudicataires auraient adopté le même type de comportement, et donc un comportement produisant les mêmes conséquences sur les marchés en cause, du fait d’un acte communautaire, sans qu’aucun préjudice économique pour les autres opérateurs sur ces marchés ne soit réparable», et, d’autre part, qu’aucune illégalité n’était invoquée à l’encontre de l’adjudication elle-même et, en particulier, à l’égard du fait que le paiement devait se faire au moyen de fruits retirés du marché.

19      Le Tribunal a estimé, au point 49 de l’arrêt attaqué, que la substitution n’avait aucunement modifié, en elle-même, le mécanisme fondamental de l’adjudication, à savoir l’octroi aux adjudicataires de fruits retirés du marché en raison de leur surabondance. En effet, un tel mécanisme impliquerait nécessairement la disponibilité des fruits en cause sur le marché, en quantités importantes, pour tous les opérateurs économiques et à un prix proche du prix effectif de retrait. Selon le point 52 de cet arrêt, la requérante n’aurait pas démontré que le paiement au moyen de pommes aurait eu des effets différents du paiement au moyen de pêches et de nectarines.

20      Au point 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la certitude de Trento Frutta de recevoir des pêches ne datait que de la décision du 14 juin 1996 et qu’aucun élément dans le dossier ne permettait de comprendre en quoi le fait de connaître le type de fruits devant être reçus aurait permis l’adoption d’un comportement spéculatif allant au-delà de la normale.

21      S’agissant de l’existence d’un préjudice découlant de la fixation de coefficients de substitution trop généreux, le Tribunal n’a pris en compte que les quantités de fruits qui, durant la seule année pertinente, à savoir l’année 1996, auraient été perçues en trop par rapport aux coefficients estimés corrects par la requérante. Il ne serait aucunement démontré que les 1 800 tonnes de pêches et de nectarines éventuellement trop perçues, selon ledit calcul, auraient entraîné les effets perturbateurs avancés par la requérante. L’avantage éventuel induit par cette quantité de fruits ne saurait expliquer le préjudice allégué.

22      Concernant les coûts d’assistance technique et juridique engagés par la requérante pour défendre ses droits, le Tribunal a rappelé, au point 69 de l’arrêt attaqué, que les frais exposés par les parties aux fins de la procédure juridictionnelle ne sauraient être considérés comme constituant un préjudice distinct de la charge des dépens de l’instance et que, selon sa jurisprudence, des dépens encourus au cours de la phase précédant la procédure juridictionnelle ne sont pas récupérables.

23      Enfin, le Tribunal a, au point 71 de l’arrêt attaqué, jugé que, en l’absence d’illégalité invoquée à l’encontre de la décision d’adjudication, contenue dans les notes des 6 et 13 mars 1996, et en l’absence de préjudice allégué constitué par la perte d’une chance, il n’y avait pas lieu de reconnaître un droit à indemnisation des frais de participation à la procédure d’appel d’offres sur la base de l’arrêt du Tribunal du 17 mars 2005, AFCon Management Consultants e.a./Commission (T‑160/03, Rec. p. II‑981, points 99 et 102).

 Les conclusions des parties au pourvoi

24      Par son pourvoi, Succhi di Frutta demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il juge l’affaire au fond à la lumière des indications que la Cour lui fournira, et

–        de condamner la Commission aux dépens afférents au pourvoi et à la procédure de première instance.

25      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi comme irrecevable et/ou non fondé, et

–        de condamner Succhi di Frutta aux dépens de l’instance.

 Sur le pourvoi

26      À l’appui de son pourvoi, Succhi di Frutta invoque douze moyens qu’elle répartit, en substance, en quatre groupes relatifs, en premier lieu, à la portée de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, en deuxième lieu, à la substitution des fruits, en troisième lieu, aux coefficients d’équivalence et, en quatrième lieu, aux frais exposés pour la défense de ses droits et la participation à la procédure d’appel d’offres.

27      Les trois premiers moyens étant étroitement liés, il y a lieu de les examiner conjointement.

 Sur les premier à troisième moyens du pourvoi, relatifs à la portée de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité

 Argumentation des parties

28      S’agissant de la portée de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, notamment des points 81 et 83 de celui-ci, en ce qui concerne la constatation d’un lien de causalité entre la décision de la Commission du 6 septembre 1996 et les préjudices allégués par suite des ventes à perte, Succhi di Frutta invoque, par son premier moyen, la dénaturation et la méconnaissance des arguments qu’elle a développés au sujet de cette question. Elle relève qu’elle n’a ni soutenu que son droit à réparation avait été reconnu en tant que simple conséquence de l’illégalité constatée de la décision du 6 septembre 1996 ni fait référence au point 83 de cet arrêt. En revanche, elle aurait, pour renforcer son action en réparation du préjudice, fait référence au point 81 dudit arrêt dans lequel la Cour aurait déjà reconnu l’existence d’un lien de causalité entre les préjudices qu’elle a subis et cette décision.

29      Les deuxième et troisième moyens sont tirés du fait que, aux points 29 à 31 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait violé le principe de l’autorité de la chose jugée. Il aurait ainsi méconnu la constatation effectuée par la Cour au point 81 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, selon laquelle il serait constant que la décision du 6 septembre 1996 aurait causé un préjudice à Succhi di Frutta et qu’il s’agirait d’un préjudice subi en tant qu’opérateur économique agissant sur le même marché que les adjudicataires. Cette conclusion ne pourrait être remise en cause pour la seule raison qu’elle aurait été établie dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours en annulation.

30      La Commission estime que la thèse de Succhi di Frutta relative à la dénaturation de son argumentation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En outre, la Cour n’aurait pas, au point 81 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, admis l’existence concrète d’un lien de causalité entre la décision du 6 septembre 1996 et le préjudice allégué par la requérante. Par ailleurs, en raison de la nature différente des procédures en question, la Cour, appelée à se prononcer sur l’intérêt de la requérante à demander l’annulation de ladite décision et sur l’illégalité de celle-ci, n’aurait pu constater l’existence d’un droit de la requérante à réparation ou de l’une des conditions auxquelles un tel droit est soumis, notamment celle relative au lien de causalité, d’autant moins que la demande d’indemnisation et le prétendu préjudice subi ont été invoqués pour la première fois dans l’affaire T‑226/01 ayant donné lieu à l’arrêt attaqué.

 Appréciation de la Cour

31      S’agissant de la référence faite par Succhi di Frutta à l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, il convient de constater que la requérante a, dans ses observations du 25 juin 2004, invoqué le point 81 et non le point 83 de cet arrêt, et que, à ce point 81, la Cour a, effectivement, visé les intérêts de la requérante en tant qu’opérateur économique agissant sur le même marché que les adjudicataires. Le Tribunal a donc méconnu, au point 28 de l’arrêt attaqué, cette référence à l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, ainsi que le préjudice visé dans celui-ci.

32      Toutefois, ces erreurs commises par le Tribunal ne sont pas de nature à invalider l’arrêt attaqué si le rejet du moyen invoqué en première instance et tiré de l’autorité de la chose jugée apparaît fondé pour d’autres motifs de droit (voir, en ce sens, notamment arrêts du 15 décembre 1994, Finsider/Commission, C‑320/92 P, Rec. p. I‑5697, point 37; du 30 septembre 2003, Biret International/Conseil, C‑93/02 P, Rec. p. I‑10497, point 60, ainsi que du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, non encore publié au Recueil, point 233).

33      À cet égard, il convient de constater que, selon une jurisprudence bien établie, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 44, et du 12 juin 2008, Commission/Portugal, C‑462/05, non encore publié au Recueil, point 23 et jurisprudence citée).

34      Or, en l’espèce, au point 81 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, la Cour s’est bornée à juger qu’il est constant que la décision du 6 septembre 1996 fait grief à Succhi di Frutta, en ce qu’elle est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause. Cette affirmation, énoncée pour justifier l’intérêt de la requérante à demander l’annulation de la décision susmentionnée, implique non pas la reconnaissance d’un lien de causalité entre cette même décision et le préjudice précis allégué dans le recours en indemnité, mais seulement la reconnaissance qu’un tel lien puisse exister. Contrairement à ce que Succhi di Frutta soutient au point 7 de son mémoire en réplique, tel est également le cas notamment dans les versions linguistiques allemande («dessen legitime Interessen verletzt haben kann») et anglaise («that it may prejudice its legitimate interests») dudit arrêt.

35      Dans ces conditions, l’autorité de la chose jugée ne saurait être valablement opposée par Succhi di Frutta, étant donné que l’existence d’un lien de causalité entre la décision du 6 septembre 1996 et les préjudices prétendument subis par suite des ventes à perte n’avait pas été constatée par l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité.

36      En conséquence, les trois premiers moyens du pourvoi doivent être écartés.

 Sur le quatrième moyen du pourvoi, tiré d’une interprétation erronée des conditions auxquelles est soumis l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté

 Argumentation des parties

37      Par son quatrième moyen, Succhi di Frutta reproche au Tribunal d’avoir commis, au point 30 de l’arrêt attaqué, une erreur de droit en ce qui concerne les conditions auxquelles est soumis l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Il aurait suggéré que les conditions d’ouverture du recours en indemnité seraient différentes selon qu’il s’agit d’un soumissionnaire participant à la procédure d’adjudication ou d’un opérateur économique agissant sur le même marché que les adjudicataires.

38      La Commission soutient que les considérations figurant au point 30 de l’arrêt attaqué, se limitant exclusivement à écarter l’argumentation de Succhi di Frutta relative à l’autorité de la chose jugée qui s’attacherait à l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, n’ont pas trait à l’interprétation et à la vérification de l’existence des trois conditions «classiques» auxquelles est soumis l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté. En tout état de cause, il ressortirait clairement des points 26, 27 et 36 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a fondé son jugement sur la jurisprudence constante relative à ces conditions.

 Appréciation de la Cour

39      Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, notamment, arrêts du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, Rec. p. I‑4549, point 17; du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 26, ainsi que du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, non encore publié au Recueil, point 106 et jurisprudence citée).

40      Le caractère cumulatif de ces conditions implique que, dès lors que l’une d’entre elles n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêts du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, points 14 et 63; Dorsch Consult/Conseil et Commission, précité, point 54, ainsi que du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 30).

41      Les considérations figurant au point 30 de l’arrêt attaqué ne concernent pas ces conditions d’ouverture du recours en indemnité, rappelées par le Tribunal aux points 26 et 27 de cet arrêt, conformément à la jurisprudence susmentionnée. En revanche, audit point 30, le Tribunal compare le préjudice invoqué dans le recours en indemnité dont il est saisi à celui dont la Cour a fait état au point 83 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, afin d’évaluer les effets de ce dernier arrêt sur la procédure ayant donné lieu à l’arrêt attaqué.

42      Dès lors, le quatrième moyen du pourvoi est non fondé, en ce qu’il repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, et doit, par conséquent, être écarté.

 Sur les cinquième à neuvième moyens du pourvoi, relatifs au préjudice subi en raison de la substitution des fruits à retirer

43      Les cinquième à neuvième moyens concernent les constatations du Tribunal relatives au préjudice subi en raison de la substitution des fruits à retirer et sont donc étroitement liés. Ainsi, il y a lieu de les examiner conjointement.

 Argumentation des parties

44      Par la première branche de son cinquième moyen, Succhi di Frutta invoque un défaut de motivation de l’arrêt attaqué. Elle estime que l’affirmation figurant au point 46 de cet arrêt, relative au comportement des adjudicataires, en l’absence de substitution, et aux conséquences de ce dernier sur les marchés en cause, ne serait qu’une simple supposition dénuée de toute preuve documentaire qui échapperait donc à toute forme de contrôle. En outre, cette affirmation ne pourrait être admise en raison de la capacité de production inférieure de Trento Frutta par rapport aux quantités de pêches et de nectarines à recevoir et de la dimension différente des marchés des fruits divers. La seconde branche de ce moyen est tirée de ce que le Tribunal aurait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des arguments de Succhi di Frutta, qui aurait clairement critiqué l’illégalité de la procédure d’adjudication dans ses observations.

45      La Commission estime que ladite affirmation a un caractère logique et qu’elle ne requiert aucune motivation supplémentaire. En outre, elle souligne que la requérante n’a jamais contesté la légalité du paiement au moyen de fruits retirés du marché, mais qu’elle a seulement critiqué la substitution des fruits prévus pour ce paiement.

46      Par son sixième moyen, Succhi di Frutta reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit au point 49 de l’arrêt attaqué. Celui-ci aurait méconnu la circonstance que la Cour aurait déjà jugé dans l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, que la substitution des fruits à retirer en paiement ne serait pas juridiquement «indifférente» dans le cadre de la procédure d’adjudication. En outre, les conclusions du Tribunal seraient fondées sur une prémisse erronée puisque les autres opérateurs ne disposaient pas de la possibilité d’obtenir des fruits à des conditions analogues à celles dont ont bénéficié les adjudicataires, les prix de retrait des fruits du marché étant largement supérieurs à la contre-valeur des fruits livrés aux adjudicataires.

47      La Commission estime que Succhi di Frutta transpose de manière erronée les considérations énoncées par la Cour dans le cadre de l’examen de la légalité de la procédure d’adjudication dans le contexte différent de l’appréciation de la réparation de dommages. En ce qui concerne cette appréciation, la substitution serait dénuée de pertinence dans la mesure où tous les fruits en question auraient fait l’objet d’un retrait du marché en l’absence de preneurs au prix de retrait. Le montant du prix ne concernerait que la fixation correcte du coefficient de substitution et non pas la substitution elle-même.

48      Le septième moyen soulevé par Succhi di Frutta est tiré de ce que, par la constatation opérée au point 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait violé le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, selon l’arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité (points 53 et 54), Trento Frutta aurait eu, depuis le 6 mars 1996, la certitude de recevoir des pêches.

49      La Commission relève que l’affirmation critiquée est non seulement correcte en fait, mais également conforme aux constatations de fait effectuées dans l’arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité. En outre, même si cette violation du principe de l’autorité de la chose jugée devait être admise, elle n’aurait pas d’incidence sur l’appréciation de l’existence d’un lien de causalité. Le Tribunal aurait indiqué à juste titre que la requérante n’avait pas apporté la preuve qu’une éventuelle connaissance par les adjudicataires de la substitution des fruits avait eu, sur leur comportement et sur leurs stratégies de marché, l’incidence alléguée.

50      Par son huitième moyen, Succhi di Frutta invoque, également à propos du point 53 de l’arrêt attaqué, une dénaturation des éléments de preuve qu’elle a apportés et un défaut de motivation en ce qui concerne les avantages liés à la connaissance de la substitution des fruits acquise par Trento Frutta antérieurement à ses concurrents, dès le mois de mars 1996.

51      La Commission estime que, par ce moyen, Succhi di Frutta demande en réalité à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits, lesquels ont déjà été examinés correctement par le Tribunal. Ledit moyen serait donc non seulement dénué de fondement, mais avant tout irrecevable.

52      Succhi di Frutta soutient, par son neuvième moyen, en ce qui concerne le point 52 de l’arrêt attaqué, que le Tribunal a violé les règles de procédure en n’ordonnant aucune des mesures prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, afin de déterminer les points sur lesquels les parties devaient compléter leur argumentation. En outre, le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve présentés par la requérante et violé les principes généraux régissant la charge de la preuve. La requérante aurait, d’une part, toujours contesté les données fournies par la Commission et, d’autre part, donné des informations précises sur les quantités de pommes retirées du marché italien et des autres marchés des États destinataires de l’avis d’adjudication au cours des années en question.

53      La Commission fait valoir que ce moyen relatif à l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal est également irrecevable et, en outre, non fondé, étant donné qu’il ne ressort des actes produits par la requérante aucun élément probant susceptible de contester les pourcentages concernés par la substitution de fruits, tels que calculés par ses services.

 Appréciation de la Cour

54      À titre liminaire, il convient de constater que ces cinq moyens concernent tous l’examen par le Tribunal de la question de savoir si les décisions des 22 juillet et 6 septembre 1996, en tant qu’elles ont eu pour objet d’opérer une substitution des fruits prévus en paiement des produits devant être fournis, ont effectivement provoqué le préjudice allégué par la requérante par suite de ventes à perte.

55      Le septième moyen, tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée, est non fondé. En effet, l’allégation selon laquelle Trento Frutta aurait eu la «certitude» de recevoir des pêches depuis le 6 mars 1996 ne trouve aucun appui dans les points 53 et 54 de l’arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité. Dans ces deux points, le Tribunal indique que, si, certes, une note de la Commission du 6 mars 1996 prévoyait la substitution des pêches aux pommes et aux oranges comme mode de paiement des fournitures de Trento Frutta, ce n’est que par la décision du 14 juin 1996 que la modification des modalités de paiement prévues pour les différents lots a été entérinée. Le Tribunal n’a donc pas méconnu l’autorité de la chose jugée en affirmant, au point 53 de l’arrêt attaqué, que «la certitude de recevoir des pêches ne date que de la décision de la Commission du 14 juin 1996».

56      En revanche, s’agissant du sixième moyen, il convient de constater que le Tribunal a commis l’erreur de droit invoquée par la requérante. Il a relevé au point 49 de l’arrêt attaqué que «la substitution n’a aucunement modifié, en elle même, le mécanisme fondamental de l’adjudication, à savoir l’octroi aux adjudicataires de fruits retirés du marché en raison de leur surabondance», alors que la Cour a jugé, aux points 117 et 120 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, que la substitution de fruits constituait la modification d’une condition importante de l’adjudication par laquelle les termes régissant l’attribution du marché, tels que stipulés initialement, ont été dénaturés.

57      Toutefois, il y a lieu de rappeler que, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit communautaire, alors que le dispositif de cet arrêt apparaît néanmoins fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté (voir, notamment, arrêts précités Finsider/Commission, point 37; Biret International/Conseil, point 60, ainsi que Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, point 233).

58      Force est de constater que la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal quant à l’absence de lien de causalité entre le comportement illégal de la Commission et le préjudice allégué est fondée pour d’autres motifs de droit.

59      Selon la jurisprudence, le lien de causalité requis pour l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est constitué dès lors que le préjudice est la conséquence directe de l’acte fautif en cause (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21; du 15 janvier 1987, GAEC de la Ségaude/Conseil et Commission, 253/84, Rec. p. 123, point 19, et du 28 juin 2007, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑331/05 P, Rec. p. I‑5475, point 23).

60      Il y a donc lieu de rechercher si l’acte illégal en cause en l’espèce est directement à l’origine du préjudice invoqué (voir arrêt du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, Rec. p. I‑359, point 28) pour établir l’existence d’un lien direct de cause à effet entre le comportement reproché à la Communauté et le dommage allégué (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1963, Société des Aciéries du Temple/Haute Autorité, 36/62, Rec. p. 583, 603, et Finsider e.a./Commission, précité, points 41 et 50).

61      En l’espèce, il est vrai que, sans les décisions autorisant la substitution des fruits à retirer en paiement, Trento Frutta n’aurait pas pu développer le comportement allégué par la requérante, à savoir retirer une grande quantité de pêches et de nectarines et, après leur transformation en jus de fruits ou en purée, vendre ces derniers produits à des prix particulièrement bas. La Commission a donc, par ses décisions illégales, créé une condition permettant ce comportement.

62      Toutefois, il n’en demeure pas moins que les prix pratiqués par Trento Frutta résultent du libre choix de cette entreprise. En effet, si Trento Frutta a, comme le soutient la requérante, décidé de retirer une certaine quantité de pêches et de nectarines aux lieu et place de pommes, d’oranges ou d’abricots ainsi que de répercuter intégralement son prétendu avantage concurrentiel lors de l’achat de pêches et de nectarines sur les prix de vente des produits dérivés bien qu’elle ait été, selon la requérante, obligée de sous-traiter partiellement la transformation des fruits retirés à des tiers, cette décision a été prise dans le cadre de l’autonomie de gestion dont bénéficiait cette entreprise.

63      En outre, la requérante invoque elle-même le fait que Trento Frutta a mis en œuvre un comportement spéculatif ainsi qu’une stratégie commerciale particulière et a décidé de poursuivre une politique agressive en matière de prix de vente afin de renforcer sa part du marché des produits dérivés de pêches et de nectarines.

64      Il s’ensuit que, en vue de l’autorisation de retirer d’autres fruits que ceux prévus par l’avis d’adjudication, Trento Frutta a disposé d’une marge de manœuvre considérable. Or, la requérante n’a pas démontré que la stratégie commerciale adoptée par Trento Frutta durant la campagne de retrait des pêches de 1996 était la seule réaction raisonnable du point de vue économique et donc la conséquence directe des décisions illégales de la Commission.

65      L’autorisation illégale de substituer des fruits à retirer en paiement n’a tout au plus constitué que l’un des éléments ayant eu une incidence sur la fixation des prix de vente des produits transformés par Trento Frutta.

66      Dans ces conditions, il ne peut être considéré que le préjudice prétendument subi par Succhi di Frutta a été directement causé par le comportement de la Commission, ce préjudice ayant résulté d’un choix discrétionnaire de Trento Frutta en matière de fixation de ses prix de vente. Ainsi, à la suite de ce choix, les pertes alléguées par la requérante ne découlent pas de façon suffisamment directe de l’illégalité des décisions des 22 juillet et 6 septembre 1996 pour que soit établi le lien de causalité nécessaire à la condamnation de la Communauté à réparer le dommage allégué.

67      Dès lors, les cinquième à neuvième moyens, invoqués à l’encontre de l’arrêt attaqué dans la mesure où, par celui-ci, le Tribunal a conclu à une absence de lien de causalité suffisamment direct entre la substitution des fruits et le préjudice allégué, doivent être écartés.

 Sur le dixième moyen du pourvoi, tiré d’une détermination erronée de la quantité de fruits à prendre en compte pour le calcul du préjudice

68      Succhi di Frutta reproche au Tribunal d’avoir procédé à une détermination erronée, aux points 58 et 59 de l’arrêt attaqué, de la quantité de fruits à prendre en compte pour le calcul du préjudice. À la suite du prononcé de l’arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité, et de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, le Tribunal aurait dû prendre en considération l’ensemble des pêches et des nectarines livrées à Trento Frutta.

69      La Commission considère que ce moyen a en réalité pour objet de contester les appréciations de faits auxquelles s’est livré le Tribunal et qu’il est donc irrecevable. En outre, Succhi di Frutta tenterait de transposer les conclusions contenues dans lesdits arrêts dans la présente procédure, si bien que ledit moyen serait également non fondé.

70      À supposer même que ce moyen soit recevable, il ne saurait, en tout état de cause, prospérer, eu égard aux considérations énoncées aux points 60 à 67 du présent arrêt.

 Sur le onzième moyen du pourvoi, relatif au remboursement des frais d’assistance technique et juridique

 Argumentation des parties

71      Succhi di Frutta fait valoir que le Tribunal a violé le principe général du droit à réparation du préjudice subi du fait d’un comportement jugé illégal en rejetant sa demande de remboursement des frais d’assistance technique et juridique. La constatation selon laquelle les frais exposés par les parties aux fins de la procédure juridictionnelle ne sauraient, comme tels, être considérés comme constituant un préjudice distinct de la charge des dépens de l’instance serait contraire aux considérations énoncées par le Tribunal dans son arrêt AFCon Management Consultants e.a./Commission, précité (points 104 à 109).

72      La Commission considère ce moyen comme non fondé pour plusieurs raisons. Il ne pourrait être pertinent que si un droit à réparation était reconnu à la requérante. En outre, l’arrêt attaqué serait conforme à la jurisprudence communautaire selon laquelle l’article 91 du règlement de procédure du Tribunal, qui régit les dépens récupérables, ne vise, par le terme «procédure», que la procédure suivie devant le Tribunal. Enfin, les conditions requises par l’arrêt AFCon Management Consultants e.a./Commission, précité, pour justifier le remboursement des frais d’assistance technique et juridique feraient défaut en l’espèce, et cela d’autant plus que l’adjudication n’aurait fait l’objet d’aucune contestation.

 Appréciation de la Cour

73      S’agissant des frais et dépens engagés par la requérante pour défendre ses droits, il convient de relever que la Commission a été condamnée, par l’arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité, et par l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, aux dépens de l’instance dans les affaires T‑191/96 et C‑496/99 P. En vertu de ces décisions, la requérante est donc habilitée à récupérer les frais afférents à ces affaires et remplissant les conditions prévues à l’article 91 du règlement de procédure du Tribunal ainsi qu’à l’article 73 du règlement de procédure de la Cour.

74      Néanmoins, Succhi di Frutta demande, en l’espèce, le remboursement d’un montant de frais prétendument engagés pour défendre ses droits, sans démontrer que ces frais, figurant sur les factures soumises au Tribunal, ne seraient pas compris dans les dépens sur lesquels le Tribunal et la Cour se sont respectivement prononcés dans lesdits arrêts, et qu’ils constitueraient, par conséquent, un préjudice distinct de ces dépens, découlant directement du comportement reproché à la Commission.

75      À cet égard, si, lors de l’audience devant le Tribunal, la demande d’indemnité de 85 248, 22 euros (165 063 564 ITL) a été réduite à 28 628 euros, afin de tenir compte du remboursement des dépens effectué dans le cadre de l’arrêt du 14 octobre 1999, CAS Succhi di Frutta/Commission, précité, la requérante n’a apporté, dans son pourvoi, aucun élément permettant de vérifier si les frais inclus dans la somme restante représentent un préjudice distinct de la charge que constituent les dépens de l’instance.

76      Dès lors, le onzième moyen du pourvoi doit être écarté comme non fondé.

 Sur le douzième moyen du pourvoi, tiré de la violation du droit à réparation du préjudice constitué par les frais de participation à l’adjudication

 Argumentation des parties

77      Succhi di Frutta reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’arrêt AFCon Management Consultants e.a./Commission, précité, en rejetant la demande en remboursement des frais de participation à la procédure d’appel d’offres. Cette demande serait fondée dès lors que la présomption selon laquelle, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, la Commission agit de manière impartiale et dans le respect du principe de transparence afin de garantir que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances était renversée.

78      La Commission soutient que, en l’espèce, la demande en réparation du préjudice allégué est fondée sur des événements postérieurs à l’adjudication et que le Tribunal a donc correctement appliqué les conditions auxquelles est soumise une telle demande en vertu dudit arrêt.

 Appréciation de la Cour

79      Il y a lieu de rappeler que les opérateurs économiques doivent supporter les risques inhérents à leurs activités, eu égard aux circonstances propres à chaque cas d’espèce. Dans le cadre d’une procédure d’adjudication, ces risques économiques comprennent, notamment, les coûts liés à la préparation de l’offre. Les dépenses ainsi engagées restent donc à la charge de l’entreprise qui a choisi de participer à la procédure, la faculté de concourir pour l’attribution d’un marché n’impliquant pas la certitude d’emporter l’adjudication qui en résulte.

80      En outre, selon l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2009/95, la Commission est libre de décider, pour chaque lot, de ne procéder à aucune attribution. Il s’ensuit que même le soumissionnaire qui avait proposé l’offre la plus avantageuse n’était pas assuré d’obtenir le marché.

81      Par conséquent, en principe, les charges et les frais encourus par un soumissionnaire pour sa participation à un appel d’offres ne sauraient constituer un préjudice susceptible d’être réparé par l’octroi de dommages et intérêts.

82      Cependant, ce principe ne saurait, sans risquer de porter atteinte aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, s’appliquer dans les cas où une violation du droit communautaire dans la conduite de la procédure d’appel d’offres a affecté les chances d’un soumissionnaire de se voir attribuer un marché.

83      En l’espèce, Succhi di Frutta n’a contesté ni la désignation de Trento Frutta et de Loma en tant qu’adjudicataires ni la procédure préalable à l’adjudication. Elle n’a invoqué que des illégalités intervenues postérieurement à l’adjudication, au cours de l’exécution de celle-ci. Certes, la Cour a, au point 62 de l’arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, précité, jugé que des irrégularités commises par le pouvoir adjudicateur après l’attribution du marché peuvent avoir pour effet de remettre en cause la légalité de la procédure d’adjudication dans son ensemble. Toutefois, Succhi di Frutta n’a ni démontré ni même allégué que, en l’espèce, la substitution des fruits à retirer aurait affecté ses chances d’obtenir le marché en cause.

84      Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant la demande de remboursement des frais de participation à la procédure d’appel d’offres. Il convient, par conséquent, d’écarter le douzième moyen du pourvoi comme non fondé.

85      Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

86      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Succhi di Frutta et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      CAS Succhi di Frutta SpA est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.