ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

2 avril 2009 ?(1)

«Procédure – Demande en révision – Demande relative à une ordonnance rendue en vertu de l’article 119 du règlement de procédure – Conditions – Pourvoi – Fait nouveau – Irrecevabilité»

Dans l’affaire C-255/06 P-REV,

Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret AŞ, établie à Ümraniye Istanbul (Turquie), représentée par Me R. Sinner, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie demanderesse en révision,

ayant pour objet un recours tendant à obtenir la révision de l’ordonnance du 5 juillet 2007, Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret/Conseil et Commission (C-255/06 P),

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et D. Canga Fano, en qualité d’agents,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. X. Lewis, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, déposée au greffe de la Cour le 20 mars 2008, Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret AŞ (ci-après «Yedaş Tarim») a introduit, en vertu de l’article 44 du statut de la Cour de justice, une demande en révision de l’ordonnance du 5 juillet 2007, Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret/Conseil et Commission (C‑255/06 P, ci-après l’«ordonnance attaquée»).

2        Par cette ordonnance, la Cour a, en application de l’article 119 du règlement de procédure, rejeté dans son intégralité, comme étant pour partie manifestement irrecevable et pour partie manifestement non fondé, le pourvoi formé par la requérante contre l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 mars 2006, Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret/Conseil et Commission (T‑367/03, Rec. p. II-873).

3        Ledit pourvoi visait à l’annulation de cet arrêt par lequel le Tribunal a rejeté le recours en indemnité formé par Yedaş Tarim tendant à obtenir la réparation du dommage prétendument causé par l’application des procédures de l’union douanière instituée par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association»), et ses protocoles additionnels ainsi que par la décision n° 1/95 du Conseil d’association CE-Turquie, du 22 décembre 1995, relative à la mise en place de la phase définitive de l’union douanière (JO 1996, L 35, p. 1).

4        Plus particulièrement, Yedaş Tarim, une société de droit turc dont l’activité consiste en l’importation et la fabrication de roulements à billes ainsi qu’en l’importation de carters et de courroies, a allégué que, à la suite de l’entrée en vigueur de l’union douanière entre la Communauté européenne et la République de Turquie, et, par conséquent, de la suppression de tous les droits de douane, impôts et autres charges relatives aux importations de roulements à billes et de carters, l’accroissement des importations vers la Turquie qui en a résulté a eu un effet négatif sur les activités d’importation et de production de cette dernière, lui causant des pertes financières entre l’année 1996 et l’année 2003.

5        Dans l’ordonnance attaquée, la Cour a jugé que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, premièrement, en considérant que les dispositions de l’accord d’association et, plus particulièrement, ses articles 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 6 constituent des dispositions de nature programmatique et n’ont pas d’effet direct ni, deuxièmement, en n’admettant pas un avocat inscrit au barreau d’un État tiers, à savoir la République de Turquie, à plaider devant lui au nom de la requérante. La Cour a jugé qu’il n’a, de même, pas commis une telle erreur, troisièmement, en rejetant à juste titre l’argument effectivement soulevé par la requérante, selon lequel la responsabilité de la Communauté serait engagée en raison du fait qu’elle n’a pas poursuivi la République hellénique eu égard à sa prise de position à propos du soutien financier apporté à la République de Turquie, et en estimant, de ce fait, que l’absence d’engagement d’une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE ne saurait être constitutive d’une illégalité et être, dès lors, de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Quatrièmement, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en rappelant l’exigence d’un lien direct de causalité entre le comportement fautif et le dommage invoqué ainsi que la nécessité, pour la partie requérante, d’apporter la preuve d’un tel lien direct.

 Sur la demande en révision

6        Yedaş Tarim conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        déclarer cette demande en révision de l’[ordonnance attaquée] recevable et fixer une audience;

–        accueillir cette demande en révision de l’[ordonnance attaquée] conformément à l’article 98 du règlement de procédure de la Cour, et

–        condamner les parties défenderesses aux dépens.

7        Le Conseil de l’Union européenne demande à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter la demande en révision comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, non fondée, et

–        condamner la requérante aux dépens, y compris ceux du Conseil.

8        La Commission des Communautés européennes demande à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter la demande en révision, et

–        condamner la demanderesse aux dépens.

 Argumentation des parties

9        À l’appui de sa demande, Yedaş Tarim invoque l’existence de deux éléments factuels qui ne pouvaient être connus lorsque l’ordonnance attaquée a été rendue et qu’elle qualifie, de ce fait, de nouveaux. Selon elle, ces éléments nouveaux justifient la révision de l’ordonnance attaquée car ils exerceraient une influence décisive sur l’affaire.

10      En premier lieu, la requérante se réfère à une déclaration faite par la République hellénique avant son adhésion aux Communautés selon laquelle ce pays, en tant qu’État membre, ne porterait ni atteinte ni préjudice à la République de Turquie, que ce soit en droit ou en fait. De plus, elle fait état d’un procès-verbal d’une réunion du Conseil de la Communauté économique européenne, qui s’est tenue à Luxembourg le 24 juin 1975, selon lequel l’adhésion de la République hellénique n’affecterait ni les relations entre la Communauté et la République de Turquie ni les droits faisant l’objet de l’accord d’association. En dépit de ces textes, la République hellénique aurait pourtant opposé son veto à l’aide financière proposée à la République de Turquie par la Communauté. La requérante déclare qu’elle n’a pas pu accéder à ladite déclaration, une requête introduite sur la base de la loi turque relative au droit de l’information ayant été rejetée, le 28 décembre 2007, en raison de la confidentialité dudit document.

11      En second lieu, la requérante semble considérer que l’arrêt du 14 novembre 1989, Grèce/Commission (30/88, Rec. p. 3711), rejetant le recours introduit le 27 janvier 1988 par la République hellénique contre la Commission et visant à l’annulation de trois décisions de cette institution concernant des projets de financement au titre d’une aide spéciale à la République de Turquie dans le cadre de la décision n° 2/80 du Conseil d’association CE-Turquie, constituerait un fait nouveau.

12      Outre ces deux éléments factuels, la requérante soulève plusieurs arguments à l’encontre de l’ordonnance attaquée relatifs, notamment, au respect de ses droits de la défense tels que garantis par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, à la motivation de l’ordonnance attaquée, au respect du principe de la confiance légitime ainsi qu’à l’appréciation de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement fautif allégué et les dommages subis.

13      Le Conseil et la Commission estiment que la demande en révision ne répond manifestement pas aux exigences de l’article 44 du statut de la Cour de justice. Ils affirment que les faits prétendument nouveaux présentés par la requérante, même s’ils lui étaient inconnus avant le prononcé de l’ordonnance attaquée, n’ont, en tout état de cause, pas pu exercer une influence décisive sur l’issue de la procédure. En outre, la demande ne précise pas à quelle date lesdits faits ont été découverts, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer si le délai de trois mois fixé à l’article 98 du règlement de procédure, délai dans lequel la révision doit être demandée et courant à compter du jour où le demandeur a eu connaissance du fait sur lequel sa demande est basée, a bien été respecté. Le Conseil souligne, en outre, que la demande ne satisfait pas aux critères minimaux en ce qui concerne le caractère cohérent, compréhensible et non équivoque d’une requête. Le Conseil comme la Commission concluent, par conséquent, que la demande en révision doit être rejetée comme irrecevable, conformément à l’article 100 du règlement de procédure.

 Appréciation de la Cour

14      Afin d’apprécier la recevabilité de la demande en révision, il convient de rappeler que, conformément à l’article 44 du statut de la Cour de justice, la révision d’un arrêt ne peut être demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision.

15      Bien que la lettre de l’article 44 du statut de la Cour de justice ne prévoie pas expressément qu’une ordonnance de la Cour peut faire l’objet d’une demande en révision, il y a lieu de relever qu’une ordonnance qui a rejeté un pourvoi comme étant pour partie manifestement irrecevable et pour partie manifestement non fondé, en application de l’article 119 du règlement de procédure, produit des effets analogues à ceux d’un arrêt qui aurait rejeté un pourvoi comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé. Dès lors, il convient d’admettre que, en cas de découverte d’un fait nouveau et décisif, un recours en révision peut être formé à l’encontre d’une telle ordonnance (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 1998, Inpesca/ Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P‑REV, Rec. p. I‑831, point 16).

16      Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la révision constitue non une voie d’appel, mais une voie de recours extraordinaire permettant de mettre en cause l’autorité de la chose jugée attachée à un arrêt définitif ou à une ordonnance rendue en application de l’article 119 du règlement de procédure en raison des constatations de fait sur lesquelles la juridiction s’est fondée. La révision présuppose la découverte d’éléments de nature factuelle, antérieurs au prononcé de l’arrêt ou de l’ordonnance, inconnus jusque-là de la juridiction qui a rendu cet arrêt ou cette ordonnance ainsi que de la partie demanderesse en révision et qui, si ladite juridiction avait pu les prendre en considération, auraient été susceptibles de l’amener à consacrer une solution différente de celle apportée au litige (voir, notamment, arrêts du 7 mars 1995, ISAE/VP et Interdata/Commission, C-130/91 REV, Rec. p. I‑407, point 6, ainsi que du 29 novembre 2007, Meister/OHMI, C‑12/05 P-REV, point 16 et jurisprudence citée).

17      Eu égard au caractère extraordinaire de la procédure en révision, les conditions de recevabilité d’une demande en révision d’un arrêt ou d’une ordonnance rendu en application de l’article 119 du règlement de procédure sont d’interprétation stricte.

18      En ce qui concerne le premier fait invoqué par la requérante, mentionné au point 10 du présent arrêt, à supposer même que tant l’existence de la déclaration unilatérale de la République hellénique faite avant son adhésion aux Communautés que celle du procès-verbal de la réunion du Conseil du 24 juin 1975 auraient été découvertes par la requérante après le prononcé de l’ordonnance attaquée, ces textes ne pourraient avoir eu des conséquences sur l’interprétation de l’accord d’association retenue dans cette ordonnance, selon laquelle les dispositions des articles 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 6 de cet accord ne sont pas suffisamment précises et inconditionnelles, et constituent, de ce fait, des dispositions de nature programmatique.

19      En effet, les textes auxquels la requérante fait référence sont essentiellement de nature politique et ne peuvent pas constituer une source autonome de droits ou d’obligations. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, ni des prises de position individuelles ni une déclaration commune des États membres ne sauraient être retenues pour interpréter une disposition lorsque leur contenu ne trouve aucune expression dans le libellé de cette disposition, de sorte qu’elles n’ont, dès lors, pas de portée juridique (voir, notamment, arrêts du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime, C-197/94 et C-252/94, Rec. p. I‑505, point 51, ainsi que du 3 décembre 1998, KappAhl, C-233/97, Rec. p. I‑8069, point 23).

20      S’agissant du second fait identifié par la requérante et évoqué au point 11 du présent arrêt, force est de constater qu’un arrêt de la Cour, faisant de surcroît l’objet d’une publication au Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance, ne peut pas être considéré comme étant inconnu de la Cour et de la requérante. Ledit arrêt ne saurait, par conséquent, constituer un fait nouveau.

21      Il s’ensuit que, eu égard à la nature des deux faits invoqués par la requérante, les conditions auxquelles une demande en révision doit satisfaire afin d’être accueillie, rappelées au point 16 du présent arrêt, ne sont pas réunies.

22      En outre, il découle de l’article 99, paragraphe 1, sous b) et d), du règlement de procédure qu’une demande en révision doit indiquer, d’une part, les points sur lesquels l’ordonnance est attaquée et, d’autre part, les moyens de preuve tendant tant à démontrer qu’il existe des faits justifiant la révision qu’à établir que le délai prévu à l’article 98 dudit règlement a été respecté. Selon cette dernière disposition, la révision est demandée au plus tard dans un délai de trois mois à compter du jour où le demandeur a eu connaissance du fait sur lequel la demande en révision est basée.

23      À cet égard, la Cour constate que la requérante n’a aucunement établi un lien entre les faits invoqués et les points sur lesquels l’ordonnance en cause est attaquée. En effet, et ainsi que l’a fait remarquer le Conseil, la demande en révision, dans son ensemble, manque de cohérence et de précision, alors que ces caractères sont requis par l’article 99 du règlement de procédure, lu en combinaison avec l’article 38 dudit règlement (voir, en ce sens, arrêts du 26 avril 2007, Commission/Finlande, C‑195/04, Rec. p. I‑3351, point 22, et du 21 février 2008, Commission/Italie, C-412/04, Rec. p. I‑619, point 103).

24      De surcroît, la demande en révision ne contient aucune indication relative au moment auquel les faits invoqués ont été découverts, de sorte qu’il n’est pas possible d’établir si celle-ci a été introduite avant l’expiration du délai prescrit par l’article 98 du règlement de procédure.

25      Quant à la critique exprimée dans la demande en révision à l’égard du rejet, par l’ordonnance attaquée, du pourvoi formé par la requérante contre l’arrêt Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret/Conseil et Commission, précité, la Cour rappelle que, ainsi que cela ressort du point 16 du présent arrêt, la procédure de révision constitue non pas une voie d’appel, mais une voie de recours extraordinaire. Les griefs formulés à cet égard dans cette demande sortent, dès lors, manifestement de l’objet d’une procédure de révision.

26      Dans ces conditions, en application de l’article 100, paragraphe 1, du règlement de procédure, la présente demande en révision doit être rejetée comme irrecevable.

 Sur les dépens

27      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante, et cette dernière ayant succombé en sa demande, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      La demande en révision introduite par Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret AŞ est rejetée.

2)      Yedaş Tarim ve Otomotiv Sanayi ve Ticaret AŞ est condamnée aux dépens.

Signatures


1? Langue de procédure: l’anglais