Affaire C-177/06

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d'Espagne

«Aides d'État — Régime d'aides — Incompatibilité avec le marché commun — Décision de la Commission — Exécution — Suppression du régime d’aides — Suspension des aides non encore versées — Récupération des aides mises à disposition — Manquement — Moyens de défense — Illégalité de la décision — Impossibilité absolue d’exécution»

Sommaire de l'arrêt

1.        Recours en manquement — Non-respect d'une décision de la Commission relative à une aide d'État — Moyens de défense

(Art. 88, § 2, al. 2, CE, 226 CE, 227 CE, 230 CE et 232 CE)

2.        Recours en manquement — Non-respect d'une décision de la Commission relative à une aide d'État — Moyens de défense

(Art. 88, § 2, CE)

3.        Recours en manquement — Non-respect d'une décision de la Commission relative à une aide d'État — Inexécution de la décision

(Art. 88, § 2, CE)

1.        Le système des voies de recours établi par le traité distingue les recours visés aux articles 226 CE et 227 CE, qui tendent à faire constater qu'un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent, et les recours visés aux articles 230 CE et 232 CE, qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions communautaires. Ces voies de recours poursuivent des objectifs distincts et sont soumises à des modalités différentes. Un État membre ne saurait donc utilement, en l'absence d'une disposition du traité l'y autorisant expressément, invoquer l'illégalité d'une décision dont il est destinataire comme moyen de défense à l'encontre d'un recours en manquement fondé sur l'inexécution de cette décision. Il ne pourrait en être autrement que si l'acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d'acte inexistant. Cette constatation s'impose également dans le cadre d'un recours en manquement fondé sur l'article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE.

Dans le cadre d'un recours en manquement fondé sur l'article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, et hormis l'hypothèse de l'inexistence de l'acte, un État membre ne peut donc être admis à opposer l'illégalité d'une décision négative de la Commission lorsqu'un recours direct contre cette décision est pendant devant le juge communautaire.

(cf. points 30-32, 37)

2.        Le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision.

(cf. point 46)

3.        Dans le cadre d'un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, CE, la Cour n'a pas à examiner le chef de conclusions visant à faire condamner un État membre pour ne pas avoir informé la Commission des mesures d'exécution d'une décision déclarant un régime d'aides incompatible avec le marché commun et imposant sa suppression, la suspension des aides non encore versées ainsi que la récupération des aides déjà versées, lorsque cet État membre n'a précisément pas procédé à l'exécution de ces obligations dans les délais prescrits.

(cf. points 53-54)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

20 septembre 2007 (*)

«Aides d’État – Régime d’aides – Incompatibilité avec le marché commun – Décision de la Commission – Exécution – Suppression du régime d’aides – Suspension des aides non encore versées – Récupération des aides mises à disposition – Manquement – Moyens de défense – Illégalité de la décision – Impossibilité absolue d’exécution»

Dans l’affaire C‑177/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, introduit le 4 avril 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. K. Schiemann, faisant fonction de président de la deuxième chambre, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), J.-C. Bonichot, T. von Danwitz et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 avril 2007,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prenant pas, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des articles 2 et 3 des décisions:

–        2003/28/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, concernant un régime d’aide d’État mis à exécution par l’Espagne en 1993 en faveur de certaines entreprises nouvellement créées dans la province d’Álava (Espagne) (JO 2003, L 17, p. 20);

–        2003/86/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, concernant un régime d’aide d’État mis à exécution par l’Espagne en 1993 en faveur de certaines entreprises nouvellement créées dans la province de Vizcaya (Espagne) (JO 2003, L 40, p. 11);

–        2003/192/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, concernant un régime d’aide d’État mis à exécution par l’Espagne en 1993 en faveur de certaines entreprises nouvellement créées dans la province de Guipúzcoa (Espagne) (JO 2003, L 77, p. 1, ci‑après, ensemble, les «décisions litigieuses»),

ou, en tout état de cause, en ne lui ayant pas communiqué ces mesures conformément à l’article 4 de ces décisions, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu desdites dispositions.

I –  Les antécédents du litige

2        En 1993, les provinces basques d’Álava, de Vizcaya et de Guipúzcoa ont adopté des mesures fiscales visant à favoriser la création d’entreprises.

3        L’article 14 de chacune des lois provinciales nos 18/1993 du 5 juillet de la province d’Álava, 5/1993 du 24 juin de la province de Vizcaya et 11/1993 du 26 juin de la province de Guipúzcoa, toutes trois intitulées «Mesures fiscales urgentes de soutien à l’investissement et de stimulation de l’activité économique» (Medidas Fiscales Urgentes de Apoyo a la Inversión e impulso de la Actividad Económica), exempte de l’impôt sur les sociétés, pendant une période de dix exercices fiscaux consécutifs, les entreprises créées entre la date d’entrée en vigueur de la loi provinciale et le 31 décembre 1994, à condition, notamment, qu’elles:

–        entament leur activité avec un capital libéré minimal de 20 millions de ESP;

–        réalisent des investissements entre la date de création de la société et le 31 décembre 1995 pour un montant minimal de 80 millions de ESP, et

–        créent au moins dix emplois dans les six mois suivant le début de leur activité.

4        Par lettre du 28 novembre 2000, la Commission a ouvert à l’encontre du Royaume d’Espagne la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE en ce qui concerne chacun de ces trois régimes fiscaux (ci-après, ensemble, les «mesures fiscales litigieuses»).

5        Par requêtes déposées le 9 février 2001, la Diputación Foral de Álava (affaire T‑30/01), la Diputación Foral de Guipúzcoa (affaire T-31/01) et la Diputación Foral de Vizcaya (affaire T-32/01) ont formé trois recours en annulation devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, chacune à l’encontre de la décision d’ouverture de cette procédure la concernant.

6        À l’issue des procédures formelles d’examen, la Commission a adopté les décisions litigieuses.

7        L’article 1er de chacune de ces décisions qualifie d’aide d’État le régime fiscal en cause et le déclare incompatible avec le marché commun.

8        Les articles 2 à 4 de chacune des mêmes décisions sont rédigés comme suit:

 «Article 2

L’Espagne est tenue de supprimer le régime d’aides visé à l’article 1er dans la mesure où il serait encore en vigueur.

 Article 3

1.      L’Espagne prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de leurs bénéficiaires les aides visées à l’article 1er et déjà illégalement mises à leur disposition. Quant aux aides non encore versées, l’Espagne doit suspendre tout versement.

2.      La récupération a lieu sans délai, conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. […]

 Article 4

L’Espagne informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures qu’elle a prises pour s’y conformer.»

9        Les trois décisions ont été notifiées au Royaume d’Espagne par lettres du 28 décembre 2001.

10      Le délai de deux mois visé à l’article 4 de chacune d’elles a expiré sans que la Commission ait, selon elle, été informée de l’adoption de mesures d’exécution.

11      Par requêtes déposées le 26 mars 2002, la Diputación Foral d’Álava (affaire T‑86/02), la Diputación Foral de Vizcaya (affaire T-87/02) et la Diputación Foral de Guipúzcoa (affaire T-88/02) ont formé trois recours en annulation devant le Tribunal, chacune à l’encontre de la décision négative la concernant.

12      Les affaires T-30/01 à T-32/01 et T-86/02 à T-88/02 ont été jointes par le Tribunal et sont actuellement pendantes devant cette juridiction.

13      À la suite de différents échanges et rappels postérieurs au 1er mars 2002, la Commission, estimant que le Royaume d’Espagne ne lui avait toujours pas communiqué des informations sur l’exécution des décisions litigieuses, a décidé d’introduire le présent recours en manquement.

II –  La procédure devant la Cour

14      Le 27 février 2007, la Cour a rejeté une demande présentée par le Royaume d’Espagne sur le fondement de l’article 82 bis du règlement de procédure et visant à la suspension de la procédure jusqu’au prononcé des arrêts dans les six affaires pendantes devant le Tribunal.

III –  Sur le recours

A –   Argumentation des parties

1.     Argumentation de la Commission

15      La Commission invoque les articles 249 CE et 88, paragraphe 2, CE.

16      Selon elle, à l’expiration du délai de deux mois imparti par l’article 4 de chacune des décisions litigieuses, le Royaume d’Espagne, en méconnaissance des articles 2 et 3 de celles-ci, n’avait pas supprimé les régimes d’aides dans la mesure où ils auraient été encore en vigueur, ni suspendu les aides non encore versées, ni mis en œuvre la récupération des aides déjà versées.

17      La Commission relève que, même à la date d’introduction du présent recours, les décisions n’avaient toujours pas été exécutées, malgré de multiples rappels.

18      Elle soutient que le seul moyen susceptible d’être invoqué par un État membre contre le recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter la décision. Or, cette condition ne serait pas remplie en l’espèce.

19      En aucun cas, le Royaume d’Espagne ne serait recevable à invoquer l’illégalité des décisions litigieuses, dès lors qu’il n’a pas introduit de recours en annulation de celles-ci.

2.     Argumentation du gouvernement espagnol

20      Le gouvernement espagnol soulève, à titre principal, une exception tirée de l’illégalité des décisions litigieuses. Subsidiairement, il conteste qu’un manquement puisse lui être imputé dans l’exécution de ces décisions.

a)     Illégalité des décisions litigieuses

21      Se référant à l’arrêt du 1er avril 2004, Commission/Italie (C-99/02, Rec. p. I‑3353, point 16 et la jurisprudence citée), analysé a contrario, le gouvernement espagnol estime qu’il est recevable à invoquer l’illégalité des décisions négatives de la Commission, bien qu’il n’ait pas introduit de recours en annulation. En effet, ces décisions ne seraient pas définitives, dans la mesure où elles sont l’objet de recours en annulation pendants, introduits devant le Tribunal par les gouvernements provinciaux concernés.

22      L’exception soulevée se subdivise en six branches, tirées respectivement d’un détournement de pouvoir, d’une application de lignes directrices qui n’étaient pas en vigueur lors de l’adoption des mesures fiscales litigieuses, d’une violation de l’article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), d’une violation des droits de la défense dans le cadre de la procédure d’examen préliminaire, d’une violation des droits de la défense dans le cadre de la procédure formelle d’examen et d’une violation de l’obligation de motivation.

b)     Inexistence d’un manquement

23      Le gouvernement espagnol conteste l’existence d’un manquement en ce qui concerne les obligations de supprimer les régimes d’aides dans la mesure où ils auraient été encore en vigueur, celles de suspendre les aides non encore versées et celles de récupérer les aides déjà mises à disposition.

i)     Obligations de suppression des régimes d’aides dans la mesure où ils auraient été encore en vigueur et de suspension des aides non encore versées

24      Le gouvernement espagnol rappelle que les mesures fiscales litigieuses consistaient en des exemptions d’impôt sur les sociétés pour une période de dix exercices fiscaux consécutifs à compter de celui de la création de la nouvelle société.

25      Ces mesures, bien que n’ayant pas été formellement abrogées, auraient été en vigueur pour une durée limitée, puisque, applicables à des sociétés constituées entre l’entrée en vigueur des lois provinciales nos 18/1993, 5/1993 et 11/1993, en 1993, et le 31 décembre 1994, elles ne pouvaient donner lieu à des exemptions que jusqu’à la déclaration présentée au plus tard au mois de juillet 2005.

26      Dans ces conditions, les régimes fiscaux en cause auraient cessé de produire effet.

ii)  Obligations de récupération des aides déjà mises à disposition

27      Le gouvernement espagnol estime que la Commission, à tort, lui a fait grief d’avoir opté, aux fins de la récupération des aides déjà mises à disposition, pour la procédure de droit interne de déclaration du caractère préjudiciable des actes annulables, procédure qui, selon la Commission, aurait été de nature à compliquer de façon extraordinaire la récupération.

28      Or, la procédure choisie aurait été, en réalité, la procédure de révision des actes nuls, qui serait la procédure adéquate pour exécuter correctement les décisions litigieuses.

29      Par suite, dans la mesure où la Commission aurait commis une erreur en faisant grief au Royaume d’Espagne d’avoir choisi une procédure de récupération qui ne permettrait nullement d’exécuter les décisions litigieuses, un manquement ne pourrait être imputé à cet État membre.

B –  Appréciation de la Cour

1.     Sur l’exception tirée de l’illégalité des décisions litigieuses

30      Le système des voies de recours établi par le traité CE distingue les recours visés aux articles 226 CE et 227 CE, qui tendent à faire constater qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent, et les recours visés aux articles 230 CE et 232 CE, qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions communautaires. Ces voies de recours poursuivent des objectifs distincts et sont soumises à des modalités différentes. Un État membre ne saurait donc utilement, en l’absence d’une disposition du traité l’y autorisant expressément, invoquer l’illégalité d’une décision dont il est destinataire comme moyen de défense à l’encontre d’un recours en manquement fondé sur l’inexécution de cette décision (voir, notamment, arrêts du 22 mars 2001, Commission/France, C-261/99, Rec. p. I-2537, point 18, et du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C-404/00, Rec. p. I-6695, point 40).

31      Il ne pourrait en être autrement que si l’acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d’acte inexistant (arrêts précités Commission/France, point 19, et Commission/Espagne, point 41).

32      Cette constatation s’impose également dans le cadre d’un recours en manquement fondé sur l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE (arrêts précités Commission/France, point 20, et Commission/Espagne, point 42).

33      À cet égard, force est de constater que le Royaume d’Espagne n’a pas allégué dans ses mémoires que les décisions litigieuses seraient affectées d’un vice propre à mettre en cause l’existence même de ces actes.

34      En tout état de cause, le gouvernement espagnol ne peut, en se référant à l’arrêt Commission/Italie, précité, invoquer utilement les recours en annulation pendants devant le Tribunal, introduits par les provinces concernées.

35      La circonstance que la Cour a, dans cet arrêt ainsi que dans d’autres arrêts, entendu souligner que, dans les cas d’espèce dont elle était saisie, un recours en annulation n’avait pas été introduit dans le délai prévu ou qu’un tel recours avait été rejeté ne permet pas, à elle seule, de conclure que l’illégalité d’un acte communautaire pourrait, à l’inverse, être invoquée en défense dans le cadre d’un recours en manquement au seul motif qu’un recours en annulation introduit contre ledit acte serait pendant.

36      En effet, il importe de rappeler que les décisions litigieuses jouissent d’une présomption de légalité et que, en dépit de l’existence de recours en annulation, elles demeurent obligatoires dans tous leurs éléments pour le Royaume d’Espagne (voir arrêt Commission/France, précité, point 26).

37      Il s’ensuit que, dans le cadre d’un recours en manquement fondé sur l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, et hormis l’hypothèse de l’inexistence de l’acte, un État membre ne peut être admis à opposer l’illégalité d’une décision négative de la Commission lorsqu’un recours direct contre cette décision est pendant devant le juge communautaire (voir, à propos d’affaires dans lesquelles des recours en annulation étaient pendants, arrêts du 27 juin 2000, Commission/Portugal, C‑404/97, Rec. p. I‑4897, et du 1er juin 2006, Commission/Italie, C‑207/05, non publié au Recueil).

38      Il résulte de ce qui précède que l’exception examinée doit être rejetée comme irrecevable.

2.     Sur l’existence du manquement

a)     Sur les griefs relatifs aux obligations de suppression des régimes d’aides dans la mesure où ils seraient encore en vigueur et de suspension des aides non encore versées

39      L’article 2 de chacune des décisions litigieuses impose au Royaume d’Espagne de supprimer le régime d’aides en cause dans la mesure où il serait encore en vigueur. L’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, de chacune des mêmes décisions prescrit la suspension des aides non encore versées.

40      Ainsi que le souligne le gouvernement espagnol, les régimes d’aides n’étaient applicables qu’aux sociétés constituées au plus tard le 31 décembre 1994.

41      Cependant, ils devaient sortir leurs effets au cours de dix exercices fiscaux, soit plusieurs années au-delà des décisions litigieuses.

42      En exécution des articles 2 et 3, paragraphe 1, seconde phrase, de chacune de celles‑ci, il incombait en conséquence au Royaume d’Espagne d’assurer l’abrogation des régimes d’aides ainsi que la suspension des droits à exemption d’impôt non encore mis en œuvre.

43      Le gouvernement espagnol ne conteste pas que les régimes d’aides n’ont pas été abrogés et que les droits à exemption d’impôt non encore mis en œuvre à la date des décisions litigieuses n’ont pas été suspendus.

44      Il en résulte que les griefs de la Commission relatifs aux articles 2 et 3, paragraphe 1, seconde phrase, de chacune des décisions litigieuses sont fondés.

b)     Sur les griefs relatifs aux obligations de récupération des aides déjà mises à disposition

45      En cas de décision négative concernant une aide illégale, la récupération de celle‑ci ordonnée par la Commission a lieu dans les conditions prévues à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, aux termes duquel:

«[…] la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.»

46      Selon une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision (voir, notamment, arrêts précités Commission/France, point 23; Commission/Espagne, point 45, et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C-415/03, Rec. p. I‑3875, point 35).

47      Dans la présente affaire, l’obligation de récupération est prévue par l’article 3, paragraphes 1, première phrase, et 2, de chacune des décisions litigieuses.

48      Le Royaume d’Espagne n’invoque pas une impossibilité absolue d’exécution de ces dispositions.

49      Il se limite à soutenir que la procédure choisie pour la récupération des aides déjà mises à disposition est la procédure adéquate pour exécuter correctement les décisions.

50      Cependant, il ne produit aucune pièce justificative, notamment, de l’identité des bénéficiaires des aides, des montants des aides accordées et de procédures effectivement diligentées aux fins de la récupération desdites aides.

51      Dès lors, il n’établit nullement la réalité de la mise en œuvre, dans le délai imparti par l’article 4 de chacune des décisions litigieuses, de mesures permettant, au sens de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, l’exécution immédiate et effective des décisions litigieuses en ce qui concerne les aides déjà mises à disposition.

52      Par suite, les griefs de la Commission relatifs à l’article 3, paragraphes 1, première phrase, et 2, de chacune des décisions litigieuses sont fondés.

53      Il résulte de ce qui précède que le recours est fondé en tant que la Commission reproche au Royaume d’Espagne de ne pas avoir adopté toutes les mesures nécessaires pour supprimer les régimes d’aides en cause, suspendre les aides non encore versées et récupérer les aides déjà mises à disposition.

54      La Cour n’a pas à examiner le chef des conclusions visant à faire condamner le Royaume d’Espagne pour ne pas avoir informé la Commission des mesures visées au point précédent, étant donné que cet État membre n’a précisément pas procédé à l’exécution de ces obligations dans les délais prescrits (voir arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, C-348/93, Rec. p. I-673, point 31, et du 1er juin 2006, Commission/Italie, précité, point 53).

55      Il y a donc lieu de constater que, en ne prenant pas, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des articles 2 et 3 de chacune des décisions litigieuses, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des ces dispositions.

IV –  Sur les dépens

56      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume d’Espagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En ne prenant pas, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des articles 2 et 3 de chacune des décisions:

–        2003/28/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, concernant un régime d’aide d’État mis à exécution par l’Espagne en 1993 en faveur de certaines entreprises nouvellement créées dans la province d’Álava (Espagne);

–        2003/86/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, concernant un régime d’aide d’État mis à exécution par l’Espagne en 1993 en faveur de certaines entreprises nouvellement créées dans la province de Vizcaya (Espagne);

–        2003/192/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, concernant un régime d’aide d’État mis à exécution par l’Espagne en 1993 en faveur de certaines entreprises nouvellement créées dans la province de Guipúzcoa (Espagne),

le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces dispositions.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.