Affaire C-162/06

International Mail Spain SL, anciennement Express Worldwide Spain SL

contre

Administración del Estado et Correos

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo)

«Directive 97/67/CE — Règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux — Libéralisation des services postaux — Possibilité de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service postal universel ‘dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel’»

Sommaire de l'arrêt

1.        Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites — Compétence du juge national

(Art. 234 CE)

2.        Questions préjudicielles — Compétence de la Cour

(Art. 234 CE)

3.        Libre prestation des services — Services postaux de la Communauté — Directive 97/67 — Services réservés aux prestataires du service postal universel

(Art. 86, § 2, CE; directive du Parlement européen et du Conseil 97/67, art. 7, § 2)

1.        Dans le cadre de la procédure instituée par l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer.

(cf. point 23)

2.        Le seul fait que la Cour soit appelée à se prononcer en des termes abstraits et généraux ne saurait avoir pour effet d'entraîner l'irrecevabilité d'une demande de décision préjudicielle. En effet, l'une des caractéristiques essentielles du système de coopération judiciaire établi par l'article 234 CE implique que la Cour réponde en des termes plutôt abstraits et généraux à une question d'interprétation du droit communautaire qui lui est posée, tandis qu'il appartient à la juridiction de renvoi de trancher le litige dont elle est saisie en tenant compte de la réponse de la Cour.

(cf. point 24)

3.        L'article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service, lequel prévoit que peuvent continuer d'être réservés dans les limites de prix et de poids fixées au paragraphe 1 dudit article le courrier transfrontalier et le publipostage, dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel, doit être interprété en ce sens qu'il ne permet aux États membres de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service universel que dans la mesure où ils établissent

- que, à défaut d'une telle réserve, il serait fait échec à l'accomplissement de ce service universel, ou

- que cette réserve est nécessaire pour que ce service puisse être accompli dans des conditions économiquement acceptables.

L'objectif de l'article 7, paragraphe 2, de ladite directive est de garantir le maintien du service postal universel, notamment en le dotant des ressources nécessaires pour qu'il puisse fonctionner dans des conditions d'équilibre financier. Toutefois, la condition énoncée à ladite disposition ne saurait être réduite à ce seul aspect financier, dans la mesure où il ne saurait être exclu qu'il existe d'autres raisons pour lesquelles, conformément à l'article 86, paragraphe 2, CE, les États membres peuvent décider de réserver le courrier transfrontalier pour s'assurer qu'il n'est pas fait échec à l'accomplissement de la mission particulière impartie au prestataire du service postal universel. Or, des considérations, telles que l'opportunité, relatives à la situation générale du secteur postal, y compris celle liée au degré de libéralisation de celui-ci au moment de prendre une décision quant au courrier transfrontalier, ne suffisent pas pour justifier le fait de réserver ce dernier, à moins que, à défaut d'une telle réserve, il ne soit fait échec à l'accomplissement du service postal universel ou que cette réserve soit nécessaire pour que ce service puisse être fourni dans des conditions économiquement acceptables.

(cf. points 31, 40-41, 50 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 novembre 2007 (*)

«Directive 97/67/CE – Règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux – Libéralisation des services postaux – Possibilité de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service postal universel ‘dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel’»

Dans l’affaire C‑162/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 7 mars 2006, parvenue à la Cour le 27 mars 2006, dans la procédure

International Mail Spain SL, anciennement TNT Express Worldwide Spain SL,

contre

Administración del Estado,

Correos,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. A. Tizzano, R. Schintgen, A. Borg Barthet et M. Ilešič, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mars 2007,

considérant les observations présentées:

–        pour International Mail Spain SL, par Me R. Ballesteros Pomar, abogada,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, par Mme A. Hubert, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Vidal Puig et K. Simonsson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mai 2007,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant International Mail Spain SL (ci-après «International Mail»), anciennement TNT Express Worldwide Spain SL, à l’Administración del Estado et à Correos au sujet de la décision du 16 juin 1999 de la Secretaría General de Comunicaciones (Ministerio de Fomento) (direction générale des communications du ministère des Infrastructures et des Communications, ci-après la «direction générale des communications») sanctionnant International Mail pour avoir fourni, sans l’autorisation de l’opérateur prestataire du service postal universel, des services postaux réservés à ce dernier.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        La directive 97/67 établit, selon son article 1er, des règles communes concernant notamment la prestation d’un service postal universel au sein de la Communauté européenne et les critères définissant les services susceptibles d’être réservés aux prestataires du service universel.

4        En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, les États membres veillent à ce que les utilisateurs jouissent du droit à un service universel correspondant à une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs. Ce service universel comprend, selon le paragraphe 7 dudit article, aussi bien les services nationaux que les services transfrontaliers.

5        L’article 7 de la même directive, qui figure sous le chapitre 3 de celle-ci, intitulé «Harmonisation des services susceptibles d’être réservés», dispose:

«1.      Dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel, les services susceptibles d’être réservés par chaque État membre au(x) prestataire(s) du service universel sont la levée, le tri, le transport et la distribution des envois de correspondance intérieure, que ce soit par courrier accéléré ou non, dont le prix est inférieur à cinq fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide, lorsqu’elle existe, pour autant que leur poids soit inférieur à 350 grammes. […]

2.      Dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel, le courrier transfrontière et le publipostage peuvent continuer d’être réservés dans les limites de prix et de poids fixées au paragraphe 1.

3.      À titre de mesure complémentaire en vue de l’achèvement du marché intérieur des services postaux, le Parlement européen et le Conseil décident, au plus tard le 1er janvier 2000 et sans préjudice de la compétence de la Commission, de la poursuite de la libéralisation progressive et contrôlée du marché des services postaux, notamment en vue de la libéralisation du courrier transfrontière et du publipostage, ainsi que d’un nouveau réexamen des limites de prix et de poids, avec effet à compter du 1er janvier 2003, en tenant compte de l’évolution notamment économique, sociale et technologique qui aura lieu d’ici là et en tenant également compte de l’équilibre financier du ou des prestataires du service universel, en vue de continuer à poursuivre les objectifs de la présente directive.

[…]»

6        Les seizième et dix-neuvième considérants de la directive 97/67 énoncent:

«(16) considérant que le maintien d’un ensemble de services susceptibles d’être réservés, conformément aux règles du traité [CE] et sans préjudice de l’application des règles de concurrence, apparaît justifié pour assurer le fonctionnement du service universel dans des conditions d’équilibre financier; […]

[…]

(19)      considérant qu’il est raisonnable de permettre, à titre provisoire, que le publipostage et le courrier transfrontière puissent continuer d’être réservés dans les limites de prix et de poids prévues; […]».

7        La directive 97/67 est entrée en vigueur le 10 février 1998 et le délai accordé aux États membres pour la transposition de celle-ci a expiré le 10 février 1999, conformément à son article 24, premier alinéa.

8        La directive 2002/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne la poursuite de l’ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (JO L 176, p. 21), a, par son article 1er, point 1, remplacé l’article 7 de la directive 97/67 par le texte suivant:

«1.      Dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer le maintien du service universel, les États membres peuvent continuer à réserver des services à un (des) prestataire(s) du service universel. Lesdits services sont limités à la levée, au tri, au transport et à la distribution des envois ordinaires de correspondance intérieure et de correspondance transfrontière entrante, que ce soit par courrier accéléré ou non, conformément tant aux limites de poids que de prix ci-après. La limite de poids est fixée à 100 grammes à partir du 1er janvier 2003 et à 50 grammes à partir du 1er janvier 2006. Elle ne s’applique pas, à partir du 1er janvier 2003, si le prix est égal ou supérieur à trois fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie la plus rapide et, à partir du 1er janvier 2006, si le prix est égal ou supérieur à deux fois et demie ledit tarif.

[…]

Dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la prestation du service universel, le publipostage peut continuer à être réservé dans les mêmes limites de poids et de prix.

Dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la prestation du service universel, par exemple lorsque certains secteurs de l’activité postale ont déjà été libéralisés ou en raison des spécificités des services postaux d’un État membre, le courrier transfrontière sortant peut continuer à être réservé dans les mêmes limites de poids et de prix.

[...]

3.      La Commission procède à une étude prospective destinée à évaluer, pour chaque État membre, l’impact sur le service universel de l’achèvement du marché intérieur des services postaux en 2009. Sur la base des conclusions de cette étude, la Commission présente, avant le 31 décembre 2006, un rapport au Parlement européen et au Conseil, assorti d’une proposition confirmant, le cas échéant, la date de 2009 pour l’achèvement du marché intérieur des services postaux ou définissant toute autre étape à la lumière des conclusions de l’étude.»

9        Les quinzième à dix-septième, vingtième, vingt-deuxième et vingt-troisième considérants de la directive 2002/39 sont libellés comme suit:

«(15) Il faut veiller à ce que les prochaines étapes d’ouverture du marché soient à la fois importantes dans leur essence et réalisables dans la pratique par les États membres, tout en assurant également le maintien du service universel.

(16)      La réduction générale à 100 grammes en 2003 et à 50 grammes en 2006 de la limite de poids applicable aux services susceptibles d’être réservés aux prestataires du service universel et l’ouverture totale à la concurrence des marchés du courrier transfrontière sortant, avec d’éventuelles exceptions dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la prestation du service universel, constituent une avancée contrôlée relativement simple à mettre en œuvre, mais néanmoins importante.

(17)      […] Les envois de correspondance transfrontière sortante en dessous de la limite de 50 grammes représentent, en moyenne, environ 3 % de la totalité des recettes postales des prestataires du service universel.

[…]

(20)      Le courrier transfrontière sortant représente en moyenne 3 % de l’ensemble des recettes postales. L’ouverture de ce segment du marché dans les États membres, avec les exceptions qui seraient nécessaires pour assurer la prestation du service universel, permettrait à d’autres opérateurs postaux d’assurer la levée, le tri et le transport de tout courrier transfrontière sortant.

[…]

(22)      L’établissement, dès aujourd’hui, d’un calendrier pour la mise en œuvre de nouvelles avancées vers l’achèvement du marché intérieur des services postaux est important tant pour la viabilité à long terme du service universel que pour la poursuite de la modernisation et de la rationalisation des organisations postales.

(23)      Il convient de continuer à prévoir la possibilité pour les États membres de réserver certains services postaux au(x) prestataire(s) du service universel. Ces dispositions permettront à ce(s) derniers(s) de mener à bien les initiatives d’adaptation de leurs activités et de leur personnel à un contexte plus concurrentiel sans porter atteinte à leur équilibre financier et donc sans risquer de compromettre la prestation garantie du service universel.»

10      La directive 2002/39 est entrée en vigueur le 5 juillet 2002 et le délai accordé aux États membres pour la transposition de celle-ci a expiré le 31 décembre 2002.

 La réglementation nationale

11      La directive 97/67 a été transposée dans l’ordre juridique espagnol par la loi relative au service postal universel et à la libéralisation des services postaux (Ley 24/1998 del Servicio Postal Universal y de Liberalización de los Servicios Postales), du 13 juillet 1998 (ci-après la «loi 24/1998»). Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, C, de cette loi, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal:

«Est réservée, à titre exclusif, à l’opérateur chargé de la fourniture du service postal universel, en vertu de l’article 128, paragraphe 2, de la Constitution et dans les conditions fixées au chapitre suivant, la prestation des services suivants qui relèvent du service postal universel, à savoir:

[…]

C)      Le service postal transfrontière d’entrée et de sortie de lettres et de cartes postales, dans les limites de poids et de prix fixées au point B). Aux fins de la présente loi, le service postal transfrontière désigne le service postal en provenance ou à destination d’autres États.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      International Mail fournissait des services postaux transfrontaliers sortants pour des cartes postales dans les principaux lieux touristiques espagnols. À cette fin, elle plaçait des boîtes aux lettres dans des hôtels, des campings, des résidences, des supermarchés, etc., dans lesquelles les utilisateurs pouvaient déposer leurs cartes postales destinées à l’étranger après les avoir affranchies avec des étiquettes qu’ils pouvaient acheter dans les points de vente desdites cartes.

13      La direction générale des communications a considéré que ce service était constitutif d’une infraction administrative grave, telle que prévue par les dispositions combinées de l’article 41, paragraphes 3, sous a), et 2, sous b), de la loi 24/1998, consistant en «la fourniture de services postaux réservés à l’opérateur prestataire du service postal universel sans son autorisation, ce qui met en péril la prestation de service de ce dernier».

14      Par sa décision du 16 juin 1999, la direction générale des communications a infligé à International Mail une amende d’un montant de 10 millions de ESP et lui a enjoint de s’abstenir de proposer et de fournir des services postaux du même type que ceux réservés à l’opérateur habilité à assurer la prestation du service postal universel ainsi que de procéder au retrait de toutes les boîtes aux lettres et informations relatives audit service.

15      Le Tribunal Superior de Justicia de Madrid ayant rejeté le recours introduit par International Mail contre ladite décision, en jugeant notamment que la loi 24/1998 est conforme à la directive 97/67, cette société a formé un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi.

16      Selon cette dernière, la solution du litige au principal dépend dans une grande mesure de l’interprétation qu’il y a lieu de donner à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67. En effet, dans l’hypothèse où l’article 18, paragraphe 1, C, de la loi 24/1998 ne respecterait pas les conditions énoncées à la disposition communautaire susmentionnée, la méconnaissance d’une telle règle nationale par les opérateurs privés ne pourrait justifier une sanction administrative telle que celle infligée à International Mail. Les doutes qu’éprouve ladite juridiction quant à l’interprétation correcte de l’article 7 de la directive 97/67 proviennent, notamment, du nouveau libellé que la directive 2002/39 a donné à cet article.

17      Dans ces conditions, le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 […], qui autorise les États membres à inclure, parmi les services postaux réservés, le courrier transfrontalier, permet-il auxdits États membres de prévoir cette attribution réservée dans la mesure seulement où ils établissent que, à défaut de celle-ci, l’équilibre financier du prestataire du service universel est mis en péril ou, au contraire, ces mêmes États peuvent-ils maintenir cette attribution réservée eu égard à d’autres considérations, dont l’opportunité, relatives à la situation générale du secteur postal, y compris celle liée au degré de libéralisation dudit secteur existant au moment de prendre la décision concernant ladite attribution réservée?»

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

18      Le gouvernement espagnol estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, en ce qu’elle concerne en réalité la validité d’une réglementation nationale et non pas l’interprétation d’une réglementation communautaire. En effet, en soumettant à la Cour ladite question, la juridiction nationale lui demanderait en réalité d’apprécier si l’article 18, paragraphe 1, C, de la loi 24/1998 est conforme à la directive 97/67 ou si cette disposition nationale va au-delà des limites imposées par cette directive.

19      À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 7 juillet 1994, Lamaire, C‑130/93, Rec. p. I‑3215, point 10, et du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, Rec. p. I‑8613, point 34). En outre, dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par ledit article, l’interprétation des dispositions nationales appartient aux juridictions des États membres et non à la Cour (voir, notamment, arrêts du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage, C‑37/92, Rec. p. I-4947, point 7, ainsi que Wilson, précité, point 34).

20      En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettent à celle-ci d’apprécier la compatibilité de normes de droit interne avec la réglementation communautaire (voir, notamment, arrêts précités Lamaire, point 10, et Wilson, point 35).

21      Par conséquent, l’argumentation du gouvernement espagnol doit être rejetée, et ce d’autant plus que la question posée par la juridiction de renvoi vise expressément l’interprétation d’une disposition du droit communautaire.

22      Le gouvernement espagnol soutient également que la demande de décision préjudicielle est irrecevable en ce qu’elle est dénuée d’effet utile et formulée de manière hypothétique. En effet, la Cour ne pourrait se prononcer qu’en des termes abstraits et généraux sur le bien-fondé de l’attribution réservée du courrier transfrontalier à l’opérateur chargé de la fourniture du service postal universel, mais elle ne saurait apprécier la question de savoir si une telle attribution réservée, prévue à l’article 18, paragraphe 1, C, de la loi 24/1998 est fondée ou si, au contraire, elle va au-delà des limites imposées par l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67, une telle appréciation ne relevant pas de sa compétence.

23      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, non encore publié au Recueil, point 43 et jurisprudence citée).

24      Par ailleurs, le seul fait que la Cour soit appelée à se prononcer en des termes abstraits et généraux ne saurait avoir pour effet d’entraîner l’irrecevabilité d’une demande de décision préjudicielle. En effet, l’une des caractéristiques essentielles du système de coopération judiciaire établi par l’article 234 CE implique que la Cour réponde en des termes plutôt abstraits et généraux à une question d’interprétation du droit communautaire qui lui est posée, tandis qu’il appartient à la juridiction de renvoi de trancher le litige dont elle est saisie en tenant compte de la réponse de la Cour.

25      Dès lors, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

 Sur le fond

26      Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet aux États membres de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service postal universel que dans la mesure où ils établissent que, à défaut d’une telle réserve, l’équilibre financier de ce dernier est mis en péril ou si d’autres considérations relatives à la situation générale du secteur postal, y compris la simple opportunité, suffisent à justifier ladite réserve.

27      L’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 permet aux États membres de continuer à réserver au prestataire du service postal universel, dans certaines limites de prix et de poids, le courrier transfrontalier «[d]ans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel». La même condition s’applique, par ailleurs, selon les paragraphes 1 et 2 dudit article, à la possibilité de réserver au prestataire du service postal universel, dans certaines limites de prix et de poids, la levée, le tri, le transport et la distribution des envois de correspondance intérieure ainsi que le publipostage.

28      Il y a lieu de constater d’emblée que l’utilisation du mot «nécessaire» s’oppose à ce que ladite réserve soit justifiée par de simples considérations d’opportunité.

29      Les motifs qui ont incité le législateur communautaire à prévoir la possibilité d’une telle réserve sont explicités au seizième considérant de la directive 97/67, aux termes duquel «le maintien d’un ensemble de services susceptibles d’être réservés, conformément aux règles du traité et sans préjudice de l’application des règles de concurrence, apparaît justifié pour assurer le fonctionnement du service universel dans des conditions d’équilibre financier».

30      En ce qui concerne, dans ce contexte, le publipostage et le courrier transfrontalier en particulier, c’est au dix-neuvième considérant de la directive 97/67 que le législateur communautaire a précisé qu’il est «raisonnable de permettre, à titre provisoire, que le publipostage et le courrier transfrontière puissent continuer d’être réservés […]».

31      L’objectif de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 est donc de garantir le maintien du service postal universel, notamment en le dotant des ressources nécessaires pour qu’il puisse fonctionner dans des conditions d’équilibre financier.

32      Cette interprétation est, par ailleurs, corroborée par le fait que l’équilibre financier du prestataire du service postal universel est l’un des critères essentiels qui, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, de ladite directive, doivent être pris en compte par le Parlement et le Conseil lors de leur décision ultérieure concernant la poursuite de la libéralisation progressive et contrôlée du marché des services postaux, notamment en vue de la libéralisation du courrier transfrontalier.

33      Le critère de l’équilibre financier a déjà été pris en compte par la jurisprudence de la Cour en matière de services postaux antérieurement à l’entrée en vigueur de la directive 97/67 et relative notamment à l’article 90 du traité CE (devenu article 86 CE).

34      Selon ladite jurisprudence, les États membres peuvent conférer à un prestataire du service postal universel, en tant qu’entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général, des droits exclusifs susceptibles de restreindre, voire d’exclure, la concurrence dans la mesure où cela est nécessaire pour lui permettre d’accomplir sa mission d’intérêt général et, en particulier, de bénéficier de conditions économiquement acceptables (voir arrêt du 19 mai 1993, Corbeau, C‑320/91, Rec. p. I‑2533, points 14 à 16).

35      À cet égard, il ressort de la même jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire que l’équilibre financier ou la viabilité économique de l’entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général soient menacés. Il suffit que, en l’absence des droits litigieux, il soit fait échec à l’accomplissement des missions particulières imparties à l’entreprise ou que le maintien de ces droits soit nécessaire pour permettre à leur titulaire d’accomplir les missions d’intérêt économique général qui lui ont été imparties dans des conditions économiquement acceptables (arrêt du 17 mai 2001, TNT Traco, C‑340/99, Rec. p. I‑4109, point 54).

36      Dans ce contexte, la Cour a précisé que l’obligation, pour le titulaire de cette mission, d’assurer ses services dans des conditions d’équilibre économique présuppose la possibilité d’une compensation entre les secteurs d’activités rentables et des secteurs moins rentables et justifie, dès lors, une limitation de la concurrence, de la part d’entrepreneurs particuliers, au niveau des secteurs économiquement rentables (arrêt Corbeau, précité, point 17).

37      Cette jurisprudence relative au droit primaire est également pertinente dans le contexte de l’affaire au principal, et ce d’autant plus que la directive 97/67 rappelle expressément et à plusieurs reprises que les règles du traité doivent être respectées lors de l’attribution d’un droit exclusif.

38      Ainsi, l’article 4 de la directive 97/67 dispose que «[c]haque État membre détermine, dans le respect du droit communautaire, les obligations et droits assignés au(x) prestataire(s) du service universel et les publie». Dans le même sens, le seizième considérant de cette même directive ainsi que son quarante-et-unième considérant, aux termes duquel cette dernière «n’affecte pas l’application des règles du traité, et notamment de ses règles concernant la concurrence et la libre prestation de services», soulignent que de telles règles, notamment celles concernant la concurrence, doivent être respectées.

39      Il ressort de la jurisprudence relative au droit primaire, mentionnée aux points 33 à 36 du présent arrêt, que le critère de l’équilibre financier du service postal universel peut valablement être pris en considération par un État membre lorsqu’il décide de réserver le courrier transfrontalier et que ce critère doit en principe, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 26 à 31 de ses conclusions, être appliqué en ne tenant en compte que des services qui constituent le service postal universel et non pas des autres activités que le prestataire de ce service peut le cas échéant exercer. En effet, il se peut que ce dernier exerce aussi d’autres activités économiques, lesquelles doivent être exclues du bénéfice des subventions croisées provenant des services réservés.

40      Toutefois, il découle également de ladite jurisprudence que la condition énoncée à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 ne saurait être réduite à ce seul aspect financier, dans la mesure où il ne saurait être exclu qu’il existe d’autres raisons pour lesquelles, conformément à l’article 86, paragraphe 2, CE, les États membres peuvent décider de réserver le courrier transfrontalier pour s’assurer qu’il n’est pas fait échec à l’accomplissement de la mission particulière impartie au prestataire du service postal universel.

41      Or, des considérations, telles que l’opportunité, relatives à la situation générale du secteur postal, y compris celle liée au degré de libéralisation de celui-ci au moment de prendre une décision quant au courrier transfrontalier, ne suffisent pas pour justifier le fait de réserver ce dernier, à moins que, à défaut d’une telle réserve, il ne soit fait échec à l’accomplissement du service postal universel ou que cette réserve soit nécessaire pour que ce service puisse être fourni dans des conditions économiquement acceptables.

42      Dès lors, il y a lieu de constater que tant le libellé de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 que l’objectif de cette disposition s’opposent à ce que la décision de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service postal universel soit justifiée par de simples considérations d’opportunité.

43      La modification de l’article 7 de la directive 97/67 par la directive 2002/39 (ci-après la «directive 97/67 modifiée»), à laquelle la juridiction de renvoi fait expressément référence pour motiver sa décision de saisir la Cour à titre préjudiciel, n’infirme pas cette interprétation.

44      En effet, il convient de rappeler que l’article 7, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 97/67 modifiée, dispose que, «[d]ans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la prestation du service universel, par exemple lorsque certains secteurs de l’activité postale ont déjà été libéralisés ou en raison des spécificités des services postaux d’un État membre, le courrier transfrontière sortant peut continuer à être réservé dans les mêmes limites de poids et de prix».

45      Ainsi que le fait valoir la Commission des Communautés européennes dans ses observations écrites, il ressort notamment des vingt-deuxième et vingt-troisième considérants de la directive 2002/39 que l’article 7, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 97/67 modifiée a pour objectif, tout comme l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67, qu’il ne soit pas porté atteinte à l’équilibre financier du service postal universel et donc que la prestation garantie de ce service universel ne soit pas compromise.

46      Par ailleurs, ainsi que le fait également valoir la Commission, il serait contraire à l’objectif de la directive 2002/39, qui est de poursuivre l’ouverture progressive et contrôlée des services postaux à la concurrence, d’interpréter l’article 7, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 97/67 modifiée en ce sens qu’il augmenterait la marge de liberté laissée aux États membres.

47      En réalité, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 36 de ses conclusions, le seizième considérant de la directive 2002/39, aux termes duquel «l’ouverture totale à la concurrence des marchés du courrier transfrontière sortant, avec d’éventuelles exceptions dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la prestation du service universel, [constitue] une avancée contrôlée relativement simple à mettre en œuvre, mais néanmoins importante», lu en combinaison avec les quinzième, dix-septième et vingtième considérants de cette même directive, fait clairement état de la nature exceptionnelle de la possibilité de réserver le courrier transfrontalier sortant, telle qu’elle est prévue à l’article 7, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 97/67 modifiée.

48      Dès lors, les exemples que donne l’article 7, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 97/67 modifiée ne constituent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 33 de ses conclusions, que des indices susceptibles de guider l’appréciation relative à l’attribution de droits spéciaux au prestataire du service postal universel, tels que la réserve de prestation du courrier transfrontalier, sans qu’ils puissent être de nature à infléchir l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67.

49      En ce qui concerne la charge de la preuve de la nécessité, pour le maintien du service postal universel, de réserver le courrier transfrontalier au prestataire de ce service, il ressort du libellé de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 qu’elle incombe à l’État membre qui fait usage de la faculté de procéder à une telle réserve ou, le cas échéant, à ce prestataire. Cette interprétation est corroborée par le fait que, dans le cadre de l’article 86, paragraphe 2, CE, c’est à l’État membre ou à l’entreprise qui invoque cette disposition de démontrer que ses conditions d’application sont réunies (arrêt TNT Traco, précité, point 59).

50      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet aux États membres de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service postal universel que dans la mesure où ils établissent

–        que, à défaut d’une telle réserve, il serait fait échec à l’accomplissement de ce service universel, ou

–        que cette réserve est nécessaire pour que ce service puisse être accompli dans des conditions économiquement acceptables.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet aux États membres de réserver le courrier transfrontalier au prestataire du service postal universel que dans la mesure où ils établissent

–        que, à défaut d’une telle réserve, il serait fait échec à l’accomplissement de ce service universel, ou

–        que cette réserve est nécessaire pour que ce service puisse être accompli dans des conditions économiquement acceptables.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.