Affaire C-355/04 P

Segi e.a.

contre

Conseil de l'Union européenne

«Pourvoi — Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Positions communes 2001/931/PESC, 2002/340/PESC et 2002/462/PESC — Mesures relatives aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme — Compétence de la Cour de justice»

Conclusions de l'avocat général M. P. Mengozzi, présentées le 26 octobre 2006 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 27 février 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Pourvoi — Moyens — Recevabilité — Conditions

(Art. 225 CE; statut de la Cour de justice, art. 58, al. 1; règlement de procédure de la Cour, art. 112, § 1, c))

2.     Pourvoi — Moyens — Moyen présenté pour la première fois dans le cadre du pourvoi — Irrecevabilité

3.     Recours en indemnité — Compétence du juge communautaire — Recours dans le cadre du titre VI du traité de l'Union européenne — Exclusion

(Art. 235 CE et 288, al. 2, CE; art. 35 UE, 41, § 1, UE et 46 UE)

4.     Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Droit à une protection juridictionnelle effective

(Art. 34 UE et 35, § 1 et 6, UE)

5.     Union européenne — Actes de l'Union européenne — Interprétation

1.     Il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure qu'un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt ou de l'ordonnance dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande.

(cf. point 22)

2.     Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu'elle n'a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d'un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d'un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l'appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges.

(cf. point 30)

3.     Il résulte de l'article 46 UE que les dispositions des traités CE et CEEA relatives à la compétence de la Cour ne sont applicables au titre VI du traité UE que dans les conditions prévues à l'article 35 UE. Or, ce dernier article n'attribue à la Cour aucune compétence pour connaître d'un quelconque recours en indemnité. En outre, l'article 41, paragraphe 1, UE ne fait pas figurer, parmi les articles du traité CE qui sont applicables dans les domaines visés au titre VI du traité UE, l'article 288, deuxième alinéa, CE, selon lequel la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, ni l'article 235 CE, aux termes duquel la Cour est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l'article 288, deuxième alinéa, CE.

Il en résulte qu'aucun recours en responsabilité n'est prévu dans le cadre du titre VI du traité UE. Une déclaration du Conseil relative au droit à réparation, inscrite en annexe du procès-verbal lors de l'adoption d'un acte de l'Union européenne, ne suffit pas à créer une voie de droit qui n'est pas prévue par les textes applicables et ne saurait donc suffire à attribuer à la Cour compétence à cet égard.

(cf. points 44, 46-48, 60-61)

4.     S'agissant de l'Union européenne, les traités ont établi un système de voies de recours dans lequel les compétences de la Cour sont, en vertu de l'article 35 UE, moins étendues dans le cadre du titre VI du traité sur l'Union européenne qu'elles ne le sont au titre du traité CE. Si un système de voies de recours, et notamment un régime de responsabilité extracontractuelle, autre que celui mis en place par les traités est certes envisageable, il appartient, le cas échéant, aux États membres, conformément à l'article 48 UE, de réformer le système actuellement en vigueur.

Les requérants qui veulent contester en justice la légalité d'une position commune adoptée sur le fondement de l'article 34 UE ne sont toutefois pas privés de toute protection juridictionnelle. En effet, en ne prévoyant pas la possibilité, pour les juridictions nationales, de saisir la Cour d'une question préjudicielle portant sur une position commune mais seulement d'une question portant sur les actes énumérés à l'article 35, paragraphe 1, UE, celui-ci envisage comme actes susceptibles de faire l'objet d'un tel renvoi préjudiciel toutes dispositions prises par le Conseil et visant à produire un effet juridique vis-à-vis des tiers. Dès lors que la procédure qui permet à la Cour de statuer à titre préjudiciel tend à assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité, il serait contraire à cet objectif d'interpréter restrictivement l'article 35, paragraphe 1, UE. La possibilité de saisir la Cour à titre préjudiciel doit donc être ouverte à l'égard de toutes les dispositions prises par le Conseil, quelles qu'en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers. Par voie de conséquence, une position commune qui aurait, du fait de son contenu, une portée qui dépasse celle assignée par le traité UE à ce type d'acte doit pouvoir être soumise au contrôle de la Cour. Dès lors, une juridiction nationale, saisie d'un litige qui, de manière incidente, poserait la question de la validité ou de l'interprétation d'une position commune adoptée sur le fondement de l'article 34 UE et qui aurait un doute sérieux sur la question de savoir si cette position commune viserait en réalité à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers, pourrait demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel, dans les conditions posées à l'article 35 UE. Il appartiendrait alors à la Cour de constater, le cas échéant, que la position commune vise à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers, de lui restituer sa véritable qualification, et de statuer à titre préjudiciel.

La Cour serait également compétente pour contrôler la légalité de tels actes lorsqu'un recours a été formé par un État membre ou par la Commission dans les conditions posées à l'article 35, paragraphe 6, UE.

Enfin, il appartient aux États membres et, notamment, à leurs juridictions, d'interpréter et d'appliquer les règles internes de procédure gouvernant l'exercice des recours d'une manière qui permette aux personnes physiques et morales de contester en justice la légalité de toute décision ou de toute autre mesure nationale relative à l'élaboration ou à l'application à leur égard d'un acte de l'Union européenne et de demander réparation du préjudice le cas échéant subi.

(cf. points 50-51, 53-56)

5.     Une déclaration du Conseil inscrite en annexe du procès-verbal lors de l'adoption d'un acte de l'Union européenne ne peut se voir reconnaître aucune portée juridique ni être retenue pour l'interprétation du droit issu du traité UE lorsque le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause.

(cf. point 60)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

27 février 2007 (*)

«Pourvoi – Union européenne – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Positions communes 2001/931/PESC, 2002/340/PESC et 2002/462/PESC – Mesures relatives aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme – Compétence de la Cour de justice»

Dans l’affaire C-355/04 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 17 août 2004,

Segi, établie à Bayonne (France) et à Donostia (Espagne),

Araitz Zubimendi Izaga, demeurant à Hernani (Espagne),

Aritza Galarraga, demeurant à Saint-Pée-sur-Nivelle (France),

représentés par Me D. Rouget, avocat,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme E. Finnegan et M. M. Bauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume d’Espagne, représenté par l’Abogacía del Estado,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts et R. Schintgen, présidents de chambre, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, M. L. Bay Larsen, Mme P. Lindh, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 octobre 2006,

rend le présent

Arrêt

1       Par leur pourvoi, Segi, Mme Zubimendi Izaga et M. Galarraga demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 7 juin 2004, Segi e.a./Conseil (T‑338/02, Rec. p. II-1647, ci‑après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’obtention d’indemnités en réparation du préjudice qu’ils prétendent avoir subi du fait de l’inscription de Segi sur la liste des personnes, groupes et entités visés à l’article 1er de la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93), à l’article 1er de la position commune 2002/340/PESC du Conseil, du 2 mai 2002, portant mise à jour de la position commune 2001/931 (JO L 116, p. 75), ainsi qu’à l’article 1er de la position commune 2002/462/PESC du Conseil, du 17 juin 2002, portant mise à jour de la position commune 2001/931 et abrogeant la position commune 2002/340 (JO L 160, p. 32).

 Les antécédents du litige

2       Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 11 de l’ordonnance attaquée dans les termes suivants:

«1      Il ressort du dossier que Segi est une organisation se donnant pour but la défense des revendications de la jeunesse basque, de l’identité, de la culture [et] de la langue basques. Selon les requérants, cette organisation a été créée le 16 juin 2001 et est établie à Bayonne (France) et à Donostia (Espagne). Elle aurait désigné Mme Araitz Zubimendi Izaga et M. Aritza Galarraga porte-parole. Aucune documentation officielle n’a été apportée à cet égard.

2      Le 28 septembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1373 (2001), par laquelle il a, notamment, décidé que tous les États se prêteraient mutuellement la plus grande assistance lors des enquêtes criminelles et autres procédures portant sur le financement d’actes de terrorisme ou sur l’appui dont ces actes auront bénéficié, y compris l’assistance en vue de l’obtention des éléments de preuve qui seraient en leur possession et qui seraient nécessaires à la procédure.

3      Le 27 décembre 2001, considérant qu’une action de la Communauté [et des États membres] était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil [de l’Union européenne] a adopté la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93). Cette position commune a été adoptée sur la base de l’article 15 UE, relevant du titre V du traité UE intitulé ‘Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune’ (PESC), et de l’article 34 UE, relevant du titre VI du traité UE intitulé ‘Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale’ […].

4      Les articles 1er et 4 de la position commune 2001/931 disposent:

‘Article premier

1.       La présente position commune s’applique, conformément aux dispositions des articles qui suivent, aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et dont la liste figure à l’annexe.

[…]

6.       Les noms des personnes et entités reprises sur la liste figurant à l’annexe feront l’objet d’un réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié.’

‘Article 4

Les États membres s’accordent mutuellement, par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le cadre du titre VI du traité [UE], l’assistance la plus large possible pour prévenir et combattre les actes de terrorisme. À cette fin, pour les enquêtes et les poursuites effectuées par leurs autorités concernant une des personnes, un des groupes ou une des entités dont la liste figure à l’annexe, ils exploitent pleinement, sur demande, les pouvoirs qu’ils détiennent, conformément aux actes de l’Union européenne et à d’autres accords, arrangements et conventions internationaux liant les États membres.’

5      L’annexe de la position commune 2001/931 indique dans son point 2 consacré aux ‘groupes et entités’:

‘* – Euskadi Ta Askatasuna/Tierra Vasca y Libertad/Pays basque et liberté (ETA)

(les organisations ci-après font partie du groupe terroriste ETA: K.a.s., Xaki, Ekin, Jarrai-Haika-Segi, Gestoras pro-amnistía).’

6      La note de bas de page de cette annexe indique que ‘[l]es personnes dont le nom est accompagné d’un * sont uniquement soumises à l’article 4’.

7      Le 27 décembre 2001, le Conseil a également adopté la position commune 2001/930/PESC relative à la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 90), le règlement (CE) nº 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70) et la décision 2001/927/CE établissant la liste prévue à l’article 2, paragraphe 3, du règlement nº 2580/2001 (JO L 344, p. 83). Aucun de ces textes ne cite les requérants.

8      Aux termes de la déclaration du Conseil [du 18 décembre 2001] inscrite en annexe du procès-verbal lors de l’adoption de la position commune 2001/931 et du règlement nº 2580/2001 (ci-après la ‘déclaration du Conseil relative au droit à réparation’):

‘Le Conseil rappelle au sujet de l’article 1, paragraphe 6, de la position commune [2001/931] que toute erreur quant aux personnes, groupes ou entités visés donne le droit à la partie lésée de demander réparation en justice.’

9      Par ordonnances du 5 février et du 11 mars 2002, le juge central d’instruction nº 5 de l’Audiencia Nacional sise à Madrid (Espagne) a, respectivement, déclaré illégales les activités de Segi et ordonné l’emprisonnement de certains dirigeants présumés de Segi, au motif que cette organisation faisait partie intégrante de l’organisation indépendantiste basque ETA.

10      Par décision du 23 mai 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté comme irrecevable le recours introduit par les requérants à l’encontre des quinze États membres, relatif à la position commune 2001/931, au motif que la situation dénoncée ne leur conférait pas la qualité de victimes d’une violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [, signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la ‘CEDH’] [Recueil des arrêts et décisions 2002-V].

11      Les 2 mai et 17 juin 2002, le Conseil a adopté, en vertu des articles 15 UE et 34 UE, les positions communes 2002/340/PESC et 2002/462/PESC portant mise à jour de la position commune 2001/931 (JO L 116, p. 75, et JO L 160, p. 32). Les annexes de ces deux positions communes contiennent le nom de Segi, inscrit dans les mêmes termes que ceux figurant dans la position commune 2001/931.»

3       En complément de cet exposé des antécédents du litige, il convient de préciser que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, premier alinéa, de la position commune 2001/931:

«La [liste annexée des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme] est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard [de ces] personnes, groupes et entités […], qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits. […]»

4       Segi a demandé au Conseil l’accès aux documents sur lesquels celui-ci s’est fondé pour l’inscrire sur la liste annexée à la position commune 2001/931. Par une lettre du 13 mars 2002, le secrétaire général du Conseil a communiqué à Segi une série de documents relatifs à cette position commune. Ayant estimé que ces derniers ne la concernaient ni précisément ni personnellement, l’association a adressé une nouvelle demande au Conseil, que celui-ci, par une lettre du 21 mai 2002, a rejetée, au motif que les informations nécessaires à l’établissement de ladite liste avaient été restituées aux délégations nationales concernées après examen et prise de décision.

 Le recours devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

5       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 novembre 2002, les requérants ont demandé:

–       que le Conseil soit condamné à verser, d’une part, à Segi, la somme de 1 000 000 euros et, d’autre part, à Mme Zubimendi Izaga ainsi qu’à M. Galarraga, la somme de 100 000 euros chacun, en réparation du préjudice prétendument subi du fait de l’inscription de Segi sur la liste des personnes, groupes et entités visés à l’article 1er, respectivement, des positions communes 2001/931, 2002/340 et 2002/462;

–       que ces sommes soient productives d’intérêts moratoires au taux annuel de 4,5 % à compter de la date de la décision du Tribunal, jusqu’au paiement effectif, et

–       que le Conseil soit condamné aux dépens.

6       Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 12 février 2003, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, concluant que le recours soit déclaré manifestement irrecevable et que «la requérante» soit condamnée aux dépens.

7       Par ordonnance du 5 juin 2003, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis les interventions du Royaume d’Espagne et du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord au soutien des conclusions du Conseil. Seul le Royaume d’Espagne a déposé des observations sur l’exception d’irrecevabilité.

8       Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants ont conclu à ce qu’il plaise au Tribunal:

–       d’admettre la recevabilité du recours en indemnité;

–       à titre subsidiaire, de constater la violation, par le Conseil, des principes généraux du droit communautaire, et,

–       en toute hypothèse, de condamner le Conseil aux dépens.

9       Par l’ordonnance attaquée, prise en application de l’article 111 de son règlement de procédure, le Tribunal a, sans ouvrir la procédure orale, rejeté le recours.

10     En premier lieu, il a estimé qu’il était manifestement incompétent, dans le système juridique de l’Union européenne, pour connaître de l’action en responsabilité des requérants.

11     Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a relevé que les requérants n’étaient visés que par l’article 4 de la position commune 2001/931, en vertu duquel les États membres s’accordent l’assistance la plus large possible dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale prévue au titre VI du traité UE, et, par conséquent, que les actes prétendument à l’origine du préjudice allégué avaient pour seule base juridique pertinente l’article 34 UE. Il a constaté que les seules voies de recours prévues à l’article 35, paragraphes 1, 6 et 7, UE, auquel renvoie l’article 46 UE, étaient le renvoi préjudiciel, le recours en annulation et le règlement des différends entre États membres. En conséquence, il a considéré qu’aucune voie de recours indemnitaire n’était prévue dans le cadre du titre VI du traité UE.

12     En second lieu, le Tribunal a jugé qu’il était néanmoins compétent pour statuer sur le recours, mais seulement en tant que celui-ci était tiré d’une atteinte aux compétences de la Communauté.

13     Le Tribunal a en effet rappelé que le juge communautaire est compétent pour examiner si un acte adopté dans le cadre du traité UE n’affecte pas les compétences de la Communauté. Il a ainsi vérifié, aux points 41 à 47 de l’ordonnance attaquée, si le Conseil, en adoptant les actes litigieux, n’avait pas irrégulièrement empiété sur les compétences de la Communauté.

14     Toutefois, le Tribunal a estimé que les requérants étaient restés en défaut de citer une quelconque base juridique dans le traité CE qui aurait été méconnue. Il a jugé que le Conseil s’était fondé, à bon droit, sur le titre VI du traité UE pour adopter les actes en cause et que, dès lors, le recours, pour autant qu’il s’appuie sur une méconnaissance des compétences de la Communauté, devait être rejeté comme manifestement non fondé.

 Les conclusions des parties devant la Cour

15     Les requérants concluent à ce qu’il plaise à la Cour:

–       d’annuler l’ordonnance attaquée;

–       de statuer elle-même sur le recours et de faire droit aux conclusions présentées par les requérants devant le Tribunal, et

–       de condamner le Conseil aux dépens.

16     Le Conseil conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       de rejeter le pourvoi comme manifestement irrecevable;

–       à titre subsidiaire, de le rejeter comme non fondé;

–       le cas échéant, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–       de condamner les requérants aux dépens.

17     Le Royaume d’Espagne présente des conclusions identiques à celles du Conseil.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité du pourvoi

 Argumentation des parties

18     Le Conseil et le Royaume d’Espagne font valoir que les arguments développés par les requérants sont, en substance, identiques à ceux déjà exposés en première instance, sans viser spécifiquement l’erreur de droit dont serait entachée l’ordonnance attaquée. Le pourvoi devrait, dès lors, être rejeté comme manifestement irrecevable.

 Appréciation de la Cour

–       En ce qui concerne la partie du pourvoi dirigée contre l’ordonnance attaquée en ce qu’elle rejette le moyen tiré de ce que le Conseil aurait empiété sur les compétences attribuées à la Communauté 

19     Les requérants soutenaient devant le Tribunal que le Conseil, en adoptant la position commune 2001/931, confirmée par les positions communes 2002/340 et 2002/462, aurait volontairement empiété sur les compétences attribuées à la Communauté dans le but de priver les personnes visées par cette position commune du droit à un recours effectif.

20     Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal s’est reconnu compétent pour connaître du recours présenté par les requérants en tant seulement qu’il est fondé sur la méconnaissance des compétences de la Communauté, en se référant notamment à l’arrêt du 12 mai 1998, Commission/Conseil (C‑170/96, Rec. p. I‑2763, point 17). Le Tribunal a jugé, aux points 45 et 46 de l’ordonnance attaquée, que l’article 34 UE était la base juridique pertinente pour l’adoption de l’article 4 de la position commune 2001/931 et que les requérants étaient restés en défaut de citer une base juridique dans le traité CE qui aurait été méconnue.

21     Dans leur pourvoi devant la Cour, les requérants se bornent à réaffirmer que le Conseil aurait adopté les positions communes précitées sur la base juridique de l’article 34 UE dans le seul but de les priver d’un droit au recours. Les requérants ne produisent toutefois aucun argument à l’appui de cette thèse.

22     Or, il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 34, et du 8 janvier 2002, France/Monsanto et Commission, C‑248/99 P, Rec. p. I‑1, point 68, ainsi que ordonnance du 11 novembre 2003, Martinez/Parlement, C‑488/01 P, Rec. p. I‑13355, point 40).

23     En l’espèce, force est de constater que, ainsi que le soutiennent le Conseil et le Royaume d’Espagne, le pourvoi n’indique pas la raison pour laquelle le motif de droit sur lequel le Tribunal s’est fondé, aux points 45 et 46 de l’ordonnance attaquée, serait erroné. Le pourvoi est, dès lors et dans cette mesure, irrecevable.

–       En ce qui concerne la partie du pourvoi dirigée contre l’ordonnance attaquée en tant qu’elle juge le Tribunal incompétent pour connaître du recours en indemnité

24     Ainsi qu’il a été dit précédemment, il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande.

25     Dans la présente affaire, et contrairement à ce que soutiennent le Conseil et le Royaume d’Espagne, le pourvoi, en tant qu’il porte sur le refus du Tribunal de se déclarer compétent pour connaître du recours en indemnité, ne se borne pas à reproduire les moyens et les arguments présentés devant le Tribunal, mais indique les éléments critiqués de l’ordonnance attaquée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande.

26     Il s’ensuit que le pourvoi est recevable dans la mesure où il est dirigé contre la partie de l’ordonnance attaquée par laquelle le Tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en indemnité.

 Sur la recevabilité de certains moyens invoqués à l’appui du pourvoi

 Argumentation des parties

27     Au titre de la recevabilité de certains moyens, le Conseil et le Royaume d’Espagne soutiennent par ailleurs qu’aurait été invoqué pour la première fois dans la réplique et serait donc irrecevable le moyen tiré de l’examen des deux versions successives de la note de bas de page de l’annexe de la position commune 2001/931, qui signale par un «*» les catégories «uniquement soumises à l’article 4». Selon les requérants, cet examen révélerait que, avant sa modification par la position commune 2003/482/PESC du Conseil, du 27 juin 2003 (JO L 160, p. 100), cette note de bas de page ne visait que les «personnes», c’est-à-dire les personnes physiques, à l’exclusion des «groupes et entités», et que, dans ces conditions, le 13 novembre 2002, date d’introduction de son recours devant le Tribunal, Segi n’aurait pas appartenue à la catégorie des «personnes uniquement soumises à l’article 4», mais à celle des groupes et entités soumis aux actions de la Communauté mentionnées aux articles 2 et 3 de la position commune 2001/931.

28     Le Conseil relève également que n’auraient pas été soumis au Tribunal et seraient donc irrecevables au stade du pourvoi deux moyens soulevés par les requérants. Il s’agirait, en premier lieu, du moyen tiré de ce que les États membres étaient tenus de respecter leurs engagements conventionnels antérieurs, conformément à l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, relatif à l’application de traités successifs portant sur la même matière, et à l’article 307 du traité CE. Ces engagements conventionnels antérieurs garantiraient le respect effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le second moyen irrecevable serait celui tiré de ce qu’il existerait, dans la jurisprudence de la Cour, un principe d’interprétation de «compétence élargie» en vertu duquel la Cour aurait déjà admis sa compétence au-delà des termes du traité.

 Appréciation de la Cour

29     Aux termes de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

30     Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (voir arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, Rec. p. I-1981, points 58 et 59).

31     Dans la présente affaire, il y a lieu de constater que les moyens tirés de la modification du libellé de la note de bas de page de l’annexe de la position commune 2001/931, du respect, par les États membres, de leurs engagements conventionnels antérieurs et du principe d’interprétation générale relative à une «compétence élargie» de la Cour n’ont pas été soulevés par les requérants devant le Tribunal.

32     Ces moyens sont, par suite, irrecevables.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

33     Les requérants soutiennent que le Tribunal s’est, à tort, déclaré incompétent pour examiner leur recours en indemnité.

34     L’Union serait une communauté de droit, qui garantit, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE, le droit à un recours effectif, visé à l’article 13 de la CEDH, ainsi que le droit à un tribunal, prévu à l’article 6 de la même convention.

35     En outre, par sa déclaration relative au droit à réparation, le Conseil aurait reconnu que toute erreur dans l’établissement de la liste annexée à la position commune 2001/931 est constitutive d’une faute de sa part et que celle-ci ouvre droit à réparation. Par cette déclaration, le Conseil aurait affirmé que ce droit devait être ouvert aux personnes, groupes et entités visés, comme les requérants, à l’article 4 de la position commune 2001/931, dans les mêmes conditions qu’aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste annexée au règlement nº 2580/2001 ou visés à l’article 3 de ladite position commune, qui peuvent s’adresser au Tribunal dès lors qu’ils sont visés dans des actes pris au titre du traité CE. Les requérants se réfèrent, à cet égard, à l’ordonnance du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil (T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047).

36     L’acte à l’origine du préjudice allégué étant un acte du Conseil, adopté conjointement par l’ensemble des États membres, une action indemnitaire ne pourrait d’ailleurs pas être formée devant les juridictions nationales, qui seraient incompétentes pour en connaître, la responsabilité des États membres étant indivisible.

37     Il est fait valoir par ailleurs que la décision 2003/48/JAI du Conseil, du 19 décembre 2002, relative à l’application de mesures spécifiques de coopération policière et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme, conformément à l’article 4 de la position commune 2001/931 (JO 2003, L 16, p. 68), énonce, à son huitième considérant que «[l]a présente décision est conforme aux droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. Rien dans la présente décision ne peut être interprété comme permettant de méconnaître la protection juridique accordée conformément au droit national aux personnes, aux groupes et aux entités qui figurent sur la liste en annexe à la position commune 2001/931/PESC».

38     La déclaration du Conseil relative au droit à réparation, éclairée par le huitième considérant de la décision 2003/48, ainsi que l’article 6, paragraphe 2, UE constitueraient, ensemble, une base juridique solide pour affirmer la compétence de la juridiction communautaire. Le Tribunal aurait donc entaché l’ordonnance attaquée d’erreur de droit en déclarant qu’il était incompétent pour statuer sur les prétentions indemnitaires des requérants.

39     Les requérants allèguent en outre que le Conseil aurait, en vue de lutter contre le terrorisme, adopté plusieurs textes sur des bases juridiques différentes dans le but de priver certaines catégories de personnes, groupes et entités du droit à un recours effectif.

40     Le Conseil soutient que le pourvoi n’est pas fondé. Le Tribunal aurait considéré à juste titre qu’aucune voie de recours indemnitaire n’est prévue dans le cadre du titre VI du traité UE. Dès lors que ne serait pas en cause un acte pris dans le cadre de la Communauté européenne, mais un acte pris au titre des dispositions qui régissent l’Union, une action en responsabilité ne pourrait être formée sur le fondement de l’article 288 CE. Le Conseil invoque à l’appui de sa thèse l’arrêt du 26 novembre 1975, Grands moulins des Antilles/Commission (99/74, Rec. p. 1531, point 17).

41     Le huitième considérant de la décision 2003/48 ne viserait que la protection juridique accordée «conformément au droit national» et non au droit communautaire. Ni ce texte ni la déclaration du Conseil relative au droit à réparation ne seraient de nature à permettre à la juridiction communautaire de statuer sur le recours indemnitaire des requérants, qui n’est pas prévu par le traité UE.

42     Le Royaume d’Espagne indique que les activités de Segi ont été déclarées illégales par ordonnance du 5 février 2002 du juge central d’instruction nº 5 de l’Audiencia Nacional de Madrid, au motif que Segi faisait partie intégrante de l’organisation terroriste ETA‑KAS‑EKIN. Mme Zubimendi Izaga serait poursuivie comme responsable de Segi. M. Galarraga serait poursuivi également en tant que responsable de Segi et aurait fait l’objet d’un avis de recherche international en vigueur depuis le 13 mars 2002, délivré par le même juge central d’instruction.

43     Sur le fond, le Royaume d’Espagne partage la thèse du Conseil. Le pourvoi n’apporterait aucun élément susceptible de remettre en cause la légalité de l’ordonnance attaquée.

 Appréciation de la Cour

–       Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du titre VI du traité UE

44     Il résulte de l’article 46 UE que les dispositions des traités CE et CEEA relatives à la compétence de la Cour ne sont applicables au titre VI du traité UE «que dans les conditions prévues à l’article 35 UE».

45     Cette dernière disposition prévoit que la Cour est compétente dans trois hypothèses. En premier lieu, en vertu du paragraphe 1 de l’article 35 UE, elle est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur la validité et l’interprétation des décisions‑cadres et des décisions, sur l’interprétation des conventions établies en vertu du titre VI du traité UE ainsi que sur la validité et l’interprétation de leurs mesures d’application. En deuxième lieu, le paragraphe 6 prévoit également la compétence de la Cour pour contrôler la légalité des décisions‑cadres et des décisions lorsqu’un recours est formé par un État membre ou par la Commission des Communautés européennes pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité UE ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir. Enfin, le paragraphe 7 prévoit la compétence de la Cour pour statuer sur tout différend entre États membres concernant l’interprétation ou l’application des actes adoptés au titre de l’article 34, paragraphe 2, UE dès lors que ce différend n’a pu être réglé au sein du Conseil dans les six mois qui ont suivi la saisine de celui-ci par l’un de ses membres.

46     L’article 35 UE n’attribue en revanche à la Cour aucune compétence pour connaître d’un quelconque recours en indemnité.

47     En outre, l’article 41, paragraphe 1, UE ne fait pas figurer, parmi les articles du traité instituant la Communauté européenne qui sont applicables dans les domaines visés au titre VI du traité sur l’Union européenne, l’article 288, deuxième alinéa, CE, selon lequel la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, ni l’article 235 CE, aux termes duquel la Cour est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE (voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2005, Espagne/Eurojust, C‑160/03, Rec. p. I‑2077, point 38).

48     Il résulte de ce qui précède que le Tribunal n’a pas entaché son ordonnance d’erreur de droit en jugeant qu’aucun recours en responsabilité n’est prévu dans le cadre du titre VI du traité UE. Le moyen doit, par conséquent, être écarté.

–       Sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit à une protection juridictionnelle effective

49     Les requérants invoquaient également devant le Tribunal le respect des droits fondamentaux et, en particulier, le droit à une protection juridictionnelle effective découlant de l’article 6, paragraphe 2, UE. Ils font valoir en substance qu’ils ne disposent d’aucun moyen pour contester l’inscription de Segi sur la liste annexée à la position commune 2001/931 et que l’ordonnance attaquée porte atteinte à leur droit à une protection juridictionnelle effective.

50     Il est vrai que, s’agissant de l’Union, les traités ont établi un système de voies de recours dans lequel les compétences de la Cour sont, en vertu de l’article 35 UE, moins étendues dans le cadre du titre VI du traité sur l’Union européenne qu’elles ne le sont au titre du traité CE (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C‑105/03, Rec. p. I‑5285, point 35). Elles le sont d’ailleurs encore moins dans le cadre du titre V. Si un système de voies de recours, et notamment un régime de responsabilité extracontractuelle autre que celui mis en place par les traités est certes envisageable, il appartient, le cas échéant, aux États membres, conformément à l’article 48 UE, de réformer le système actuellement en vigueur.

51     Les requérants ne peuvent toutefois valablement soutenir qu’ils sont privés de toute protection juridictionnelle. Ainsi qu’il résulte de l’article 6 UE, l’Union est fondée sur le principe de l’État de droit et respecte les droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire. Il s’ensuit que les institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec les traités et les principes généraux du droit, de même que les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

52     Il faut à cet égard souligner que l’article 34 UE prévoit que le Conseil peut adopter des actes de natures et de portées différentes. Aux termes de l’article 34, paragraphe 2, sous a), UE, le Conseil peut «arrêter des positions communes définissant l’approche de l’Union sur une question déterminée». Une position commune oblige les États membres à s’y conformer, en vertu du principe de coopération loyale qui implique notamment que les États membres prennent toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de leurs obligations au titre du droit de l’Union européenne (voir arrêt Pupino, précité, point 42). L’article 37 UE prévoit ainsi que les États membres défendent les positions communes «dans les organisations internationales et lors des conférences internationales auxquelles ils participent». Toutefois, une position commune n’est pas censée avoir par elle-même d’effet juridique vis-à-vis des tiers. C’est pourquoi, dans le système institué par le titre VI du traité UE, seules les décisions‑cadres et les décisions peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice. La compétence de la Cour, telle que définie par le paragraphe 1 de l’article 35 UE, de statuer à titre préjudiciel, ne s’étend pas, non plus, aux positions communes, mais se limite à la vérification de la validité et à l’interprétation des décisions cadres et des décisions, à l’interprétation des conventions établies en vertu du titre VI, ainsi qu’à la validité et à l’interprétation de leurs mesures d’application.

53     En ne prévoyant pas la possibilité pour les juridictions nationales de saisir la Cour d’une question préjudicielle portant sur une position commune mais seulement d’une question portant sur les actes énumérés à l’article 35, paragraphe 1, UE, celui-ci envisage comme actes susceptibles de faire l’objet d’un tel renvoi préjudiciel toutes dispositions prises par le Conseil et visant à produire un effet juridique vis-à-vis des tiers. Dès lors que la procédure qui permet à la Cour de statuer à titre préjudiciel tend à assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité, il serait contraire à cet objectif d’interpréter restrictivement l’article 35, paragraphe 1, UE. La possibilité de saisir la Cour à titre préjudiciel doit donc être ouverte à l’égard de toutes les dispositions prises par le Conseil, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers (voir, par analogie, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR», 22/70, Rec. p. 263, points 38 à 42, et du 20 mars 1997, France/Commission, C‑57/95, Rec. p. I‑1627, points 7 et suivants).

54     Par voie de conséquence, une position commune qui aurait, du fait de son contenu, une portée qui dépasse celle assignée par le traité UE à ce type d’acte doit pouvoir être soumise au contrôle de la Cour. Dès lors, une juridiction nationale, saisie d’un litige qui, de manière incidente, poserait la question de la validité ou de l’interprétation d’une position commune adoptée sur le fondement de l’article 34 UE, comme l’est en l’espèce une partie de la position commune 2001/931 et, en tout cas, son article 4 ainsi que son annexe, et qui aurait un doute sérieux sur la question de savoir si cette position commune viserait en réalité à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers, pourrait demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel, dans les conditions posées à l’article 35, UE. Il appartiendrait alors à la Cour de constater, le cas échéant, que la position commune vise à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers, de lui restituer sa véritable qualification, et de statuer à titre préjudiciel.

55     La Cour serait également compétente pour contrôler la légalité de tels actes lorsqu’un recours a été formé par un État membre ou par la Commission dans les conditions posées à l’article 35, paragraphe 6, UE.

56     Enfin, il y a lieu de rappeler qu’il appartient aux États membres et, notamment, à leurs juridictions, d’interpréter et d’appliquer les règles internes de procédure gouvernant l’exercice des recours d’une manière qui permette aux personnes physiques et morales de contester en justice la légalité de toute décision ou de toute autre mesure nationale relative à l’élaboration ou à l’application à leur égard d’un acte de l’Union européenne et de demander réparation du préjudice le cas échéant subi.

57     Il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la position commune contestée les laisserait sans recours, contrairement à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective, et que l’ordonnance attaquée porterait atteinte à leur droit à une telle protection. Le moyen doit, par conséquent, être écarté.

–       Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la déclaration faite par le Conseil dans sa décision 15453/01 du 18 décembre 2001

58     Les requérants invoquaient devant le Tribunal la déclaration faite par le Conseil dans sa décision 15453/01 du 18 décembre 2001 aux termes de laquelle «le Conseil rappelle au sujet de l’article 1, paragraphe 6, de la position commune relative à l’application de mesures spécifiques en vue de combattre le terrorisme, et de l’article 2, paragraphe 3, du règlement sur des mesures restrictives spécifiques dirigées contre certaines personnes et entités en vue de combattre le terrorisme, que toute erreur quant aux personnes, groupes ou entités visés donne le droit à la partie lésée de demander réparation en justice».

59     Selon les requérants, cette déclaration devrait être interprétée à la lumière du huitième considérant de la décision 2003/48/JAI du Conseil, du 19 décembre 2002, relative à l’application de mesures spécifiques de coopération policière et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme, aux termes duquel: «[l]a présente décision est conforme aux droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. Rien dans la présente décision ne peut être interprété comme permettant de méconnaître la protection juridique accordée conformément au droit national aux personnes, aux groupes et aux entités qui figurent sur la liste en annexe à la position commune 2001/931/PESC».

60     Il résulte toutefois d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une telle déclaration ne suffit pas à créer une voie de droit qui n’est pas prévue par les textes applicables et qu’elle ne peut se voir, dès lors, reconnaître aucune portée juridique ni être retenue pour l’interprétation du droit issu du traité UE lorsque, comme en l’espèce, le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 1991, Antonissen, C‑292/89, Rec. p. I‑745, point 18; du 29 mai 1997, VAG Sverige, C‑329/95, Rec. p. I‑2675, point 23, et du 24 juin 2004, Heidelberger Bauchemie, C‑49/02, Rec. p. I‑6129, point 17).

61     C’est par suite sans erreur de droit que le Tribunal a jugé, par l’ordonnance attaquée, que la déclaration du Conseil dans sa décision 15453/01 du 18 décembre 2001 ne saurait suffire à attribuer à la Cour la compétence pour connaître d’un recours indemnitaire dans le cadre du titre VI du traité UE.

62     Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que c’est sans entacher son ordonnance d’erreur de droit que le Tribunal s’est déclaré manifestement incompétent pour connaître du recours en indemnité tendant à la réparation du préjudice éventuellement causé aux requérants par l’inscription de Segi sur la liste annexée à la position commune 2001/931, telle que mise à jour par les positions communes 2002/340 et 2002/462.

63     Aucun des moyens n’étant fondé, il convient de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

64     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation des requérants et ceux‑ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

65     Aux termes de l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu dudit article 118, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Conformément à cette disposition, il y a, dès lors, lieu de décider que le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Segi, Mme Zubimendi Izaga et M. Galarraga sont condamnés aux dépens.

3)      Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.