Affaire C-341/04

Eurofood IFSC Ltd

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Supreme Court)

«Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) nº 1346/2000 — Procédures d'insolvabilité — Décision d'ouverture de la procédure — Centre des intérêts principaux du débiteur — Reconnaissance de la procédure d'insolvabilité — Ordre public»

Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 27 septembre 2005 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 2 mai 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 3, § 1)

2.     Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 16, § 1)

3.     Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 26)

4.     Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 26)

1.     Lorsqu'un débiteur est une filiale dont le siège statutaire et celui de sa société mère sont situés dans deux États membres différents, la présomption énoncée à l'article 3, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement nº 1346/2000, selon laquelle le centre des intérêts principaux de cette filiale est situé dans l'État membre où se trouve son siège statutaire, ne peut être réfutée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d'établir l'existence d'une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire est censée refléter. Tel pourrait être notamment le cas d'une société qui n'exercerait aucune activité sur le territoire de l'État membre où est situé son siège social. En revanche, lorsqu'une société exerce son activité sur le territoire de l'État membre où est situé son siège social, le fait que ses choix économiques soient ou puissent être contrôlés par une société mère établie dans un autre État membre ne suffit pas pour écarter la présomption prévue par le règlement.

(cf. point 37, disp. 1)

2.     L'article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement nº 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la procédure d'insolvabilité principale ouverte par une juridiction d'un État membre doit être reconnue par les juridictions des autres États membres, sans que celles-ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l'État d'ouverture. En effet, la règle de priorité définie à cette disposition, qui prévoit que la procédure d'insolvabilité ouverte dans un État membre est reconnue dans tous les États membres dès qu'elle produit ses effets dans l'État d'ouverture, repose sur le principe de la confiance mutuelle qui a permis la mise en place d'un système obligatoire de compétences et la renonciation corrélative par les États membres à leurs règles internes de reconnaissance et d'exequatur au profit d'un mécanisme simplifié de reconnaissance et d'exécution des décisions rendues dans le cadre de procédures d'insolvabilité. Si une partie intéressée, considérant que le centre des intérêts principaux du débiteur se situe dans un État membre autre que celui dans lequel a été ouverte la procédure d'insolvabilité principale, entend contester la compétence assumée par la juridiction qui a ouvert cette procédure, il lui appartient d'utiliser, devant les juridictions de l'État membre où celle-ci a été ouverte, les recours prévus par le droit national de cet État membre à l'encontre de la décision d'ouverture.

(cf. points 39-40, 43, disp. 2)

3.     L'article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement nº 1346/2000 doit être interprété en ce sens que constitue une décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité la décision rendue par une juridiction d'un État membre saisie d'une demande à cet effet, fondée sur l'insolvabilité du débiteur, tendant à l'ouverture d'une procédure visée à l'annexe A du même règlement, lorsque cette décision entraîne le dessaisissement du débiteur et porte nomination d'un syndic visé à l'annexe C dudit règlement. Ce dessaisissement implique que le débiteur perde les pouvoirs de gestion qu'il détient sur son patrimoine. En effet, le mécanisme prévoyant que ne peut être ouverte qu'une seule procédure principale, produisant ses effets dans tous les États membres dans lesquels le règlement est applicable, pourrait être gravement perturbé si les juridictions de ces derniers, saisies concomitamment de demandes fondées sur l'insolvabilité d'un débiteur, pouvaient revendiquer pendant une période prolongée une compétence concurrente. Il importe donc, aux fins d'assurer l'efficacité du système instauré par le règlement, que le principe de reconnaissance prévu par cette disposition puisse s'appliquer le plus tôt possible au cours de la procédure.

(cf. points 52, 54, disp. 3)

4.     L'article 26 du règlement nº 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu'un État membre peut refuser de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre État membre lorsque la décision d'ouverture a été prise en violation manifeste du droit fondamental à être entendue dont dispose une personne concernée par une telle procédure. Si les modalités concrètes du droit à être entendu peuvent varier en fonction de l'urgence qu'il peut y avoir à statuer, toute restriction à l'exercice de ce droit doit être dûment justifiée et entourée de garanties procédurales assurant aux personnes concernées par une telle procédure une possibilité effective de contester les mesures adoptées dans l'urgence. S'il appartient au juge de l'État requis d'établir si une violation manifeste du droit d'être entendu a effectivement eu lieu lors du déroulement de la procédure devant la juridiction de l'autre État membre, ce juge ne saurait se limiter à transposer sa propre conception de l'oralité des débats et du caractère fondamental que celle-ci revêt dans son ordre juridique, mais doit apprécier, au vu de l'ensemble des circonstances, si les personnes concernées par ladite procédure ont bénéficié ou non d'une possibilité suffisante d'être entendues.

(cf. points 66-68, disp. 4)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

2 mai 2006 (*)

«Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Procédures d’insolvabilité – Décision d’ouverture de la procédure – Centre des intérêts principaux du débiteur – Reconnaissance de la procédure d’insolvabilité – Ordre public»

Dans l’affaire C-341/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 68 CE et 234 CE, introduite par la Supreme Court (Irlande), par décision du 27 juillet 2004, parvenue à la Cour le 9 août 2004, dans la procédure

 Eurofood IFSC Ltd,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann (rapporteur), C. W. A. Timmermans, A. Rosas et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. J.‑P. Puissochet, R. Schintgen, Mme  N. Colneric, MM. J. Klučka, U. Lõhmus et E. Levits, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juillet 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour M. Bondi, par MM. G. Moss, QC, et B. Shipsey, SC, M. J. Gleeson, Mmes G. Clohessy et E. Barrington, barristers‑at‑law, ainsi que par MM. B.O’Neil, D. Smith et C. Mallon, solicitors,

–       pour la Bank of America NA, par MM. M. M. Collins et L. McCann, SC, ainsi que par MM. B. Kennedy, barrister-at-law, et M. W. Day, solicitor,

–       pour M. Farrell, Official Liquidator, par MM. M. G. Collins, SC, et D. Murphy, barrister-at-law, ainsi que M. T. O’Grady, solicitor,

–       pour le Director of Corporate Enforcement, par Mmes A. Keating, principal solicitor, et C. Costello, barrister-at-law,

–       pour les Certificate/Note holders, par MM. D. Baxter, solicitor, D. McDonald, SC, et J. Breslin, barrister-at-law,

–       pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. D. Barniville, barrister-at-law,

–       pour le gouvernement tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J‑C. Niollet ainsi que par Mme A. Bodard-Hermant, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de MM. O. Fiumara et M. Massella Ducci Teri, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement hongrois, par M. P. Gottfried, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement finlandais, par Mmes T. Pynnä et A. Guimaraes‑Purokoski, en qualité d’agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes C. O’Reilly et A.-M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1, ci-après le «règlement»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité concernant la société de droit irlandais Eurofood IFSC Ltd (ci-après «Eurofood»).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, le règlement s’applique «aux procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic».

4       Selon l’article 2 du règlement, intitulé «Définitions»:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

«a)      ‘procédure d’insolvabilité’: les procédures collectives visées à l’article 1er, paragraphe 1. La liste de ces procédures figure à l’annexe A;

b)      ‘syndic’: toute personne ou tout organe dont la fonction est d’administrer ou de liquider les biens dont le débiteur est dessaisi ou de surveiller la gestion de ses affaires. La liste de ces personnes et organes figure à l’annexe C;

[…]

e)      ‘décision’: lorsqu’il s’agit de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ou de la nomination d’un syndic, la décision de toute juridiction compétente pour ouvrir une telle procédure ou pour nommer un syndic;

f)      ‘moment de l’ouverture de la procédure’: le moment où la décision d’ouverture prend effet, que cette décision soit ou non définitive;

[…]»

5       L’annexe A du règlement, relative aux procédures d’insolvabilité visées à l’article 2, sous a), de celui-ci, mentionne, sous Irlande, la procédure de liquidation forcée («compulsory winding up by the Court»). L’annexe C du même règlement indique, au titre des syndics visés audit article 2, sous b), le «provisional liquidator» en ce qui concerne cet État membre.

6       S’agissant de la détermination de la juridiction compétente, l’article 3, paragraphes 1 et 2, du règlement prévoit:

«1.      Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

2.      Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.»

7       Pour ce qui est de la détermination de la loi applicable, l’article 4, paragraphe 1, du règlement dispose:

«Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte […]»

8       En ce qui concerne la reconnaissance de la procédure d’insolvabilité, l’article 16, paragraphe 1, du règlement énonce:

«Toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture.»

9       L’article 17, paragraphe 1, du règlement est libellé comme suit:

«La décision d’ouverture d’une procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre État membre les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture […]»

10     Toutefois, aux termes de l’article 26 du règlement:

«Tout État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d’exécuter une décision prise dans le cadre d’une telle procédure, lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution.»

11     Selon l’article 29, sous a), du règlement, le syndic de la procédure principale peut demander l’ouverture d’une procédure secondaire.

12     L’article 38 du règlement prévoit que le syndic provisoire désigné par la juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du même règlement «est habilité à demander toute mesure de conservation ou de protection sur les biens du débiteur qui se trouvent dans un autre État membre prévue par la loi de cet État, pour la période séparant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité de la décision d’ouverture».

 La réglementation nationale

13     L’article 212 de la loi de 1963 sur les sociétés (Companies Act 1963, ci‑après la «Companies Act») confère compétence à la High Court pour procéder à la liquidation de toute société.

14     L’article 215 de la Companies Act dispose que la liquidation d’une société débute par la présentation au tribunal, par la société ou par un ou plusieurs créanciers de celle-ci, d’une demande tendant à faire prononcer la liquidation de cette société.

15     L’article 220 de la Companies Act prévoit:

«1)      Si, avant la présentation d’une demande visant à obtenir la liquidation d’une société par le tribunal, la société a adopté une résolution aux fins de liquidation volontaire, la liquidation de la société est réputée avoir débuté à la date d’adoption de la résolution et, à moins que le tribunal ne juge opportun, sur preuve de la fraude ou de l’erreur, de procéder autrement, toutes les procédures menées dans le cadre de la liquidation volontaire sont réputées avoir été valablement menées.

2)      En toute autre hypothèse, la liquidation d’une société par le tribunal est réputée débuter à la date de présentation de la demande de liquidation.»

16     L’article 226, paragraphe 1, de la Companies Act dispose que le tribunal peut désigner un syndic à titre provisoire, à tout moment après la présentation d’une demande de liquidation. Sinon, la désignation du syndic, prévue par l'article 225 de la même loi, intervient à la délivrance de l’ordonnance de liquidation. Une fois désigné, un «provisional liquidator» est obligé, selon l’article 229, paragraphe 1, de celle-ci, de «prendre en dépôt ou de placer sous son contrôle tous les biens tant corporels qu’incorporels en cause auxquels l’entreprise a droit ou semble avoir droit».

 Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

17     Eurofood a été immatriculée en Irlande en 1997 en tant que «company limited by shares» (société en commandite par actions) ayant son siège statutaire à l’International Financial Services Center à Dublin. C’est une filiale à 100 % de Parmalat SpA, société de droit italien. Son objet principal était d’offrir des facilités de financement aux sociétés du groupe Parmalat.

18     Le 24 décembre 2003, en application du décret-loi n° 347, du 23 décembre 2003, relatif aux mesures urgentes en vue de la restructuration industrielle des grandes entreprises en état d’insolvabilité (GURI n° 298, du 24 décembre 2003, p. 4), le ministre des Activités de production italien a admis Parmalat SpA à la procédure d’administration extraordinaire et désigné M. Bondi en qualité d’administrateur extraordinaire de cette société.

19     Le 27 janvier 2004, la Bank of America NA a demandé à la High Court (Irlande) l’ouverture d’une procédure de liquidation forcée («compulsory winding up by the Court») à l’encontre d’Eurofood ainsi que la nomination d’un syndic provisoire. Cette demande était fondée sur l’allégation selon laquelle cette dernière société était insolvable.

20     Le même jour, la High Court, sur la base de cette demande, a désigné M. Farrell en qualité de syndic provisoire («provisional liquidator»), en lui conférant les pouvoirs de confisquer tous les actifs de cette société, de gérer les affaires de celle-ci, d’ouvrir un compte bancaire au nom de ladite société et de s’assurer les services d’un conseil.

21     Le 9 février 2004, le ministre des Activités de production italien a admis Eurofood à la procédure d’administration extraordinaire et a nommé M. Bondi en tant qu’administrateur extraordinaire.

22     Le 10 février 2004, a été déposée devant le Tribunale civile e penale di Parma (Italie) une demande tendant à faire constater l’insolvabilité d’Eurofood. L’audience a été fixée au 17 février 2004, date dont M. Farrell a été informé le 13 février. Le 20 février 2004, ladite juridiction, considérant que le centre des intérêts principaux d’Eurofood se trouvait en Italie, s’est estimé internationalement compétente pour constater l’état d’insolvabilité de cette société.

23     Par jugement du 23 mars 2004, la High Court a décidé que, selon la loi irlandaise, la procédure d’insolvabilité à l’encontre d’Eurofood avait été ouverte en Irlande à la date de la demande présentée à cet effet par la Bank of America NA, soit le 27 janvier 2004. Considérant que le centre des intérêts principaux d’Eurofood se trouvait en Irlande, la High Court a jugé que la procédure ouverte dans cet État membre était la procédure principale. Elle a également considéré que les conditions du déroulement de la procédure devant le Tribunale civile e penale di Parma étaient de nature à justifier, en application de l’article 26 du règlement, le refus des juridictions irlandaises de reconnaître la décision de ce tribunal. Constatant l’état d’insolvabilité d’Eurofood, la High Court a ordonné la liquidation de cette société et nommé M. Farrell en qualité de liquidateur.

24     M. Bondi ayant interjeté appel dudit jugement, la Supreme Court a estimé nécessaire, avant de se prononcer sur le litige dont elle est saisie, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Lorsqu’une juridiction compétente en Irlande est saisie d’une demande tendant à faire prononcer la liquidation (‘winding up’) d’une entreprise insolvable et que, en attendant de prendre une ordonnance de liquidation, cette juridiction rend une ordonnance portant nomination d’un syndic à titre provisoire (‘provisional liquidator’) doté des pouvoirs de confisquer les actifs de l’entreprise, de gérer ses affaires, d’ouvrir un compte bancaire et de désigner un conseil, tout cela ayant, en droit, pour effet de priver les administrateurs de l’entreprise du pouvoir d’agir, cette ordonnance, combinée avec la présentation de la demande, constitue-t-elle une décision ouvrant une procédure d’insolvabilité (‘insolvency proceedings’) aux fins de l’article 16 du règlement […], interprété à la lumière de ses articles 1er et 2?

2)      Si la réponse à la première question est négative, la présentation, en Irlande devant la High Court, d’une demande tendant à faire prononcer par cette juridiction la liquidation forcée (‘compulsory winding up’) d’une entreprise constitue-t-elle l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (‘insolvency proceedings’) aux fins dudit règlement, en vertu de la disposition légale irlandaise [article 220 (2) de la Companies Act] qui considère que la liquidation de l’entreprise débute à la date de présentation de la demande?

3)      L’article 3 dudit règlement, combiné avec l’article 16 de celui-ci, a-t-il pour effet qu’une juridiction d’un État membre autre que celui dans lequel est situé le siège statutaire de l’entreprise, et autre que celui où l’entreprise gère habituellement ses intérêts d’une manière vérifiable par les tiers, mais où la procédure d’insolvabilité est ouverte en premier lieu, est compétente pour ouvrir la procédure d’insolvabilité principale?

4)      Lorsque

a)      les sièges statutaires respectifs d’une société mère et de sa filiale sont situés dans deux États membres différents,

b)      que la filiale gère habituellement ses intérêts d’une manière vérifiable par les tiers et dans le respect total et permanent de sa propre identité sociale dans l’État membre où est situé son siège statutaire et

c)      que, en raison de sa participation et de son pouvoir de nommer les administrateurs, la société mère est en mesure de contrôler et contrôle effectivement la politique de la filiale,

lors de la détermination du ‘centre des intérêts principaux’, les facteurs déterminants sont-ils ceux mentionnés au point b) ci‑dessus ou, au contraire, ceux mentionnés au point c) ci-dessus?

5)      Lorsqu’il est manifestement contraire à l’ordre public d’un État membre d’autoriser qu’une décision judiciaire ou administrative produise des effets juridiques à l’égard de personnes ou d’organes dont le droit à des modalités de procédure et à un procès équitables n’est pas respecté lors de l’adoption d’une telle décision, cet État membre est-il tenu, en vertu de l’article 17 dudit règlement, de reconnaître une décision arrêtée par les juridictions d’un autre État membre, censée ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard d’une entreprise, dans un cas où la juridiction du premier État membre est convaincue que la décision en cause a été rendue au mépris de ces principes et, en particulier, lorsque le demandeur dans le second État membre refuse, malgré les demandes et contrairement à l’ordonnance de la juridiction du second État membre, de fournir au ‘provisional liquidator’ de l’entreprise, dûment nommé conformément au droit du premier État membre, tout exemplaire des pièces essentielles fondant sa demande?»

25     Par ordonnance du président de la Cour du 15 septembre 2004, la demande de la Supreme Court visant à soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure a été rejetée.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la quatrième question

26     Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu en tant qu’elle a trait, de manière générale, au système de détermination de la compétence des juridictions des États membres mis en place par le règlement, la juridiction de renvoi demande quel est, dans le contexte d’une société mère et de sa filiale ayant leurs sièges statutaires respectifs dans deux États membres différents, le facteur déterminant pour l’identification du centre des intérêts principaux de la filiale.

27     La juridiction de renvoi s’interroge sur la pondération à opérer entre, d’une part, le fait que la filiale gère habituellement ses intérêts, de manière vérifiable par les tiers et dans le respect de son identité propre en tant que société, dans l’État membre où se trouve son siège statutaire et, d’autre part, le fait que la société mère est en mesure, en raison de sa participation dans le capital et de son pouvoir de nommer les dirigeants de la filiale, de contrôler la politique de cette dernière.

28     L’article 3 du règlement prévoit deux types de procédures. La procédure d’insolvabilité ouverte, conformément au paragraphe 1 de cet article, par la juridiction compétente de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur, qualifiée de «procédure principale», produit des effets universels, en ce qu’elle s’applique aux biens du débiteur situés dans tous les États membres dans lesquels le règlement est applicable. Si, ultérieurement, une procédure peut, conformément au paragraphe 2 dudit article, être ouverte par la juridiction compétente de l’État membre où le débiteur possède un établissement, cette procédure, qualifiée de «procédure secondaire», produit des effets qui sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur le territoire de ce dernier État.

29     L’article 3, paragraphe 1, du règlement précise que, pour les sociétés, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire.

30     Il s’ensuit que, dans le système de détermination de la compétence des juridictions des États membres mis en place par le règlement, il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur constituant une entité juridiquement distincte.

31     La notion de centre des intérêts principaux est propre au règlement. Partant, elle revêt une signification autonome et doit donc être interprétée de manière uniforme et indépendante des législations nationales.

32     La portée de cette notion est éclairée par le treizième considérant du règlement, qui indique que «[l]e centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers».

33     Il ressort de cette définition que le centre des intérêts principaux doit être identifié en fonction de critères à la fois objectifs et vérifiables par les tiers. Cette objectivité et cette possibilité de vérification par les tiers sont nécessaires afin de garantir la sécurité juridique et la prévisibilité concernant la détermination de la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale. Cette sécurité juridique et cette prévisibilité revêtent une importance d’autant plus grande que la détermination de la juridiction compétente entraîne, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement, celle de la loi applicable.

34     Il s’ensuit que, pour la détermination du centre des intérêts principaux d’une société débitrice, la présomption simple prévue par le législateur communautaire au bénéfice du siège statutaire de cette société ne peut être écartée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire est censée refléter.

35     Tel pourrait être notamment le cas d’une société «boîte aux lettres» qui n’exercerait aucune activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social.

36     En revanche, lorsqu’une société exerce son activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social, le simple fait que ses choix économiques soient ou puissent être contrôlés par une société mère établie dans un autre État membre ne suffit pas pour écarter la présomption prévue par le règlement.

37     Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la quatrième question que, lorsqu’un débiteur est une filiale dont le siège statutaire et celui de sa société mère sont situés dans deux États membres différents, la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement, selon laquelle le centre des intérêts principaux de cette filiale est situé dans l’État membre où se trouve son siège statutaire, ne peut être réfutée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire est censée refléter. Tel pourrait être notamment le cas d’une société qui n’exercerait aucune activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social. En revanche, lorsqu’une société exerce son activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social, le fait que ses choix économiques soient ou puissent être contrôlés par une société mère établie dans un autre État membre ne suffit pas pour écarter la présomption prévue par le règlement.

 Sur la troisième question

38     Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu en tant qu’elle concerne, de manière générale, le système de reconnaissance mis en place par le règlement, la juridiction de renvoi demande en substance si, en vertu des articles 3 et 16 du règlement, une juridiction d’un État membre, autre que celui dans lequel est situé le siège statutaire de l’entreprise et autre que celui où cette dernière gère habituellement ses intérêts d’une manière vérifiable par les tiers, mais dans lequel la procédure d’insolvabilité a été ouverte en premier lieu, doit être considérée comme compétente pour ouvrir la procédure d’insolvabilité principale. La juridiction de renvoi demande ainsi en substance si la compétence assumée par une juridiction d’un État membre pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale peut être contrôlée par une juridiction d’un autre État membre dans lequel la reconnaissance est demandée.

39     Ainsi qu’il ressort du vingt-deuxième considérant du règlement, la règle de priorité définie à l’article 16, paragraphe 1, de celui-ci, qui prévoit que la procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre est reconnue dans tous les États membres dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture, repose sur le principe de la confiance mutuelle.

40     C’est cette confiance mutuelle qui a permis la mise en place d’un système obligatoire de compétences, que toutes les juridictions entrant dans le champ d’application du règlement sont tenues de respecter, et la renonciation corrélative par les États membres à leurs règles internes de reconnaissance et d’exequatur au profit d’un mécanisme simplifié de reconnaissance et d’exécution des décisions rendues dans le cadre de procédures d’insolvabilité [voir par analogie, à propos de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la «convention de Bruxelles»), arrêts du 9 décembre 2003, Gasser, C‑116/02, Rec. p. I‑14693, point 72, et du 27 avril 2004, Turner, C-159/02, Rec. p. I‑3565, point 24].

41     Il est inhérent à ce principe de confiance mutuelle que la juridiction d’un État membre saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale vérifie sa compétence au regard de l’article 3, paragraphe 1, du règlement, c’est-à-dire examine si le centre des intérêts principaux du débiteur se situe dans cet État membre. À cet égard, il y a lieu de souligner qu’un tel examen doit se dérouler dans le respect des garanties procédurales essentielles que requiert le déroulement d’un procès équitable (voir point 66 du présent arrêt).

42     En contrepartie, ainsi que le précise le vingt-deuxième considérant du règlement, le principe de confiance mutuelle exige que les juridictions des autres États membres reconnaissent la décision ouvrant une procédure d’insolvabilité principale, sans pouvoir contrôler l’appréciation portée par la première juridiction sur sa compétence.

43     Si une partie intéressée, considérant que le centre des intérêts principaux du débiteur se situe dans un État membre autre que celui dans lequel a été ouverte la procédure d’insolvabilité principale, entend contester la compétence assumée par la juridiction qui a ouvert cette procédure, il lui appartient d’utiliser, devant les juridictions de l’État membre où celle-ci a été ouverte, les recours prévus par le droit national de cet État membre à l’encontre de la décision d’ouverture.

44     Il convient donc de répondre à la troisième question que l’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement doit être interprété en ce sens que la procédure d’insolvabilité principale ouverte par une juridiction d’un État membre doit être reconnue par les juridictions des autres États membres, sans que celles‑ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l’État d’ouverture.

 Sur la première question

45     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la décision par laquelle une juridiction d’un État membre, saisie d’une demande tendant à faire prononcer la liquidation d’une entreprise insolvable, nomme, avant d’ordonner cette liquidation, un syndic provisoire doté de pouvoirs ayant, en droit, pour effet de priver les dirigeants de l’entreprise du pouvoir d’agir constitue une décision ouvrant une procédure d’insolvabilité au sens de l’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement.

46     Il ressort du libellé de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement que les procédures d’insolvabilité auxquelles celui-ci s’applique doivent répondre à quatre caractéristiques. Il doit s’agir d’une procédure collective, fondée sur l’insolvabilité du débiteur, qui entraîne un dessaisissement à tout le moins partiel de ce dernier et provoque la désignation d’un syndic.

47     Lesdites procédures sont énumérées à l’annexe A du règlement et la liste des syndics figure à l’annexe C de celui-ci.

48     Le règlement ne vise pas à mettre en place une procédure d’insolvabilité uniforme, mais, ainsi qu’il ressort de son deuxième considérant, à assurer que «les procédures d’insolvabilité transfrontalières fonctionnent efficacement et effectivement». À cet effet, il fixe des règles ayant pour objectif, comme l’indique son troisième considérant, «la coordination des mesures à prendre concernant le patrimoine d’un débiteur insolvable».

49     En exigeant que toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité principale prise par une juridiction d’un État membre compétente à cet effet soit reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit des effets dans l’État où elle a été rendue, l’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement fixe une règle de priorité, fondée sur un critère chronologique, au bénéfice de la décision d’ouverture qui a été rendue en premier lieu. Ainsi que l’explique le vingt‑deuxième considérant dudit règlement, «[l]a décision de la juridiction qui ouvre la première la procédure devrait être reconnue dans tous les autres États membres, sans que ceux-ci aient la faculté de soumettre la décision de cette juridiction à un contrôle».

50     Toutefois le règlement ne définit pas avec suffisamment de précision la notion de «décision ouvrant une procédure d’insolvabilité».

51     À cet égard, il convient de rappeler que les conditions et formalités requises pour l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité relèvent du droit national et varient considérablement d’un État membre à l’autre. Dans certains États membres, la procédure est ouverte très peu de temps après le dépôt de la demande, les vérifications nécessaires étant effectuées ultérieurement. Dans d’autres États membres, certaines constatations essentielles, pouvant nécessiter un temps assez long, doivent être opérées avant l’ouverture de la procédure. Dans certains droits nationaux, la procédure peut être ouverte «à titre provisoire» pendant plusieurs mois.

52     Ainsi que le fait valoir la Commission des Communautés européennes, il importe, aux fins d’assurer l’efficacité du système instauré par le règlement, que le principe de reconnaissance prévu à l’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, de celui-ci puisse s’appliquer le plus tôt possible au cours de la procédure. Le mécanisme prévoyant que ne peut être ouverte qu’une seule procédure principale, produisant ses effets dans tous les États membres dans lesquels le règlement est applicable, pourrait être gravement perturbé si les juridictions de ces derniers, saisies concomitamment de demandes fondées sur l’insolvabilité d’un débiteur, pouvaient revendiquer pendant une période prolongée une compétence concurrente.

53     C’est au regard de cet objectif visant à assurer l’efficacité du système instauré par le règlement qu’il importe d’interpréter la notion de «décision ouvrant une procédure d’insolvabilité».

54     Dans ces conditions, doit être considérée comme une «décision ouvrant une procédure d’insolvabilité» au sens du règlement non seulement une décision formellement qualifiée de décision d’ouverture par la réglementation de l’État membre dont relève la juridiction qui l’a rendue, mais encore la décision rendue à la suite d’une demande, fondée sur l’insolvabilité du débiteur, tendant à l’ouverture d’une procédure visée à l’annexe A du règlement, lorsque cette décision entraîne le dessaisissement du débiteur et porte nomination d’un syndic visé à l’annexe C dudit règlement. Un tel dessaisissement implique que le débiteur perde les pouvoirs de gestion qu’il détient sur son patrimoine. Dans un tel cas, en effet, les deux conséquences caractéristiques d’une procédure d’insolvabilité, à savoir la nomination d’un syndic visé à l’annexe C et le dessaisissement du débiteur, ont pris effet et, ainsi, tous les éléments constitutifs de la définition d’une telle procédure donnée à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement sont réunis.

55     Contrairement à ce que font valoir M. Bondi et le gouvernement italien, cette interprétation ne saurait être infirmée par le fait que le syndic visé à l’annexe C du règlement peut être un syndic nommé à titre provisoire.

56     Tant M. Bondi que le gouvernement italien reconnaissent que, dans l’affaire au principal, le «provisional liquidator» nommé par la High Court, par décision du 27 janvier 2004, figure parmi les syndics mentionnés dans l’annexe C du règlement en ce qui concerne l’Irlande. Ils relèvent toutefois qu’il s’agit d’un syndic provisoire et que le règlement contient une disposition spécifique applicable dans ce cas. En effet, ainsi qu’ils le rappellent, l’article 38 dudit règlement habilite le syndic provisoire, défini au seizième considérant de ce règlement comme étant le syndic «désigné avant l’ouverture de la procédure principale», à demander des mesures conservatoires sur les biens du débiteur qui se trouvent dans un autre État membre pour la période séparant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité de la décision d’ouverture. M. Bondi et le gouvernement italien en déduisent que la nomination d’un syndic provisoire ne peut pas ouvrir la procédure d’insolvabilité principale.

57     À cet égard, il convient de relever que l’article 38 du règlement doit être lu en combinaison avec l’article 29 de celui-ci, selon lequel le syndic de la procédure d’insolvabilité principale a le droit de demander l’ouverture d’une procédure secondaire dans un autre État membre. Ledit article 38 vise ainsi la situation dans laquelle la juridiction compétente d’un État membre a été saisie d’une procédure d’insolvabilité principale, alors que cette juridiction, tout en désignant une personne ou un organe en vue de veiller à titre provisoire sur les biens du débiteur, n’a pas encore ordonné le dessaisissement de ce dernier ou nommé un syndic visé à l’annexe C du règlement. Dans ce cas, la personne ou l’organe en cause, quoique n’étant pas habilité à engager une procédure d’insolvabilité secondaire dans un autre État membre, peut demander que des mesures conservatoires soient prises sur les biens du débiteur situés dans cet État membre. Tel n’est toutefois pas le cas dans l’affaire au principal, dans laquelle la High Court a désigné un «provisional liquidator» visé à l’annexe C du règlement et ordonné le dessaisissement du débiteur.

58     Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement doit être interprété en ce sens que constitue une décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité au sens de cette disposition la décision rendue par une juridiction d’un État membre saisie d’une demande à cet effet, fondée sur l’insolvabilité du débiteur et tendant à l’ouverture d’une procédure visée à l’annexe A du même règlement, lorsque cette décision entraîne le dessaisissement du débiteur et porte nomination d’un syndic visé à l’annexe C dudit règlement. Ce dessaisissement implique que le débiteur perde les pouvoirs de gestion qu’il détient sur son patrimoine.

 Sur la deuxième question

59     Au vu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

 Sur la cinquième question

60     Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande en substance si un État membre est tenu, en vertu de l’article 17 du règlement, de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre lorsque la décision ouvrant cette procédure a été rendue en méconnaissance de modalités procédurales garanties dans le premier État par les exigences de son ordre public.

61     Si le vingt-deuxième considérant du règlement déduit du principe de la confiance mutuelle que «les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire», l’article 26 de celui-ci prévoit qu’un État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre lorsque cette reconnaissance produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa Constitution.

62     Dans le contexte de la convention de Bruxelles, la Cour a jugé que le recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 27, point 1, de cette convention, en ce qu’il constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux de celle-ci, à savoir faciliter la libre circulation des jugements, ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (arrêt du 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, Rec. p. I‑1935, points 19 et 21).

63     Se reconnaissant compétente pour contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État contractant peut avoir recours à cette clause d’ordre public pour ne pas reconnaître une décision émanant d’une juridiction d’un autre État contractant, la Cour, dans le cadre de la convention de Bruxelles, a jugé qu’un recours à ladite clause n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance ou l’exécution de la décision rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. L’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique (arrêt Krombach, précité, points 23 et 37).

64     Cette jurisprudence est transposable à l’interprétation de l’article 26 du règlement.

65     En ce qui concerne le domaine de la procédure, il convient de rappeler que la Cour a reconnu expressément le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable (arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I-8417, points 20 et 21; du 11 janvier 2000, Pays‑Bas et Van der Wal/Commission, C-174/98 P et C‑189/98 P, Rec. p. I‑1, point 17, ainsi que Krombach, précité, point 26). Ce principe s’inspire des droits fondamentaux qui font partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies notamment par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

66     S’agissant plus précisément du droit à obtenir communication des pièces de procédure et, plus généralement, du droit à être entendu auxquels fait référence la cinquième question posée par la juridiction de renvoi, il convient de relever qu’ils occupent une place éminente dans l’organisation et le déroulement d’un procès équitable. Dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, le droit pour les créanciers ou leurs représentants de participer à la procédure dans le respect du principe de l’égalité des armes revêt une importance particulière. Si les modalités concrètes du droit à être entendu peuvent varier en fonction de l’urgence qu’il peut y avoir à statuer, toute restriction à l’exercice de ce droit doit être dûment justifiée et entourée de garanties procédurales assurant aux personnes concernées par une telle procédure une possibilité effective de contester les mesures adoptées dans l’urgence.

67     À la lumière de ces considérations, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 26 du règlement doit être interprété en ce sens qu’un État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre lorsque la décision d’ouverture a été prise en violation manifeste du droit fondamental à être entendue dont dispose une personne concernée par une telle procédure.

68     Le cas échéant, il appartient à la juridiction de renvoi d’établir si, dans l’affaire au principal, tel a été le cas lors du déroulement de la procédure devant le Tribunale civile e penale di Parma. À cet égard, il convient d’observer que ladite juridiction ne saurait se limiter à transposer sa propre conception de l’oralité des débats et du caractère fondamental que celle‑ci revêt dans son ordre juridique, mais doit apprécier, au vu de l’ensemble des circonstances, si le «provisional liquidator» nommé par la High Court a bénéficié ou non d’une possibilité suffisante d’être entendu.

 Sur les dépens

69     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      Lorsqu’un débiteur est une filiale dont le siège statutaire et celui de sa société mère sont situés dans deux États membres différents, la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, selon laquelle le centre des intérêts principaux de cette filiale est situé dans l’État membre où se trouve son siège statutaire, ne peut être réfutée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire est censée refléter. Tel pourrait être notamment le cas d’une société qui n’exercerait aucune activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social. En revanche, lorsqu’une société exerce son activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social, le fait que ses choix économiques soient ou puissent être contrôlés par une société mère établie dans un autre État membre ne suffit pas pour écarter la présomption prévue par ledit règlement.

2)      L’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la procédure d’insolvabilité principale ouverte par une juridiction d’un État membre doit être reconnue par les juridictions des autres États membres, sans que celles‑ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l’État d’ouverture.

3)      L’article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que constitue une décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité au sens de cette disposition la décision rendue par une juridiction d’un État membre saisie d’une demande à cet effet, fondée sur l’insolvabilité du débiteur et tendant à l’ouverture d’une procédure visée à l’annexe A du même règlement, lorsque cette décision entraîne le dessaisissement du débiteur et porte nomination d’un syndic visé à l’annexe C dudit règlement. Ce dessaisissement implique que le débiteur perde les pouvoirs de gestion qu’il détient sur son patrimoine.

4)      L’article 26 du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’un État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre lorsque la décision d’ouverture a été prise en violation manifeste du droit fondamental à être entendue dont dispose une personne concernée par une telle procédure.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.