Affaire C-310/04

Royaume d'Espagne

contre

Conseil de l'Union européenne

«Recours en annulation — Agriculture — Chapitre 10 bis du titre IV du règlement (CE) nº 1782/2003, introduit par l'article 1er, point 20, du règlement (CE) nº 864/2004 — Modification du régime d'aide au coton — Condition selon laquelle la superficie doit être entretenue au moins jusqu'à l'ouverture des capsules — Conformité avec le protocole nº 4 concernant le coton annexé à l'acte d'adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes — Notion d'aide à la production — Obligation de motivation — Détournement de pouvoir — Principes généraux de proportionnalité et de confiance légitime»

Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 16 mars 2006 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 septembre 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Cour de justice — Organisation — Attribution des affaires à la grande chambre

(Statut de la Cour de justice, art. 16, al. 3; règlement de procédure de la Cour, art. 44, § 4)

2.     Agriculture — Politique agricole commune — Coton — Aide à la production

(Acte d'adhésion de la République hellénique, protocole nº 4; règlements du Conseil nºs 1782/2003 et 864/2004, art. 1er)

3.     Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée

(Art. 253 CE; règlement du Conseil nº 864/2004)

4.     Recours en annulation — Moyens — Détournement de pouvoir

5.     Droit communautaire — Principes — Protection de la confiance légitime — Limites

(Règlement du Conseil nº 864/2004)

6.     Agriculture — Politique agricole commune — Coton — Aide à la production

(Acte d'adhésion de la République hellénique, protocole nº 4, § 2; règlement du Conseil nº 864/2004)

7.     Recours en annulation — Arrêt d'annulation — Effets

(Art. 231 CE; règlements du Conseil nº 1782/2003, titre IV, chapitre 10 bis, et art. 156, § 2, g), et nº 864/2004)

1.     Si l'article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice oblige celle-ci à siéger en grande chambre si une demande est présentée en ce sens notamment par une institution des Communautés qui est partie à l'instance, le renvoi d'une affaire devant la Cour aux fins de sa réattribution à une formation plus importante conformément à l'article 44, paragraphe 4, du règlement de procédure constitue une mesure que la formation à laquelle l'affaire a été attribuée décide d'office et librement. Toutefois, permettre qu'une demande au titre dudit article 16, troisième alinéa, soit présentée à un stade très avancé de la procédure, telle qu'une demande présentée après la clôture de la procédure orale et, donc, au stade du délibéré, risque d'entraîner un retard considérable dans le déroulement de la procédure et, partant, des effets manifestement contraires à l'impératif d'une bonne administration de la justice qui implique que, dans toute affaire portée devant la Cour, celle-ci puisse assurer qu'une décision soit rendue à l'issue d'une procédure empreinte d'efficacité et contenue dans des délais utiles.

(cf. points 22-23)

2.     La notion d'aide à la production du coton telle qu'elle figure au paragraphe 3 du protocole nº 4 annexé à l'acte d'adhésion de la République hellénique ne s'oppose pas à la condition d'admissibilité au bénéfice de l'aide spécifique prévue par le règlement nº 1782/2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, introduite par l'article 1er, point 20, du règlement nº 864/2004, résidant dans l'obligation que la superficie soit entretenue au moins jusqu'au moment de l'ouverture des capsules.

En effet, en l'absence d'une définition de la notion de production dans le protocole nº 4, aucun élément textuel ou contextuel propre à cet acte n'indique que, dans le cadre dudit protocole, la notion de production aurait une portée différente de celle résultant de son acceptation habituelle, qui fait référence à un processus consistant en plusieurs étapes. À cet égard, la mention, dans le préambule du protocole nº 4, de l'importance du coton comme matière première n'implique pas que ledit protocole ne vise que le coton récolté, mais, replacée dans le contexte du préambule dont elle fait partie, elle doit être comprise comme mettant simplement en exergue que, en raison de cette importance, le régime d'aide au coton ne devra pas avoir d'effets négatifs sur les échanges avec des pays tiers. En outre, la précision apportée par l'article 1er du règlement nº 4006/87, modifiant le protocole nº 4 concernant le coton, que ce protocole nº 4 concerne le coton, non cardé ni peigné, relevant de la sous-position 5201 00 de la nomenclature combinée n'exclut nullement le coton tel qu'il se présente au moment de l'ouverture des capsules. En effet, à ce stade, tout autant d'ailleurs qu'au stade ultérieur de la récolte, le coton n'est, par définition, pas cardé, ni peigné.

(cf. points 41-45, 49)

3.     La motivation exigée à l'article 253 CE doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et faire apparaître d'une façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction communautaire d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de cet acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Lorsqu'il s'agit d'un acte destiné à une application générale, la motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose d'atteindre. Par ailleurs, si un acte de portée générale fait ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi par l'institution, il serait excessif d'exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés.

Satisfait à ces conditions le règlement nº 864/2004, modifiant le règlement nº 1782/2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs. À cet égard, le préambule dudit règlement résume de manière transparente et claire la situation d'ensemble qui a conduit le législateur communautaire à adopter cet acte ainsi que les objectifs généraux visés. Ensuite, l'ensemble des cinquième et sixième considérants fait ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi pour autant qu'il institue le nouveau régime d'aide au coton. Partant, le législateur communautaire n'était pas en outre tenu de motiver spécifiquement les différents choix techniques opérés, tel celui de subordonner l'octroi de l'aide spécifique au coton à la condition du maintien de la culture du coton jusqu'à la phase d'ouverture des capsules.

(cf. points 57-60, 64-65)

4.     Un acte n'est entaché de détournement de pouvoir que s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles dont il est excipé ou dans le but d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce.

(cf. point 69)

5.     Lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure communautaire de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime lorsque cette mesure est adoptée. De plus, si un tel principe s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires, et cela spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique.

À cet égard, un opérateur prudent et avisé était en mesure de prévoir l'adoption du règlement nº 864/2004, modifiant le règlement nº 1782/2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, et la réforme du régime de soutien au coton qu'il comporte. En effet, cette réforme s'inscrit dans le cadre d'une réforme plus large qui a été discutée au niveau politique depuis 1992 et qui avait d'ailleurs été spécifiquement envisagée dans une communication de la Commission adoptée en 2003, contenant une proposition de modification dudit règlement nº 1782/2003 et ayant fait l'objet d'un avis publié au Journal officiel. Au surplus, le régime d'aide dans le secteur du coton avait déjà fait l'objet de plusieurs réformes importantes dans le passé.

(cf. points 81, 83-84)

6.     Eu égard au large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur communautaire en matière de politique agricole commune, seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l'objectif que l'institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d'une telle mesure. Ce pouvoir, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne s'applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s'il a une portée limitée, requiert que les institutions communautaires soient en mesure d'établir devant la Cour que l'acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d'appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir.

Or, les coûts salariaux revêtant un caractère fixe, tels que les coûts de la main d'oeuvre des agriculteurs et de leurs familles, n'ont pas été inclus et n'ont donc pas été pris en compte dans l'étude comparative, élaborée par la Commission, de la rentabilité prévisible de la culture du coton sous le régime d'aide au coton instauré par le règlement nº 864/2004, modifiant le règlement nº 1782/2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, qui a servi de fondement à la détermination du montant de l'aide spécifique au coton. Cependant, la pertinence des coûts salariaux concernés aux fins du calcul des coûts de production du coton et de la rentabilité prévisible de cette culture semble en soi difficilement contestable.

Par ailleurs, les effets potentiels de la réforme du régime d'aide au coton sur la situation économique des entreprises d'égrenage n'ont pas été examinés. Or, la production du coton est économiquement impossible sans la présence, à proximité des régions productrices, de telles entreprises opérant dans des conditions économiquement durables, le coton n'ayant, avant sa transformation, guère de valeur marchande et ne pouvant être transporté sur de longues distances. La production du coton et sa transformation par les entreprises d'égrenage apparaissent donc indissociablement liées. Partant, les effets potentiels de la réforme du régime d'aide au coton sur la viabilité économique des entreprises d'égrenage constituent une donnée de base devant être prise en compte afin d'évaluer la rentabilité de la culture du coton.

À cet égard, le Conseil, auteur du règlement nº 864/2004, n'a pas établi devant la Cour que le nouveau régime d'aide au coton institué par ce règlement a été adopté moyennant un exercice effectif de son pouvoir d'appréciation, lequel impliquait la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de l'espèce. Il en découle que les données présentées par les institutions communautaires ne permettent pas à la Cour de vérifier si le législateur communautaire a pu, sans dépasser les limites du large pouvoir d'appréciation dont il dispose en la matière, arriver à la conclusion que la fixation du montant de l'aide spécifique au coton à 35% du total des aides existantes dans le régime d'aide antérieur suffit à garantir l'objectif exposé au cinquième considérant du règlement nº 864/2004, qui est d'assurer la rentabilité et, donc, la poursuite de cette culture, objectif qui reflète celui prescrit au paragraphe 2 du protocole nº 4 annexé à l'acte d'adhésion de la République hellénique. Partant, le principe de proportionnalité a été enfreint.

(cf. points 98, 117, 121-122, 124, 126, 128, 131-135)

7.     Selon l'article 156, paragraphe 2, sous g), du règlement nº 1782/2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, ajouté par l'article 1er, point 28, du règlement nº 864/2004, le nouveau régime d'aide au coton prévu par le chapitre 10 bis du titre IV dudit règlement nº 1782/2003 s'applique à compter du 1er janvier 2006 au coton semé à partir de cette date. Partant, les agriculteurs des États membres concernés sont susceptibles d'avoir pris certaines dispositions pour s'adapter à ce régime afin de pouvoir bénéficier du soutien qu'il prévoit ou, à tout le moins, devront prendre de telles dispositions à brève échéance. En outre, les autorités compétentes desdits États membres ont déjà pu arrêter les mesures nécessaires à la mise en oeuvre dudit régime ou devront prochainement arrêter de telles mesures. Au vu de ces éléments et afin, notamment, d'éviter toute insécurité juridique quant au régime applicable aux aides dans le secteur du coton à la suite de l'annulation dudit chapitre 10 bis du titre IV du règlement nº 1782/2003, il y a lieu de tenir en suspens les effets de ladite annulation jusqu'à l'adoption, dans un délai raisonnable, d'un nouveau règlement.

(cf. points 139-141)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

7 septembre 2006 (*)

«Recours en annulation – Agriculture – Chapitre 10 bis du titre IV du règlement (CE) n° 1782/2003, introduit par l’article 1er, point 20, du règlement (CE) n° 864/2004 – Modification du régime d’aide au coton –Condition selon laquelle la superficie doit être entretenue au moins jusqu’à l’ouverture des capsules – Conformité avec le protocole n° 4 concernant le coton annexé à l’acte d’adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes – Notion d’aide à la production – Obligation de motivation – Détournement de pouvoir – Principes généraux de proportionnalité et de confiance légitime»

Dans l’affaire C-310/04,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 22 juillet 2004,

Royaume d’Espagne, représenté par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M. Balta et M. F. Florindo Gijón, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par M. M. Nolin et Mme S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, M. R. Schintgen, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. P. Kūris et G. Arestis, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 janvier 2006,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mars 2006,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, le Royaume d’Espagne demande à la Cour l’annulation du chapitre 10 bis du titre IV du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001 (JO L 270, p. 1), introduit par l’article 1er, point 20, du règlement (CE) n° 864/2004 du Conseil, du 29 avril 2004 (JO L 161, p. 48, ci-après le «règlement n° 1782/2003 tel que modifié» et, en ce qui concerne le chapitre 10 bis de ce règlement, ci-après, également, le «nouveau régime d’aide au coton»).

 Le cadre juridique

2       À l’occasion de l’adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes en 1980, un régime d’aide au coton a été instauré par le protocole n° 4 concernant le coton, annexé à l’acte d’adhésion de cet État membre (JO 1979, L 291, p. 174, ci-après le «protocole n° 4»).

3       Ce régime a été appliqué pour la première fois à la récolte de 1981 et a, par la suite, été étendu lorsque le Royaume d’Espagne et la République portugaise ont adhéré aux Communautés européennes en 1986.

4       Aux termes du paragraphe 2 du protocole n° 4, ledit régime est notamment destiné à soutenir la production de coton dans les régions de la Communauté où elle est importante pour l’économie agricole, à permettre un revenu équitable aux producteurs concernés et à stabiliser le marché par l’amélioration des structures au niveau de l’offre et de la mise en marché.

5       Le paragraphe 3 du protocole n° 4, tant dans sa version originale que dans sa version résultant du règlement (CE) n° 1050/2001 du Conseil, du 22 mai 2001, portant sixième adaptation du régime pour le coton, instauré par le protocole n° 4 annexé à l’acte d’adhésion de la Grèce (JO L 148, p. 1), dispose que ce régime «comprend l’octroi d’une aide à la production».

6       Le paragraphe 6 du protocole n° 4, tel que modifié par le règlement n° 1050/2001, prévoit que «[l]e Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, décide des adaptations nécessaires du régime prévu par le présent protocole et arrête les règles de base nécessaires à la mise en œuvre des dispositions prévues par le présent protocole».

7       Sur le fondement dudit paragraphe 6, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1051/2001 du Conseil, du 22 mai 2001, relatif à l’aide à la production de coton (JO L 148, p. 3).

8       Il résulte des articles 2, 11 et 12 de ce règlement que l’aide à la production de coton non égrené équivaut à la différence entre le prix d’objectif dudit coton tel que fixé par ledit règlement et le prix du marché mondial, et que cette aide est versée aux entreprises d’égrenage pour le coton non égrené acheté par elles à un prix au moins égal au prix minimal tel que fixé par le même règlement.

9       Dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune, le Conseil a adopté le règlement n° 1782/2003, qui établit des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune ainsi que pour certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs.

10     Afin d’aligner les régimes de soutien pour le coton, l’huile d’olive, le tabac brut et le houblon sur ceux des autres secteurs de la politique agricole commune, le Conseil a adopté le règlement n° 864/2004.

11     Les premier, deuxième, cinquième, sixième, septième, vingt-deuxième et vingt-troisième considérants du règlement n° 864/2004 énoncent:

«(1)      Le découplage du soutien direct aux producteurs et l’introduction du régime de paiement unique sont des éléments clés du processus de réforme de la politique agricole commune, dont l’objectif est d’assurer le passage d’une politique de soutien des prix et de la production à une politique de soutien des revenus des agriculteurs. Le règlement (CE) n° 1782/2003 a introduit ces éléments pour divers produits agricoles.

(2)      Afin de réaliser les objectifs qui sont au cœur de la réforme de la politique agricole commune, il convient que le soutien au coton, à l’huile d’olive, au tabac brut et au houblon soit pour une bonne part découplé et intégré au régime de paiement unique.

[...]

(5)      L’intégration totale du régime de soutien en vigueur dans le secteur du coton au régime de paiement unique risquerait fortement de désorganiser la production dans les régions productrices de coton de la Communauté. Il convient donc que le soutien reste lié en partie à la culture du coton, sous la forme d’un paiement lié à la culture, versé par hectare admissible au bénéfice de l’aide. Son montant devrait être déterminé de manière à garantir des conditions économiques qui, dans les régions propices à cette culture, permettent d’assurer la poursuite de l’activité dans le secteur du coton et d’éviter que la culture du coton ne soit supplantée par d’autres cultures. Dans cette optique, il est justifié que l’aide totale disponible par hectare pour chaque État membre soit fixée à 35 % de la part nationale de l’aide dont les producteurs ont bénéficié indirectement.

(6)      Il convient que les 65 % restants de la part nationale de l’aide dont les producteurs ont bénéficié indirectement soient destinés au régime de paiement unique.

(7)      Par souci de protection de l’environnement, il y a lieu d’établir une superficie de base pour chaque État membre afin de restreindre les surfaces ensemencées en coton. De plus, les superficies admissibles au bénéfice de l’aide devraient être limitées à celles qui sont autorisées par les États membres.

[...]

(22)      Le découplage de l’aide au coton et au tabac brut pourrait nécessiter des mesures de restructuration. Il convient qu’un soutien communautaire supplémentaire en faveur des régions productrices des États membres ayant bénéficié de l’aide communautaire au coton et au tabac brut en 2000, 2001 et 2002 soit prévu par le biais d’un transfert de crédits de la rubrique 1a à la rubrique 1b des perspectives financières. Le soutien supplémentaire doit être utilisé comme le prévoit le règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA).

(23)      Afin d’assurer la continuité du versement des aides aux revenus des producteurs des secteurs du coton, de l’huile d’olive et du tabac, il convient d’exclure la possibilité de reporter l’intégration de ces régimes de soutien dans le régime de paiement unique.»

12     Le règlement n° 864/2004 a introduit dans le titre IV du règlement n° 1782/2003 un chapitre 10 bis, intitulé «Aide spécifique au coton» qui comprend les articles 110 bis à 110 septies.

13     Aux termes des articles 110 bis à 110 quater du règlement n° 1782/2003 tel que modifié:

«Article 110 bis

Champ d’application

Une aide est accordée aux agriculteurs produisant du coton relevant du code NC 5201 00, selon les conditions établies dans le présent chapitre.

Article 110 ter

Admissibilité au bénéfice de l’aide

1.      L’aide est octroyée par hectare de coton admissible au bénéfice de l’aide. Pour être admissible au bénéfice de l’aide, la superficie doit être située sur des terres agricoles bénéficiant d’un agrément de l’État membre pour la production de coton, ensemencée en variétés agréées et entretenue au moins jusqu’à l’ouverture des capsules dans des conditions de croissance normales.

Toutefois, si le coton n’atteint pas le stade de l’ouverture des capsules en raison de conditions climatiques exceptionnelles reconnues comme telles par l’État membre, les superficies intégralement ensemencées en coton restent admissibles au bénéfice de l’aide, pour autant qu’elles n’aient pas été utilisées, jusqu’à l’ouverture des capsules, à d’autres fins que la production de coton.

2.      Les États membres procèdent à l’agrément des terres et des variétés visées au paragraphe 1 selon des modalités et des conditions à adopter conformément à la procédure visée à l’article 144, paragraphe 2.

Article 110 quater

Superficies et montants de base

1.      Une superficie de base nationale est instituée pour les pays suivants:

–       Grèce:          370 000 ha

–       Espagne:  70 000 ha

–       Portugal:  360 ha.

2.      Le montant de l’aide à verser par hectare admissible est le suivant:

–       Grèce: 594 euros pour 300 000 hectares et 342,85 euros pour les 70 000 hectares restant

–       Espagne: 1 039 euros

–       Portugal:  556 euros.

[…]»

14     Les articles 110 quinquies et 110 sexies du règlement n° 1782/2003 tel que modifié traitent des organisations interprofessionnelles agréées, lesquelles sont composées de producteurs de coton et d’un égreneur au moins, et «vis[ent] en particulier à assurer l’approvisionnement de l’égreneur en coton non égrené de qualité satisfaisante». Ces organisations interprofessionnelles peuvent différencier la moitié au plus du montant de l’aide à laquelle leurs producteurs membres ont droit selon un barème fixé par elles qui tient compte, en particulier, de la qualité du coton non égrené.

15     Le règlement n° 864/2004 a inséré en outre dans le règlement n° 1782/2003 un titre IV ter, intitulé «Transferts financiers», qui comprend, entre autres, l’article 143 quinquies, intitulé «Transfert financier en faveur de la restructuration des régions productrices de coton» et rédigé dans les termes suivants:

«À compter de l’exercice budgétaire 2007, un montant de 22 millions d’euros, établi sur la base des dépenses moyennes enregistrées pour le coton en 2000, 2001 et 2002, est affecté par année civile, à titre de soutien communautaire supplémentaire, à la mise en œuvre de mesures en faveur des régions productrices de coton dans le cadre des programmes de développement rural financés au titre du FEOGA, section ‘Garantie’, conformément au règlement (CE) n° 1257/1999.»

16     Enfin, le règlement n° 864/2004 a inséré dans l’article 153 du règlement n° 1782/2003 notamment un paragraphe 4 bis abrogeant le règlement n° 1051/2001, lequel continue toutefois de s’appliquer à la campagne de commercialisation 2005/2006. Selon l’article 156, paragraphe 2, sous g), du règlement n° 1782/2003 tel que modifié, le nouveau régime d’aide au coton s’applique à compter du 1er janvier 2006 au coton semé à partir de cette date.

 Les conclusions des parties

17     Le gouvernement espagnol conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler le chapitre 10 bis du titre IV du règlement n° 1782/2003 tel que modifié;

–       condamner le Conseil aux dépens.

18     Le Conseil invite la Cour à rejeter le recours comme non fondé et à condamner la partie requérante aux dépens.

19     La Commission, autorisée à intervenir à l’appui des conclusions du Conseil par ordonnance du président de la Cour du 21 septembre 2004, conclut à ce qu’il plaise à la Cour rejeter le recours comme non fondé.

 Sur la demande du Conseil que l’affaire soit renvoyée devant la Cour aux fins de sa réattribution à la grande chambre

20     Par lettre déposée au greffe de la Cour le 5 avril 2006, le Conseil a demandé que l’affaire soit renvoyée devant la Cour aux fins de sa réattribution à la grande chambre.

21     Cette demande a été présentée au titre de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice, qui dispose que la Cour siège en grande chambre notamment lorsqu’une institution des Communautés qui est partie à l’instance le demande, ainsi que sur le fondement de l’article 44, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour de justice, qui prévoit que la formation de jugement à laquelle une affaire a été attribuée peut, à tout stade de la procédure, renvoyer l’affaire devant la Cour aux fins de sa réattribution à une formation plus importante.

22     À cet égard, il convient de relever que l’article 16, troisième alinéa, de son statut oblige la Cour à siéger en grande chambre si une demande est présentée en ce sens notamment par une institution des Communautés qui est partie à l’instance, alors qu’un renvoi au sens de l’article 44, paragraphe 4, dudit règlement de procédure constitue une mesure que la formation à laquelle l’affaire a été attribuée décide, en principe, d’office et librement.

23     Toutefois, permettre qu’une demande au titre dudit article 16, troisième alinéa, soit présentée à un stade très avancé de la procédure, en l’occurrence après la clôture de la procédure orale et, donc, au stade du délibéré, risque d’entraîner un retard considérable dans le déroulement de la procédure et, partant, des effets manifestement contraires à l’impératif d’une bonne administration de la justice qui implique que, dans toute affaire portée devant la Cour, celle-ci puisse assurer qu’une décision soit rendue à l’issue d’une procédure empreinte d’efficacité et contenue dans des délais utiles.

24     Par ailleurs, la Cour considère, en l’espèce, qu’elle dispose de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer.

25     Il convient par conséquent de rejeter la demande du Conseil.

 Sur le recours

26     À l’appui de son recours, le gouvernement espagnol invoque quatre moyens tirés, respectivement, d’une violation du protocole n° 4, d’une violation de l’obligation de motivation, d’un détournement de pouvoir et d’une violation des principes généraux de proportionnalité et de protection de la confiance légitime.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du protocole n° 4

 Arguments des parties

27     Par son premier moyen, le gouvernement espagnol soutient que l’article 110 ter du chapitre 10 bis du titre IV du règlement n° 1782/2003 tel que modifié, en ce qu’il pose comme seule condition d’admissibilité au bénéfice de l’aide spécifique au coton que la superficie soit entretenue au moins jusqu’au moment de l’ouverture des capsules, est contraire au paragraphe 3 du protocole n° 4, disposition communautaire de droit primaire, et en particulier à l’exigence d’un régime d’aide à la production que prévoit cette dernière disposition.

28     Ledit gouvernement soutient en effet que la notion de «production» figurant au paragraphe 3 du protocole n° 4 doit être comprise comme imposant comme condition pour l’octroi d’une aide au coton que celui-ci soit récolté.

29     La référence, contenue dans le troisième considérant dudit protocole, à l’importance du coton en tant que matière première devrait se comprendre comme visant le coton récolté puisque seul ce dernier pourrait faire l’objet d’une transformation industrielle.

30     En outre, la précision apportée par l’article 1er du règlement (CEE) n° 4006/87 de la Commission, du 23 décembre 1987, modifiant le protocole n° 4 concernant le coton (JO L 377, p. 49), que ledit protocole «concerne le coton, non cardé ni peigné, relevant de la sous-position 5201 00 de la nomenclature combinée» n’aurait de sens que si le terme «coton» vise le coton récolté puisque, au stade de l’ouverture des capsules, le coton serait nécessairement de cette nature.

31     Enfin, selon un principe général du droit, commun aux États membres, consacré notamment par les codes civils de plusieurs de ces États, un fruit naturel, tel que le coton, ne saurait être considéré comme étant produit avant d’avoir été récolté dès lors que, avant cette opération, un fruit n’aurait pas d’existence juridique séparée de la plante et serait donc considéré comme faisant partie de la plante elle-même.

32     Or, l’obligation que la superficie soit entretenue au moins jusqu’au moment de l’ouverture des capsules, imposée par le règlement n° 1782/2003 tel que modifié comme unique condition pour bénéficier du nouveau régime d’aide au coton, n’impliquerait plus, contrairement aux régimes d’aide antérieurs, que le coton soit récolté.

33     Le libellé du cinquième considérant du règlement n° 864/2004 ainsi que celui du chapitre 10 bis du titre IV du règlement n° 1782/2003 tel que modifié confirmeraient que la nouvelle aide au coton est une aide à la culture et non à la production du coton.

34     Des études démontreraient par ailleurs qu’il est prévisible que, par suite de l’entrée en vigueur du nouveau régime d’aide au coton, il ne sera plus rentable, pour les agriculteurs, d’assurer que le coton atteigne une qualité minimale et, par conséquent, ceux-ci ne procéderont plus à sa récolte.

35     De plus, selon la classification des aides aux fins de l’accord sur l’agriculture, qui figure à l’annexe 1 A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, lequel a été approuvé par l’article 1er, paragraphe 1, premier tiret, de la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1, ci-après l’«accord OMC sur l’agriculture»), le nouveau régime d’aide au coton passerait de la «boîte orange» (aides à la production visées à l’article 6 de cet accord) à la «boîte bleue» (versements directs effectués au titre de programmes de limitation de la production fondés sur une superficie et des rendements fixes au sens de l’article 6, paragraphe 5, du même accord).

36     Ceci confirmerait que, dans ce nouveau régime, aucune importance n’est accordée à la production du coton.

37     Partant, ledit régime ne pourrait être qualifié de régime d’aide à la production au sens du paragraphe 3 du protocole n° 4.

38     Le Conseil soutient que le nouveau régime d’aide au coton est pleinement conforme au protocole n° 4, notamment à son paragraphe 3, dès lors qu’il s’agit bien d’un régime d’aide à la production, même si le fait générateur du paiement de l’aide réside désormais dans le maintien de la culture jusqu’au stade de l’ouverture des capsules.

 Appréciation de la Cour

39     Par son premier moyen, le gouvernement espagnol conteste la compatibilité de la nouvelle condition d’admissibilité au bénéfice de l’aide spécifique que comporte le nouveau régime d’aide au coton, à savoir que la superficie soit entretenue au moins jusqu’au moment de l’ouverture des capsules, avec le paragraphe 3 du protocole n° 4.

40     Il est constant que cette nouvelle condition d’admissibilité à l’aide n’exige pas que le coton soit récolté. Partant, le présent moyen soulève essentiellement la question de savoir si l’obligation de prévoir l’existence d’un régime d’aide à la production que comporte le paragraphe 3 du protocole n° 4 doit être comprise en ce sens qu’elle implique qu’un tel régime doit nécessairement subordonner l’octroi de l’aide à une condition de récolte.

41     Comme l’a relevé le Conseil, la notion de production, dans son acception habituelle, fait référence à un processus consistant en plusieurs étapes.

42     En l’absence d’une définition de cette notion dans le protocole n° 4, aucun élément textuel ou contextuel propre à cet acte n’indique que, dans le cadre dudit protocole, la notion de production aurait une portée différente de celle résultant de son acceptation habituelle.

43     À cet égard, la mention, dans le préambule du protocole n° 4, de l’importance du coton comme matière première n’implique pas que ledit protocole ne vise que le coton récolté.

44     Cette mention, replacée dans le contexte du préambule dont elle fait partie, doit être comprise comme mettant simplement en exergue que, en raison de l’importance du coton comme matière première, le régime d’aide au coton ne devra pas avoir d’effets négatifs sur les échanges avec des pays tiers.

45     S’agissant, ensuite, de la précision, apportée par l’article 1er du règlement n° 4006/87, que le protocole n° 4 concerne le coton, non cardé ni peigné, relevant de la sous-position 5201 00 de la nomenclature combinée, force est de constater que cette précision n’exclut nullement le coton tel qu’il se présente au moment de l’ouverture des capsules. En effet, à ce stade, tout autant d’ailleurs qu’au stade ultérieur de la récolte, le coton n’est, par définition, pas cardé ni peigné.

46     Au surplus, les acceptions des notions de production, de produit ou de fruit qui pourraient découler, comme le soutient le gouvernement espagnol, de définitions communes au droit civil de certains États membres, voire de la classification des aides aux fins de l’accord OMC sur l’agriculture, sont à cet égard sans pertinence.

47     Partant, la définition manifestement restrictive de la notion de production que prône le gouvernement espagnol, selon laquelle cette notion ne viserait que l’ultime étape de la production que constitue la récolte, ne saurait être retenue.

48     Par ailleurs, l’acception habituelle de la notion de production, qui vise, dans son ensemble, le processus de production, doit être mise en rapport avec le large pouvoir d’appréciation dont dispose le Conseil en vertu du paragraphe 6 du protocole n° 4 tant pour décider des adaptations nécessaires du régime instauré par ce protocole que pour arrêter les règles de base nécessaires à la mise en œuvre de ses dispositions.

49     Dans le cadre de ce large pouvoir, le Conseil peut subordonner l’octroi d’une aide au coton à une condition exigeant la matérialisation de l’une ou de l’autre étape de la culture du coton.

50     La mesure choisie doit toutefois être proportionnée aux objectifs définis au paragraphe 2 du protocole n° 4. La question de savoir si, en l’espèce, cette limite a été respectée fait l’objet de la seconde branche du quatrième moyen que soulève le gouvernement espagnol.

51     Il était donc, en principe, loisible au législateur communautaire de choisir comme condition d’admissibilité au bénéfice de l’aide au coton l’un des stades de la culture, en l’occurrence celui de l’ouverture des capsules, plutôt que l’étape ultérieure que constitue la récolte, étape qui devait être accomplie dans les régimes d’aide antérieurs.

52     Partant, la référence, au cinquième considérant du règlement n° 864/2004 ainsi que dans le titre du chapitre 10 bis du titre IV du règlement n° 1782/2003 tel que modifié, au nouveau régime d’aide au coton comme étant une aide à la culture n’implique nullement que cette aide ne constitue pas une aide à la production du coton, au sens du paragraphe 3 du protocole n° 4.

53     Il doit en être conclu que la notion d’aide à la production telle qu’elle figure au paragraphe 3 du protocole n° 4 ne s’oppose pas à la condition d’admissibilité au bénéfice de l’aide spécifique prévue par le nouveau régime d’aide au coton, résidant dans l’obligation que la superficie soit entretenue au moins jusqu’au moment de l’ouverture des capsules.

54     Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’exigence de motivation

 Arguments des parties

55     Par son deuxième moyen, le gouvernement espagnol fait valoir que l’obligation de motivation imposée à l’article 253 CE n’a pas été respectée dans le cadre de l’adoption du nouveau régime d’aide au coton, dès lors que le règlement n° 864/2004 instituant ce régime ne mentionne à aucun endroit les motifs qui ont conduit le législateur communautaire à remplacer l’ancien régime prévoyant des aides indirectes, remises aux producteurs par les entreprises d’égrenage en fonction du coton récolté, par un régime instaurant des aides directes aux producteurs, aides dont l’octroi est désormais subordonné à la seule condition du maintien de la culture du coton jusqu’à la phase d’ouverture des capsules.

56     Le Conseil estime que les limites posées par la jurisprudence de la Cour en matière de motivation des actes normatifs d’application générale ont été respectées. Il serait suffisant, à cet égard, de constater que le règlement n° 864/2004 expose les raisons générales qui ont amené le législateur communautaire à adopter, dans le cadre de son large pouvoir discrétionnaire, les dispositions visées par le présent recours. En outre, le législateur communautaire n’aurait pas été tenu d’expliquer spécifiquement pourquoi, sous le nouveau régime, le paiement de l’aide couplée n’est plus lié à la quantité de coton récolté ni à la qualité de celui-ci, mais au coton cultivé sur une surface donnée.

 Appréciation de la Cour

57     Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction communautaire d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de cet acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêt du 14 juillet 2005, Pays-Bas/Commission, C-26/00, Rec. p. I-6527, point 113 et jurisprudence citée).

58     Lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’un acte destiné à une application générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre (voir, notamment, arrêt du 10 mars 2005, Espagne/Conseil, C-342/03, Rec. p. I-1975, point 55).

59     Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que, si un acte de portée générale fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (voir, notamment, arrêt du 19 novembre 1998, Espagne/Conseil, C-284/94, Rec. p. I-7309, point 30).

60     À cet égard, il y a lieu de constater que le préambule du règlement n° 864/2004 résume de manière transparente et claire la situation d’ensemble qui a conduit le législateur communautaire à adopter cet acte ainsi que les objectifs généraux visés.

61     Il ressort, en effet, des deux premiers considérants dudit règlement que les modifications que comporte cet acte ont pour but d’aligner les régimes de soutien de certains secteurs de la politique agricole commune, dont celui du coton, sur les objectifs de la réforme introduite pour les autres secteurs de ladite politique par le règlement n° 1782/2003.

62     Le deuxième considérant précise que ces objectifs impliquent, pour les secteurs visés, le passage d’une politique de soutien des prix et de la production à une politique de soutien des revenus des agriculteurs et, partant, le découplage d’une bonne part du soutien et son intégration au régime de paiement unique.

63     Ensuite, les cinquième et sixième considérants du règlement n° 864/2004 énoncent les raisons pour lesquelles le soutien au coton ne saurait être entièrement découplé. Il y est également exposé sur quelles bases le montant de l’aide devant rester couplée doit être fixé, que ce montant correspond à 35 % de la somme des aides indirectes existantes et que les 65 % restants de ladite somme sont destinés au régime de paiement unique.

64     Il doit en être conclu que l’ensemble de ces considérants fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution en adoptant le règlement n° 864/2004 pour autant qu’il institue le nouveau régime d’aide au coton.

65     Partant, le législateur communautaire n’était pas en outre tenu de motiver spécifiquement les différents choix techniques opérés, tel celui de subordonner l’octroi de l’aide spécifique au coton à la condition du maintien de la culture du coton jusqu’à la phase d’ouverture des capsules.

66     Il s’ensuit que le deuxième moyen doit également être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

 Arguments des parties

67     Le gouvernement espagnol soutient que le règlement n° 864/2004, pour autant qu’il institue le nouveau régime d’aide au coton, est entaché d’un détournement de pouvoir, dès lors qu’il a été adopté sur le fondement du paragraphe 6 du protocole n° 4, mais à une fin distincte de celle y étant visée et dans le but essentiel de contourner la procédure spécifique prévue par le traité CE pour modifier les dispositions de droit primaire que comporte ledit protocole.

68     Le Conseil rétorque que l’instauration du nouveau régime d’aide au coton par les dispositions contestées du règlement n° 1782/2003 tel que modifié correspond parfaitement à la notion d’«adaptation nécessaire» visée au paragraphe 6 du protocole n° 4, de sorte qu’il ne saurait être question d’un détournement de pouvoir.

 Appréciation de la Cour

69     Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles dont il est excipé ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir en ce sens, notamment, arrêt du 10 mars 2005, Espagne/Conseil, précité, point 64 et jurisprudence citée).

70     Force est de constater que le gouvernement espagnol n’a pas fourni de tels indices.

71     En ce qui concerne les fins visées par le Conseil lors de l’adoption du règlement n° 864/2004 pour autant qu’il institue le nouveau régime d’aide au coton, aucun élément du dossier ne permet d’affirmer que le Conseil poursuivait un but exclusif, ou à tout le moins déterminant, autre que celui énoncé aux premier et deuxième considérants de ce règlement, à savoir adapter le régime de soutien dans le secteur du coton afin de l’aligner sur les objectifs de la réforme déjà introduite pour d’autres secteurs de la politique agricole commune par le règlement n° 1782/2003.

72     Le gouvernement espagnol n’a pas non plus démontré que, en adoptant le règlement n° 864/2004 sur le fondement du paragraphe 6 du protocole n° 4, le Conseil poursuivait le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’éluder la procédure prévue pour la révision de dispositions de droit primaire.

73     À cet égard, il convient de relever que la base juridique que constitue le paragraphe 6 du protocole n° 4 confère un large pouvoir d’appréciation au Conseil pour décider des adaptations nécessaires du régime de soutien au coton prévu par ledit protocole.

74     Or, le gouvernement espagnol n’a présenté aucun indice qui tendrait à démontrer que, en réalité, le Conseil aurait poursuivi un but autre que celui de procéder à de telles adaptations et aurait donc suivi la procédure prévue au paragraphe 6 du protocole n° 4 pour arrêter ces adaptations dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’éluder la procédure prévue pour la révision de dispositions de droit primaire.

75     Il importe enfin de constater qu’il ressort du cinquième considérant du règlement n° 864/2004 que, en adoptant cet acte en tant qu’il modifie le régime d’aide au coton, le Conseil a entendu respecter les objectifs prescrits au paragraphe 2 du protocole n° 4, à savoir soutenir la production de coton dans les régions de la Communauté où elle est importante pour l’économie agricole, permettre un revenu équitable aux producteurs concernés et stabiliser le marché par l’amélioration des structures au niveau de l’offre et de la mise en marché.

76     La question de savoir si cet objectif est atteint fait l’objet de la seconde branche du quatrième moyen, tirée d’une violation du principe de proportionnalité. Elle ne doit dès lors pas être examinée dans le cadre du présent moyen.

77     Eu égard à ce qui précède, le troisième moyen doit également être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des principes généraux du droit communautaire de proportionnalité et de protection de la confiance légitime

78     Il convient d’examiner en premier lieu la seconde branche du présent moyen, relative au principe de la protection de la confiance légitime, pour examiner ensuite sa première branche, qui porte sur le principe de proportionnalité.

 Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime


 – Arguments des parties

79     Le gouvernement espagnol fait valoir que l’adoption du règlement n° 864/2004 instituant le nouveau régime d’aide au coton a lésé la confiance légitime des opérateurs du secteur du coton, qui pouvaient s’attendre à continuer de bénéficier d’un régime d’aide respectant, en tout état de cause, les objectifs énoncés au paragraphe 2 du protocole n° 4, notamment le maintien de la production de coton dans certaines régions de la Communauté, et l’exigence de l’existence d’un régime d’aide à la production tel que prévu au paragraphe 3 dudit protocole.

80     Le Conseil soutient que, par l’adoption dudit règlement, les opérateurs du secteur du coton n’ont pas été atteints dans leur confiance légitime dans le maintien d’un régime d’aide compatible avec le protocole n° 4, dès lors que le nouveau régime d’aide au coton serait pleinement compatible avec les objectifs dudit protocole et ne leur causerait pas les préjudices considérables allégués par le gouvernement espagnol, les revenus desdits opérateurs restant stables.

 – Appréciation de la Cour

81     Selon une jurisprudence constante de la Cour, la possibilité de se prévaloir de la protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées. Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure communautaire de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée. De plus, si le principe de protection de la confiance légitime s’inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires, et cela spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (arrêt du 15 juillet 2004, Di Lenardo et Dilexport, C-37/02 et C-38/02, Rec. p. I-6911, point 70 et jurisprudence citée).

82     En l’occurrence, le gouvernement espagnol n’a présenté aucun indice de nature à démontrer que les opérateurs concernés ont pu nourrir quelque espérance fondée que les institutions communautaires auraient pu faire naître dans le maintien de la réglementation applicable aux aides dans le secteur du coton avant sa modification par le règlement n° 864/2004.

83     En outre, en l’espèce, le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être invoqué dès lors qu’un opérateur économique prudent et avisé était en mesure de prévoir l’adoption du règlement n° 864/2004 et la réforme du régime de soutien au coton qu’il comporte.

84     En effet, comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 70 de ses conclusions, cette réforme s’inscrit dans le cadre d’une réforme fondamentale plus large qui était discutée au niveau politique depuis 1992 et qui avait d’ailleurs été spécifiquement envisagée au point 2 de la communication de la Commission COM(2003) 698 final, adoptée le 20 novembre 2003, contenant une proposition de modification du règlement n° 1782/2003 et ayant fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel (JO 2004, C 96, p. 5). Au surplus, le régime d’aide dans le secteur du coton avait déjà fait l’objet de plusieurs réformes importantes dans le passé.

85     Enfin, pour autant que le gouvernement espagnol allègue une violation du principe de protection de la confiance légitime du fait que le nouveau régime d’aide au coton ne répond pas aux objectifs du protocole n° 4, cette argumentation se confond avec celle avancée à l’appui de la première branche du quatrième moyen de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’examiner dans le cadre de la présente branche.

86     Partant, la seconde branche du quatrième moyen, tirée d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, doit être rejetée.

 Sur la violation du principe de proportionnalité


 – Arguments des parties

87     Le gouvernement espagnol fait valoir, en substance, que les mesures adoptées dans le cadre du nouveau régime d’aide au coton, en particulier la fixation du montant de l’aide spécifique au coton à un niveau égal à 35 % du montant des aides disponibles sous le régime d’aide précédent et le fait de subordonner l’admissibilité à l’aide à la seule condition de maintenir la culture jusqu’à l’ouverture des capsules, sont manifestement inappropriées à l’objectif escompté tel qu’il est exposé au cinquième considérant de ce règlement, objectif qui reflète celui prescrit au paragraphe 2 du protocole n° 4. Partant, le principe de proportionnalité aurait été enfreint.

88     Deux études produites par le gouvernement espagnol démontreraient en effet que ces mesures auront comme conséquence prévisible que la rentabilité de la production du coton dans les régions espagnoles concernées ne sera pas assurée.

89     Le résultat probable en serait, en particulier, l’abandon d’une partie considérable de la production espagnole du coton brut, voire sa supplantation par d’autres cultures, ainsi qu’une baisse importante du degré d’utilisation de la capacité de transformation des usines d’égrenage dans les régions productrices menaçant la viabilité économique de ces usines et pouvant même conduire à leur fermeture définitive.

90     Cette dernière évolution risquerait d’entraîner une baisse supplémentaire de la production de coton puisque celle-ci serait impossible sans la présence et, donc, la viabilité économique de telles usines à proximité des régions productrices concernées, le coton n’ayant guère de valeur marchande avant sa transformation et ne pouvant être transporté sur de longues distances.

91     Le Conseil et la Commission soutiennent que les mesures litigieuses ne sont pas manifestement inappropriées par rapport à leurs objectifs tels qu’énoncés au paragraphe 2 du protocole n° 4 ainsi qu’au cinquième considérant du règlement n° 864/2004.

92     Les revenus des producteurs sous le nouveau régime d’aide au coton, à savoir la somme du paiement unique, de l’aide spécifique à l’hectare et du prix de vente de la récolte, resteraient substantiellement les mêmes que sous le régime précédent, de sorte que la rentabilité des productions cotonnières ne serait pas affectée par l’introduction de ce nouveau régime.

93     De plus, une étude comparative de la rentabilité prévisible de la culture du coton sous le nouveau régime d’aide par rapport à celle d’autres cultures démontrerait que le montant de l’aide spécifique à l’hectare a été fixé à un niveau permettant aux producteurs de réaliser, pour le coton, une marge brute hors paiement unique qui est comparable à celle dégagée par d’autres cultures, telles que la culture du blé dur ou du maïs.

94     La culture du coton demeurant rentable selon les prévisions, il ne serait par conséquent pas probable qu’elle soit supplantée par d’autres cultures.

  – Appréciation de la Cour

95     À titre liminaire, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour relative au principe de proportionnalité tel qu’il s’applique, en particulier, dans le cadre de la politique agricole commune.

96     Le législateur communautaire dispose en matière de politique agricole commune d’un large pouvoir d’appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE à 37 CE lui attribuent. Par conséquent, le contrôle du juge communautaire doit se limiter à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir, ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (arrêt du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C-189/01, Rec. p. I‑5689, point 80 et jurisprudence citée).

97     S’agissant du contrôle de proportionnalité, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt Jippes e.a., précité, point 81 et jurisprudence citée).

98     En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions de la mise en œuvre d’un tel principe, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur communautaire en matière de politique agricole commune, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt Jippes e.a., précité, point 82 et jurisprudence citée).

99     Ainsi, il s’agit de savoir non pas si la mesure adoptée par le législateur était la seule ou la meilleure possible, mais si elle était manifestement inappropriée (voir, en ce sens, arrêt Jippes e.a., précité, point 83).

100   S’agissant du nouveau régime d’aide au coton instauré par le règlement n° 864/2004, il ressort du cinquième considérant dudit règlement que le montant de l’aide spécifique au coton a été déterminé de manière à garantir des conditions économiques qui, dans les régions propices à cette culture, permettent d’assurer la poursuite de l’activité dans ce secteur de l’agriculture et, ainsi, d’éviter que ladite culture ne soit supplantée par d’autres.

101   Cet objectif reflète, en les précisant, ceux énoncés au paragraphe 2 du protocole n° 4, aux termes duquel le régime d’aide à la production dans le secteur du coton est notamment destiné à soutenir la production de coton dans les régions de la Communauté où elle est importante pour l’économie agricole, à permettre un revenu équitable aux producteurs concernés et à stabiliser le marché par l’amélioration des structures au niveau de l’offre et de la mise en marché.

102   Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée aux points 98 et 99 du présent arrêt, le moyen que soulève le gouvernement espagnol, en la présente branche, conduit à examiner si les mesures litigieuses du nouveau régime d’aide au coton sont manifestement inappropriées par rapport audit objectif, qui consiste essentiellement dans la fixation du montant de l’aide spécifique au coton à un niveau tel qu’il assure une rentabilité suffisante et, donc, une poursuite de la production du coton dans les régions propices à cette culture, évitant ainsi que celle-ci ne soit supplantée par d’autres cultures.

103   À cet égard, il est constant que l’adoption du règlement n° 864/2004 n’a pas été précédée d’une étude de la Commission évaluant les effets socio-économiques probables de la réforme proposée dans le secteur du coton, alors que de telles études avaient été effectuées dans le cadre de la réforme des régimes d’aides dans certains autres secteurs, comme celui du tabac.

104   Dès lors, la question se pose de savoir sur quelles bases le montant de l’aide spécifique au coton a été déterminé et, partant, si, sur ces bases, le législateur communautaire a pu, sans excéder son large pouvoir d’appréciation, arriver à la conclusion que, fixé à 35 % du total des aides existantes dans le régime d’aide antérieur, ce montant est suffisant pour atteindre l’objectif poursuivi d’assurer la rentabilité et, donc, la poursuite de cette culture.

105   À cet égard, le Conseil fait état d’un tableau, élaboré par la Commission, comportant une étude comparative de la rentabilité prévisible de la culture du coton sous le nouveau régime d’aide par rapport à celle de cultures alternatives. Le Conseil relève que ces chiffres lui ont été présentés afin qu’il puisse en tenir compte lors de l’adoption du règlement n° 864/2004.

106   Selon cette étude, la marge brute par hectare hors paiement unique est, pour le coton, de 744 euros et se situe ainsi entre ladite marge pour le blé dur, soit 334 euros, et celle pour le maïs, soit 914 euros. Lors de l’audience, la Commission a affirmé que ces données chiffrées démontrent que la culture du coton demeurera rentable et possible après l’entrée en application de la réforme.

107   La marge dont il s’agit est calculée suivant une formule consistant, en substance, à soustraire des revenus par hectare − constitués par le prix de vente du coton brut, correspondant à 750 euros, et l’aide spécifique de 1 039 euros, soit un total de 1 789 euros − les coûts de production, ces derniers étant la somme des coûts spécifiques et des frais généraux, qui, selon la Commission, doivent être évalués à 1 045 euros par hectare.

108   Le Conseil a toutefois fait valoir que, aux fins de cette étude de la future rentabilité de la culture du coton, il y a également lieu de tenir compte des revenus provenant du paiement unique égal à 65 % des aides existantes dans ce secteur.

109   Or, la somme des aides couplées et découplées sous le nouveau régime d’aide au coton équivalant au montant total des aides indirectes octroyées sous le régime d’aide antérieur, il n’y aurait pas lieu de douter de la future rentabilité de la culture cotonnière. La réforme du soutien à cette culture serait en effet fondée sur sa neutralité budgétaire.

110   Ce point de vue doit être rejeté. Comme l’a relevé le gouvernement espagnol sans être contredit par la Commission, s’agissant d’une étude comparative de la rentabilité de cultures alternatives, il n’y a pas lieu de tenir compte du paiement unique dès lors que celui-ci est octroyé indépendamment de la culture choisie, et même dans l’hypothèse où l’agriculteur déciderait de ne rien produire.

111   Ce paiement n’influe donc en rien sur la décision de l’agriculteur de choisir une culture plutôt qu’une autre. La neutralité budgétaire de la réforme est, en soi, sans pertinence pour apprécier si, à l’avenir, les agriculteurs ne choisiront pas d’abandonner la culture du coton ou, le cas échéant, de la remplacer par d’autres cultures.

112   S’appuyant sur deux études, le gouvernement espagnol a contesté, par ailleurs, certaines données chiffrées utilisées dans le calcul de la rentabilité de la culture du coton présenté par la Commission, en particulier celle relative aux coûts de production.

113   Selon lesdites études, ces coûts seraient en réalité d’un montant minimal de 1 861,81 euros par hectare. Ce montant inclurait les coûts salariaux alors que le montant correspondant sur lequel se fonde la Commission les exclurait à tort. L’ajout des coûts salariaux au montant de 1 045 euros par hectare avancé par la Commission réduirait à 10 % l’écart entre le chiffre retenu par la Commission et celui qu’avance le gouvernement espagnol pour ce qui concerne le total des coûts de production.

114   La culture du coton nécessitant une main-d’œuvre largement supérieure à celle d’autres cultures, il serait indispensable que de tels coûts soient pris en compte dans une étude de la rentabilité future de cette culture.

115   Or, si le calcul de la Commission incluait les coûts salariaux et, en outre, prenait en considération un prix de vente conforme au niveau actuel du marché, il en résulterait que les coûts de production sont supérieurs aux revenus des producteurs sous le nouveau régime d’aide et, donc, que la marge brute prévisible pour le coton est nulle, voire négative, les agriculteurs risquant dès lors de travailler à perte s’ils continuent à produire du coton.

116   Interrogée sur ce point lors de l’audience, la Commission a exposé que le montant de 1 045 euros par hectare qu’elle a retenu au titre des frais généraux entrant dans les coûts de production couvre certains coûts salariaux, dont ceux des travailleurs temporaires ou saisonniers et de personnes effectuant un travail déterminé.

117   Toutefois, toujours selon la Commission, une étude de la rentabilité comparative de cultures ne devrait tenir compte que des coûts spécifiques, c’est-à-dire ceux liés aux cultures concernées, et non des coûts fixes, c’est-à-dire ceux liés à l’exploitation. Partant, la Commission n’a pas inclu les coûts salariaux revêtant un caractère fixe, tels que les coûts de la main-d’œuvre des agriculteurs et de leurs familles.

118   La Commission a ajouté que ces derniers coûts n’auraient en toute hypothèse pas pu être inclus dans le calcul de rentabilité. En effet, d’une part, de grandes différences, par ailleurs inexplicables, auraient été constatées entre les données chiffrées des différentes régions relatives auxdits coûts, de sorte que ces données ne seraient pas fiables. D’autre part, il serait très difficile de répartir ces coûts entre les différentes cultures et autres activités pratiquées dans chaque exploitation agricole.

119   Eu égard à ces précisions, il y a lieu de s’interroger sur le point de savoir si, en fixant le montant de l’aide spécifique au coton sur la base de l’étude comparative visée au point 105 du présent arrêt, les institutions communautaires ont enfreint le principe de proportionnalité.

120   Certes, lorsque, comme en l’espèce, le législateur communautaire est amené à apprécier les effets futurs d’une réglementation à prendre alors que ces effets ne peuvent être prévus avec exactitude, son appréciation ne peut être censurée que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments dont il disposait au moment de l’adoption de la réglementation en cause (arrêt Jippes e.a., précité, point 84 et jurisprudence citée).

121   Il est vrai, en outre, que le large pouvoir d’appréciation du législateur communautaire, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base (voir, notamment, arrêt du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C-120/99, Rec. p. I-7997, point 44).

122   Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les institutions communautaires, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant la Cour que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir.

123   Il en résulte que ces institutions doivent, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées de cet acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.

124   Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 116 à 118 du présent arrêt, il ressort des précisions fournies par la Commission lors de l’audience que certains coûts salariaux n’ont pas été inclus et n’ont donc pas été pris en compte dans son étude comparative de la rentabilité prévisible de la culture du coton sous le nouveau régime d’aide qui a servi de fondement à la détermination du montant de l’aide spécifique au coton.

125   Le gouvernement espagnol a cependant soutenu, s’appuyant sur des études chiffrées, que ces coûts peuvent être calculés, qu’ils sont significatifs et que la prise en compte desdits coûts engendre des doutes sérieux en ce qui concerne la rentabilité de la culture du coton sous le nouveau régime d’aide.

126   Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé des données chiffrées produites de part et d’autre, il y a lieu de constater que la pertinence des coûts salariaux concernés aux fins du calcul des coûts de production du coton et de la rentabilité prévisible de cette culture semble en soi difficilement contestable. La circonstance, invoquée par la Commission, que l’obtention de ces données aurait posé certains problèmes techniques ne saurait remettre en cause leur pertinence.

127   En outre, il y a lieu d’observer que le Conseil et la Commission n’ont pas avancé d’arguments précis infirmant l’affirmation du gouvernement espagnol selon laquelle l’inclusion de ces coûts entraîne une augmentation des coûts de production du coton telle qu’une rentabilité suffisante de cette culture sous le nouveau régime d’aide n’est pas assurée, de sorte que ladite culture risque d’être abandonnée, à tout le moins pour une part significative, ou, le cas échéant, supplantée par d’autres cultures.

128   Par ailleurs, il est constant que les effets potentiels de la réforme du régime d’aide au coton sur la situation économique des entreprises d’égrenage n’ont pas été examinés.

129   Certes, comme l’a relevé le Conseil, l’impératif du maintien de la rentabilité de la production du coton qui découle du paragraphe 2 du protocole n° 4 vise, en tant que tel, les producteurs de coton et non les entreprises d’égrenage.

130   Toutefois, une étude adéquate des effets de ladite réforme sur la rentabilité de cette production requiert un examen des conséquences que cette réforme est susceptible d’entraîner pour les entreprises d’égrenage situées dans les zones de production.

131   En effet, comme l’a souligné le gouvernement espagnol sans être contredit sur ce point, la production du coton est économiquement impossible sans la présence, à proximité des régions productrices, de telles entreprises opérant dans des conditions économiquement durables, le coton n’ayant, avant sa transformation, guère de valeur marchande et ne pouvant être transporté sur de longues distances.

132   La production du coton et sa transformation par les entreprises d’égrenage apparaissent donc indissociablement liées. Partant, les effets potentiels de la réforme du régime d’aide au coton sur la viabilité économique des entreprises d’égrenage constituent une donnée de base devant être prise en compte afin d’évaluer la rentabilité de la culture du coton.

133   Dans ces conditions, force est de constater que le Conseil, auteur du règlement n° 864/2004, n’a pas établi devant la Cour que le nouveau régime d’aide au coton institué par ce règlement a été adopté moyennant un exercice effectif de son pouvoir d’appréciation, lequel impliquait la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de l’espèce, parmi lesquels l’ensemble des coûts salariaux liés à la culture du coton et la viabilité des entreprises d’égrenage, dont la prise en compte était nécessaire à l’appréciation de la rentabilité de cette culture.

134   Il en découle que les données présentées par les institutions communautaires ne permettent pas à la Cour de vérifier si le législateur communautaire a pu, sans dépasser les limites du large pouvoir d’appréciation dont il dispose en la matière, arriver à la conclusion que la fixation du montant de l’aide spécifique au coton à 35 % du total des aides existantes dans le régime d’aide antérieur suffit à garantir l’objectif exposé au cinquième considérant du règlement n° 864/2004, étant d’assurer la rentabilité et, donc, la poursuite de cette culture, objectif qui reflète celui prescrit au paragraphe 2 du protocole n° 4.

135   Partant, il y a lieu de conclure que le principe de proportionnalité a été enfreint.

136   Il s’ensuit que le quatrième moyen, pour autant qu’il est tiré d’une violation de ce principe, est fondé et qu’il y a lieu d’accueillir le recours.

137   Au regard de tout ce qui précède, il y a donc lieu d’annuler le chapitre 10 bis du titre IV du règlement n° 1782/2003 tel que modifié.

 Sur la limitation des effets de l’annulation

138   Aux termes de l’article 231, deuxième alinéa, CE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

139   En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 156, paragraphe 2, sous g), du règlement n° 1782/2003 tel que modifié, le nouveau régime d’aide au coton s’applique à compter du 1er janvier 2006 au coton semé à partir de cette date.

140   Partant, les agriculteurs des États membres concernés sont susceptibles d’avoir déjà pris certaines dispositions pour s’adapter à ce régime afin de pouvoir bénéficier du soutien qu’il prévoit ou, à tout le moins, devront prendre de telles dispositions à brève échéance. En outre, les autorités compétentes desdits États membres ont déjà pu arrêter les mesures nécessaires à la mise en œuvre dudit régime ou devront prochainement arrêter de telles mesures.

141   Au vu de ces éléments et afin, notamment, d’éviter toute insécurité juridique quant au régime applicable aux aides dans le secteur du coton à la suite de l’annulation du chapitre 10 bis du titre IV du règlement n° 1782/2003 tel que modifié, il y a lieu de tenir en suspens les effets de ladite annulation jusqu’à l’adoption, dans un délai raisonnable, d’un nouveau règlement.

 Sur les dépens

142   Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume d’Espagne ayant conclu à la condamnation du Conseil et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le chapitre 10 bis du titre IV du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001, introduit par l’article 1er, point 20, du règlement (CE) n° 864/2004 du Conseil, du 29 avril 2004, est annulé.

2)      Les effets de ladite annulation sont tenus en suspens jusqu’à l’adoption, dans un délai raisonnable, d’un nouveau règlement.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

4)      La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.