CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME CHRISTINE STIX‑HACKL

présentées le 15 septembre 2005 (1)

Affaire C-184/04

Uudenkaupungin kaupunki



[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto‑oikeus (Finlande)]

«Sixième directive TVA – Déduction de la taxe payée en amont – Régularisation pour les biens d’investissement – Biens immobiliers»





I –    Remarques introductives

1.     Dans la présente affaire, le Korkein hallinto‑oikeus (Finlande) demande à la Cour d’interpréter la sixième directive 77/388/CEE du Conseil (2) (ci‑après la «sixième directive») en ce qui concerne la régularisation de la déduction de la taxe payée en amont pour les biens d’investissement, s’agissant de biens immobiliers.

2.     Il s’agit pour l’essentiel de la question de savoir si, à la lumière de la sixième directive, une régularisation de la déduction de la taxe payée en amont pour les biens d’investissement doit être accordée dans l’hypothèse où un bien immobilier a d’abord été affecté à une activité exonérée, alors que, plus tard, il a été utilisé aux fins d’une activité soumise à la TVA.

II – Cadre juridique

A –    Sixième directive

3.     L’article 5, paragraphe 6, énonce:

«Est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d’un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de l’entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons.»

4.     L’article 6, portant le titre «Prestations de services», prévoit (extrait):

«Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a)       l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b)       les prestations de services à titre gratuit effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.»

5.     L’article 13 portant le titre «Exonérations à l’intérieur du pays» énonce (extrait):

«B. Autres exonérations

Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[…]

b)       l’affermage et la location de biens immeubles,

[…]

C. Options

Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation:

a) de l’affermage et de la location de biens immeubles […]

Les États membres peuvent restreindre la portée du droit d’option; ils déterminent les modalités de son exercice.»

6.     L’article 17, portant le titre «Naissance et étendue du droit à déduction», énonce (extrait):

«1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)       la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]

6. Au plus tard avant l’expiration d’une période de quatre ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive.»

7.     L’article 20, portant le titre «Régularisation des déductions», prévoit (extrait):

«1. La déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les États membres, notamment:

a)       lorsque la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer;

b)       lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration, notamment en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus; toutefois, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 5 paragraphe 6. Toutefois, les États membres ont la faculté d’exiger la régularisation pour les opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol.

2. En ce qui concerne les biens d’investissement, une régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué. Chaque année, cette régularisation ne porte que sur le cinquième de la taxe dont ces biens ont été grevés. Cette régularisation est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Par dérogation au premier alinéa, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être portée jusqu’à vingt ans.

[…]

5. Si, dans un État membre, l’application des paragraphes 2 et 3 donnait un résultat négligeable, cet État peut, sous réserve de la consultation prévue à l’article 29, ne pas les appliquer compte tenu de l’incidence globale de la taxe dans l’État membre concerné et de la nécessité de simplifications administratives et sous réserve qu’il n’en résulte pas de distorsions de concurrence» (3).

B –    Réglementation nationale

8.     En Finlande, la directive a été transposée au moyen de la loi finlandaise sur la TVA (Arvonlisäverolaki, ci‑après l’«AVL»). Les dispositions relatives au traitement fiscal du transfert d’immeubles sont contenues dans les articles 27 à 30 de l’AVL. Aux termes du premier alinéa de l’article 27 de l’AVL, la vente de biens immeubles ainsi que l’affermage, la location, les servitudes ou toute autre cession de droit susceptible d’être rattaché à un immeuble (4) sont exonérés de la TVA. Par dérogation, l’article 30 de l’AVL prévoit qu’un assujetti peut demander d’être taxé en cas de cession d’un droit d’usage.

9.     Aux termes de l’article 106 de l’AVL, relatif aux déductions dans le cadre des prestations de services de construction, le propriétaire d’un immeuble qui a demandé à être assujetti à la TVA au titre de l’article 30 de cette loi peut effectuer la déduction pour les services ou produits qu’il a acquis, avant sa demande, aux fins du transfert imposable du bien immobilier. La condition est que ce propriétaire fasse sa demande d’assujettissement dans un délai de six mois à compter de la mise en service de l’immeuble. Ce droit à déduction, en vertu de cette disposition, s’applique uniquement aux constructions nouvelles ou à la rénovation d’immeubles.

10.   Selon l’AVL, la régularisation des déductions relatives à l’acquisition d’un immeuble ou d’une nouvelle construction ou pour des travaux de rénovation ou encore toute autre régularisation en faveur de l’assujetti n’est pas possible; cela vaut également pour un cas tel que celui en l’espèce, dans lequel la demande d’assujettissement a été faite après le délai cité et dans lequel, le bien immeuble a été utilisé pour une activité exonérée et plus tard pour une activité soumise à la TVA.

III – Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

11.   La ville de Uusikaupunki (ci‑après «Uusikaupunki») a rénové un immeuble dont elle est propriétaire et elle l’a loué à l’État finlandais, pour partie à compter du 1er juin 1995 et, pour une autre partie, à compter du 1er septembre 1995. Uusikaupunki a également loué une halle industrielle construite par ses soins à une entreprise assujettie à la TVA, à compter du 31 août 1995.

12.   Uusikaupunki a déposé auprès des autorités fiscales régionales du sud‑ouest de la République de Finlande une demande, en vertu de l’article 30 de l’AVL, en vue d’être assujettie à la TVA pour ces transactions. L’autorité fiscale a enregistré comme date du début du statut d’assujetti la date du dépôt de la demande, à savoir le 4 avril 1996, parce que la demande avait été présentée plus de six mois à compter de la mise en service de l’immeuble après la fin des travaux.

13.   Par deux demandes des 8 septembre 1998 et 30 mars 2000, Uusikaupunki a demandé auprès de l’autorité fiscale, sur la base de l’article 20 de la sixième directive, le remboursement de la TVA payée dans le cadre des travaux de construction et de rénovation pour les périodes 1996, 1997, 1998 et 1999. La somme demandée est de 1 651 653 FIM, augmentée des intérêts prescrits.

14.   Par décision du 3 mai 2000, l’autorité fiscale régionale a rejeté ces demandes au motif que les déductions de la taxe en amont ne pouvaient pas être régularisées selon l’article 20 de la sixième directive. Le propriétaire des biens immobiliers, ayant demandé, en vertu de l’article 30 de l’AVL, d’être traité comme un assujetti, ne pourrait, en vertu de l’article 106 de l’AVL, procéder à des déductions de taxes payées en amont en ce qui concerne des services ou des produits dont il se prévaut ou qu’il a acquis avant sa demande relative au transfert imposable d’immeubles ou ne pourrait déduire la taxe qu’il a payée pour les travaux de construction qu’il a lui‑même effectués à cet effet, que s’il introduit sa demande d’assujettissement dans un délai de six mois à compter de la mise en service de l’immeuble.

15.   Uusikaupunki a introduit un recours en annulation contre cette décision de l’autorité fiscale régionale devant le hallinto‑oikeus d’Helsinki (juridiction administrative), lequel a été rejeté. Uusikaupunki a alors introduit un pourvoi contre ce jugement devant le Korkein hallinto‑oikeus (cour administrative de Finlande).

16.   L’objet de cette procédure est, selon la juridiction de renvoi, de savoir si les dispositions de l’AVL relatives à la demande d’assujettissement de la cession d’un droit d’usage en matière de biens immobiliers est contraire aux dispositions de la sixième directive, relatives au droit à déduction de la taxe payée en amont. L’arrêt à rendre par la juridiction de renvoi dépend de l’interprétation de la sixième directive, et en particulier de son article 20 relatif à la régularisation des déductions de la taxe payée en amont. La juridiction de renvoi considère qu’il n’est pas contestable que Uusikaupunki, lors des achats relatifs aux rénovations de fond des biens immobiliers et du nouvel immeuble, a agi comme assujetti et que ces achats ont été effectués dans le cadre d’une activité économique de la ville

17.   C’est dans ces circonstances que le Korkein hallinto‑oikeus a, par une ordonnance du 16 avril 2004, notifiée au greffe de la Cour le 19 avril 2004, décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 20 de la directive 77/388/CEE doit-il être interprété en ce sens que, sous réserve des dispositions de son paragraphe 5, la régularisation des déductions visée dans cet article est obligatoire pour l’État membre en ce qui concerne les biens d’investissement?

2)      L’article 20 de la directive 77/388/CEE doit-il être interprété en ce sens que la régularisation des déductions visée dans cet article est également applicable dans une situation où un bien d’investissement, en l’occurrence immobilier, a d’abord été affecté à une activité exonérée, où les déductions étaient initialement totalement exclues, alors que ce n’est que plus tard, pendant la période de régularisation, que le bien a été utilisé aux fins d’une activité soumise à la TVA?

3)      L’article 13, C, deuxième alinéa, de la directive peut-il être interprété en ce sens que le droit à déduction pour les acquisitions relatives à des investissements immobiliers peut être restreint par l’État membre de la façon prévue dans la loi finlandaise sur la TVA, de telle sorte que ce droit se trouve complètement exclu dans des situations comme celle de la présente affaire?

4)      L’article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive peut-il être interprété en ce sens que le droit à déduction pour les acquisitions relatives à des investissements immobiliers peut être restreint par l’État membre de la façon prévue dans la loi finlandaise sur la TVA, de telle sorte que ce droit se trouve complètement exclu dans des situations comme celle de la présente affaire?»

IV – Sur la première question

18.   Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir en substance si – dans la mesure où il ne résulte rien d’autre de l’article 20, paragraphe 5, de la sixième directive – les États membres sont tenus en vertu de l’article 20, paragraphe 2, de prévoir une régularisation des déductions de la taxe en amont pour les biens d’investissement ou si la sixième directive ne le prévoit que de manière facultative.

19.   À l’arrière‑plan de cette question, il convient d’observer que, suivant les constatations faites par la juridiction de renvoi, l’AVL ne prévoit pas de procédure de régularisation pour les biens d’investissement.

A –    Arguments principaux des parties

20.   Le gouvernement finlandais considère que la possibilité de régularisation des déductions de la taxe en amont suivant l’article 20 de la sixième directive ne doit pas être considérée comme étant obligatoire pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la régularisation suivant l’article 20 devrait être considérée comme une alternative aux dispositions prévues aux articles 5, paragraphe 6, et 6, paragraphe 2, de la sixième directive relatives à la taxation des fournitures de produits et des prestations de services par un assujetti pour son usage personnel. Ces deux mécanismes de taxation poursuivraient des objectifs largement identiques et ne pourraient pas être appliqués au même moment aux mêmes faits. Deuxièmement, selon l’article 20, paragraphe 4, de la sixième directive, les États membres pourraient définir la notion de «biens d’investissement» et rien dans la directive n’indiquerait que les services de construction doivent nécessairement entrer dans la notion de «biens d’investissement». Troisièmement, l’article 20, paragraphe 5, de la sixième directive donnerait aux États membres la possibilité, dans certaines circonstances qui existeraient dans le cas de la République de Finlande, de ne pas appliquer les dispositions relatives à la régularisation de la déduction de la taxe en amont.

21.   Uusikaupunki, la Commission des Communautés européennes et le gouvernement italien soutiennent que, en vertu de l’article 20 de la sixième directive, la régularisation est obligatoire en ce qui concerne les biens d’investissement.

B –    Appréciation

22.   Il convient tout d’abord de rappeler que, en vertu de l’article 249, troisième alinéa, CE, une directive est obligatoire pour chaque État membre auquel elle s’adresse en ce qui concerne l’objectif qu’elle poursuit et que, selon une jurisprudence constante, les États membres ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer le plein effet de la directive (5).

23.   L’article 20, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit que, «[e]n ce qui concerne les biens d’investissement, une régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué».

24.   Ainsi que l’ont noté à juste titre Uusikaupunki, le gouvernement italien et la Commission, ces termes ne permettent pas de conclure que les États membres ont la faculté de renoncer à une régularisation en ce qui concerne les biens d’investissement. De plus, le fait que l’article 20, paragraphe 5, de la sixième directive prévoit des conditions très précises pour lesquelles un État membre peut, à titre dérogatoire, renoncer à l’application des paragraphes 2 et 3 de ce même article, relatifs à la régularisation en ce qui concerne les biens d’investissement, vient renforcer ce constat.

25.   En outre, l’argumentation du gouvernement finlandais relative aux articles 5, paragraphe 6, et 6, paragraphe 2, de la sixième directive ne peut pas être suivie. Ainsi que le gouvernement finlandais l’a exposé, le fait que ces dispositions de la sixième directive relatives à l’imposition des biens ou des services destinés à un usage privé de l’entrepreneur poursuivent en partie des objectifs identiques à ceux de la régularisation ou, dans certaines circonstances, et qu’ils puissent concerner les mêmes faits n’a pas encore pour conséquence qu’un État membre pourrait renoncer à prévoir une régularisation pour les biens d’investissement. Les deux mécanismes ne se chevauchent pas de manière complète en sorte que l’on pourrait les considérer comme des mécanismes «alternatifs», mais les chevauchements ne sont concevables que dans les hypothèses particulières du «prélèvement effectué par un assujetti» en ce qui concerne les biens ou les services.

26.   Dans la mesure où, en raison des possibles chevauchements, ainsi que le gouvernement finlandais l’a exposé, il peut y avoir des problèmes concrets d’application, il convient de régler ceux‑ci en tenant compte, dans la mesure du possible, des principes sur lesquels se fonde la sixième directive, à savoir le maintien de la neutralité de la TVA. Toutefois, nous considérons que de telles difficultés ne permettent pas à un État membre de se désengager purement et simplement de l’obligation de prévoir une régularisation pour les biens d’investissement en vertu de l’article 20, paragraphe 2, de la sixième directive.

27.   En outre, la régularisation de la déduction de la taxe en amont en vertu de l’article 20 de la sixième directive – et ainsi contrairement à la réglementation relative à l’imposition de l’apport ou de la reprise de biens ou de services pour l’usage privé – doit être considérée comme un complément nécessaire au droit à la déduction de la taxe en amont suivant l’article 17 de la sixième directive, lequel vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques (6).

28.   Dans la mesure où la procédure de régularisation permet notamment de tenir compte de modifications en ce qui concerne les facteurs qui ont été pris en compte lors du calcul initial de la déduction – ce qui a particulièrement de l’importance dans le cas des biens d’investissement qui demeurent dans le patrimoine de l’entreprise de manière plus durable (7) –, la procédure de régularisation contribue à une plus grande exactitude de la déduction.

29.   Enfin, en ce qui concerne l’article 20, paragraphe 5, de la sixième directive, la première question posée n’a manifestement pas pour objet de savoir si les conditions d’application de cette disposition dérogatoire sont remplies en l’espèce.

30.   Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons de répondre à la première question que l’article 20 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, sous réserve des dispositions de son paragraphe 5, cette disposition oblige les États membres à prévoir une régularisation des déductions en ce qui concerne les biens d’investissement.

V –    Sur la deuxième question

31.   Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 20 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la régularisation est également applicable dans une situation où un bien d’investissement, en l’occurrence immobilier, a d’abord été affecté à une activité exonérée, où les déductions étaient exclues, alors que ce n’est que plus tard que le bien a été utilisé aux fins d’une activité soumise à la TVA, en sorte que la TVA contenue dans le bien d’investissement peut être déduite.

A –    Arguments principaux des parties

32.   Uusikaupunki et la Commission considèrent que la régularisation de la déduction doit être appliquée en l’espèce. Suivant la jurisprudence de la Cour, et en particulier l’arrêt Lennartz (8), le point déterminant est de savoir si l’acquisition des biens ou la prestation des services relatifs à des biens d’investissement ont été effectuées en qualité d’assujetties. L’affectation directe des biens à une activité imposable ne serait pas une condition à l’application de l’article 20, paragraphe 2, de la sixième directive. Dans la présente espèce, les travaux de rénovation et de construction auraient été entrepris pour un assujetti, même si les montants en cause auraient été initialement exonérés de la taxe.

33.   Le gouvernement finlandais fait valoir que l’arrêt Lennartz (9) s’applique uniquement à une hypothèse dans laquelle un État membre applique la régularisation de la déduction en vertu de l’article 20, paragraphe 2, de la sixième directive. Toutefois, la Cour ne se serait pas exprimée en ce qui concerne la question de l’application de la déduction dans un cas où dans un État membre – tel que la République de Finlande – on appliquerait uniquement l’article 17 relatif à la naissance et à l’étendue du droit à déduction et non l’article 20 relatif à la régularisation. Dans ces conditions, le droit à déduction de la taxe en amont devrait être uniquement apprécié sur la base de la situation existant au moment de l’acquisition des prestations antérieures. Par conséquent, si cette acquisition se rapporte à une activité exonérée de la taxe, il n’existerait pas de droit à déduction.

34.   Le gouvernement italien soutient qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la régularisation de la déduction au titre de l’article 20 de la sixième directive dans un cas tel qu’en l’espèce. En effet, les États membres pourraient exclure une telle régularisation lorsque la modification du droit à déduction dépend d’un choix volontaire du contribuable.

B –    Analyse

35.   Il y a lieu de souligner tout d’abord le lien existant entre la naissance du droit à déduction, d’une part, et l’application de la régularisation de celle‑ci, d’autre part.

36.   Ainsi que la Cour l’a déjà constaté, il résulte de l’économie de la sixième directive et du libellé de son article 20, paragraphe 2, que cette disposition se limite uniquement à établir le mécanisme permettant de calculer les régularisations de la déduction initiale; elle ne saurait donc donner naissance à un droit à déduction ni transformer la taxe acquittée par un assujetti en relation avec ses opérations non taxées en une taxe déductible au sens de l’article 17 (10).

37.   Il en résulte que l’application du mécanisme de régularisation dépend de la question de savoir si un droit à déduction suivant l’article 17 de la sixième directive a été créé.

38.   Selon l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. Selon l’article 10, paragraphe 2, de cette même directive, ce moment correspond à celui où la livraison du bien est effectuée (11).

39.   Il est de jurisprudence constante que l’existence d’un droit à déduction dépend de ce que la personne qui acquiert des biens ou fournit des services agisse à ce moment en qualité d’assujettie et donc qu’elle ait acquis les biens pour les besoins de ses activités économiques au sens de l’article 4 de la sixième directive; à cet égard, il s’agit d’une question de fait qui doit être appréciée dans les circonstances de chaque cas d’espèce (12).

40.   Dans la présente espèce, la juridiction de renvoi considère qu’il est en tout état de cause non contesté que c’est en tant qu’assujetti que Uusikaupunki a procédé aux travaux de construction et de rénovation aux biens d’investissement en cause dans le cadre de ses activités économiques.

41.   Par conséquent, il y a lieu de constater que la qualité d’assujetti, en tant que condition permettant la naissance d’un droit à déduction dont dépend l’application du mécanisme de régularisation, est remplie.

42.   En outre, la TVA acquittée pour des biens ou des services ne peut être déduite que si ces biens ou services sont utilisés par l’assujetti pour les besoins de ses activités imposables (13).

43.   Toutefois, nous considérons que le fait que le bien d’investissement ait fait l’objet de travaux de rénovation et de construction, d’abord pour des activités exonérées et plus tard pour des activités soumises à la TVA sur la base de l’exercice du droit d’option, ne s’oppose pas au droit à déduction et, par conséquent, à l’application d’une régularisation d’une déduction initiale de la taxe en amont.

44.   En effet, l’affectation des biens ou des services effectuée ou envisagée pour ceux‑ci doit, ainsi que cela a été jugé dans l’arrêt Lennartz, être distinguée de leur utilisation par une personne agissant en tant qu’assujetti et ne détermine que l’étendue de la déduction initiale à laquelle l’assujetti a droit en vertu de l’article 17 et l’étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes. Ainsi que la Cour l’a également jugé dans cet arrêt, il s’ensuit que «l’utilisation immédiate des biens pour des livraisons taxées ou exonérées ne constitue pas, en elle‑même, une condition de l’application de l’article 20, paragraphe 2» (14).

45.   Par conséquent, nous considérons que, en vertu de cet article, la régularisation s’applique en principe également à une hypothèse, telle que celle du cas d’espèce, dans laquelle un bien d’investissement a d’abord été affecté à une activité exonérée, alors que ce n’est que plus tard que le bien a été utilisé aux fins d’une activité soumise à la TVA, dans la mesure où les prestations en cause – à savoir les biens et les services utilisés pour ce bien d’investissement – ont été réalisées en qualité d’assujetties (15).

46.   En raison du fait que le bien d’investissement incluant la TVA qui a été acquittée par Uusikaupunki pour les travaux de construction et de rénovation n’a pas été affecté initialement, même de façon partielle, aux fins des activités soumises à la TVA, il y avait lieu de considérer comme nulle l’étendue de la déduction initiale. Par conséquent, la modification ultérieure des circonstances qu’il y avait lieu de considérer initialement lors du calcul du montant de la déduction, à savoir l’affectation des activités soumises à la TVA, doit être prise en considération au moyen de la régularisation, conformément à ce qui est exposé ci‑dessus, en sorte que l’on puisse rétablir ainsi une concordance la plus large entre l’étendue des opérations soumises à la TVA et le droit à une déduction de la taxe en amont. Cette solution est conforme à la finalité de la réglementation relative à la déduction de la taxe en amont exposée ci‑dessus, qui est que l’entrepreneur soit déchargé totalement de la TVA due ou acquittée par lui dans le cadre de ses activités économiques et, partant, que la neutralité de la TVA (16) soit garantie.

47.   En revanche, le fait de ne pas appliquer le mécanisme de régularisation dans un cas dans lequel un bien immobilier a été d’abord affecté à des opérations exonérées puis ultérieurement imposées aurait eu pour conséquence que les biens et les services acquis, et dont la valeur est contenue dans le bien d’investissement, auraient été in fine taxés à plusieurs reprises, et ce contrairement au principe de neutralité.

48.   Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons de répondre à la deuxième question que l’article 20 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la régularisation est également applicable dans une situation dans laquelle un bien d’investissement, en l’occurrence immobilier, a d’abord été affecté à une activité exonérée, qui n’ouvre pas droit à déduction, alors que ce n’est que plus tard que le bien a été utilisé aux fins d’une activité soumise à la TVA.

VI – Sur la troisième question

49.   La troisième question doit être appréciée en tenant compte du fait que, en vertu de l’AVL, la déduction de la TVA payée pour les investissements immobiliers avant le dépôt de la demande est exclue lorsque cette demande n’a pas été faite dans les six mois.

50.   La troisième question a donc en substance pour objet de savoir si l’article 13, C, second alinéa, de la sixième directive peut être interprété en ce sens qu’un État membre qui donne le droit à ses contribuables d’opter pour la taxation de l’utilisation d’un immeuble est autorisé à exclure complètement la déduction de la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant la demande tendant à ce que la location soit traitée comme une opération soumise à la TVA, lorsque cette demande n’a pas été déposée dans les six mois.

A –    Arguments principaux des parties

51.   Les gouvernements finlandais et italien considèrent que l’article 13, C, second alinéa, de la sixième directive permet une restriction du droit à déduction telle que celle prévue dans la législation finlandaise.

52.   Le gouvernement finlandais ajoute que les États membres peuvent restreindre le droit à déduction en vertu du libellé de l’article 13, C, second alinéa, de la sixième directive. La finalité de l’option de l’assujettissement serait de rendre possible la déduction en amont des coûts liés aux biens immobiliers. La possibilité donnée aux États membres de restreindre l’étendue de ce droit d’option aurait nécessairement des effets sur le droit à déduction des coûts liés aux biens immobiliers.

53.   Le gouvernement italien considère que le droit d’option relatif à l’assujettissement n’implique pas de droit à déduction pour des acquisitions du passé. Il s’ensuit qu’il ne concernerait que des acquisitions futures. Toutefois, en raison de l’article 13, C, et en particulier de l’article 18, paragraphe 3, de la sixième directive, les États membres auraient la possibilité de prévoir un effet rétroactif au droit d’option en ce qui concerne l’imposition de la location de biens immobiliers, mais il n’y aurait aucune obligation à cet égard.

54.   Uusikaupunki et la Commission soutiennent que l’article 13, C, ne permet pas aux États membres de restreindre le droit à déduction en ce qui concerne les investissements immobiliers de façon telle que, dans certaines circonstances, il serait complètement exclu.

55.   Dans son interprétation de cette dernière disposition, Uusikaupunki fait une distinction entre, d’une part, la possibilité existant pour un État membre de restreindre l’étendue du droit d’option et, d’autre part, la détermination des modalités d’exercice de ce droit. Selon Uusikaupunki, la question de l’étendue du droit d’option en l’espèce n’est pas pertinente, car il serait incontesté qu’Uusikaupunki disposait du droit d’option et qu’elle l’a exercé. En ce qui concerne la détermination des modalités d’exercice de ce droit, la République de Finlande ne permettrait pas de le restreindre de façon telle que, dans certaines circonstances, il serait complètement exclu.

56.   La Commission se rallie largement à cette thèse et déclare que, dès qu’un assujetti a exercé son droit à déduction en application du droit interne, les articles 17 à 20 de la sixième directive sont applicables. À la lumière de la jurisprudence constante de la Cour, les États membres ne pourraient pas restreindre davantage le droit à déduction dans ce cas d’espèce.

B –    Appréciation

57.   La sixième directive prévoit en son titre X (articles 13 à 16) différents cas d’exonération, dont par exemple l’article 13, B, sous b), pour la location et l’affermage de biens immeubles.

58.   Toutefois, l’article 13, C, premier alinéa, sous a), donne la faculté aux États membres de «réintroduire» l’imposition par le fait qu’ils accordent à leurs assujettis le droit d’opter pour l’imposition.

59.   Selon l’article 13, C, second alinéa, les États membres peuvent restreindre l’étendue de ce droit d’option et déterminer les modalités de son exercice.

60.   La Cour a jugé que les États membres peuvent, en vertu de cette faculté, donner aux bénéficiaires des exonérations prévues par la sixième directive la possibilité de renoncer à l’exonération, soit dans tous les cas, soit dans certaines limites, soit encore sous certaines modalités (17).

61.   Il résulte de la jurisprudence de la Cour que les États membres jouissent d’une large marge d’appréciation dans le cadre des dispositions de l’article 13, B et C (18).

62.   À ce sujet, il me semble tout d’abord important de noter que cette faculté accordée aux États membres par l’article 13, C, et la marge d’appréciation qui s’y rapporte ont pour objet d’accorder à leurs assujettis le droit d’opter ou non pour l’imposition (19).

63.   Par conséquent, il convient d’approuver la Commission en ce sens que l’article 13, C, qui concerne l’imposition, ne peut en principe pas servir de fondement aux États membres en vue de restreindre directement l’étendue d’autres règles de la sixième directive et/ou de droits tels que le droit à déduction.

64.   Dans la présente espèce, je doute déjà que l’exclusion complète du droit à déduction de la TVA acquittée – avant l’exercice du droit d’option – pour des investissements dans cet immeuble, dans le cas où le délai de six mois prenant cours à la mise en service de cet immeuble est arrivé à échéance, puisse encore relever de la compétence des États membres de déterminer l’étendue du droit d’option ou les modalités d’exercice de ce droit.

65.   Certes, les États membres peuvent régir dans ce cadre le dépôt de la demande (20) et la procédure d’agrément et également déterminer que la location ou l’affermage de l’immeuble ne sera imposé qu’après le dépôt de la demande et ne sera pas traité de manière rétroactive en tant qu’opération soumise à la TVA. Toutefois, l’exclusion complète de la déduction, à tout le moins au moyen de la régularisation de la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant le dépôt de la demande, ne concerne plus, selon nous, l’imposition de la location ou de l’affermage de biens immobiliers ni l’étendue du droit d’opter pour une telle imposition ou de déterminer les modalités d’exercice de ce droit.

66.   Même si l’on acceptait qu’une telle exclusion doive evait être considérée comme une restriction de l’étendue du droit d’option ou comme une modalité de son exercice au sens de l’article 13, C, second alinéa, il y a lieu de noter, toutefois, que l’on ne peut porter indûment atteinte au droit à déduction sur la base de cette disposition (21).

67.   Il y a lieu de tenir compte à cet égard du fait qu’un élément de base du système de la TVA consiste en ce que, à chaque transaction, la TVA n’est exigible que déduction faite du montant de la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix des biens et des services (22).

68.   Selon nous, à la lumière de ce qui précède, il relève du pouvoir d’appréciation d’un État membre de ne pas reconnaître d’effet rétroactif à l’exercice du droit d’option dans la mesure où il n’est pas possible d’exercer une déduction a posteriori pour la période antérieure à l’exercice du droit d’option. En revanche, il me semble que le fait qu’il ne serait à tout le moins pas possible de déduire la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant l’exercice de l’option au cours de délai de régularisation restant après l’exercice de l’option et dans l’étendue de la régularisation prévue à l’article 20, paragraphe 2, constitue une limitation excessive.

69.   Il s’ensuit que nous proposons de répondre à la troisième question que l’article 13, C, second alinéa, ne doit pas être interprété en ce sens qu’il serait permis à un État membre, qui accorde à ses assujettis le droit d’opter pour l’imposition de l’utilisation d’un immeuble, d’exclure complètement le droit de déduire la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant la demande tendant à ce que la location de l’immeuble soit traitée comme une opération soumise à la TVA, lorsque cette demande n’a pas été introduite dans les six mois à partir de la mise en service de cet immeuble.

VII – Sur la quatrième question

70.   Dès lors, la quatrième question a essentiellement pour objet de savoir si l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il est permis à un État membre, qui accorde à ses assujettis le droit d’opter pour l’imposition de l’utilisation d’un immeuble, d’exclure complètement le droit de déduire la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant la demande tendant à ce que la location de l’immeuble soit traitée comme une opération soumise à la TVA, lorsque cette demande n’est pas introduite dans les six mois.

A –    Arguments principaux des parties

71.   Selon le gouvernement finlandais, les dispositions de l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive permettent aux États membres de restreindre le droit à déduction en lien avec des investissements immobiliers, et ce à un niveau tel qu’il soit complètement exclu, comme c’est le cas en l’espèce avec l’AVL. Selon la jurisprudence de la Cour, seules les exclusions qui concerneraient l’ensemble des biens ou des services ne seraient pas compatibles avec la sixième directive.

72.   En revanche, Uusikaupunki et la Commission soutiennent qu’en l’espèce l’article 17, paragraphe 6, ne serait pas applicable. Les dispositions de la législation finlandaise consisteraient davantage en un rejet de la régularisation de la déduction en vertu de l’article 20 qu’en une exclusion de la déduction en vertu de l’article 17 de la sixième directive.

73.   Le gouvernement italien se fonde sur ses arguments exposés en ce qui concerne la deuxième question. Il s’ensuit que la République de Finlande, en adoptant l’article 106 de l’AVL, a accordé clairement à ses assujettis le droit à déduction que la sixième directive ne prévoit en fait pas. Par conséquent, l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive ne serait applicable qu’en cas de limitation du droit à déduction, mais non pour son extension et, partant, il ne serait pas pertinent en l’espèce.

B –    Appréciation

74.   Suivant l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, les États membres peuvent, «[j]usqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus», maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive. Le terme «exclusions» de cet alinéa renvoie ainsi à l’article 17, paragraphe 6, premier alinéa (23).

75.   Cette disposition prévoit l’adoption par le Conseil de dispositions déterminant «les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée». Selon la seconde phrase de cette disposition, «[e]n tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation».

76.   L’article 17, paragraphe 6, se réfère ainsi à certaines catégories et/ou à certains types de dépenses, à savoir, plus particulièrement – mais non exclusivement –, les dépenses qui n’ont pas un caractère strictement professionnel (24).

77.   La genèse de l’article 17, paragraphe 6, explique, d’une part, le fait – auquel a fait référence la Commission dans l’exposé des motifs de sa proposition – que certaines dépenses, bien qu’engagées dans le cadre du fonctionnement normal de l’entreprise, étaient difficiles à ventiler entre partie professionnelle et partie privée; d’autre part, il y a lieu de noter que, lors de l’adoption de la sixième directive, les États membres n’ont pas pu s’entendre sur le régime applicable aux dépenses de transport de personnes (25).

78.   Par conséquent, la faculté accordée aux États membres par l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, prévoit que les États membres peuvent temporairement maintenir les exclusions de la déduction en ce qui concerne certains types de dépenses – à savoir celles qui relèvent des dispositions que doit adopter le Conseil en vertu de l’article 17, paragraphe 6, premier alinéa.

79.   Nous considérons dès lors, comme Uusikaupunki et la Commission, que l’«exclusion de la déduction» à laquelle fait référence cette disposition n’est pas pertinente en l’espèce et, partant, pas à même de justifier une telle exclusion de la déduction. En effet, selon l’AVL, les investissements immobiliers et/ou les dépenses de construction et d’achats liées à un immeuble ne constituent en principe pas un type de dépenses ne pouvant être déduit. En effet, l’article 102, paragraphe 1, premier alinéa, de l’AVL prévoit la déductibilité des investissements relatifs à des immeubles, à la condition que l’acquisition ait lieu aux fins d’une activité soumise à la TVA et à une période où celle‑ci est exercée. En l’espèce, l’exclusion complète concerne uniquement la TVA supportée avant la demande, dans la mesure où celle‑ci n’a pas été introduite dans les six mois après la mise en service de l’immeuble. Par conséquent, ainsi que nous l’avons exposé au sujet des trois premières questions, ce qui est également en débat, c’est la réglementation relative à la régularisation au sens de l’article 20 de la sixième directive et non la réglementation relative à la déduction de la TVA en tant que telle en vertu de l’article 17 de cette même directive.

80.   Par conséquent, nous suggérons de répondre à la quatrième question que l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive ne doit pas être interprété en ce sens qu’un État membre qui accorde à ses assujettis le droit d’opter pour l’imposition de l’utilisation d’un bien immobilier soit autorisé à exclure complètement la déduction de la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant la demande visant à ce que la location de l’immeuble soit traitée comme une opération taxable, lorsque cette demande n’a pas été introduite dans les six mois.

VIII – Restriction des effets de l’arrêt dans le temps

A –    Arguments principaux des parties

81.   Le gouvernement finlandais demande à la Cour, dans l’hypothèse où elle ne devrait pas suivre ces arguments, de restreindre les effets de l’arrêt dans le temps à la période postérieure au prononcé dudit arrêt. Le gouvernement finlandais fait référence au caractère imprécis des dispositions en cause ainsi qu’aux difficultés pratiques liées à une application rétroactive. Lors de la procédure orale, le gouvernement finlandais a fait valoir en particulier qu’il a agi de bonne foi. À cet égard, il a soutenu qu’en 1995 la réglementation finlandaise a été examinée dans le cadre des réunions du comité TVA et que ni la Commission ni les autres États membres n’ont émis de réserves contre cette réglementation.

82.   La Commission ne voit aucune raison à une limitation dans le temps des effets de l’arrêt. Toutefois, la Commission confirme que, lors de deux réunions tenues en 1995, la réglementation finlandaise a été invoquée. Certains États membres tout au moins auraient lors de cette réunion émis des doutes quant à la conformité de la réglementation finlandaise relative à la déduction pour les investissements immobiliers. Le gouvernement finlandais aurait su que la Commission considérait que cette réglementation n’était pas conforme à la sixième directive.

B –    Appréciation

83.   Il convient de rappeler tout d’abord que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit communautaire, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 234 CE, est claire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (26).

84.   Il est de jurisprudence constante que ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (27).

85.   En effet, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsque, d’une part, il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et que, d’autre part, il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (voir arrêt Roders e.a., précité, point 43) (28).

86.   Dès lors, la décision de la Cour de fixer une limitation dans le temps dépend, d’une part, de l’existence de graves effets économiques et, d’autre part, de la bonne foi des milieux intéressés (29).

87.   Dans la présente espèce, il y a lieu de constater que le gouvernement finlandais s’est fondé – uniquement – sur des difficultés pratiques dont il devait tenir compte dans l’hypothèse où les effets de l’arrêt n’étaient pas limités dans le temps, sans qu’il démontre plus avant que l’arrêt de la Cour aurait de graves effets économiques.

88.   En outre, en raison du caractère exceptionnel que devrait avoir l’usage par la Cour de la possibilité de restreindre les effets d’un arrêt dans le temps, nous considérons que, sur la base des vagues éléments dont nous disposons dans la présente espèce, il serait excessif d’admettre la bonne foi du gouvernement finlandais.

89.   Ni les indications partiellement contradictoires de la Commission ni les arguments du gouvernement finlandais qui ne peuvent écarter ces contradictions ne permettent de constater avec certitude quels sont les résultats des délibérations du comité TVA. À cet égard, le procès‑verbal présenté par la Commission sur demande n’est pas non plus d’une aide considérable. Enfin, il y a lieu de constater avec un certain degré de certitude qu’une discussion relative à la réglementation finlandaise en cause a eu lieu et que certains États membres ont manifestement exprimé certains doutes. Cela s’expliquerait en outre par le caractère «ouvert» de ces réunions dans lesquelles, selon la Commission, différents sujets sont librement discutés. Toutefois, nous considérons qu’il est nécessaire d’avoir des éléments plus précis que les réserves prétendument non exprimées par la Commission ou par d’autres États membres pour fonder la bonne foi d’un gouvernement en la conformité au droit communautaire de ses dispositions nationales. À défaut, un risque considérable d’incertitude relatif aux effets des arrêts de la Cour serait créé et cet effet dépendrait de circonstances que la Cour ne pourrait examiner ni vérifier.

90.   Il y a lieu de distinguer la présente espèce de l’affaire que l’avocat général Jacobs avait examinée dans ses conclusions relatives à l’affaire Banca popolare di Cremona, dans laquelle la bonne foi de l’État membre avait été justifiée en particulier sur la base d’une lettre signée et sans aucun doute rédigée par un directeur général compétent de la Commission (30).

91.   Pour ces raisons, nous considérons qu’en l’espèce il n’y a pas lieu de restreindre dans le temps les effets de l’arrêt de la Cour (31).

IX – Sur les dépens

92.   Les frais exposés par les gouvernements finlandais et italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé dans la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens.

X –    Conclusion

93.   Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles:

«1)      L’article 20 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que, sous réserve des dispositions de son paragraphe 5, cette disposition oblige les États membres à prévoir une régularisation des déductions en ce qui concerne les biens d’investissement.

2)      L’article 20 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la régularisation est également applicable dans une situation dans laquelle un bien d’investissement, en l’occurrence immobilier, a d’abord été affecté à une activité exonérée, qui n’ouvre pas droit à déduction, alors que ce n’est que plus tard que le bien a été utilisé aux fins d’une activité soumise à la TVA.

3)       Les articles 13, C, second alinéa, et 17, paragraphe 6, de la sixième directive ne doivent pas être interprétés en ce sens qu’il serait permis à un État membre, qui accorde à ses assujettis le droit d’opter pour l’imposition de l’utilisation d’un immeuble, d’exclure complètement le droit de déduire la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant la demande tendant à ce que la location de l’immeuble soit traitée comme une opération soumise à la TVA, lorsque cette demande n’a pas été introduite dans les six mois à partir de la mise en service de cet immeuble.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Directive du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


3 –      Remarques relatives à l’article 20 de la sixième directive: la possibilité d’augmenter la durée de la période servant de base au calcul des régularisations à vingt ans pour les biens immobiliers n’a été adoptée qu’avec la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388 et portant nouvelles mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée – champ d’application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en œuvre (JO L 102, p. 18). Auparavant, la sixième directive ne prévoyait qu’un délai de dix ans.


4 – Suivant l’article 28, premier alinéa, de l’AVL, un terrain est la parcelle délimitée d’une surface terrestre, un bâtiment ou une construction durable ou une partie de ceux‑ci.


5 – Voir, notamment, arrêts du 7 mai 2002, Commission/Suède (C‑478/99, Rec. p. I‑4147, p. 15), et du 26 juin 2003, Commission/France (C‑233/00, Rec. p. I‑6625, point 75).


6 – Voir, notamment, arrêts du 14 février 1985, Rompelman (268/83, Rec. p. 655, point 19), et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, Rec. p. I‑1577, point 44).


7 – Voir conclusions de l’avocat général Lenz du 15 février 1996 dans l’affaire Régie dauphinoise (arrêt du 11 juillet 1996, C‑306/94, Rec. p. I‑3695, point 37).


8 – Arrêt du 11 juillet 1991 (C‑97/90, Rec. p. I‑3795).


9 – Arrêt précité à la note 8.


10 – Voir arrêts Lennartz (précité, points 11 et 12), et du 2 juin 2005, Waterschap Zeeuws Vlaanderen (C‑378/02, Rec. p. I‑4685, point 38).


11 – Voir, notamment, arrêt Waterschap Zeeuws Vlaanderen (précité, point 31).


12 – Voir arrêts Lennartz (précité, points 8, 15 et 21), et Waterschap Zeeuws Vlaanderen (précité, points 31 et 32).


13 – Arrêt du 29 avril 2004, Faxworld (C‑137/02, Rec. p. I‑5547, point 24).


14 – Arrêt Lennartz (précité, points 15 et 16).


15 – En ce sens, voir également les conclusions de l’avocat général Jacobs du 30 avril 1991, dans l’affaire Lennartz (précitée), selon lesquelles «l’article 20, paragraphe 2, peut s’appliquer […] même lorsqu’un assujetti acquiert initialement les biens pour les besoins d’opérations économiques n’ouvrant pas droit à déduction au titre de l’article 17, paragraphes 2 et 3 (par exemple, pour des livraisons exonérées), mais utilise les biens, au cours des années suivantes à l’intérieur de la période de régularisation, pour des opérations pour lesquelles la TVA est déductible».


16 – Voir ci‑dessus, point 27.


17 – Arrêts du 19 janvier 1982, Becker (8/81, Rec. p. 53, point 38), et du 3 décembre 1998, Belgocodex (C-381/97, Rec. p. I-8153, point 16).


18 – Arrêt Belgocodex (précité, points 16 et 17).


19 – Arrêt précité, point 17.


20 – Sur ce sujet, voir arrêt du 9 septembre 2004, Vermietungsgesellschaft Objekt Kirchberg (C‑269/03, Rec. p. I‑8067, point 23).


21 – Arrêt précité, point 24.


22 – Voir, notamment, arrêt Rompelman (précité note 6, point 16).


23 – Arrêt du 18 juin 1998, Commission/France (C‑43/96, Rec. p. I‑3903, points 17 et 18).


24 – Voir, également, conclusions de l’avocat général Jacobs du 13 novembre 1997 dans l’affaire Commission/France (arrêt du 18 juin 1998, précité note 23, point 12).


25 – Arrêt du 18 juin 1998, Commission/France (précité note 23, point 19).


26 – Voir, notamment, nos conclusions du 8 juillet 2004 dans l’affaire Linneweber et Akritidis (point 60), et l’arrêt du 17 février 2005 rendu dans cette affaire (Rec. p. I‑1131, point 41), ainsi que les arrêts du 11 août 1995, Roders e.a. (C‑367/93 à C‑377/93, Rec. p. I‑2229, point 42), et du 3 octobre 2002, Barreira Pérez (C‑347/00, Rec. p. I‑8191, point 44).


27 – Voir, notamment, arrêts du 23 mai 2000, Buchner e.a. (C‑104/98, Rec. p. I‑3625, point 39), et Barreira Pérez (précité, point 45).


28 – Arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 53), et du 15 mars 2005, Bidar (C‑209/03, Rec. p. I‑2119, point 69).


29 – Voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2001, Heininger (C‑481/99, Rec. p. I‑9945, point 52).


30 – Conclusions de l’avocat général Jacobs du 17 mars 2005 (C‑475/03, affaire pendante devant la Cour, point 80).


31 – Dès lors, il n’y a pas lieu de s’exprimer non plus sur la question du délai qui semble être approprié pour établir les limites des effets dans le temps, contrairement à ce qu’avait fait l’avocat général Jacobs dans ses conclusions dans l’affaire Banca popolare di Cremona (précitée à la note 30).