Affaire C-470/03

A.G.M.-COS.MET Srl

contre

Suomen valtio et Tarmo Lehtinen

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tampereen käräjäoikeus)

«Directive 98/37/CE — Mesures d’effet équivalent — Machines présumées conformes à la directive 98/37/CE — Critiques exprimées publiquement par un fonctionnaire d’État»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 17 novembre 2005 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 17 avril 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Rapprochement des législations — Machines — Directive 98/37 — Entraves à la mise sur le marché de machines présumées conformes à la directive

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/37, art. 4, § 1, et 7, § 1)

2.     Rapprochement des législations — Machines — Directive 98/37 — Entraves à la mise sur le marché de machines présumées conformes à la directive

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/37, art. 4, § 1, et 7)

3.     Droit communautaire — Droits conférés aux particuliers — Violation par un État membre

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/37, art. 4, § 1)

4.     Droit communautaire — Droits conférés aux particuliers — Violation par un État membre

5.     Droit communautaire — Droits conférés aux particuliers — Violation par un État membre

1.     Sont imputables à l'État les déclarations d'un fonctionnaire qui, en raison de leur forme et des circonstances, créent chez leurs destinataires l'impression qu'il s'agit de prises de position officielles de l'État, et non pas d'opinions personnelles du fonctionnaire. L'élément déterminant pour que les déclarations d'un fonctionnaire soient imputées à l'État réside dans le point de savoir si les destinataires de ces déclarations peuvent raisonnablement supposer, dans le contexte donné, qu'il s'agit de positions que le fonctionnaire prend avec l'autorité de sa fonction.

Pour autant qu'elles soient imputables à l'État, constituent une violation de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37, relative aux machines, les déclarations d'un fonctionnaire présentant une machine certifiée conforme à cette directive comme contraire à la norme harmonisée s'y rapportant et dangereuse. En effet, de telles déclarations sont de nature à entraver, au moins indirectement et potentiellement, la mise sur le marché d'une telle machine.

Certes, l'interdiction édictée à l'article 4, paragraphe 1, de la directive ne vaut que si la machine concernée est conforme aux dispositions de cette directive. À cet égard, la présomption de conformité résultant de l'article 5, paragraphe 1, de la directive en ce qui concerne des machines certifiées conformes à celle-ci et munies du marquage «CE» de conformité prévu à son article 10 n'implique pas que les États membres ne peuvent intervenir lorsque des risques apparaissent. Au contraire, en vertu de l'article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, un État membre est tenu de prendre toutes les mesures utiles pour retirer une machine du marché lorsqu'il constate que celle-ci, utilisée conformément à sa destination, risque de compromettre la sécurité des personnes ou des biens. Dans pareille hypothèse, conformément à l'article 7, paragraphe 1, second alinéa, de la directive, l'État membre est tenu d'informer immédiatement la Commission d'une telle mesure et d'indiquer les raisons de sa décision.

Dès lors que les autorités compétentes de l'État membre en cause n'ont ni constaté l'existence d'un risque, ni adopté de mesures visant à retirer du marché les machines concernées, ni, a fortiori, informé la Commission de telles mesures, ledit État doit toutefois respecter l'interdiction des restrictions à leur libre circulation édictée à l'article 4, paragraphe 1, de la directive.

(cf. points 61-66, disp. 1)

2.     Une violation de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37, relative aux machines, par le comportement d'un fonctionnaire, dans la mesure où il est imputable à l'État membre dont il relève, ne peut être justifiée ni par l'objectif de protection de la santé ni au titre de la liberté d'expression des fonctionnaires.

En effet, d'une part, eu égard au fait que les règles relatives aux exigences de sécurité en vue de la mise sur le marché des machines qui affectent la libre circulation des marchandises sont harmonisées de manière exhaustive au niveau communautaire, un État membre ne saurait se prévaloir d'une justification tirée de la protection de la santé en dehors du cadre créé par l'article 7 de la directive.

D'autre part, si la liberté d'expression est garantie à toutes les personnes relevant de la juridiction des États membres et constitue un fondement essentiel de toute société démocratique, les États membres ne sauraient se prévaloir de la liberté d'expression de leurs fonctionnaires pour justifier une entrave et, de ce fait, échapper à leur propre responsabilité en droit communautaire.

(cf. points 70, 72-73, disp. 2)

3.     L'article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37, relative aux machines, doit être interprété en ce sens, d'une part, qu'il confère aux particuliers des droits et, d'autre part, qu'il ne laisse aux États membres aucune marge d'appréciation, en ce qui concerne les machines conformes à ladite directive ou présumées telles. Le non-respect de cette disposition résultant de déclarations d'un fonctionnaire d'un État membre, pour autant qu'elles soient imputables à cet État, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire pour engager la responsabilité dudit État.

(cf. point 86, disp. 3)

4.     Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que des conditions spécifiques soient prévues par le droit interne d'un État membre en ce qui concerne la réparation des dommages autres que ceux causés aux personnes ou aux biens, sous réserve qu'elles soient aménagées de façon à ne pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation d'un dommage résultant d'une violation du droit communautaire. Ainsi, spécialement à propos de litiges d'ordre économique ou commercial, l'exclusion totale, au titre du dommage réparable, du manque à gagner subi par des particuliers ne peut être admise en cas de violation du droit communautaire.

(cf. points 95-96, disp. 4)

5.     En cas de violation du droit communautaire, celui-ci ne s'oppose pas à ce que la responsabilité d'un fonctionnaire puisse être engagée en sus de celle de l'État membre, mais ne l'impose pas.

(cf. point 99, disp. 5)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

17 avril 2007 (*)

«Directive 98/37/CE – Mesures d’effet équivalent – Machines présumées conformes à la directive 98/37/CE – Critiques exprimées publiquement par un fonctionnaire d’État»

Dans l’affaire C-470/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tampereen käräjäoikeus (Finlande), par décision du 7 novembre 2003, parvenue à la Cour le 11 novembre 2003, dans la procédure

A.G.M.-COS.MET Srl

contre

Suomen valtio,

Tarmo Lehtinen,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, présidents de chambre, M. J.N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. Makarczyk (rapporteur), G. Arestis, A. Borg Barthet et M. Ilešič, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 avril 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour A.G.M.-COS.MET Srl, par Me P. Kyllönen, asianajaja,

–       pour M. Lehtinen, par Mes S. Kemppinen et K. Harenko, asianajajat,

–       pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster et M. N. A. J. Bel, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement suédois, par M. A. Kruse, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. van Beek et P. Aalto, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (JO L 207, p. 1, ci‑après la «directive»), et sur les conditions d’engagement de la responsabilité d’un État membre et de ses fonctionnaires en cas de violation du droit communautaire.

2       Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant A.G.M.-COS.MET Srl (ci-après «AGM»), société de droit italien, au Suomen valtio (État finlandais) et à M. Lehtinen, fonctionnaire du sosiaali- ja terveysministeriö (ci-après le «ministère des Affaires sociales et de la santé»), au sujet de la réparation du préjudice que AGM soutient avoir subi du fait de violations de la directive.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3       La directive définit les exigences essentielles en matière de sécurité et de santé relatives à la conception et à la construction des machines et des composants de sécurité ainsi que les modalités d’évaluation de la conformité, de déclaration de conformité et de marquage des machines.

4       L’article 2 de la directive prévoit:

«1.      Les États membres prennent toutes les mesures utiles pour que les machines ou les composants de sécurité auxquels s’applique la présente directive ne puissent être mis sur le marché et mis en service que s’ils ne compromettent pas la sécurité et la santé des personnes et, le cas échéant, des animaux domestiques ou des biens, lorsqu’ils sont installés et entretenus convenablement et utilisés conformément à leur destination.

2.      La présente directive n’affecte pas la faculté des États membres de prescrire, dans le respect du traité, les exigences qu’ils estiment nécessaires pour assurer la protection des personnes, et en particulier des travailleurs, lors de l’utilisation des machines ou des composants de sécurité en question, pour autant que cela n’implique pas de modifications de ces machines ou de ces composants de sécurité par rapport à la présente directive.

[...]»

5       L’article 3 de la directive dispose:

«Les machines et les composants de sécurité auxquels s’applique la présente directive doivent satisfaire aux exigences essentielles de sécurité et de santé énoncées à l’annexe I.»

6       L’article 4, paragraphe 1, de la directive est rédigé comme suit:

«Les États membres ne peuvent pas interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché et la mise en service sur leur territoire des machines et des composants de sécurité qui satisfont à la présente directive.»

7       Aux termes de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive:

«1.      Les États membres considèrent comme conformes à l’ensemble des dispositions de la présente directive, y compris les procédures d’évaluation de la conformité prévues au chapitre II:

–       les machines qui sont munies du marquage ‘CE’ et accompagnées de la déclaration ‘CE’ de conformité visée à l’annexe II, point A,

–       les composants de sécurité qui sont accompagnés de la déclaration ‘CE’ de conformité visée à l’annexe II, point C.

En l’absence de normes harmonisées, les États membres prennent les dispositions qu’ils jugent nécessaires pour que soient portées à la connaissance des parties concernées les normes et spécifications techniques nationales existantes qui sont considérées comme documents importants ou utiles pour l’application correcte des exigences essentielles de sécurité et de santé énoncées à l’annexe I.

2.      Lorsqu’une norme nationale transposant une norme harmonisée, dont la référence a fait l’objet d’une publication au Journal officiel des Communautés européennes, couvre une ou plusieurs exigences essentielles de sécurité, la machine ou le composant de sécurité construit conformément à cette norme est présumé conforme aux exigences essentielles concernées.

[…]»

8       L’article 7, paragraphe 1, de la directive prévoit:

«Lorsqu’un État membre constate que:

–       des machines munies du marquage ‘CE’

ou

–       des composants de sécurité accompagnés de la déclaration ‘CE’ de conformité,

utilisés conformément à leur destination, risquent de compromettre la sécurité des personnes et, le cas échéant, des animaux domestiques ou des biens, il prend toutes les mesures utiles pour retirer les machines ou les composants de sécurité du marché, interdire leur mise sur le marché et leur mise en service ou restreindre leur libre circulation.

L’État membre informe immédiatement la Commission d’une telle mesure et indique les raisons de sa décision, en particulier si la non-conformité résulte:

a)      du non-respect des exigences essentielles visées à l’article 3;

b)      d’une mauvaise application des normes visées à l’article 5, paragraphe 2;

c)      d’une lacune des normes visées à l’article 5, paragraphe 2, elles-mêmes.»

9       En vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive, le fabricant doit, avant la mise sur le marché d’une machine, effectuer la procédure appropriée d’évaluation de sa conformité. Il résulte de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, premier tiret, de la directive que la conformité d’une machine aux dispositions de celle-ci est en principe attestée par la déclaration «CE» de conformité et le marquage «CE».

10     Toutefois, il ressort du vingt et unième considérant et de l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive que, en ce qui concerne certaines machines qui présentent un potentiel plus important de risques, énumérées exhaustivement à l’annexe IV de la directive, une procédure plus contraignante d’évaluation de la conformité est prévue.

11     Les ponts élévateurs pour véhicules sont mentionnés à l’annexe IV, A, point 15.

12     Aux termes du dix-septième considérant de la directive, celle-ci, et plus précisément son annexe I, intitulée «Exigences essentielles de sécurité et de santé relatives à la conception et à la construction des machines et des composants de sécurité», «ne définit que les exigences essentielles de sécurité et de santé de portée générale, complétées par une série d’exigences plus spécifiques pour certaines catégories de machines».

13     La fixation de conditions plus détaillées intervient par l’intermédiaire de normes harmonisées. À cet égard, le même considérant précise:

«[...] pour faciliter aux producteurs la preuve de conformité à ces exigences essentielles, il est souhaitable de disposer de normes harmonisées au niveau européen en ce qui concerne la prévention contre les risques découlant de la conception et de la construction des machines ainsi que pour permettre le contrôle de la conformité aux exigences essentielles; [...] ces normes harmonisées sur le plan européen sont élaborées par des organismes de droit privé et doivent conserver leur statut de textes non obligatoires; [...] à cette fin, le comité européen de normalisation (CEN) et le comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec) sont reconnus comme étant les organismes compétents pour adopter les normes harmonisées conformément aux orientations générales pour la coopération entre la Commission et ces deux organismes, signées le 13 novembre 1984; [...] au sens de la présente directive, une norme harmonisée est une spécification technique (norme européenne ou document d’harmonisation) adoptée par l’un ou l’autre de ces organismes, ou les deux, sur mandat de la Commission conformément aux dispositions de la directive 83/189/CEE, ainsi qu’en vertu des orientations générales susvisées.»

14     Les références relatives aux normes harmonisées sont publiées au Journal officiel de l’Union européenne.

15     Une norme harmonisée au niveau européen existe en ce qui concerne les élévateurs de véhicules. Il s’agit de la norme EN 1493:1998, dont la référence a été publiée pour la première fois en 1999 (JO C 165, p. 4).

16     Selon ses termes, «[l]’objet de cette norme européenne est de définir les règles pour la sécurité des personnes contre les risques d’accidents associés à l’utilisation des élévateurs de véhicules».

17     Son champ d’application est fixé comme suit:

«La présente norme s’applique aux élévateurs de véhicules fixes, mobiles et transférables, qui ne sont pas prévus pour le levage de personnes, mais qui sont conçus pour élever tout le véhicule afin de permettre les travaux de vérification, d’entretien et de réparation sur ou sous le véhicule lorsqu’il est en position levée.

L’élévateur de véhicule peut consister en une ou plusieurs unités de levage.»

 Le droit national

18     La décision n° 1314/1994 du Conseil des ministres sur la sécurité des machines (koneiden turvallisuutta koskeva päätos) a transposé la directive en droit finlandais.

19     La norme finlandaise SFS‑EN 1493, qui correspond à la norme européenne EN 1493:1998, a été adoptée le 8 mars 1999.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

20     AGM fabrique et commercialise des ponts élévateurs pour véhicules.

21     Le 11 mai 2000, le ministère des Affaires sociales et de la santé a reçu un rapport émanant du työsuojelupiiri (service local de la sécurité au travail) de Vaasa dans une affaire dite de «contrôle du marché» («markkinavalvonta-asia»). D’après ce rapport, l’examen du pont élévateur pour véhicules du type G 35 T/E fabriqué par AGM avait révélé certaines déficiences, notamment un défaut de rigidité des barres élévatrices avant et une résistance insuffisante du verrouillage des barres.

22     À la suite dudit rapport, le ministère des Affaires sociales et de la santé a envoyé à l’importateur pour la Finlande de ces machines, l’entreprise Pörhön Tuontiliike (ci-après l’«importateur»), une lettre datée du 18 mai 2000 dans laquelle il indiquait qu’il y avait des raisons de penser que les ponts élévateurs G 35 T/E fabriqués par AGM ne répondaient pas aux exigences de la loi 299/1958 sur la sécurité au travail (työturvallisuuslaki) et de la décision n° 1314/1994 du Conseil des ministres sur la sécurité des machines.

23     Dans le cadre de la procédure ainsi initiée par le ministère des Affaires sociales et de la santé, M. Lehtinen a rédigé un rapport en date du 29 novembre 2000, dans lequel il constate, notamment, que l’importateur a procédé, le 27 novembre 2000, à un test du système de verrouillage afin de garantir que la structure des ponts élévateurs concernés était conforme à la norme SFS‑EN 1493. Selon ce rapport, ce test aurait permis de révéler une défaillance dudit système. De l’avis de M. Lehtinen, la norme SFS‑EN 1493 exige que la structure supporte la charge maximale autorisée même dans les conditions de levage les plus défavorables et quel que soit le sens dans lequel le véhicule est amené sur le pont élévateur. En conclusion, le rapport invitait le ministère des Affaires sociales et de la santé à prendre, le plus rapidement possible, une décision limitant, voire interdisant, la cession et l’utilisation des ponts élévateurs concernés déjà en service.

24     Dans un mémoire daté du 18 décembre 2000, M. Lehtinen a réitéré ses observations, précisant néanmoins que le nouveau système de verrouillage envisagé par AGM était meilleur et que sa résistance avait été jugée suffisante lors d’un test effectué en Finlande le 12 décembre 2000.

25     Lors d’une réunion tenue le 20 décembre 2000 en présence des représentants de l’importateur et, pour le ministère des Affaires sociales et de la santé, de M. Kanerva, conseiller d’administration, et de M. Lehtinen, en qualité d’expert, il a été admis que le système de verrouillage tel que redessiné était conforme à la réglementation. Toutefois, la position définitive de l’administration devait encore dépendre d’un contrôle de certification réalisé par un établissement habilité, procédure qui, d’après AGM, était alors en cours. À cette occasion, il a également été décidé que la décision que prendrait le ministère des Affaires sociales et de la santé ne serait pas rendue publique, l’importateur informant, le moment venu, les utilisateurs.

26     Le 20 décembre 2000, M. Kanerva a présenté l’affaire à M. Hurmalainen, directeur du service de la sécurité au travail du ministère des Affaires sociales et de la santé, pour décision. M. Kanerva proposait que soient interdites, à certaines réserves près, la commercialisation et la mise en service des ponts élévateurs concernés. Toutefois, M. Hurmalainen n’a pas adopté la décision qui lui était proposée et a renvoyé l’affaire pour examen, estimant ne pas disposer des éléments d’appréciation suffisants.

27     Le 17 janvier 2001, M. Lehtinen, avec l’autorisation de son supérieur hiérarchique direct, et un représentant de l’importateur ont été interviewés pour le journal télévisé de 20 heures 30 de la chaîne de télévision nationale TV 1. À cette occasion, le présentateur a fait état de ce que, d’après les autorités finlandaises de l’inspection du travail, les ponts élévateurs concernés, bien qu’ayant été agréés en Italie, ne répondaient pas aux normes européennes applicables. Le présentateur a également déclaré que, selon ces mêmes autorités, le dispositif doit résister même si le véhicule est présenté dans les conditions de levage les plus défavorables. Pour sa part, le représentant de l’importateur a admis la défaillance du système de verrouillage, mais a réfuté que le dispositif de levage posait un quelconque autre problème et a soutenu que les barres élévatrices supportaient n’importe quelle charge pourvu que le véhicule fût amené sur l’appareil dans le sens approprié. M. Lehtinen a, quant à lui, déclaré que lesdits ponts élévateurs pouvaient présenter un danger immédiat dans la mesure où les travailleurs étaient amenés à opérer sous la charge. D’après ce dernier également, l’organisme de certification auquel AGM avait eu recours avait mal interprété les règles alors applicables.

28     Le 29 janvier 2001, la Teknisen Kaupan Liitto (confédération du commerce technique) a adressé au ministère des Affaires sociales et de la santé ainsi qu’au peruspalveluministeri (ministre des Services sanitaires et sociaux) une lettre faisant état des déficiences graves qui auraient été constatées sur les appareils de la gamme AGM. Devant la juridiction de renvoi, M. Lehtinen a reconnu avoir, en une occasion, participé, dans le cadre de l’affaire concernée, à une réunion de ladite confédération, à la demande de celle-ci.

29     Le 8 février 2001, M. Hurmalainen a envoyé à M. Kuikko, agent de la Teollisuuden ja Työnantajien Keskusliitto (confédération de l’industrie et des employeurs), une télécopie dans laquelle il exposait s’être opposé à l’interdiction de vente qui était suggérée par MM. Kanerva et Lehtinen, au motif qu’il ne lui avait pas paru opportun de prendre une mesure susceptible de perturber le fonctionnement du marché intérieur, et ce dans la mesure où il ne s’était produit, en Finlande, qu’un seul accident, dont la cause n’était d’ailleurs pas certaine.

30     Le 16 février 2001, M. Hurmalainen a écarté M. Lehtinen du dossier relatif aux ponts élévateurs fabriqués par AGM au motif que, dans une affaire en cours, l’intéressé avait exprimé publiquement un point de vue qui divergeait de la position officielle du ministère des Affaires sociales et de la santé et avait donc agi au mépris des instructions et de la politique de communication de ce dernier. Un rapport ultérieur, établi le 20 mars 2001 par le service de la sécurité au travail du ministère des Affaires sociales et de la santé, reprochait à M. Lehtinen d’avoir agi en violation du principe de bonne administration et d’une façon préjudiciable aux intérêts économiques d’AGM en coopérant avec les concurrents de celle-ci.

31     Le 17 février 2001, un article intitulé «Un expert dénonce la fragilité de certains ponts élévateurs pour véhicules» a paru dans le journal régional Aamulehti. Selon la décision de renvoi, cet article était rédigé à partir d’une interview de M. Lehtinen et indiquait expressément que les produits concernés étaient les ponts élévateurs fabriqués par AGM. Il était également fait mention du fait que «M. Hurmalainen, directeur du service de la sécurité au travail au ministère, considère que les propos de M. Lehtinen n’engagent que celui-ci».

32     Le 22 février 2001, la Metalliväen Liitto ry (confédération des métallurgistes) a adressé à ses sections spécialisées des secteurs de la réparation automobile et de la réparation mécanique ainsi qu’aux responsables de sécurité dans les entreprises une note dans laquelle elle constatait que les modèles de ponts élévateurs pour véhicules G 28, G 32 et G 35 fabriqués par AGM posaient problème et que «l’appareil de levage en question [était] sans conteste jugé dangereux». Ladite confédération avait joint à sa note un rapport rédigé par M. Lehtinen en date du 12 février 2001.

33     Le 13 juin 2001 a paru dans le journal régional Etelä-Saimaa un article intitulé «La confédération des métallurgistes exige l’interdiction d’utiliser des ponts élévateurs pour véhicules dangereux» et sous-titré «Chaque jour, 150 monteurs sont mis en danger». Selon cet article, l’ingénieur en chef spécialisé dans ce type d’appareil qui avait préparé ce dossier avait proposé des restrictions d’utilisation des ponts élévateurs AGM de fabrication italienne et l’interdiction de vente de nouveaux appareils. L’article indiquait également que M. Hurmalainen, directeur du service de la sécurité au travail au ministère des Affaires sociales et de la santé, estimait, dans sa décision, ne pas disposer d’éléments suffisants et précisait que l’affaire était toujours en cours d’examen.

34     Le 14 juin 2001, le service de la sécurité au travail du ministère des Affaires sociales et de la santé a pris une décision constatant, notamment, que «[le] dossier n’[avait] pas révélé d’éléments de nature à inciter le ministère à prendre des mesures de contrôle du marché à l’égard du fabricant ou de l’importateur des ponts élévateurs pour véhicules [fabriqués par] AGM». Cette note précisait que «cette constatation ne [préjugeait] cependant pas du droit du ministère de recourir à de telles mesures dans le cadre d’un réexamen de l’affaire, le cas échéant à la suite d’informations complémentaires ou pour toute autre raison». Pour justifier sa décision, le ministère des Affaires sociales et de la santé indiquait que, «[pour] ce qui [était] des nouveaux appareils, le fabricant [avait] remédié aux défauts constatés et l’importateur [essayait] de faire de même pour ceux qui [étaient] déjà en service».

35     Le 1er octobre 2001, le ministère des Affaires sociales et de la santé a infligé, en vertu de la loi portant statut des fonctionnaires de l’État (Valtion virkamieslaki), un avertissement écrit à M. Lehtinen, au motif que celui-ci, bien que le dossier des ponts élévateurs fabriqués par AGM lui ait été retiré le 16 février 2001, avait enfreint les obligations liées à son statut de fonctionnaire en continuant de diffuser, dans une émission d’informations ainsi que dans un mémoire adressé au service local de la sécurité au travail, une présentation fallacieuse de la position du ministère et en méconnaissant la politique de communication de ce dernier. Par décision du 6 mars 2002, la virkamieslautakunta (commission de recours des fonctionnaires) a rejeté la réclamation de M. Lehtinen demandant l’annulation de cet avertissement. En revanche, ladite commission a, par la même décision, estimé que le comportement de M. Lehtinen lors de l’interview télévisée du 17 janvier 2001 n’avait pas été déplacé au point de justifier un avertissement écrit. Le 10 septembre 2003, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a confirmé cette décision.

36     Parallèlement à la procédure disciplinaire dont il était l’objet, M. Lehtinen a sollicité l’avis du Julkisen sanan neuvosto (Conseil d’autorégulation des médias en matière de déontologie et de liberté d’expression) afin de savoir si, en lui donnant un avertissement, le ministère des Affaires sociales et de la santé avait outrepassé ses pouvoirs et violé ainsi la liberté de parole et d’opinion reconnue aux fonctionnaires. Dans son avis, rendu le 20 mars 2002, cette instance a constaté qu’il était souhaitable que les fonctionnaires soient autorisés à s’exprimer publiquement lors de débats ouverts dans les médias, étant donné que leur participation à des débats publics intéressant leurs domaines était propre à favoriser la diffusion d’informations importantes présentant un intérêt général. Ledit Conseil a considéré que le cas de M. Lehtinen avait trait à une affaire dans laquelle la sécurité au travail était en jeu, que, dans ce contexte, un débat public était tout à fait souhaitable et important, et qu’un fonctionnaire tel que l’intéressé était en droit d’y prendre part.

37     Sur la base de l’ensemble de ces éléments, AGM a introduit un recours devant le Tampereen käräjäoikeus (tribunal de première instance de Tampere) tendant à obtenir que l’État finlandais et M. Lehtinen soient condamnés solidairement à l’indemniser pour le préjudice qu’elle aurait subi, s’agissant notamment d’une réduction de chiffre d’affaires en Finlande et ailleurs en Europe.

38     La question se pose, selon la juridiction de renvoi, de savoir si, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, notamment l’arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837), les échanges dans la Communauté européenne ont pu être entravés, dans les conditions posées par l’article 28 CE, lorsque M. Lehtinen, alors fonctionnaire de l’autorité compétente, a exprimé publiquement une opinion négative sur la conformité aux normes de certains ponts élévateurs pour véhicules fabriqués par AGM, opinion ayant pu entraîner la baisse des ventes des produits de cette société sur le marché finlandais. Dès lors que l’entrave potentielle aux échanges intracommunautaires résulte non d’une décision prise par l’autorité compétente sur le fondement de dispositions nationales, mais des comportements d’un fonctionnaire appartenant à cette autorité accomplis avant que celle-ci ait statué dans l’affaire concernée, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le critère dégagé dans l’arrêt Dassonville, précité, permet de considérer les actes d’un fonctionnaire comme des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives, en particulier dans un cas où, en pratique, l’effet de ces actes a été le même que si l’autorité compétente avait pris une décision similaire en vertu de dispositions du droit national.

39     Par ailleurs, la juridiction de renvoi souhaite obtenir de la Cour qu’elle se prononce sur le point de savoir si un pont élévateur tel que celui en cause au principal répond aux règles de sécurité essentielles qu’impose la directive lorsqu’il n’est ni conçu ni construit pour supporter une charge dans les conditions de levage les plus défavorables.

40     Dans ces conditions, le Tampereen käräjäoikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Est-il légitime de parler d’une mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens de l’article 28 CE ou d’une mesure dont il faut s’abstenir au sens de l’article 10, paragraphe 2, CE lorsqu’un fonctionnaire [ayant la qualité d’]expert, qui appartient à l’administration de l’État chargée de la sécurité au travail, mais qui n’a pas de pouvoir de décision, s’exprime dans le principal journal télévisé d’une chaîne nationale et dans des quotidiens à large diffusion ainsi qu’auprès d’organismes commerciaux ou professionnels après qu’une procédure de contrôle du marché a été engagée, mais sans qu’une décision ne soit intervenue, dans des conditions telles que ses propos, [tenus] soit directement, soit par l’intermédiaire d’autres personnes, sur la dangerosité pour la santé des personnes, voire pour leur vie, d’un matériel mis sur le marché par un fabricant déterminé sont de nature à donner une image publique négative de l’appareil en cause et à nuire à sa commercialisation?

2)      Convient-il d’interpréter la directive […] en ce sens qu’un pont élévateur pour véhicules est contraire à des règles de sécurité essentielles qu’énonce cette directive dès lors que cet appareil n’a pas été construit en conformité avec la norme SFS-EN 1493, qu’il n’a pas été tenu compte, dans la conception de sa structure, du placement du véhicule sur les barres élévatrices dans les deux sens de circulation et que les calculs de résistance de chacune de ces barres élévatrices n’ont pas été effectués en prévision des conditions de levage les plus défavorables?

3)      a)     Si la réponse à la première question est positive, les actes du fonctionnaire qui y sont décrits sont-ils disproportionnés au regard de leur objectif honorable de protection de la santé et de la vie des personnes, et, partant, contraires au traité CE, même si la deuxième question appelle elle aussi une réponse positive, dès lors que l’on tient compte de la nature de ces actes et, en particulier, du fait qu’il aurait été possible d’informer sur les dangers éventuels et d’éviter l’apparition de situations à risques en employant d’autres moyens que ceux décrits à la première question, que ces actes ont été commis avant même que l’autorité compétente n’ait pris une décision dans l’affaire de contrôle du marché et que, en visant spécifiquement un produit déterminé, ils étaient de nature à porter atteinte à la commercialisation de celui-ci?

b)      Si l’appréciation de la proportionnalité évoquée à la troisième question, sous a), relève de la compétence de la juridiction nationale, convient-il que celle-ci s’attache surtout à la non-conformité éventuelle avec les règles de sécurité communautaires ou nationales, ou bien aux circonstances de la divulgation de cette non-conformité?

4)      Les actes du fonctionnaire qui sont décrits à la première question sont-ils susceptibles, dans les circonstances énoncées ci-dessus à la troisième question, sous a), d’être justifiés par la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, quand bien même ils seraient contraires aux articles 28 CE et 30 CE ou à l’article 10 CE?

5)      a)     Si les actes du fonctionnaire qui sont décrits à la première question sont contraires aux articles 28 CE et 30 CE ou à l’article 10 CE, la violation a-t-elle été suffisamment manifeste et grave pour que, si les autres conditions d’engagement de sa responsabilité sont remplies, l’État soit tenu, en vertu du droit communautaire, de réparer le préjudice que ces actes ont pu entraîner pour l’entreprise qui a commercialisé l’appareil?

b)      La violation évoquée sous a) a-t-elle été manifeste et grave même dans un cas où aucune erreur ou négligence ne pourrait être reprochée à l’autorité compétente (ou au fonctionnaire compétent) qui dispose du pouvoir de décision et alors que cette autorité (ou ce fonctionnaire) n’aurait, en aucune occasion, approuvé les actes incriminés ni fait en sorte qu’ils produisent des effets réels?

c)      L’article 10 CE, particulièrement son paragraphe 2, peut-il créer des droits pour les personnes dans les circonstances énoncées à la première question?

d)      Outre la responsabilité de l’État, celle du fonctionnaire lui-même peut-elle aussi être engagée en vertu du droit communautaire, et dans les mêmes conditions, en raison de ses actes tels que décrits à la première question si ceux-ci sont contraires au droit communautaire?

e)      Est-il en pratique impossible ou excessivement difficile d’obtenir une réparation sur le fondement du droit communautaire dès lors que le droit national n’admet la réparation de préjudices économiques autres que ceux portés aux personnes et aux biens que si le préjudice est le résultat d’un acte légalement punissable ou de l’exercice de la puissance publique, ou, sinon, s’il y a des raisons particulièrement sérieuses d’ordonner la réparation?

6)      a)     Si la réparation d’un préjudice résultant de la violation, y compris par négligence, des règles en matière de libre circulation des marchandises est ordonnée en application de la loi nationale, le droit communautaire exige-t-il que [cette réparation] constitue une sanction efficace et dissuasive, et est-il incompatible avec les règles du droit communautaire de la responsabilité qu’un fonctionnaire qui a commis une infraction ou une négligence au sens de la loi nationale ne réponde du préjudice que dans une proportion raisonnable, qui ne correspond pas forcément à la totalité du préjudice, voire qu’il soit exonéré de toute responsabilité, si l’on ne peut lui reprocher qu’une négligence légère ou que le fonctionnaire et l’État responsable de l’erreur ou de la négligence de ce dernier ne puissent être tenus de réparer un préjudice économique autre qu’un préjudice causé aux personnes ou aux biens que si ce préjudice est le résultat d’un acte légalement punissable ou de l’exercice de la puissance publique, ou, sinon, s’il y a des raisons particulièrement sérieuses d’ordonner la réparation?

b)      Si l’une quelconque des limitations de responsabilité mentionnées sous a) est incompatible avec le droit communautaire, une décision de réparation prononcée en vertu du droit national doit-elle écarter cette limitation à l’égard du fonctionnaire en cause, même s’il en découle, pour celui-ci, une obligation de réparation plus sévère ou plus étendue que ce que prévoit la loi nationale?»

 Sur la recevabilité

 Observations soumises à la Cour

41     M. Lehtinen a émis des doutes en ce qui concerne la recevabilité du présent renvoi préjudiciel, au motif que les questions posées par le Tampereen käräjäoikeus seraient dépourvues de pertinence.

42     M. Lehtinen fait valoir que la procédure relative au litige porté en première instance devant la juridiction de renvoi n’en est qu’à sa phase préliminaire. L’objet du désaccord entre les parties ne serait pas précisément défini et les faits n’auraient pas encore été établis. Ainsi, il ne serait pas possible, à ce stade de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi, de déterminer les questions juridiquement pertinentes pour la solution du litige.

 Réponse de la Cour

43     Il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la procédure instituée par l’article 234 CE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit communautaire qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 12 juin 2003, Schmidberger, C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 30, et du 20 janvier 2005, Salgado Alonso, C‑306/03, Rec. p. I‑705, point 40).

44     Dans le cadre de cette coopération, il appartient à la juridiction nationale saisie du litige, qui seule possède une connaissance directe des faits à l’origine de celui-ci et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour. En conséquence, dès lors que celles-ci portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir en ce sens, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 59; du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 38; du 10 décembre 2002, Der Weduwe, C‑153/00, Rec. p. I‑11319, point 31; du 21 janvier 2003, Bacardi-Martini et Cellier des Dauphins, C‑318/00, Rec. p. I‑905, point 41, ainsi que Schmidberger, précité, point 31).

45     Par ailleurs, il ressort clairement de l’article 234, deuxième alinéa, CE qu’il appartient à la juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu, pour cette juridiction, de poser une question préjudicielle à la Cour (voir arrêts du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a., 36/80 et 71/80, Rec. p. 735, point 5; du 30 mars 2000, JämO, C‑236/98, Rec. p. I‑2189, point 30, et Schmidberger, précité, point 39).

46     À cet égard, force est de constater que la juridiction de renvoi a exposé de manière détaillée, dans sa demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et juridique du litige au principal ainsi que les raisons pour lesquelles elle sollicite l’interprétation des dispositions du droit communautaire qu’elle mentionne eu égard aux doutes qui sont apparus quant à l’application de celles-ci au regard des circonstances dudit litige.

47     Il s’ensuit que, compte tenu des faits tels que décrits par la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas que les questions posées l’aient été à un stade ne permettant pas à la Cour d’apprécier leur pertinence pour la solution du litige au principal.

48     En conséquence, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la libre circulation des marchandises (première, troisième et quatrième questions)

49     Par ses première, troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, premièrement, dans les circonstances de la cause au principal, le comportement de M. Lehtinen, caractérisé par les différentes déclarations publiques faites par celui-ci, doit être considéré comme imputable à l’État finlandais, deuxièmement, si ce comportement apparaît comme constitutif d’une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l’article 28 CE et, troisièmement, dans quelle mesure un tel comportement pourrait être justifié au titre de la liberté d’expression ou de l’objectif de protection de la sécurité et de la santé.

50     À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’un domaine a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau communautaire, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de l’acte opérant cette harmonisation et non de celles du droit primaire (voir, en ce sens, arrêts du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage, C‑37/92, Rec. p. I‑4947, point 9; du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler, C‑324/99, Rec. p. I‑9897, point 32; du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C‑322/01, Rec. p. I‑14887, point 64, ainsi que du 14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz, C‑309/02, Rec. p. I‑11763, point 53).

51     Il convient donc de déterminer si l’harmonisation opérée par la directive exclut l’examen de la compatibilité du comportement en cause au principal avec l’article 28 CE.

52     À cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive vise, en vertu de ses deuxième, sixième, septième et neuvième considérants, à assurer la libre circulation des machines dans le marché intérieur et à satisfaire aux exigences impératives et essentielles de sécurité et de santé relatives à ces machines en remplaçant les systèmes nationaux de certification et d’attestation de conformité par un système harmonisé. À cet effet, notamment à son article 3 et à son annexe I, ladite directive énumère les exigences essentielles de sécurité et de santé auxquelles doivent satisfaire les machines et composants de sécurité fabriqués dans les États membres. En vertu de l’article 4 de la directive, les États membres ne peuvent restreindre la mise sur le marché des machines qui satisfont à ces exigences essentielles et c’est seulement si des risques apparaissent ultérieurement que les États membres prennent, dans les conditions fixées à l’article 7, les mesures utiles.

53     Ainsi, compte tenu de la nature de la directive, de ses objectifs et du contenu de ses articles 3, 4 et 7, il y a lieu de considérer qu’elle harmonise de manière exhaustive au niveau communautaire, outre les règles relatives aux exigences essentielles de sécurité des machines et à l’attestation de la conformité de celles-ci auxdites exigences, celles qui concernent les comportements que peuvent adopter les États membres à l’égard des machines présumées conformes à ces exigences.

54     Dès lors, toute mesure nationale qui relève du champ d’application des articles précités de cette directive doit être appréciée au regard des dispositions de celle-ci et non de celles du traité CE, notamment l’article 28 CE.

 Sur l’existence d’une entrave imputable à l’État (première question)

55     Eu égard aux points 52 et suivants du présent arrêt, il convient de reformuler la première question de la juridiction de renvoi en ce sens qu’elle s’interroge, en substance, sur la possibilité de qualifier les opinions exprimées publiquement par M. Lehtinen d’entraves à la libre circulation des marchandises, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive, imputables à l’État finlandais.

56     À cet égard, il convient d’indiquer que l’imputabilité des déclarations d’un fonctionnaire à l’État dépend, notamment, de la perception que les destinataires ont pu avoir de ces déclarations.

57     L’élément déterminant pour que les déclarations d’un fonctionnaire soient imputées à l’État réside dans le point de savoir si les destinataires de ces déclarations peuvent raisonnablement supposer, dans le contexte donné, qu’il s’agit de positions que le fonctionnaire prend avec l’autorité de sa fonction.

58     À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, en particulier, si:

–       le fonctionnaire est, de manière générale, compétent dans le secteur en question;

–       le fonctionnaire diffuse ses déclarations écrites en utilisant le papier à en-tête officiel du service compétent;

–       le fonctionnaire accorde des entretiens télévisés dans les locaux de son service;

–       le fonctionnaire ne mentionne pas le caractère personnel de ses déclarations et n’indique pas qu’elles divergent de la position officielle du service compétent, et

–       les services étatiques compétents n’entreprennent pas, dans les meilleurs délais, les démarches nécessaires pour dissiper, chez les destinataires des déclarations du fonctionnaire, l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État.

59     Il reste à examiner si les déclarations en cause au principal, dans l’hypothèse où elles sont imputables à l’État finlandais, enfreignent l’article 4, paragraphe 1, de la directive.

60     À cet égard, il y a lieu de relever que constitue une entrave toute mesure susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêts Dassonville, précité, point 5, et du 9 février 1999, Van der Laan, C‑383/97, Rec. p. I‑731, point 18). Ce principe s’applique également pour ce qui est de l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive.

61     Ainsi qu’il ressort des termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive, l’interdiction y édictée ne vaut que si la machine concernée est conforme aux dispositions de cette directive. Or, en l’espèce, les élévateurs fabriqué par AGM bénéficiaient de la présomption de conformité résultant de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, puisqu’ils avaient été certifiés conformes à celle-ci et étaient munis du marquage «CE» de conformité prévu à son article 10.

62     Cependant, cette présomption de conformité n’implique pas que les États membres ne peuvent intervenir lorsque des risques apparaissent. Au contraire, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, un État membre est tenu de prendre toutes les mesures utiles pour retirer une machine du marché lorsqu’il constate que celle-ci, utilisée conformément à sa destination, risque de compromettre la sécurité des personnes ou des biens. Dans pareille hypothèse, conformément à l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, de la directive, l’État membre est tenu d’informer immédiatement la Commission d’une telle mesure et d’indiquer les raisons de sa décision.

63     Or, il ressort de la décision de renvoi que les autorités compétentes n’ont ni constaté l’existence d’un risque, ni adopté de mesures visant à retirer du marché les élévateurs en cause au principal, ni, a fortiori, informé la Commission de telles mesures.

64     Par conséquent, ces élévateurs bénéficiant de la présomption de conformité, l’État devait respecter l’interdiction des restrictions à leur libre circulation édictée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive.

65     Les déclarations en cause, présentant lesdits élévateurs, dans différents médias et dans des rapports largement diffusés, comme contraires à la norme EN 1493:1998 et dangereux, sont de nature à entraver, au moins indirectement et potentiellement, la mise sur le marché de ces machines.

66     Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que sont imputables à l’État les déclarations d’un fonctionnaire qui, en raison de leur forme et des circonstances, créent chez leurs destinataires l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État, et non pas d’opinions personnelles du fonctionnaire. L’élément déterminant pour que les déclarations d’un fonctionnaire soient imputées à l’État réside dans le point de savoir si les destinataires de ces déclarations peuvent raisonnablement supposer, dans le contexte donné, qu’il s’agit de positions que le fonctionnaire prend avec l’autorité de sa fonction. Pour autant qu’elles soient imputables à l’État, constituent donc une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive les déclarations d’un fonctionnaire présentant une machine certifiée conforme à la directive comme contraire à la norme harmonisée s’y rapportant et dangereuse.

 Sur les justifications (troisième et quatrième questions)

67     La juridiction de renvoi demande, en substance, si le comportement de M. Lehtinen, au cas où il est imputable à l’État finlandais, peut être justifié par l’objectif de protection de la santé ou au titre de la liberté d’expression.

–       Sur la justification tirée de l’objectif de protection de la santé

68     La directive réglemente de manière précise la protection de la santé lorsque celle-ci risque d’être compromise par l’utilisation de machines réputées conformes à ladite directive. Ainsi, son article 7, paragraphe 1, permet à un État membre constatant l’existence d’un tel risque de prendre toutes les mesures utiles pour retirer les machines concernées du marché, interdire leur mise sur le marché et leur mise en service ou restreindre leur libre circulation. En dehors de ces mesures, la directive n’autorise pas d’autres restrictions liées à la protection de la santé.

69     À cet égard, il a déjà été mentionné au point 63 du présent arrêt que les autorités finlandaises compétentes n’ont adopté aucune mesure au titre de l’article 7 de la directive.

70     Eu égard au fait que les règles relatives aux exigences de sécurité en vue de la mise sur le marché des machines qui affectent la libre circulation des marchandises sont harmonisées de manière exhaustive au niveau communautaire, un État membre ne saurait se prévaloir d’une justification tirée de la protection de la santé en dehors du cadre créé par l’article 7 de la directive.

71     Le comportement de M. Lehtinen, dans la mesure où il est imputable à l’État finlandais, ne peut donc être justifié par l’objectif de protection de la santé.

–       Sur la justification tirée de la liberté d’expression

72     En vertu de l’article 10, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté d’expression est garantie à toutes les personnes relevant de la juridiction des États membres. Cette liberté constitue un fondement essentiel de toute société démocratique. Toutefois, les États membres ne sauraient se prévaloir de la liberté d’expression de leurs fonctionnaires pour justifier une entrave et, de ce fait, échapper à leur propre responsabilité en droit communautaire.

73     Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que, dans des circonstances telles que celles de la cause au principal, une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive par le comportement d’un fonctionnaire, dans la mesure où il est imputable à l’État membre dont il relève, ne peut être justifiée ni par l’objectif de protection de la santé ni au titre de la liberté d’expression des fonctionnaires.

 Sur la conformité des ponts élévateurs en cause au principal avec la directive 98/37 (deuxième question)

74     Il découle de l’analyse effectuée aux points 60 à 65 du présent arrêt que la deuxième question n’appelle pas de réponse.

 Sur la responsabilité de l’État finlandais et de ses fonctionnaires (cinquième et sixième questions)

75     Par ses cinquième et sixième questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, dans l’hypothèse d’une infraction aux articles 28 CE et 30 CE ou à l’article 10 CE, les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État finlandais sur la base du droit communautaire sont réunies, si le droit communautaire permet, ou exige, que la responsabilité du fonctionnaire dont le comportement est en cause puisse être également mise en cause et dans quelle mesure les conditions de la mise en œuvre de ces responsabilités exigent éventuellement une interprétation du droit finlandais conforme au droit communautaire.

76     Toutefois, eu égard aux considérations qui figurent aux points 50 à 53 du présent arrêt, il convient de répondre aux questions de la juridiction de renvoi au regard d’une éventuelle violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive.

 Concernant les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État finlandais [cinquième question, sous a) à c)]

77     Par sa cinquième question, sous a) à c), la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans des circonstances telles que celles de la cause au principal, les violations du droit communautaire sont suffisamment caractérisées pour pouvoir engager la responsabilité extracontractuelle de l’État finlandais et si les particuliers opérant sur le marché peuvent faire valoir des droits à l’encontre des États membres.

78     En ce qui concerne les conditions dans lesquelles un État membre est tenu de réparer les dommages causés aux particuliers, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’elles sont au nombre de trois, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées. L’appréciation de ces conditions est fonction de chaque type de situation (arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 51; du 2 avril 1998, Norbrook Laboratories, C‑127/95, Rec. p. I‑1531, point 107, et du 4 juillet 2000, Haim, C‑424/97, Rec. p. I‑5123, point 36).

79     S’agissant de la première condition, il suffit de constater que l’article 4, paragraphe 1, de la directive a pour objet de conférer aux particuliers opérant sur le marché des droits qu’ils peuvent faire valoir à l’encontre des États membres.

80     En ce qui concerne la deuxième condition, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par un État membre, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 55).

81     À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que, lorsque l’État membre concerné, au moment où il a commis l’infraction, ne disposait que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt Norbrook Laboratories, précité, point 109 et jurisprudence citée).

82     Or, les obligations énoncées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive n’accordent pas de marge d’appréciation aux États membres. En effet, seul l’article 7 de la directive envisage la survenance de doutes ultérieurs quant à la conformité aux exigences de celle-ci d’une machine présumée conforme à celles-ci ainsi que les mesures adéquates pour y faire face. Par conséquent, il y a lieu de considérer qu’une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive par des déclarations telles que celles en cause au principal, à supposer qu’elles puissent être imputées à l’État membre, est suffisamment caractérisée.

83     Quant à la troisième condition, il appartient aux juridictions nationales de vérifier s’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées (voir, en ce sens, arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 65, et du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C‑5/94, Rec. p. I‑2553, point 30).

84     En l’occurrence, sous réserve cependant d’une vérification à effectuer par la juridiction de renvoi, il semble que les déclarations en cause au principal aient conduit à une baisse du chiffre d’affaires d’AGM de 2000 à 2002 ainsi qu’à une baisse de sa marge bénéficiaire pour 2001 et 2002. De surcroît, les répercussions de ces déclarations sur le marché auraient été préalablement identifiées par le ministère des Affaires sociales et de la santé lui-même.

85     Les trois conditions visées ci-dessus sont nécessaires et suffisantes pour engendrer, au profit des particuliers, un droit à obtenir réparation, sans pour autant exclure que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national (voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 66).

86     Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre que l’article 4, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens, d’une part, qu’il confère aux particuliers des droits et, d’autre part, qu’il ne laisse aux États membres aucune marge d’appréciation, en l’espèce, en ce qui concerne les machines conformes à ladite directive ou présumées telles. Le non-respect de cette disposition résultant de déclarations d’un fonctionnaire d’un État membre, pour autant qu’elles soient imputables cet État, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire pour engager la responsabilité dudit État.

 Quant aux limitations de responsabilité résultant des dispositions du droit national applicables à la responsabilité de l’État finlandais [cinquième question, sous e), et sixième question, sous a), pour partie]

87     La juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si le droit national peut ajouter des conditions supplémentaires particulières en matière de réparation des dommages causés par l’État ou si des limitations de responsabilité telles que celles prévues par le droit finlandais doivent être considérées comme rendant en pratique extrêmement difficile, voire impossible, la réparation d’un dommage résultant d’une violation, par un État membre, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive.

88     À titre liminaire, il convient de souligner que la responsabilité d’un État membre fondée sur le droit communautaire vise non à une dissuasion ou à une sanction, mais à la réparation des dommages subis par les particuliers du fait des violations du droit communautaire par les États membres.

89     Il résulte d’une jurisprudence constante que, lorsque les conditions du droit à réparation fondé sur le droit communautaire sont réunies, il revient à l’État membre de réparer, dans le cadre du droit national de la responsabilité, le préjudice causé. Il convient de relever, en outre, que les conditions de fond et de forme fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables dans un tel contexte que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation (voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C‑6/90 et C‑9/90, Rec. p. I‑5357, points 42 et 43, ainsi que Norbrook Laboratories, précité, point 111).

90     Ainsi, le droit communautaire impose une réparation effective et n’admet aucune condition supplémentaire provenant du droit de l’État membre qui rendrait excessivement difficile l’obtention de dommages et intérêts ou d’autres modes de réparation.

91     À cet égard, les éléments fournis par la juridiction de renvoi indiquent que les dispositions du droit finlandais de la responsabilité applicables dans l’affaire au principal subordonnent le droit à réparation pour les dommages autres que ceux causés aux personnes ou aux biens à la condition soit que le dommage résulte d’un acte légalement punissable ou de l’exercice de la puissance publique, soit qu’il existe des raisons particulièrement sérieuses d’ordonner cette réparation. Or, selon la juridiction de renvoi, le comportement de M. Lehtinen ne relèverait d’aucun des cas de figure susvisés, ce qui rendrait difficile la réparation du préjudice subi par AGM.

92     Dans cette hypothèse, un droit à réparation naîtra dès lors qu’il aura été établi que la règle de droit violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation suffisamment caractérisée invoquée et le dommage subi par l’intéressé, ces conditions étant en effet nécessaires et suffisantes pour engendrer, au profit des particuliers, un droit à obtenir réparation (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo, C‑173/03, Rec. p. I-5177, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

93     En l’occurrence, il ne saurait être exclu qu’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire propre à engager la responsabilité de l’État finlandais résulte d’un comportement imputable à celui-ci et relevant d’autres cas de figures que ceux limitativement visés par le droit national en cause.

94     De surcroît, la réparation, à charge des États membres, des dommages qu’ils ont causés aux particuliers par les violations du droit communautaire doit être adéquate au préjudice subi. En l’absence de dispositions communautaires en ce domaine, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les critères permettant de déterminer l’étendue de la réparation, étant entendu qu’ils ne peuvent être moins favorables que ceux concernant des réclamations ou actions semblables fondées sur le droit interne et que, en aucun cas, ils ne sauraient être aménagés de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile la réparation. N’est pas conforme au droit communautaire une réglementation nationale qui limiterait, de manière générale, le dommage réparable aux seuls dommages causés à certains biens individuels spécialement protégés, à l’exclusion du manque à gagner subi par les particuliers (voir, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame précité, point 90).

95     Il y a lieu de relever que l’exclusion totale, au titre du dommage réparable, du manque à gagner ne peut être admise en cas de violation du droit communautaire. En effet, spécialement à propos de litiges d’ordre économique ou commercial, une telle exclusion totale du manque à gagner est de nature à rendre en fait impossible la réparation du dommage (voir, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame précité, point 87).

96     Par conséquent, il convient de répondre que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que des conditions spécifiques soient prévues par le droit interne d’un État membre en ce qui concerne la réparation des dommages autres que ceux causés aux personnes ou aux biens, sous réserve qu’elles soient aménagées de façon à ne pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation d’un dommage résultant d’une violation du droit communautaire.

 Quant à la responsabilité personnelle des fonctionnaires [cinquième question, sous d), et sixième question, sous a), pour partie, et sous b)]

97     La juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit communautaire autorise, voire impose, de prévoir une responsabilité personnelle dans le chef d’un fonctionnaire par l’intermédiaire duquel une violation du droit communautaire a été commise et, le cas échéant, si cette responsabilité peut faire l’objet de limitations particulières.

98     Le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la responsabilité d’un sujet de droit autre qu’un État membre puisse être engagée en plus de celle de l’État membre lui-même pour les dommages causés aux particuliers par des mesures que ce sujet de droit a prises en violation du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt Haim, précité, point 32).

99     En considération de ce qui précède, il y a lieu de répondre que, en cas de violation du droit communautaire, celui-ci ne s’oppose pas à ce que la responsabilité d’un fonctionnaire puisse être engagée en sus de celle de l’État membre, mais ne l’impose pas.

 Sur les dépens

100   La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      Sont imputables à l’État les déclarations d’un fonctionnaire qui, en raison de leur forme et des circonstances, créent chez leurs destinataires l’impression qu’il s’agit de prises de position officielles de l’État, et non pas d’opinions personnelles du fonctionnaire. L’élément déterminant pour que les déclarations d’un fonctionnaire soient imputées à l’État réside dans le point de savoir si les destinataires de ces déclarations peuvent raisonnablement supposer, dans le contexte donné, qu’il s’agit de positions que le fonctionnaire prend avec l’autorité de sa fonction. Pour autant qu’elles soient imputables à l’État, constituent donc une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines, les déclarations d’un fonctionnaire présentant une machine certifiée conforme à cette directive comme contraire à la norme harmonisée s’y rapportant et dangereuse.

2)      Dans des circonstances telles que celles de la cause au principal, une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37 par le comportement d’un fonctionnaire, dans la mesure où il est imputable à l’État membre dont il relève, ne peut être justifiée ni par l’objectif de protection de la santé ni au titre de la liberté d’expression des fonctionnaires.

3)      L’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/37 doit être interprété en ce sens, d’une part, qu’il confère aux particuliers des droits et, d’autre part, qu’il ne laisse aux États membres aucune marge d’appréciation, en l’espèce, en ce qui concerne les machines conformes à ladite directive ou présumées telles. Le non-respect de cette disposition résultant de déclarations d’un fonctionnaire d’un État membre, pour autant qu’elles soient imputables à cet État, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire pour engager la responsabilité dudit État.

4)      Le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que des conditions spécifiques soient prévues par le droit interne d’un État membre en ce qui concerne la réparation des dommages autres que ceux causés aux personnes ou aux biens, sous réserve qu’elles soient aménagées de façon à ne pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation d’un dommage résultant d’une violation du droit communautaire.

5)      En cas de violation du droit communautaire, celui-ci ne s’oppose pas à ce que la responsabilité d’un fonctionnaire puisse être engagée en sus de celle de l’État membre, mais ne l’impose pas.

Signatures


* Langue de procédure: le finnois.