CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. M. POIARES MADURO
présentées le 12 janvier 2005(1)



Affaire C-472/03



Staatssecretaris van Financiën
contre
Arthur Andersen & Co. Accountants c.s.



[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Sixième directive TVA – Article 13, B, sous a) – Opérations d'assurance et de réassurance – Exonérations – Prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance»






1.        Par cette demande de décision préjudicielle, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) pose à la Cour une question concernant l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive»)  (2) .

2.        La question concerne précisément le point de savoir si des activités de «back office» effectuées par une société, pour une compagnie d’assurance, relèvent de la notion de «prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance» visée à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.

I –    Les faits de la procédure au principal et la question soumise à la Cour

3.       À l’époque des faits, la défenderesse au principal, le groupe Arthur Andersen & Co. Accountants c.s., établie à Rotterdam (Pays-Bas), (ci-après «la défenderesse au principal») comprenait la société civile de droit néerlandais Andersen Consulting Management Consultants (ci-après «ACMC»).

4.        Le 26 mai 1997, la Royal Nederland Verzekeringsgroep NV, Universal Leven NV (ci-après «UL»), société active, par le biais d’intermédiaires, sur le marché de l’assurance vie, et ACMC ont conclu un «contrat de partage» sur la base duquel cette dernière a commencé à effectuer pour UL différentes activités de «back office». ACMC a confié l’exécution de ces activités à sa division interne «Accenture Insurance Services» (ci-après «Accenture») qui est établie avec UL dans un même bâtiment.

5.        Lesdites activités de «back office» comprennent, notamment, l’acceptation de demandes d’assurance, le traitement des modifications contractuelles et tarifaires, l’émission, la gestion et la résiliation des polices d’assurance, la gestion de sinistres, la fixation et le payement des commissions aux intermédiaires, l’organisation et la gestion de la technologie de l’information, la fourniture d’informations à UL et aux intermédiaires, l’établissement de rapports destinés aux preneurs d’assurance et à des tiers, comme le Fiscale Inlichtingen- en Opsporingsdienst (FIOD) (service fiscal d’enquête et d’inspection). Lorsque, à la suite des réponses données par un preneur potentiel dans le formulaire à remplir pour demander une assurance, un examen médical de l’intéressé s’avère nécessaire, c’est UL qui décide de l’acceptation du risque. Dans le cas inverse, c’est Accenture qui prend la décision d’acceptation des demandes d’assurance vie et cette décision lie UL. Accenture est en charge de la quasi-totalité des contacts quotidiens avec les intermédiaires nécessaires pour l’exécution des diverses tâches.

6.        Sur sa déclaration concernant la période de septembre 1998, la défenderesse au principal a indiqué qu’elle avait acquitté un montant de 10 000 NLG de taxe sur le chiffre d’affaires représentant la différence entre, d’une part, la taxe sur le chiffre d’affaires calculée sur la rémunération facturée à UL pour les activités de «back office» effectuées au cours de cette période et, d’autre part, la taxe sur le chiffre d’affaires en amont.

7.        Estimant que les activités de "back office" ne sont pas soumises à la taxe sur le chiffre d’affaires, la défenderesse au principal a demandé le remboursement des 10 000 NLG à l’inspecteur compétent, ce qui lui a été refusé.

8.        C’est cette décision de l’inspecteur qui est à l’origine du litige opposant la défenderesse au principal au Staatssecretaris van Financiën, dont le Hoge Raad a finalement eu à connaître et qui a donné lieu à la saisine de la Cour. La juridiction de renvoi a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Si un assujetti conclut avec une société d’assurance (vie) un contrat, comme celui liant ACMC et UL, qui prévoit notamment que cet assujetti effectuera la plus grande partie des activités de fait liées aux opérations d’assurance – y compris l’adoption, dans le respect des règles, des décisions liant la compagnie d’assurance relativement à la conclusion des contrats et le suivi des contacts avec les intermédiaires et le cas échéant avec les assurés –, contre une certaine rémunération et avec l’aide de personnel diplômé et expert en matière d’assurance, et alors que les contrats d’assurance sont conclus au nom de la compagnie d’assurance et que celle-ci en supporte le risque, les activités effectuées par cet assujetti en exécution de ce contrat relèvent-elles de la notion de ‘prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance’ visée à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive?»

9.        Cette question concerne l’interprétation de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive, lequel dispose:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

a)
les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance».

10.      De la même manière l’article 11 de la Wet op de omzetbelasting 1968 (loi de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), du 28 juin 1968 (Stbl. 329), dispose que:

«1. Sont exonérés de la taxe dans des conditions fixées par mesure générale d’administration:

[…]

k) les assurances et les prestations de services effectuées par les intermédiaires d’assurance».

11.      Il y a encore lieu de mentionner l’article 2 de la directive 77/92/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, relative à des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services pour les activités d’agent et de courtier d’assurance (ex groupe 630 CITI) et comportant notamment des mesures transitoires pour ces activités  (3) , tel qu’en vigueur à l’époque des faits, qui dispose:

«1.     La présente directive s’applique aux activités suivantes pour autant qu’elles relèvent du groupe ex 630 CITI de l’annexe III du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d’établissement:

a)
l’activité professionnelle des personnes qui mettent en rapport des preneurs et des entreprises d’assurance ou de réassurance sans être tenues dans le choix de celles-ci, en vue de la couverture de risques à assurer ou à réassurer, préparent la conclusion des contrats d’assurance et aident éventuellement à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre;

b)
l’activité professionnelle des personnes chargées en vertu d’un ou de plusieurs contrats ou de procurations de présenter, de proposer et de préparer ou de conclure des contrats d’assurance ou d’aider à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre, au nom et pour le compte, ou uniquement pour le compte, d’une ou de plusieurs entreprises d’assurance;

[…]

2.       Sont notamment visées par la présente directive, les activités exercées sous les dénominations ci-après, habituellement utilisées dans les États membres:

[…]

b)
en ce qui concerne les activités visées au paragraphe 1, sous b):

[…]

aux Pays-Bas:

– Gevolmachtigd agent

[…]»

12.      Enfin, l’article 2 de la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 décembre 2002, sur l’intermédiation en assurance  (4) , qui a abrogé la directive 77/92 avec effet au 15 janvier 2005, prévoit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

3)      ‘intermédiation en assurance’, toute activité consistant à présenter ou à proposer des contrats d’assurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion ou à les conclure, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre.

Ces activités ne sont pas considérées comme une intermédiation en assurance lorsqu’elles sont exercées par une entreprise d’assurance ou un salarié d’une entreprise d’assurance qui agit sous la responsabilité de celle-ci.

[…]»

II –   Analyse

13.      Dans cette affaire, la Cour est de nouveau invitée à analyser l’exonération prévue à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive pour «les opérations d’assurance […], y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance». Il s’agit d’une exonération pour laquelle les travaux préparatoires n’offrent aucune justification précise. Seules des considérations générales de caractère social, politique et de simplification administrative concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») pourraient la justifier  (5) . On ne trouve pas non plus dans ladite directive de définition des notions employées par cette disposition. Il s’agit néanmoins d’un domaine déjà balisé par la jurisprudence de la Cour, notamment par les arrêts CPP, Skandia et Taksatorringen (6) , dans lesquels les notions d’«opération d’assurance» et de «courtiers et intermédiaires d’assurance» ont été analysées.

14.      Je voudrais, à titre préliminaire, attirer l’attention sur un argument de la défenderesse au principal, auquel je ne peux pas me rallier, selon lequel les activités effectuées par ACMC pour UL pourraient même ne pas relever du champ d’application de la sixième directive dans la mesure où elles résulteraient, au sens de l’article 4, paragraphe 4, de celle-ci, d’un rapport d’emploi entre ces deux sociétés.

15.      La description faite par la juridiction de renvoi ne révèle pas d’éléments que la Cour a considérés dans son arrêt du 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla (7) , comme caractéristiques d’un «contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination» aux termes de l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive. Tout au contraire, selon les termes utilisés par l’avocat général Tesauro dans cette même affaire, il paraît clair qu’ACMC est une personne «qui dispose d’une liberté d’organisation appropriée en ce qui concerne les ressources humaines et matérielles utilisées dans l’exercice de l’activité en question, et qui supporte le risque économique inhérent à cette activité» (8) . Il convient donc d’écarter la thèse de la défenderesse au principal selon laquelle les activités en cause au principal n’entreraient pas dans le champ de la sixième directive.

A –    La notion d’«opération d’assurance»

16.      Ainsi que le juge de renvoi l’a correctement constaté, une entreprise comme ACMC n’effectue pas d’«opérations d’assurance» au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive. À cet égard, la Cour a déjà eu l’opportunité de préciser «qu’une opération d’assurance se caractérise, de façon généralement admise, par le fait que l’assureur se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat» (9) .

17.      Même si, d’après cette même jurisprudence, il est possible d’inclure dans cette notion «l’octroi d’une couverture d’assurance par un assujetti qui n’est pas lui-même l’assureur, mais qui, dans le cas d’une assurance collective, procure à ses clients une telle couverture en utilisant les prestations d’un assureur qui se charge du risque assuré» (10) , l’opération d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), implique en tout cas l’existence d’un rapport contractuel entre le prestataire du service qui revendique l’exonération et la personne dont les risques sont couverts par l’assurance, à savoir le preneur d’assurance  (11) .

18.      Or, selon l’ordonnance de renvoi, il n’y a aucun rapport juridique d’assurance entre ACMC et les assurés. Ces rapports existent exclusivement entre UL et les preneurs d’assurance. Bien qu’il y ait des rapports juridiques entre ces deux sociétés qui peuvent certainement être importants pour la réalisation des opérations d’assurance entre UL et ses clients, les activités exécutées par ACMC ne constituent pas, en elles-mêmes, des opérations d’assurance exonérées au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.

B –    La notion de «prestations de services afférentes aux opérations d’assurance effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance»

19.      Il est constant que l’article 13, B, sous a), de la sixième directive n’exonère pas seulement les opérations d’assurance mais aussi les prestations de services afférentes aux opérations d’assurance effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance (12) .

20.      Le libellé de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive montre que ce ne sont pas toutes les «prestations de services afférentes [aux opérations d’assurance]» qui sont exonérées. La notion de «prestations de service afférentes» serait suffisamment large pour inclure virtuellement toutes les prestations qui, présentant un lien avec la prestation d’assurance, pourraient donc s’analyser comme afférentes à ces opérations (13) . Or, le législateur communautaire a manifestement limité la portée de l’exonération uniquement à la partie de ces prestations qui sont effectuées par des courtiers ou des intermédiaires d’assurance. La qualification de la personne qui revendique l’exonération comme courtier ou intermédiaire d’assurance constitue donc un élément-clef pour la détermination des activités afférentes aux opérations d’assurance qui sont exonérées aux termes dudit article 13, B, sous a).

21.      La défenderesse au principal prétend à cet égard que les activités d’ACMC, décrites dans l’ordonnance de renvoi, correspondent à l’activité d’un intermédiaire d’assurance telle qu’elle est énoncée dans les directives 77/92 et 2002/92. Lesdites activités correspondraient en particulier à celles d’un «gevolmachtigd agent», c’est-à-dire d’un agent d’assurance selon l’article 2, paragraphe 1, sous b) de la directive 77/92 (14) , lequel se réfère à «l’activité professionnelle des personnes chargées en vertu d’un ou de plusieurs contrats ou de procurations de présenter, de proposer et de préparer ou de conclure des contrats d’assurance ou d’aider à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre, au nom et pour le compte, ou uniquement pour le compte, d’une ou de plusieurs entreprises d’assurance».

22.      Cette argumentation soulève une question préalable, celle de savoir si les notions de courtier et d’intermédiaire d’assurance doivent automatiquement recevoir une même interprétation dans le contexte de la sixième directive et dans celui des directives 77/92 et 2002/92, lesquelles ne concernent pas la TVA, mais la liberté d’établissement. La Cour a préféré ne pas prendre une position péremptoire sur cette question  (15) . Il est vrai qu’elle a pris en considération les éléments essentiels énoncés dans la directive 77/92 pour définir les notions de «courtier» et d’«intermédiaire d’assurance» figurant à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive  (16) . Mais cette prise en considération n’équivaut pas à un renvoi automatique à la définition posée par la directive 77/92. Cette prise en considération de la directive 77/92 s’impose sans doute pour éviter le développement d’une notion d’«intermédiaire d’assurance» au sens dudit article 13, B, sous a), qui risquerait de perdre tout contact avec la réalité juridique et pratique dans le domaine du droit des assurances. Cependant, ainsi que la Cour a pu l’affirmer à plusieurs reprises, il faut rappeler que les exonérations de TVA constituent des notions autonomes du droit communautaire qui doivent être replacées dans le contexte du système commun de la TVA de la sixième directive et qui ont pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre  (17) .

23.      Par conséquent, il n’y a pas lieu de s’arrêter à ce que l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 77/92 décrit comme étant des activités qui peuvent être exécutées par un agent d’assurance, pour conclure qu’une personne qui exécute l’une de ces activités est automatiquement un intermédiaire d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive. Il convient plutôt de se reporter à la définition dégagée par la Cour dans l’arrêt Taksatorringen, précité, rendu dans le domaine de la TVA.

C –    La définition d’«intermédiaire d’assurance» énoncée par la Cour dans l’arrêt Taksatorringen, précité

24.      Dans cet arrêt, la Cour a affirmé que la notion de «prestations de services afférentes aux opérations d’assurance effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance», au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive, «vise uniquement les prestations effectuées par des professionnels qui sont en rapport à la fois avec l’assureur et l’assuré, étant précisé que le courtier n’est qu’un intermédiaire»  (18) . Cette notion met l’accent – dans le cadre d’un domaine comme celui de la distribution de produits d’assurance  (19) caractérisé, dans son modus operandi , par une grande complexité et diversité  (20) – sur l’action externe d’un intermédiaire d’assurance, à savoir sa position d’entremise entre le preneur d’assurance et la société d’assurance, ce qui implique nécessairement l’existence de rapports avec ces deux parties.

25.      La définition retenue par la Cour a le mérite de la simplicité dans un domaine comme celui des exonérations de TVA qui constitue, sans aucun doute, un domaine complexe et hautement incertain. Pour déterminer si une personne est ou non un intermédiaire d’assurance, le critère essentiel n’est donc pas simplement la nature des activités internes effectuées par celle-ci, mais, d’abord, sa position à l’égard des personnes qu’elle met en rapport  (21) .

26.      Suivant cette même orientation, dans ses conclusions dans l’affaire Skandia, précitée, l’avocat général Saggio précise qu’une entreprise «ne peut pas être considérée comme un courtier ou un intermédiaire, étant donné qu’elle n’entretient aucun rapport avec les assurés». Il ajoute qu’il résulte clairement des dispositions de la directive 7/92 et d’autres textes communautaires que «l’élément caractéristique [des] activités [des courtiers et intermédiaires d’assurance] est qu’elles donnent lieu à un rapport direct avec les assurés.»  (22)

27.      Or, la défenderesse au principal soutient qu’ACMC est en rapport avec les assurés d’UL, dans la mesure où elle maintient des rapports «indirects» avec les assurés. De cette façon, ACMC remplirait le critère de l’arrêt Taksatorringen, précité, et mériterait la qualification d’«intermédiaire d’assurance» au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.

28.      Je m’oppose à une telle proposition. Il ne faut pas donner une importance excessive au fait que, dans ledit arrêt, la Cour n’a pas explicitement précisé que les rapports des professionnels «à la fois avec l’assureur et l’assuré» soient directs. L’aspect décisif, à mon sens, réside dans le fait que la présence d’un rapport entre un intermédiaire d’assurance et un preneur d’assurance implique, nécessairement, l’existence de déclarations propres de l’intermédiaire, pris en tant que tel , adressées au preneur d’assurance devant lequel il se présente comme intermédiaire pour le compte et éventuellement au nom de l’assureur  (23) .

29.      Or, dans le cas d’espèce au principal, il apparaît qu’il existe un réseau de courtiers et d’intermédiaires d’assurance qui continuent à s’occuper des rapports avec les clients d’UL et avec lesquels ACMC entre en contact dans le cadre de l’exécution de ses activités de «back office» pour UL. Selon l’ordonnance de renvoi, ce sont ces intermédiaires qui «ont un lien direct avec les preneurs d’assurance (potentiels) et les assurés, et non ACMC». À mon avis, cette dernière ne peut donc pas être considérée comme étant en rapport à la fois avec l’assureur et l’assuré.

D –    Autonomie substantielle de l’activité d’intermédiation d’assurance au regard de l’activité propre de l’assureur et sous-traitance par l’assureur de ces activités

30.      La conclusion à laquelle je viens d’arriver n’est pas contredite par le fait que, dans des circonstances spécifiques prévues dans le «contrat de partage» entre UL et ACMC, celle-ci intervient dans la négociation, la préparation et la conclusion de contrats d’assurance vie et qu’elle dispose même du pouvoir d’engager l’assureur à l’égard des assurés en concluant des contrats d’assurance au nom d’UL.

31.      L’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 77/92 se réfère expressément à l’activité professionnelle de personnes «au nom et pour le compte, ou uniquement pour le compte»  (24) de l’assureur. Dans l’arrêt Taksatorringen, précité, la Cour a affirmé que le type d’activités visées à cette disposition «comporte le pouvoir d’engager l’assureur vis-à-vis de l’assuré»  (25) . Se fondant sur cette jurisprudence, ACMC se considère comme un agent d’assurance dans la mesure où elle a le pouvoir d’engager l’assureur. Cette conclusion se fonde sur la prémisse que la qualification d’une personne comme agent d’assurance découle de la circonstance que cette personne a le pouvoir d’engager l’assureur vis-à-vis de l’assuré. Cependant, il résulte dudit article 2, paragraphe 1, sous b), qu’une personne peut être qualifiée d’«agent d’assurance» même lorsqu’elle agit «uniquement pour le compte» de l’assureur. Or, il est évident que, dès lors qu’elle n’agit pas «au nom» de l’assureur, elle ne dispose pas du pouvoir d’engager celui-ci à l’égard de tiers. Un assureur n’est pas engagé à l’égard des preneurs d’assurance par les déclarations d’un mandataire qui n’agit pas «au nom de l’assureur» et qui n’est donc pas, juridiquement, son représentant. De cette sorte, le pouvoir d’engager l’assureur ne saurait être le critère décisif pour qualifier une personne comme agent d’assurance. Il ne suffira pas, per se , pour faire d’un assujetti un intermédiaire d’assurance au sens de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive. D’autres conditions doivent être remplies.

32.      En effet, on ne peut dissocier l’action d’un sujet qui conclut des contrats d’assurance au nom de l’assureur du contexte plus large d’une activité de distribution de produits  (26) d’assurance qui, nécessairement, présuppose que l’intermédiaire s’occupe activement de chercher et de mettre en rapport les clients et l’assureur. À cet égard, les remarques de l’avocat général Fennelly au point 32 de ses conclusions dans l’affaire CPP, précitée, méritent d’être citées. Il affirme que «[l]es auteurs de la sixième directive ont […] décrit des personnes dont l’activité professionnelle consiste à mettre en rapport des entreprises d’assurance et des preneurs […]». Sous réserve d’une vérification à laquelle la juridiction de renvoi doit procéder, il apparaît qu’ACMC n’est pas engagée dans une telle activité, même quand elle accepte au nom d’UL les propositions de contrat d’assurance vie adressées à cette dernière par les preneurs d’assurance potentiels.

33.      L’activité de l’intermédiaire d’assurance doit se présenter donc comme une prestation fournie à titre professionnel, qui commence et prend fin en soi et qui a donc une substance propre autonome par rapport à l’activité de l’assureur (27) . L’activité d’un intermédiaire d’assurance ne peut pas se confondre avec celle de l’assureur pour le compte et éventuellement au nom duquel l’intermédiaire intervient. Or, dans l’affaire au principal, ACMC collabore simplement à l’activité économique de l’assureur. Elle n’exerce pas des activités distinctes de celles développées habituellement au sein de l’assureur UL.

34.      Dans ce sens, je partage la position soutenue par la Commission dans ses observations écrites selon laquelle les activités d’ACMC correspondent à une pure sous-traitance d’activités normalement exercées par une entreprise d’assurance.

35.      Même quand ACMC accepte au nom d’UL des demandes d’assurance adressées à cette dernière par les intéressés, elle reste en tout état de cause un simple mandataire de l’assureur pour l’accomplissement de certains actes juridiques dans le contexte de la préparation et de la conclusion de contrats d’assurance. Manifestement, cela ne saurait suffire à faire d’ACMC, ou de tout autre mandataire d’UL, un intermédiaire d’assurance.

36.     À cet égard, l’arrêt du 13 décembre 2001, CSC Financial Services (28) , donne des indications importantes, même s’il a été rendu dans le contexte différent de l’activité de négociation de produits financiers. Dans cet arrêt, la Cour affirme que l’activité de négociation «vise une activité fournie par une personne intermédiaire qui n’occupe pas la place d’une partie à un contrat portant sur un produit financier […] [Ce doit être] un service rendu à une partie contractuelle et rémunéré par celle-ci en tant qu’activité distincte d’entremise. […] La finalité de cette activité est donc de faire le nécessaire pour que deux parties concluent un contrat, sans que le négociateur ait un intérêt propre quant au contenu du contrat» (29) . Par conséquent, il n’y a pas activité de négociation, mais tout simplement sous-traitance d’une partie des activités du vendeur des produits financiers à une autre personne, lorsque cette dernière «occupe la même place que le vendeur du produit financier et n’est donc pas une personne intermédiaire qui n’occupe pas la place d’une partie au contrat» (30) .

37.      Dans le cadre de rapports tels que ceux qui existent entre ACMC et UL, ACMC semble être un sous-traitant d’UL qui se substitue aux employés de l’assureur pour la réalisation d’opérations normalement exécutées par l’assureur lui-même.

38.      En outre, je pense que l’argument de la défenderesse au principal, selon lequel il serait contraire au principe de neutralité fiscale de percevoir la TVA sur ces prestations dans la mesure où cette imposition rendrait plus difficile le recours à des tiers pour effectuer des prestations, exécutées antérieurement au sein de la société d’assurance, qui seraient identiques aux activités effectuées traditionnellement par des intermédiaires d’assurance, est dénué de pertinence.

39.      Dans la mesure, en effet, où le système commun de TVA choisit d’imposer seulement les prestations de services fournies à titre indépendant, sauf si elles constituent des opérations exonérées en application de l’article 13, B, sous a), il y aura bien sûr une différence de traitement entre les sociétés d’assurance qui choisissent d’«externaliser» leurs activités, et celles qui choisissent de confier ces activités à leurs employés. Cette différence de traitement est, cependant, une conséquence normale de l’application du système commun de TVA et de la contradiction naturelle que l’existence des exonérations porte au principe de neutralité et à l’égalité de traitement. Il s’agit d’une différence de traitement qui est, en outre, tout à fait justifiable. Il suffit de considérer qu’une société d’assurance qui décide de faire exécuter par ses propres employés des tâches nécessaires pour la réalisation d’opérations d’assurance doit supporter certains coûts (fiscaux et autres, notamment ceux résultant du régime légal du travail salarié), coûts dont elle serait dispensée si elle optait pour le recours à un prestataire de services à l’extérieur  (31) . Il semble tout à fait normal que, dans ce dernier cas, l’activité soit soumise au paiement de TVA  (32) .

40.      Pour conclure, il faut souligner que la position soutenue par la défenderesse au principal suppose une extension évidente de la notion d’intermédiaire d’assurance, telle qu’elle résulte de l’arrêt Taksatorringen, précité, dans la mesure où ACMC exerce des activités normalement exécutées à l’intérieur de la compagnie d’assurance par ses propres moyens. En outre, les activités d’ACMC ne remplacent pas les activités des intermédiaires d’assurance qui continuent à exercer ces fonctions et au moyen desquelles UL est active sur le marché.

41.      Une telle extension n’est pas soutenable, compte tenu de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle «les termes employés pour désigner les exonérations visées par l’article 13 de la sixième directive sont d’interprétation stricte étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti»  (33) .

III –   Conclusion

42.     À la lumière des considérations ainsi exposées, je propose à la Cour de répondre à la question posée par le Hoge Raad der Nederlanden de la manière suivante:

«Si, en vertu d’un contrat avec une société d’assurance, un assujetti effectue pour le compte de cette société certaines activités liées aux opérations d’assurance, celles-ci ne relèvent pas de la notion de ‘prestations de services afférentes [aux opérations d’assurance ou de réassurance] effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance’ au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans la mesure où l’assujetti, d’une part, n’est pas en rapport direct à la fois avec l’assureur et l’assuré et, d’autre part, ses activités ne sont pas autonomes par rapport aux activités propres de l’assureur.»


1
Langue originale: le portugais.


2
JO L 145, p. 1.


3
JO 1977, L 26, p. 14.


4
JO 2003, L 9, p. 3.


5
Voir, Farmer, P., et Lyal, R., EC Tax Law , Oxford, 1994, p. 181.


6
Arrêts du 25 février 1999, CPP (C-349/96, Rec. p. I-973); du 8 mars 2001, Skandia (C-240/99, Rec. p. I-1951), et du 20 novembre 2003, Taksatorringen (C-8/01, non encore publié au Recueil).


7
C-202/90, Rec. p. I-4247.


8
Ibidem, point 6 et dispositif des conclusions.


9
Arrêts précités CPP, point 17, et Skandia, points 37 et 41. Voir aussi, arrêt Taksatorringen, précité, points 39 à 41.


10
Arrêts précités CPP, point 22, et Skandia, point 38.


11
Arrêt Skandia, précité, point 41.


12
Cette exemption peut trouver une explication dans le fait que l’on a considéré que l’imposition des services d’assurance au moyen de la TVA, qui taxerait les services des courtiers et intermédiaires d’assurance qui s’occupent, en effet, de la fonction essentielle de distribution de ces services, ne serait pas justifiée. En outre, une imposition en amont de tels services ne pourrait pas être déduite par les assureurs en vertu de l'exemption de TVA relative aux opérations d’assurance.


13
Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire CPP, précitée, point 31.


14
Manifestement, les activités d’ACMC ne correspondent pas à l’activité prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/92 concernant la profession de courtier, qui est caractérisée par le fait «qu'il […] revient [à ce dernier] de rechercher, pour le compte d'un preneur d'assurance, la compagnie susceptible de lui proposer la couverture exactement adaptée à ses besoins» (conclusions de l'avocat général Mischo dans l'affaire Taksatorringen, précitée, point 86). Or, il est clair qu’ACMC fournit ses services exclusivement à UL et non pas aux assurés.


15
Voir, notamment, arrêt Taksatorringen, précité, point 45, et conclusions de l'avocat général Mischo dans la même affaire, point 89.


16
Voir, conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Taksatorringen, précitée, points 79 à 87. Aussi, notamment au point 32 des conclusions de l’avocat général Fennelly dans l'affaire CPP, précitée, rien ne permet de conclure que celui-ci préconisait que l’article 13, B, sous a), contient une norme de renvoi nécessaire et automatique à la directive 77/92.


17
Arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties (348/87, Rec. p. 1737, point 11); Skandia, précité, point 23, et Taksatorringen, précité, point 37.


18
Point 44.


19
Le premier considérant de la directive 2002/92 précise que «les intermédiaires d'assurance et de réassurance jouent un rôle central dans la distribution des produits d'assurance et de réassurance dans la Communauté».


20
Bigot, J., et Langé, D., Traité de Droit des Assurances, Tome 2, La Distribution de l’Assurance , LGDJ, Paris, 1999, p. 6. Les auteurs font référence notamment à l’existence de «distinctions, assez théoriques, qui recouvrent mal la réalité, plus complexe» dans le cadre de la distribution d’un produit d’une grande complexité technique, comme c’est le cas de l’assurance.


21
Ce qui se comprend parfaitement à la lumière de la présentation faite à l'article 13, B, sous a), de la sixième directive, des activités réalisées par l'intermédiaire d'assurance qui bénéficient de l'exonération de TVA qui, ainsi que je l’ai déjà signalé, sont présentées, du point de vue de leur contenu, comme des prestations de services afférentes aux opérations d'assurance.


22
Point 19 et note 10 des conclusions (c’est moi qui souligne).


23
On peut imaginer qu’un intermédiaire d'assurance communique avec les preneurs d'assurance potentiels et les assurés non pas personnellement, mais, éventuellement, par l’entremise d’un tiers qui intervient pour son compte en transmettant des déclarations propres de l'intermédiaire d’assurance adressées aux preneurs d'assurance, dans l'exercice de ses activités comme intermédiaire agissant pour le compte de l'assureur. Dans ces circonstances, il ne devrait pas perdre la qualité d’«intermédiaire d'assurance» au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.


24
C'est moi qui souligne.


25
Point 45 de l'arrêt faisant référence au point 91 des conclusions de l'avocat général Mischo dans cette affaire, où il est précisé que, pour que l'action d'une personne pour le compte d’un assureur «fasse de celui qui l'apporte un agent d'assurance, celle-ci doit s'inscrire dans le cadre d'un contrat ou d'une procuration et s'effectuer ‘au nom et pour le compte, ou uniquement pour le compte, d'une ou de plusieurs entreprises d'assurance’, ce qui signifie qu'elle doit comporter le pouvoir d'engager la compagnie d'assurances vis-à-vis de l'assuré».


26
Voir premier considérant de la directive 2002/92.


27
Voir en ce sens, dans un autre contexte, points 36 et 37 des conclusions de l'avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer dans l’affaire Lipjes (arrêt du 27 mai 2004, C-68/03, non encore publié au Recueil) sur la substance propre de l'activité de courtage, auxquels renvoie l'arrêt au point 21.


28
C-235/00, Rec. p. I-10237.


29
Ibidem, point 39. C'est moi qui souligne.


30
Ibidem, point 40.


31
Voir, par analogie, dans le contexte de l’exemption de la TVA pour les opérations bancaires, l’affirmation de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l'affaire SDC (arrêt du 5 juin 1997, C‑2/95, Rec. p. I-3017, points 54 et suiv.), selon laquelle «si une entreprise fait appel aux services d'une autre entreprise pour l'exécution de certaines tâches, au lieu de s'en acquitter avec ses propres moyens en personnel et en matériel, elle devra payer la TVA correspondant à la prestation de ces services». Voir également mes conclusions dans l'affaire BBL (arrêt du 21 octobre 2004, C-8/03, non encore publié au Recueil, point 24).


32
Dans l'arrêt du 9 octobre 2001, Cantor Fitzgerald International (C-108/99, Rec. p. I‑7257, point 33), la Cour a affirmé qu’«[u]n assujetti qui, en vue d'atteindre un but économique déterminé, a le choix entre des opérations exonérées et des opérations taxables doit donc, dans son propre intérêt, régulièrement prendre sa décision en tenant compte du régime objectif de TVA […] Le principe de neutralité fiscale n'implique pas qu'un assujetti qui a le choix entre deux opérations puisse en choisir l’une et faire valoir les effets de l'autre.»


33
Arrêts précités, Stichting Uitvoering Financiële Acties, point 13, et SDC, point 20. Voir, plus récemment, arrêts du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, Rec. p. I-5811, point 43), et Taksatorringen, précité, point 36. Il convient de signaler en outre que, au point 65 de son arrêt SDC, la Cour a, dans le contexte des opérations financières, affirmé que «l'article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive devant faire l'objet d'une interprétation stricte, le seul fait qu'un composant soit indispensable pour réaliser une opération exonérée ne permet pas de conclure à l'exonération du service correspondant à ce composant». Voir, dans le même sens, arrêt CSC Financial Services, précité, point 32.