CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
MME CHRISTINE STIX-HACKL
présentées le 23 septembre 2004(1)



Affaire C-26/03



Stadt Halle
RPL Recyclingpark Lochau GmbH
Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna





[demande de décision préjudicielle formée par l'Oberlandesgericht Naumburg (Allemagne)]

«Directive 89/665/CEE – Attribution directe – Protection juridictionnelle en cas d'absence de procédure formelle de passation de marché – Directive 92/50/CEE – Passation de marché interne»






I –    Introduction

1.        Le présent renvoi préjudiciel concerne principalement les deux problèmes juridiques suivants du droit des marchés publics: la protection juridictionnelle contre l’attribution directe, c’est-à-dire en l’absence de procédure formelle d’attribution de marché, et les conditions de l’exception relative aux opérations quasi internes. Ce dernier point concerne l’interprétation de l’arrêt rendu dans l’affaire Teckal  (2) .

II –   Cadre juridique

2.        Les questions posées à titre préjudiciel concernent tout d’abord l’interprétation de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux  (3) , et, en deuxième lieu, l’interprétation de la directive 92/50  (4) .

3.        Dans sa version actuellement en vigueur, l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 89/665 se lit comme suit:

«Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»

4.        Les dispositions pertinentes de l’article 1 er , sous a), de la directive 92/50 sont les suivantes:

«Aux fins de la présente directive:

a)
les ‘marchés publics de services’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur […]»

5.        Enfin, au cours de la procédure au principal, il a également été fait référence à la directive 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications  (5) . Son article 13, paragraphe 1, dispose que:

«1. La présente directive ne s’applique pas aux marchés de services:

a)
qu’une entité adjudicatrice passe auprès d’une entreprise liée;

b)
passés par une co-entreprise, constituée de plusieurs entités adjudicatrices aux fins de la poursuite des activités au sens de l’article 2 paragraphe 2, auprès d’une de ces entités adjudicatrices ou d’une entreprise liée à une de ces entités adjudicatrices,

pour autant que 80 % au moins du chiffre d’affaires moyen que cette entreprise a réalisé dans la Communauté au cours des trois dernières années en matière de services provienne de la fourniture de ces services aux entreprises auxquelles elle est liée.

Lorsque le même service ou des services similaires sont prestés par plus d’une entreprise liée à l’entité adjudicatrice, il doit être tenu compte du chiffre d’affaires total dans la Communauté résultant de la fourniture de services par ces entreprises.»

III –   Les faits et la procédure au principal

6.        La ville de Halle (Allemagne) a débuté au printemps 2001 l’élaboration d’un projet visant à un traitement préalable, une valorisation ainsi qu’une élimination de ses déchets à évacuation obligatoire voire non obligatoire par un maître d’ouvrage sous contrôle communal. Par délibération du 12 décembre 2001, la ville de Halle a chargé RPL Recyclingpark Lochau GmbH (ci-après «RPL») de la mise en œuvre de la construction de l’installation thermique d’élimination et de valorisation de Lochau (ci‑après l’«installation de Lochau») au niveau du projet, des agréments techniques et des travaux. La ville de Halle a en même temps décidé d’ouvrir avec RPL, sans réalisation préalable d’une procédure formelle de passation de marché, des négociations en vue d’un contrat relatif à l’évacuation de ses déchets résiduels à partir du 1 er juin 2005. Ce contrat, existant déjà à l’état de projet, dépasserait de loin le seuil applicable à ce type de marché de services. La ville de Halle envisage en outre, afin de garantir l’utilisation quantitative de l’installation, de conclure avec deux arrondissements voisins des conventions de groupement par lesquelles ces collectivités territoriales lui confieront la mission d’exécuter les tâches de traitement et de valorisation, de sorte que, en définitive, le traitement des déchets résiduels de ces arrondissements sera lui aussi effectué par l’installation de Lochau de RPL. La ville de Halle considère qu’il s’agit d’une «opération interne» ne relevant pas de l’obligation de mise en concurrence.

7.        RPL est une société de participation du secteur public existant depuis 1996 sous forme de société à responsabilité limitée. Ses associés sont, à hauteur de 75,1 %, Stadtwerke Halle GmbH – dont l’associée unique, Verwaltungsgesellschaft für Versorgungs- und Verkehrsbetriebe der Stadt Halle mbH, est détenue à 100 % par la ville de Halle – et à hauteur de 24,9 % RWE Umwelt Sachsen‑Anhalt GmbH, une entreprise privée. Les rapports de participation actuels n’ont été convenus dans le cadre du contrat de société qu’à la fin 2001, dans le contexte de l’attribution envisagée de prestations d’évacuation des déchets à partir du 1 er juin 2005. Selon le contrat de société, l’entreprise RPL a pour objet l’exploitation d’installations de recyclage et d’évacuation des déchets, notamment l’exploitation d’installations de compostage de déchets biologiques, de préparation de déchets mixtes provenant de chantiers et de déchets d’atelier, et la construction et l’exploitation d’installations de traitement et de valorisation des boues d’épuration et de valorisation des eaux d’infiltration et des gaz de décharge et biologiques ainsi que de traitement thermique des déchets.

8.        Selon le contrat de société, les résolutions des associés sont prises à la majorité simple et, pour certaines décisions, dont la nomination des deux gérants de la société, à la majorité qualifiée de 75 % des voix. La gérance doit rendre compte mensuellement aux associés conformément aux dispositions régissant la reddition des comptes au sein de Stadtwerke Halle GmbH. Certaines opérations et mesures, dont la conclusion ou la modification des contrats d’exploitant, les décisions d’investissement ainsi que le recours à des emprunts, sont soumises, au‑delà d’un certain seuil pour chacune d’elles, à une autorisation de l’assemblée des associés. Actuellement, la direction commerciale et technique de RPL est contractuellement confiée à une entreprise tierce. Les fonctions de contrôle relevant normalement du conseil de surveillance sont assumées par le conseil de surveillance de Stadtwerke Halle GmbH. Conformément au contrat de société, la ville de Halle est investie, à l’égard des comptes de l’exercice social, notamment de la faculté de vérifier les comptes et d’obtenir, pour son autorité chargée du contrôle des comptes, des informations directes.

9.        Par lettres du 21 décembre 2001 et du 30 janvier 2002, l’Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna (ci-après «TREA») a fait valoir auprès de la ville de Halle que les conditions d’une «opération interne» n’étaient pas réunies et que, en conséquence, l’intention de la partie défenderesse d’attribuer à partir du 1 er juin 2005 des prestations d’évacuation des déchets sans mise en concurrence formelle était contraire aux règles applicables en matière de passation de marchés. Par lettre du 7 février 2002 ainsi que lors d’une entrevue le 19 février 2002, la ville de Halle a confirmé qu’elle maintenait son point de vue. Par acte du 21 février 2001, TREA a introduit une procédure de recours devant la chambre compétente en matière de passation de marchés auprès du Regierungspräsidium Halle en vue d’obtenir que la ville de Halle soit contrainte d’effectuer un appel d’offres public. Le 27 mai 2002, la chambre compétente en matière de passation de marchés auprès du Regierungspräsidium Halle a ordonné à la ville de Halle d’attribuer les prestations de services prévues – «évacuation des déchets résiduels de la ville de Halle à partir du 1 er juin 2005» – dans le cadre d’un appel à la concurrence et par la voie d’une procédure de passation de marché transparente conformément à la Verdingungsordnung (code des marchés publics).

10.      La ville de Halle et RPL ont immédiatement interjeté appel de cette décision devant l’Oberlandesgericht Naumburg.

IV –   Les questions posées à titre préjudiciel

11.      L’Oberlandesgericht Naumburg a sursis à statuer et a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
L’article 1 er , paragraphe 1, de la directive recours impose-t-il aux États membres d’assurer une possibilité de recours efficaces et aussi rapides que possible contre la décision du pouvoir adjudicateur de ne pas attribuer un marché public dans le cadre d’une procédure adaptée aux dispositions des directives concernant la passation des marchés publics?

2)
L’article 1 er , paragraphe 1, de la directive recours impose-t-il également aux États membres d’assurer une possibilité de recours efficaces et aussi rapides que possible contre les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs en amont d’une mise en concurrence formelle, notamment contre la décision sur les questions préalables visant à savoir si une opération d’acquisition déterminée relève, d’une manière générale, du champ d’application personnel ou matériel des directives concernant la passation des marchés publics ou si, à titre exceptionnel, on se trouve en présence d’une exclusion du droit de la passation des marchés?

3)
En cas de réponse affirmative à la question 1 et de réponse négative à la question 2: un État membre satisfait-il à son obligation d’assurer une possibilité de recours efficaces et aussi rapides que possible contre la décision du pouvoir adjudicateur de ne pas attribuer un marché public dans le cadre d’une procédure adaptée aux dispositions des directives concernant la passation des marchés publics lorsque l’accès à la procédure de recours est subordonné au fait que l’opération d’acquisition ait atteint un stade formel déterminé, par exemple à l’ouverture de négociations contractuelles verbales ou écrites avec un tiers?

4)
Dans l’hypothèse où, d’une part, un pouvoir adjudicateur, tel qu’une collectivité territoriale, a l’intention de conclure avec une entité formellement distincte de lui – ci-après le ‘cocontractant’ – un contrat écrit à titre onéreux portant sur des services qui relèverait de la directive services et où, d’autre part, ce contrat ne constitue exceptionnellement pas un marché public de services au sens de l’article 1 er , sous a), de la directive services dès lors que le cocontractant peut être considéré comme relevant de l’administration publique ou des services du pouvoir adjudicateur – ci-après une ‘opération propre dispensée de passation de marché’ –, la qualification d’un tel contrat comme opération propre dispensée de passation de marché est-elle toujours exclue du seul fait qu’une entreprise privée détient une participation dans le cocontractant au regard du droit des sociétés?

5)
En cas de réponse négative à la question 4: sous quelles conditions un cocontractant dans lequel une personne privée détient une participation au regard du droit des sociétés – ci-après une ‘société de participation du secteur public’ – doit-il être considéré comme relevant de l’administration publique ou des services du pouvoir adjudicateur? En particulier:

a)
Pour qu’une société de participation du secteur public soit considérée comme relevant des services du pouvoir adjudicateur sous l’aspect de l’aménagement et de l’intensité du contrôle, suffit-il que cette société soit ‘dominée’ par le pouvoir adjudicateur, par exemple au sens des articles 1 er , point 2, et 13, paragraphe 1, de la directive 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1993, L 199, p. 84), modifiée par l’acte d’adhésion de 1994 (JO C 241 du 29 août 1994, p. 228) ainsi que par la directive 98/4/CE du Parlement européen et du Conseil (JO L 101 du 16 février 1998, p. 1) – ci-après la «directive sectorielle»?

b)
Toute possibilité juridique de prise d’influence de l’associé privé de la société de participation du secteur public sur les objectifs stratégiques du cocontractant et/ou sur les décisions particulières prises dans le cadre de la gestion de l’entreprise exclut-elle que celle-ci soit considérée comme relevant des services du pouvoir adjudicateur?

c)
Pour qu’une société de participation du secteur public soit considérée comme relevant des services du pouvoir adjudicateur sous l’aspect de l’aménagement et de l’intensité du contrôle, un large pouvoir de direction portant uniquement sur les décisions visant à la conclusion du contrat et à la fourniture de la prestation en ce qui concerne l’opération d’acquisition en cause est-il suffisant?

d)
Pour qu’une société de participation du secteur public soit considérée comme relevant des services du pouvoir adjudicateur sous l’aspect de la réalisation de l’essentiel de son activité avec celui-ci, suffit-il qu’au moins 80 % du chiffre d’affaires moyen atteint par cette entreprise dans la Communauté au cours des trois dernières années dans le secteur des services proviennent de la fourniture de ces services au pouvoir adjudicateur ou aux entreprises liées à celui-ci ou relevant de lui ou que – dans la mesure où l’entreprise d’économie mixte n’a pas encore accompli trois années d’activité – les prévisions permettent d’escompter que ce seuil de 80 % sera atteint?»

V –   Les questions préjudicielles relatives à la protection juridictionnelle (trois premières questions préjudicielles)

A –    Sur la recevabilité

12.      Il convient tout d’abord de rechercher si et dans quelle mesure les questions relatives à la protection juridictionnelle sont recevables.

13.      La Cour est en principe tenue de statuer sur toute demande de décision préjudicielle, à moins qu’il ne soit manifeste que la demande tend, en réalité, à l’amener à statuer par le biais d’un litige construit ou à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, que l’interprétation du droit communautaire demandée n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, ou encore que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées  (6) .

14.      Dans la présente affaire, il ressort du dossier que la passation de marché projetée, qui constitue l’objet de la procédure au principal, se trouve à un certain stade: il existe en effet déjà un projet de contrat. Il en découle que les questions préjudicielles ne sont recevables que dans la mesure où elles sont nécessaires à la solution du litige dans ce cas de figure. Les questions préjudicielles concernent certes des problèmes fondamentaux de la protection juridictionnelle, mais les règles de procédure excluent de se livrer à de telles réflexions d’ordre général. Ces dernières concernent en effet des cas de figure qui ne font pas l’objet du litige concret dont la juridiction de renvoi est saisie. Au demeurant, la juridiction de renvoi n’explique pas quels motifs l’ont conduite à considérer qu’une réponse relative à de tels cas de figure est nécessaire pour lui permettre de statuer sur le litige dont elle se trouve saisie.

15.      Dès lors, en l’absence d’éléments de nature à faire apparaître qu’une réponse relative à de tels cas de figure est nécessaire à la solution du litige au principal, ces questions doivent être considérées comme étant de nature hypothétique et, partant, irrecevables  (7) .

16.      Dans la mesure où les questions préjudicielles visent à clarifier des questions juridiques à caractère général, elles sont donc irrecevables. Il en va de même pour la compatibilité du droit national avec le droit communautaire qui est évoquée dans la troisième question. Mis à part ces restrictions, les questions préjudicielles relatives à la protection juridictionnelle sont recevables pour le reste, au moins dans le cas de figure du litige au principal. Les trois premières questions préjudicielles ayant la même orientation quant au fond, à savoir la détermination des actes du pouvoir adjudicateur susceptibles de recours, il convient de les étudier et d’y répondre ensemble.

B –    Analyse au fond

17.      Les questions préjudicielles relatives à la protection juridictionnelle contre certaines décisions du pouvoir adjudicateur concernent essentiellement la question de savoir à partir de quel stade avant la passation de marché proprement dite la possibilité de recours devant les instances nationales prévue par la directive 89/665 doit être ouverte. Il s’agit en substance de déterminer le moment auquel un projet d’acquisition a atteint le degré de concrétisation requis pour la protection juridictionnelle.

18.      Il convient tout d’abord de partir du principe que, d’après la jurisprudence de la Cour, la notion de «décisions» au sens de l’article 1 er , paragraphe 1, et la notion de «décisions» en tant qu’actes susceptibles de recours au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665, c’est-à-dire les actes du pouvoir adjudicateur susceptibles de recours, doivent être interprétées largement.

19.      D’après cette jurisprudence, l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 89/665 ne prévoit «aucune restriction en ce qui concerne la nature et le contenu»  (8) des décisions.

20.      En outre, conformément à l’article 1 er , paragraphe 3, de la directive 89/665, les États membres sont tenus d’assurer que les procédures de recours prévues par la directive soient accessibles «au moins» à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée des dispositions du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit.

21.      Dans la présente affaire, il se pose la question de savoir si la notion de «décision» au sens large inclut aussi les décisions qui sont prises «en amont» ou, en termes juridiques, qui sont prises avant l’engagement de la procédure de passation de marché. Il s’agit donc de décisions situées entre les simples réflexions et l’engagement ou non de la procédure de passation de marché.

22.      Compte tenu du but de la directive 89/665, c’est-à-dire la garantie d’une protection juridictionnelle efficace, tel qu’il est expressément défini à son article 1 er , paragraphe 1, il conviendrait que cette directive s’applique également aux décisions prises avant l’engagement de la procédure de passation de marché.

23.      En ce qui concerne la possibilité de recours contre la décision de ne pas engager de procédure de passation de marché, il s’agit d’une décision qui peut être considérée comme le pendant de la décision de mettre fin à une procédure de passation de marché.

24.      Les décisions du pouvoir adjudicateur relatives à l’abandon de la procédure de passation de marché font partie des actes susceptibles de recours. La Cour l’a expressément souligné en ce qui concerne le retrait d’une procédure de passation de marché. Ainsi, «la réalisation complète de l’objectif poursuivi par la directive 89/665 serait compromise s’il était loisible aux pouvoirs adjudicateurs de procéder au retrait d’un appel d’offres pour un marché public de services sans être soumis aux procédures de contrôle juridictionnel destinées à assurer à tous égards l’effectivité du respect des directives fixant des règles matérielles relatives aux marchés publics et des principes qui les sous-tendent»  (9) .

25.      Certes, à la différence de l’abandon d’une procédure de passation de marché déjà engagée, une décision relative au non‑engagement d’une procédure de passation de marché au sens des directives en matière de marchés publics se trouve, par nature, en dehors de toute procédure de passation de marché; mais cela n’exclut absolument pas l’application de la directive 89/665.

26.      En effet, d’après la jurisprudence de la Cour, le champ d’application de la directive 89/665 relative à la protection juridictionnelle ne se limite pas au contrôle des violations des directives en matière de marchés publics. Ainsi, l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 89/665 serait applicable à toutes «les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs qui sont soumises aux règles du droit communautaire en matière de marchés publics»  (10) , sans que la Cour de justice se borne aux dispositions des directives en matière de marchés publics.

27.      Les États membres ne sont pas tenus de rendre des procédures de recours accessibles à toute personne souhaitant obtenir l’adjudication d’un marché public. Au contraire, les États membres sont libres d’exiger, en plus, que la personne concernée ait été lésée ou risque d’être lésée par la violation qu’elle allègue  (11) . En ce sens, ils peuvent en principe faire de la participation à une procédure de passation de marché une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d’un intérêt à obtenir le marché en cause ou risque de subir un préjudice du fait du caractère prétendument illégal de la décision d’attribution dudit marché.

28.      Toutefois, la Cour de justice a déjà établi que, dans l’hypothèse où une entreprise n’a pas présenté une offre en raison de la présence de spécifications prétendument discriminatoires dans les documents relatifs à l’appel d’offres ou dans le cahier des charges, lesquelles l’auraient précisément empêchée d’être en mesure de fournir l’ensemble des prestations demandées, elle serait en droit d’exercer un recours directement à l’encontre desdites spécifications, et ce avant même que n’intervienne la clôture de la procédure de passation du marché public concerné  (12) .

29.      Tout comme il doit être possible pour une entreprise d’exercer un recours directement contre des infractions, sans attendre le terme de la procédure de passation du marché  (13) , il doit également être possible pour une entreprise de faire contrôler certaines décisions importantes pour la passation de marché, sans avoir à attendre l’ouverture de la procédure de passation de marché. En effet, il est caractéristique des cas qui nous intéressent qu’ils n’aboutissent justement pas à une procédure de passation de marché au sens des directives en matière de marchés publics. Mais on ne peut exiger d’une entreprise qu’elle présente une offre, alors qu’aucune procédure de passation de marché n’a été engagée.

30.      Par conséquent, il n’est pas décisif pour l’application des directives recours et donc des procédures de recours qu’une procédure de passation de marché prévue par les directives en matière de marchés publics ait eu lieu. Le champ d’application des directives recours n’est en effet pas lié à l’application effective des directives en matière de marché public, par exemple la directive 93/38, mais au fait que l’une de ces directives aurait pu être ou est applicable, par exemple si l’opération à contrôler tombe dans son champ d’application.

31.      Il découle de ces considérations que même des actes accomplis avant l’ouverture d’une procédure de passation de marché peuvent être susceptibles de recours au sens de la directive 89/665. Mais il existe certaines limites.

32.      Que tous les actes du pouvoir adjudicateur soient susceptibles de recours paraît exclu par le fait que les différentes phases précédant l’ouverture d’une procédure de passation de marché différent d’un État membre à un autre et que, de surcroît, elles dépendent du projet d’acquisition concret.

33.      De plus, il convient de rappeler un critère développé par la Cour en ce qui concerne l’octroi de la protection juridictionnelle. D’après ce critère, «la directive 89/665 vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l’application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées »  (14) .

34.      Le fait que les actes du pouvoir adjudicateur ne sont pas tous susceptibles de recours est encore corroboré par un autre arrêt de la Cour, relatif à la limitation par le droit national des possibilités de recours à certaines décisions du pouvoir adjudicateur. Dans cet arrêt, la Cour s’est fondée sur le critère de savoir si une protection juridictionnelle adéquate était garantie. Elle a jugé que la protection juridictionnelle était adéquate bien que, d’après le droit national, seuls étaient attaquables les actes de procédure qui tranchent, directement ou indirectement, le fond de l’affaire, qui entraînent l’impossibilité de poursuivre la procédure ou de se défendre, ou qui causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes  (15) .

35.      S’il est donc possible, c’est-à-dire compatible avec la directive 89/665, d’exclure tout recours contre certains actes réalisés après l’ouverture d’une procédure de passation de marché, il doit à plus forte raison être possible d’en exclure certains actes antérieurs.

36.      Enfin, il convient de rappeler que les directives en matière de marchés publics se limitent à une coordination, c’est-à-dire à une simple harmonisation de la procédure de passation de marché, et ne réglementent pas les phases qui précèdent.

37.      En conclusion, il convient de retenir que la directive 89/665 ne garantit pas de protection juridictionnelle préventive globale.

38.      Un facteur déterminant pour l’identification des actes susceptibles de recours est constitué par le droit matériel, c’est-à-dire par la question de savoir si, d’après les directives en matière de marchés publics, une entreprise dispose d’un droit à ce qu’un acte soit accompli ou à ce qu’il ne le soit pas.

39.      En principe, un droit d’interdiction entre donc en ligne de compte. Il peut par exemple viser à interdire à une entité soumise aux directives en matière de marchés publics de procéder à une acquisition tombant dans le champ d’application de celles-ci sans passer par une des procédures de passation de marché prévues par ces directives. Le parallélisme avec l’interdiction d’attribution est assuré de ce fait pour la protection juridictionnelle.

40.      Un critère possible pour la détermination des actes antérieurs à l’ouverture d’une procédure de passation de marché qui doivent pouvoir faire l’objet d’un recours est donc l’effet que ces actes ont sur l’entreprise qui revendique ce recours. Il s’agit donc d’une condition pour le droit de former un recours (légitimation active).

41.      Par contre, dans la présente affaire, ce sont exclusivement les conditions sous lesquelles un acte est susceptible de recours qui sont concernées.

42.      Une restriction supplémentaire, dont il doit être tenu compte dans le présent renvoi préjudiciel, découle des prescriptions procédurales relatives à ce type de procédures devant la Cour de justice. Ainsi, dans la cadre du présent renvoi préjudiciel, il ne peut être question de donner une définition générale des actes susceptibles de recours, mais seulement de donner une réponse utile au juge national, pour qu’il puisse résoudre le litige dont il est saisi.

43.      La présente procédure a donc pour objet de développer non pas des critères généraux permettant de juger si un acte du pouvoir adjudicateur est susceptible de recours, mais uniquement des critères relatifs aux actes de la procédure au principal.

44.      Dans ce cadre, il suffit d’indiquer que la directive 89/665 ne concerne pas plus les réflexions purement internes que l’évaluation des besoins, l’élaboration du cahier des charges ou la simple étude du marché. Partant, elle n’englobe pas non plus les réflexions juridiques internes du pouvoir adjudicateur sur la question de savoir si une opération d’acquisition relève des directives en matière de marché public.

45.      En outre, la question de savoir si la simple décision d’engager des négociations avec une autre entreprise peut être qualifiée d’acte susceptible de recours ou s’il y faut des négociations contractuelles en cours peut rester ouverte en l’espèce. Il s’agit en effet de questions hypothétiques, puisque l’objet de la procédure au principal et donc du renvoi préjudiciel est un autre cas de figure, à savoir celui dans lequel un projet de contrat existe déjà.

46.      Dans un tel cas, le pouvoir adjudicateur est sur le point de conclure un contrat. Par conséquent, une telle situation correspond à un autre cas de figure fréquent dans le cadre des marchés publics, à savoir celui de la phase précédant immédiatement l’attribution du marché. En effet, dans les différents droits nationaux, l’attribution du marché peut soit précéder la passation du contrat, soit se confondre avec elle dans la mesure où, prise en tant qu’acceptation de l’offre, elle emporte conclusion dudit contrat.

47.      Pour des motifs d’effectivité de la protection juridictionnelle, il importe peu que, dans une telle situation, une procédure de passation de marché est engagée, alors qu’elle ne l’est pas en l’espèce.

48.      Par conséquent, il y a lieu de répondre aux trois premières questions préjudicielles que l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens que, sous certaines conditions, les États membres sont tenus d’offrir une possibilité de recours efficace et aussi rapide que possible même contre certaines décisions du pouvoir adjudicateur qui sont prises en dehors d’une procédure de passation de marché; ces décisions peuvent inclure celles portant sur la question préalable de savoir si une acquisition déterminée doit être opérée sans passer par la procédure de passation de marché public.

VI –   Les questions préjudicielles relatives à la passation de marché quasi interne (quatrième et cinquième questions préjudicielles)

49.      Le deuxième groupe de questions préjudicielles est relatif aux conditions de passations de marché quasi internes. Comme le gouvernement autrichien le souligne à juste titre, il s’agit, contrairement aux passations de marchés internes (services fournis à soi-même), de marchés confiés à des entités ayant une personnalité morale distincte de celle du pouvoir adjudicateur. En effet, si l’entité qui exécute la prestation n’avait pas la personnalité morale, il ne pourrait pas y avoir de contrat. Il manquerait ainsi une condition pour qu’il y ait un marché au sens des directives relatives aux marchés publics.

50.      Rigoureusement parlant, la présente affaire concerne l’interprétation du terme «marché», qui constitue une des conditions pour l’application des directives relatives aux marchés publics. Il convient de se baser sur l’arrêt de la Cour dans l’affaire Teckal, dans lequel la Cour a considéré certaines opérations d’acquisition comme ne relevant pas du champ d’application des directives relatives aux marchés publics.

51.      D’après cet arrêt, les directives relatives aux marchés publics ne sont pas applicables dans l’hypothèse où, «à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent»  (16) .

52.      En établissant ainsi deux conditions dont la réunion entraîne l’inapplicabilité des directives sur les marchés publics, la Cour a opéré une réduction téléologique de la notion de «marché».

53.      En premier lieu, il convient de souligner à ce stade que la Cour a elle-même expressément décrit la non‑applicabilité des directives relatives aux marchés publics comme étant une exception. Or, c’est un principe général que les exceptions sont d’interprétation stricte. Cette donnée doit être prise en compte dans le cadre de l’étude des deux conditions réalisée ci-après.

54.      Il convient en outre de souligner que – hormis l’exception de l’affaire Teckal et quelques autres, comme celle de l’article 6 de la directive 92/50 – les contrats avec des entités qui sont elles-mêmes des pouvoirs adjudicateurs, comme certaines filiales, répondent généralement à la notion de «marché». L’applicabilité des directives relatives aux marchés publics reste donc la règle  (17) .

55.      De plus, il convient de rappeler l’origine des opérations quasi internes et donc de l’exception de l’affaire Teckal, à savoir le traitement spécial réservé à des opérations internes, c’est-à-dire aux passations de marché internes et aux cas de figure qui leur sont assimilés.

56.      Finalement, dans le présent contexte, il doit également être tenu compte des buts des directives relatives aux marchés publics, à savoir l’ouverture du marché et la préservation de la concurrence.

57.      C’est à ces éléments qu’il faut se référer pour interpréter l’exception de l’affaire Teckal.

58.      En général, il convient de distinguer les trois cas de figure de passation de marché quasi interne suivants: passation de marché avec des sociétés propres (sociétés avec une participation de 100 % du pouvoir adjudicateur ou d’entités qui lui sont assimilables), des sociétés publiques mixtes (sociétés auxquelles participent plusieurs pouvoirs adjudicateurs) et des sociétés d’économie mixte (sociétés auxquelles participent également de véritables personnes privées).

59.      La procédure au principal est relative à la passation de marché prévue par la ville de Halle, qui est sans aucun doute un pouvoir adjudicateur au sens des directives relatives aux marchés publics, avec la filiale d’une sous-filiale. Certes, la ville de Halle contrôle 100 % des parts de sa filiale, qui contrôle la totalité des parts de la sous-filiale, mais cette dernière ne contrôle que 75,1 % des parts de sa propre filiale. Le reliquat des parts dans cette dernière est détenu par une entreprise purement privée.

60.      La présente affaire concerne donc une société d’économie mixte, c’est‑à‑dire une société avec participation majoritaire (indirecte) d’un pouvoir adjudicateur et participation d’un tiers n’ayant pas le statut de pouvoir adjudicateur.

61.      Pour des motifs de procédure, il convient de traiter dans la suite uniquement un cas de figure tel que celui du litige au principal. L’application aux circonstances concrètes du litige au principal reste du ressort du juge national  (18) .

A –    Premier critère: un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services

62.      La première condition pour l’application de l’exception et donc pour la non‑applicabilité des directives relatives aux marchés publics est relative à la nature du contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur l’entité à laquelle le marché doit être attribué. La Cour exige que l’entité adjudicatrice exerce «un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services».

63.      La Cour se base donc sur un critère qu’elle tire du droit public. Cependant, étant donné que, tout comme la notion de marché et celle de pouvoir adjudicateur, le critère du contrôle doit être entendu de manière fonctionnelle et non pas formelle, cela ne fait pas obstacle à la transposition à la relation entre un pouvoir adjudicateur et des personnes morales de droit privé, comme en l’espèce une société à responsabilité limitée. La référence à la notion de service s’explique plutôt par la fonction originelle de la création d’organismes autonomes, à savoir le démembrement de services.

64.      De plus, le fait que, dans la langue de procédure, qui était l’italien, l’arrêt Teckal n’exige qu’un contrôle analogue («analogo»), c’est-à-dire comparable, mais pas identique, plaide en faveur de la possibilité de transposition à d’autres cas de figure  (19) .

65.      La situation juridique d’un associé majoritaire doit ainsi être appréciée, d’une part, sur le fondement des dispositions pertinentes de droit national, en l’espèce la réglementation relative aux sociétés à responsabilité limitée. D’autre part, il convient de tenir compte des textes qui aménagent les relations de façon plus spécifique, à savoir, en règle générale, le contrat de société. Cela signifie qu’une analyse purement abstraite, fondée sur la forme juridique choisie pour l’entité soumise au contrôle, par exemple le type de personne morale, n’est pas suffisante.

66.      Cependant, les réglementations fixées dans les dispositions nationales, le plus souvent des lois, ne peuvent dès lors avoir qu’une importance limitée. C’est particulièrement vrai des dispositions qui déterminent les droits des associés minoritaires et les conditions de leur exercice. Il s’agit principalement de dispositions qui font dépendre les droits de contrôle et de blocage des associés de l’importance de leur participation, par exemple 10 %, 25 % ou plus de 50 %.

67.      Ces dispositions permettent au mieux de présumer les droits que peut avoir un associé minoritaire. La configuration précise du cas particulier reste déterminante. Dans ce cadre, le cas le plus important est celui de l’accord de domination qui accorde à un associé déterminé – indépendamment de sa participation – certains droits allant au-delà du minimum légal.

68.      Puisque ce n’est donc pas la législation nationale qui est déterminante, mais l’aménagement concret de la situation, l’importance de la participation du pouvoir adjudicateur ou, au contraire, de l’associé privé minoritaire ne peut pas non plus être déterminante à elle seule.

69.      Il en découle donc qu’un pourcentage fixe constitue un obstacle à une solution appropriée, dans la mesure où il ne permet pas la prise en compte de l’aménagement concret de la situation et, dans la mesure où, pour les cas ne correspondant pas au critère du pourcentage, il exclut catégoriquement l’usage du critère du contrôle.

70.      Mais il découle du fait que des entités auxquelles participe un associé privé minoritaire peuvent également remplir le critère du contrôle que l’exception de l’affaire Teckal ne vaut pas seulement pour les filiales à 100 %, mais également pour les sociétés d’économie mixte. La participation de sociétés privées n’a donc en principe pas d’impact négatif.

71.     À ce stade, nous pouvons rappeler que l’avocat général Léger a considéré l’exception de l’affaire Teckal comme applicable même pour une participation qui n’était que de 50,5 %  (20) .

72.      Le critère du contrôle développé par la Cour implique en tout cas plus qu’une influence dominante au sens du droit des sociétés ou de ce qui est exigé par les articles 1 ers des directives relatives aux marchés publics pour la qualification de certaines entités comme pouvoir adjudicateur. Une influence dominante au sens de l’article 1 er , point 3, combiné à l’article 13 de la directive 93/38 n’est pas non plus suffisante. En effet, il s’agit en premier lieu d’une réglementation sectorielle, qui n’a pas de pendant dans la directive applicable en l’espèce, et en second lieu, d’une disposition dérogatoire qui doit, en général, être interprétée restrictivement.

73.      Il n’est fait référence aux dispositions des directives sur les marchés publics ni par le législateur communautaire dans les directives ni par la Cour de justice dans l’arrêt Teckal.

74.      Le niveau d’intensité du contrôle exigé en l’espèce ne doit donc pas être repris de certaines dispositions des directives sur les marchés publics et, en raison de son caractère dérogatoire, il va au-delà des exigences des autres réglementations dérogatoires.

75.      Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, il revient au juge national, d’une part, d’interpréter les dispositions nationales et, d’autre part, d’appliquer ces dispositions et d’autres dispositions au cas concret. La juridiction de renvoi devra donc rechercher quels droits la ville de Halle a sur RPL, la filiale de sa sous‑filiale.

76.      Lors de l’application du critère du contrôle, le juge national doit se baser sur les droits de contrôle. Ne serait-ce que pour des motifs de sécurité juridique, il importe peu de savoir si et comment le contrôle est vraiment exercé ou même de prévoir comment l’associé majoritaire utiliserait sa participation, c’est-à-dire s’il se prononcerait lui aussi contre l’associé minoritaire. De ce point de vue, l’importance d’éventuelles obligations de loyauté de l’associé majoritaire doit également être relativisée, particulièrement en raison du fait que, comme l’indique la ville de Halle, les obligations de loyauté de l’associé minoritaire doivent aussi être prises en compte.

77.      En ce qui concerne l’objet du contrôle, l’exception énoncée dans l’affaire Teckal ne l’a pas restreint à certaines décisions de l’entité contrôlée. Un simple contrôle des décisions d’attribution de marché en général ou même de la décision d’attribution de marché en cause n’est donc pas suffisant.

78.      Compte tenu de la formulation et du but du critère du «contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services», il convient d’exiger une possibilité de contrôle complet. Celle-ci ne doit en tout cas pas être limitée aux choix stratégiques, mais doit également inclure les décisions individuelles de gestion. Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, il n’est pas nécessaire d’entrer plus dans les détails, car ce n’est pas indispensable pour la solution du litige au principal.

B –    Second critère: l’essentiel de l’activité est réalisé avec le détenteur des participations

79.      La seconde condition qui doit être remplie pour que l’exception de l’affaire Teckal soit applicable est relative aux activités de l’entité contrôlée. D’après la teneur du passage correspondant de l’arrêt, l’exception n’est applicable que si l’entité «réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent».

80.      Ce critère peut être généralisé dans la mesure où, premièrement, il est tenu compte non seulement des titulaires de participations directes, mais également des propriétaires indirects, comme, en l'espèce, la société «arrière-grand-mère», et où, deuxièmement, d’autres entités que des collectivités territoriales sont concernées.

81.      Le critère mis en place par l’arrêt Teckal est donc relatif à une certaine participation minimale aux activités globalement réalisées par l’entité contrôlée. Il s’agit par conséquent d’apprécier l’ampleur des prestations globales et des prestations réalisées pour l’associé au sens large.

82.      Dans ce cadre, il convient néanmoins de remarquer que le fait que la notion de détenteur de participations ne doit pas être interprétée trop restrictivement ne signifie pas qu’il faille également prendre en compte des prestations à des tiers que l’associé aurait sinon dû fournir lui-même. En pratique, cela concerne surtout les services d’intérêt général et donc les municipalités (communes) qui ont, vis-à-vis de certaines personnes, l’obligation de fournir certaines prestations. Cette question générale ne fait pas l’objet du renvoi préjudiciel, car la juridiction de renvoi n’attend pas de réponse à ce sujet pour la solution du litige en cours.

83.      Il convient encore de préciser que ce sont les activités effectives qui importent et non pas les activités possibles d’après la loi ou les statuts de la société, ni même les activités auxquelles l’entité contrôlée est obligée.

84.      La question centrale est donc de savoir à partir de quelle participation le seuil de l’exception de l’affaire Teckal est atteint. Les opinions à ce sujet sont multiples. Elles vont de plus de 50 % à «exclusivement», en passant par «dans une proportion notable», «essentiellement» et «presque exclusivement».

85.      Dans ce contexte, il existe une approche positive fondée sur l’ampleur des prestations réalisées pour le titulaire des parts, mais également une approche négative. L’approche négative prend pour critère la proportion des prestations fournies à d’autres que le titulaire des parts. En dehors de la présente affaire, ce point de vue se retrouve dans les conclusions de l’avocat général Léger citées par plusieurs parties. D’après lui, «la directive est applicable lorsque cette entité réalise l'essentiel de son activité avec d'autres opérateurs ou d'autres collectivités que celles qui composent ce pouvoir adjudicateur»  (21) . Compte tenu de l’approche positive suivie dans le cadre de l’exception de l’affaire Teckal, il n’y a pas lieu de s’étendre plus avant sur l’approche négative.

86.      Mais le passage précité des conclusions de l’avocat général Léger évoque encore un autre aspect important, qui doit être pris en compte dans le cadre de la détermination de la participation.

87.      Il se pose en effet la question de savoir si l’exception de l’affaire Teckal n’autorise qu’un abord quantitatif ou s’il faut également prendre en compte des éléments qualitatifs. La seconde hypothèse peut s’appuyer sur le libellé et le sens de l’exception, qui n’indique pas comment les activités doivent être évaluées. La version authentique du point correspondant de l’arrêt Teckal, c'est-à-dire la version italienne, n’exclut pas de s’appuyer, à titre complémentaire ou alternatif, sur une approche qualitative («la parte più importante della propria attività»).

88.      En outre, l’exception de l’affaire Teckal ne contient pas non plus d’indication relative au mode de calcul de la participation. Il n’est donc pas évident que seul le chiffre d’affaires importe.

89.      Le juge national doit donc évaluer «le caractère essentiel des activités» au moyen d’éléments quantitatifs et qualitatifs. La position sur le marché de l’entité contrôlée, c'est-à-dire en particulier sa situation concurrentielle par rapport à d’éventuels concurrents, pourrait d’ailleurs également jouer un rôle.

90.      En ce qui concerne les conclusions de l’avocat général Léger citées par plusieurs parties au sujet de la deuxième condition de l’affaire Teckal, il convient de rappeler que les conclusions sont authentiques dans la langue choisie par l’avocat général comme langue de l’original.

91.      Compte tenu de ce principe, il résulte des conclusions de l’avocat général Léger que: d’une part, il se réfère à la «quasi-exclusivité» des prestations fournies, traduite en allemand par «sämtliche Dienstleistungen»  (22) . D’autre part, s’appuyant sur la version dans la langue de procédure italienne, il analyse l’exception de l’affaire Teckal en employant les expressions «en grande partie», traduite en allemand par «im Wesentlichen»  (23) , ou «la plus grande partie de leur activité» (dans la version allemande «den größten Teil ihrer Tätigkeit»)  (24) .

92.      Par souci de précision, plusieurs parties ont proposé d’interpréter le critère du caractère essentiel dans le sens d’une disposition applicable aux passations de marchés avec des entreprises qui sont liées avec le pouvoir adjudicateur. Il s’agit du critère des 80 % de l’article 13 de la directive 93/38. Cela a été justifié par le caractère «objectif» et «approprié» de ce critère.

93.      Il convient de remarquer à ce sujet qu’un autre pourcentage fixe pourrait également être objectif et approprié. Mais la rigidité d’un pourcentage fixe peut aussi constituer un obstacle à une solution appropriée. De plus, il ne permet pas la prise en compte d’éléments qualitatifs.

94.      La possibilité de transposer le critère des 80 % paraît avant tout exclue par le fait qu’il s’agit d’une disposition d’exception d’une directive applicable à certains secteurs seulement. Conformément à la volonté du législateur communautaire, la valeur qui y est déterminée se limite à ladite directive. Bien qu’en pratique l’idée fondamentale puisse aussi être appliquée en dehors de ces secteurs, il reste qu’aucune telle réglementation ne figure dans la directive applicable en l’espèce.

95.      Le recours à l’article 13 de la directive 93/38 est exclu pour un autre motif encore. Son paragraphe 2 oblige en effet les entités adjudicatrices à fournir certaines informations à la Commission, sur demande de cette dernière. Cette disposition constitue une compensation de droit procédural à l’exception établie à l’article 13. Dans le cadre de l’exception de l’affaire Teckal, la Cour a cependant suivi une autre voie. Elle s’est contentée des deux conditions de nature matérielle posées par cette exception. Ces conditions doivent être interprétées de manière restrictive, justement en raison de l’absence d’une réglementation de droit procédural comparable.

VII – Conclusion

96.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons de répondre aux questions préjudicielles comme suit:

«1)
L’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fourniture et de travaux, doit être interprété en ce sens que, sous certaines conditions, les États membres sont tenus d’offrir une possibilité de recours efficace et aussi rapide que possible même contre certaines décisions du pouvoir adjudicateur qui sont prises en dehors d’une procédure de passation de marché; ces décisions peuvent inclure celles portant sur la question préalable de savoir si une acquisition déterminée doit être opérée sans passer par la procédure de passation de marché public.

2)
La directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, doit être interprétée en ce sens que sa non‑application ne peut être exclue du seul fait de la participation détenue par une entreprise privée dans une société cocontractante d’un pouvoir adjudicateur, dans laquelle ce dernier détient directement ou indirectement une participation.

3)
Le point de savoir si un cocontractant dans lequel une personne privée détient une participation au regard du droit des sociétés – ci-après une ‘société de participation du secteur public’ – relève de l’administration publique ou des services du pouvoir adjudicateur dépend de l’aménagement concret de la relation, sans que l’importance de la participation puisse être considérée comme décisive à elle seule.

Les éléments suivants ne sont pas suffisants pour le rattachement:

la domination de la société de participation du secteur public par le pouvoir adjudicateur au sens des articles 1 er , point 2, et 13, paragraphe 1, de la directive 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications;

un large pouvoir de direction portant uniquement sur les décisions d’adjudication en général ou sur les décisions d’adjudication relatives à l’opération d’acquisition en cause.

4)
À la différence du critère établi à l’article 13 de la directive 93/38, le rattachement d’une société de participation aux services du pouvoir adjudicateur, en raison de la ‘réalisation de l’essentiel de son activité avec celui-ci’, ne dépend pas du point de savoir si au moins 80 % du chiffre d’affaires moyen atteint par cette entreprise dans la Communauté au cours des trois dernières années dans le secteur des services proviennent de la fourniture de ces services au pouvoir adjudicateur ou aux entreprises liées à celui-ci ou relevant de lui ou si – dans la mesure où l’entreprise d’économie mixte n’a pas encore accompli trois années d’activité – les prévisions permettent d’escompter que ce seuil de 80 % sera atteint.

Pour se prononcer sur le rattachement au pouvoir adjudicateur, le juge national doit plutôt se baser sur les activités réelles, en tenant notamment compte des éléments qualitatifs et quantitatifs.»


1
Langue originale: l'allemand.


2
Arrêt du 18 novembre 1999 (C‑107/98, Rec. p. I-8121).


3
JO L 395, p. 33, modifiée par l’article 41 de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p.1), la «directive recours» comme l’appelle la juridiction de renvoi.


4
Modifiée à plusieurs reprises; la «directive services» comme l’appelle la juridiction de renvoi.


5
JO L 199, p. 84, modifiée à plusieurs reprises.


6
Au sujet des procédures de passation de marchés, voir arrêts du 16 octobre 2003, Traunfellner (C‑421/01, Rec. p. I‑11941, point 37), et du 4 décembre 2003, EVN et Wienstrom (C‑448/01, non encore publié au Recueil, point 76).

Voir par ailleurs, en particulier, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, point 18); du 15 décembre 1995, Bosman (C‑415/93, Rec. p. I-4921, point 61); du 16 janvier 1997, USSL nº 47 di Biella (C‑134/95, Rec. p. I‑195, point 12), et du 7 janvier 2003, BIAO (C‑306/99, Rec. 2003 p. I-1, point 89).


7
Arrêts Traunfellner (précité note 6), points 38 et suiv., et EVN et Wienstrom (précité note 6), point 83; voir aussi arrêt du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom (C-314/01, non encore publié au Recueil, point 36).


8
Arrêts du 28 octobre 1999, Alcatel Austria e.a. (C‑81/98, Rec. p. I-7671, point 35); du 18 juin 2002, HI (C‑92/00, Rec. p. I‑5553, point 49), et du 19 juin 2003, GAT (C‑315/01, Rec. p. I‑6351, point 52).


9
Arrêt HI (précité note 8), point 53.


10
Voir, en particulier, arrêt du 23 janvier 2003, Makedoniko Metro et Michaniki (C‑57/01, Rec. p. I-1091, point 68). Voir, en outre, les arrêts HI (précité note 8), point 37, et GAT (précité note 8), point 52.


11
Arrêts du 19 juin 2003, Hackermüller (C‑249/01, Rec. p. I-6319, point 18), et du 12 février 2004, Grossmann Air Service (C‑230/02, non encore publié au Recueil, points 25 et suiv.).


12
Arrêt Grossman Air Service (précité note 11), point 28.


13
Arrêt Grossman Air Service (précité note 11), points 29 et suiv.


14
Arrêt Alcatel Austria e.a. (précité note 8), point 33 (c’est nous qui soulignons); voir aussi arrêt du 11 août 1995, Commission/Allemagne (C‑433/93, Rec. p. I-2303, point 23).


15
Arrêt du 15 mai 2003, Commission/Espagne (C‑214/00, Rec. p. I-4667, points 77 et suiv.).


16
Arrêt Teckal (précité note 2), point 50 (c’est nous qui soulignons).


17
Arrêts du 7 décembre 2000, ARGE (C‑94/99, Rec. p. I-11037, point 40), et Teckal (précité note 2), point 50.


18
Voir ordonnance du 14 novembre 2002, Comune di Udine e.a. (C‑310/01, non publiée au Recueil).


19
Voir, en revanche, l’avocat général Léger, qui, dans ses conclusions du 15 juin 2000 dans l’affaire ARGE (précitée note 17), point 66, exige même que le pouvoir adjudicateur «qui sollicite de l'opérateur la réalisation de différents services soit précisément la collectivité qui exerce sur lui un contrôle étroit et non une autre autorité».


20
Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ARGE (précitée note 17), point 60.


21
Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ARGE (précitée note 17), point 93 (c’est nous qui soulignons).


22
Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ARGE (précitée note 17), point 74.


23
Ibidem, point 81.


24
Ibidem, point 83.