Affaire T-351/02

Deutsche Bahn AG

contre

Commission des Communautés européennes

« Aides d'État — Plainte d'un concurrent — Directive 92/81/CEE — Droits d'accises sur les huiles minérales — Huiles minérales utilisées comme carburant pour la navigation aérienne — Exonération de l'accise — Lettre de la Commission à un plaignant — Recours en annulation — Recevabilité — Acte attaquable — Règlement (CE) nº 659/1999 — Notion d'aide — Imputabilité à l'État — Égalité de traitement »

Arrêt du Tribunal (première chambre élargie) du 5 avril 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Recours en annulation — Actes susceptibles de recours — Notion — Actes produisant des effets juridiques obligatoires

(Art. 230, al. 4, CE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 4, § 2, 10, § 1, 20 et 25)

2.     Aides accordées par les États — Notion — Octroi d'avantages imputable à l'État

(Art. 87, § 1, CE; directive du Conseil 92/81, art. 8, § 1, b))

3.     Aides accordées par les États — Examen des plaintes

(Art. 253 CE; directive du Conseil 92/81)

4.     Transports — Transports aériens — Directive 92/81

(Directive du Conseil 92/81, art. 8, § 1, b))

1.     Seules les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, constituent des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 230 CE. Ainsi, sont susceptibles d'un recours en annulation toutes les dispositions prises par les institutions, quelles qu'en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit.

Tel est le cas d'une lettre adressée à une entreprise plaignante par la Commission, lorsque celle-ci, ayant reçu des informations concernant une prétendue aide illégale, et de ce fait obligée de les examiner sans délai en application de l'article 10, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999, ne se contente pas, comme lui en ouvre la possibilité l'article 20 dudit règlement, d'informer la plaignante qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas, mais prend une position claire, motivée et définitive en indiquant que la mesure en cause ne constitue pas une aide, car, ce faisant, la Commission ne peut, en effet, qu'adopter une décision au titre de l'article 4, paragraphe 2, dudit règlement. La Commission n'est dès lors pas en droit de l'exclure du contrôle du juge communautaire en déclarant n'avoir pas pris une telle décision, en essayant de la retirer, ou en décidant de ne pas adresser la décision à l'État membre concerné, en violation de l'article 25 du règlement nº 659/1999.

Le motif pour lequel la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle il n'y a pas d'aide d'État, ainsi que la circonstance que l'examen préliminaire n'a pas nécessité de sa part une analyse approfondie et prolongée des informations qui faisaient l'objet de la plainte, sont indifférents à cet égard.

Il est également indifférent que la lettre litigieuse ne résulte pas de l'adoption d'une décision définitive sur la plainte par le collège des commissaires, une telle décision ne pouvant être adoptée que si une proposition à cette fin a été présentée par le membre de la Commission responsable.

Peu importe enfin que la lettre de la Commission n'ait pas été publiée; il n'est, en effet, pas nécessaire qu'un acte soit publié pour qu'il puisse faire l'objet d'un recours en annulation.

(cf. points 35, 41, 43, 49, 51-52, 58-59)

2.     L'article 87, paragraphe 1, CE vise les décisions des États membres par lesquelles ces derniers, en vue de la poursuite d'objectifs économiques et sociaux qui leur sont propres, mettent, par des décisions unilatérales et autonomes, à la disposition des entreprises ou d'autres sujets de droit des ressources ou leur procurent des avantages destinés à favoriser la réalisation des objectifs économiques ou sociaux recherchés. Il s'ensuit que, pour que des avantages puissent être qualifiés d'aides au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, ils doivent, notamment, être imputables à l'État.

Tel n'est pas le cas de l'exonération fiscale prévue par une réglementation nationale qui ne fait que mettre en oeuvre l'article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales, cette dernière disposition imposant aux États membres une obligation claire et précise de ne pas soumettre à l'accise harmonisée le carburant utilisé pour la navigation aérienne commerciale. En transposant l'exonération en droit national, les États membres ne font, en effet, qu'exécuter des dispositions communautaires conformément à leurs obligations issues du traité. Il s'ensuit que la disposition nationale en cause n'est pas imputable à l'État membre, mais découle, en réalité, d'un acte du législateur communautaire. Peu importe à cet égard que l'exonération ait été accordée au moyen de ressources d'État, l'imputabilité d'une aide à un État étant distincte de la question de savoir si l'aide a été octroyée au moyen de ressources d'État. Il s'agit, en effet, de conditions distinctes et cumulatives. Certaines des conditions essentielles à l'application de l'article 87 CE n'étant ainsi pas satisfaites, une telle exonération ne relève donc pas du champ d'application de cet article.

(cf. points 99-104)

3.     La motivation exigée par l'article 253 CE doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

Satisfait à une telle exigence la décision de la Commission rejetant une plainte au motif que l'exonération fiscale dénoncée constitue la mise en oeuvre de la directive 92/81, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales, et non une tentative d'octroyer une aide, une telle motivation, bien que sommaire, étant suffisamment claire et compréhensible.

(cf. points 119-120)

4.     Le principe d'égalité de traitement interdit de traiter d'une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certains opérateurs par rapport à d'autres, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié.

L'exonération fiscale du carburant pour avions fondée sur l'article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales, et sur la norme de transposition en droit interne de cette disposition ne viole pas le principe d'égalité de traitement, dès lors que la situation des entreprises de transport aérien est manifestement distincte de celle des entreprises de transport ferroviaire. En ce qui concerne leurs caractéristiques opérationnelles, la structure de leurs coûts et les dispositions réglementaires auxquelles ils sont soumis, les services de transport aérien et ferroviaire sont, en effet, très différents et ne sont pas comparables au sens du principe d'égalité de traitement. En outre, et en tout état de cause, cette différence de traitement est objectivement justifiée, eu égard au large pouvoir d'appréciation du Conseil quant à la justification objective d'un éventuel traitement différent. En effet, au vu de la pratique internationale de l'exonération d'accises au profit du carburant pour avions, qui est consacrée par la convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944, ainsi que par des accords bilatéraux conclus entre États, la concurrence entre les opérateurs communautaires de transport aérien et les opérateurs des États tiers serait faussée si le législateur communautaire imposait unilatéralement des droits d'accises sur ce carburant.

(cf. points 137-139)




ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

5 avril 2006 (*)

« Aides d’État – Plainte d’un concurrent – Directive 92/81/CEE – Droits d’accises sur les huiles minérales – Huiles minérales utilisées comme carburant pour la navigation aérienne – Exonération de l’accise – Lettre de la Commission à un plaignant – Recours en annulation – Recevabilité – Acte attaquable – Règlement (CE) n° 659/1999 – Notion d’aide – Imputabilité à l’État – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T-351/02,

Deutsche Bahn AG, établie à Berlin (Allemagne), représentée initialement par Mes M. Schütte, M. Reysen et W. Kirchhoff, puis par Mes Schütte et Reysen, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et J. Flett, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme A.-M. Colaert, MM. F. Florindo Gijón et C. Saile, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 12 septembre 2002 portant rejet d’une plainte déposée par la requérante le 5 juillet 2002,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. D. Cooke, R. García-Valdecasas, Mmes I. Labucka et V. Trstenjak, juges,

greffier : Mme K. Andova, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), prévoyait que les États membres devaient appliquer aux huiles minérales une accise harmonisée conformément à cette directive.

2       Conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 92/81, les États membres devaient exonérer de l’accise harmonisée, notamment, les « huiles minérales fournies en vue d’une utilisation comme carburant pour la navigation aérienne autre que l’aviation de tourisme privée ».

3       La directive 92/81 a été abrogée avec effet au 31 décembre 2003 par la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51).

4       Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du Mineralölsteuergesetz (loi allemande sur la fiscalité des huiles minérales) du 21 décembre 1992 (BGBl. 1992 I, p. 2185, rectificatif au BGBl. 1993 I, p. 169, ci-après le « MinöStG ») :

« 1. Sous réserve des dispositions de l’article 12, les huiles minérales peuvent être utilisées en exonération de taxe

[…]

3)      comme carburant pour la navigation aérienne

a)      par les compagnies aériennes assurant le transport commercial de personnes et de biens ou la fourniture à titre onéreux de services,

[…] »

5       Selon l’article 4 du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1) :

« 1. La Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception. Sans préjudice de l’article 8, elle prend une décision en application des paragraphes 2, 3 ou 4.

2. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.

3. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article [87], paragraphe 1, du traité, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché commun […]. Cette décision précise quelle dérogation prévue par le traité a été appliquée.

4. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article [88], paragraphe 2, du traité […] »

6       L’article 10 du règlement n° 659/1999 se lit comme suit :

« 1. Lorsque la Commission a en sa possession des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source, elle examine ces informations sans délai.

2. Le cas échéant, elle demande à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements. L’article 2, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphes 1 et 2, s’appliquent mutatis mutandis.

[…] »

7       L’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999 prévoit :

« L’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4 […] »

8       Selon l’article 20 du règlement nº 659/1999 :

« […]

2. Toute partie intéressée peut informer la Commission de toute aide illégale prétendue et de toute application prétendue abusive de l’aide. Lorsque la Commission estime, sur la base des informations dont elle dispose, qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas, elle en informe la partie intéressée. Lorsque la Commission prend une décision sur un cas concernant la teneur des informations fournies, elle envoie une copie de cette décision à la partie intéressée.

3. À sa demande, toute partie intéressée obtient une copie de toute décision prise dans le cadre de l’article 4, de l’article 7, de l’article 10, paragraphe 3, et de l’article 11. »

9       Aux termes de l’article 25 du règlement nº 659/1999 :

« Les décisions prises en application des chapitres II, III, IV, V et VII sont adressées à l’État membre concerné. La Commission notifie ces décisions sans délai à l’État membre concerné et donne à ce dernier la possibilité de lui indiquer les informations qu’il considère comme étant couvertes par l’obligation du secret professionnel. »

 Faits et procédure

10     Deutsche Bahn AG est l’entreprise ferroviaire nationale allemande. Estimant que l’exonération fiscale prévue par l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG dont bénéficie le carburant pour avions entraînait une distorsion de concurrence entre les entreprises de transport ferroviaire (plus particulièrement en ce qui concerne les trains à grande vitesse) et les entreprises de transport aérien, la requérante a, par lettre du 5 juillet 2002, saisi la Commission d’une plainte concernant ladite exonération et l’a invitée à ouvrir une procédure d’examen au titre de l’article 88 CE.

11     Le 12 septembre 2002, Mme  Loyola de Palacio, à l’époque membre de la Commission en charge des transports, a envoyé à la requérante une lettre, erronément datée du 21 septembre 2002, rédigée comme suit (ci-après la « décision attaquée ») :

« Je vous remercie pour votre récente lettre relative à la concurrence en Allemagne entre Deutsche Bahn et les ‘compagnies aériennes low-cost’, dans laquelle vous demandez à la Commission de prendre des mesures à l’encontre de l’exonération fiscale pour le carburant d’aviation.

Dans la plainte formelle annexée à votre lettre, vous soutenez que l’exonération fiscale pour le carburant d’aviation n’est pas compatible avec le marché interne. Cependant, la Commission européenne considère que l’exonération en cause ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE. L’exonération fiscale est basée sur la directive du Conseil concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales, qui a été adoptée à l’unanimité par les États membres, conformément à l’article 93 […] CE. Il convient en outre de souligner que la directive ne laisse aucune marge d’appréciation à l’État membre. Par conséquent, l’exonération fiscale mentionnée à l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du [MinöStG] doit être considérée comme étant une mise en œuvre de la directive [92/81], et non pas comme une tentative d’octroyer une aide.

De plus, la directive européenne est conforme à la pratique internationale, fondée sur les politiques établies par l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI) dans le cadre de la convention sur l’aviation civile internationale (ci-après la ‘convention de Chicago’).

Étant donné que l’exonération fiscale pour le carburant d’aviation n’est pas considérée comme soulevant des problèmes d’aide d’État, la Commission n’a pas l’intention d’initier une procédure d’enquête en matière d’aide d’État, en application de l’article 88 […] CE.

La Commission européenne a effectivement – ainsi que vous le faites observer à juste titre dans votre lettre – examiné de manière répétée le problème de l’exonération fiscale. À plusieurs occasions, la Commission a demandé que la question soit discutée dans le cadre de l’OACI avec pour objectif l’introduction d’une taxe sur le carburant pour avions ou des mesures équivalentes. Un groupe de travail de l’OACI examine actuellement les modalités d’introduction, pour l’aviation civile internationale, de mesures fondées sur le marché, telles que des taxes, des échanges de quotas d’émission et des mécanismes volontaires.

Indépendamment de la question du droit international, la Commission européenne fait observer, dans son livre blanc sur la politique européenne des transports, publié en 2001, que l’on pourrait prendre en considération ‘la suppression de l’exonération fiscale du carburant pour avions sur les vols intracommunautaires. Cette approche n’est pas sans difficulté, puisqu’elle exigerait une égalité de traitement vis-à-vis des transporteurs non communautaires assurant des vols intracommunautaires’. Jusqu’à ce jour, les efforts de la Commission n’ont abouti à aucune modification de [la directive 92/81]. »

12     En réponse à cette lettre, la requérante a, le 30 septembre 2002, adressée à la Commission une lettre rédigée comme suit :

« Je vous remercie pour votre lettre du [12] septembre 2002, dans laquelle vous prenez position sur la plainte déposée par Deutsche Bahn contre l’exonération des droits d’accises sur les huiles minérales pour le carburant d’aviation. C’est avec intérêt et satisfaction que j’ai pris connaissance du fait que la Commission également ne considère plus l’exonération fiscale pour le kérosène comme opportune. À cet égard, Deutsche Bahn se voit expressément confirmée dans son opinion selon laquelle l’exonération des droits d’accises sur les huiles minérales entraîne toujours plus de concurrence déloyale, en particulier de la part des compagnies aériennes low-cost, aux dépens du transport par train à grande vitesse ICE.

Par conséquent, nous sommes d’autant plus déçus que vous ne vouliez mettre en œuvre aucune enquête en matière d’aide d’État portant sur cette exonération fiscale qui fausse la concurrence. Nous vous demandons de revoir encore une fois votre position. Selon nous, l’adoption de la directive relative aux huiles minérales ne s’oppose pas à un examen des aspects relatifs aux aides d’État. À l’époque, il n’y avait pas de concurrence entre le rail et le transport aérien. Cette situation s’est modifiée au cours des dix dernières années. Selon nous, la Commission peut et doit tenir compte de cette modification.

Si la Commission devait s’en tenir à la position juridique avancée dans votre lettre, cette question devrait être soumise aux juridictions européennes compétentes aux fins d’un éclaircissement.

En espérant pouvoir éviter une telle procédure judiciaire, nous restons à votre disposition. »

13     Dans une lettre du 25 novembre 2002, reçue par la requérante postérieurement à l’introduction du présent recours, Mme  Loyola de Palacio a reproduit en substance le contenu de sa lettre du 12 septembre 2002.

14     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 novembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

15     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2002, elle a également introduit un recours en carence (enregistré sous le numéro T‑361/02) tendant à faire constater que la Commission s’est illégalement abstenue de statuer sur sa plainte.

16     Le 9 janvier 2003, Mme  Loyola de Palacio a envoyé à la requérante une lettre rédigée comme suit :

« Je me réfère à mes lettres du 12 septembre 2002, qui a été datée par erreur du 21 septembre, et du 25 novembre 2002, dont je voudrais répéter et confirmer le contenu à la lumière des événements ultérieurs.

Je suis d’avis que cette affaire ne relève pas des règles relatives aux aides d’État. Ni moi ni la Commission européenne n’ont adopté à cet égard une décision en application du règlement [nº 659/1999] ou sur la base d’un autre fondement juridique. La Commission n’a pas non plus adopté de position. Il ressort clairement des lettres précitées que je partage cette opinion. Toutefois, afin d’écarter une éventuelle méprise de votre part, vous pouvez considérer toute partie de mes lettres dont vous ou votre conseil tirez une autre conclusion comme étant soit conforme à ma position, soit comme étant retirée. »

17     Le même jour, la Commission a envoyé cette lettre au Tribunal, en l’informant qu’elle avait retiré les deux lettres susmentionnées des 12 septembre et 25 novembre 2002. La Commission en concluait que le présent recours était devenu sans objet.

18     Le 25 février 2003, la requérante a présenté ses observations sur cette lettre du 9 janvier 2003, dans lesquelles elle soulignait qu’elle conservait un intérêt à poursuivre le recours.

19     Par ordonnance du 6 novembre 2003, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal a autorisé le Conseil à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans la présente affaire. Le mémoire en intervention du Conseil a été déposé le 22 décembre 2003. La requérante a déposé ses observations sur ce mémoire le 15 mars 2004.

20     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d’organisation de la procédure, a invité les parties à répondre à certaines questions. Celles-ci ont déféré à ces demandes.

21     Par ordonnance du 20 juin 2005, Deutsche Bahn/Commission (T‑361/02, non publiée au Recueil), le Tribunal a rejeté le recours en carence introduit par la requérante comme manifestement irrecevable.

22     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 21 septembre 2005.

 Conclusions des parties

23     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer le recours recevable ;

–       annuler la décision attaquée et condamner la Commission aux dépens ;

–       à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal déciderait que la décision attaquée a été abrogée ou retirée par la lettre du 9 janvier 2003, constater que cette dernière décision est nulle et condamner la Commission aux dépens ;

–       à titre très subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal déciderait qu’il n’y a pas lieu de statuer, condamner la Commission aux dépens en application des dispositions combinées de l’article 87, paragraphe 6, et de l’article 90, sous a), du règlement de procédure du Tribunal.

24     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé ;

–       condamner la requérante aux dépens.

25     Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal, dans l’hypothèse où il considérerait le recours comme recevable, de déclarer l’exception d’illégalité soulevée par la requérante manifestement non fondée et de condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

26     En premier lieu, la Commission fait valoir que la lettre du 12 septembre 2002 ne constitue pas un acte attaquable. Elle prétend que cette lettre n’a pas d’effet juridique en ce que Mme  Loyola de Palacio y informait la requérante d’une situation juridique claire, à savoir le fait que l’information fournie par cette dernière le 5 juillet 2002 n’entrait pas dans le champ d’application de la réglementation relative aux aides d’État, et que, pour cette raison, l’exonération en cause ne pouvait constituer une aide d’État. Selon la Commission, Mme Loyola de Palacio n’avait pas l’intention de régler l’affaire de façon juridiquement contraignante. La Commission souligne, en outre, que la décision attaquée ne saurait être qualifiée de décision en matière d’aides d’État eu égard à l’absence en l’espèce de certaines des caractéristiques de la procédure applicable en cette matière, relatives à l’adoption de telles décisions par la Commission, à leur publication et au fait qu’elles sont adressées à l’État membre (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, ci-après l’« arrêt Sytraval », point 45). Même si le règlement n° 659/1999 devait trouver à s’appliquer en l’espèce, la décision attaquée ne serait rien d’autre qu’une communication informelle d’informations, telle que prévue par l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase, de ce règlement et serait, dès lors, inattaquable.

27     La Commission ajoute que les arrêts cités par la requérante concernant le prétendu effet juridique de la décision attaquée sont dépourvus de pertinence en ce que soit ils ont été rendus avant l’adoption du règlement n° 659/1999, soit ils ne portent pas sur des faits susceptibles de relever de l’article 20 de ce règlement. Par ailleurs, la requérante jouerait avec les mots lorsqu’elle prétend que la Commission s’est effectivement prononcée sur le cas qui lui avait été soumis et que l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 ne serait donc pas applicable. La Commission soutient qu’elle n’aurait pas pu se prononcer sur ce cas, puisqu’elle savait déjà, au moment de l’introduction de la plainte, que les faits qui lui étaient communiqués ne concernaient pas des aides d’État et encore moins des aides illégales ou abusivement appliquées.

28     En second lieu, la Commission affirme que la requérante n’a pas d’intérêt à agir. En effet, la lettre du 12 septembre 2002, à supposer même qu’elle ait été un acte attaquable, aurait été retirée par la lettre du 9 janvier 2003 et serait donc dépourvue d’effets.

29     En tout état de cause, cette dernière lettre confirmerait l’opinion juridique exprimée le 12 septembre 2002 et indiquerait aussi, sans aucune ambiguïté, qu’il s’agit seulement d’une opinion juridique personnelle qui ne lie pas la Commission et que cette dernière n’a pas adopté la moindre décision.

30     La Commission précise à cet égard que ce serait uniquement pour le cas où « le ou les avocats du destinataire de la lettre du 12 septembre 2002 en auraient tiré d’autres conclusions qu’il fallait préciser, dans la dernière phrase [de la lettre du 9 janvier 2003], que dans ce cas, on préférait retirer les passages auxquels une autre interprétation était donnée avant qu’ils ne fassent l’objet d’un litige superflu et évitable ».

31     Selon la Commission, il n’existe aucun risque qu’elle réitère le comportement en cause à l’avenir. En effet, il suffirait pour la requérante de former une demande fondée sur l’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 pour que la Commission y réponde par une décision adressée à la République fédérale d’Allemagne, qui serait alors effectivement susceptible de recours. La requérante recevrait, conformément à l’article 20, paragraphe 3, de ce règlement, une copie de cette décision.

32     La requérante considère que le présent recours est recevable. Elle fait notamment valoir que la lettre du 12 septembre 2002 est un acte attaquable en ce que la Commission y émet une opinion juridique définitive qui produit des effets obligatoires (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 10, et ordonnance du Tribunal du 30 septembre 1999, UPS Europe/Commission, T‑182/98, Rec. p. II‑2857, point 39).

33     Elle insiste sur le fait que le recours n’est pas devenu sans objet à la suite de la lettre du 9 janvier 2003. Elle conserverait un intérêt à agir en ce qu’il n’y a pas eu de retrait valide de la décision attaquée. D’ailleurs, à supposer même que la lettre du 12 septembre 2002 ait été retirée, son intérêt légitime à la constatation de l’illégalité de cette lettre n’en demeurerait pas moins intact.

 Appréciation du Tribunal

34     En vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale peut former un recours contre une décision dont elle est la destinataire.

35     Selon une jurisprudence constante, seules les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE (arrêt IBM/Commission, point 32 supra, point 9, et arrêt du Tribunal du 18 septembre 2001, Métropole Télévision – M6 e.a./Commission, T‑112/99, Rec. p. II‑2459, point 35). Ainsi, sont susceptibles d’un recours en annulation toutes les dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêt de la Cour du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 263, point 42, et arrêt du Tribunal du 10 avril 2003, Le Pen/Parlement, T‑353/00, Rec. p. II‑1729, point 77).

36     La requérante allègue, dans sa plainte, que l’exonération prévue par l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG en faveur des seules compagnies aériennes fausse la concurrence entre le transport aérien, en particulier dans le cas des compagnies pratiquant des bas tarifs, et le transport ferroviaire sur le marché du transport des passagers, en violation de l’article 87 CE.

37     Dans la lettre du 12 septembre 2002, la Commission répond qu’elle considère que l’exonération en cause ne saurait constituer une aide d’État en ce qu’elle résulte de la transposition de la directive 92/81, à savoir un acte communautaire et que, en conséquence, les règles concernant les aides d’État ne s’appliquent pas (voir point 11 ci-dessus).

38     Dans le cadre du présent recours, la Commission fait valoir que la lettre du 12 septembre 2002 n’est pas un acte attaquable (voir point 26 ci-dessus).

39     Afin de vérifier si ladite lettre constitue une mesure attaquable, il convient, tout d’abord, d’établir l’objet de la lettre de la requérante du 5 juillet 2002 à laquelle elle répond.

40     Force est de constater que la lettre de la requérante du 5 juillet 2002 avait pour objet de saisir la Commission d’une plainte motivée concernant une prétendue violation de l’article 87 CE. Cette plainte, comportant plus de 800 pages, comprenait un grand nombre d’éléments de preuve, de données économiques et de statistiques, visant à corroborer l’allégation concernant l’existence d’une aide d’État et, notamment, d’une distorsion de la concurrence résultant de l’exonération en cause. Dans sa plainte, la requérante demandait explicitement à la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen au titre de l’article 88 CE.

41     Indépendamment de la question de savoir si la plainte était fondée ou non, il est évident que, en recevant cette plainte, la Commission a été mise en possession d’« informations concernant une aide prétendue illégale » au sens de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999. Il ressort de cette dernière disposition que la Commission doit examiner de telles informations sans délai (voir point 6 ci-dessus). Elle est en droit pour ce faire, mais pas obligée à ce stade, de contacter l’État membre concerné.

42     En vertu de l’article 13 du règlement nº 659/1999, l’examen préliminaire d’une « éventuelle aide illégale » doit déboucher sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4 (voir point 7 ci-dessus). En particulier, l’article 4, paragraphe 2, du même règlement prévoit que si, après un examen préliminaire, la Commission constate que la mesure concernée par l’information en sa possession ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision (voir point 5 ci-dessus).

43     En dehors de cette possibilité de prendre une décision en vertu de l’article 4 du règlement nº 659/1999, la Commission, lorsqu’elle est saisie d’informations visant l’existence éventuelle d’une aide d’État, n’a d’autre choix que d’informer les parties intéressées, en application de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase, du même règlement qu’il « n’y a pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas » (voir point 8 ci-dessus).

44     En l’espèce, il est manifeste que la lettre du 12 septembre 2002 ne contient pas de décision de ne pas soulever d’objections au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, ou de décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen selon le même article, paragraphe 4. Dès lors, il y a lieu de déterminer si elle contient une décision au sens de l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement ou si elle constitue simplement une communication informelle, telle que prévue par l’article 20, paragraphe 2, du même règlement.

45     Le Tribunal considère que la Commission, contrairement à ce qu’elle soutient, n’a pas emprunté en l’espèce la voie offerte par l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n° 659/1999. Loin de faire valoir qu’il n’existe pas de motifs suffisants pour se prononcer sur la plainte, la Commission, tant dans la décision attaquée que dans les lettres du 25 novembre 2002 et du 9 janvier 2003, prend une position claire et définitive. Elle constate que la plainte ne permet pas d’identifier l’existence d’une aide d’État en ce que l’exonération en cause ne découle pas d’une décision des autorités allemandes de fournir une aide, mais qu’elle est la conséquence de l’obligation imposée à l’Allemagne de transposer la directive 92/81 (voir point 11 ci-dessus).

46     Il convient de rappeler, à cet égard, que, dans son ordonnance Deutsche Bahn/Commission, point 21 supra, le Tribunal a rejeté le recours en carence introduit par la requérante dans l’affaire T-361/02, au motif que la lettre du 12 septembre 2002 constituait une « prise de position claire et explicite sur la plainte de la requérante » (point 20).

47     Ainsi, cette lettre ne saurait être interprétée comme se bornant à informer la requérante de l’absence de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas, au sens de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n° 659/1999. Dans ladite lettre, la Commission a adopté une position explicite et motivée.

48     Quant à la question de savoir si la lettre du 12 septembre 2002 contient une décision telle que celle prévue par l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999, à savoir la constatation par la Commission, après un examen préliminaire, que la mesure en question ne constitue pas une aide, il y a lieu de relever qu’il y est expressément indiqué que la Commission estime que « l’exonération en cause ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE » (voir point 11 ci-dessus).

49     Ainsi, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 10 du règlement nº 659/1999, la Commission a examiné les informations fournies par la requérante et a conclu, dans la lettre du 12 septembre 2002, à l’absence d’aide au motif que l’exonération n’était pas imputable à l’État membre concerné. Il est donc établi que cette lettre contient une décision au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999. Le motif pour lequel la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle il n’y a pas d’aide d’État, ainsi que la circonstance que l’examen préliminaire n’a pas nécessité de sa part une analyse approfondie et prolongée des informations qui faisaient l’objet de la plainte, sont indifférents à cet égard.

50     La Commission soutient que la lettre du 12 septembre 2002 ne saurait être considérée comme une décision telle que celle visée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 au motif que la plainte introduite le 5 juillet 2002 n’entrait pas dans le champ d’application du régime des aides d’État. La Commission ajoute que la lettre n’était pas adressée ni communiquée à un État membre, ainsi que le requiert l’article 25 du même règlement (voir point 9 ci-dessus).

51     Ces arguments ne sauraient être accueillis. Tout d’abord, il est de jurisprudence constante que la forme dans laquelle des actes ou décisions sont pris est, en principe, indifférente en ce qui concerne la possibilité de les attaquer par un recours en annulation et que c’est à leur substance qu’il y a lieu de s’attacher pour déterminer s’ils constituent des actes au sens de l’article 230 CE (voir la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T‑3/93, Rec. p. II‑121, points 43, 57 et 58).

52     De plus, comme il a été indiqué au point 41 ci-dessus, lorsque la Commission est saisie d’informations concernant une aide prétendue illégale, elle est obligée d’examiner ces informations sans délai en application de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999. Si, comme en l’espèce, la Commission ne se contente pas d’informer la partie intéressée qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour se prononcer sur le cas, mais prend une position claire et motivée en indiquant que la mesure en cause ne constitue pas une aide, elle ne peut procéder que conformément à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement. Ayant adopté une décision qui comporte en substance une décision prise en vertu de cette dernière disposition, la Commission n’est pas en droit de l’exclure du contrôle du juge communautaire en déclarant n’avoir pas pris une telle décision, en essayant de la retirer, ou en décidant de ne pas adresser la décision à l’État membre concerné, en violation de l’article 25 du règlement n° 659/1999.

53     La Commission ne saurait davantage invoquer à cet égard la jurisprudence de la Cour et, en particulier, l’arrêt Sytraval. Ce dernier arrêt a, en effet, été prononcé avant que le régime procédural des plaintes dans le cadre des aides d’État soit établi par le règlement n° 659/1999. Ce dernier règlement vise à codifier et à étayer la pratique de la Commission en la matière, en conformité avec la jurisprudence de la Cour (considérant 2 du règlement).

54     Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sytraval, la Commission avait adopté une décision adressée à l’État membre concerné et rejetant la plainte en cause, mais n’avait pas communiqué le texte de cette décision aux plaignantes (arrêt Sytraval, points 14 et 46). La Commission avait seulement informé les plaignantes de l’effet de sa décision (point 15). La Cour a jugé que c’était la décision adressée à l’État membre qui devait, le cas échéant, faire l’objet d’un recours en annulation et non la communication adressée aux plaignantes (point 45).

55     En l’espèce, la Commission n’a pas adressé de décision à la République fédérale d’Allemagne concernant la prétendue aide d’État. Si la Commission avait, ainsi qu’il lui appartenait en vertu de l’article 25 du règlement n° 659/1999, adressé une telle décision aux autorités allemandes, la requérante, en sa qualité de bénéficiaire des garanties de procédure prévues par l’article 88, paragraphe 2, CE, aurait été en droit de contester sa validité en tant que personne directement et individuellement concernée par la décision en cause au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt Sytraval, points 41 et 48). Dès lors, la Commission ne peut invoquer le fait qu’elle n’a pas adressé de décision à l’État membre, et ainsi son non-respect de l’article 25 du règlement n° 659/1999, pour priver la requérante de ses garanties de procédure.

56     Il convient d’ajouter qu’il ressort explicitement du règlement n° 659/1999 que celui-ci vise, notamment, à accroître la sécurité juridique, en particulier en ce qui concerne les procédures à suivre en matière d’aides d’État (considérants 3, 7 et 11). Il serait manifestement porté atteinte à cet objectif si la Commission était en droit de régler des affaires en la matière en dehors du cadre procédural prévu par ce règlement.

57     En outre, contrairement à ce que soutient la Commission (voir point 29 ci-dessus), Mme Loyola de Palacio n’a nullement précisé, ni dans la décision attaquée (voir point 11 ci-dessus), ni dans sa lettre du 9 janvier 2003 (voir point 16 ci-dessus), qu’elle avait exprimé un avis personnel dans cette décision. Au contraire, elle a manifestement pris une décision administrative au nom de la Commission.

58     À cet égard, il est indifférent que cette lettre ne résulte pas de l’adoption d’une décision définitive sur la plainte par le collège des commissaires (voir point 26 ci-dessus). Une telle décision ne peut être adoptée que si une proposition à cette fin a été présentée par le membre de la Commission responsable. La lettre du 12 septembre 2002 laisse entendre que Mme Loyola de Palacio n’avait aucune intention de présenter le dossier au collège. Elle a déclaré, en effet, que la plainte n’était pas susceptible de faire l’objet d’un examen dans le cadre de l’article 87 CE et du règlement n° 659/1999 et que, de ce fait, elle ne pouvait faire l’objet d’une quelconque décision du collège.

59     Quant au fait que la lettre n’ait pas été publiée (voir point 26 ci-dessus), il suffit de constater qu’il n’est pas nécessaire qu’un acte soit publié pour faire l’objet d’un recours en annulation.

60     Par ailleurs, la Commission affirme que la requérante n’a pas d’intérêt à agir en ce que la lettre du 12 septembre 2002 aurait été retirée par la lettre du 9 janvier 2003 (voir point 16 ci-dessus) et serait donc dépourvue d’effets (voir point 28 ci-dessus).

61     Il convient de constater d’emblée que la lettre du 9 janvier 2003 est rédigée de manière ambiguë. D’une part, se référant aux lettres des 12 septembre et 25 novembre 2002, le membre de la Commission déclare qu’il « voudrai[t] répéter et confirmer le contenu à la lumière des événements ultérieurs ». D’autre part, il indique que la requérante peut « considérer toute partie de [s]es lettres dont [elle] ou [son] conseil tir[e] une autre conclusion comme étant soit conforme à [s]a position, soit comme étant retirée ». Eu égard à ces termes particulièrement ambigus, le Tribunal considère que cette lettre doit être lue en défaveur de la position de la Commission.

62     Il ressort de la lettre du 9 janvier 2003 que la Commission maintenait sa position selon laquelle aucun examen de la plainte dans le cadre de l’article 88 CE n’était justifié. Ainsi, elle n’a pas modifié sa position selon laquelle l’exonération fiscale ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et n’a pas ouvert la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE. En effet, elle a expressément confirmé le contenu de la lettre du 12 septembre 2002 dans sa lettre du 25 novembre 2002 ainsi que, comme la Commission l’admet dans ses écritures, également dans sa lettre du 9 janvier 2003. La Commission n’a pas, non plus, décidé de réexaminer sa position.

63     Il ressort de tout ce qui précède que la lettre du 12 septembre 2002 contient en substance une décision au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 et qu’elle conserve des effets juridiques malgré la lettre du 9 janvier 2003. Dès lors, le présent recours est recevable et il y a toujours lieu de statuer sur celui-ci.

 Sur le fond

64     La requérante invoque six moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du principe de légalité, le deuxième d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième d’une violation de l’article 87 CE, le quatrième d’une violation de l’article 88 CE, le cinquième d’une application erronée de l’article 307 CE, et le sixième d’une violation du principe d’égalité de traitement.

65     Il convient d’examiner, ensemble, les premier, troisième et quatrième moyens.

 Sur les premier, troisième et quatrième moyens

 Arguments des parties

66     Dans le cadre du troisième moyen, la requérante fait valoir que l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG constitue une aide d’État, au sens de l’article 87 CE, qui est incompatible avec le marché commun.

67     En premier lieu, elle fait remarquer que, les compagnies aériennes opérant en Allemagne étant totalement exonérées des droits d’accises généraux sur les huiles minérales en vertu de l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG, leurs charges fiscales sont considérablement atténuées, de sorte qu’elles bénéficient d’un avantage financier.

68     En deuxième lieu, les pertes de recettes dues à cette exonération (435 millions d’euros en 2002) étant à la charge du budget allemand, l’avantage octroyé serait accordé au moyen de ressources d’État. La requérante précise que, contrairement à ce que soutient le Conseil, l’existence d’une aide ne dépend pas de la présence d’une « charge supplémentaire » pour l’État. À cet égard, le Conseil reconnaîtrait qu’une exonération fiscale, comme celle de l’espèce, est un exemple classique d’aide au sens de l’article 87 CE.

69     La requérante ajoute que l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG constitue indubitablement un acte de la République fédérale d’Allemagne, puisqu’il a été adopté par les organes législatifs de cet État membre. Elle précise que cette disposition ne représente qu’un élément du système général de l’imposition des huiles minérales en Allemagne et que la Cour n’a pas remis en cause la nature juridique de mesure nationale des actes transposant l’article 8, paragraphe l, sous a) et b), de la directive 92/81 dans ses arrêts du 10 juin 1999, Braathens (C‑346/97, Rec. p. I‑3419), et du 25 septembre 2003, Commission/Italie (C‑437/01, Rec. p. I‑9861).

70     En effet, bien que l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG soit une mesure de transposition de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81, il constituerait un acte de l’État membre et, partant, une mesure imputable à l’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir, à cet égard, arrêts de la Cour du 25 juillet 1991, Emmott, C‑208/90, Rec. p. I‑4269, point 21, et du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage, C‑37/92, Rec. p. I‑4947, point 7). La requérante relève que, aux termes de l’article 249 CE, une directive n’est obligatoire que quant au résultat à atteindre, tandis que le choix de la forme et des moyens de la transposition est laissé au législateur national. Dès lors, il ne saurait y avoir, contrairement à ce qu’affirme la Commission, de directives ne laissant pas de marge de manœuvre à l’État.

71     En l’espèce, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 92/81 aurait laissé aux États membres une marge d’appréciation en ce qu’ils devaient exonérer le carburant pour avions de l’accise harmonisée, « selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus ». En outre, comme l’a soutenu le Conseil, le législateur allemand disposerait d’une marge d’appréciation pour éviter une distorsion de la concurrence en exonérant d’autres modes de transport de l’accise sur les huiles minérales, dans le cadre des possibilités offertes par la directive 92/81.

72     En troisième lieu, la requérante avance que l’exonération en cause constitue également une mesure sélective qui favorise certaines entreprises ou certaines productions au sens de l’article 87 CE.

73     En quatrième lieu, elle expose que l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG entraîne une distorsion de la concurrence au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. La Commission aurait reconnu l’existence d’un rapport de concurrence entre les trains à grande vitesse et les moyens de transport aérien sur les liaisons intracommunautaires [décision de la Commission du 9 décembre 1998 (Affaire N IV/M.1305 – Eurostar) (JO 1999, C 256, p. 4), point 21]. Elle prétend que, dans sa plainte, elle a exposé à suffisance qu’un tel rapport de concurrence existait aussi sur les trajets intérieurs allemands. En outre, alors que la requérante devrait payer toute une série de taxes sur les sources d’énergie primaire qu’elle utilise, l’exonération en cause permettrait aux compagnies aériennes de diminuer considérablement leurs coûts et, ainsi, de proposer des prix sur des liaisons intérieures allemandes inférieurs à ceux pratiqués par la requérante.

74     En cinquième lieu, l’exonération en cause affecterait les échanges entre États membres en ce que, d’une part, les compagnies aériennes opèrent généralement dans plusieurs États membres et que, d’autre part, les trains à grande vitesse relient différentes capitales européennes entre elles de sorte qu’ils se trouvent dans un rapport de concurrence directe avec les moyens de transport aérien.

75     Selon la requérante, il résulte de ce qui précède que l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. La décision attaquée serait donc illégale.

76     La requérante considère également que l’aide en cause est incompatible avec le marché commun. L’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG ne remplirait manifestement pas les conditions de l’article 87, paragraphe 2, CE et ne pourrait pas être déclaré compatible au titre de l’article 87, paragraphe 3, CE.

77     Par ailleurs, elle avance que la Commission considère à tort, dans la décision attaquée, que l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 exclut l’application de l’article 87 CE. En effet, cette disposition du droit secondaire devrait s’apprécier au regard de l’article 87 CE et des autres dispositions du droit primaire régissant les aides d’État, qui sont une expression particulière du principe de la libre concurrence (arrêt de la Cour du 5 octobre 1978, INAMI/Viola, 26/78, Rec. p. 1771, points 9 à 14 ; voir, également, conclusions de l’avocat général M. Lenz sous l’arrêt de la Cour du 15 janvier 1986, Commission/Belgique, 52/84, Rec. p. 89, 99). Il ressortirait du principe de primauté du droit communautaire primaire qu’un conflit d’application entre droit secondaire et droit primaire se résout soit par l’interprétation de la disposition du droit secondaire dans le sens de sa conformité avec le droit primaire (notamment en étendant l’exonération fiscale aux exploitants des trains à grande vitesse), soit, pour le cas où une telle interprétation ne serait pas possible, par la non-application de la disposition du droit secondaire (arrêt de la Cour du 29 juin 1988, van Landschoot/Mera, 300/86, Rec. p. 3443).

78     Il devrait également être conclu d’une interprétation textuelle, systématique et téléologique de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 92/81 que l’article 87 CE s’applique au cas d’espèce. Premièrement, il ressortirait du libellé de cette disposition que l’exonération des droits d’accises ne vaudrait que « sans préjudice d’autres dispositions communautaires ». Deuxièmement, selon la jurisprudence, les exonérations fiscales facultatives au titre de l’article 8, paragraphes 2 et 4, de la directive 92/81 trouveraient leurs limites dans les dispositions générales visant à protéger la concurrence, en ce compris l’article 87 CE (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2000, BP Chemicals/Commission, T‑184/97, Rec. p. II‑3145, point 62), de sorte que l’exonération fiscale en cause devrait être limitée au même titre. Troisièmement, une interprétation téléologique de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 irait dans le sens de l’applicabilité des règles de concurrence du traité à l’exonération fiscale du carburant pour avions en ce que cette disposition vise à la création d’un marché intérieur effectif et à l’uniformisation des conditions de concurrence.

79     La requérante conteste l’affirmation du Conseil selon laquelle l’harmonisation partielle d’un impôt par un acte de droit communautaire secondaire a pour conséquence nécessaire que la mesure échappe aux dispositions du traité relatives aux aides d’État, sauf si la directive sur laquelle se fonde cette harmonisation prévoit expressément leur application. En effet, cette interprétation méconnaîtrait la hiérarchie des normes. Si le Conseil avait voulu exclure l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, il aurait dû fonder la directive non seulement sur l’article 93 CE, mais également sur l’article 89 CE et, ce faisant, soustraire les mesures en cause à la procédure de contrôle des aides d’État. De même, le Conseil aurait pu déclarer que les mesures prévues par la directive étaient compatibles avec le marché commun, sur la base de l’article 88, paragraphe 2, CE, de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE ou, éventuellement, de l’article 73 CE. Cela correspondrait à la pratique généralement suivie par le Conseil [voir, par exemple, règlement (CEE) n° 1107/70 du Conseil, du 4 juin 1970, relatif aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 130, p. 1)]. Dès lors que le Conseil n’établit pas de dérogation au droit primaire sur la base des habilitations prévues par le droit primaire, ce serait le droit primaire qui s’appliquerait, à savoir, en l’espèce, les articles 87 CE et 88 CE. L’affirmation du Conseil selon laquelle une telle dérogation a effectivement été prévue devrait être rejetée en ce que ladite dérogation n’a pas été exprimée clairement et explicitement.

80     À cet égard, la requérante conteste la position du Conseil selon laquelle le fait de ne pas utiliser, en tant qu’habilitation, l’une des dispositions précitées en matière d’aides ne constitue qu’un vice formel négligeable. En effet, sur la base de la directive, on ne saurait exclure tacitement un contrôle des mesures de transposition à adopter en application de la directive au regard des dispositions applicables aux aides d’État. Il serait, au contraire, nécessaire de fonder expressément la directive sur l’habilitation correspondante.

81     La requérante ajoute que la Commission et le Conseil soumettent les exonérations fiscales prévues par la directive 2003/96, remplaçant la directive 92/81, à un examen détaillé au regard de la réglementation en matière d’aides. Il serait, dès lors, incompréhensible que la défenderesse et la partie intervenante refusent désormais de procéder à un contrôle des exonérations fiscales prévues par la directive 92/81 au regard des critères de l’article 87 CE.

82     Certes, la requérante admet que la Commission ne peut statuer sur la validité des directives du Conseil. Cependant, elle pourrait, et devrait, examiner si la transposition, par un État membre, de l’exonération fiscale prévue par la directive 92/81 est conforme aux dispositions du traité en matière d’aides et s’assurer que le droit national n’aboutit pas, depuis la date de transposition, à créer une distorsion de concurrence incompatible avec le marché commun. La Commission devrait également contrôler la marge de manœuvre résiduelle dont disposent les États membres pour étendre l’exonération fiscale au transport ferroviaire en vertu de l’article 8, paragraphe 2, sous c), de la même directive. La requérante souligne à cet égard que l’arrêt du Tribunal du 17 juin 1999, ARAP e.a./Commission (T‑82/96, Rec. p. II‑1889, point 14), n’est pas pertinent en ce qu’il concerne un règlement, qui n’a pas besoin d’être transposé par l’État membre, et non une directive.

83     La requérante déduit alors de ce qui précède que l’exonération des droits d’accises en faveur du carburant pour avions prévue par l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 ne serait pas compatible avec l’article 87 CE et serait donc inapplicable dans sa forme actuelle.

84     En outre, la requérante allègue que l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 n’est pas non plus applicable, car il n’est plus couvert par l’habilitation donnée par l’article 93 CE. Elle fait observer, à cet égard, qu’il ressort de l’article 241 CE que rien ne l’empêche d’invoquer l’inapplicabilité de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81.

85     En effet, cette directive aurait harmonisé les structures des droits d’accises sur les huiles minérales et, comme les autres directives adoptées dans ce cadre, se fonderait exclusivement sur l’article 93 CE et viserait à la réalisation du marché intérieur communautaire au sens de l’article 14 CE. La requérante admet que l’exonération fiscale du carburant pour avions prévue par l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 était, lors de l’adoption de cette directive, probablement nécessaire à la réalisation du marché intérieur, compte tenu de la situation concurrentielle de l’époque. Toutefois, et comme l’aurait confirmé le Conseil, les compagnies aériennes et les exploitants de trains à grande vitesse se trouveraient actuellement dans un rapport de forte concurrence et l’exonération des droits d’accises en cause entraînerait une distorsion de la concurrence (voir point 73 ci-dessus). En conséquence, l’exonération fiscale du carburant pour avions aboutirait non pas à réaliser le marché intérieur, mais, au contraire, à fausser fortement le jeu de la concurrence.

86     Or, une mesure qui entraîne une distorsion de la concurrence ne saurait être « nécessaire » pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché commun au sens de l’article 93 CE. En vertu du principe de proportionnalité, une mesure ne pourrait être considérée comme nécessaire qu’en l’absence d’alternative qui fausse moins la concurrence (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission, T‑162/94, Rec. p. II‑427, point 69). Selon la requérante, la concurrence serait moins faussée par l’extension de l’exonération fiscale prévue par l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 aux exploitants de trains à grande vitesse ou par l’abolition de cette exonération des droits d’accises sur les huiles minérales pour les vols intracommunautaires. L’exonération fiscale de l’essence d’aviation prévue par l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 ne serait, par conséquent, depuis la modification de la situation concurrentielle sur le marché en cause, plus nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur et ne serait plus couverte par l’article 93 CE.

87     La requérante souligne qu’elle ne conteste pas que le Conseil aurait pu fonder la directive 92/81 sur l’article 93 CE. Se poserait toutefois la question de savoir si, en raison des modifications du rapport de concurrence existant entre l’aviation civile et les trains à grande vitesse, l’habilitation prévue par l’article 93 CE suffit pour exclure un examen des mesures de transposition dans le cadre des dispositions générales en matière d’aides. La requérante précise qu’elle n’entend pas obtenir l’annulation de la directive, mais qu’elle considère que l’habilitation utilisée n’exclut pas le contrôle de la Commission.

88     Dans le cadre du premier moyen, la requérante soutient que la Commission aurait dû procéder à un examen diligent et impartial de la plainte (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 17 mai 2001, IECC/Commission, C‑449/98 P, Rec. p. I‑3875, point 45, et arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, Rec. p. II‑3407, point 72). En rejetant en bloc sa plainte, la Commission aurait méconnu le principe de légalité ainsi que certaines dispositions du règlement n° 659/1999.

89     La requérante doute que, en rédigeant la lettre du 12 septembre 2002, la Commission ait respecté le principe de bonne administration et son propre règlement intérieur. Elle précise à cet égard que, alors que, en application de ce règlement intérieur, le collège des commissaires était compétent en l’espèce, ce dernier n’a apparemment pas été saisi de l’affaire.

90     Enfin, au soutien du quatrième moyen, la requérante allègue que, dès lors que la Commission refuse, dans la décision attaquée, d’ouvrir une procédure formelle d’examen, elle agit en violation de ses obligations découlant de l’article 88, paragraphes 2 et 3, CE ainsi que de l’article 10, paragraphe 1, et de l’article 17 du règlement n° 659/1999.

91     Dans sa réplique, la requérante affirme que la Commission estime à tort que, eu égard aux modifications envisagées des dispositions concernées de la directive 92/81, elle est dispensée d’ouvrir une procédure formelle d’examen des aides en vigueur.

92     La Commission considère qu’il ne saurait manifestement être question d’aide d’État en l’espèce. Elle souligne que l’exonération en cause n’est pas imputable à un État au sens de la jurisprudence pertinente (arrêt de la Cour du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, Rec. p. I‑4397). L’exonération de la taxe prévue à l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG reposerait sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 et les États membres ne disposeraient d’aucune marge de manoeuvre pour transposer ladite exonération (arrêt Braathens, point 69 supra).

93     En réponse à l’argument de la requérante selon lequel, eu égard à la primauté du droit primaire, le droit des aides d’État devrait être d’application, la Commission soutient que cette dernière méconnaît que l’arrêt France/Commission, point 92 supra, relève également du droit des aides d’État et doit être respecté. Par ailleurs, elle rejette l’argument selon lequel l’article 8, paragraphe 1, de la directive 92/81 n’est pas couvert par l’habilitation de l’article 93 CE, en considérant que la requérante fait un amalgame entre la question réellement pertinente à ce propos, à savoir celle de l’harmonisation requise, et la question des répercussions sur la concurrence, qui n’a aucun lien avec l’article 93 CE.

94     La Commission ne répond pas aux arguments invoqués par la requérante au soutien de son premier moyen.

95     Quant au quatrième moyen, la Commission estime qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Elle ajoute que la directive 92/81 a été remplacée par la directive 2003/96, de sorte qu’il n’y avait pas matière à engager une procédure formelle d’examen.

96     Le Conseil avance trois arguments pour démontrer que le régime et la procédure de contrôle des aides d’État prévus aux articles 87 CE à 89 CE ne sont pas applicables en l’espèce. En premier lieu, ces dispositions ne seraient pas applicables aux mesures instituées par le législateur communautaire, sauf décision contraire de ce dernier. En effet, les pouvoirs que l’article 88 CE confère à la Commission ne lui permettraient pas de déclarer inapplicable une disposition communautaire en vigueur.

97     En deuxième lieu, l’exonération litigieuse ne saurait être considérée comme une aide d’État en ce que, par sa finalité et son économie générale, elle ne tend pas à créer un avantage qui constituerait une charge supplémentaire pour l’État.

98     En troisième lieu, le Conseil rappelle que, même si l’exonération litigieuse devait être considérée comme une aide d’État, il aurait le pouvoir de dispenser certaines catégories d’aides du respect de la procédure de contrôle de leur compatibilité avec le marché commun. Or, il ressortirait du caractère inconditionnel de la disposition litigieuse que le législateur communautaire a en l’espèce précisément écarté la possibilité d’un tel contrôle.

 Appréciation du Tribunal

99     L’article 87, paragraphe 1, CE déclare incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

100   Cette disposition vise ainsi les décisions des États membres par lesquelles ces derniers, en vue de la poursuite d’objectifs économiques et sociaux qui leur sont propres, mettent, par des décisions unilatérales et autonomes à la disposition des entreprises ou d’autres sujets de droit, des ressources ou leur procurent des avantages destinés à favoriser la réalisation des objectifs économiques ou sociaux recherchés (arrêt de la Cour du 27 mars 1980, Amministrazione delle finanze dello Stato/Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 31).

101   Il s’ensuit que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ils doivent, notamment, être imputables à l’État (voir arrêt France/Commission, point 92 supra, point 24, et la jurisprudence citée).

102   Tel n’est pas le cas en l’occurrence. En effet, l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG met en œuvre l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81. Or, ainsi que la Cour l’a jugé, cette dernière disposition impose aux États membres une obligation claire et précise de ne pas soumettre à l’accise harmonisée le carburant utilisé pour la navigation aérienne commerciale (arrêt Braathens, point 69 supra, points 30 à 32). En transposant l’exonération en droit national, les États membres ne font qu’exécuter des dispositions communautaires conformément à leurs obligations issues du traité. Il s’ensuit que la disposition en cause n’est pas imputable à l’État allemand, mais découle, en réalité, d’un acte du législateur communautaire.

103   La requérante souligne que l’exonération a été accordée au moyen de ressources d’État. Toutefois, l’imputabilité d’une aide à un État est distincte de la question de savoir si l’aide a été octroyée au moyen de ressources d’État. Il ressort en effet de la jurisprudence qu’il s’agit de conditions distinctes et cumulatives (arrêt France/Commission, point 92 supra, point 24).

104   Il résulte de ce qui précède que certaines des conditions essentielles à l’application de l’article 87 CE ne sont pas satisfaites, de sorte que la Commission était en droit de conclure que l’exonération en cause ne relevait pas du champ d’application de cet article.

105   Contrairement à ce que soutient la requérante, la marge d’appréciation réservée aux États membres par la formule introductive de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 92/81, qui précise que les exonérations sont accordées par les États membres « selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus », ne s’applique qu’à la formulation des conditions de mise en œuvre de l’exonération visée et ne remet pas en cause le caractère inconditionnel de l’obligation d’exonération prévue par cette disposition (arrêt Braathens, point 69 supra, point 31).

106   Quant à l’argument de la requérante selon lequel la République fédérale d’Allemagne aurait pu éviter la distorsion de concurrence en étendant l’exonération aux trains à grande vitesse en vertu de l’article 8, paragraphe 2, sous c), de la directive 92/81, il suffit de constater que les États membres étaient parfaitement en droit de se contenter de transposer les dispositions obligatoires de la directive et de ne pas recourir à la possibilité d’élargir l’exonération.

107   Par ailleurs, la requérante invoque l’inapplicabilité de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81. D’une part, elle insiste sur le fait que, en vertu du principe de primauté, l’exonération des droits d’accises en faveur du carburant pour avions prévue par cette disposition n’est pas compatible avec l’article 87 CE et que, dans sa forme actuelle, elle est donc inapplicable. Si le Conseil avait voulu exclure l’application de l’article 87 CE, il aurait dû fonder la directive non seulement sur l’article 93 CE, mais également sur d’autres articles du traité (voir point 79 ci-dessus). D’autre part, la requérante fait valoir que l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 est inapplicable en ce qu’il ne serait plus couvert par l’habilitation de l’article 93 CE. Elle soutient que les compagnies aériennes et les exploitants de trains à grande vitesse se trouvent actuellement dans un rapport de forte concurrence et que, par voie de conséquence, l’exonération en cause aboutit non pas à réaliser le marché intérieur, mais, au contraire, à fausser fortement le jeu de la concurrence (voir point 85 ci-dessus).

108   À supposer même que la requérante ait soulevé une exception d’illégalité à l’égard de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81, cette exception ne ressort pas clairement de ses écritures. En particulier, dans ses observations sur l’intervention du Conseil, la requérante a précisé que son argument essentiel est que l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 ne peut empêcher la Commission d’examiner l’exonération en cause dans le cadre des procédures en matière d’aides d’État.

109   En tout état de cause, les arguments de la requérante concernant l’inapplicabilité de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 ne sauraient être retenus.

110   S’agissant de son argument selon lequel cette disposition est inapplicable en raison de sa méconnaissance de l’article 87 CE, il suffit de constater que, comme il ressort du point 104 ci-dessus, ce dernier article n’est pas applicable en l’espèce.

111   En ce qui concerne l’argument tiré de l’article 93 CE, il convient de rappeler que la directive 92/81 a été adoptée par le Conseil, statuant à l’unanimité sur la base de cet article, afin d’harmoniser les structures des droits d’accises sur les huiles minérales. L’exonération prévue par l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 découlait des dispositions de droit international prévoyant une exonération fiscale au profit du carburant pour avions. La requérante elle-même admet, dans sa requête, que l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 était probablement nécessaire à l’époque de l’adoption de la directive, en ce qu’il visait à garantir que la concurrence entre les différentes compagnies aériennes des États membres ainsi qu’entre celles-ci et les opérateurs des États tiers ne soit pas faussée (voir point 85 ci-dessus).

112   À supposer que la requérante invoque à juste titre l’existence, depuis l’adoption de la directive 92/81, d’un nouveau rapport de concurrence entre le transport aérien et ferroviaire, il ne s’ensuit pas que l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 soit devenu illégal. C’était au législateur communautaire, qui dispose, dans l’exercice de son pouvoir, d’une large marge d’appréciation, qu’il appartenait d’évaluer la situation et, le cas échéant, de décider de l’opportunité de modifier les dispositions en vigueur.

113   En ce qui concerne l’argument de la requérante tiré du fait que la Commission et le Conseil soumettent les exonérations fiscales prévues par les dispositions de la directive 2003/96 à un examen détaillé au regard de la réglementation en matière d’aides d’État, il convient de relever que l’article 14, paragraphe 1, sous b), de cette directive prévoit une exonération qui s’applique aux « produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation comme carburant ou combustible pour la navigation aérienne autre que l’aviation de tourisme privée ». Or, il ressort de l’article 14, paragraphe 2, de la même directive qu’un État membre peut, d’une part, limiter le champ d’application de l’exonération prévue par l’article 14, paragraphe 1, aux transports internationaux et intracommunautaires et, d’autre part, suspendre l’exonération lorsqu’il conclut un accord bilatéral avec un autre État membre. Il s’ensuit que les mesures de transposition de l’article 14 de la directive 2003/96 sont des mesures pour lesquelles les États bénéficient d’une marge d’appréciation, ce qui explique que le contrôle de leur respect des dispositions relatives aux aides d’État est prévu par l’article 26, paragraphe 2, de cette directive. Il résulte de tout ce qui précède que le troisième moyen n’est pas fondé.

114   Enfin, les premier et quatrième moyens sont fondés sur la prémisse selon laquelle la requérante a introduit une plainte qui méritait d’être examinée de manière approfondie par la Commission. Or, au vu du fait que l’article 4, paragraphe 1, du MinöStG se limitait à mettre en œuvre une disposition obligatoire d’un acte communautaire (voir points 99 à 104 ci-dessus), la Commission était en droit de rejeter la plainte dans la décision attaquée sans qu’il eût été nécessaire de la soumettre au collège des commissaires et d’ouvrir la procédure formelle d’examen au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE.

115   En conséquence, il y a lieu de rejeter les premier, troisième et quatrième moyens.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

 Arguments des parties

116   La requérante avance que la décision attaquée doit être annulée en raison d’une violation de l’obligation de motivation consacrée par l’article 253 CE. Lorsqu’il s’agit de décisions qui concluent à l’inexistence d’aides d’État dénoncées dans des plaintes, la Commission serait tenue d’exposer au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État (arrêt Sytraval, point 64).

117   Or, en l’espèce, la motivation de la décision attaquée ne permettrait pas de comprendre les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués par la requérante dans sa plainte n’établissent pas l’existence d’une aide d’État illégale.

118   La Commission et le Conseil ne se prononcent pas sur les arguments invoqués par la requérante au soutien de son deuxième moyen.

 Appréciation du Tribunal

119   Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt Sytraval, point 63, et la jurisprudence citée).

120   En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission a rejeté la plainte au motif que l’exonération mentionnée à l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG constituait une mise en œuvre de la directive 92/81 et non une tentative d’octroyer une aide (voir point 11 ci-dessus). Contrairement à ce que soutient la requérante, une telle motivation bien que sommaire était suffisamment claire et compréhensible.

121   Le deuxième moyen doit par conséquent également être rejeté comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’article 307 CE et des règles du droit international

 Arguments des parties

122   La requérante fait valoir que l’affirmation de la Commission selon laquelle l’applicabilité des dispositions communautaires en matière d’aides d’État serait exclue par la convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale du 7 décembre 1944 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 15, p. 295, ci-après la « convention de Chicago ») ainsi que par de nombreux accords bilatéraux relatifs au trafic aérien conclus sur la base de celle-ci ne serait compatible ni avec les dispositions du droit international ni avec l’article 307 CE.

123   S’agissant du droit international public, la requérante prétend que l’exonération fiscale du carburant pour avions prévue dans les accords internationaux ne s’oppose nullement à ce que celle fondée sur l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG soit considérée comme violant l’article 87, paragraphe 1, CE. Aux termes de la règle de conflit posée par l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 788, p. 354), les dispositions des traités internationaux conclus antérieurement entre les États membres ne s’appliqueraient que dans la mesure où elles seraient compatibles avec les engagements conventionnels ultérieurs, tels ceux qui résultent de leur appartenance aux Communautés européennes.

124   Quant au droit communautaire, l’article 307, premier alinéa, CE se bornerait à garantir les droits des États tiers conformément au droit international public sans obliger les États membres à assumer leurs obligations conventionnelles antérieures aux traités communautaires (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission de la CEE, 56/64 et 58/64, Rec. p. 430). Par conséquent, la situation de l’espèce étant purement intracommunautaire, ce serait le droit primaire qui s’appliquerait en cas de conflit (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991, RTE/Commission, T‑69/89, Rec p. II‑485, point 103). Dès lors, au regard de l’article 307 CE également, ni la convention de Chicago ni les accords internationaux bilatéraux fondés sur celle-ci ne feraient obstacle à l’applicabilité des dispositions du droit communautaire régissant les aides d’État à l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG. Par ailleurs, la Commission aurait constaté, à plusieurs reprises, que la convention de Chicago n’avait pas force obligatoire à l’égard de situations intracommunautaires.

125   La Commission et le Conseil ne se prononcent pas sur les arguments que la requérante fait valoir au soutien de son cinquième moyen.

 Appréciation du Tribunal

126   Ce moyen est dépourvu de pertinence. La décision attaquée est fondée sur le fait que l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG ne viole pas les règles communautaires concernant les aides d’État eu égard à l’absence de mesure étatique en l’espèce (voir point 11 ci-dessus). En conséquence, la Commission n’a pas appliqué les dispositions du traité en matière d’aides d’État.

127   Ainsi, contrairement à ce que laisse entendre la requérante, la décision attaquée n’est nullement fondée sur le droit international. La Commission n’a aucunement invoqué le droit international pour justifier l’inapplicabilité des dispositions régissant les aides d’État. Elle a seulement fait référence au droit international pour expliquer le contexte de l’exonération en cause et pour affirmer que la directive 92/81 était conforme à la pratique internationale (voir point 11 ci-dessus).

128   Cette conclusion ne saurait être affectée par le fait que la Commission a simplement ajouté, dans la décision attaquée, que la directive 92/81 était « conforme à la pratique internationale, fondée sur les politiques établies par l’[OACI] dans le cadre de la [convention de Chicago] ».

129   Il s’ensuit que le cinquième moyen est non fondé.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

 Arguments des parties

130   La requérante rappelle que le principe d’égalité de traitement interdit de traiter des situations comparables de manière différente à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt de la Cour du 13 avril 2000, Karlsson e.a., C‑292/97, Rec. p. I‑2737, point 39 ; voir, également, arrêt van Landschoot/Mera, point 77 supra, point 9).

131   Or, en l’espèce, l’exonération fiscale du carburant pour avions fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/81 et sur la norme de transposition en droit interne de cette disposition, à savoir l’article 4, paragraphe 1, point 3, sous a), du MinöStG, entraînerait une inégalité de traitement entre la requérante et les compagnies aériennes opérant sur les lignes intérieures allemandes. Étant donné que la requérante et les compagnies aériennes offriraient, sur les trajets intérieurs allemands, un service qui, aux yeux des utilisateurs, serait substituable, elles seraient dans une situation comparable. La requérante insiste à cet égard sur le rapport de concurrence existant entre l’avion et le rail, et surtout les trains à grande vitesse. Le traitement discriminatoire de la requérante par rapport aux compagnies aériennes opérant sur les lignes intérieures résulterait alors de ce que seules ces dernières compagnies seraient exonérées des droits d’accises sur les huiles minérales. Cette différence de traitement ne serait pas objectivement justifiée. De plus, l’existence d’une discrimination injustifiée aurait été expressément reconnue par les institutions.

132   La requérante suggère au Tribunal de mettre fin à cette discrimination en appliquant, mutatis mutandis, l’article 231, deuxième alinéa, CE (arrêt van Landschoot/Mera, point 77 supra). Une telle approche permettrait notamment la non-application de l’exonération fiscale en cause aux compagnies aériennes qui se trouvent dans un rapport direct de concurrence avec la requérante.

133   En effet, dans son arrêt du 13 juillet 2000, Idéal tourisme (C‑36/99, Rec. p. I‑6049), la Cour aurait déclaré que les États membres, aux fins d’écarter l’inégalité de traitement, pouvaient taxer également les transports aériens (point 33). Par ailleurs, en l’espèce, il aurait également pu être remédié à l’inégalité de traitement invoquée en exonérant les trains à grande vitesse.

134   La Commission ne se prononce pas sur les arguments que la requérante invoque dans le cadre de ce moyen.

135   Le Conseil estime que la requérante se fonde sur une prémisse erronée, à savoir que le transport ferroviaire et le transport aérien, en ce qu’ils sont potentiellement concurrents, sont comparables et doivent être traités de la même manière.

136   Le Conseil indique qu’il a estimé, en tant que législateur, que, eu égard aux caractéristiques propres du transport aérien, il convenait d’exonérer le carburant pour la navigation aérienne autre que l’aviation de tourisme privée. En contrôlant l’exercice du large pouvoir d’appréciation du législateur, le juge devrait se limiter à examiner s’il n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation. Or, la requérante n’expliquerait nullement pourquoi le Conseil aurait agi de manière manifestement inappropriée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

 Appréciation du Tribunal

137   Il ressort de la jurisprudence que le principe d’égalité de traitement interdit de traiter d’une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certains opérateurs par rapport à d’autres, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt Karlsson e.a., point 130 supra, point 39 ; arrêt du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 272).

138   Le Tribunal considère que le principe d’égalité de traitement n’a pas été violé en l’espèce, dès lors que la situation des entreprises de transport aérien est manifestement distincte de celle des entreprises de transport ferroviaire. En ce qui concerne leurs caractéristiques opérationnelles, la structure de leurs coûts et les dispositions réglementaires auxquelles ils sont soumis, les services de transport aérien et ferroviaire sont très différents et ne sont pas comparables au sens du principe d’égalité de traitement.

139   En tout état de cause, le Tribunal considère que la différence de traitement est objectivement justifiée en l’espèce, eu égard au large pouvoir d’appréciation du Conseil quant à la justification objective d’un éventuel traitement différent (arrêt du Tribunal du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 47). En effet, au vu de la pratique internationale de l’exonération d’accises au profit du carburant pour avions, qui est consacrée par la convention de Chicago, ainsi que par des accords bilatéraux conclus entre États, la concurrence entre les opérateurs communautaires de transport aérien et les opérateurs des États tiers serait faussée si le législateur communautaire imposait unilatéralement des droits d’accises sur ce carburant. En conséquence, l’exonération prévue par l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive était objectivement justifiée.

140   Le sixième moyen doit donc également être rejeté comme non fondé.

141   Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

142   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

143   Le Conseil supportera ses propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.

3)      Le Conseil supportera ses propres dépens.

Vesterdorf

Cooke

García-Valdecasas

         Labucka                                                       Trstenjak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 avril 2006.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      B. Vesterdorf


* Langue de procédure : l’allemand.