Affaires jointes C-361/02 et C-362/02


Elliniko Dimosio
contre
Nikolaos Tsapalos et Konstantinos Diamantakis



(demande de décision préjudicielle, formée par le Dioikitiko Efeteio Peiraios)

«Directive 76/308/CEE – Assistance mutuelle en matière de recouvrement de droits de douane – Application aux créances nées avant l'entrée en vigueur de la directive»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 19 février 2004
    
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 1er juillet 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Rapprochement des législations – Assistance mutuelle en matière de recouvrement de droits de douane – Directive 76/308 – Application dans le temps – Application aux créances nées avant l'entrée en vigueur de la directive dans l'État où l'autorité requise a son siège

(Directive du Conseil 76/308)

La directive 76/308, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique aux créances douanières qui sont nées dans un État membre et font l’objet d’un titre émis par cet État avant l’entrée en vigueur de ladite directive dans l’autre État membre, où l’autorité requise a son siège.

En effet, dès lors que la finalité de la directive est de supprimer les obstacles au fonctionnement du marché commun découlant des difficultés liées au recouvrement transfrontalier des créances visées, ainsi que d’empêcher la réalisation d’opérations frauduleuses, l’applicabilité de la directive aux créances déjà nées à la date de l’entrée en vigueur de celle-ci dans l’État membre où l’autorité requise a son siège ne peut pas être exclue.

(cf. points 22-23 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
1er juillet 2004(1)


«Directive 76/308/CEE – Assistance mutuelle en matière de recouvrement de droits de douane – Application aux créances nées avant l'entrée en vigueur de la directive»

Dans les affaires jointes C-361/02 et C-362/02,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Dioikitiko Efeteio Peiraios (Grèce) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Elliniko Dimosio

et

Nikolaos Tsapalos (C-361/02),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d'opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane, et relative à la taxe sur la valeur ajoutée et à certains droits d'accises (JO L 73, p. 18), telle que modifiée par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21),

LA COUR (troisième chambre),,



composée de M. A. Rosas, président de chambre, M. R. Schintgen (rapporteur) et Mme N. Colneric, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

pour M. Tsapalos, par Me V. K. Koutoulakos, dikigoros,

pour M. Diamantakis, par Me C. Kara-Sepetzoglou, dikigoros,

pour le gouvernement hellénique, par MM. S. Spyropoulos, D. Kalogiros et P. Mylonopoulos, en qualité d'agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. X. Lewis et M. Konstantinidis, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales du gouvernement hellénique, représenté par MM. S. Spyropoulos et M. Apessos, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par MM. X. Lewis et M. Konstantinidis, à l'audience du 11 février 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 19 février 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par arrêts du 28 juin 2002, parvenus au greffe de la Cour le 8 octobre suivant, le Dioikitiko Efeteio Peiraios a posé, en application de l’article 234 CE, une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 1er de la directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane, et relative à la taxe sur la valeur ajoutée et à certains droits d’accises (JO L 73, p. 18), telle que modifiée par l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la république d’Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, ci-après la «directive»).

2
Cette question a été soulevée dans le cadre de deux litiges opposant l’Elliniko Dimosio (État hellénique) à M. Tsapalos, d’une part, et à M. Diamantakis, d’autre part, à propos du recouvrement de créances douanières de la République italienne nées avant l’adoption de la directive et l’entrée en vigueur de celle-ci en Grèce.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
La directive a pour objet de supprimer les obstacles à l’établissement et au fonctionnement du marché commun découlant de la limitation territoriale du champ d’application des dispositions nationales en matière de recouvrement, notamment, de droits de douane. Cette situation, ainsi qu’il ressort du deuxième considérant de la directive, serait de nature à faciliter «la réalisation d’opérations frauduleuses».

4
À cet effet, la directive instaure des règles communes d’assistance mutuelle en matière de recouvrement. Ainsi, aux termes de son article 8, premier et deuxième alinéas:

«Le titre permettant l’exécution du recouvrement de la créance est, le cas échéant et selon les dispositions en vigueur dans l’État membre où l’autorité requise a son siège, homologué, reconnu, complété ou remplacé par un titre permettant son exécution dans son territoire.

L’homologation, la reconnaissance, le complément ou le remplacement du titre doivent intervenir dans les meilleurs délais suivant la réception de la demande de recouvrement. Ils ne peuvent être refusés dès lors que le titre, permettant l’exécution dans l’État membre où l’autorité requérante a son siège, est régulier en la forme.»

5
Conformément à son article 2, sous c) et f), la directive est notamment applicable aux créances afférentes aux droits de douane au sens notamment de l’article 2, sous b), de la décision 70/243/CECA, CEE, Euratom, du Conseil, du 21 avril 1970, relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés (JO L 94, p. 19), ainsi qu’aux intérêts et frais relatifs aux créances visées à cet article.

6
Par ailleurs, en vertu de l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République hellénique et aux adaptations des traités (JO 1979, L 291, p. 17, ci-après l’ «acte d’adhésion»), les actes pris par les institutions des Communautés lient la République hellénique et sont applicables dans cet État dès l’adhésion, soit depuis le 1er janvier 1981.

7
L’article 145 de l’acte d’adhésion dispose:

«La République hellénique met en vigueur les mesures qui lui sont nécessaires pour se conformer dès son adhésion aux dispositions des directives […], au sens de l’article 189 du traité CEE […], à moins qu’un délai ne soit prévu dans la liste figurant à l’annexe XII ou dans d’autres dispositions du présent acte.»

8
Un tel délai n’a pas été prévu par l’acte d’adhésion en ce qui concerne la directive.

La réglementation nationale

9
La directive a été transposée dans l’ordre juridique hellénique par les articles 86 à 98 (chapitre 1. A, intitulé «Assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances») de la loi n° 1402/1983, relative à l’adaptation de la législation douanière au droit des Communautés européennes (CEE) (FEK A’ 167, partie I, ci-après la «loi n° 1402/1983»), et par l’arrêté n° 1243/319 du ministre des Finances, du 26 mars 1984, portant modalités d’application du régime de l’assistance mutuelle entre les États membres en matière de recouvrement des créances (FEK A’ 179, partie I, ci-après l’«arrêté ministériel»).

10
L’article 103 de la loi n° 1402/1983 dispose que, «sauf disposition contraire de la présente loi, celle-ci entre en vigueur le 1er  janvier 1981».

11
Par ailleurs, aux termes de l’article 21, paragraphe 1, de l’arrêté ministériel:

«Toute créance qui fait l’objet d’une demande de recouvrement ou d’adoption de mesures conservatoires de la part d’une autorité requérante d’un autre État membre est traitée par les bureaux de douane compétents ou par le Trésor public comme une créance née en Grèce et son recouvrement est régi par les dispositions de la législation grecque, en particulier celles du ‘code de recouvrement des créances publiques’ […]».


Les litiges au principal et la question préjudicielle

12
Par arrêt du 8 octobre 1970 de la Corte d’appello di Catania (Italie), les membres de l’équipage du «Ster», navire battant pavillon panaméen, dont les défendeurs au principal, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement et au paiement de droits de douane et d’autres taxes pour avoir importé illégalement du tabac sur le territoire italien. Par arrêt du 31 janvier 1972, la Corte suprema di cassazione (Italie) a rejeté le pourvoi introduit à l’encontre dudit arrêt.

13
La demande des autorités italiennes tendant au recouvrement des créances en question, s’élevant au total à 1 787 485 050 ITL, y compris les intérêts et autres frais, a été transmise aux autorités compétentes grecques (à savoir le service spécial des enquêtes douanières de la direction générale des douanes), lesquelles ont déclaré, par décisions du 6 février 1996, prises en application de la directive, ainsi que de la loi n° 1402/1983 et de l’arrêté ministériel, que le titre italien permettant le recouvrement desdites créances était exécutoire sur le territoire grec.

14
MM. Tsapalos et Diamantakis ont attaqué lesdites décisions devant le Dioikitiko Protodikeio Peiraios (Grèce) qui les a annulées en tant qu’elles concernaient les défendeurs au principal, au motif que l’assistance mutuelle entre la République hellénique et les autres États membres pour le recouvrement des créances ne concernait que celles nées après l’entrée en vigueur de la loi n° 1402/1983. Or, la créance litigieuse de l’État italien est née en 1968, année au cours de laquelle le délit de contrebande a été constaté, et a été confirmée par les arrêts précités de la Corte d’appello di Catania de 1970 et de la Corte suprema di cassazione de 1972.

15
L’Elliniko Dimosio a interjeté appel de ce jugement devant le Dioikitiko Efeteio Peiraios en faisant valoir que les dispositions de la loi n° 1402/1983 devaient être interprétées à la lumière de la finalité de la directive, dont l’article 1er vise le recouvrement de créances qui sont nées dans un autre État membre, de sorte que les créances nées avant l’entrée en vigueur de ces dispositions entreraient également dans le champ d’application de celles-ci.

16
C’est dans ces conditions que le Dioikitiko Efeteio Peiraios a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, qui est formulée en des termes identiques dans les deux affaires:

«L’article 1er de la directive […] doit-il être interprété en ce sens que les dispositions de la directive s’appliquent aussi aux créances nées dans un État membre avant l’entrée en vigueur de cette directive et faisant l’objet d’un titre qui, comme c’est le cas en l’espèce du titre exécutoire de l’État italien, a également été émis par les autorités compétentes de cet État avant l’entrée en vigueur de cette directive et que, par conséquent, ces créances, qui étaient restées en suspens et ne pouvaient pas être recouvrées dans un autre État membre, peuvent maintenant, après l’entrée en vigueur de la directive, après l’expiration de la période transitoire et après que les autres États membres se sont conformés à leurs obligations en arrêtant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de cette directive, être recouvrées par une demande en ce sens de l’‘autorité requérante’ à l’‘autorité requise’ au sens de l’article 3 de la directive?»

17
Par ordonnance du président de la Cour du 9 décembre 2002, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale ainsi que de l’arrêt.


Sur la question préjudicielle

18
Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique aux créances douanières qui sont nées dans un État membre et font l’objet d’un titre émis par cet État avant l’entrée en vigueur de la directive dans l’autre État membre, où l’autorité requise a son siège.

19
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur [voir, notamment, arrêts du 12 novembre 1981, Salumi e.a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9; du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C-121/91 et C‑122/91, Rec. p. I-3873, point 22, et du 7 septembre 1999, De Haan, C-61/98, Rec. p. I-5003, point 13].

20
Or, ainsi que l’ont observé à bon droit le gouvernement hellénique et la Commission, dès lors que la directive régit uniquement la reconnaissance et l’exécution de certaines catégories de créances nées dans un autre État membre, sans énoncer de règles relatives à leur naissance ou à leur étendue, il y a lieu de considérer les dispositions de cette directive comme des règles de procédure.

21
En outre, aucune disposition de la directive ne permet de considérer que le législateur communautaire aurait entendu limiter l’application des règles de procédure aux seules créances nées après l’entrée en vigueur de cette directive dans l’État membre où l’autorité requise a son siège.

22
Au contraire, la finalité de la directive qui est, ainsi qu’il ressort de ses deuxième et troisième considérants, de supprimer les obstacles au fonctionnement du marché commun découlant des difficultés liées au recouvrement transfrontalier des créances visées, ainsi que d’empêcher la réalisation d’opérations frauduleuses, plaide en faveur de l’applicabilité de la directive aux créances déjà nées à la date de l’entrée en vigueur de celle-ci dans l’État membre où l’autorité requise a son siège.

23
Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique aux créances douanières qui sont nées dans un État membre et font l’objet d’un titre émis par cet État avant l’entrée en vigueur de ladite directive dans l’autre État membre, où l’autorité requise a son siège.


Sur les dépens

24
Les frais exposés par le gouvernement hellénique et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Dioikitiko Efeteio Peiraios, par arrêts du 28 juin 2002, dit pour droit:

La directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvement agricoles et de droits de douane, et relative à la taxe sur la valeur ajoutée et à certains droits d’accises telle que modifiée par l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la république d’Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède ainsi que les adaptations aux traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique aux créances douanières qui sont nées dans un État membre et font l’objet d’un titre émis par cet État avant l’entrée en vigueur de ladite directive dans l’autre État membre, où l’autorité requise a son siège.

Rosas

Schintgen

Colneric

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juillet 2004.

Le greffier

Le président de la troisième chambre

R. Grass

A. Rosas


1
Langue de procédure: le grec.