62002J0148

Arrêt de la Cour du 2 octobre 2003. - Carlos Garcia Avello contre État belge. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'État - Belgique. - Citoyenneté de l'Union européenne - Transmission du nom de famille - Enfants de ressortissants d'États membres - Double nationalité. - Affaire C-148/02.

Recueil de jurisprudence 2003 page 00000


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Citoyenneté de l'Union européenne - Dispositions du traité - Champ d'application personnel - Ressortissant d'un État membre séjournant légalement sur le territoire d'un autre État membre - Inclusion - Effet - Jouissance des droits associés au statut de citoyen de l'Union - Intéressés possédant également la nationalité de l'État de séjour - Absence d'incidence - Discrimination en raison de la nationalité au regard des règles régissant le nom de famille - Inadmissibilité

(Art. 12 CE, 17 CE et 18 CE)

2. Droit communautaire - Principes - Égalité de traitement - Discrimination en raison de la nationalité - Mineurs résidant dans un État membre et ayant la double nationalité de cet État et d'un autre État membre - Demande de changement de nom visant à l'attribution du nom de famille dont les mineurs seraient titulaires dans le second État membre - Refus de l'autorité administrative de donner une suite favorable à cette demande - Inadmissibilité

(Art. 12 CE et 17 CE)

Sommaire


$$1. Les ressortissants d'un État membre séjournant légalement sur le territoire d'un autre État membre peuvent se prévaloir du droit, prévu à l'article 12 CE, de ne pas subir de discrimination en raison de la nationalité au regard des règles régissant leur nom de famille.

En effet, le statut de citoyen de l'Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ces derniers se trouvant dans la même situation d'obtenir dans le domaine d'application ratione materiae du traité CE, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique. Parmi les situations relevant du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire figurent celles relatives à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, notamment celles relevant de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l'article 18 CE.

Si, en l'état actuel du droit communautaire, les règles régissant le nom d'une personne relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins, dans l'exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire et, en particulier, les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l'Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres. La citoyenneté de l'Union, prévue à l'article 17 CE, n'a pas pour autant pour objectif d'étendre le champ d'application matériel du traité également à des situations internes n'ayant aucun rattachement au droit communautaire. Toutefois, un tel rattachement au droit communautaire existe à l'égard de personnes se trouvant dans une situation telle que celle d'un ressortissant d'un État membre séjournant légalement sur le territoire d'un autre État membre. À cette conclusion on ne saurait opposer la circonstance que les intéressés ont également la nationalité de l'État membre dans lequel ils séjournent depuis leur naissance et qui, selon les autorités de cet État, serait de ce fait la seule à être reconnue par celui-ci. En effet, il n'appartient pas à un État membre de restreindre les effets de l'attribution de la nationalité d'un autre État membre, en exigeant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette nationalité en vue de l'exercice des libertés fondamentales prévues par le traité.

( voir points 22-29 )

2. Les articles 12 CE et 17 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que l'autorité administrative d'un État membre refuse de donner une suite favorable à une demande de changement de nom pour des enfants mineurs résidant dans cet État et disposant de la double nationalité dudit État et d'un autre État membre, alors que cette demande a pour objet que ces enfants puissent porter le nom dont ils seraient titulaires en vertu du droit et de la tradition du second État membre.

En effet, s'agissant, d'une part, du principe de la fixité du nom de famille en tant qu'instrument destiné à prévenir les risques de confusion sur l'identité ou la filiation des personnes, si ce principe contribue certes à faciliter la reconnaissance de l'identité des personnes et de leur filiation, il n'est pas pour autant à tel point indispensable qu'il ne s'accommoderait pas d'une pratique consistant à permettre aux enfants ressortissants d'un État membre et ayant également la nationalité d'un autre État membre de porter un nom de famille composé d'autres éléments que ceux prévus par le droit du premier État membre et qui fait, par ailleurs, l'objet d'une inscription dans un registre officiel du second État membre. En outre, en raison notamment de l'ampleur des flux migratoires à l'intérieur de l'Union, différents systèmes nationaux d'attribution du nom coexistent dans un même État membre, de sorte que la filiation ne saurait être nécessairement appréciée dans la vie sociale d'un État membre à l'aune du seul système applicable aux ressortissants de ce dernier État. À cela s'ajoute qu'un système permettant la transmission d'éléments du nom de famille des deux parents, loin de provoquer une confusion sur le lien de filiation des enfants, peut contribuer au contraire à renforcer la reconnaissance de ce lien par rapport aux deux parents.

S'agissant, d'autre part, de l'objectif d'intégration poursuivi par la pratique litigieuse, compte tenu de la coexistence dans les États membres de divers systèmes d'attribution du nom applicables aux personnes y résidant, la pratique en question n'est ni nécessaire ni même apte à favoriser l'intégration des ressortissants d'autres États membres dans l'État où ils résident.

( voir points 42-43, 45 et disp. )

Parties


Dans l'affaire C-148/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Conseil d'État (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Carlos Garcia Avello

et

État belge,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 17 CE et 18 CE,

LA COUR (assemblée plénière),

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. M. Wathelet, R. Schintgen et C. W. A. Timmermans, présidents de chambre, MM. D. A. O. Edward, A. La Pergola, P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur) et A. Rosas, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme M.-F. Contet, admistrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Garcia Avello, par MeP. Kileste, avocat,

- pour l'État belge, par Mme A. Snoecx, en qualité d'agent, assistée de Me J. Bourtembourg, avocat,

- pour le gouvernement danois, par M. J. Bering Liisberg, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. L. Iglesias Buhigues, MmeC. O'Reilly et M. D. Martin, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Garcia Avello, représenté par Me P. Kileste, de l'État belge, représenté par Me C. Molitor, avocat, du gouvernement danois, représenté par M. J. Molde, en qualité d'agent, du gouvernement néerlandais, représenté par M. N. A. J. Bel, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. J. L. Iglesias Buhigues, Mme C. O'Reilly et M. D. Martin, à l'audience du 11 mars 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 22 mai 2003,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par arrêt du 21 décembre 2001, parvenu à la Cour le 24 avril 2002, le Conseil d'État a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 17 CE et 18 CE.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. C. Garcia Avello, agissant en tant que représentant légal de ses enfants, à l'État belge au sujet d'une demande de changement du nom de famille de ces derniers.

Cadre juridique

A - Réglementation communautaire

3 Selon l'article 12, paragraphe 1, CE:

«Dans le domaine d'application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

4 L'article 17 CE dispose:

«1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité.»

5 L'article 18, paragraphe 1, CE énonce:

«Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

B - Réglementation et pratique nationales

Le droit international privé belge

6 L'article 3, troisième alinéa, du code civil belge dispose:

«Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Belges, même résidant en pays étranger.»

7 Les juridictions belges se fondent sur cette disposition pour appliquer la règle selon laquelle l'état et la capacité des personnes sont régis par la loi nationale de celles-ci.

8 Selon l'État belge, lorsqu'un ressortissant belge possède en même temps une ou plusieurs autres nationalités, les autorités belges font prévaloir la nationalité belge, en application de la règle d'origine coutumière, codifiée par l'article 3 de la convention de La Haye du 12 avril 1930, concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité (Recueil des traités de la Société des Nations, vol. 179, p. 89, ci-après la «convention de La Haye»), selon laquelle «un individu possédant deux ou plusieurs nationalités pourra être considéré par chacun des États dont il a la nationalité comme son ressortissant».

Le code civil belge

9 Aux termes de l'article 335 du code civil, qui figure au chapitre V, intitulé «Des effets de la filiation», du titre VII («De la filiation»):

«1. L'enfant dont la seule filiation paternelle est établie ou dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies en même temps porte le nom de son père, sauf si le père est marié et reconnaît un enfant conçu pendant le mariage par une autre femme que son épouse.

[¼ ]»

10 Sous le chapitre II, intitulé «Changement de nom et de prénoms», de la loi du 15 mai 1987, relative aux noms et prénoms, l'article 2 énonce:

«Toute personne qui a quelque motif de changer de nom ou de prénom en adresse la demande motivée au ministre de la Justice.

La requête est introduite par l'intéressé lui-même ou son représentant légal.»

11 L'article 3, qui relève du même chapitre de ladite loi, dispose:

«Le ministre de la Justice peut autoriser le changement de prénom lorsque les prénoms sollicités ne prêtent pas à confusion et ne peuvent nuire au requérant ou à des tiers.

Le Roi peut, exceptionnellement, autoriser le changement de nom s'il estime que la demande est fondée sur des motifs sérieux et que le nom sollicité ne prête pas à confusion et ne peut nuire au requérant ou à des tiers.»

La pratique administrative en matière de changement de nom

12 L'État belge indique que, afin d'atténuer les inconvénients liés à la possession de la double nationalité, les autorités belges proposent dans des situations telles que celle de l'espèce au principal d'opérer un changement de nom en sorte que les enfants se voient attribuer la seule première partie du nom de leur père. À titre exceptionnel, et notamment lorsqu'il y a peu de facteurs de rattachement avec la Belgique, un nom conforme à la loi étrangère pourrait être attribué, notamment dans l'hypothèse où la famille aurait vécu dans un pays étranger où l'enfant est enregistré sous le double nom, et ce afin de ne pas nuire à son intégration. Plus récemment, l'administration aurait adopté une position plus souple, notamment lorsqu'un premier enfant, né sous statut espagnol, porterait un double nom conformément au droit espagnol, alors que le deuxième enfant, de nationalité belge et espagnole, porte le double nom de son père conformément à l'article 335, paragraphe 1, du code civil, et cela afin de rétablir l'unité du nom au sein de la famille.

Litige au principal et question préjudicielle

13 M. Garcia Avello, ressortissant espagnol, et Mme I. Weber, de nationalité belge, résident en Belgique où ils se sont mariés au cours de l'année 1986. Les deux enfants issus de leur union, Esmeralda et Diego, nés respectivement en 1988 et en 1992, possèdent la double nationalité belge et espagnole.

14 Conformément au droit belge, l'officier de l'état civil belge a fait figurer sur l'acte de naissance des enfants le patronyme de leur père, à savoir «Garcia Avello», comme nom de famille de ceux-ci.

15 Par requête motivée, adressée au ministre de la Justice le 7 novembre 1995, M. Garcia Avello et son épouse ont sollicité, en leur qualité de représentants légaux de leurs deux enfants, le changement du nom patronymique de ces derniers en «Garcia Weber», en indiquant que, selon l'usage consacré en droit espagnol, le nom des enfants d'un couple marié est composé du premier nom de leur père, suivi de celui de leur mère.

16 Il ressort du dossier que les intéressés ont été enregistrés sous le nom de famille «Garcia Weber» à la section consulaire de l'ambassade d'Espagne en Belgique.

17 Par lettre du 30 juillet 1997, les autorités belges ont proposé au requérant au principal de changer le nom patronymique de ses enfants en «Garcia» en lieu et place du changement souhaité, proposition que, par lettre du 18 août 1997, le requérant au principal et son épouse ont refusée.

18 Par lettre du 1er décembre 1997, le ministre de la Justice a informé M. Garcia Avello du rejet de sa demande en ces termes: «le Gouvernement estime qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour proposer à Sa Majesté le Roi de vous accorder la faveur de la substitution de votre nom patronymique en celui de Garcia Weber'. En effet, toute demande en vue d'adjoindre le nom de la mère à celui du père, pour un enfant, est habituellement rejetée au motif qu'en Belgique les enfants portent le nom de leur père».

19 Le 29 janvier 1998, le requérant au principal, en sa qualité de représentant légal de ses enfants Esmeralda et Diego, a introduit une requête en annulation de cette décision devant le Conseil d'État qui, compte tenu de l'argumentation des parties et après avoir écarté l'article 43 CE comme non pertinent en ce que la liberté d'établissement ne serait manifestement pas en cause à l'égard des enfants mineurs visés par la demande litigieuse, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les principes du droit communautaire en matière de citoyenneté européenne et de liberté de circulation des personnes, consacrés spécialement par les articles 17 et 18 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, doivent-ils être interprétés comme empêchant l'autorité administrative belge, saisie d'une demande de changement d'un nom pour des enfants mineurs résidant en Belgique et disposant de la double nationalité belge et espagnole, motivée sans autre circonstance particulière par le fait que ces enfants devraient porter le nom dont ils seraient titulaires en vertu du droit et de la tradition espagnols, de refuser ce changement en faisant valoir que ce type de demande est habituellement rejetée au motif qu'en Belgique les enfants portent le nom de leur père', spécialement lorsque l'attitude généralement adoptée par l'autorité résulte de ce qu'elle considère que l'octroi d'un nom autre peut, dans le cadre de la vie sociale en Belgique, susciter des questions quant à la filiation de l'enfant concerné, mais que, pour atténuer les inconvénients liés à la double nationalité, il est proposé aux demandeurs se trouvant dans une telle situation de n'adopter que le premier nom du père, et qu'exceptionnellement, lorsqu'il y a peu de facteurs de rattachement à la Belgique ou qu'il convient de rétablir l'unité de nom entre les membres d'une fratrie, une décision favorable peut être prise?»

Sur la question préjudicielle

20 D'emblée, il convient d'examiner si, contrairement à la thèse soutenue par l'État belge ainsi que par les gouvernements danois et néerlandais, la situation qui fait l'objet du litige au principal relève du champ d'application du droit communautaire et, en particulier, des dispositions du traité relatives à la citoyenneté de l'Union.

21 L'article 17 CE confère à toute personne ayant la nationalité d'un État membre le statut de citoyen de l'Union (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 2002, D'Hoop, C-224/98, Rec. p. I-6191, point 27). Les enfants de M. Garcia Avello possédant la nationalité de deux États membres, ils bénéficient de ce statut.

22 Ainsi que la Cour l'a relevé à plusieurs reprises (voir, notamment, arrêt du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C-413/99, Rec. p. I-7091, point 82), le statut de citoyen de l'Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres.

23 Ce statut permet à ces derniers se trouvant dans la même situation d'obtenir dans le domaine d'application ratione materiae du traité CE, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, Rec. p. I-6193, point 31, et D'Hoop, précité, point 28).

24 Parmi les situations relevant du domaine d'application ratione materiae du droit communautaire figurent celles relatives à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, notamment celles relevant de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l'article 18 CE (arrêt du 24 novembre 1998, Bickel et Franz, C-274/96, Rec. p. I-7637, points 15 et 16, ainsi que arrêts précités Grzelczyk, point 33, et D'Hoop, point 29).

25 Si, en l'état actuel du droit communautaire, les règles régissant le nom d'une personne relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins, dans l'exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire (voir, par analogie, arrêt du 2 décembre 1997, Dafeki, C-336/94, Rec. p. I-6761, points 16 à 20) et, en particulier, les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l'Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (voir, notamment, arrêt du 23 novembre 2000, Elsen, C-135/99, Rec. p. I-10409, point 33).

26 La citoyenneté de l'Union, prévue à l'article 17 CE, n'a pas pour autant pour objectif d'étendre le champ d'application matériel du traité également à des situations internes n'ayant aucun rattachement au droit communautaire (arrêt du 5 juin 1997, Uecker et Jacquet, C-64/96 et C-65/96, Rec. p. I-3171, point 23).

27 Toutefois, un tel rattachement au droit communautaire existe à l'égard de personnes se trouvant dans une situation telle que celle des enfants de M. Garcia Avello, qui sont des ressortissants d'un État membre séjournant légalement sur le territoire d'un autre État membre.

28 À cette conclusion on ne saurait opposer la circonstance que les intéressés au principal ont également la nationalité de l'État membre dans lequel ils séjournent depuis leur naissance et qui, selon les autorités de cet État, serait de ce fait la seule à être reconnue par celui-ci. En effet, il n'appartient pas à un État membre de restreindre les effets de l'attribution de la nationalité d'un autre État membre, en exigeant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette nationalité en vue de l'exercice des libertés fondamentales prévues par le traité (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a., C-369/90, Rec. p. I-4239, point 10). D'ailleurs, l'article 3 de la convention de La Haye, sur laquelle se fonde le royaume de Belgique pour reconnaître la seule nationalité du for en cas de pluralité de nationalités lorsque l'une d'entre elles est la nationalité belge, comporte non pas une obligation, mais une simple faculté pour les parties contractantes de faire prévaloir cette dernière nationalité sur toute autre nationalité.

29 Dans ces conditions, les enfants du requérant au principal peuvent se prévaloir du droit, prévu à l'article 12 CE, de ne pas subir de discrimination en raison de la nationalité au regard des règles régissant leur nom de famille.

30 Dès lors, il convient d'examiner si les articles 12 CE et 17 CE s'opposent à ce que l'autorité administrative belge refuse une demande de changement de nom dans une situation telle que celle de l'espèce au principal.

31 À cet égard, il est de jurisprudence constante que le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale (voir, notamment, arrêt du 17 juillet 1997, National Farmers' Union e.a., C-354/95, Rec. p. I-4559, point 61). Un tel traitement ne pourrait être justifié que s'il se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi (voir, notamment, arrêt D'Hoop, précité, point 36).

32 En l'occurrence, il est constant que les personnes possédant, outre la nationalité belge, celle d'un autre État membre sont, en règle générale, traitées de la même manière que les personnes ayant seulement la nationalité belge, au motif que, en Belgique, les personnes ayant la nationalité belge sont exclusivement considérées comme belges. De la même manière que les ressortissants belges, les ressortissants espagnols ayant par ailleurs la nationalité belge se voient habituellement refuser le droit de changer de nom de famille au motif que, en Belgique, les enfants portent le nom de leur père.

33 La pratique administrative belge, qui, ainsi qu'il ressort du point 12 du présent arrêt et de la question préjudicielle, admet des dérogations à cette dernière règle, refuse d'envisager, parmi celles-ci, le cas de personnes se trouvant dans une situation telle que celle de l'espèce au principal et qui cherchent à remédier à la diversité de leur nom de famille résultant de l'application de la législation de deux États membres.

34 Il convient dès lors de vérifier si ces deux catégories de personnes se trouvent dans une situation identique ou si, au contraire, elles sont dans une situation différente, auquel cas le principe de non-discrimination impliquerait que les ressortissants belges qui, tels les enfants de M. Garcia Avello, possèdent également la nationalité d'un autre État membre puissent revendiquer un traitement différent de celui réservé aux personnes ayant la seule nationalité belge, à moins que le traitement mis en cause soit justifié par des raisons objectives.

35 Contrairement aux personnes possédant seulement la nationalité belge, les ressortissants belges ayant également la nationalité espagnole portent des noms de famille différents au regard des deux systèmes juridiques concernés. Plus particulièrement, dans une situation telle que celle en cause au principal, les enfants intéressés se voient refuser de porter le nom de famille qui résulte de l'application de la législation de l'État membre ayant déterminé le nom de famille de leur père.

36 Or, comme M. l'avocat général l'a relevé au point 56 de ses conclusions, il est constant que pareille situation de diversité de noms de famille est de nature à engendrer pour les intéressés de sérieux inconvénients d'ordre tant professionnel que privé résultant, notamment, des difficultés à bénéficier dans un État membre dont ils ont la nationalité des effets juridiques d'actes ou de documents établis sous le nom reconnu dans un autre État membre dont ils possèdent également la nationalité. Ainsi qu'il a été constaté au point 33 du présent arrêt, la solution proposée par les autorités administratives consistant à permettre aux enfants de porter le seul premier nom de famille de leur père ne constitue pas un remède à la situation de diversité de noms de famille que les intéressés cherchent à éviter.

37 Dans ces conditions, les ressortissants belges, porteurs de divers noms de famille en raison des différentes lois auxquelles ils se rattachent par la nationalité, peuvent invoquer des difficultés propres à leur situation et qui les distinguent des personnes ayant la seule nationalité belge, lesquelles sont désignées par un seul nom de famille.

38 Toutefois, ainsi qu'il a été relevé au point 33 du présent arrêt, les autorités administratives belges refusent de considérer comme fondées sur des «motifs sérieux», au sens de l'article 3, deuxième alinéa, de la loi du 15 mai 1987, précitée, les demandes de changement du nom de famille de ressortissants belges se trouvant dans une situation telle que celle des enfants du requérant au principal en vue d'éviter la diversité de noms de famille au seul motif que, en Belgique, les enfants de nationalité belge portent, conformément au droit belge, le nom de leur père.

39 Il y a lieu d'examiner si la pratique litigieuse peut être justifiée par les motifs invoqués, à titre subsidiaire, par l'État belge ainsi que par les gouvernements danois et néerlandais.

40 L'État belge relève que le principe de la fixité du nom de famille constitue un principe fondateur de l'ordre social dont il est toujours un élément essentiel et que le Roi ne peut autoriser un changement de nom que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles qui ne sont pas réunies dans l'affaire au principal. Tout comme l'État belge, le gouvernement néerlandais fait valoir que l'atteinte aux droits des enfants du requérant au principal est réduite dans la mesure où ceux-ci peuvent en tout cas se prévaloir de leur nationalité espagnole et du nom de famille attribué selon le droit espagnol dans tout État membre autre que la Belgique. La pratique litigieuse permettrait de prévenir les risques de confusion sur l'identité ou la filiation des intéressés. Selon le gouvernement danois, ladite pratique, en ce qu'elle applique les mêmes règles aux ressortissants belges ayant également la nationalité d'un autre État membre qu'aux personnes ayant seulement la nationalité belge, contribue à favoriser l'intégration des premiers en Belgique et favorise ainsi la réalisation de l'objectif poursuivi par le principe de non-discrimination.

41 Aucun de ces motifs ne saurait valablement justifier la pratique litigieuse.

42 S'agissant, d'une part, du principe de la fixité du nom de famille en tant qu'instrument destiné à prévenir les risques de confusion sur l'identité ou la filiation des personnes, il convient de relever que, si ce principe contribue certes à faciliter la reconnaissance de l'identité des personnes et de leur filiation, il n'est pas pour autant à tel point indispensable qu'il ne s'accommoderait pas d'une pratique consistant à permettre aux enfants ressortissants d'un État membre et ayant également la nationalité d'un autre État membre de porter un nom de famille composé d'autres éléments que ceux prévus par le droit du premier État membre et qui fait, par ailleurs, l'objet d'une inscription dans un registre officiel du second État membre. En outre, il est constant que, en raison notamment de l'ampleur des flux migratoires à l'intérieur de l'Union, différents systèmes nationaux d'attribution du nom coexistent dans un même État membre, de sorte que la filiation ne saurait être nécessairement appréciée dans la vie sociale d'un État membre à l'aune du seul système applicable aux ressortissants de ce dernier État. À cela s'ajoute qu'un système permettant la transmission d'éléments du nom de famille des deux parents, loin de provoquer une confusion sur le lien de filiation des enfants, peut contribuer au contraire à renforcer la reconnaissance de ce lien par rapport aux deux parents.

43 S'agissant, d'autre part, de l'objectif d'intégration poursuivi par la pratique litigieuse, il suffit de rappeler que, compte tenu de la coexistence dans les États membres de divers systèmes d'attribution du nom applicables aux personnes y résidant, une pratique telle que celle en cause au principal n'est ni nécessaire ni même apte à favoriser l'intégration des ressortissants d'autres États membres en Belgique.

44 Le caractère disproportionné du refus opposé par les autorités belges à des demandes telles que celle de l'espèce au principal est d'autant plus apparent que, ainsi qu'il ressort du point 12 du présent arrêt et de la question préjudicielle, la pratique litigieuse admet d'ores et déjà des dérogations à l'application du régime belge en matière de transmission du nom de famille dans des situations proches de celle dans laquelle se trouvent les enfants du requérant au principal.

45 Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que les articles 12 CE et 17 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, l'autorité administrative d'un État membre refuse de donner une suite favorable à une demande de changement de nom pour des enfants mineurs résidant dans cet État et disposant de la double nationalité dudit État et d'un autre État membre, alors que cette demande a pour objet que ces enfants puissent porter le nom dont ils seraient titulaires en vertu du droit et de la tradition du second État membre.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

46 Les frais exposés par les gouvernements danois et néerlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (assemblée plénière),

statuant sur la question à elle soumise par le Conseil d'État, par arrêt du 21 décembre 2001, dit pour droit:

- Les articles 12 CE et 17 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, l'autorité administrative d'un État membre refuse de donner une suite favorable à une demande de changement de nom pour des enfants mineurs résidant dans cet État et disposant de la double nationalité dudit État et d'un autre État membre, alors que cette demande a pour objet que ces enfants puissent porter le nom dont ils seraient titulaires en vertu du droit et de la tradition du second État membre.