CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. L. A. GEELHOED
présentées le 27 avril 2004(1)



Affaire C-284/02



Land Brandenburg
contre
Ursula Sass


[(demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Allemagne)]

«Interprétation de l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et directive 76/207/CEE du Conseil, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail – Convention collective en vertu de laquelle une période de congé de maternité est prise en compte aux fins de l'avancement – Convention collective dont l'effet est d'aligner la période pertinente d'un congé de maternité accordée par les dispositions de la République démocratique allemande alors applicables sur la période prévue par la législation de la République fédérale d'Allemagne»






I –   Introduction

1.        La question préjudicielle posée en l’espèce a pour origine la période transitoire de la réunification de l’Allemagne. En particulier, elle porte sur la question de savoir si la différence de traitement résultant de la différence entre le régime légal du congé de maternité de l’ancienne République démocratique allemande et celui de la République fédérale d’Allemagne doit être considérée comme une discrimination fondée sur le sexe.

A –   Droit communautaire

2.        L’article 119, premier alinéa, du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) pose le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail. On entend par «rémunération» le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier (article 119, deuxième alinéa, du traité, devenu article 141, paragraphe 2, première phrase, CE).

3.        La directive 76/207/CEE  (2) consacre le principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes concernant l’accès à l’emploi et les conditions de travail.

4.        En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, l’application de ce principe implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d’accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou aux postes de travail, quel qu’en soit le secteur ou la branche d’activité, et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle.

5.        Selon l’article 5, paragraphe 1, de cette même directive, l’application du principe de l’égalité de traitement implique également que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions de travail, sans discrimination fondée sur le sexe.

6.        La directive 92/85/CEE  (3) introduit l’obligation pour les États membres d’assurer une protection minimale aux travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes. À cet égard, l’article 8 dispose que ces travailleuses bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, dont au moins deux semaines sont obligatoires. En outre, l’article 11 énonce que le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate des travailleuses ainsi que les droits liés au contrat de travail doivent être assurés pendant ce congé de maternité (la date de transposition de la directive était le 10 octobre 1994).

B –   Dispositions nationales

7.        En République fédérale d’Allemagne, la situation des femmes à la suite de l’accouchement est régie par le Mutterschutzgesetz (loi sur la protection de la maternité, ci‑après le «MuSchG»). Les dispositions applicables en la matière dans l’ancienne République démocratique allemande figuraient dans l’Arbeitsgesetzbuch der Deutschen Demokratischen Republik (code du travail de la République démocratique allemande, ci‑après l’«AGB‑DDR»).

8.       À cet égard, l’article 244 de l’AGB‑DDR prévoyait que les femmes bénéficiaient d’un congé prénatal d’une durée de six semaines avant l’accouchement et d’un congé postnatal d’une durée de vingt semaines après l’accouchement. Pendant la durée de chacun de ces congés, l’assurance sociale versait à ces femmes une allocation prénatale et une allocation postnatale correspondant au montant de leur rémunération nette moyenne.

9.        En République fédérale d’Allemagne, la première phrase de l’article 6, paragraphe 1, du MuSchG interdisait aux femmes, tout comme aujourd’hui, de travailler pendant les huit semaines suivant l’accouchement. Pendant cette période, les employeurs versaient un supplément aux mères exerçant une activité professionnelle (articles 13 et 14 du MuSchG) et celles‑ci touchaient également une allocation de maternité en vertu de la Reichsversicherungsordnung (code des assurances sociales). Après cette période de protection, l’employée pouvait bénéficier d’un congé d’éducation jusqu’à ce que l’enfant ait dix mois. Pendant ce temps, elle recevait une allocation d’éducation, mais aucune prestation de son employeur.

10.      L’article 23 bis du Bundes‑Angestelltentarifvertrag‑Ost (convention collective du 10 décembre 1990 des agents contractuels du secteur public de l’Allemagne de l’Est, ci‑après le «BAT‑O») dispose:

«Avancement à l’issue d’une période probatoire dans le secteur de l’administration fédérale et de la Tarifgemeinschaft deutscher Länder (regroupement des Länder allemands à des fins financières)

L’employé qui exerce une activité dont la description est assortie d’un astérisque à l’annexe 1 a) est classé dans la catégorie de rémunération supérieure dès lors qu’il a accompli la période probatoire requise.

La période probatoire est régie par les règles ci‑après:

1.       La condition de la période probatoire est considérée comme remplie lorsque l’employé s’est montré à la hauteur des exigences liées à l’activité qui lui a été confiée pendant la période probatoire requise. À cet égard, l’activité pertinente est celle qui correspond à la catégorie de rémunération dans laquelle est classé l’employé.

[...]

4.       La période probatoire doit être effectuée sans interruption. Les interruptions d’une durée maximale de six mois chacune sont sans incidence; par ailleurs, sans préjudice de ce qui précède, sont également sans incidence les interruptions pour les motifs suivants:

a)       accomplissement du service militaire ou du service civil;

b)       incapacité de travail au sens de l’article 37, paragraphe 1;

c)       périodes de protection prévues par le Mutterschutzgesetz;

d)       congé d’éducation prévu par le Bundeserziehungsgeldgesetz (loi fédérale relative à l’octroi de l’allocation d’éducation) et tout autre congé destiné à l’éducation des enfants, la durée totale de ces congés ne devant pas excéder cinq ans;

e)       activité de coopérant, d’une durée maximale de deux ans, dispensant du service militaire.

Toutefois, les périodes d’interruption ne sont pas imputées sur la période probatoire, à l’exception:

a)       du congé au sens des articles 47 à 49 et au sens du Schwerbehindertengesetz (loi relative aux grands invalides);

b)       du congé spécial au sens de l’article 50, paragraphe 1, tel qu’il était en vigueur jusqu’au 31 août 1995;

c)       d’une dispense de travail au sens de l’article 52;

d)       d’une incapacité de travail au sens de l’article 37, paragraphe 1, d’une durée maximale de 26 semaines et, dans les cas visés à l’article 37, paragraphe 4, troisième alinéa, d’une durée maximale de 28 semaines;

e)       des périodes de protection prévues par le Mutterschutzgesetz;

[…]»

11.      Le 8 mai 1991, le BAT‑O a été modifié par l’Änderungstarifvertrag n° 1 zum BAT‑O (convention collective modificative n° 1 du BAT‑O). L’article 2 énonce:

«Incorporation de la grille des rémunérations du BAT (convention collective des agents contractuels du secteur public, ci‑après le ‘BAT’)

L’annexe 1 a) – concernant le secteur de l’administration fédérale et de la Tarifgemeinschaft deutscher Länder, à l’exception des dispositions relatives aux suppléments de salaire de la partie II, section N, ainsi que des dispositions correspondantes de la partie III, section L, sous-section VII – et l’annexe 1 b) du Bundes‑Angestelltentarifvertrag doivent être appliquées en fonction des critères suivants:

1.       Dans la mesure où des périodes probatoires, des périodes d’activité, des périodes d’exercice d’une profession, etc. sont exigées dans la description d’une activité, il convient de prendre en compte les périodes, effectuées avant le 1er  juillet 1991 et reconnues comme périodes d’activité en vertu de l’article 19, paragraphes 1 et 2, du BAT‑O et des dispositions transitoires, qui auraient dû être prises en compte si la section VI et la grille des rémunérations du BAT‑O avaient déjà été en vigueur avant le 1er juillet 1991. La première phrase s’applique de la même façon à la prise en compte des périodes effectuées avant le 1er juillet 1991 qui – en vertu de dispositions transitoires figurant dans des conventions collectives relatives à la modification de l’annexe 1 a) ou de l’annexe 1 b) du BAT, qui ont été ou seront conclues après le 30 juin 1991 – doivent ou peuvent être imputées en tout ou en partie sur les périodes probatoires, sur les périodes d’activité, sur les périodes d’expérience professionnelle, etc. exigées dans la description d’une activité. Dans la mesure où la description d’une activité autorise l’imputation de périodes effectuées en dehors du champ d’application du BAT‑O, lesdites périodes sont prises en compte dès lors qu’elles auraient dû l’être en vertu du premier alinéa si elles avaient relevé du champ d’application du BAT‑O.

[...]»

II –  Le litige au principal

12.      Mme Ursula Sass est employée comme chef de production par la Hochschule für Film und Fernsehen «Konrad Wolf» à Potsdam depuis 1982.

13.      Au moment de la naissance de son second enfant, le 27 janvier 1987, elle vivait dans l’ancienne République démocratique allemande. Sa relation de travail était donc régie par l’AGB‑DDR. Après la naissance, elle a pris un congé de maternité de vingt semaines conformément à l’article 244 de l’AGB‑DDR.

14.     À la suite de la réunification de l’Allemagne, sa relation de travail a été transférée au Land Brandenburg. Celle‑ci a dès lors été régie par le BAT‑O en vertu d’une stipulation des parties en ce sens.

15.      Jusqu’au 7 mai 1998, Mme Sass a touché le salaire qui correspondait à la catégorie de rémunération II a) du BAT‑O. Le 8 mai 1998, elle est passée à la catégorie de rémunération I b), groupe 2, du BAT‑O, à la fin de la période probatoire prévue à l’article 23 bis du BAT‑O.

16.      Le Land a imputé les huit premières semaines du congé de maternité postnatal sur la période probatoire de quinze ans requise pour la classification dans une catégorie de rémunération supérieure, mais non les douze semaines suivantes. Il estime que, en vertu des dispositions de la convention collective, seules les périodes de protection prévues par le MuSchG doivent être imputées sur la période probatoire, mais non le congé de maternité supplémentaire prévu à l’article 244 de l’AGB‑DDR.

17.      Mme Sass, cependant, considère qu’elle a été classée dans une catégorie de rémunération supérieure dès le 12 février 1998 au motif que, en vertu des dispositions de la convention collective, la totalité du congé de maternité postnatal aurait dû être imputée sur la période probatoire prévue à l’article 23 bis du BAT‑O. Elle fait valoir que l’interprétation des dispositions de la convention collective adoptée par le Land entraîne une discrimination illicite des femmes.

18.      Elle a introduit un recours devant la juridiction nationale de première instance, qui a fait droit à sa demande. En instance de «Revision», le Land conclut de nouveau au rejet de la demande. Mme  Sass soutient que la «Revision» doit être rejetée.

19.      La juridiction de renvoi estime qu’il ne peut être fait droit à la demande sur la base du seul droit national. Elle explique que le libellé même de la troisième phrase de l’article 23 bis, paragraphe 4, sous e), du BAT‑O ne soulève aucun doute sur le fait que la partie du congé de maternité dépassant la période de protection de huit semaines suivant l’accouchement prévue à l’article 6, paragraphe 1, du MuSchG ne doit pas être imputée sur la période probatoire. Cette conclusion est également la seule possible en vertu de l’économie de la convention collective; par ailleurs, l’esprit et la finalité de la disposition l’imposent. L’article 2, paragraphe 1, de l’Änderungstarifvertrag n° 1 zum BAT‑O ne modifie pas cette solution. En outre, la juridiction de renvoi indique que les dispositions de la convention collective n’enfreignent aucune disposition nationale de rang supérieur. Toutefois, la juridiction de renvoi n’exclut pas l’éventualité d’une incompatibilité de la disposition en cause de la convention collective avec l’article 119 du traité et avec la directive 76/207.

La question préjudicielle

20.      Le Bundesarbeitsgericht a décidé de déférer la question suivante à la Cour de justice à titre préjudiciel:

«L’article 119 du traité CE (actuellement l’article 141 du traité CE) et la directive 76/207/CEE font‑ils obstacle à ce qu’une convention collective, en vertu de laquelle les périodes de suspension de la relation de travail ne sont pas imputées sur la période probatoire, exclue également de l’imputation la période pendant laquelle la relation de travail a été suspendue parce que le travailleur féminin a bénéficié, à l’expiration de la période de protection de huit semaines, quant à elle imputable, prévue à l’article 6 du MuSchG (loi sur la protection de la maternité), d’un congé de maternité jusqu’à la fin de la vingtième semaine après l’accouchement, conformément à l’article 244, paragraphe 1, de l’AGB‑DDR (code du travail de la République démocratique allemande) du 16 juin 1977 (GBl. I, p. 185)?»

III –  Appréciation

21.      Bien que la juridiction de renvoi considère que la convention collective est compatible avec les articles 3, paragraphe 1, et 5 de la directive 76/207 qu’avec le principe de l’égalité des rémunérations pour un même travail, au motif que la différence affectant l’imputation des interruptions d’activité sur la période probatoire, prévue à l’article 23 bis, paragraphe 4, du BAT‑O, est basée non pas sur le sexe, mais sur la question de savoir si la relation de travail était suspendue durant l’interruption, elle n’exclut pas, comme nous l’avons mentionné ci‑dessus, la possibilité que la convention collective enfreigne le droit communautaire, étant donné que, en prenant un congé postnatal auquel seules les femmes ont droit, Mme  Sass a été classée dans une catégorie de rémunération supérieure douze semaines après un homme n’ayant pas droit au congé postnatal.

22.      Cette position est celle de Mme Sass. Elle fait valoir que sa classification dans une catégorie de rémunération supérieure, douze semaines après un homme titulaire du même poste, travaillant pour le même employeur et ayant commencé à la même date, est due à une différence de traitement fondée sur le sexe et que, par conséquent, l’article 141 CE a été enfreint.

23.      En outre, Mme Sass invoque la directive 76/207. Elle soutient que le retard subi par son avancement résulte du fait que seules les huit semaines prévues par le MuSchG (mais non la totalité des vingt semaines accordées en vertu de l’AGB‑DDR) sont prises en compte. Or, selon Mme Sass, il s’agit d’une violation des articles 3, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive.

24.      Le Land et la Commission estiment qu’il n’a pas été porté atteinte au droit communautaire.

25.      Pour les raisons que nous exposerons ci‑après, nous sommes parvenu à la même conclusion.

26.      En premier lieu, nous estimons qu’il convient d’examiner la question litigieuse à la lumière de la directive 76/207, étant donné que la présente affaire concerne l’accès à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive. En ce sens, cette dernière – qui porte spécifiquement sur le principe de l’égalité des rémunérations – constitue la base juridique appropriée, et non les dispositions de l’article 141, paragraphes 1 et 2, CE. L’arrêt rendu dans l’affaire Nimz  (4) ne s’applique pas à la présente espèce, qui concerne non pas le passage quasiment automatique d’une catégorie de rémunération à une autre en fonction de la durée de service, mais les interruptions de la période probatoire dans le cadre de l’avancement.

27.      En second lieu, il semble que la juridiction de renvoi n’aborde que la situation de Mme Sass, qui est celle d’une femme ayant pris un congé de maternité sur la base du code du travail alors applicable en République démocratique allemande. Comme la Commission l’a fait observer à juste titre dans ses observations écrites, la juridiction de renvoi n’a pas soulevé la question plus générale de savoir si le fait de ne pas prendre en compte, pour la période probatoire, la période de congé qui dépasse les huit semaines prévues par le MuSchG peut être considéré comme une discrimination. En effet, les femmes d’Allemagne de l’Ouest pouvaient elles aussi prendre un congé plus long que celui prévu par le MuSchG à cette époque. Ce congé supplémentaire n’était pas pris en compte pour la période probatoire au sens de l’article 23 bis, paragraphe 4, du BAT‑O.

28.      Par conséquent, la question soulevée semble concerner non pas la discrimination entre hommes et femmes en général, mais le régime applicable à un groupe particulier de femmes, à savoir celles de l’ancienne République démocratique allemande.

29.      Or, cette question ne relève pas du droit communautaire. Le principe de l’égalité de traitement posé à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 76/207 ne se rapporte pas à n’importe quelle discrimination. La directive ne couvre pas la discrimination exercée pour d’autres motifs que le sexe. Pour cette raison, une discrimination éventuelle entre les femmes d’Allemagne de l’Est et celles de l’Allemagne de l’Ouest ne peut pas être examinée sous l’angle de cette directive.

30.      Il va de soi que la disposition en cause du BAT‑O n’affecte que les femmes, puisque seules celles‑ci peuvent accoucher et prendre un congé de maternité en vertu de l’AGB‑DDR. En tant que telle, cette circonstance ne s’oppose pas à ce qu’une discrimination illicite puisse être constatée, puisque la Cour a jugé que le refus d’une candidate enceinte peut constituer une discrimination illicite, même si toutes les autres candidates sont des femmes  (5) .

31.      Cependant, la différence de traitement n’a pas pour origine la grossesse ou le fait d’être une femme ayant récemment accouché, mais la circonstance que, à cette époque, les règles concernant le congé de maternité/le congé postnatal des femmes d’Allemagne de l’Est et de d’Allemagne de l’Ouest figuraient dans des régimes juridiques distincts.

32.      En République fédérale d’Allemagne, les femmes avaient l’obligation de prendre un congé de maternité de huit semaines. Au cours de cette période, les obligations principales tant de l’employée (travailler) que de l’employeur (verser le salaire) étaient suspendues. À la place, ce dernier était tenu de compléter les prestations de sécurité sociale, afin de garantir que les femmes continuent à toucher les mêmes revenus. Néanmoins, cette période était prise en compte pour la période probatoire aux fins de la classification dans une catégorie de rémunération supérieure. Les femmes pouvaient opter pour un congé plus long. Lorsque la période de protection de huit semaines après la naissance, accordée aux mères qui travaillaient, arrivait à son terme, celles‑ci avaient droit à un congé d’éducation qui commençait à la fin de cette période de protection pour se terminer le jour où l’enfant atteignait l’âge de dix mois. Toutefois, cette période supplémentaire n’était pas imputée sur la période probatoire et l’employeur n’était pas non plus soumis à l’obligation de compléter les prestations sociales que recevait la mère.

33.      En République démocratique allemande, les obligations principales de l’employeur et de la salariée étaient également suspendues pendant le congé de maternité. Pendant ce temps, la sécurité sociale versait à la femme une allocation de maternité, équivalente à ses revenus nets moyens. En réponse aux questions écrites de la Cour, le gouvernement allemand a indiqué que l’AGB‑DDR ne formulait pas d’interdiction absolue de travailler après la grossesse, mais qu’une période de récupération de six semaines était considérée comme normale. Les femmes n’étaient pas contraintes de prendre un congé de maternité de vingt semaines, mais en pratique presque toutes exerçaient leur droit de le faire. Contrairement à la République fédérale d’Allemagne, la République démocratique allemande n’avait pas de système d’avancement en fonction des qualifications régi par une convention collective.

34.      En réalité, il ressort des informations données par le gouvernement allemand et par Mme Sass que les huit semaines prévues par le MuSchG et, en tout état de cause, les six premières semaines prévues par l’AGB‑DDR avaient la même finalité: que la mère puisse recouvrer ses forces et qu’elle ait la possibilité de prendre soin personnellement de l’enfant immédiatement après l’accouchement. Par la suite, elle pouvait opter pour un congé supplémentaire afin de s’occuper de l’enfant (Allemagne de l’Ouest) ou exercer son droit de bénéficier de la totalité de la période de vingt semaines (Allemagne de l’Est). Bien que cette question ne se pose pas en l’espèce, il semble que tant en Allemagne de l’Ouest qu’en Allemagne de l’Est, les mères et les pères avaient la possibilité de prendre une forme de congé parental par la suite. En Allemagne de l’Ouest, cette période n’était pas imputée sur la période probatoire. Comme nous l’avons mentionné ci‑dessus, il n’existait pas en Allemagne de l’Est de système d’avancement comparable, basé sur une convention collective.

35.      Après la réunification, il a été inscrit dans la convention collective que seules les huit semaines prévues par le MuSchG pouvaient être imputées sur la période probatoire. Naturellement, il est envisageable que des frictions naissent des divers régimes légaux applicables avant la réunification et qu’il ne soit pas possible d’éliminer toutes les éventuelles divergences liées à l’histoire. D’un autre côté, on pourrait soutenir que les dispositions transitoires de la convention collective visaient précisément à assurer l’égalité de traitement entre les salariés de la République fédérale d’Allemagne et ceux de l’ancienne République démocratique allemande. Si la demande de Mme Sass était accueillie, cela entraînerait également une inégalité de traitement.

36.      Nous sommes conscient qu’une confiance légitime pouvait naître du fait que toutes les femmes de l’ancienne Allemagne de l’Est prenaient un congé de maternité de vingt semaines. Cependant, cette question ne relève pas du droit communautaire et doit être résolue en vertu du droit national.

37.      Notre dernière remarque consistera à indiquer que le problème de l’égalité de traitement entre les habitants de l’ancienne Allemagne de l’Ouest et ceux de l’ancienne Allemagne de l’Est ne se pose pas seulement concernant la protection des mères. Par exemple, les hommes ayant effectué leur service militaire peuvent également être affectés par la différence qui existe entre les deux anciens régimes. Ces questions ne peuvent pas être abordées d’une façon appropriée sous l’angle du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en droit communautaire.

38.      Pour conclure, une éventuelle différence de traitement entre les deux groupes de femmes en cause ne peut pas être examinée en faisant référence au principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes.

39.      L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes de l’ancienne Allemagne de l’Est est‑elle assurée?

40.      Comme nous l’avons indiqué au point 30, seules les femmes peuvent être enceintes et donc prendre un congé de maternité en vertu de l’AGB‑DDR. Cependant, cela ne signifie pas automatiquement que cette différence implique une discrimination. La grossesse est une situation spéciale justifiant une protection spéciale. C’est pourquoi l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 dispose que celle‑ci ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité. Nous renvoyons également à l’affaire Hofmann  (6) , dans laquelle la Cour a jugé que des mesures telles qu’un congé de maternité accordé à la femme après l’expiration du délai légal de protection relèvent du domaine d’application de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 et qu’un tel congé peut être légitimement réservé à la mère, sans constituer de discrimination.

41.      Bien qu’elle ne soit pas applicable en l’espèce, la directive 92/85 peut servir de source d’inspiration. Ladite directive pose uniquement des règles minimales s’agissant de la durée du congé de maternité, ce qui signifie que les États membres sont libres d’adopter une législation prévoyant des durées plus longues pour le congé de maternité avant ou après l’accouchement.

42.      En ce qui concerne les conséquences de ce congé prolongé sur les droits des femmes dans le cadre de leur relation de travail, la directive 92/85 seulement que, pendant la période minimale prévue en son article 8, les droits liés au contrat de travail doivent être garantis. Ainsi, la directive ne réglemente pas les conséquences d’un congé de maternité qui dépasse la période minimale prescrite. À cet égard, la Cour a jugé dans l’affaire Boyle e.a.  (7) qu’il est admissible que l’acquisition des droits au congé annuel soit interrompue durant le congé de maternité sans solde accordé par l’employeur en plus de la période de protection garantie par l’article 8 de la directive 92/85.

43.      Selon la réponse écrite du gouvernement allemand, mentionnée aux points 33 et 34, les femmes de l’ancienne Allemagne de l’Est n’étaient pas tenues de prendre la totalité des vingt semaines du congé de maternité. En d’autres termes, il s’agissait d’un droit spécial en faveur des femmes, elles étaient libres de choisir. Mme Sass affirme que, à l’époque où elle a accouché, le MuSchG n’entrait pas en ligne de compte. Toutes les femmes de l’ancienne Allemagne de l’Est exerçaient leur droit de prendre vingt semaines de congé de maternité. Elles auraient même pu subir des désagréments si elles ne l’avaient pas fait. Mme Sass fait également observer que, après cette période de congé, les femmes retournaient au travail et mettaient leur enfant à la crèche de façon plus fréquente qu’en République fédérale d’Allemagne. Elles avaient également la possibilité de placer leur enfant dans une crèche pendant ces vingt semaines, mais, si elles le faisaient après la fin des six semaines de leur congé de maternité, elles étaient censées retourner au travail, étant donné qu’elles ne recevaient plus d’allocation de maternité. En tout état de cause, cela ne saurait être décisif pour la question soulevée en l’espèce. S’agissant de l’éventuelle confiance légitime, nous renvoyons à la remarque que nous avons formulée au point 36. Bien que de telles pratiques aient pu créer une confiance légitime, en ce sens que les femmes pouvaient ne pas avoir réalisé que leur classification dans une catégorie de rémunération supérieure était susceptible d’en être affectée, cette question ne relève pas du droit communautaire, mais du droit national.

44.      La juridiction de renvoi a également soulevé la question de la discrimination indirecte. L’article 244 de l’AGB‑DDR ne concernant que les femmes, il ne saurait être considéré comme une discrimination indirecte.

IV –  Conclusion

45.     À la lumière des observations ci‑dessus, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit à la question qui lui a été déférée à titre préjudiciel par le Bundesarbeitsgericht:

«Une disposition d’une convention collective prévoyant que les périodes pendant lesquelles une relation de travail est suspendue ne sont pas imputées sur la période probatoire et que seule la période de protection de huit semaines au sens de l’article 6 du Mutterschutzgesetz est imputée sur la période probatoire, mais non le congé de maternité plus long prévu par l’Arbeitsgesetzbuch der Deutschen Demokratischen Republik, ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe.»


1
Langue originale: l'anglais.


2
Directive du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).


3
Directive du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail [(dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO L 348, p. 1)].


4
Arrêt du 7 février 1991 (C‑184/89, Rec. p. I-297).


5
Arrêt du 8 novembre 1990, Dekker (C‑177/88, Rec. p. I-3941).


6
Arrêt du 12 juillet 1984 (184/83, Rec. p. 3047, point 26).


7
Arrêt du 27 octobre 1998 (C‑411/96, Rec. p. I-6401).