Affaire T-315/01

Yassin Abdullah Kadi

contre

Conseil de l’Union européenne       et Commission des Communautés européennes

« Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Compétence de la Communauté — Gel des fonds — Droits fondamentaux — Jus cogens — Contrôle juridictionnel — Recours en annulation »

Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie) du 21 septembre 2005 

Sommaire de l’arrêt

1.     Procédure — Règlement remplaçant en cours d’instance le règlement attaqué — Élément nouveau — Extension des conclusions et moyens initiaux

2.     Actes des institutions — Choix de la base juridique — Règlement instituant des sanctions à l’encontre de certaines personnes et entités ne présentant aucun lien avec un pays tiers — Articles 60 CE, 301 CE et 308 CE pris conjointement — Admissibilité

(Art. 60 CE, 301 CE et 308 CE ; art. 3 UE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

3.     Libre circulation des capitaux et liberté des paiements — Restrictions — Mesures nationales visant à la lutte contre le terrorisme international et imposant à cette fin des sanctions économiques et financières à l’encontre de particuliers ne présentant aucun lien avec un pays tiers — Admissibilité — Conditions

(Art. 58 CE)

4.     Droit international public — Charte des Nations unies — Décisions du Conseil de sécurité — Obligations en découlant pour les États membres — Primauté sur le droit national et le droit communautaire — Obligations résultant de cette charte — Caractère contraignant pour la Communauté

5.     Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Acte donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Contrôle incident de la légalité des décisions du Conseil de sécurité — Contrôle au regard du droit communautaire — Exclusion — Contrôle au regard du jus cogens — Admissibilité

(Art. 5 CE, 10 CE, 230 CE, 297 CE, 307, al. 1, CE ; art. 5 UE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

6.     Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Acte donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Règlement nº 881/2002 — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Droits fondamentaux des intéressés — Gel des fonds — Contrôle au regard du jus cogens — Droit à la propriété de l’intéressé — Principe de proportionnalité — Violation — Absence

(Règlement du Conseil nº 881/2002, tel que modifié par règlement du Conseil nº 561/2003)

7.     Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Acte donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Règlement nº 881/2002 — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Droit de l’intéressé d’être entendu — Violation — Absence

(Règlement du Conseil nº 881/2002)

8.     Recours en annulation — Acte communautaire donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies — Règlement nº 881/2002 — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Contrôle juridictionnel — Limites — Lacune dans la protection juridictionnelle du requérant — Contrôle au regard du jus cogens — Droit à un recours juridictionnel effectif — Violation — Absence

(Art. 226 CE ; règlement du Conseil nº 881/2002)

1.     Dans le cadre d’un recours en annulation, lorsqu’un règlement qui concerne directement et individuellement un particulier est remplacé, en cours de procédure, par un règlement ayant le même objet, celui-ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge communautaire contre un règlement, adapter le règlement attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux au règlement ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci.

(cf. points 53-54)

2.     Les articles 60 CE et 301 CE ne constituent pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour adopter un règlement communautaire visant à la lutte contre le terrorisme international et à l’imposition à cette fin de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre de particuliers, sans qu’il existe un quelconque lien entre ces particuliers et un pays tiers.

De même, l’article 308 CE ne constitue pas, à lui seul, une base juridique suffisante pour permettre l’adoption d’un tel règlement. S’il est vrai qu’aucune disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter des sanctions visant des individus ou entités ne présentant aucun lien avec un pays tiers, la lutte contre le terrorisme international, et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, ne peut être rattachée à aucun des objets explicitement assignés à la Communauté par les articles 2 CE et 3 CE. De plus, il ne ressort nullement du préambule du traité CE que celui-ci poursuit un objectif plus vaste de défense de la paix et de la sécurité internationales. Celui-ci relève exclusivement des objectifs du traité UE. S’il est certes permis d’affirmer que cet objectif de l’Union doit inspirer l’action de la Communauté dans le domaine de ses compétences propres, il ne suffit pas, en revanche, à fonder l’adoption de mesures au titre de l’article 308 CE. En effet, il n’apparaît pas possible d’interpréter l’article 308 CE comme autorisant de façon générale les institutions à se fonder sur cette disposition en vue de réaliser l’un des objectifs du traité UE.

Cela étant, le Conseil était compétent pour adopter le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, qui met en oeuvre dans la Communauté les sanctions économiques et financières prévues par la position commune 2002/402, en l’absence de tout lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers, sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

En effet, dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte de la passerelle spécifiquement établie, lors de la révision résultant du traité de Maastricht, entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures. À cet égard, les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions tout à fait particulières du traité CE, en ce qu’elles envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont fixés par le traité CE, mais un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en oeuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune. Ainsi, lorsque les pouvoirs de sanctions économiques et financières prévus par les articles 60 CE et 301 CE, à savoir l’interruption ou la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et de paiements, s’avèrent insuffisants pour permettre aux institutions de réaliser l’objectif de la PESC, le recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE se justifie, dans le contexte particulier de ces deux articles, au nom de l’exigence de cohérence énoncée à l’article 3 UE. Ainsi, le recours à la base juridique cumulée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE permet de réaliser, en matière de sanctions économiques et financières, l’objectif poursuivi dans le cadre de la PESC par l’Union et par ses États membres, tel qu’il est exprimé dans une position commune ou une action commune, nonobstant l’absence d’attribution expresse à la Communauté des pouvoirs de sanctions économiques et financières visant des individus ou entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé.

(cf. points 96-97, 100, 116, 118-121, 123-124, 127-128, 130, 135)

3.     La Communauté n’a aucune compétence explicite pour imposer des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. En revanche, l’article 58 CE admet que les États membres prennent des mesures ayant un tel effet dans la mesure où cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs prévus par cet article et, notamment, pour des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. La notion de sécurité publique englobant tant la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de l’État, les États membres seraient donc en principe en droit d’adopter, au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, des mesures visant à la lutte contre le terrorisme international et à l’imposition à cette fin de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre de particuliers, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou avec le régime dirigeant d’un pays tiers. Pour autant que ces mesures soient conformes à l’article 58, paragraphe 3, CE et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, elles seraient compatibles avec le régime de libre circulation des capitaux et des paiements instauré par le traité.

(cf. point 110)

4.     Du point de vue du droit international, les obligations des États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) au titre de la charte des Nations unies l’emportent incontestablement sur toute autre obligation de droit interne ou de droit international conventionnel, y compris, pour ceux d’entre eux qui sont membres du Conseil de l’Europe, sur leurs obligations au titre de la convention européenne des droits de l’homme et, pour ceux d’entre eux qui sont également membres de la Communauté, sur leurs obligations au titre du traité CE. Cette primauté s’étend aux décisions contenues dans une résolution du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de la charte des Nations unies, aux termes duquel les membres de l’ONU sont tenus d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité.

Bien qu’elle ne soit pas membre des Nations unies, la Communauté doit être considérée comme liée par les obligations résultant de la charte des Nations unies, de la même façon que le sont ses États membres, en vertu même du traité l’instituant. D’une part, elle ne peut violer les obligations incombant à ses États membres en vertu de cette charte ni entraver leur exécution. D’autre part, elle est tenue, en vertu même du traité par lequel elle a été instituée, d’adopter, dans l’exercice de ses compétences, toutes les dispositions nécessaires pour permettre à ses États membres de se conformer à ces obligations.

(cf. points 181, 184, 192-193, 204)

5.     Le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, adopté au vu de la position commune 2002/402, constitue la mise en oeuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’Organisation des Nations unies (ONU), de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, qui ont été décidées et ensuite renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

Dans ce contexte, les institutions communautaires ont agi au titre d’une compétence liée, de sorte qu’elles ne disposaient d’aucune marge d’appréciation autonome. En particulier, elles ne pouvaient ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification. Tout contrôle de la légalité interne du règlement nº 881/2002 impliquerait donc que le Tribunal examine, de façon incidente, la légalité desdites résolutions.

Or, compte tenu du principe de primauté du droit de l’ONU sur le droit communautaire, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité des décisions du Conseil de sécurité à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire. En effet, d’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier de ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités. D’autre part, elle serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international.

Dès lors, les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.

Le Tribunal est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité de telles résolutions au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

(cf. points 213-215, 221-223, 225-226)

6.     Le gel des fonds prévu par le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, tel que modifié par le règlement nº 561/2003, et, indirectement, par les résolutions du Conseil de sécurité que ces règlements mettent en oeuvre, ne viole pas les droits fondamentaux de l’intéressé, à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens.

À cet égard, les possibilités explicites d’exemptions et de dérogations dont est assorti le gel des fonds des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions montrent clairement que cette mesure n’a ni pour objet ni pour effet de soumettre ces personnes à un traitement inhumain ou dégradant.

En outre, pour autant que le droit à la propriété doive être considéré comme faisant partie des normes impératives du droit international général, seule une privation arbitraire de ce droit pourrait, en tout état de cause, être considérée comme contraire au jus cogens. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, en premier lieu, le gel de ses fonds constitue un aspect des sanctions décidées par le Conseil de sécurité à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, compte tenu de l’importance de la lutte contre le terrorisme international et la légitimité d’une protection des Nations unies contre les agissements d’organisations terroristes. En deuxième lieu, le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation. En troisième lieu, les résolutions du Conseil de sécurité prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des sanctions. Enfin, la réglementation en cause aménage une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen, par l’intermédiaire de l’État membre de leur nationalité ou de leur résidence.

Eu égard à ces circonstances, le gel des fonds des personnes et entités soupçonnées, sur la base des informations communiquées par les États membres des Nations unies et contrôlées par le Conseil de sécurité, d’être liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et d’avoir participé au financement, à la planification, à la préparation ou à la perpétration d’actes terroristes ne saurait passer pour constitutif d’une atteinte arbitraire, inadéquate ou disproportionnée aux droits fondamentaux des intéressés.

(cf. points 238, 240, 242-245, 248-251)

7.     Ni le Conseil, dans le contexte de l’adoption du règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, ni le comité des sanctions, dans le contexte de l’inscription de l’intéressé sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions du Conseil de sécurité que ledit règlement met en oeuvre, n’ont violé le droit de l’intéressé d’être entendu.

En effet, en premier lieu, le Conseil n’était pas tenu d’entendre l’intéressé au sujet de son maintien sur la liste des personnes et entités visées par les sanctions, dans le contexte de l’adoption et de la mise en oeuvre du règlement en cause, étant donné que les institutions communautaires ne disposaient d’aucune marge d’appréciation dans la transposition dans l’ordre juridique communautaire des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions du comité des sanctions de sorte qu’une audition de l’intéressé n’aurait pu en aucun cas amener l’institution à revoir sa position.

En second lieu, le droit de l’intéressé d’être entendus par le comité des sanctions dans le contexte de son inscription sur la liste des personnes soupçonnées de contribuer au financement du terrorisme international dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité n’est pas prévu par les résolutions en question. En particulier, dans la situation où est en cause une mesure conservatoire limitant la disponibilité des biens de l’intéressé, le respect de ses droits fondamentaux n’impose pas que les faits et éléments de preuve retenus à sa charge lui soient communiqués, dès lors que le Conseil de sécurité ou son comité des sanctions estiment que des motifs intéressant la sûreté de la communauté internationale s’y opposent.

(cf. points 258-259, 261, 274, 276)

8.     Dans le cadre d’un recours en annulation introduit contre le règlement nº 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, le Tribunal exerce un entier contrôle de la légalité dudit règlement quant au respect, par les institutions communautaires, des règles de compétence ainsi que des règles de légalité externe et des formes substantielles qui s’imposent à leur action. Le Tribunal contrôle également la légalité de ce même règlement au regard des résolutions du Conseil de sécurité que ce règlement est censé mettre en oeuvre, notamment sous l’angle de l’adéquation formelle et matérielle, de la cohérence interne et de la proportionnalité du premier par rapport aux secondes. De surcroît, il contrôle la légalité de ce règlement et, indirectement, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité, au regard des normes supérieures du droit international relevant du jus cogens, notamment les normes impératives visant à la protection universelle des droits de la personne humaine.

En revanche, il n’incombe pas au Tribunal de contrôler indirectement la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire. Il n’appartient pas davantage au Tribunal de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve que le Conseil a retenus à l’appui des mesures qu’il a prises ni encore, sous réserve du cadre limité du contrôle exercé au regard du jus cogens, de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Dans cette mesure, le requérant ne dispose d’aucune voie de recours juridictionnel, le Conseil de sécurité n’ayant pas estimé opportun d’établir une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions.

Toutefois, cette lacune dans la protection juridictionnelle du requérant n’est pas en soi contraire au jus cogens. En effet, le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. La limitation du droit d’accès du requérant à un tribunal, résultant de l’immunité de juridiction dont bénéficient en principe les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, est inhérente à ce droit, tel qu’il est garanti par le jus cogens. L’intérêt du requérant à voir sa cause entendue sur le fond par un tribunal n’est pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt général essentiel qu’il y a à ce que la paix et la sécurité internationales soient maintenues face à une menace clairement identifiée par le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la charte des Nations unies. Dès lors, le droit du requérant à un recours juridictionnel effectif n’est pas violé.

(cf. points 279-280, 282-289, 291)




ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

21 septembre 2005 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban – Compétence de la Communauté – Gel des fonds – Droits fondamentaux – Jus cogens – Contrôle juridictionnel – Recours en annulation »

Dans l’affaire T-315/01,

Yassin Abdullah Kadi, demeurant à Jeddah (Arabie saoudite), représenté par MM. D. Pannick, QC, P. Saini, barrister, G. Martin et A. Tudor, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Vitsentzatos et M. Bishop, en qualité d’agents,

et

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Van Solinge et C. Brown, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties défenderesses,

soutenus par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par M. J. E. Collins, puis par Mme R. Caudwell, en qualité d’agents, cette dernière assistée de Mme S. Moore, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet, initialement, une demande d’annulation, d’une part, du règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement (CE) n° 337/2000 (JO L 67, p. 1), et, d’autre part, du règlement (CE) n° 2062/2001 de la Commission, du 19 octobre 2001, modifiant, pour la troisième fois, le règlement n° 467/2001 (JO L 277, p. 25), et, ensuite, une demande d’annulation du règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement n° 467/2001 (JO L 139, p. 9), pour autant que ces actes visent le requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung, P. Mengozzi, A. W. H. Meij et M. Vilaras, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 octobre 2003,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de la charte des Nations unies, signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945, les membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) « confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom ».

2       Aux termes de l’article 25 de la charte des Nations unies, « [l]es membres de l’[ONU] conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente charte ».

3       En vertu de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, les décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales « sont exécutées par les membres des Nations unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie ».

4       Selon l’article 103 de la charte des Nations unies, « [e]n cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ».

5       Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, UE :

« L’Union définit et met en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune couvrant tous les domaines de la politique étrangère et de sécurité, dont les objectifs sont :

–       la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux, de l’indépendance et de l’intégrité de l’Union, conformément aux principes de la charte des Nations unies ;

–       le renforcement de la sécurité de l’Union sous toutes ses formes ;

–       le maintien de la paix et de la sécurité internationales, conformément aux principes de la charte des Nations unies […] »

6       Aux termes de l’article 301 CE :

« Lorsqu’une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité sur l’Union européenne relatives à la politique étrangère et de sécurité commune prévoient une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, prend les mesures urgentes nécessaires. »

7       L’article 60, paragraphe 1, CE dispose :

« Si, dans les cas envisagés à l’article 301, une action de la Communauté est jugée nécessaire, le Conseil, conformément à la procédure prévue à l’article 301, peut prendre, à l’égard des pays tiers concernés, les mesures urgentes et nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements. »

8       Aux termes de l’article 307, premier alinéa, CE :

« Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er  janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité. »

9       Enfin, l’article 308 CE dispose :

« Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées. »

 Antécédents du litige

10     Le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1267 (1999), par laquelle il a, notamment, condamné le fait que des terroristes continuent d’être accueillis et entraînés et que des actes de terrorisme soient préparés en territoire afghan, réaffirmé sa conviction que la répression du terrorisme international est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales et déploré que les Taliban continuent de donner refuge à Usama bin Laden (Oussama ben Laden dans la plupart des versions françaises des documents adoptés par les institutions communautaires) et de lui permettre, ainsi qu’à ses associés, de diriger un réseau de camps d’entraînement de terroristes à partir du territoire tenu par eux et de se servir de l’Afghanistan comme base pour mener des opérations terroristes internationales. Au paragraphe 2 de cette résolution, le Conseil de sécurité a exigé que les Taliban remettent sans plus tarder le nommé Oussama ben Laden aux autorités compétentes. Afin d’assurer le respect de cette obligation, le paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999) dispose que tous les États devront, notamment, « [g]eler les fonds et autres ressources financières, tirés notamment de biens appartenant aux Taliban ou contrôlés directement ou indirectement par eux, ou appartenant à, ou contrôlés par, toute entreprise appartenant aux Taliban ou contrôlée par les Taliban, tels qu’identifiés par le comité créé en application du paragraphe 6 ci-après, et veiller à ce que ni les fonds ou autres ressources financières en question, ni tous autres fonds ou ressources financières ainsi identifiés ne soient mis à la disposition ou utilisés au bénéfice des Taliban ou de toute entreprise leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par les Taliban, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire, à moins que le comité n’ait donné une autorisation contraire, au cas par cas, pour des motifs humanitaires ».

11     Au paragraphe 6 de la résolution 1267 (1999), le Conseil de sécurité a décidé de créer, conformément à l’article 28 de son règlement intérieur provisoire, un comité du Conseil de sécurité composé de tous ses membres (ci-après le « comité des sanctions »), chargé notamment de veiller à la mise en œuvre, par les États, des mesures imposées par le paragraphe 4, d’identifier les fonds ou autres ressources financières visés audit paragraphe 4 et d’examiner les demandes de dérogation aux mesures imposées par ce même paragraphe 4.

12     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 15 novembre 1999, la position commune 1999/727/PESC, relative aux mesures restrictives à l’encontre des Taliban (JO L 294, p. 1). L’article 2 de cette position commune prescrit le gel des fonds et autres ressources financières détenus à l’étranger par les Taliban, dans les conditions définies dans la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité.

13     Le 14 février 2000, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE et 301 CE, le règlement (CE) n° 337/2000, concernant l’interdiction des vols et le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 43, p. 1).

14     Le 19 décembre 2000, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1333 (2000) exigeant, notamment, que les Taliban se conforment à la résolution 1267 (1999), en particulier en cessant d’offrir refuge et entraînement aux terroristes internationaux et à leurs organisations et en remettant Oussama ben Laden aux autorités compétentes pour qu’il soit traduit en justice. Le Conseil de sécurité a décidé, en particulier, de renforcer l’interdiction des vols et le gel des fonds imposés conformément à la résolution 1267 (1999). C’est ainsi que le paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) dispose que tous les États devront, notamment, « [g]eler sans retard les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des individus et entités qui lui sont associés, tels qu’identifiés par le [comité des sanctions], y compris l’organisation Al‑Qaida, et les fonds tirés de biens appartenant à Oussama ben Laden et aux individus et entités qui lui sont associés ou contrôlés directement ou indirectement par eux, et veiller à ce que ni les fonds et autres ressources financières en question, ni tous autres fonds ou ressources financières ne soient mis à la disposition ou utilisés directement ou indirectement au bénéfice d’Oussama ben Laden, de ses associés ou de toute autre entité leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par eux, y compris l’organisation Al‑Qaida, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire ».

15     Dans cette même disposition, le Conseil de sécurité a chargé le comité des sanctions de tenir, sur la base des informations communiquées par les États et les organisations régionales, une liste à jour des individus et entités que ledit comité a identifiés comme associés à Oussama ben Laden, y compris l’organisation Al‑Qaida.

16     Au paragraphe 23 de la résolution 1333 (2000), le Conseil de sécurité a décidé que les mesures imposées, notamment, au titre du paragraphe 8, seraient appliquées pendant douze mois et qu’à la fin de cette période il déterminerait si elles devaient être prorogées pendant une nouvelle période dans les mêmes conditions.

17     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 26 février 2001, la position commune 2001/154/PESC, concernant des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre des Taliban et modifiant la position commune 96/746/PESC (JO L 57, p. 1). L’article 4 de cette position commune dispose :

« Les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des personnes et entités associées à celui-ci, telles que les a identifiées le [comité des sanctions], seront gelés, et aucuns fonds ou autres ressources financières ne seront mis à la disposition d’Oussama ben Laden, ni des personnes et entités associées à celui-ci, telles que les a identifiées le [comité des sanctions], conformément aux dispositions de la [résolution 1333 (2000)]. »

18     Le 6 mars 2001, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE et 301 CE, le règlement (CE) n° 467/2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement n° 337/2000 (JO L 67, p. 1).

19     L’article 1er du règlement n° 467/2001 définit ce qu’il y a lieu d’entendre par « fonds » et par « gel des fonds ».

20     Aux termes de l’article 2 du règlement n° 467/2001 :

« 1.      Tous les fonds et autres ressources financières appartenant à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme désigné par le [comité des sanctions] et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2.      Les fonds ou autres ressources financières ne doivent pas être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisés au bénéfice des personnes, des entités ou des organismes désignés par le comité des sanctions contre les Taliban et énumérés à l’annexe I.

3.      Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas aux fonds et ressources financières faisant l’objet d’une dérogation accordée par le comité des sanctions contre les Taliban. Ces dérogations peuvent être obtenues par l’intermédiaire des autorités compétentes des États membres énumérées à l’annexe II. »

21     L’annexe I du règlement n° 467/2001 contient la liste des personnes, des entités et des organismes visés par le gel des fonds imposé par l’article 2. Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 467/2001, la Commission est habilitée à modifier ou à compléter ladite annexe I sur la base des décisions du Conseil de sécurité ou du comité des sanctions.

22     Le 8 mars 2001, le comité des sanctions a publié une première liste consolidée des entités et personnes devant être soumises au gel des fonds en vertu des résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) du Conseil de sécurité (voir communiqué AFG/131 SC/7028 dudit comité du 8 mars 2001). Cette liste a été modifiée et complétée à diverses reprises depuis lors. La Commission a, dès lors, adopté divers règlements au titre de l’article 10 du règlement n° 467/2001, par lesquels elle a modifié ou complété l’annexe I dudit règlement.

23     Le 19 octobre 2001, le comité des sanctions a publié un nouvel addendum à sa liste du 8 mars 2001, comprenant notamment le nom de la personne suivante :

–       « Al-Qadi, Yasin (A. K. A. Kadi, Shaykh Yassin Abdullah ; A. K. A. Kahdi, Yasin), Jeddah, Saudi Arabia. »

24     Par le règlement (CE) n° 2062/2001 de la Commission, du 19 octobre 2001, modifiant, pour la troisième fois, le règlement n° 467/2001 (JO L 277, p. 25), le nom de la personne en question a été ajouté, avec d’autres, à l’annexe I dudit règlement.

25     Le 16 janvier 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1390 (2002), qui fixe les mesures à imposer à l’égard d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés. Cette résolution prévoit en substance, en ses paragraphes 1 et 2, le maintien des mesures, notamment le gel des fonds, imposées au paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999) et au paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000). Conformément au paragraphe 3 de la résolution 1390 (2002), ces mesures seront réexaminées par le Conseil de sécurité douze mois après leur adoption, délai au terme duquel soit il les maintiendra, soit il décidera de les améliorer.

26     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 27 mai 2002, la position commune 2002/402/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, et abrogeant les positions communes 96/746, 1999/727, 2001/154 et 2001/771/PESC (JO L 139, p. 4). L’article 3 de cette position commune prescrit, notamment, la poursuite du gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes, entreprises et entités visés dans la liste établie par le comité des sanctions conformément aux résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) du Conseil de sécurité.

27     Le 27 mai 2002, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, le règlement (CE) n° 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement n° 467/2001 (JO L 139, p. 9).

28     Aux termes du considérant 4 de ce règlement, les mesures prévues, notamment, par la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité « sont couvertes par le traité et pour éviter notamment une distorsion de concurrence, il y a lieu d’arrêter une législation communautaire afin de mettre en œuvre, sur le territoire de la Communauté, les décisions pertinentes du Conseil de sécurité ».

29     L’article 1er du règlement n° 881/2002 définit les « fonds » et le « gel des fonds » en des termes identiques, en substance, à ceux de l’article 1er du règlement n° 467/2001.

30     Aux termes de l’article 2 du règlement n° 881/2002 :

« 1.      Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par une personne physique ou morale, un groupe ou une entité désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2.      [Aucuns] fonds ne [doivent] être mis, directement ou indirectement, à la disposition [ou] utilisé[s] au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I.

3.      Aucune ressource économique ne doit […] être mise, directement ou indirectement, à la disposition [ou] utilisée au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I, de manière à leur permettre d’obtenir des fonds, des biens ou des services. »

31     L’annexe I du règlement n° 881/2002 contient la liste des personnes, entités et groupes visés par le gel des fonds imposé par l’article 2. Cette liste comprend notamment le nom de la personne physique suivante : « Al-Qadi, Yasin (alias KADI, Shaykh Yassin Abdullah ; alias KAHDI, Yasin), Jeddah, Arabie saoudite ».

32     Le 20 décembre 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1452 (2002), destinée à faciliter le respect des obligations en matière de lutte antiterroriste. Le paragraphe 1 de cette résolution prévoit un certain nombre de dérogations et d’exceptions au gel des fonds et des ressources économiques imposé par les résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002), qui pourront être accordées pour des motifs humanitaires par les États, sous réserve de l’approbation du comité des sanctions.

33     Le 17 janvier 2003, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1455 (2003), qui vise à améliorer la mise en œuvre des mesures imposées au paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999), au paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) et aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1390 (2002). Conformément au paragraphe 2 de la résolution 1455 (2003), ces mesures seront de nouveau améliorées dans douze mois ou plus tôt s’il y a lieu.

34     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité, le Conseil a adopté, le 27 février 2003, la position commune 2003/140/PESC, concernant des exceptions aux mesures restrictives imposées par la position commune 2002/402 (JO L 53, p. 62). L’article 1er de cette position commune prévoit que, lorsqu’elle mettra en œuvre les mesures visées à l’article 3 de la position commune 2002/402, la Communauté européenne tiendra compte des exceptions autorisées par la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité.

35     Le 27 mars 2003, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 561/2003, modifiant, en ce qui concerne les exceptions au gel des fonds et des ressources économiques, le règlement n° 881/2002 (JO L 82, p. 1). Au considérant 4 de ce règlement, le Conseil indique que, compte tenu de la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité, il est nécessaire d’ajuster les mesures imposées par la Communauté.

36     Aux termes de l’article 1er du règlement n° 561/2003 :

« L’article suivant est inséré dans le règlement […] n° 881/2002 :

Article 2 bis

1.      L’article 2 ne s’applique pas aux fonds ou aux ressources économiques lorsque :

a)      l’une quelconque des autorités compétentes des États membres, recensées dans l’annexe II, a établi, à la demande d’une personne physique ou morale intéressée, que ces fonds ou ces ressources économiques sont :

i)      nécessaires à des dépenses de base, y compris celles qui sont consacrées à des vivres, des loyers ou des remboursements de prêts hypothécaires, des médicaments et des frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et des services collectifs ;

ii)      destinés exclusivement au paiement d’honoraires professionnels raisonnables et au remboursement de dépenses correspondant à des services juridiques ;

iii)      destinés exclusivement au paiement de charges ou frais correspondant à la garde ou à la gestion de fonds ou ressources économiques gelés, ou

iv)      nécessaires pour des dépenses extraordinaires, et

b)      cela a été notifié au comité des sanctions, et

c)      i)     dans le cas de l’utilisation des fonds établie en vertu des points a) i), ii) et iii), le comité des sanctions n’a pas émis, dans les quarante-huit heures suivant la notification, d’objection à cette utilisation, ou

ii)      dans le cas de l’utilisation des fonds établie en vertu du point a) iv), le comité des sanctions a approuvé cette utilisation.

2.      Toute personne souhaitant bénéficier des dispositions visées au paragraphe 1 adresse sa demande à l’autorité compétente pertinente de l’État membre recensée dans l’annexe II.

L’autorité compétente indiquée à l’annexe II est tenue de notifier, par écrit, à la personne qui a présenté la demande ainsi qu’à tout(e) autre personne, entité ou organisme reconnu(e) comme étant directement concerné(e) si la demande a été accordée.

L’autorité compétente informe également les autres États membres de l’octroi ou non de la dérogation demandée.

3.      Les fonds libérés et transférés au sein de la Communauté afin de faire face à des dépenses ou ayant été admis au titre du présent article ne sont pas soumis à d’autres mesures restrictives en application de l’article 2.

[…]’ »

 Procédure et conclusions des parties

37     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2001, enregistrée sous le numéro T-315/01, M. Yassin Abdullah Kadi a introduit, contre le Conseil et la Commission, un recours au titre de l’article 230 CE, dans lequel il conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler les règlements n° 2062/2001 et n° 467/2001, pour autant qu’ils concernent le requérant ;

–       condamner le Conseil et/ou la Commission aux dépens.

38     Dans leurs mémoires en défense, respectivement déposés au greffe du Tribunal les 20 et 21 février 2002, le Conseil et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner le requérant aux dépens.

39     Par lettre du greffe du Tribunal du 13 juin 2002, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur les conséquences de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement n° 881/2002.

40     Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 juin 2002, en annexe à ses observations, le requérant a étendu ses conclusions et moyens initiaux au règlement n° 881/2002 (ci-après le « règlement attaqué »), pour autant qu’il le concerne.

41     Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 28 juin 2002, le Conseil déclare ne pas avoir d’objection à une telle extension des conclusions et moyens initiaux du recours.

42     Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 1er juillet 2002, la Commission fait valoir que le recours initial doit être rejeté comme irrecevable en tant qu’il est dirigé contre le règlement n° 467/2001, les conditions figurant notamment aux quatrième et cinquième alinéas de l’article 230 CE n’étant pas satisfaites. Selon cette institution, la demande initiale en annulation de ce règlement ne peut donc se comprendre que comme une exception d’illégalité au titre de l’article 241 CE. Le recours initial devrait donc être considéré comme dirigé principalement contre le règlement n° 2062/2001 et comme n’attaquant qu’incidemment le règlement n° 467/2001. Néanmoins, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et par souci d’économie de la procédure, et eu égard à la circonstance que les effets juridiques du règlement n° 2062/2001 se poursuivent dans le règlement attaqué, la Commission déclare ne pas voir d’objection à ce que le requérant modifie ses actes de procédure afin d’y inclure ce dernier règlement.

43     Par ailleurs, la Commission prie le Tribunal de constater, conformément à l’article 113 du règlement de procédure du Tribunal, que le recours dirigé contre le règlement n° 2062/2001 est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer en ce qui le concerne, ce règlement étant devenu dénué de tout effet juridique du fait de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement attaqué. Elle invoque, en ce sens, l’arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, Technointorg/Commission et Conseil (294/86 et 77/87, Rec. p. 6077), et l’ordonnance du Tribunal du 13 juin 1997, TEAM et Kolprojekt/Commission (T‑13/96, Rec. p. II‑983).

44     En outre, la Commission demande, en vertu de l’article 115, paragraphe 1, et de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure, à se voir conférer le statut de partie intervenante au soutien des conclusions du Conseil, tout en maintenant sa demande de condamnation du requérant aux dépens qu’elle a exposés pendant la période au cours de laquelle celui-ci a contesté le règlement n° 2062/2001.

45     Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 10 septembre 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions des parties défenderesses, en application de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure.

46     La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, commençant le 1er octobre 2002, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

47     Les parties entendues, le Tribunal a renvoyé l’affaire, conformément à l’article 51 de son règlement de procédure, devant une chambre composée de cinq juges.

48     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit certaines questions au Conseil et à la Commission, qui y ont répondu dans le délai imparti.

49     Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 18 septembre 2003, la présente affaire et l’affaire T-306/01, Aden e.a./Conseil et Commission, ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

50     Par lettre du 8 octobre 2003, le requérant a prié le Tribunal de verser au dossier le Terrorism (United Nations Measures) Order 2001 [ordonnance britannique de 2001 sur le terrorisme (mesures des Nations unies)]. Par lettre également datée du 8 octobre 2003, la Commission a prié le Tribunal de verser au dossier les « directives régissant la conduite des travaux du [comité des sanctions] », telles qu’adoptées par ce comité le 7 novembre 2002 et amendées le 10 avril 2003. Il a été fait droit à ces deux demandes par décision du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 9 octobre 2003.

51     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 14 octobre 2003.

 Sur les conséquences procédurales de l’adoption du règlement attaqué

52     Les parties principales au litige s’accordent à reconnaître que le requérant est en droit d’adapter ses conclusions et moyens de façon à viser à l’annulation du règlement attaqué, qui abroge et remplace le règlement n° 467/2001, tel que modifié par le règlement n° 2062/2001. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 juin 2002, le requérant a effectivement déclaré adapter en ce sens ses conclusions et moyens initiaux.

53     À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une décision est, en cours de procédure, remplacée par une décision ayant le même objet, celle-ci doit être considérée comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge communautaire contre une décision, adapter la décision attaquée ou lui en substituer une autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à la décision ultérieure ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celle-ci (arrêts de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14/81, Rec. p. 749, point 8 ; du 29 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission, 351/85 et 360/85, Rec. p. 3639, point 11, et du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, 103/85, Rec. p. 4131, points 11 et 12 ; arrêt du Tribunal du 3 février 2000, CCRE/Commission, T‑46/98 et T‑151/98, Rec. p. II‑167, point 33).

54     Cette jurisprudence est transposable à l’hypothèse dans laquelle un règlement qui concerne directement et individuellement un particulier est remplacé, en cours de procédure, par un règlement ayant le même objet.

55     Cette hypothèse correspondant en tous points à celle de l’espèce, il y a lieu de faire droit à la demande du requérant, de considérer que son recours tend à l’annulation du règlement attaqué, pour autant qu’il le concerne, et de permettre aux parties de reformuler leurs conclusions, moyens et arguments à la lumière de cet élément nouveau.

56     Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la demande initiale du requérant tendant à l’annulation partielle du règlement n° 467/2001 est devenue sans objet, du fait de l’abrogation de ce règlement par le règlement attaqué. Il n’y a dès lors plus lieu de statuer sur cette demande ni, dès lors, sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission (voir point 42 ci-dessus). Il n’y a plus lieu non plus de statuer sur la demande d’annulation partielle du règlement n° 2062/2001, celle‑ci étant également devenue sans objet.

57     Il découle de ce qui précède qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours en tant qu’il est dirigé contre la Commission. Dans les circonstances de l’espèce, toutefois, le principe de bonne administration de la justice et l’exigence d’économie de procédure sur lesquels s’appuie la jurisprudence citée au point 53 ci-dessus justifient également qu’il soit tenu compte des conclusions, moyens de défense et arguments de la Commission, reformulés comme il est dit au point 55 ci-dessus, sans qu’il soit besoin d’admettre à nouveau formellement cette institution à la procédure au titre de l’article 115, paragraphe 1, et de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure, en tant que partie intervenante au soutien des conclusions du Conseil.

58     Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le présent recours est désormais dirigé contre le seul Conseil, soutenu par la Commission et par le Royaume-Uni, et qu’il a pour unique objet une demande d’annulation du règlement attaqué, pour autant que celui-ci concerne le requérant.

 Sur le fond

1.     Considérations liminaires

59     Au soutien de ses conclusions, le requérant a invoqué, dans sa requête, trois moyens d’annulation tirés de la violation de ses droits fondamentaux. Le premier moyen est tiré de la violation du droit d’être entendu, le second, de la violation du droit au respect de la propriété et du principe de proportionnalité et, le troisième, de la violation du droit à un contrôle juridictionnel effectif.

60     Dans sa réplique, le requérant a invoqué un quatrième moyen, tiré de l’incompétence et de l’excès de pouvoir, en ce que les institutions défenderesses ont adopté les règlements n° 467/2001 et n° 2062/2001 sur la base des articles 60 CE et 301 CE, alors que ces dispositions autoriseraient la Communauté à interrompre ou à réduire les relations économiques avec des pays tiers, mais pas à geler les avoirs des particuliers. Toutefois, à la suite de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement attaqué, adopté sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, le requérant a déclaré, dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 28 juin 2002, qu’il renonçait à ce moyen nouveau.

61     Le Tribunal a néanmoins décidé d’examiner d’office la question de savoir si le Conseil était compétent pour adopter le règlement attaqué sur la base légale des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE. En effet, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte attaqué est d’ordre public (conclusions de l’avocat général M. Lagrange sous l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1964, Pays-Bas/Haute Autorité, 66/63, Rec. p. 1047, 1086) et il peut donc être examiné d’office par le juge communautaire (arrêts de la Cour du 17 décembre 1959, Société des fonderies de Pont-à-Mousson/Haute Autorité, 14/59, Rec. p. 445, 473 ; du 10 mai 1960, Allemagne/Haute Autorité, 19/58, Rec. p. 469, 488 ; du 30 septembre 1982, Amylum/Conseil, 108/81, Rec. p. 3107, point 28, et du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, point 56 ; arrêts du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission, T‑79/89, T‑84/89, T‑85/89, T‑86/89, T‑89/89, T‑91/89, T‑92/89, T‑94/89, T‑96/89, T‑98/89, T‑102/89 et T‑104/89, Rec. p. II‑315, point 31, et du 24 septembre 1996, Marx Esser et Del Amo Martinez/Parlement, T‑182/94, RecFP p. I‑A‑411 et II‑1197, point 44).

62     Ni le Conseil ni la Commission n’ayant eu la possibilité de prendre position sur cette question au cours de la procédure écrite, le Tribunal les a invités à le faire par écrit au titre des mesures d’organisation de la procédure (voir point 48 ci‑dessus). Ces institutions ont déféré à la demande du Tribunal dans le délai qui leur avait été imparti à cette fin. Par ailleurs, lors de l’audience, le requérant a remis en cause la compétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE. Le Royaume-Uni a également pris position sur cette question à l’audience.

63     Le Tribunal décide de se prononcer tout d’abord sur le moyen, soulevé d’office, tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué. Le Tribunal se prononcera ensuite, en les regroupant, sur les trois moyens d’annulation tirés de la violation des droits fondamentaux du requérant.

2.     Sur le moyen tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué

 Questions du Tribunal et réponses des parties

64     Dans ses questions écrites au Conseil et à la Commission, le Tribunal a rappelé que, dans l’avis 2/94, du 28 mars 1996 (Rec. p. I-1759, points 29 et 30), la Cour a précisé que l’article 235 du traité CE (devenu article 308 CE) vise à suppléer l’absence de pouvoirs d’action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques du traité, dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que la Communauté puisse exercer ses fonctions en vue d’atteindre l’un des objets fixés par le traité. Faisant partie intégrante d’un ordre institutionnel basé sur le principe des compétences d’attribution, cette disposition ne saurait constituer un fondement pour élargir le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité et en particulier de celles qui définissent les missions et les actions de la Communauté. Elle ne saurait en tout cas servir de fondement à l’adoption de dispositions qui aboutiraient en substance, dans leurs conséquences, à une modification du traité échappant à la procédure que celui-ci prévoit à cet effet. À la lumière de cet avis, le Tribunal a plus particulièrement invité le Conseil et la Commission à indiquer quels étaient les objets de la Communauté fixés par le traité CE qu’ils se proposaient d’atteindre par la voie des dispositions prévues par le règlement attaqué.

65     Le Conseil a répondu, en substance, que ces dispositions poursuivent un objectif de coercition économique et financière qui constitue, d’après lui, un objet du traité CE.

66     À cet égard, le Conseil fait valoir que les objectifs de la Communauté ne sont pas seulement ceux définis à l’article 3 CE, mais qu’ils peuvent aussi découler de dispositions plus spécifiques.

67     L’élément déterminant, à cet égard, serait que, depuis la révision résultant du traité de Maastricht, les articles 60 CE et 301 CE définissent les tâches et actions de la Communauté en matière de sanctions économiques et financières et offrent une base légale pour un transfert exprès de compétences à la Communauté en vue de leur accomplissement. Ces compétences seraient expressément liées et, en fait, subordonnées à l’adoption d’un acte au titre des dispositions du traité UE relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Or, l’un des objectifs de la PESC serait, aux termes de l’article 11, paragraphe 1, troisième tiret, UE, « le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la charte des Nations unies ».

68     Il conviendrait donc d’admettre que la coercition économique et financière pour des raisons politiques, a fortiori dans le cadre de la mise en œuvre d’une décision contraignante du Conseil de sécurité, constitue un objectif exprès et légitime du traité CE, même si cet objectif est marginal, rattaché de manière indirecte aux objectifs principaux de ce traité, notamment ceux relatifs à la libre circulation des capitaux [article 3, paragraphe 1, sous c), CE] et à l’établissement d’un régime de concurrence non faussée [article 3, paragraphe 1, sous g), CE], et lié au traité UE.

69     En l’espèce, l’article 308 CE aurait été inclus, en tant que base juridique du règlement attaqué, afin de compléter la base fournie par les articles 60 CE et 301 CE, de façon à permettre l’adoption de mesures non seulement à l’égard de pays tiers, mais aussi à l’encontre d’individus et d’entités non étatiques n’ayant pas nécessairement de liens avec le gouvernement ou le régime de ces pays, dans un cas où le traité CE ne prévoit pas les pouvoirs d’action requis à cet effet.

70     En procédant de la sorte, la Communauté aurait été en mesure de s’adapter à l’évolution de la pratique internationale, qui consiste désormais à prendre des « sanctions intelligentes », dirigées contre des individus qui constituent une menace pour la sécurité internationale, plutôt que contre des populations innocentes.

71     Le Conseil soutient que les conditions dans lesquelles il a eu recours, en l’espèce, à l’article 308 CE ne sont pas différentes de celles dans lesquelles cette disposition a été utilisée, dans le passé, pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets du traité CE, sans que ledit traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet. Il invoque, en ce sens :

–       dans le domaine de la politique sociale, les diverses directives qui, sur la base de l’article 235 du traité CE, complétée parfois par l’article 100 du traité CE (devenu article 94 CE), ont étendu le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, tel que prévu par l’article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), pour l’ériger en un principe général d’égalité de traitement dans tous les domaines où pouvaient subsister des discriminations potentielles et pour en faire bénéficier les travailleurs indépendants, y compris dans le secteur agricole, et, notamment, la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40) ; la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24) ; la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (JO L 225, p. 40), et la directive 86/613/CEE du Conseil, du 11 décembre 1986, sur l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris une activité agricole, ainsi que sur la protection de la maternité (JO L 359, p. 56) ;

–       dans le domaine de la libre circulation des personnes, les divers actes qui, sur la base de l’article 235 du traité CE et de l’article 51 du traité CE (devenu, après modification, article 42 CE), ont étendu aux travailleurs indépendants, aux membres de leur famille et aux étudiants les droits reconnus aux travailleurs salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, et, notamment, le règlement (CEE) n° 1390/81 du Conseil, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 143, p. 1) ;

–       plus récemment, le règlement (CE) n° 1035/97 du Conseil, du 2 juin 1997, portant création d’un Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (JO L 151, p. 1), adopté sur la base de l’article 213 du traité CE (devenu article 284 CE) et de l’article 235 du traité CE.

72     La Cour elle-même aurait reconnu la légalité de cette pratique (arrêt du 5 décembre 1989, Delbar, C‑114/88, Rec. p. 4067).

73     Bien plus, le législateur communautaire aurait déjà eu recours, dans le passé, à la base légale de l’article 235 du traité CE dans le domaine des sanctions. À cet égard, le Conseil expose que, avant l’introduction dans le traité CE des articles 301 CE et 60 CE, divers règlements du Conseil imposant des sanctions commerciales ont été basés sur l’article 113 du traité CE (devenu, après modification, article 133 CE) [voir, par exemple, le règlement (CEE) n° 596/82 du Conseil, du 15 mars 1982, modifiant le régime d’importation de certains produits originaires d’Union soviétique (JO L 72, p. 15) ; le règlement (CEE) n° 877/82 du Conseil, du 16 avril 1982, suspendant l’importation de tout produit originaire d’Argentine (JO L 102, p. 1), et le règlement (CEE) n° 3302/86 du Conseil, du 27 octobre 1986, portant suspension des importations de pièces d’or en provenance de la République d’Afrique du Sud (JO L 305, p. 11)]. Toutefois, lorsque ces mesures allaient au-delà du champ d’application de la politique commerciale commune ou qu’elles concernaient des personnes physiques ou morales établies dans la Communauté, elles auraient aussi été basées sur l’article 235 du traité CE. Tel aurait été le cas, en particulier, du règlement (CEE) n° 3541/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, interdisant de faire droit aux demandes irakiennes relatives aux contrats et opérations dont l’exécution a été affectée par la résolution 661 (1990) du Conseil de sécurité des Nations unies et par les résolutions connexes (JO L 361, p. 1), dont l’article 2 disposerait qu’« [i]l est interdit de faire droit ou de prendre toute disposition tendant à faire droit à une demande présentée par […] toute personne physique ou morale agissant directement ou indirectement pour le compte ou au profit d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales en Irak ».

74     En réponse aux mêmes questions écrites du Tribunal, la Commission a fait valoir que la mise en œuvre des sanctions imposées par le Conseil de sécurité pouvait relever en tout ou en partie du champ d’application du traité CE, que ce soit au titre de la politique commerciale commune ou bien au titre du marché intérieur.

75     En l’espèce, la Commission soutient, en renvoyant au considérant 4 du règlement attaqué, que les mesures en cause étaient nécessaires pour garantir une application et une interprétation uniformes des restrictions aux mouvements de capitaux mises en œuvre conformément aux résolutions en cause du Conseil de sécurité, de manière à préserver la libre circulation des capitaux dans la Communauté et à éviter des distorsions de concurrence.

76     Par ailleurs, la Commission estime que la défense de la sécurité internationale, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Union, doit être considérée comme s’inscrivant dans le cadre général des dispositions du traité CE. À cet égard, la Commission renvoie, d’une part, aux articles 3 UE et 11 UE et, d’autre part, au préambule du traité CE, dans lequel les parties contractantes auraient confirmé « la solidarité qui lie l’Europe et les pays d’outre-mer, […] conformément aux principes de la charte des Nations unies » et se seraient déclarées résolues à « affermir […] les sauvegardes de la paix et de la liberté ». La Commission en déduit un « objectif général fixé à la Communauté de défendre la paix et la sécurité », dont procéderaient spécifiquement les articles 60 CE et 301 CE, en même temps qu’ils seraient des manifestations spécifiques de la compétence communautaire dans la régulation des mouvements de capitaux internes et externes.

77     Les dispositions du titre III, chapitre 4, du traité CE relatives aux mouvements de capitaux ne conférant aucun pouvoir particulier à la Communauté, l’article 308 CE aurait été retenu, en l’espèce, comme base juridique complémentaire pour garantir que la Communauté puisse imposer les restrictions en cause, notamment à l’égard des particuliers, conformément à la position commune adoptée par le Conseil.

78     À l’audience, le Royaume-Uni a décrit l’objectif communautaire visé par l’adoption du règlement attaqué comme étant l’application uniforme à l’intérieur de la Communauté d’obligations relatives à des restrictions aux mouvements de capitaux, imposées aux États membres par le Conseil de sécurité.

79     Le Royaume-Uni souligne que la création d’un marché intérieur dans le domaine des mouvements de capitaux est l’un des objectifs de la Communauté énoncés à l’article 3 CE. Il considère que l’application uniforme de toutes restrictions à la libre circulation des capitaux sur le marché constitue un aspect essentiel de la création d’un marché intérieur.

80     Si, en revanche, la mise en œuvre des résolutions en cause du Conseil de sécurité n’avait pas fait l’objet de mesures adoptées au niveau communautaire, cela aurait créé, selon le Royaume-Uni, un risque de divergences dans l’application du gel des avoirs entre États membres. Si les États membres avaient mis en œuvre ces résolutions individuellement, des différences d’interprétation quant à la portée des obligations qui leur incombent seraient inévitablement apparues et auraient créé des disparités dans le domaine de la libre circulation des capitaux entre les États membres, ce qui aurait entraîné un risque de distorsion de la concurrence.

81     En outre, le Royaume-Uni soutient que des mesures visant à geler les fonds des particuliers dans le but d’interrompre les relations économiques avec des organisations terroristes internationales, plutôt qu’avec des pays tiers, ne peuvent pas être considérées comme élargissant le « domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité », selon les termes de l’avis 2/94, point 64 supra. Conformément au cadre du traité, la Communauté serait compétente pour adopter des mesures visant à réglementer les mouvements de capitaux, et ce en prenant des mesures contre les particuliers. Partant, s’il est vrai que les mesures destinées à réglementer les mouvements de capitaux de particuliers dans le but d’interrompre les relations économiques avec des organisations terroristes internationales relèvent d’un domaine pour lequel le traité CE n’a pas conféré de pouvoirs spécifiques aux institutions et s’il est également vrai que ces mesures exigent le recours à l’article 308 CE, celles-ci ne sauraient être considérées comme allant au-delà du cadre général du traité.

82     Le Royaume-Uni soutient que le recours à l’article 308 CE dans les circonstances de l’espèce n’est pas différent de l’utilisation qui a été faite de cette disposition dans des situations, notamment dans le domaine de la politique sociale, où cet article a servi à atteindre d’autres objectifs de la Communauté lorsque le traité ne fournissait pas de base juridique précise (voir point 71 ci-dessus).

83     Lors de l’audience, le requérant a contesté la compétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

84     D’une part, le recours aux articles 60 CE et 301 CE ne serait pas autorisé en l’espèce, dès lors que le règlement attaqué prévoit l’adoption de mesures à l’encontre des particuliers et non à l’encontre des pays tiers.

85     D’autre part, le recours à l’article 308 CE ne serait pas davantage autorisé, dès lors que le règlement attaqué ne vise pas à la réalisation d’un quelconque objectif du traité CE, mais uniquement à la réalisation d’objectifs en matière de PESC qui relèvent du traité UE. En particulier, le gel des avoirs des intéressés serait sans rapport réel et effectif avec l’objectif d’« éviter notamment une distorsion de concurrence », visé au considérant 4 du règlement attaqué (arrêt de la Cour du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, Rec. p. I‑8419, points 84 et 85).

86     À cet égard, le requérant fait plus particulièrement valoir qu’il ne suffit pas qu’une mesure vise à la réalisation d’un objectif du traité UE pour qu’elle puisse être adoptée par la Communauté sur la base de l’article 308 CE. Ainsi, dans l’avis 2/94, point 64 supra, la Cour aurait jugé que cette disposition ne permettait pas l’adhésion de la Communauté à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), alors même que l’objectif de respect des droits de l’homme est expressément mentionné dans le traité UE. Le requérant invite dès lors le Tribunal à rejeter l’interprétation large de l’article 308 CE proposée par le Conseil et la Commission, qui aurait pour effet, selon lui, de donner à cette disposition une portée potentiellement illimitée.

 Appréciation du Tribunal

87     À la différence du règlement n° 467/2001, le règlement attaqué a pour base légale non seulement les articles 60 CE et 301 CE, mais également l’article 308 CE. En cela, il reflète l’évolution de la situation internationale dans le cadre de laquelle les sanctions décrétées par le Conseil de sécurité, et mises en œuvre par la Communauté, se sont successivement inscrites.

88     Adoptée dans le cadre des actions entreprises aux fins de la répression du terrorisme international, considérée comme essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales (voir son septième considérant), la résolution 1333 (2000) du Conseil de sécurité n’en visait pas moins spécifiquement le régime des Taliban qui, à l’époque, contrôlait la plus grande partie du territoire afghan et donnait refuge et assistance à Oussama ben Laden ainsi qu’à ses associés.

89     C’est précisément ce lien expressément établi avec le territoire et le régime dirigeant d’un pays tiers qui a amené le Conseil à considérer que le règlement n° 467/2001 pouvait se fonder sur la base juridique des articles 60 CE et 301 CE. Cette considération doit être approuvée, car rien, dans le libellé de ces dispositions, ne permet d’exclure l’adoption de mesures restrictives frappant directement des individus ou des organisations, pour autant que de telles mesures visent effectivement à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers.

90     Ainsi que l’a souligné à juste titre le Conseil, les mesures prévues par le règlement n° 467/2001 relevaient de ce qu’il est convenu d’appeler les « sanctions intelligentes » (smart sanctions), apparues dans la pratique de l’ONU au cours des années 90. De telles sanctions substituent aux mesures classiques d’embargo commercial général dirigées contre un pays des mesures plus ciblées et sélectives, de manière à réduire les souffrances endurées par la population civile du pays concerné, tout en imposant de véritables sanctions au régime visé et à ses dirigeants. La pratique des institutions communautaires a évolué dans le même sens, le Conseil ayant successivement considéré que les articles 60 CE et 301 CE lui permettaient de prendre des mesures restrictives à l’encontre d’entités ou de personnes contrôlant physiquement une partie du territoire d’un pays tiers et contre des entités ou personnes contrôlant effectivement l’appareil gouvernemental d’un pays tiers ainsi qu’à l’encontre des personnes et entités associées à ces dernières et qui leur apportent un soutien économique.

91     Cette interprétation, non contraire à la lettre des articles 60 CE et 301 CE, est justifiée tant par des considérations d’efficacité que par des préoccupations d’ordre humanitaire.

92     Toutefois, la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité a été adoptée, le 16 janvier 2002, après l’effondrement du régime des Taliban, consécutif à l’intervention armée de la coalition internationale en Afghanistan, déclenchée en octobre 2001. En conséquence, et bien qu’elle vise encore expressément les Taliban, elle n’est plus dirigée contre leur régime déchu, mais bien plutôt directement contre Oussama ben Laden, le réseau Al-Qaida ainsi que les personnes et entités qui leur sont associées.

93     L’absence de tout lien entre les sanctions à prendre au titre de cette résolution et le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers, déjà relevée au point 2 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Conseil présentée par la Commission le 6 mars 2002, qui est à l’origine du règlement attaqué [document COM (2002) 117 final], a été expressément admise par le Conseil lors de l’audience, du moins pour ce qui concerne les personnes et entités ne se trouvant pas en Afghanistan à cette époque.

94     À défaut d’un tel lien, le Conseil et la Commission ont considéré que les articles 60 CE et 301 CE ne constituaient pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour permettre l’adoption du règlement attaqué. Ces considérations doivent être approuvées.

95     En effet, l’article 60, paragraphe 1, CE dispose que le Conseil, conformément à la procédure prévue à l’article 301 CE, peut prendre, « à l’égard des pays tiers concernés », les mesures urgentes nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements. L’article 301 CE prévoit expressément la possibilité d’une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques « avec un ou plusieurs pays tiers ».

96     Par ailleurs, le fait que ces dispositions autorisent l’adoption de « sanctions intelligentes » non seulement à l’encontre d’un pays tiers en tant que tel, mais aussi à l’encontre des dirigeants d’un pays tiers et des individus et entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par eux (voir points 89 à 91 ci-dessus) ne permet pas de considérer que de tels individus et entités puissent encore être visés lorsque le régime dirigeant du pays tiers en cause a disparu. Dans de telles circonstances, en effet, il n’existe plus de lien suffisant entre ces individus ou entités et un pays tiers.

97     Il en résulte que, en tout état de cause, les articles 60 CE et 301 CE ne constituaient pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour fonder le règlement attaqué.

98     Par ailleurs, contrairement à la position exprimée par la Commission dans la proposition de règlement du Conseil qui est à l’origine du règlement attaqué (voir point 93 ci-dessus), le Conseil a considéré que l’article 308 CE ne constituait pas non plus, à lui seul, une base juridique adéquate pour permettre l’adoption dudit règlement. Ces considérations doivent également être approuvées.

99     À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence (arrêt de la Cour du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 13), il résulte des termes mêmes de l’article 308 CE que le recours à cet article comme base juridique d’un acte n’est justifié que si aucune autre disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter cet acte. Dans une telle situation, l’article 308 CE permet aux institutions d’agir en vue de réaliser l’un des objets de la Communauté, nonobstant l’absence d’une disposition leur conférant la compétence nécessaire pour ce faire.

100   S’agissant de la première condition d’applicabilité de l’article 308 CE, il est constant qu’aucune disposition du traité CE ne prévoit l’adoption de mesures, du type de celles prévues par le règlement attaqué, visant à la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, à l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers. Cette première condition est donc remplie en l’espèce.

101   S’agissant de la seconde condition d’applicabilité de l’article 308 CE, conformément à la jurisprudence citée au point 99 ci-dessus, il faut, pour qu’elle soit remplie en l’espèce, que la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement puissent être rattachées à l’un des objets assignés par le traité à la Communauté.

102   En l’occurrence, le préambule du règlement attaqué est particulièrement laconique sur cette question. Tout au plus, le Conseil a-t-il affirmé, au considérant 4 de ce règlement, que les mesures requises au titre de la résolution 1390 (2002) et de la position commune 2002/402 étaient « couvertes par le traité » et qu’il y avait lieu d’arrêter une législation communautaire « pour éviter notamment une distorsion de concurrence ».

103   S’agissant de la pétition de principe selon laquelle les mesures en cause sont « couvertes par le traité », force est au contraire de constater d’emblée qu’aucun des objectifs du traité tels qu’ils sont explicitement énoncés aux articles 2 CE et 3 CE ne paraît susceptible d’être réalisé par les mesures en cause.

104   En particulier, à la différence des mesures prévues à l’encontre de certaines personnes physiques ou morales établies dans la Communauté par le règlement n° 3541/92, invoqué par le Conseil au soutien de sa thèse (voir point 73 ci‑dessus), les mesures prévues par le règlement attaqué ne pourraient pas s’autoriser de l’objectif visant à l’établissement d’une politique commerciale commune [article 3, paragraphe 1, sous b), CE], dans le cadre duquel il a été jugé que la Communauté avait le pouvoir d’adopter des mesures d’embargo commercial au titre de l’article 133 CE, dès lors que les relations commerciales de la Communauté avec un pays tiers ne sont pas en cause en l’espèce.

105   Quant à l’objectif visant à l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur [article 3, paragraphe 1, sous g), CE], l’affirmation d’un risque de distorsion de la concurrence, que d’après son préambule le règlement attaqué aurait eu pour objet de prévenir, n’emporte pas la conviction.

106   Les règles de concurrence du traité CE s’adressent aux entreprises et aux États membres lorsqu’ils rompent l’égalité concurrentielle entre les entreprises (voir, s’agissant de l’article 87 CE, arrêt de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 26, et, s’agissant de l’article 81 CE, arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11).

107   Or, en l’espèce, d’une part, il n’est pas prétendu que les individus ou entités visés par le règlement attaqué le sont en tant qu’entreprises au sens des règles de concurrence du traité CE.

108   D’autre part, il n’est avancé aucune explication qui permettrait de comprendre en quoi la concurrence entre les entreprises pourrait être affectée par la mise en œuvre, au niveau de la Communauté ou de ses États membres, des mesures restrictives spécifiques prescrites à l’encontre de certaines personnes et entités par la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité.

109   Les considérations qui précèdent ne sont pas remises en cause par le lien établi, tant par la Commission dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal que par le Royaume-Uni à l’audience, entre l’objectif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE et l’objectif visant à l’établissement d’un marché intérieur caractérisé, notamment, par l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des capitaux [article 3, paragraphe 1, sous c), CE] (voir, notamment, points 75 et 78 à 80 ci-dessus).

110   À cet égard, il convient de relever que la Communauté n’a aucune compétence explicite pour imposer des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. En revanche, l’article 58 CE admet que les États membres prennent des mesures ayant un tel effet dans la mesure où cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs prévus par cet article et, notamment, pour des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique (voir, par analogie avec l’article 30 CE, arrêt de la Cour du 4 octobre 1991, Richardt, C‑367/89, Rec. p. I‑4621, point 19, et la jurisprudence citée). La notion de sécurité publique englobant tant la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de l’État, les États membres seraient donc en principe en droit d’adopter, au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, des mesures du type de celles prévues par le règlement attaqué. Pour autant que ces mesures soient conformes à l’article 58, paragraphe 3, CE et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, elles seraient compatibles avec le régime de libre circulation des capitaux et des paiements et avec le régime le libre concurrence instaurés par le traité CE.

111   Il convient d’ajouter que, si la simple constatation d’un risque de disparités entre les réglementations nationales ainsi que du risque abstrait d’entraves à la libre circulation des capitaux ou de distorsions de concurrence susceptibles d’en découler était suffisante pour justifier le choix de l’article 308 CE, en relation avec l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE, comme base juridique d’un règlement, non seulement les dispositions du chapitre 3 du titre VI du traité CE, relatives au rapprochement des législations, seraient privées d’effet utile, mais le contrôle juridictionnel du respect de la base juridique pourrait être privé de toute efficacité. Le juge communautaire serait alors empêché d’exercer la fonction, qui lui incombe en vertu de l’article 220 CE, d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité (voir, en ce sens, à propos de l’article 100 A du traité CE, devenu, après modification, article 95 CE, arrêt Allemagne/Parlement et Conseil, point 85 supra, points 84, 85 et 106 à 108, et la jurisprudence citée).

112   En tout état de cause, les éléments d’appréciation soumis au Tribunal ne permettent pas de considérer que le règlement attaqué contribue effectivement à prévenir un risque d’entraves à la libre circulation des capitaux ou de distorsions sensibles de la concurrence.

113   Le Tribunal estime, en particulier, que, contrairement à ce que soutiennent la Commission et le Royaume-Uni, la mise en œuvre des résolutions en cause du Conseil de sécurité par les États membres, plutôt que par la Communauté, ne serait pas susceptible d’entraîner un risque plausible et sérieux de divergences dans l’application du gel des fonds entre les États membres. D’une part, en effet, ces résolutions contiennent des définitions et des prescriptions claires, précises et détaillées, qui ne laissent pratiquement aucune place à l’interprétation. D’autre part, l’importance des mesures qu’elles appellent, en vue de leur mise en œuvre, ne paraît pas telle qu’il y ait lieu de craindre un tel risque.

114   Dans ces circonstances, les mesures en cause en l’espèce ne peuvent s’autoriser de l’objectif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE.

115   En outre, les divers exemples de recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE invoqués par le Conseil (voir points 71 et 73 ci-dessus) s’avèrent non pertinents en l’espèce. D’une part, en effet, il ne ressort pas de ces exemples que les conditions d’application de l’article 308 CE, en particulier celle tenant à la réalisation d’un objet de la Communauté, n’étaient pas réunies dans les cas d’espèce concernés. D’autre part, les actes juridiques en cause dans ces exemples n’ont fait l’objet d’aucune contestation à cet égard devant la Cour, notamment dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Delbar, point 72 supra. En toute hypothèse, selon une jurisprudence constante, une simple pratique du Conseil n’est pas susceptible de déroger à des règles du traité et ne peut, par conséquent, créer un précédent liant les institutions de la Communauté quant au choix de la base juridique correcte (arrêt de la Cour du 23 février 1988, Royaume‑Uni/Conseil, 68/86, Rec. p. 855, point 24, et avis de la Cour 1/94, du 15 novembre 1994, Rec. p. I‑5267, point 52).

116   Il découle de l’ensemble de ce qui précède que la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, ne peut être rattachée à aucun des objets explicitement assignés à la Communauté par les articles 2 CE et 3 CE.

117   Outre les objectifs du traité explicitement énoncés aux articles 2 CE et 3 CE, la Commission a également invoqué, dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal, un objet de la Communauté d’ordre plus général, qui aurait justifié en l’espèce le recours à la base juridique de l’article 308 CE. Ainsi, la Commission déduit du préambule du traité CE un « objectif général fixé à la Communauté de défendre la paix et la sécurité » internationales (voir point 76 ci-dessus). Cette thèse ne saurait être retenue.

118   Contrairement à ce que soutient la Commission, en effet, il ne ressort nullement du préambule du traité CE que celui-ci poursuit un objectif plus vaste de défense de la paix et de la sécurité internationales. Si ledit traité a incontestablement pour but premier de mettre fin aux conflits du passé entre les peuples européens, par l’établissement d’une « union sans cesse plus étroite » entre eux, c’est sans référence aucune à la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune. Celle-ci relève exclusivement des objectifs du traité UE qui, comme le souligne son préambule, vise à franchir une « nouvelle étape dans le processus d’intégration européenne engagé par la création des Communautés européennes ».

119   S’il est certes permis d’affirmer que cet objectif de l’Union doit inspirer l’action de la Communauté dans le domaine de ses compétences propres, telle la politique commerciale commune, il ne suffit pas, en revanche, à fonder l’adoption de mesures au titre de l’article 308 CE, surtout dans des domaines où les compétences communautaires sont marginales et limitativement énumérées par le traité.

120   Enfin, il n’apparaît pas possible d’interpréter l’article 308 CE comme autorisant de façon générale les institutions à se fonder sur cette disposition en vue de réaliser l’un des objectifs du traité UE. En particulier, le Tribunal considère que la coexistence de l’Union et de la Communauté en tant qu’ordres juridiques intégrés mais distincts, ainsi que l’architecture constitutionnelle des piliers, voulues par les auteurs des traités actuellement en vigueur, n’autorisent ni les institutions ni les États membres à se fonder sur la « clause de flexibilité » de l’article 308 CE en vue de pallier l’absence d’une compétence de la Communauté nécessaire à la réalisation d’un objectif de l’Union. En décider autrement reviendrait, en dernier ressort, à rendre cette disposition susceptible d’être appliquée à l’ensemble des mesures relevant de la PESC et de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (JAI), de sorte que la Communauté pourrait toujours agir pour atteindre les objectifs de ces politiques. Un tel résultat priverait de nombreuses dispositions du traité UE de leur champ d’application et serait incohérent avec la mise en place d’instruments propres à la PESC (stratégies communes, actions communes, positions communes) et à la JAI (positions communes, décisions, décisions‑cadres).

121   Force est donc de conclure que, pas plus que les articles 60 CE et 301 CE pris isolément, l’article 308 CE ne constitue, à lui seul, une base juridique suffisante pour fonder le règlement attaqué.

122   Tant dans les considérants du règlement attaqué que dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal, le Conseil a toutefois fait valoir que l’article 308 CE, utilisé conjointement avec les articles 60 CE et 301 CE, lui donne le pouvoir d’adopter un règlement communautaire qui vise à la lutte contre le financement du terrorisme international, entreprise par l’Union et par ses États membres au titre de la PESC, et qui impose à cette fin des sanctions économiques et financières à l’encontre de particuliers, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou avec le régime dirigeant d’un pays tiers. Ces considérations méritent d’être approuvées.

123   Dans ce contexte, en effet, il y a lieu de tenir compte de la passerelle spécifiquement établie, lors de la révision résultant du traité de Maastricht, entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures.

124   Force est effectivement de constater que les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions tout à fait particulières du traité CE, en ce qu’elles envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont fixés par le traité CE, mais un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune.

125   Dans le cadre des articles 60 CE et 301 CE, l’action de la Communauté est donc en réalité une action de l’Union mise en œuvre sur le fondement du pilier communautaire après adoption par le Conseil d’une position commune ou d’une action commune au titre de la PESC.

126   Il convient de relever, à cet égard, que, aux termes de l’article 3 UE, l’Union dispose d’un cadre institutionnel unique qui assure la cohérence et la continuité des actions en vue d’atteindre ses objectifs, tout en respectant et en développant l’acquis communautaire. L’Union veille, en particulier, à la cohérence de l’ensemble de son action extérieure dans le cadre de ses politiques en matière de relations extérieures, de sécurité, d’économie et de développement. Le Conseil et la Commission ont la responsabilité d’assurer cette cohérence et coopèrent à cet effet. Ils assurent, chacun selon ses compétences, la mise en œuvre de ces politiques.

127   Or, tout comme les pouvoirs d’action prévus par le traité CE peuvent s’avérer insuffisants pour permettre aux institutions d’agir en vue de réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets de la Communauté, de même les pouvoirs de sanctions économiques et financières prévus par les articles 60 CE et 301 CE, à savoir l’interruption ou la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements, peuvent s’avérer insuffisants pour permettre aux institutions de réaliser l’objectif de la PESC, relevant du traité UE, en vue duquel ces dispositions ont été spécifiquement insérées dans le traité CE.

128   Il convient donc d’admettre que, dans le contexte particulier envisagé par les articles 60 CE et 301 CE, le recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE se justifie, au nom de l’exigence de cohérence énoncée à l’article 3 UE, lorsque ces dispositions ne confèrent pas aux institutions communautaires la compétence nécessaire, en matière de sanctions économiques et financières, pour agir en vue de réaliser l’objectif poursuivi par l’Union et ses États membres au titre de la PESC.

129   Il se peut, ainsi, qu’une position commune ou une action commune adoptées au titre de la PESC requièrent de la Communauté des mesures de sanctions économiques et financières allant au-delà de celles, explicitement prévues par les articles 60 CE et 301 CE, qui consistent en l’interruption ou en la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements.

130   Dans une telle hypothèse, le recours à la base juridique cumulée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE permet de réaliser, en matière de sanctions économiques et financières, l’objectif poursuivi dans le cadre de la PESC par l’Union et par ses États membres, tel qu’il est exprimé dans une position commune ou une action commune, nonobstant l’absence d’attribution expresse à la Communauté des pouvoirs de sanctions économiques et financières visant des individus ou entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé.

131   En l’occurrence, la lutte contre le terrorisme international et son financement relève incontestablement des objectifs de l’Union au titre de la PESC, tels qu’ils sont définis à l’article 11 UE, même lorsqu’elle ne vise pas spécifiquement les pays tiers ou leurs dirigeants.

132   Il est constant, par ailleurs, que la position commune 2002/402 a été adoptée par le Conseil, à l’unanimité, dans le cadre de cette lutte et qu’elle prescrit l’imposition par la Communauté de sanctions économiques et financières à l’encontre de particuliers soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international, sans plus établir un quelconque lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers.

133   Dans ce contexte, le recours à l’article 308 CE, afin de compléter les pouvoirs de sanctions économiques et financières conférés à la Communauté par les articles 60 CE et 301 CE, est justifié par la considération que, dans le monde actuel, les États ne peuvent plus être considérés comme la seule source des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Pas plus que la communauté internationale, l’Union et son pilier communautaire ne sauraient être empêchés de s’adapter à ces nouvelles menaces par l’imposition de sanctions économiques et financières non seulement à l’encontre des pays tiers, mais également à l’encontre des personnes, groupes, entreprises ou entités associés développant une activité terroriste internationale ou portant autrement atteinte à la paix et à la sécurité internationales.

134   Il apparaît dès lors que, en recourant en l’espèce à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE, le Conseil n’a pas élargi le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité et en particulier de celles qui définissent les missions et les actions de la Communauté.

135   C’est donc à bon droit que les institutions et le Royaume-Uni soutiennent que le Conseil était compétent pour adopter le règlement attaqué, qui met en œuvre dans la Communauté les sanctions économiques et financières prévues par la position commune 2002/402, sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

3.     Sur les trois moyens tirés de la violation des droits fondamentaux du requérant

 Arguments des parties

136   Dans la partie en fait de son argumentation, le requérant déclare être un homme d’affaires international, ressortissant de l’Arabie saoudite, et avoir d’importants intérêts financiers dans l’Union européenne. Depuis l’entrée en vigueur du règlement n° 2062/2001, puis du règlement attaqué, ses fonds et avoirs dans l’Union européenne seraient gelés et il serait dans l’incapacité de gérer ses affaires. Son inclusion dans la liste de l’annexe I du règlement attaqué aurait, en outre, porté atteinte à sa réputation personnelle et professionnelle. Le requérant se dit victime d’une grave erreur judiciaire et affirme qu’il n’a jamais été impliqué dans des activités terroristes ni dans aucune forme de soutien financier de telles activités, que ce soit en rapport avec Oussama ben Laden et Al‑Qaida ou autrement.

137   Le requérant ajoute qu’il fait également l’objet de mesures nationales ordonnant le gel de ses fonds au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Suisse, toutes mesures dont il contesterait la légalité en justice. En particulier, il aurait introduit un recours en annulation (judicial review) contre la mesure de gel de ses fonds ordonnée par le ministère des Finances britannique. Lors d’une audience préliminaire tenue dans le cadre de cette procédure, le juge saisi de l’affaire aurait jugé que le moyen tiré de l’illégalité de cette mesure n’était pas manifestement dénué de tout fondement en droit national. Toutefois, le gouvernement du Royaume-Uni aurait soutenu que, en raison de l’effet direct du droit communautaire, la procédure diligentée par le requérant au niveau national était sans intérêt à moins qu’il n’obtienne également gain de cause à l’égard du règlement attaqué. Le requérant suppose, par ailleurs, que l’information sur la base de laquelle il a été inscrit sur la liste du comité des sanctions est la même que celle communiquée par le gouvernement du Royaume-Uni dans le cadre de la procédure nationale susvisée.

138   Dans la partie en droit de son argumentation, le requérant souligne, à titre liminaire, que, selon la jurisprudence (arrêt de la Cour du 14 mai 1974, Nold/Commission, 4/73, Rec. p. 491, point 13), les droits fondamentaux reconnus et garantis par les constitutions des États membres et, en particulier, ceux consacrés par la CEDH font partie intégrante de l’ordre juridique communautaire.

139   Il invoque ensuite, au soutien de ses conclusions, trois moyens d’annulation tirés, le premier, de la violation du droit d’être entendu, le deuxième, de la violation du droit fondamental au respect de la propriété et du principe de proportionnalité et, le troisième, de la violation du droit à un contrôle juridictionnel effectif.

140   Selon le requérant, les résolutions du Conseil de sécurité invoquées par le Conseil et la Commission ne confèrent pas à ces institutions le pouvoir de porter atteinte à ces droits fondamentaux sans justifier une telle atteinte devant le Tribunal en présentant les preuves nécessaires. En tant qu’ordre juridique indépendant des Nations unies, régi par des règles de droit qui lui sont propres, l’Union européenne devrait justifier les mesures qu’elle prend en se référant à ses propres pouvoirs et aux devoirs qui lui incombent à l’égard des individus auxquels cet ordre s’applique.

141   S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée du droit d’être entendu, le requérant reconnaît que, par sa nature même, la mesure initiale de gel de ses avoirs ne devait pas faire l’objet d’une notification préalable à sa mise en œuvre.

142   Il revendique, toutefois, le droit d’être entendu par le Conseil et la Commission en vue d’obtenir son retrait de la liste des personnes et entités visées par les sanctions, en vertu du principe général du droit communautaire selon lequel les destinataires de décisions des autorités publiques qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue (arrêt de la Cour du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission, 17/74, Rec. p. 1063, point 15). Le requérant rappelle que le respect des droits de la défense, en tant que principe de caractère fondamental, doit être assuré dans toutes les procédures susceptibles d’affecter la personne concernée et de comporter pour elle des conséquences défavorables (arrêts de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, et du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer et Saudi Arabian Fertilizer/Conseil, C‑49/88, Rec. p. I‑3187).

143   En l’espèce, le règlement attaqué violerait clairement ces principes fondamentaux dans la mesure où il permet au Conseil de geler indéfiniment les fonds du requérant sans lui donner aucune possibilité d’être entendu sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués et sur les éléments de preuve retenus contre lui.

144   S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée du droit fondamental au respect de la propriété, tel qu’il est garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH et par les principes généraux du droit communautaire, ainsi que de la violation alléguée du principe de proportionnalité, le requérant relève que le règlement attaqué permet le gel de ses fonds sur la seule base de l’inclusion de son nom dans la liste établie par le comité des sanctions, sans que les institutions communautaires puissent exercer le moindre pouvoir d’appréciation des preuves disponibles et des considérations susceptibles de justifier une telle mesure et sans qu’il y ait eu mise en balance des intérêts en présence.

145   Dans sa réplique, le requérant souligne que, de l’aveu même des institutions, celles-ci n’ont procédé à aucune mise en balance des intérêts et n’ont pas examiné les preuves à charge. En outre, elles n’auraient présenté au Tribunal aucune preuve à charge démontrant que, si une telle mise en balance avait été effectuée, il aurait été justifié de geler les avoirs du requérant. Dans ces circonstances, le Tribunal n’aurait aucun moyen de juger si le règlement attaqué justifie les mesures draconiennes prises à l’encontre des biens du requérant.

146   S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée du droit à un contrôle juridictionnel effectif, le requérant rappelle que, dans l’arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 18), la Cour a reconnu que ce droit constitue un principe général du droit communautaire.

147   En l’espèce, le règlement attaqué ne prévoirait aucune possibilité d’un tel contrôle, notamment d’un contrôle des preuves retenues à la charge du requérant, en violation de ce principe général.

148   Le requérant ajoute que, si un tel contrôle existait, il serait en mesure d’établir que les charges retenues contre lui ne sont pas fondées.

149   Répliquant, par ailleurs, à l’argument du Conseil selon lequel il aurait été soumis à de simples mesures administratives et non à une quelconque sanction pénale ou confiscation de ses biens susceptibles de lui valoir la protection de l’article 6 de la CEDH, le requérant souligne qu’il a été accusé de la forme la plus sérieuse de criminalité, à savoir être impliqué dans une organisation terroriste responsable des attentats du 11 septembre 2001, que sa réputation a été ruinée et que ses biens ont été gelés sans limite de temps ni de montant, et cela dans des circonstances dans lesquelles, premièrement, le Conseil n’a pas examiné les preuves fournies contre lui ; deuxièmement, le Conseil n’entend pas lui donner la possibilité de contester le gel de ses biens et n’est pas en mesure de le faire et, troisièmement, le Conseil fait valoir que le Tribunal ne saurait prendre des mesures pour vérifier si la décision de geler ses avoirs était correcte.

150   Selon le requérant, les institutions de la Communauté ne sauraient se dégager de leur responsabilité de respecter ses droits fondamentaux en se retranchant derrière des décisions prises par le Conseil de sécurité, d’autant que ces décisions elles‑mêmes ne respectent pas les droits de la défense. S’agissant d’un règlement communautaire, le requérant soutient qu’il est en droit de bénéficier d’un contrôle juridictionnel dans le cadre de la Communauté. Le fait que le Conseil soutient qu’il n’a aucun pouvoir d’appréciation en la matière et est tenu d’agir selon les instructions de l’ONU démontrerait précisément le vice dont est entaché le règlement attaqué.

151   Dans sa réplique, le requérant ajoute qu’il a cherché à prendre directement contact avec le comité des sanctions, afin d’obtenir que son nom soit rayé de la liste en cause. Il lui aurait été répondu que des observations de la part de particuliers n’étaient pas acceptées et que les plaintes concernant des sanctions prises au niveau national devaient être adressées à la juridiction compétente. Il aurait alors demandé au ministère des Affaires étrangères saoudien de l’aider à faire valoir ses droits devant le comité des sanctions. En outre, le requérant aurait entrepris des démarches aux États-Unis afin de faire valoir ses intérêts devant l’Office of Foreign Assets Control (OFAC). Les institutions ne pourraient donc lui reprocher de ne pas avoir pris toutes les mesures envisageables pour obtenir le déblocage de ses avoirs.

152   Enfin, l’argument selon lequel le requérant a pu engager la présente procédure ne serait pas valable, si le Tribunal n’a pas la possibilité d’examiner le bien-fondé du recours. Pour répondre aux exigences d’un contrôle juridictionnel effectif, le Tribunal devrait soit examiner le bien-fondé des preuves fournies devant lui, soit écarter le règlement attaqué, au motif qu’il ne fournit pas de base juridique pour un examen de ce type.

153   À titre principal, le Conseil et la Commission, qui renvoient notamment à l’article 24, paragraphe 1, aux articles 25, 41, à l’article 48, paragraphe 2, et à l’article 103 de la charte des Nations unies, font valoir, premièrement, que, à l’instar des États membres de l’ONU, la Communauté est tenue, en vertu du droit international, de mettre en œuvre, dans ses domaines de compétence, les résolutions du Conseil de sécurité, en particulier celles prises dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ; deuxièmement, que la compétence des institutions communautaires en la matière est liée et que ces institutions ne disposent d’aucun pouvoir discrétionnaire autonome ni d’aucune marge d’appréciation ; troisièmement, qu’elles ne peuvent dès lors ni modifier le contenu de ces résolutions ni mettre en place des mécanismes susceptibles de donner lieu à une modification de leur contenu et, quatrièmement, que tout autre accord international ou règle de droit interne susceptible de faire obstacle à cette mise en œuvre doit être écarté.

154   À cet égard, le Conseil et la Commission relèvent que le règlement attaqué transpose, dans l’ordre juridique communautaire, les résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002) du Conseil de sécurité, adoptées en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies, dans un premier temps à l’encontre du régime des Taliban d’Afghanistan et, dans un second temps, en réponse aux activités terroristes liées aux attentats du 11 septembre 2001 à New York City et à Washington, D.C. (États-Unis). Plus précisément, le nom du requérant ayant été ajouté, le 17 octobre 2001, à la liste établie par le comité des sanctions, le règlement n° 2062/2001 aurait modifié, pour l’y inclure à son tour, conformément à l’article 10 du règlement n° 467/2001, la liste des personnes dont les fonds ont été gelés en raison de leurs liens avec les Taliban, Oussama ben Laden et le réseau Al-Qaida.

155   Les institutions communautaires auraient ainsi eu pour objectif de mettre en œuvre les obligations qui incombent aux États membres de la Communauté au titre de l’article 25 de la charte des Nations unies, par la transposition automatique, dans l’ordre juridique communautaire, des listes d’individus ou d’entités établies par le Conseil de sécurité ou par le comité des sanctions, conformément aux procédures applicables.

156   À cet égard, le Conseil et la Commission soulignent que, en leur qualité de membres des Nations unies, les États membres de la Communauté ont accepté d’appliquer sans réserve les décisions prises en leur nom par le Conseil de sécurité, dans l’intérêt supérieur du maintien de la paix et de la sécurité internationales (voir article 24, paragraphe 1, et article 25 de la charte des Nations unies). Les obligations qui incombent à un membre de l’ONU en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies prévaudraient sur toutes les autres obligations internationales auxquelles il pourrait être soumis. L’article 103 de la charte permettrait ainsi d’écarter toute autre disposition du droit international conventionnel ou coutumier en vue d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, créant par là même un « effet de licéité ».

157   Selon les institutions, les droits nationaux ne peuvent pas davantage faire obstacle aux mesures d’exécution adoptées en application de la charte des Nations unies. Si un membre de l’ONU avait la possibilité de modifier le contenu des résolutions du Conseil de sécurité, l’uniformité de leur application, qui est indispensable pour en garantir l’efficacité, ne pourrait pas être maintenue.

158   Bien que la Communauté elle-même ne soit pas membre de l’ONU, elle serait tenue d’agir, dans ses domaines de compétence, de manière à remplir les obligations qui incombent à ses États membres du fait de leur appartenance aux Nations unies. À cet égard, la Commission relève que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts de la Cour du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C‑286/90, Rec. p. I‑6019, point 9, et du 16 juin 1998, Racke, C‑162/96, Rec. p. I‑3655, point 45). Le Conseil et la Commission invoquent également l’arrêt du Tribunal du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission (T‑184/95, Rec. p. II‑667). Bien que cet arrêt ait concerné l’institution d’un embargo commercial, mesure de politique commerciale commune qui relève, en vertu de l’article 133 CE, de la compétence exclusive de la Communauté, le Conseil et la Commission estiment que le principe qu’il pose vaut également en ce qui concerne les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements adoptées, comme en l’espèce, en vertu des articles 60 CE et 301 CE.

159   Le Conseil généralise cette proposition en faisant valoir que, lorsque la Communauté agit pour exécuter des obligations qui incombent à ses États membres du fait de leur appartenance à l’ONU, que ce soit parce que ces derniers lui ont transféré les compétences nécessaires ou parce qu’ils estiment que son intervention est opportune sur le plan politique, il y a lieu de considérer à toutes fins pratiques qu’elle est dans la même position que les membres de l’ONU, compte tenu de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies.

160   À moins de violer ses obligations internationales et celles de ses États membres, la Communauté n’avait donc pas, selon le Conseil et la Commission, la possibilité d’exclure certains individus de la liste établie par le comité des sanctions, de les informer au préalable ou, à défaut, d’autoriser un processus de révision au terme duquel certaines personnes auraient pu être exclues de cette liste. De l’avis du Conseil, cela aurait en outre été contraire au devoir de coopération loyale entre les États membres et la Communauté, énoncé à l’article 10 CE.

161   Le Conseil ajoute que, même si le règlement attaqué devait être considéré comme portant atteinte aux droits fondamentaux du requérant, les circonstances dans lesquelles il a été adopté excluent tout comportement illicite de sa part, eu égard à l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies. Selon cette institution, quand la Communauté prend des mesures à des fins correspondant aux souhaits de ses États membres d’exécuter leurs obligations au titre de la charte des Nations unies, elle bénéficie forcément de la protection accordée par la charte et, en particulier, de l’« effet de licéité ». Le Conseil estime que cet effet vaut à l’égard des droits fondamentaux qui, comme le prévoient les instruments juridiques internationaux appropriés, peuvent être suspendus temporairement en cas d’urgence.

162   En tout état de cause, le Conseil estime que la compétence du Tribunal, dans la présente espèce, devrait être limitée à l’examen de la question de savoir si les institutions ont commis une erreur manifeste en exécutant les obligations énoncées dans la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité. Tout exercice de compétence allant au-delà, qui équivaudrait à un contrôle judiciaire indirect et sélectif des mesures contraignantes arrêtées par le Conseil de sécurité dans le cadre de son rôle de maintien de la paix et de la sécurité internationales, causerait des perturbations majeures dans les relations internationales de la Communauté et de ses États membres, serait contestable au regard de l’article 10 CE et risquerait de saper l’un des fondements de l’ordre international que les États ont instauré après 1945. Le Conseil estime que des mesures de cette nature ne peuvent pas être contestées au niveau national ou régional, mais uniquement devant le Conseil de sécurité lui-même.

163   La Commission considère, elle aussi, que toute décision de supprimer ou de modifier la liste telle qu’elle a été adoptée par le Conseil de sécurité pourrait gravement perturber les relations internationales de la Communauté et de ses États membres. Une telle situation amènerait la Communauté à manquer à son obligation générale de respect du droit international et les États membres à manquer à leurs obligations spécifiques en vertu de la charte des Nations unies. Une telle situation porterait également atteinte à l’application uniforme des décisions du Conseil de sécurité, condition sine qua non de leur efficacité. La Commission relève encore que le principe de la courtoisie internationale requiert que la Communauté mette en œuvre ces mesures, dans la mesure où elles visent à protéger tous les États contre des attaques terroristes.

164   Cela exclurait un examen par le Tribunal de la compatibilité du règlement attaqué avec les droits invoqués par le requérant. Même dans l’hypothèse où ces droits auraient été violés – quod non –, la Communauté resterait tenue de mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité et, si elle devait s’abstenir d’agir, les États membres auraient l’obligation de le faire.

165   À titre subsidiaire, pour le cas où le Tribunal déciderait de procéder à un examen complet du bien-fondé des trois moyens d’annulation invoqués par le requérant, le Conseil et la Commission font valoir que le règlement attaqué ne porte pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux dont la violation est alléguée.

166   Premièrement, le règlement attaqué ne porterait pas atteinte au droit du requérant à être entendu.

167   En l’espèce, en effet, les institutions communautaires n’auraient aucun pouvoir d’enquête, aucune marge d’appréciation quant aux faits et aucune liberté d’appréciation politique. Elles seraient simplement tenues de mettre en œuvre les mesures prises par le Conseil de sécurité afin de garantir la paix et la sécurité internationales, sans être habilitées à inclure un mécanisme d’examen de ces mesures. Le Conseil et la Commission estiment, dès lors, que le droit d’être entendu, qui s’impose clairement dans le cadre de procédures administratives, n’est pas applicable dans des circonstances telles que celles de l’espèce.

168   Deuxièmement, les mesures mises en œuvre par le règlement attaqué ne porteraient atteinte ni au principe de proportionnalité ni au droit fondamental du requérant au respect de sa propriété, dès lors que ce droit ne jouit pas d’une protection absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général.

169   En l’espèce, l’intérêt général que revêt pour la Communauté et ses États membres le respect des obligations imposées par le Conseil de sécurité, de sorte que les avoirs des particuliers ne puissent être utilisés pour promouvoir le terrorisme, ne saurait être plus clair. Les mesures prises par la Communauté, qui se bornent à mettre en œuvre les décisions contraignantes du Conseil de sécurité, auraient été dictées par l’importance de cet objectif et elles n’auraient pas instauré un équilibre inéquitable entre les exigences découlant de l’intérêt général et celles liées à la protection des droits fondamentaux des particuliers. Dans ces conditions, le Conseil estime que les mesures en cause ne peuvent pas être considérées comme inadéquates ou disproportionnées, même si elles sont sévères à l’égard du requérant.

170   Dans la mesure où le requérant semble en fait reprocher aux institutions communautaires de ne pas avoir prévu un quelconque mécanisme d’examen, la Commission rappelle que ces institutions n’ont fait qu’assurer la mise en œuvre des décisions du Conseil de sécurité, sans être en mesure de les modifier.

171   Dans la mesure où le requérant soutient que les moyens utilisés pour atteindre les objectifs sont disproportionnés, la Commission relève que ce grief ne peut être allégué qu’à l’égard des décisions du Conseil de sécurité.

172   Troisièmement, s’agissant du droit à un contrôle juridictionnel effectif, le Conseil et la Commission font notamment valoir que le requérant a pu saisir le Tribunal du présent recours au titre de l’article 230 CE.

173   Selon le Conseil, la question de savoir quelle est la portée du contrôle juridictionnel qui apparaît justifiée ou appropriée en l’espèce est une question distincte, qui devra être tranchée par le Tribunal.

174   À cet égard, le Conseil fait valoir que, lorsque la Communauté agit sans exercer aucun pouvoir discrétionnaire, sur la base d’une décision prise par l’organe auquel la communauté internationale a conféré des pouvoirs considérables en vue de préserver la paix et la sécurité internationales, un contrôle juridictionnel complet risquerait de saper le système de l’ONU tel qu’il a été établi en 1945, pourrait porter gravement atteinte aux relations internationales de la Communauté et des États membres et entrerait en contradiction avec l’obligation qu’a la Communauté de respecter le droit international.

175   Le Conseil et la Commission font également observer que le requérant, représenté au besoin par l’Arabie saoudite, peut s’adresser au Conseil de sécurité ou au comité des sanctions soit directement, soit par l’intermédiaire des services du Trésor du Royaume-Uni, afin de faire connaître son avis. Certes, en tant qu’organisation intergouvernementale, l’ONU n’examinerait pas les considérations du requérant en tant qu’individu. Toutefois, l’ONU ne pourrait méconnaître l’opinion de ses membres. Ainsi, si les autorités saoudiennes étaient convaincues de l’innocence du requérant, il n’y aurait aucune raison pour que des démarches ne puissent pas être faites pour que son inscription sur la liste du comité des sanctions soit réexaminée. Le requérant ne fournirait pas d’informations sur l’issue de ses démarches auprès de cet organe ni sur l’avis qu’il a pu exprimer, alors que certaines des personnes visées par la liste du comité des sanctions auraient été en mesure de le faire.

 Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

176   Le Tribunal ne saurait se prononcer utilement sur les moyens tirés de la violation des droits fondamentaux du requérant que pour autant que ceux-ci relèvent de son contrôle juridictionnel et qu’ils soient susceptibles, à les supposer fondés, d’entraîner l’annulation du règlement attaqué.

177   Or, en l’espèce, les institutions et le Royaume-Uni soutiennent, en substance, qu’aucune de ces deux conditions n’est remplie, en raison de la primauté des obligations de la Communauté et de ses États membres en vertu de la charte des Nations unies sur toute autre obligation de droit international, communautaire ou national. L’examen des arguments de ces parties apparaît ainsi comme un préalable à toute discussion des arguments du requérant.

178   À cet égard, le Tribunal estime opportun d’examiner, en premier lieu, l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou communautaire, ainsi que la mesure dans laquelle les compétences de la Communauté et de ses États membres sont liées par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

179   Cet examen détermine, en effet, celui de l’étendue du contrôle de légalité, notamment au regard des droits fondamentaux, qu’il incombe au Tribunal d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à de telles résolutions, auquel il sera donc procédé en deuxième lieu.

180   En troisième lieu, enfin, dans la mesure où il aura constaté qu’elles relèvent bien de son contrôle juridictionnel et qu’elles sont susceptibles d’entraîner l’annulation du règlement attaqué, le Tribunal se prononcera sur les violations alléguées des droits fondamentaux du requérant.

 Sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou communautaire

181   Force est de constater que, du point de vue du droit international, les obligations des États membres de l’ONU au titre de la charte des Nations unies l’emportent incontestablement sur toute autre obligation de droit interne ou de droit international conventionnel, y compris, pour ceux d’entre eux qui sont membres du Conseil de l’Europe, sur leurs obligations au titre de la CEDH et, pour ceux d’entre eux qui sont également membres de la Communauté, sur leurs obligations au titre du traité CE.

182   S’agissant, en premier lieu, des rapports entre la charte des Nations unies et le droit interne des États membres de l’ONU, cette règle de primauté découle des principes du droit international coutumier. Aux termes de l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités, conclue à Vienne le 23 mai 1969, qui codifie ces principes (et dont l’article 5 dispose qu’elle s’applique « à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale et à tout traité adopté au sein d’une organisation internationale »), une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité.

183   S’agissant, en second lieu, des rapports entre la charte des Nations unies et le droit international conventionnel, cette règle de primauté est expressément consacrée par l’article 103 de ladite charte, aux termes duquel, « [e]n cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Conformément à l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités, et contrairement aux règles normalement applicables en cas de traités successifs, elle vaut tant à l’égard des traités antérieurs qu’à l’égard des traités postérieurs à la charte des Nations unies. Selon la Cour internationale de justice, tous les accords régionaux, bilatéraux et même multilatéraux, que les parties peuvent avoir conclus, sont toujours subordonnés aux dispositions de l’article 103 de la charte des Nations unies [arrêt du 26 novembre 1984, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États‑Unis d’Amérique), Rec. 1984, p. 392, point 107].

184   Cette primauté s’étend aux décisions contenues dans une résolution du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de la charte des Nations unies, aux termes duquel les membres de l’ONU sont tenus d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité. Selon la Cour internationale de justice, conformément à l’article 103 de la charte, les obligations des parties à cet égard prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autre accord international [ordonnance du 14 avril 1992 (mesures provisoires), Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe lybienne c. États-Unis d’Amérique), Rec. 1992, p. 16, point 42, et ordonnance du 14 avril 1992 (mesures provisoires), Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe lybienne c. Royaume-Uni), Rec. 1992, p. 113, point 39].

185   S’agissant plus particulièrement des rapports entre les obligations des États membres de la Communauté en vertu de la charte des Nations unies et leurs obligations en vertu du droit communautaire, il convient d’ajouter que, aux termes du premier alinéa de l’article 307 CE, « [l]es droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité ».

186   Selon une jurisprudence constante de la Cour, cette disposition a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international, que l’application du traité CE n’affecte pas l’engagement de l’État membre concerné de respecter les droits des États tiers résultant d’une convention antérieure, et d’observer ses obligations correspondantes (arrêt de la Cour du 28 mars 1995, Evans Medical et Macfarlan Smith, C‑324/93, Rec. p. I‑563, point 27 ; voir aussi arrêts de la Cour du 27 février 1962, Commission/Italie, 10/61, Rec. p. 1; du 2 août 1993, Levy, C‑158/91, Rec. p. I‑4287, et du 14 janvier 1997, Centro-Com, C‑124/95, Rec. p. I‑81, point 56).

187   Or, cinq des six États signataires du traité instituant la Communauté économique européenne, signé à Rome le 25 mars 1957, étaient déjà membres de l’ONU à la date du 1er janvier 1958. Quant à la République fédérale d’Allemagne, s’il est vrai qu’elle n’a été formellement admise comme membre de l’ONU que le 18 septembre 1973, son engagement de respecter les obligations résultant de la charte des Nations unies est lui aussi antérieur à la date du 1er janvier 1958, ainsi qu’il ressort notamment de l’acte final de la conférence qui s’est tenue à Londres du 28 septembre au 3 octobre 1954 (conférence dite « des neuf puissances ») et des accords de Paris du 23 octobre 1954. Par ailleurs, tous les États ayant ultérieurement adhéré à la Communauté étaient membres de l’ONU antérieurement à leur adhésion.

188   Bien plus, l’article 224 du traité instituant la Communauté économique européenne (devenu article 297 CE) a été spécifiquement inséré dans ce traité afin de respecter la règle de primauté définie ci-dessus. Aux termes de cette disposition, « [l]es États membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché commun ne soit affecté par les mesures qu’un État membre peut être appelé à prendre [...] pour faire face aux engagements contractés par lui en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale ».

189   Les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ont ainsi un effet obligatoire pour tous les États membres de la Communauté, qui doivent donc, en cette qualité, prendre toute mesure nécessaire pour assurer leur mise en œuvre (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, Rec. p. I‑3953, I‑3956, point 2, et sous l’arrêt de la Cour du 27 février 1997, Ebony Maritime et Loten Navigation, C‑177/95, Rec. p. I‑1111, I‑1115, point 27 ).

190   Il découle également de ce qui précède que, tant en application des règles du droit international général qu’en application des dispositions spécifiques du traité, les États membres ont la faculté, et même l’obligation, de laisser inappliquée toute disposition de droit communautaire, fût-elle une disposition de droit primaire ou un principe général de ce droit, qui ferait obstacle à la bonne exécution de leurs obligations en vertu de la charte des Nations unies.

191   Ainsi, dans l’arrêt Centro-Com, point 186 supra, la Cour a spécifiquement jugé que des mesures nationales contraires à l’article 113 du traité CE pouvaient être justifiées au regard de l’article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE) si elles apparaissaient nécessaires pour assurer l’exécution par l’État membre concerné de ses obligations en vertu de la charte des Nations unies et d’une résolution du Conseil de sécurité.

192   En revanche, il découle de la jurisprudence (voir arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 158 supra, point 74) que, à la différence de ses États membres, la Communauté en tant que telle n’est pas directement liée par la charte des Nations unies et qu’elle n’est dès lors pas tenue, en vertu d’une obligation du droit international public général, d’accepter et d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de ladite charte. La raison en est que la Communauté n’est ni membre de l’ONU, ni destinataire des résolutions du Conseil de sécurité, ni le successeur aux droits et obligations de ses États membres au sens du droit international public.

193   Cela étant, la Communauté doit être considérée comme liée par les obligations résultant de la charte des Nations unies, de la même façon que le sont ses États membres, en vertu même du traité l’instituant.

194   À cet égard, il est constant que, au moment de conclure le traité instituant la Communauté économique européenne, les États membres étaient liés par leurs engagements au titre de la charte des Nations unies.

195   Ils n’ont pu, par l’effet d’un acte passé entre eux, transférer à la Communauté plus de pouvoirs qu’ils n’en avaient ni se dégager par là des obligations existant à l’égard de pays tiers au titre de ladite charte (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., 21/72 à 24/72, Rec. p. 1219, ci-après l’« arrêt International Fruit », point 11).

196   Au contraire, leur volonté de respecter leurs engagements au titre de cette charte résulte des dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne lui-même et a été manifestée notamment par son article 224 et son article 234, premier alinéa (voir, par analogie, arrêt International Fruit, points 12 et 13, et conclusions de l’avocat général M. Mayras sous cet arrêt, Rec. p. 1231 à 1237).

197   Bien que cette dernière disposition ne fasse état que des obligations des États membres, elle implique l’obligation des institutions de la Communauté de ne pas entraver l’exécution des engagements des États membres au titre de ladite charte (arrêt de la Cour du 14 octobre 1980, Burgoa, 812/79, Rec. p. 2787, point 9).

198   Il convient également de souligner que, dans la mesure où les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies ont fait l’objet d’un transfert à la Communauté, les États membres se sont obligés, en droit international public, à ce que la Communauté elle-même les exerce à cette fin.

199   Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, aux termes de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, les décisions du Conseil de sécurité sont exécutées par les membres des Nations unies « directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie », et, d’autre part, que, selon la jurisprudence (arrêts Poulsen et Diva Navigation, point 158 supra, point 9, et Racke, point 158 supra, point 45 ; voir, également, arrêt de la Cour du 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74, Rec. p. 1337, point 22), les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international et, par conséquent, le droit communautaire doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international.

200   Les États membres, en conférant ces compétences à la Communauté, ont donc marqué leur volonté de la lier par les obligations contractées par eux en vertu de la charte des Nations unies (voir, par analogie, arrêt International Fruit, point 15).

201   Depuis l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté économique européenne, le transfert de compétences, intervenu dans les rapports entre les États membres et la Communauté, a été concrétisé de différentes manières dans le cadre de la mise en œuvre de leurs engagements au titre de la charte des Nations unies (voir, par analogie, arrêt International Fruit, point 16).

202   C’est ainsi, notamment, que l’article 228 A du traité CE (devenu article 301 CE) a été inséré dans le traité, par le traité sur l’Union européenne, afin de donner un fondement spécifique aux sanctions économiques que la Communauté, seule compétente en matière de politique commerciale commune, peut être amenée à prendre à l’égard de pays tiers pour des raisons politiques définies par ses États membres dans le cadre de la PESC, le plus souvent en application d’une résolution du Conseil de sécurité leur imposant l’adoption de telles sanctions.

203   Il apparaît dès lors que, dans toute la mesure où, en vertu du traité CE, la Communauté a assumé des compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application de la charte des Nations unies, les dispositions de cette charte ont pour effet de lier la Communauté [voir, par analogie, pour ce qui concerne la question de savoir si la Communauté est liée par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, arrêt International Fruit, point 18 ; voir également, en ce qu’il reconnaît que la Communauté exerce une compétence liée lorsqu’elle met en œuvre une mesure d’embargo commercial décrétée par une résolution du Conseil de sécurité, arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 158 supra, point 74].

204   Au terme de ce raisonnement, il y a lieu de considérer, d’une part, que la Communauté ne peut violer les obligations incombant à ses États membres en vertu de la charte des Nations unies ni entraver leur exécution et, d’autre part, qu’elle est tenue, en vertu même du traité par lequel elle a été instituée, d’adopter, dans l’exercice de ses compétences, toutes les dispositions nécessaires pour permettre à ses États membres de se conformer à ces obligations.

205   Or, en l’espèce, le Conseil a constaté, dans la position commune 2002/402, adoptée en application des dispositions du titre V du traité UE, qu’une action de la Communauté, dans les limites des pouvoirs que lui confère le traité CE, était nécessaire afin de mettre en œuvre certaines mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, conformément aux résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002) du Conseil de sécurité.

206   La Communauté a mis en œuvre ces mesures par l’adoption du règlement attaqué. Ainsi qu’il a déjà été jugé au point 135 ci-dessus, elle était compétente pour adopter cet acte sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

207   Il convient, dès lors, de reconnaître le bien-fondé des arguments avancés par les institutions, tels qu’ils sont résumés au point 153 ci-dessus, sous cette réserve que ce n’est pas en vertu du droit international général, comme ces parties le soutiennent, mais en vertu du traité CE lui-même, que la Communauté était tenue de donner effet aux résolutions en question du Conseil de sécurité, dans le domaine de ses compétences.

208   En revanche, les arguments du requérant fondés sur la considération que l’ordre juridique communautaire est un ordre juridique indépendant des Nations unies, régi par des règles de droit qui lui sont propres, doivent être écartés.

 Sur l’étendue du contrôle de légalité qu’il incombe au Tribunal d’exercer

209   Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la Communauté européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêts de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23 ; du 22 octobre 1987, Foto‑Frost, 314/85, Rec. p. 4199, point 16, et du 23 mars 1993, Weber/Parlement, C‑314/91, Rec. p. I‑1093, point 8 ; arrêt du Tribunal du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, Rec. p. II‑2823, point 48 ; voir également avis 1/91 de la Cour du 14 décembre 1991, Rec. p. I‑6079, point 21).

210   Comme la Cour l’a itérativement jugé (arrêt Johnston, point 146 supra, point 18 ; voir, également, arrêts de la Cour du 3 décembre 1992, Oleifici Borelli/Commission, C‑97/91, Rec. p. I‑6313, point 14 ; du 11 janvier 2001, Kofisa Italia, C‑1/99, Rec. p. I‑207, point 46 ; du 27 novembre 2001, Commission/Autriche, C‑424/99, Rec. p. I‑9285, point 45, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 39), « [l]e contrôle juridictionnel […] est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres [… et qui] a également été consacré par les articles 6 et 13 de la [CEDH] ».

211   En l’espèce, ce principe trouve son expression dans le droit que confère au requérant l’article 230, quatrième alinéa, CE de soumettre au contrôle du Tribunal la légalité du règlement attaqué, pour autant qu’il le concerne directement et individuellement, et d’invoquer au soutien de son recours tout moyen tiré de l’incompétence, de la violation des formes substantielles, de la violation du traité CE ou de toute règle de droit relative à son application, ou d’un détournement de pouvoir.

212   La question qui se pose en l’espèce est toutefois celle de savoir s’il existe des limites structurelles, imposées par le droit international général ou par le traité CE lui-même, au contrôle juridictionnel qu’il revient au Tribunal d’exercer à l’égard de ce règlement.

213   Il y a en effet lieu de rappeler que le règlement attaqué, adopté au vu de la position commune 2002/402, constitue la mise en œuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’ONU, de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, qui ont été décidées et ensuite renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Les considérants de ce règlement font expressément référence aux résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002).

214   Dans ce contexte, ainsi que l’ont fait valoir à juste titre les institutions, celles-ci ont agi au titre d’une compétence liée, de sorte qu’elles ne disposaient d’aucune marge d’appréciation autonome. En particulier, elles ne pouvaient ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification.

215   Tout contrôle de la légalité interne du règlement attaqué, notamment au regard des dispositions ou principes généraux du droit communautaire relatifs à la protection des droits fondamentaux, impliquerait donc que le Tribunal examine, de façon incidente, la légalité desdites résolutions. Dans l’hypothèse sous examen, en effet, la source de l’illégalité invoquée par le requérant devrait être recherchée non pas dans l’adoption du règlement attaqué, mais dans les résolutions du Conseil de sécurité qui ont décrété les sanctions (voir, par analogie, arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 158 supra, point 74).

216   En particulier, si le Tribunal devait annuler le règlement attaqué, conformément aux conclusions du requérant, bien que celui-ci paraisse imposé par le droit international, au motif que cet acte viole les droits fondamentaux du requérant tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire, une telle annulation impliquerait, indirectement, que les résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes violent lesdits droits fondamentaux. En d’autres termes, le requérant demande au Tribunal de déclarer implicitement que la norme du droit international en cause porte atteinte aux droits fondamentaux de l’individu, tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire.

217   Les institutions et le Royaume-Uni invitent le Tribunal à décliner par principe toute compétence pour procéder à un tel contrôle indirect de la légalité de ces résolutions qui, en tant que règles de droit international liant les États membres de la Communauté, s’imposeraient à lui comme à toutes les institutions de la Communauté. Ces parties estiment, en substance, que le contrôle du Tribunal devrait se limiter, d’une part, à la vérification du respect des règles de forme, de procédure et de compétence qui s’imposaient, en l’espèce, aux institutions communautaires et, d’autre part, à la vérification de l’adéquation et de la proportionnalité des mesures communautaires en cause par rapport aux résolutions du Conseil de sécurité qu’elles mettent en œuvre.

218   Force est de reconnaître qu’une telle limitation de compétence s’impose en tant que corollaire des principes dégagés ci-dessus, dans le cadre de l’examen de l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire.

219   Ainsi qu’il a déjà été exposé, les résolutions en cause du Conseil de sécurité ont été adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Dans ce contexte, la détermination de ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales, ainsi que des mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir, relève de la responsabilité exclusive du Conseil de sécurité et échappe, comme telle, à la compétence des autorités et juridictions nationales ou communautaires, sous la seule réserve du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, visé à l’article 51 de ladite charte.

220   Dès lors que, agissant au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité, par le biais de son comité des sanctions, décide que les fonds de certains individus ou entités doivent être gelés, sa décision s’impose à tous les membres des Nations unies, conformément à l’article 48 de la charte.

221   Au regard des considérations énoncées aux points 193 à 204 ci-dessus, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité d’une telle décision à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait dès lors se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire.

222   D’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités.

223   D’autre part, une telle compétence serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE, aux termes duquel le juge communautaire exerce ses attributions dans les conditions et aux fins prévues par les dispositions des traités CE et UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts Poulsen et Diva Navigation, point 158 supra, point 9, et Racke, point 158 supra, point 45).

224   Il convient d’ajouter que, eu égard notamment à l’article 307 CE et à l’article 103 de la charte des Nations unies, l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire, soit aux principes de cet ordre juridique ne saurait affecter la validité d’une résolution du Conseil de sécurité ou son effet sur le territoire de la Communauté (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, Rec. p. 1125, point 3 ; du 8 octobre 1986, Keller, 234/85, Rec. p. 2897, point 7, et du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 38).

225   Force est donc de considérer que les résolutions en cause du Conseil de sécurité échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et que celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.

226   Le Tribunal est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

227   Il convient de relever, à cet égard, que la convention de Vienne sur le droit des traités, qui codifie le droit international coutumier (et dont l’article 5 dispose qu’elle s’applique « à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale et à tout traité adopté au sein d’une organisation internationale »), prévoit, en son article 53, la nullité des traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens), définie comme « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». De même, l’article 64 de la convention de Vienne dispose que, « si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin ».

228   Au demeurant, la charte des Nations unies elle-même présuppose l’existence de principes impératifs de droit international et, notamment, la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans le préambule de la charte, les peuples des Nations unies se sont ainsi déclarés résolus à « proclamer [... leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine ». Il ressort en outre du chapitre premier de la charte, intitulé « Buts et principes », que les Nations unies ont notamment pour but d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

229   Ces principes s’imposent tant aux membres de l’ONU qu’à ses organes. Ainsi, aux termes de l’article 24, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité doit, dans l’accomplissement des devoirs que lui impose la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, agir « conformément aux buts et principes des Nations Unies ». Les pouvoirs de sanction que possède le Conseil de sécurité dans l’exercice de cette responsabilité doivent donc être utilisés dans le respect du droit international et, en particulier, des buts et principes des Nations unies.

230   Le droit international permet ainsi de considérer qu’il existe une limite au principe de l’effet obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité : elles doivent respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi improbable soit-il, elles ne lieraient pas les États membres de l’ONU ni, dès lors, la Communauté.

231   Le contrôle juridictionnel incident exercé par le Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation d’un acte communautaire adopté, sans exercice d’une quelconque marge d’appréciation, en vue de mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, peut donc très exceptionnellement s’étendre à la vérification du respect des règles supérieures du droit international relevant du jus cogens et, notamment, des normes impératives visant à la protection universelle des droits de l’homme, auxquelles ni les États membres ni les instances de l’ONU ne peuvent déroger parce qu’elles constituent des « principes intransgressibles du droit international coutumier » (avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Rec. 1996, p. 226, point 79 ; voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Bosphorus, point 189 supra, point 65).

232   C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il convient d’examiner les moyens tirés de la violation des droits fondamentaux du requérant.

 Sur les violations alléguées des droits fondamentaux du requérant

233   Le Tribunal décide d’examiner tout d’abord la violation alléguée du droit fondamental au respect de la propriété et du principe de proportionnalité, ensuite la violation alléguée du droit d’être entendu et, enfin, la violation alléguée du droit à un contrôle juridictionnel effectif.

–       Sur la violation alléguée du droit au respect de la propriété et du principe de proportionnalité

234   Le requérant invoque une violation du droit au respect de sa propriété, tel qu’il est garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH, ainsi qu’une violation du principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit communautaire.

235   Toutefois, dans la mesure où les violations alléguées procéderaient exclusivement du gel des fonds du requérant, tel qu’il a été décidé par le Conseil de sécurité, par l’intermédiaire de son comité des sanctions, et mis en œuvre dans la Communauté par le règlement attaqué, sans exercice d’un quelconque pouvoir d’appréciation, c’est en principe à la seule aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens qu’il convient d’examiner les griefs du requérant, conformément aux principes déjà définis ci‑dessus.

236   L’étendue et l’intensité du gel des fonds du requérant ayant varié au fil du temps (voir, successivement, l’article 2 du règlement n° 467/2001, l’article 2 du règlement n° 881/2002 dans sa rédaction initiale et, enfin, l’article 2 bis du règlement attaqué, tel qu’inséré par l’article 1er du règlement n° 561/2003), il convient, par ailleurs, de préciser que, dans le cadre du présent recours en annulation, le contrôle juridictionnel du Tribunal doit uniquement porter sur l’état de la réglementation actuellement en vigueur. En effet, au contentieux de l’annulation, le juge communautaire tient normalement compte des événements qui affectent, en cours d’instance, l’objet même du litige, tels que l’abrogation, la prorogation, le remplacement ou la modification de l’acte attaqué (voir, outre les arrêts Alpha Steel/Commission, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission et CCRE/Commission, point 53 supra, l’ordonnance de la Cour du 8 mars 1993, Lezzi Pietro/Commission, C‑123/92, Rec. p. I‑809, points 8 à 11). Toutes les parties ont marqué leur accord sur ce point à l’audience.

237   Il y a donc lieu d’apprécier si le gel des fonds prévu par le règlement attaqué, tel que modifié par le règlement n° 561/2003 et, indirectement, par les résolutions du Conseil de sécurité que ces règlements mettent en œuvre, viole les droits fondamentaux du requérant.

238   Le Tribunal considère que tel n’est pas le cas à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens.

239   À cet égard, il y a lieu de souligner d’emblée que le règlement attaqué, dans sa version modifiée par le règlement n° 561/2003, adopté à la suite de la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité, prévoit, entre autres dérogations et exemptions, que, à la demande des intéressés, et sauf opposition expresse du comité des sanctions, les autorités nationales compétentes déclarent le gel des fonds inapplicable aux fonds nécessaires à des dépenses de base, notamment celles qui sont consacrées à des vivres, des loyers, des frais médicaux, des impôts ou des services collectifs (voir point 36 ci-dessus). En outre, les fonds nécessaires à n’importe quelle autre « dépense extraordinaire » peuvent désormais être dégelés moyennant autorisation expresse du comité des sanctions.

240   Les possibilités explicites d’exemptions et de dérogations dont est ainsi assorti le gel des fonds des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions montrent clairement que cette mesure n’a ni pour objet ni pour effet de soumettre ces personnes à un traitement inhumain ou dégradant.

241   En outre, il y a lieu de relever que, si l’article 17, paragraphe 1, de la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, dispose que « [t]oute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété », l’article 17, paragraphe 2, de ladite déclaration universelle précise que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».

242   Ainsi, pour autant que le respect du droit à la propriété doive être considéré comme faisant partie des normes impératives du droit international général, seule une privation arbitraire de ce droit pourrait, en tout état de cause, être considérée comme contraire au jus cogens.

243   Or, force est de constater que le requérant n’a pas été arbitrairement privé de ce droit.

244   En effet, premièrement, le gel de ses fonds constitue un aspect des sanctions décidées par le Conseil de sécurité à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés.

245   À cet égard, il convient de souligner l’importance de la lutte contre le terrorisme international et la légitimité d’une protection des Nations unies contre les agissements d’organisations terroristes.

246   Dans le préambule de la résolution 1390 (2002), le Conseil de sécurité a, notamment, condamné catégoriquement les attaques terroristes commises le 11 septembre 2001, se déclarant déterminé à prévenir tous actes de ce type ; noté qu’Oussama ben Laden et le réseau Al-Qaida poursuivaient leurs activités de soutien au terrorisme international ; condamné le réseau Al-Qaida et les groupes terroristes associés pour les nombreux actes terroristes criminels qu’ils avaient commis et qui avaient pour but de tuer de nombreux civils innocents et de détruire des biens et réaffirmé à nouveau que les actes de terrorisme international constituaient une menace à la paix et à la sécurité internationales.

247   C’est eu égard à ces circonstances que l’objectif poursuivi par les sanctions revêt une importance significative, qui est notamment, aux termes de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité du 28 septembre 2001, à laquelle renvoie le considérant 3 du règlement attaqué, de lutter par tous les moyens, conformément à la charte des Nations unies, contre les menaces à la paix et à la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme. Les mesures en cause poursuivent donc un objectif d’intérêt général fondamental pour la communauté internationale.

248   Deuxièmement, le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation.

249   Troisièmement, les résolutions en cause du Conseil de sécurité prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des sanctions (voir points 16, 25 et 33 ci-dessus et point 266 ci-après).

250   Quatrièmement, ainsi qu’il sera exposé ci-après, la réglementation en cause aménage une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen, par l’intermédiaire de l’État membre de leur nationalité ou de leur résidence.

251   Eu égard à ces circonstances, le gel des fonds des personnes et entités soupçonnées, sur la base des informations communiquées par les États membres des Nations unies et contrôlées par le Conseil de sécurité, d’être liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et d’avoir participé au financement, à la planification, à la préparation ou à la perpétration d’actes terroristes ne saurait passer pour constitutif d’une atteinte arbitraire, inadéquate ou disproportionnée aux droits fondamentaux des intéressés.

252   Il découle de ce qui précède que les arguments tirés par le requérant de la violation alléguée du droit au respect de sa propriété et du principe général de proportionnalité doivent être rejetés.

–       Sur la violation alléguée du droit d’être entendu

253   Tout en reconnaissant que la mesure initiale de gel de ses fonds ne devait pas faire l’objet d’une notification préalable à sa mise en œuvre, le requérant fait grief au Conseil de ne lui avoir donné aucune possibilité d’être entendu sur les faits, circonstances et éléments de preuve retenus à sa charge (voir points 141 à 143 ci‑dessus). Le requérant semble, par ailleurs, faire également grief aux décisions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes de ne pas respecter les droits de la défense (voir point 150 ci-dessus).

254   À cet égard, il convient de distinguer entre le prétendu droit du requérant d’être entendu par le Conseil dans le contexte de l’adoption du règlement attaqué et son prétendu droit d’être entendu par le comité des sanctions dans le contexte de son inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité.

255   S’agissant, en premier lieu, du prétendu droit du requérant d’être entendu par le Conseil dans le contexte de l’adoption du règlement attaqué, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe exige que toute personne qui peut se voir infliger une sanction soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder la sanction (arrêts de la Cour du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C‑135/92, Rec. p. I‑2885, points 39 et 40 ; du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C‑32/95 P, Rec. p. I‑5373, point 21, et du 21 septembre 2000, Mediocurso/Commission, C‑462/98 P, Rec. p. I‑7183, point 36).

256   C’est à juste titre, toutefois, que le Conseil et la Commission relèvent que cette jurisprudence a été développée dans des domaines, tels que le droit de la concurrence, de la lutte antidumping et des aides d’État, mais aussi le droit disciplinaire ou la réduction des concours financiers, dans lesquels les institutions communautaires disposent de pouvoirs d’enquête et d’instruction étendus ainsi que d’une large marge discrétionnaire d’appréciation.

257   De fait, selon la jurisprudence, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique communautaire, et notamment le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue, est corrélatif à l’exercice d’un pouvoir d’appréciation par l’autorité, auteur de l’acte en cause (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14).

258   Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des observations liminaires sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire formulées ci-dessus, les institutions communautaires étaient tenues de transposer dans l’ordre juridique communautaire des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions du comité des sanctions qui ne les habilitaient aucunement, au stade de leur mise en œuvre concrète, à prévoir un quelconque mécanisme communautaire d’examen ou de réexamen des situations individuelles, dès lors que tant la substance des mesures en cause que les mécanismes de réexamen (voir points 262 et suivants ci-après) étaient entièrement du ressort du Conseil de sécurité et de son comité des sanctions. En conséquence, les institutions communautaires ne disposaient d’aucun pouvoir d’enquête, d’aucune possibilité de contrôle des faits retenus par le Conseil de sécurité et le comité des sanctions, d’aucune marge d’appréciation quant à ces faits et d’aucune liberté d’appréciation quant à l’opportunité de l’adoption de sanctions à l’égard du requérant. Le principe de droit communautaire relatif au droit d’être entendu ne saurait trouver à s’appliquer dans de telles circonstances, où une audition de l’intéressé ne pourrait en aucun cas amener l’institution à revoir sa position.

259   Il s’ensuit que le Conseil n’était pas tenu d’entendre le requérant au sujet de son maintien sur la liste des personnes et entités visées par les sanctions, dans le contexte de l’adoption et de la mise en œuvre du règlement attaqué.

260   Partant, les arguments tirés par le requérant de la violation alléguée de son droit d’être entendu par le Conseil dans le contexte de l’adoption du règlement attaqué doivent être rejetés.

261   S’agissant, en second lieu, du prétendu droit du requérant d’être entendu par le comité des sanctions dans le contexte de son inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité, force est de constater qu’un tel droit n’est pas prévu par les résolutions en question.

262   Il convient néanmoins de relever que, si elles ne prévoient pas un droit d’audition personnelle, les résolutions en cause du Conseil de sécurité, et les règlements successifs qui les ont mises en œuvre dans la Communauté, instaurent un mécanisme de réexamen des situations individuelles, en prévoyant que les intéressés peuvent s’adresser au comité des sanctions, par l’intermédiaire de leurs autorités nationales, afin d’obtenir soit leur retrait de la liste des personnes visées par les sanctions, soit une dérogation au gel des fonds (voir, notamment, points 20, 32 et 34 à 36 ci‑dessus).

263   Le comité des sanctions est un organe subsidiaire du Conseil de sécurité, composé de représentants des États qui sont membres du Conseil de sécurité. Il est devenu un important organe permanent responsable de la surveillance journalière de l’application des sanctions et peut faire en sorte que la communauté internationale interprète et applique les résolutions de manière uniforme (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Bosphorus, point 189 supra, point 46).

264   S’agissant, en particulier, d’une demande de réexamen d’un cas individuel, en vue d’obtenir la radiation de l’intéressé de la liste des personnes visées par les sanctions, les « directives régissant la conduite des travaux du [comité des sanctions] », adoptées le 7 novembre 2002 et amendées le 10 avril 2003 (voir point 50 ci‑dessus), prévoient ce qui suit, en leur point 7 :

« a)      Sans préjudice des procédures en vigueur, un requérant [personne(s), groupes, entreprises et/ou entités figurant sur la liste récapitulative du comité] peut présenter au gouvernement du pays dans lequel il réside et/ou dont il est ressortissant une demande tendant à faire réexaminer son cas. Ce faisant, le requérant doit justifier sa demande de radiation de la liste, fournir les informations pertinentes et demander un appui à cette demande.

b)      Le gouvernement auquel la demande est adressée (le ‘gouvernement requis’) doit examiner tous les éléments d’information pertinents puis contacter bilatéralement le(s) gouvernement(s) qui a(ont) proposé l’inscription sur la liste [le(s) ‘gouvernement(s) identifiant(s)’] pour demander un complément d’information et tenir des consultations sur la demande de radiation de la liste.

c)      Le(s) gouvernement(s) ayant initialement demandé l’inscription peu(ven)t aussi demander un complément d’information au pays de résidence ou de nationalité du requérant. Le gouvernement requis et le(s) gouvernement(s) identifiant(s) peuvent, selon les besoins, consulter le président du comité au cours de ces consultations bilatérales.

d)      Si, après avoir examiné les compléments d’information, le gouvernement requis souhaite donner suite à une demande de radiation de la liste, il doit chercher à convaincre le(s) gouvernement(s) identifiant(s) de présenter, conjointement ou séparément, une demande de radiation au comité. Le gouvernement requis peut, sans que celle-ci soit accompagnée d’une demande du/des gouvernement(s) identifiant(s), présenter une demande de radiation au comité, dans le cadre de la procédure d’approbation tacite.

e)      Le comité prend ses décisions par consensus. Si le comité ne parvient pas à un consensus sur une question particulière, le président entreprend les consultations supplémentaires qui pourraient faciliter l’accord. Si, après ces consultations, on ne parvient toujours pas à un consensus, la question peut être soumise au Conseil de sécurité. Étant donné le caractère spécifique de l’information, le président peut encourager les échanges bilatéraux entre États membres intéressés afin de clarifier la question avant de prendre une décision. »

265   Le Tribunal constate que, par l’adoption de ces directives, le Conseil de sécurité a entendu tenir compte, dans toute la mesure du possible, des droits fondamentaux des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions et notamment des droits de la défense.

266   L’importance que le Conseil de sécurité attache au respect de ces droits ressort d’ailleurs clairement de sa résolution 1526 (2004), du 30 janvier 2004, qui vise, d’une part, à améliorer la mise en œuvre des mesures imposées au paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999), au paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) et aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1390 (2002), et, d’autre part, à renforcer le mandat du comité des sanctions. Aux termes du paragraphe 18 de la résolution 1526 (2004), le Conseil de sécurité « encourage vigoureusement tous les États à informer, dans la mesure du possible, les personnes et entités inscrites sur la liste du [comité des sanctions] des mesures prises [contre elles], des directives du [comité des sanctions] et de la résolution 1452 (2002) ». Conformément au paragraphe 3 de la résolution 1526 (2004), ces mesures seront encore améliorées dans 18 mois, ou avant si cela est nécessaire.

267   Il est vrai que la procédure décrite ci-dessus ne confère pas directement aux intéressés eux-mêmes le droit de se faire entendre par le comité des sanctions, seule autorité compétente pour se prononcer, à la demande d’un État, sur le réexamen de leur cas. Ceux-ci dépendent ainsi, pour l’essentiel, de la protection diplomatique que les États accordent à leurs ressortissants.

268   Une telle restriction au droit d’être directement et personnellement entendu par l’autorité compétente ne saurait toutefois passer pour inadmissible au regard des normes impératives relevant de l’ordre public international. Au contraire, s’agissant de la remise en cause du bien-fondé de décisions ordonnant le gel des fonds d’individus ou d’entités soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international, adoptées par le Conseil de sécurité, par l’intermédiaire de son comité des sanctions, au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, sur la base des informations communiquées par les États et les organisations régionales, il est normal que le droit des intéressés d’être entendus soit aménagé dans le cadre d’une procédure administrative à plusieurs niveaux, dans laquelle les autorités nationales visées à l’annexe II du règlement attaqué jouent un rôle essentiel.

269   Le droit communautaire lui-même reconnaît d’ailleurs la légalité de tels aménagements procéduraux, dans un contexte de sanctions économiques visant des particuliers (voir, par analogie, ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 2 août 2000, « Invest » Import und Export et Invest Commerce/Commission, T‑189/00 R, Rec. p. II‑2993).

270   Il convient d’ajouter que, comme l’a relevé à juste titre le Royaume-Uni à l’audience, les intéressés ont la possibilité d’introduire un recours juridictionnel fondé sur le droit interne, voire directement sur le règlement attaqué ainsi que sur les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité qu’il met en œuvre, contre un éventuel refus abusif de l’autorité nationale compétente de soumettre leur cas, pour réexamen, au comité des sanctions (voir, par analogie, ordonnance du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047, point 39).

271   En l’espèce, il ressort du dossier que le requérant s’est adressé, par lettre de ses avocats du 1er mars 2002, au représentant permanent du Royaume d’Arabie saoudite près les Nations unies, afin de faire valoir ses droits devant le comité des sanctions. Selon les explications complémentaires apportées à l’audience, le requérant n’aurait jamais obtenu de réponse à cette lettre.

272   Toutefois, ces circonstances ne présentent aucun lien avec la Communauté et elles sont dès lors étrangères au présent litige, qui a pour seul objet le contrôle de la légalité du règlement attaqué.

273   Il reste, en tout état de cause, que la possibilité pour le requérant de se prononcer utilement sur la réalité et la pertinence des faits en considération desquels ses fonds ont été gelés et, plus encore, sur les éléments de preuve retenus à sa charge paraît catégoriquement exclue. Ces faits et éléments de preuve, dès lors qu’ils sont classés confidentiels ou secrets par l’État qui les a portés à la connaissance du comité des sanctions, ne lui sont, de toute évidence, pas communiqués, pas plus d’ailleurs qu’ils ne le sont aux États membres de l’ONU destinataires des résolutions en cause du Conseil de sécurité.

274   Dans des circonstances telles que celles de l’espèce, où est en cause une mesure conservatoire limitant la disponibilité des biens du requérant, le Tribunal considère néanmoins que le respect des droits fondamentaux de l’intéressé n’impose pas que les faits et éléments de preuve retenus à sa charge lui soient communiqués, dès lors que le Conseil de sécurité ou son comité des sanctions estiment que des motifs intéressant la sûreté de la communauté internationale s’y opposent.

275   Il s’ensuit que les arguments tirés par le requérant de la violation alléguée de son droit d’être entendu par le comité des sanctions dans le contexte de son inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité doivent être rejetés.

276   Il découle de ce qui précède que les arguments tirés par le requérant de la violation alléguée du droit d’être entendu doivent être rejetés.

–       Sur la violation alléguée du droit à un contrôle juridictionnel effectif

277   L’examen des arguments du requérant en relation avec la violation alléguée de son droit à un contrôle juridictionnel effectif doit tenir compte des considérations d’ordre général qui leur ont déjà été consacrées dans le cadre préalable de l’examen de l’étendue du contrôle de légalité, notamment au regard des droits fondamentaux, qu’il incombe au Tribunal d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

278   En l’espèce, le requérant a pu introduire un recours en annulation devant le Tribunal au titre de l’article 230 CE.

279   Dans le cadre de ce recours, le Tribunal exerce un entier contrôle de la légalité du règlement attaqué quant au respect, par les institutions communautaires, des règles de compétence ainsi que des règles de légalité externe et des formes substantielles qui s’imposent à leur action.

280   Le Tribunal contrôle également la légalité du règlement attaqué au regard des résolutions du Conseil de sécurité que ce règlement est censé mettre en œuvre, notamment sous l’angle de l’adéquation formelle et matérielle, de la cohérence interne et de la proportionnalité du premier par rapport aux secondes.

281   Statuant au titre de ce contrôle, le Tribunal constate qu’il n’est pas contesté que le requérant est bien l’une des personnes physiques inscrites le 19 octobre 2001 sur la liste du comité des sanctions (voir point 23 ci‑dessus).

282   Dans le cadre du présent recours en annulation, le Tribunal s’est de surcroît reconnu compétent pour contrôler la légalité du règlement attaqué et, indirectement, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité, au regard des normes supérieures du droit international relevant du jus cogens, notamment les normes impératives visant à la protection universelle des droits de la personne humaine.

283   En revanche, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 225 ci‑dessus, il n’incombe pas au Tribunal de contrôler indirectement la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire.

284   Il n’appartient pas davantage au Tribunal de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve que le Conseil de sécurité a retenus à l’appui des mesures qu’il a prises ni encore, sous réserve du cadre limité défini au point 282 ci-dessus, de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Un tel contrôle ne pourrait pas être exercé sans empiéter sur les prérogatives du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies en matière de détermination, premièrement, d’une menace pour la paix et la sécurité internationales et, deuxièmement, des mesures appropriées pour y faire face ou y remédier. Au demeurant, la question de savoir si un individu ou une organisation représente une menace pour la paix et la sécurité internationales, de même que la question de savoir quelles mesures doivent être prises à l’égard des intéressés en vue de contrer cette menace, implique une appréciation politique et des jugements de valeur qui relèvent en principe de la seule compétence de l’autorité à laquelle la communauté internationale a confié la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

285   Force est ainsi de constater que, dans la mesure qui vient d’être indiquée au point 284 ci-dessus, le requérant ne dispose d’aucune voie de recours juridictionnel, le Conseil de sécurité n’ayant pas estimé opportun d’établir une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions.

286   Force est toutefois de reconnaître également qu’une telle lacune dans la protection juridictionnelle du requérant n’est pas en soi contraire au jus cogens.

287   À cet égard, le Tribunal relève que le droit d’accès aux tribunaux, dont le principe est reconnu tant par l’article 8 de la déclaration universelle des droits de l’homme que par l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, n’est pas absolu. D’une part, ce droit est susceptible de faire l’objet de dérogations en cas de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation, ainsi que le prévoit, sous certaines conditions, l’article 4, paragraphe 1, dudit pacte. D’autre part, même en-dehors de ces circonstances exceptionnelles, certaines restrictions doivent être tenues pour inhérentes à ce droit, telles les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des États (voir, à cet égard, Cour eur. D. H., arrêts Prince Hans‑Adam II de Liechtenstein c. Allemagne du 12 juillet 2001, Recueil des arrêts et décisions, 2001‑VIII, points 52, 55, 59 et 68, et McElhinney c. Irlande du 21 novembre 2001, Recueil des arrêts et décisions, 2001-XI, en particulier points 34 à 37) et des organisations internationales (voir, à cet égard, Cour eur. D. H., arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne du 18 février 1999, Recueil des arrêts et décisions, 1999‑I, points 63 et 68 à 73).

288   En l’espèce, le Tribunal considère que la limitation du droit d’accès du requérant à un tribunal, résultant de l’immunité de juridiction dont bénéficient en principe, dans l’ordre juridique interne des États membres des Nations unies, les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, conformément aux principes pertinents du droit international (notamment les articles 25 et 103 de la charte), est inhérente à ce droit, tel qu’il est garanti par le jus cogens.

289   Une telle limitation est justifiée tant par la nature des décisions que le Conseil de sécurité est amené à prendre au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies que par le but légitime poursuivi. Dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt du requérant à voir sa cause entendue sur le fond par un tribunal n’est pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt général essentiel qu’il y a à ce que la paix et la sécurité internationales soient maintenues face à une menace clairement identifiée par le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la charte des Nations unies. À cet égard, il convient d’accorder une importance significative à la circonstance que, loin de prévoir des mesures d’une durée d’application illimitée ou indéterminée, les résolutions successivement adoptées par le Conseil de sécurité ont toujours prévu un mécanisme de réexamen de l’opportunité du maintien de ces mesures après un laps de temps de 12 ou 18 mois au plus (voir points 16, 25, 33 et 266 ci-dessus).

290   Enfin, le Tribunal estime que, en l’absence d’une juridiction internationale compétente pour contrôler la légalité des actes du Conseil de sécurité, l’instauration d’un organe tel que le comité des sanctions et la possibilité, prévue par les textes, de s’adresser à lui à tout moment pour obtenir le réexamen de tout cas individuel, au travers d’un mécanisme formalisé impliquant tant le « gouvernement requis » que le « gouvernement identifiant » (voir points 263 et 264 ci‑dessus), constituent une autre voie raisonnable pour protéger adéquatement les droits fondamentaux du requérant tels qu’ils sont reconnus par le jus cogens.

291   Il découle de ce qui précède que les arguments tirés par le requérant de la violation alléguée de son droit à un contrôle juridictionnel effectif doivent être rejetés.

292   Aucun des moyens et arguments du requérant n’ayant pu prospérer, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

293   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 6, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.

294   Eu égard aux circonstances de l’espèce et aux conclusions des parties, il sera fait une juste application de ces dispositions en décidant que le requérant supportera, outre ses propres dépens, les dépens du Conseil ainsi que les dépens exposés par la Commission jusqu’à la date du 1er juillet 2002. Le Royaume-Uni et la Commission, celle-ci pour ce qui concerne la période postérieure au 1er juillet 2002, supporteront leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’annulation partielle du règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement (CE) n° 337/2000, et du règlement (CE) n° 2062/2001 de la Commission, du 19 octobre 2001, modifiant, pour la troisième fois, le règlement n° 467/2001.

2)      Le recours est rejeté en tant qu’il est dirigé contre le règlement n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement n° 467/2001.

3)      Le requérant est condamné à supporter, outre ses propres dépens, les dépens du Conseil ainsi que les dépens exposés par la Commission jusqu’à la date du 1er juillet 2002.

4)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission, celle-ci pour ce qui concerne la période postérieure au 1er  juillet 2002, supporteront leurs propres dépens.


Forwood

Pirrung

Mengozzi

Meij

 

Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 septembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       J. Pirrung


Table des matières

Cadre juridique

Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

Sur les conséquences procédurales de l’adoption du règlement attaqué

Sur le fond

1.  Considérations liminaires

2.  Sur le moyen tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué

Questions du Tribunal et réponses des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur les trois moyens tirés de la violation des droits fondamentaux du requérant

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

Sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou communautaire

Sur l’étendue du contrôle de légalité qu’il incombe au Tribunal d’exercer

Sur les violations alléguées des droits fondamentaux du requérant

–  Sur la violation alléguée du droit au respect de la propriété et du principe de proportionnalité

–  Sur la violation alléguée du droit d’être entendu

–  Sur la violation alléguée du droit à un contrôle juridictionnel effectif

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.