Affaire C-216/01


Budéjovicky Budvar, národní podnik
contre
Rudolf Ammersin GmbH



(demande de décision préjudicielle, formée par le Handelsgericht Wien)

«Protection des indications géographiques et des appellations d'origine – Convention bilatérale entre un État membre et un pays tiers protégeant des indications de provenance géographique de ce pays tiers – Articles 28 CE et 30 CE – Règlement (CEE) nº 2081/92 – Article 307 CE – Succession d'États en matière de traités»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 22 mai 2003
    
Arrêt de la Cour du 18 novembre 2003
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Agriculture – Législations uniformes – Protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires – Champ d'application matériel du règlement nº 2081/92 – Disposition d'un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers protégeant une indication de provenance géographique simple et indirecte – Exclusion

(Règlement du Conseil nº 2081/92, art. 2, § 2, b))

2.
Libre circulation des marchandises – Restrictions quantitatives – Mesures d'effet équivalent – Disposition d'un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers protégeant une indication de provenance géographique simple et indirecte – Justification – Condition – Absence de caractère générique

(Art. 28 CE et 30 CE)

3.
Libre circulation des marchandises – Restrictions quantitatives – Mesures d'effet équivalent – Disposition d'un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers protégeant une dénomination sans relation directe ou indirecte dans ce pays avec la provenance géographique – Inadmissibilité

(Art. 28 CE)

4.
Accords internationaux – Accords des États membres – Accords antérieurs au traité CE – Dispositions de traités bilatéraux conclus entre un État membre et un pays tiers contraires au traité – Application par la juridiction de l'État membre – Admissibilité – Obligation d'éliminer d'éventuelles incompatibilités entre une convention antérieure et le traité

(Art. 307, al. 1 et 2, CE)

1.
Le règlement nº 2081/92, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, tel que modifié par le règlement nº 535/97, ne s’oppose pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

(cf. points 78, 103, disp. 1)

2.
Les articles 28 CE et 30 CE ne s’opposent pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre, pour autant que la dénomination protégée n’a pas acquis, à la date d’entrée en vigueur de ce traité ou postérieurement à cette date, un caractère générique dans l’État d’origine.

(cf. points 102-103, disp. 1)

3.
L’article 28 CE s’oppose à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une dénomination ne se référant ni directement ni indirectement dans ce pays à la provenance géographique du produit qu’elle désigne une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

(cf. point 111, disp. 2)

4.
L’article 307, premier alinéa, CE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre, sous réserve des vérifications à opérer par celle-ci au vu notamment des intentions manifestées par l’État membre et l’État tiers quant à l’application du principe de la continuité des traités aux traités bilatéraux en cause, d’appliquer des dispositions de traités bilatéraux conclus entre cet État et un pays tiers comportant la protection d’une dénomination de ce pays tiers, même si ces dispositions se révèlent contraires aux règles du traité, au motif qu’il s’agit d’une obligation qui résulte de conventions conclues antérieurement à la date d’adhésion à l’Union européenne de l’État membre concerné. Dans l’attente que l’un des moyens visés à l’article 307, deuxième alinéa, CE permette d’éliminer d’éventuelles incompatibilités entre une convention antérieure à une telle adhésion et le traité, le premier alinéa dudit article autorise cet État à continuer d’appliquer une telle convention pour autant qu’elle comporte des obligations auxquelles celui-ci demeure tenu en vertu du droit international.

(cf. points 164, 173, disp. 3)




ARRÊT DE LA COUR
18 novembre 2003(1)


«Protection des indications géographiques et des appellations d'origine – Convention bilatérale entre un État membre et un pays tiers protégeant des indications de provenance géographique de ce pays tiers – Articles 28 CE et 30 CE – Règlement (CEE) n° 2081/92 – Article 307 CE – Succession d'États en matière de traités»

Dans l'affaire C-216/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Handelsgericht Wien (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Budìjov ický Budvar, národní podnik

et

Rudolf Ammersin GmbH,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 28 CE, 30 CE et 307 CE, ainsi que du règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 535/97 du Conseil, du 17 mars 1997 (JO L 83, p. 3),

LA COUR,



composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans (rapporteur), C. Gulmann et J. N. Cunha Rodrigues, présidents de chambre, MM. D. A. O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet, R. Schintgen, M me N. Colneric et M. S. von Bahr, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

pour Budìjovický Budvar, národní podnik, par M e S. Kommar, Rechtsanwalt,

pour Rudolf Ammersin GmbH, par M e C. Hauer, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement autrichien, par M me C. Pesendorfer, en qualité d'agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing et A. Dittrich, en qualité d'agents,

pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et M me L. Bernheim, en qualité d'agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par M me A.-M. Rouchaud, en qualité d'agent, assistée de M e B. Wägenbaur, Rechtsanwalt,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Budìjovický Budvar, národní podnik, représentée par M e S. Kommar, de Rudolf Ammersin GmbH, représentée par M es C. Hauer, D. Ohlgart et B. Goebel, Rechtsanwälte, et de la Commission, représentée par M me A.-M. Rouchaud, assistée de M e B. Wägenbaur, à l'audience du 19 novembre 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 22 mai 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par ordonnance du 26 février 2001, parvenue à la Cour le 25 mai suivant, le Handelsgericht Wien a posé, en application de l’article 234 CE, quatre questions préjudicielles sur l’interprétation des articles 28 CE, 30 CE et 307 CE, ainsi que du règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 535/97 du Conseil, du 17 mars 1997 (JO L 83, p. 3, ci-après le «règlement n° 2081/92»).

2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant Budĕjovický Budvar, národní podnik (ci-après «Budvar»), une brasserie établie dans la ville de Èeske Budĕjovice (République tchèque), à Rudolf Ammersin GmbH (ci-après «Ammersin»), une firme établie à Vienne (Autriche) qui exploite un commerce de distribution de boissons, au sujet de la demande de Budvar d’interdire à Ammersin de commercialiser sous la marque American Bud de la bière produite par la brasserie Anheuser-Busch Inc. (ci-après «Anheuser-Busch»), établie à Saint Louis (États-Unis), au motif que, en vertu de traités bilatéraux liant la République tchèque et la république d’Autriche, l’utilisation de la dénomination «Bud» dans cet État membre est réservée à de la bière produite en République tchèque.


Le cadre juridique

Le droit international

3
L’article 34, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur la succession d’États en matière de traités, du 23 août 1978, dispose:

«Lorsqu’une partie ou des parties du territoire d’un État s’en séparent pour former un ou plusieurs États, que l’État prédécesseur continue ou non d’exister:

a)
tout traité en vigueur à la date de la succession d’États à l’égard de l’ensemble du territoire de l’État prédécesseur reste en vigueur à l’égard de chaque État successeur ainsi formé;

b)
tout traité en vigueur à la date de la succession d’États à l’égard uniquement de la partie du territoire de l’État prédécesseur qui est devenue un État successeur reste en vigueur à l’égard de cet État successeur seul.»

Le droit communautaire

4
Aux termes de l’article 307, premier et deuxième alinéas, CE:

«Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1 er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec le présent traité, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d’arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune.»

5
Le septième considérant du règlement n° 2081/92 énonce «que les pratiques nationales dans la mise en œuvre des appellations d’origine et des indications géographiques sont actuellement disparates; qu’il est nécessaire d’envisager une approche communautaire; que, en effet, un cadre de règles communautaires comportant un régime de protection permettra aux indications géographiques et aux appellations d’origine de se développer du fait que ce cadre garantira, à travers une approche plus uniforme, des conditions de concurrence égale entre les producteurs de produits bénéficiant de ces mentions et qu’il conduira à une meilleure crédibilité de ces produits aux yeux des consommateurs».

6
L’article 1 er , paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2081/92 prévoit:

«1.      Le présent règlement établit les règles relatives à la protection des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles destinés à l’alimentation humaine visés à l’annexe II du traité CE et des denrées alimentaires visées à l’annexe I du présent règlement ainsi que des produits agricoles visés à l’annexe II du présent règlement.

[...]

2.        Le présent règlement s’applique sans préjudice d’autres dispositions communautaires particulières.»

7
L’annexe I dudit règlement, intitulée «Denrées alimentaires visées à l’article 1 er paragraphe 1», mentionne les «Bières» à son premier tiret.

8
Aux termes de l’article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2081/92:

«1.      La protection communautaire des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles et denrées alimentaires est obtenue conformément au présent règlement.

2.        Aux fins du présent règlement, on entend par:

a)
‘appellation d’origine’: le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée;

b)
‘indication géographique’: le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique et dont la production et/ou la transformation et/ou l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée.»

9
Les articles 5 à 7 du règlement n° 2081/92 établissent la procédure d’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine visées à l’article 2 de ce règlement, dite «procédure normale». Selon l’article 5, paragraphe 4, du même règlement, la demande d’enregistrement doit être adressée à l’État membre dans lequel est située l’aire géographique concernée. Ce dernier vérifie, selon l’article 5, paragraphe 5, premier alinéa, dudit règlement, que la demande est justifiée et la transmet à la Commission des Communautés européennes.

10
En raison du fait que l’instruction d’une demande d’enregistrement par la Commission nécessite un certain temps et que, dans l’attente d’une décision relative à l’enregistrement d’une dénomination, il convient d’admettre l’octroi par l’État membre d’une protection nationale transitoire, le règlement n° 535/97 a inséré le texte suivant après le premier alinéa de l’article 5, paragraphe 5, du règlement n° 2081/92:

«Une protection au sens du présent règlement, au niveau national ainsi que, le cas échéant, une période d’adaptation, ne peuvent être accordées que transitoirement par cet État membre à la dénomination ainsi transmise à partir de la date de cette transmission; [...]

La protection nationale transitoire cesse d’exister à partir de la date à laquelle une décision sur l’enregistrement en vertu du présent règlement est prise. [...]

Les conséquences d’une telle protection nationale, dans le cas où la dénomination ne serait pas enregistrée au sens du présent règlement, sont de la seule responsabilité de l’État membre concerné.

Les mesures prises par les États membres en vertu du deuxième alinéa ne produisent leur effet que sur le plan national et ne doivent pas affecter les échanges intracommunautaires.»

11
Aux termes de l’article 12 du règlement n° 2081/92:

«1.      Sans préjudice des accords internationaux, le présent règlement s’applique aux produits agricoles ou aux denrées alimentaires en provenance d’un pays tiers, à condition:

que le pays tiers soit en mesure de donner des garanties identiques ou équivalentes à celles qui sont visées à l’article 4,

qu’il existe dans le pays tiers concerné un régime de contrôle équivalent à celui défini à l’article 10,

que le pays tiers concerné soit disposé à accorder une protection équivalente à celle existant dans la Communauté, aux produits agricoles ou aux denrées alimentaires correspondants provenant de la Communauté.

2.        Lorsqu’une dénomination protégée d’un pays tiers et une dénomination protégée communautaire sont homonymes, l’enregistrement est accordé en tenant dûment compte des usages locaux et traditionnels et des risques effectifs de confusion.

L’usage de telles dénominations n’est autorisé que si le pays d’origine du produit est clairement et visiblement indiqué sur l’étiquette.»

12
L’article 17 du règlement n° 2081/92 instaure une procédure d’enregistrement, applicable à l’enregistrement des dénominations qui existaient déjà à la date d’entrée en vigueur de ce règlement, dite «procédure simplifiée». Cette disposition prévoit notamment que les États membres communiquent à la Commission, dans un délai de six mois suivant la date d’entrée en vigueur du règlement n° 2081/92, leurs dénominations qu’ils désirent faire enregistrer à ce titre.

13
Afin de tenir compte notamment du fait que la première proposition d’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine, que la Commission devait élaborer en application de l’article 17, paragraphe 2, du règlement n° 2081/92, n’a été présentée au Conseil de l’Union européenne qu’en mars 1996, alors que la majeure partie de la période transitoire de cinq ans prévue à l’article 13, paragraphe 2, du même règlement était écoulée, le règlement n° 535/97, entré en vigueur le 28 mars 1997, a remplacé ce dernier paragraphe par le texte suivant:

«Par dérogation au paragraphe 1 points a) et b), les États membres peuvent maintenir les régimes nationaux permettant l’utilisation des dénominations enregistrées au titre de l’article 17 pendant une période limitée à cinq ans au maximum après la date de la publication de l’enregistrement, à condition que:

les produits aient été commercialisés légalement sous ces dénominations durant au moins cinq ans avant la date de publication du présent règlement,

les entreprises aient légalement commercialisé les produits en cause en utilisant de façon continue les dénominations pendant la période visée au premier tiret,

l’étiquetage fasse clairement apparaître l’origine véritable du produit.

Cependant, cette dérogation ne peut pas conduire à commercialiser librement les produits sur le territoire d’un État membre pour lequel ces dénominations étaient interdites.»

Le droit national

14
Le 11 juin 1976, la république d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque ont conclu un traité relatif à la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des autres appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels (ci-après la «convention bilatérale»).

15
Après son approbation et sa ratification, la convention bilatérale a été publiée au Bundesgesetzblatt für die Republik Österreich du 19 février 1981 (BGBl. 1981/75). Conformément à son article 16, paragraphe 2, la convention bilatérale est entrée en vigueur le 26 février 1981 pour une période indéterminée.

16
L’article 1 er de la convention bilatérale prévoit:

«Chacun des États contractants s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger efficacement contre la concurrence déloyale dans la vie des affaires les indications de provenance, appellations d’origine et autres appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels relevant des catégories visées à l’article 5 et précisées dans l’accord prévu à l’article 6, ainsi que les noms et illustrations mentionnés aux articles 3, 4 et 8, paragraphe 2.»

17
Aux termes de l’article 2 de la convention bilatérale:

«On entend par indications de provenance, appellations d’origine et autres appellations indiquant la provenance au sens du présent traité toutes les indications qui se rapportent directement ou indirectement à la provenance d’un produit. Une telle indication est en général constituée d’une appellation géographique. Toutefois, elle peut également être constituée d’autres mentions si les milieux intéressés du pays d’origine y voient, en liaison avec le produit ainsi appelé, une indication du pays de production. Lesdites appellations peuvent contenir, outre l’indication d’un territoire de provenance géographiquement déterminé, des mentions relatives à la qualité du produit concerné. Ces propriétés particulières des produits sont exclusivement ou principalement la conséquence d’influences géographiques ou humaines.»

18
L’article 3, paragraphe 1, de la convention bilatérale dispose:

«[...] les appellations tchécoslovaques énumérées dans un accord conclu en vertu de l’article 6 sont réservées dans la république d’Autriche exclusivement aux produits tchécoslovaques.»

19
L’article 5, paragraphe 1, B, point 2, de la convention bilatérale mentionne les bières parmi les catégories de produits tchèques concernés par la protection instaurée par cette convention.

20
Aux termes de l’article 6 de la convention bilatérale:

«Les appellations relatives à des produits, pour lesquelles les conditions des articles 2 et 5 s’appliquent, qui bénéficient de la protection du traité et qui ne sont dès lors pas des dénominations génériques seront énumérées dans un accord qui devra être conclu entre les gouvernements des deux États contractants.»

21
L’article 7 de la convention bilatérale est libellé comme suit:

«1.      Si les noms et appellations protégés en application des articles 3, 4, 6 et 8, paragraphe 2, du présent traité sont utilisés en violation des présentes dispositions dans le cadre d’une activité commerciale pour désigner des produits, notamment pour leur présentation ou leur emballage, ou sur des factures, lettres de voiture ou autres documents commerciaux ou dans la publicité, il est fait application de toutes les mesures judiciaires et administratives qui, selon la législation de l’État contractant dans lequel la protection est demandée, sont prévues pour lutter contre la concurrence déloyale ou pour réprimer autrement les appellations illicites, dans les conditions fixées par cette législation et compte tenu de l’article 9.

2.        Dans la mesure où il y a risque de confusion dans le cadre d’activités commerciales, le paragraphe 1 est appliqué également si les appellations protégées en vertu du traité sont utilisées sous une forme modifiée ou pour des produits autres que ceux auxquels elles sont attribuées par l’accord prévu à l’article 6.

3.        Le paragraphe 1 est appliqué également si les appellations protégées en vertu du traité sont utilisées sous forme de traduction ou avec une indication de la provenance effective, ou assorties de mentions telles que ‘sorte’, ‘type’, ‘façon’, ‘imitation’ ou similaires.

4.        Le paragraphe 1 n’est pas applicable aux traductions d’appellations de l’un des États contractants si la traduction est un terme du langage courant dans la langue de l’autre État contractant.»

22
L’article 16, paragraphe 3, de la convention bilatérale dispose que les deux parties contractantes peuvent la dénoncer moyennant un préavis d’au moins un an, formulé par écrit et selon la voie diplomatique.

23
Conformément à l’article 6 de la convention bilatérale, un accord sur l’application de celle-ci (ci-après l’«accord bilatéral») a été conclu le 7 juin 1979. En vertu de son article 2, paragraphe 1, cet accord est entré en vigueur en même temps que la convention bilatérale, à savoir le 26 février 1981. Il a été publié au Bundesgesetzblatt für die Republik Österreich du 19 février 1981 (BGBl. 1981/76).

24
L’annexe B de l’accord bilatéral énonce:

«Appellations tchécoslovaques pour des produits agricoles et industriels

[...]

B.        Alimentation et agriculture (autre que vin)

[...]

2.        Bière

République socialiste tchèque

[...]

Bud

Budĕjovické pivo

Budìjovické pivo Budvar

Budìjovický Budvar

[...]»

25
Le 17 décembre 1992, le Conseil national tchèque a déclaré que, conformément aux principes en vigueur du droit international et dans la mesure prévue par ce dernier, la République tchèque considère qu’elle est liée, à partir du 1 er janvier 1993, par les traités multilatéraux et bilatéraux auxquels la République fédérative tchèque et slovaque était partie à cette date.

26
Par la loi constitutionnelle n° 4/1993, du 15 décembre 1992, la République tchèque a confirmé qu’elle assume les droits et obligations existant en vertu du droit international dans le chef de la République fédérative tchèque et slovaque à la date d’extinction de cette dernière.

27
La communication du chancelier fédéral relative aux traités bilatéraux en vigueur entre la république d’Autriche et la République tchèque (BGBl. III 1997/123, ci-après la «communication du chancelier fédéral»), énonce:

«Sur la base d’un examen conjoint des traités bilatéraux entre la république d’Autriche et la République tchèque par les instances compétentes des deux États, il a été constaté que, sur le fondement des règles généralement admises du droit international public, les traités bilatéraux visés ci-après étaient en vigueur dans les rapports entre la république d’Autriche et la République tchèque au 1 er janvier 1993, date de la succession d’État de la République tchèque sur le territoire correspondant de l’ancienne République fédérative tchèque et slovaque, et sont appliqués depuis cette date par les instances compétentes dans le cadre des ordres juridiques des deux pays:

[...]

19.
traité entre la république d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque relatif à la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des autres appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels ainsi que le protocole du 30 novembre 1977

Vienne, le 11 juin 1976 (BGBl. n° 75/1981)

[...]

26.
accord sur l’application du traité entre la république d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque relatif à la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des autres appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels

Prague, le 7 juin 1979 (BGBl. n° 76/1981)

[...]»


Le litige au principal et les questions préjudicielles

28
Budvar commercialise de la bière, notamment sous les marques Budĕjovický Budvar et Budweiser Budvar, et exporte de la bière dénommée «Budweiser Budvar», en particulier vers l’Autriche.

29
Ammersin commercialise notamment la bière de la marque American Bud produite par la brasserie Anheuser-Busch qu’elle achète à la firme Josef Sigl KG (ci-après «Josef Sigl»), établie à Obertrum (Autriche), importateur exclusif de ladite bière en Autriche.

30
Par acte introductif d’instance du 22 juillet 1999, Budvar a demandé à la juridiction de renvoi d’enjoindre à Ammersin de s’abstenir d’utiliser, sur le territoire autrichien, dans le cadre de son activité commerciale, l’appellation Bud ou des appellations semblables prêtant à confusion, pour de la bière ou des marchandises similaires ou en relation avec ces produits, sauf s’il s’agit de produits de Budvar. En outre, celle-ci a conclu à la suppression de toutes les appellations contraires à cette interdiction, ainsi qu’à la reddition des comptes et à la publication du jugement. Le recours était assorti d’une demande de mesures provisoires.

31
Le recours au principal de Budvar repose, pour l’essentiel, sur deux fondements juridiques distincts.

32
En premier lieu, Budvar fait valoir que la marque American Bud, enregistrée comme marque pour Anheuser-Busch, présente une ressemblance prêtant à confusion au sens de la législation contre la concurrence déloyale avec ses propres marques prioritaires qui bénéficient d’une protection en Autriche, à savoir Budweiser, Budweiser Budvar et Bud.

33
En second lieu, Budvar soutient que l’utilisation de l’appellation American Bud pour une bière en provenance d’un État autre que la République tchèque est contraire aux dispositions de la convention bilatérale puisque l’appellation Bud, visée à l’annexe B de l’accord bilatéral, constitue une appellation protégée, conformément à l’article 6 de ladite convention, qui est dès lors réservée exclusivement aux produits tchèques.

34
Le 15 octobre 1999, la juridiction de renvoi a ordonné les mesures provisoires sollicitées par Budvar.

35
Le recours introduit par Ammersin contre lesdites mesures devant l’Oberlandesgericht Wien (Autriche) n’a pas été accueilli et le pourvoi porté devant l’Oberster Gerichtshof (Autriche) a été rejeté. La procédure en référé étant achevée, le Handelsgericht Wien connaît à présent de l’affaire au fond.

36
La juridiction de renvoi observe que, avant d’introduire le recours au principal, Budvar avait déjà saisi le Landesgericht Salzburg (Autriche) d’un recours identique, tant par son objet que par son fondement, à celui introduit dans l’affaire au principal, mais dirigé contre Josef Sigl.

37
Dans cette affaire parallèle, le Landesgericht Salzburg a ordonné les mesures provisoires sollicitées et l’Oberlandesgericht Linz (Autriche) n’a pas accueilli l’appel interjeté contre cette ordonnance. Par ordonnance du 1 er février 2000, l’Oberster Gerichtshof a rejeté le recours en «Revision» contre l’ordonnance rendue en appel et a confirmé les mesures provisoires.

38
La juridiction de renvoi indique que cette ordonnance de l’Oberster Gerichtshof est fondée pour l’essentiel sur les considérations suivantes.

39
L’Oberster Gerichtshof, qui a limité son examen au moyen tiré de la convention bilatérale, a jugé que l’interdiction sollicitée à l’égard de Josef Sigl, partie défenderesse, peut constituer une entrave à la libre circulation de marchandises au sens de l’article 28 CE.

40
Toutefois, il a considéré que cette entrave est compatible avec l’article 28 CE parce que la protection de l’appellation Bud, telle que prévue par la convention bilatérale, relève de la protection de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE.

41
Selon la juridiction de renvoi, il semble que l’Oberster Gerichtshof a jugé que l’appellation Bud est une «indication géographique simple ou indication de provenance indirecte», à savoir une indication qui ne présuppose pas que les garanties associées à l’appellation d’origine – telles que la production dans le respect de normes de qualité ou de fabrication arrêtées et contrôlées par les autorités, ou les caractéristiques particulières du produit – sont respectées. L’appellation Bud bénéficierait en outre d’une «protection absolue», c’est-à-dire indépendante de tout risque de confusion ou de tromperie.

42
Au vu des arguments développés devant elle, la juridiction de renvoi considère qu’un doute raisonnable subsiste quant aux réponses à apporter aux questions de droit communautaire que l’affaire au principal soulève, notamment parce que la jurisprudence de la Cour ne permettrait pas de déterminer si les indications de provenance géographique dites «simples», qui ne comportent pas de risque de tromperie, relèvent également de la protection de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE.

43
Dans ces circonstances, le Handelsgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
L’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication géographique simple/indirecte, laquelle n’est, dans le pays d’origine, ni le nom d’une région ni celui d’un lieu ou d’un pays, la protection absolue, indépendante de tout risque de tromperie, d’une indication géographique qualifiée au sens du règlement n° 2081/92, est-elle compatible avec l’article 28 CE et/ou avec le règlement n° 2081/92 si l’application de cette disposition permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre?

2)
Cela vaut-il également lorsque l’indication géographique, laquelle n’est, dans le pays d’origine, ni le nom d’une région ni celui d’un lieu ou d’un pays, n’est pas considérée dans le pays d’origine comme la dénomination géographique d’un produit déterminé et n’y est même pas considérée comme une indication géographique simple ou indirecte?

3)
Les réponses aux première et deuxième questions valent-elles également lorsque le traité bilatéral est un traité que l’État membre a conclu avant son adhésion à l’Union européenne et qu’il a maintenu, après son adhésion à l’Union européenne, par une déclaration du gouvernement fédéral, avec un État ayant succédé au deuxième État contractant initial?

4)
L’article 307, deuxième alinéa, CE impose-t-il à l’État membre de donner à une telle convention bilatérale conclue avant l’adhésion à l’Union européenne de cet État membre entre celui-ci et un pays tiers une interprétation conforme au droit communautaire au sens de l’article 28 CE et/ou du règlement n° 2081/92 de sorte que la protection qu’elle confère à une indication géographique simple/indirecte, laquelle n’est, dans le pays d’origine, ni le nom d’une région ni celui d’un lieu ou d’un pays, n’implique qu’une protection contre le risque de tromperie, mais non la protection absolue d’une indication géographique qualifiée au sens du règlement n° 2081/92?»


Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

Observations soumises à la Cour

44
Budvar fait valoir que, dans l’affaire au principal, il s’agit de dispositions d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers auxquelles, en vertu de l’article 307, premier alinéa, CE, le droit communautaire n’est pas applicable. Or, l’interprétation de telles dispositions relèverait exclusivement de la juridiction nationale. Dans ces circonstances, une décision sur les questions préjudicielles ne serait ni nécessaire ni admissible.

45
Selon le gouvernement autrichien, la partie de la première question relative à la compatibilité de la protection conférée par la convention bilatérale avec le règlement n° 2081/92 est irrecevable. Il s’agirait, en effet, d’une question hypothétique dans la mesure où l’ordonnance de renvoi ne contiendrait aucun indice selon lequel, pour l’un des produits concernés, un enregistrement au sens de ce règlement existe ou serait envisagé.

46
La Commission soutient que se pose la question de savoir si les questions préjudicielles présentent un caractère hypothétique et sont, comme telles, irrecevables, compte tenu notamment de la triple circonstance que la juridiction de renvoi ne partage manifestement pas l’interprétation donnée par l’Oberster Gerichtshof, dans son ordonnance de référé du 1 er février 2000, de la convention bilatérale quant au caractère absolu de la protection conférée par cette dernière, qu’elle n’indique pas de quel type de protection la dénomination en cause au principal relève selon elle et ne précise pas non plus si elle est tenue par ladite interprétation.

Appréciation de la Cour

47
Conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui ont été posées (voir, notamment, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, points 38 et 39).

48
Selon Budvar les questions préjudicielles ne seraient pas recevables dès lors que l’affaire au principal, eu égard à l’applicabilité de l’article 307, premier alinéa, CE, ne concernerait que l’interprétation de règles de droit national, à savoir la convention et l’accord bilatéraux (ci-après les «traités bilatéraux en cause»), l’ensemble du droit communautaire n’étant pas applicable en l’espèce.

49
Il suffit de constater à cet égard tout d’abord que les troisième et quatrième questions concernent précisément l’interprétation de l’article 307 CE au regard des circonstances de l’affaire au principal, tandis que les première et deuxième questions portent sur l’interprétation de dispositions de droit communautaire, à savoir celles des articles 28 CE et 30 CE, ainsi que du règlement n° 2081/92, afin de permettre à la juridiction de renvoi d’examiner la compatibilité des règles nationales en cause avec le droit communautaire. La pertinence d’un tel examen en vue d’une application éventuelle de l’article 307 CE à ladite affaire ne saurait être mise en doute.

50
Concernant ensuite l’argument du gouvernement autrichien, selon lequel la partie de la première question relative au règlement n° 2081/92 serait de nature hypothétique, il y a lieu de constater que l’affaire au principal concerne la revendication par Budvar d’un droit qui impliquerait pour Ammersin l’interdiction de commercialiser certaines marchandises sous une dénomination protégée et dont la compatibilité avec le régime instauré par le règlement n° 2081/92 est mise en cause, indépendamment de l’existence d’un éventuel enregistrement sous le régime dudit règlement. Cette question n’est donc nullement de nature hypothétique.

51
S’agissant enfin des arguments de la Commission, il suffit de répondre que les hypothèses que distingue la juridiction de renvoi relatives à la nature de la dénomination en cause au principal ne constituent que des prémisses par rapport auxquelles les questions préjudicielles sont posées et dont la Cour n’est pas appelée à vérifier le bien-fondé.

52
Il résulte de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

Sur la première question

53
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement n° 2081/92 ou l’article 28 CE s’opposent à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral, conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

54
Cette question vise l’hypothèse selon laquelle la dénomination Bud constituerait une indication de provenance géographique simple et indirecte, à savoir une dénomination pour laquelle il n’existe pas de lien direct entre, d’une part, une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique du produit et, d’autre part, son origine géographique spécifique et qui, dès lors, ne relève pas de l’article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2081/92 (voir arrêt du 7 novembre 2000, Warsteiner Brauerei, C-312/98, Rec. p. I-9187, points 43 et 44), dénomination qui, en outre, n’est pas comme telle un nom géographique, mais est à tout le moins apte à informer le consommateur de ce que le produit qui en est revêtu provient d’un lieu, d’une région ou d’un pays déterminé (voir arrêt du 10 novembre 1992, Exportur, C-3/91, Rec. p. I-5529, point 11).

– Quant au règlement n° 2081/92

Observations soumises à la Cour

55
Budvar soutient que la dénomination Bud est une abréviation du nom de la ville de Budweis, dont le nom tchèque est Èeske Budĕjovice, lieu d’origine de sa bière, et comporte, dès lors, une référence géographique, laquelle aurait un rapport avec la tradition brassicole de ladite ville et renverrait notamment à la réputation mondiale de la bière de Budweis qui serait due à son excellente qualité.

56
Selon Budvar, la dénomination Bud – protégée en Autriche en vertu de la convention bilatérale – constitue dès lors une indication géographique ou une appellation d’origine qualifiée, c’est-à-dire une indication ou une appellation qui peut faire l’objet d’un enregistrement au titre du règlement n° 2081/92.

57
À cet égard, Budvar fait valoir qu’il découle de la jurisprudence de la Cour (arrêt Warsteiner Brauerei, précité, point 47) que le règlement n° 2081/92 ne s’oppose pas à un régime national de protection, semblable à celui découlant de la convention bilatérale, d’une indication géographique ou d’une appellation d’origine qualifiée telle que Bud.

58
Budvar soutient en outre que, au cas où la dénomination Bud, telle que protégée par la convention bilatérale, ne constituerait qu’une indication de provenance géographique simple – à savoir une indication de provenance géographique pour laquelle il n’existe aucun lien entre les caractéristiques du produit et sa provenance géographique –, l’arrêt Warsteiner Brauerei, précité, notamment son point 54, indiquerait que, à plus forte raison, le règlement n° 2081/92 ne s’oppose pas à l’application de cette protection nationale, étant donné que de telles indications sont manifestement étrangères au champ d’application dudit règlement.

59
Selon Budvar, le règlement n° 2081/92 ne régit que la protection de portée communautaire des appellations qu’il vise. Il en résulterait que, sous l’angle de la protection purement nationale qui découle de la convention bilatérale, la différenciation opérée par la juridiction de renvoi entre les indications de provenance géographique simples et les indications qualifiées n’est pas pertinente. Au regard de l’arrêt Warsteiner Brauerei, précité, notamment ses points 43 et 44, cette solution s’appliquerait même indépendamment de tout risque de tromperie.

60
Ammersin fait valoir que l’arrêt Warsteiner Brauerei, précité, n’apporte pas de réponse à la question qui fait l’objet du litige au principal, c’est-à-dire celle de savoir si la protection absolue réservée par le règlement n° 2081/92 aux indications géographiques et aux appellations d’origine qualifiées peut être accordée au niveau des États membres parallèlement au régime instauré par ce règlement.

61
Cette question devrait recevoir une réponse négative puisqu’il découlerait de l’objet, du but et de l’économie du règlement n° 2081/92 que ce dernier est exhaustif dans la mesure où il accorde une protection absolue. Ammersin relève, en premier lieu, que ce règlement subordonne la protection d’une dénomination à des conditions strictes, lesquelles exigent que celle-ci soit le nom d’un lieu et qu’un lien direct existe entre la qualité du produit concerné et le lieu d’où celui-ci provient (article 2, paragraphe 2, dudit règlement), et, en second lieu, que cette protection n’est accordée qu’après une procédure contraignante de notification, de vérification et d’enregistrement impliquant notamment un contrôle détaillé quant à la conformité au cahier des charges (articles 4 et suivants du même règlement).

62
Il en résulte, selon Ammersin, que le règlement n° 2081/92 s’oppose à des régimes nationaux de protection accordant une protection absolue à des indications géographiques ou à des appellations d’origine dont il n’est pas garanti qu’elles répondent, elles aussi, aux exigences strictes prévues par ledit règlement.

63
Cette interprétation serait corroborée par l’article 17 du règlement n° 2081/92, dont il découlerait que des régimes nationaux de protection d’indications de provenance géographique qualifiées, y compris ceux fondés sur des conventions bilatérales, ne peuvent être maintenus au-delà du délai de six mois prévu par cette disposition que s’ils ont été notifiés à la Commission dans ce délai.

64
Les indications de provenance protégées en vertu de la convention bilatérale, notamment la dénomination Bud, n’auraient toutefois pas fait l’objet d’une notification dans ce délai, qui a expiré le 30 juin 1999 en ce qui concerne la république d’Autriche. Elles ne pourraient dès lors plus être protégées.

65
Le gouvernement autrichien argue que, si l’on part du principe selon lequel la dénomination en cause au principal ne constitue qu’une indication de provenance géographique simple, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la protection que confère la convention bilatérale est compatible avec le règlement n° 2081/92.

66
Ce gouvernement soutient en outre qu’il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le règlement n° 2081/92 ne s’oppose pas non plus à l’application d’une réglementation nationale protégeant des dénominations qui pourraient faire l’objet d’un enregistrement au titre dudit règlement.

67
Le gouvernement allemand soutient que, dans la mesure où il s’agit d’une indication de provenance géographique simple, la protection de la dénomination Bud, telle que prévue par la convention bilatérale, est compatible avec le règlement n° 2081/92 puisque celui-ci ne s’applique qu’à des indications de provenance géographique qualifiées, à savoir des indications présentant un lien intrinsèque avec les caractéristiques ou la qualité du produit en question.

68
En revanche, si, dans l’affaire au principal, il s’agit d’une indication de provenance qualifiée, il convient, selon ledit gouvernement, de prendre en considération le fait que le règlement n° 2081/92 ne prévoit que l’enregistrement des indications de provenance émanant des États membres (voir article 5, paragraphes 4 et 5, dudit règlement). Il découlerait des considérants de ce règlement que celui-ci part du principe selon lequel le régime qu’il prévoit sera complété par une coopération avec les pays tiers. Toutefois, à ce jour, il n’existerait pas de convention entre l’Union européenne et la République tchèque.

69
Dès lors, la protection conférée par la convention bilatérale ne soulèverait pas d’objections, pourvu que les indications de provenance qualifiées qui y sont visées répondent, quant à leur contenu, aux exigences du règlement n° 2081/92.

70
Le gouvernement français fait valoir que l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2081/92 autorise le maintien d’accords internationaux conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de celui-ci.

71
Il ne serait donc pas douteux que la protection que confère la convention bilatérale à la dénomination Bud ne saurait être incompatible avec le règlement n° 2081/92, d’autant plus que cette dénomination a été qualifiée d’appellation d’origine protégée, notamment dans le cadre de l’arrangement de Lisbonne, du 31 octobre 1958, concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international, et a été enregistrée comme telle par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle en 1975.

72
La Commission fait valoir qu’il découle de la jurisprudence que le règlement n° 2081/92 ne s’oppose pas à ce qu’une convention bilatérale confère, éventuellement en association avec d’autres textes législatifs nationaux, une protection absolue, c’est-à-dire indépendante de toute utilisation comportant un risque de tromperie, à une indication géographique, telle que celle en cause au principal, pour laquelle il n’existe aucun lien entre les caractéristiques du produit et sa provenance géographique.

Réponse de la Cour

73
La Cour a déjà jugé que rien dans le règlement n° 2081/92 n’indique que des indications de provenance géographique simples ne peuvent pas être protégées au titre d’une réglementation nationale d’un État membre (voir arrêt Warsteiner Brauerei, précité, point 45).

74
Le règlement n° 2081/92 a pour objet d’assurer une protection uniforme, dans la Communauté, des dénominations géographiques qu’il vise et il a instauré l’obligation d’enregistrement communautaire de celles-ci pour qu’elles puissent bénéficier d’une protection dans tout État membre, tandis que la protection nationale qu’un État membre accorderait à des dénominations géographiques qui ne remplissent pas les conditions d’enregistrement au titre du règlement n° 2081/92 est régie par le droit national de cet État membre et reste confinée au territoire de celui-ci (voir arrêt Warsteiner Brauerei, précité, point 50).

75
Cette interprétation n’est pas remise en cause par la circonstance que le régime national de protection des indications de provenance géographique en cause dans l’affaire au principal prévoit une protection absolue, c’est-à-dire indépendante de tout risque de tromperie.

76
En effet, le champ d’application du règlement n° 2081/92 n’est pas déterminé en fonction d’une telle circonstance, mais il dépend essentiellement de la nature de la dénomination, en ce sens qu’il se limite aux désignations afférentes à un produit pour lequel il existe un lien particulier entre ses caractéristiques et son origine géographique ainsi que de la portée communautaire de la protection conférée.

77
Or, il est constant que, aux fins de l’hypothèse que vise la première question, la dénomination en cause au principal ne relève pas des désignations entrant dans le champ d’application du règlement n° 2081/92. En outre, la protection dont celle-ci bénéficie en vertu des traités bilatéraux en cause est limitée au territoire autrichien.

78
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question, en tant qu’elle concerne le règlement n° 2081/92, que celui-ci ne s’oppose pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

– Quant aux articles 28 CE et 30 CE

Observations soumises à la Cour

79
À titre liminaire, Budvar fait valoir que l’affaire au principal ne concerne que des importations directes en Autriche en provenance d’un pays tiers, à savoir les États-Unis, et ne porte dès lors pas sur une entrave aux échanges intracommunautaires. Partant, elle n’aurait pas de lien avec le marché intérieur et ne relèverait pas du champ d’application de l’article 28 CE.

80
Budvar soutient en outre que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, les articles 28 CE et 30 CE ne s’opposent pas à l’application de règles, édictées par une convention internationale entre États membres, relatives à la protection des indications de provenance et des appellations d’origine, pour autant que les dénominations protégées n’ont pas acquis un caractère générique dans l’État d’origine à la date de l’entrée en vigueur de cette convention ou plus tard.

81
Selon Budvar, cette jurisprudence s’applique à plus forte raison à une situation qui, comme dans l’affaire au principal, concerne une convention conclue entre un État membre et un pays tiers conférant une telle protection, d’autant plus qu’il est incontestable – notamment en raison de l’article 6 de la convention bilatérale qui l’affirme expressément – que l’appellation Bud n’a pas et n’a jamais eu un caractère générique.

82
Ammersin fait valoir que la jurisprudence de la Cour n’implique pas qu’une protection absolue d’une dénomination telle que Bud soit justifiée au regard de l’article 30 CE. En effet, ne seraient justifiées que les indications de provenance géographique simples – c’est-à-dire essentiellement des noms de lieu – jouissant d’une grande réputation et constituant pour les producteurs établis dans les lieux qu’elle désigne un moyen essentiel de s’attacher une clientèle. Or, la dénomination Bud ne serait pas le nom d’un lieu et ne jouirait pas non plus d’une renommée auprès des consommateurs.

83
Ammersin soutient en outre que la protection de la dénomination Bud ne pourrait pas non plus être justifiée au titre de l’article 28 CE, c’est-à-dire pour une raison impérieuse d’intérêt général, notamment celle relative à la défense des consommateurs ou à la loyauté des transactions commerciales. En effet, pour atteindre ces objectifs, une protection contre des risques de tromperie serait suffisante. Dans ces circonstances, une protection absolue serait manifestement disproportionnée.

84
Le gouvernement autrichien fait valoir que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 28 CE ne fait pas obstacle aux restrictions à l’importation et à l’exportation justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle ou commerciale au sens de l’article 30 CE, dans la mesure où de telles restrictions sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’objet spécifique de cette propriété.

85
Cette justification couvrirait aussi bien les indications de provenance géographique simples que les indications de provenance géographique indirectes.

86
Ledit gouvernement fait valoir que les dénominations protégées par la convention bilatérale – même si elles ne constituent pas des indications géographiques ou des appellations d’origine qualifiées susceptibles de relever du règlement n° 2081/92 – jouissent d’une renommée particulière pouvant justifier des restrictions à la libre circulation des marchandises.

87
Lesdites dénominations auraient été inscrites dans les annexes de l’accord bilatéral sur proposition des milieux nationaux intéressés, sur la base des attentes des consommateurs et en concertation étroite avec les groupements d’intérêts compétents et les administrations.

88
Le but de la convention bilatérale aurait été d’empêcher que les appellations protégées fassent l’objet d’utilisations abusives et deviennent des appellations génériques.

89
Le gouvernement allemand fait valoir que la protection que confère la convention bilatérale aux indications de provenance géographique simples constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE, laquelle est toutefois justifiée en vertu de l’article 30 CE, en tant que protection de la propriété industrielle et commerciale, ou, subsidiairement, en vertu de l’article 28 CE, en tant que raison impérieuse d’intérêt général, relative notamment à la loyauté des transactions commerciales ou à la défense des consommateurs.

90
En ce qui concerne l’article 30 CE, le gouvernement allemand soutient qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’interdiction d’utiliser la dénomination Bud, qui découle de la convention bilatérale, protège la propriété commerciale sur les indications de provenance au sens de cet article et peut, dès lors, justifier une entrave interdite par l’article 28 CE.

91
S’il était décidé que la dénomination en cause au principal constitue une indication de provenance simple, il en découlerait que cette indication est protégée contre le risque d’une exploitation de sa renommée. Il serait en outre sans importance que cette indication ait effectivement une renommée ou qu’une personne non habilitée ait effectivement exploité, en commercialisant ses produits, la renommée de l’indication de provenance.

92
Le gouvernement allemand fait valoir à titre subsidiaire que des raisons impérieuses d’intérêt général, notamment celles relatives à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs, autoriseraient les États membres à adopter des dispositions nationales en matière d’emploi d’indications trompeuses, sans exiger que les consommateurs soient effectivement influencés par la tromperie. Ceci serait d’ailleurs confirmé par différentes directives.

93
La Commission fait valoir que l’interdiction de commercialiser en Autriche de la bière sous la dénomination American Bud, qui découle de la convention bilatérale, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, au sens de l’article 28 CE, qui est justifiée puisqu’elle concerne la protection de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE.

94
À cet égard, la Commission fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que des dénominations géographiques telles que Bud, qui bénéficient d’une protection absolue en vertu d’une convention internationale alors même qu’il n’existe pas de lien entre les caractéristiques des produits concernés et leur provenance géographique, relèvent de la justification relative à la propriété industrielle et commerciale prévue à l’article 30 CE.

Réponse de la Cour

95
Il y a lieu de rappeler que les articles 28 CE et 30 CE sont indistinctement applicables aux produits originaires de la Communauté et à ceux qui ont été mis en libre pratique à l’intérieur de l’un quelconque des États membres, quelle que soit l’origine première de ces produits. C’est donc sous ces réserves que lesdits articles sont applicables en ce qui concerne la bière de la marque American Bud en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 1989, Nijman, 125/88, Rec. p. 3533, point 11).

96
Dans l’affaire au principal, l’interdiction de commercialiser en Autriche, sous la dénomination Bud, de la bière provenant de pays autres que la République tchèque, interdiction qui découle de la convention bilatérale, est de nature à affecter les importations en provenance d’autres États membres du produit concerné sous cette dénomination et à constituer ainsi un obstacle au commerce intracommunautaire. Une telle réglementation constitue, de ce fait, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE (voir, en ce sens, arrêts précités Nijman, point 12, et Exportur, points 19 et 20).

97
Une législation nationale interdisant pour des marchandises originaires de pays tiers qui sont mises en libre pratique dans d’autres États membres, où elles sont légalement commercialisées, l’utilisation d’une dénomination géographique n’exclut certes pas, de façon absolue, l’importation dans l’État membre concerné de ces produits. Elle est néanmoins susceptible de rendre leur commercialisation plus difficile et, par conséquent, d’entraver les échanges entre les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2000, Guimont, C-448/98, Rec. p. I-10663, point 26).

98
Il convient donc d’examiner si cette restriction à la libre circulation des marchandises peut être justifiée au regard du droit communautaire.

99
S’agissant d’une protection absolue d’une indication de provenance conférée par une convention bilatérale, essentiellement de la même nature que celle en cause au principal, la Cour a déjà jugé que l’objectif d’une telle convention qui consiste à empêcher que les producteurs d’un État contractant utilisent les dénominations géographiques d’un autre État, en exploitant ainsi la renommée qui s’attache aux produits des entreprises établies dans les régions ou lieux que ces dénominations désignent, tend à assurer la loyauté de la concurrence. Un tel objectif peut être considéré comme relevant de la sauvegarde de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE, pourvu que les dénominations en question n’aient pas acquis, à la date de l’entrée en vigueur de cette convention ou postérieurement à cette date, un caractère générique dans l’État d’origine (voir arrêts Exportur, précité, point 37, et du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C-87/97, Rec. p. I-1301, point 20).

100
Or, ainsi qu’il découle notamment des articles 1 er , 2 et 6 de la convention bilatérale, un tel objectif constitue le fondement du régime de protection instauré par les traités bilatéraux en cause.

101
Dès lors, s’il ressort des vérifications de la juridiction de renvoi que, selon les conditions de fait et les conceptions prévalant en République tchèque, la dénomination Bud désigne une région ou un endroit du territoire de cet État et que sa protection y est justifiée au regard des critères de l’article 30 CE, celui-ci ne s’oppose pas non plus à ce que cette protection soit étendue au territoire d’un État membre tel que, en l’espèce, la république d’Autriche (voir, en ce sens, arrêt Exportur, précité, point 38).

102
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question, en tant qu’elle concerne les articles 28 CE et 30 CE, que ceux-ci ne s’opposent pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre concerné qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre, pour autant que la dénomination protégée n’a pas acquis, à la date de l’entrée en vigueur de ce traité ou postérieurement à cette date, un caractère générique dans l’État d’origine (voir arrêt Exportur, précité, point 39).

103
Il convient, par conséquent, de répondre à la première question que l’article 28 CE et le règlement n° 2081/92 ne s’opposent pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

Sur la deuxième question

104
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement n° 2081/92 ou l’article 28 CE s’opposent à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers qui confère à une dénomination ne se référant ni directement ni indirectement dans ce pays à la provenance géographique du produit une protection dans l’État membre concerné qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

Observations soumises à la Cour

105
Budvar fait valoir que la protection conférée par la convention bilatérale à la dénomination Bud ne serait incompatible avec l’article 28 CE que si une association d’idées entre l’indication protégée, modifiant le libellé entier du lieu de production du produit protégé, d’une part, et le produit protégé par cette indication dans sa désignation concrète ainsi que son lieu de production, d’autre part, était totalement exclue tant dans l’État membre concerné que dans le pays tiers. L’application d’une telle protection serait compatible avec le règlement n° 2081/92 même si une telle association d’idées était totalement exclue.

106
Ammersin et le gouvernement allemand soutiennent que, si la dénomination Bud n’est pas considérée dans le pays d’origine comme une dénomination géographique pour un produit déterminé ni d’ailleurs comme une indication géographique simple ou indirecte, la protection d’une telle dénomination ne saurait être justifiée au titre de la protection de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE.

Réponse de la Cour

107
S’il ressort des vérifications effectuées par la juridiction de renvoi que, selon les conditions de fait et les conceptions prévalant en République tchèque, la dénomination Bud ne désigne directement ou indirectement aucune région ni aucun endroit du territoire de cet État, se pose alors la question de savoir si une protection absolue de cette dénomination telle que prévue par la convention bilatérale, qui constitue une entrave à la libre circulation des marchandises (voir points 96 et 97 du présent arrêt), peut être justifiée en droit communautaire au regard de l’article 30 CE ou à un autre titre.

108
Dans une telle hypothèse, et sans préjudice d’une éventuelle protection au titre de droits spécifiques tels que le droit des marques, la protection de ladite dénomination ne saurait être justifiée au titre de la protection de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE (voir, en ce sens, arrêts Exportur, précité, point 37, et du 7 mai 1997, Pistre e.a., C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343, point 53).

109
Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si cette entrave peut être justifiée au titre d’une exigence impérative d’intérêt général telle que celle relative à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs.

110
Or, s’il était établi que la dénomination Bud ne comporte aucune référence à la provenance géographique des produits qu’elle désigne, il y aurait lieu de constater qu’il ne ressort d’aucun des éléments soumis à la Cour par la juridiction de renvoi que la protection de cette dénomination serait susceptible d’éviter que des opérateurs économiques n’obtiennent un avantage indu ou que les consommateurs ne soient induits en erreur à propos de l’une quelconque des caractéristiques desdits produits.

111
Il convient, par conséquent, de répondre à la deuxième question que l’article 28 CE s’oppose à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers qui confère à une dénomination ne se référant ni directement ni indirectement dans ce pays à la provenance géographique du produit qu’elle désigne une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

Sur les troisième et quatrième questions

112
Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 307, premier alinéa, CE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre d’appliquer des dispositions de traités bilatéraux tels que ceux en cause au principal, conclus entre cet État et un pays tiers, comportant la protection d’une dénomination de ce pays tiers, même si ces dispositions se révèlent contraires aux règles du traité, au motif qu’il s’agit d’une obligation qui résulte de conventions conclues antérieurement à la date d’adhésion à l’Union européenne de l’État membre concerné, et si le deuxième alinéa dudit article impose à cette juridiction nationale de donner une interprétation desdites dispositions qui soit conforme au droit communautaire.

Observations soumises à la Cour

113
Budvar relève que la convention bilatérale a été conclue par la république d’Autriche avant son adhésion à l’Union européenne, qui est intervenue le 1 er janvier 1995, et que la communication du chancelier fédéral, faite en 1997, soit postérieurement à cette adhésion, a, selon ses termes mêmes, une valeur purement déclaratoire. Selon Budvar, la convention bilatérale n’a pas été maintenue par ladite déclaration, mais elle est restée en vigueur après le démembrement de la République fédérative tchèque et slovaque le 1 er janvier 1993 en vertu des règles du droit international public en matière de succession d’États.

114
Dans ces conditions, Budvar fait valoir que la république d’Autriche pouvait, en vertu de l’article 307, premier alinéa, CE, tel qu’interprété par la Cour, voire devait, en vertu du droit international public, prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de la dénomination Bud prévue par la convention bilatérale, nonobstant toute disposition de droit communautaire.

115
Budvar soutient que, à supposer même que, s’agissant de la protection prévue par la convention bilatérale, un conflit existe entre celle-ci et le droit communautaire, les institutions communautaires seraient empêchées, en vertu de l’article 307, premier alinéa, CE, d’appliquer l’ensemble du droit communautaire primaire et dérivé jusqu’à ce que ce conflit soit résolu, le cas échéant par une éventuelle dénonciation de la convention bilatérale.

116
Les moyens appropriés pour éliminer d’éventuelles incompatibilités entre une convention antérieure à l’adhésion d’un État membre à l’Union européenne et le traité ne peuvent, selon Budvar, n’être que des moyens autorisés par le droit international public, tels que la renégociation ou une interprétation conforme au droit communautaire de cette convention.

117
Or, il ne serait pas envisagé de renégocier la convention bilatérale. Il découlerait en outre du libellé de l’article 7, paragraphe 1, de cette convention, disposition qui serait à cet égard dénuée de toute équivoque, que la protection que celle-ci confère à la dénomination concernée est indépendante d’un risque de confusion ou de tromperie.

118
Ammersin fait valoir que, dans l’affaire au principal, l’article 307, premier alinéa, CE n’est pas applicable dès lors que, à la date de son adhésion à l’Union européenne, la république d’Autriche n’avait aucune obligation découlant de la convention bilatérale.

119
La république d’Autriche n’aurait pas eu d’obligation de droit international antérieurement à la communication du chancelier fédéral, y compris à la date de son adhésion à l’Union européenne. Aucune coutume de droit international n’existerait par ailleurs en matière de succession d’États sur le fondement de laquelle les traités bilatéraux en cause seraient restés en vigueur à la suite du démembrement de la République fédérative tchèque et slovaque.

120
Dès lors, ce ne serait que par la communication du chancelier fédéral que les obligations résultant de la convention bilatérale auraient été assumées par la république d’Autriche à l’égard de la République tchèque. Contrairement à son libellé, cette communication serait donc de nature constitutive.

121
La convention bilatérale permettrait une interprétation conforme au droit communautaire en ce sens que la dénomination Bud ne serait protégée que contre la tromperie effective en vertu de cette convention. En effet, l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci n’imposerait pas une protection absolue, mais prescrirait l’application des «mesures judiciaires et administratives [...] prévues pour lutter contre la concurrence déloyale ou pour réprimer autrement les appellations illicites».

122
Or, le droit autrichien et, plus particulièrement, ses dispositions relatives à la concurrence déloyale soumettraient toutes les demandes d’interdiction visant des dénominations à la condition que celles-ci soient utilisées de façon trompeuse.

123
En outre, selon Ammersin, dans l’affaire au principal, ce serait l’article 7, paragraphe 2, de la convention bilatérale qui serait applicable puisque la dénomination American Bud, utilisée en tant que marque enregistrée, constitue une forme modifiée de l’appellation protégée au sens de cette disposition. Cette marque présenterait en effet des différences significatives par rapport à l’appellation protégée Bud – spécifiquement dans la forme utilisée comme étiquette de bouteille – et serait perçue par le consommateur comme une marque autonome.

124
À cet égard, Ammersin soutient que l’article 307, deuxième alinéa, CE précise la disposition figurant à l’article 10 CE, qui prévoit l’obligation générale pour les États membres d’adopter un comportement favorable à la Communauté. Il découlerait notamment de la jurisprudence relative à ce dernier article que, en appliquant le droit interne, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité des dispositions de droit communautaire de rang supérieur pour atteindre les résultats visés par le traité et se conformer ainsi au règlement n° 2081/92 et à l’article 28 CE.

125
Le gouvernement autrichien relève que la république d’Autriche et la République tchèque se sont ralliées à l’opinion dominante selon laquelle les États sont liés par les traités conclus par les États auxquels ils succèdent. Le principe de la continuité dans des situations telles que celle de l’affaire au principal serait exprimé à l’article 34, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur la succession d’États en matière de traités. Ce principe serait par ailleurs conforme au droit international coutumier. Après la dissolution de l’État auquel a succédé la République tchèque, la validité des traités bilatéraux en cause n’aurait en aucune façon été affectée par leur application aux rapports bilatéraux entre la république d’Autriche et la République tchèque.

126
Selon ledit gouvernement, la communication du chancelier fédéral n’a donc qu’une valeur purement déclarative.

127
Le gouvernement autrichien rappelle en outre que, conformément à l’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, «[u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but».

128
Or, selon ce gouvernement, compte tenu du sens à attribuer aux termes pertinents de la convention bilatérale dans leur contexte et à la lumière de l’objet ainsi que du but de celle-ci, ces termes n’autorisent aucune interprétation selon laquelle Bud bénéficierait, en tant qu’indication de provenance géographique simple ou indirecte, de la seule protection contre le risque de tromperie et non d’une protection absolue. Une telle interprétation serait donc d’emblée exclue.

129
Selon le gouvernement allemand, la convention bilatérale comporte des droits et des obligations nés dans le chef de la république d’Autriche avant son adhésion à l’Union européenne. Conformément à l’article 307, premier alinéa, CE, une telle convention ne serait pas affectée par le droit communautaire et son application bénéficierait par conséquent d’une primauté par rapport à celui-ci.

130
La circonstance que le pays tiers ayant conclu la convention bilatérale, à savoir la République socialiste tchécoslovaque, n’existe plus ne serait pas susceptible de remettre cette interprétation en cause. La république d’Autriche – à l’instar de la République fédérale d’Allemagne et, à la connaissance du gouvernement allemand, des autres États membres – aurait reconnu la pérennité de l’essentiel des traités internationaux et se serait ainsi comportée conformément aux pratiques habituelles entre États.

131
Une interprétation dans un sens favorable au droit communautaire devrait, selon ledit gouvernement, prendre la forme d’une modification de la convention bilatérale à la suite de renégociations à cet effet au niveau bilatéral et, en cas d’échec, de la dénonciation ou de la suspension de cette convention. Toutefois, dans l’intervalle, les juridictions nationales seraient en droit de protéger les droits concernés même s’ils sont contraires au droit communautaire. Ce gouvernement fait valoir que la juridiction de renvoi n’a, au demeurant, pas indiqué si ladite convention peut être dénoncée.

132
Le gouvernement français soutient qu’il résulte de la communication du chancelier fédéral que les traités bilatéraux en cause sont restés en vigueur sans interruption entre la république d’Autriche et la République tchèque depuis le 1 er janvier 1993, date qui est antérieure à l’adhésion de la république d’Autriche à l’Union européenne. Cette communication n’aurait pas décidé le maintien en vigueur de la convention bilatérale à partir de 1997, mais n’aurait fait qu’en prendre acte et en informer les particuliers. Dès lors, ces traités seraient bien des actes internationaux conclus antérieurement à l’adhésion de la république d’Autriche et auxquels s’applique l’article 307 CE.

133
Il découlerait en outre de la jurisprudence de la Cour que, conformément aux principes de droit international, des normes communautaires – en l’occurrence l’article 28 CE et les dispositions pertinentes du règlement n° 2081/92 – peuvent être tenues en échec par une convention internationale antérieure – en l’occurrence la convention bilatérale – si celle-ci impose à l’État membre concerné des obligations dont l’exécution peut encore être exigée par le pays tiers qui y est partie.

134
Or, selon ledit gouvernement, il ressort de cette jurisprudence que l’applicabilité d’une telle convention devrait être vérifiée par le juge national, auquel il reviendrait également d’identifier les obligations en cause afin de déterminer dans quelle mesure celles-ci font obstacle à l’article 28 CE ou au règlement n° 2081/92.

135
Le gouvernement français fait valoir que l’interprétation suggérée par la juridiction de renvoi reviendrait, dans l’affaire au principal, à violer la convention bilatérale et ne constituerait dès lors pas un moyen admissible en droit international pour résoudre une éventuelle incompatibilité entre ladite convention et le droit communautaire au sens de l’article 307, deuxième alinéa, CE, tel qu’interprété par la Cour.

136
Selon ledit gouvernement, il découle du libellé de l’article 7, paragraphe 1, de la convention bilatérale, lequel est dépourvu de toute équivoque, qu’il est exclu d’emblée que cette disposition soit interprétée de telle façon que la dénomination Bud ne serait protégée en tant qu’indication géographique simple et indirecte que contre le risque de tromperie et ne bénéficierait donc pas d’une protection absolue. Dès lors, une telle interprétation ne saurait être envisagée au titre de l’exigence d’une interprétation conforme au droit communautaire.

137
La Commission soutient que l’article 307 CE s’applique à la convention bilatérale puisque celle-ci a une incidence sur l’application du traité et a, en outre, été conclue par la république d’Autriche avec un pays tiers bien avant l’adhésion dudit État membre à l’Union européenne.

138
Se poserait toutefois la question de savoir si l’article 307, premier alinéa, CE s’applique également à une convention lorsque, comme dans l’affaire au principal, cette convention a été maintenue en vigueur au profit de l’État qui a succédé au pays tiers initial par une déclaration faite par les autorités d’un État membre après l’adhésion de ce dernier.

139
Cette question soulèverait également celle de savoir si la déclaration concernée est de nature constitutive.

140
La Commission fait valoir que la communication du chancelier fédéral n’a qu’un effet déclaratoire conformément au droit international, un traité restant en vigueur si le comportement des parties permet de conclure à leur accord sur le maintien de ce traité.

141
Il s’agirait d’une question de fait dont l’appréciation relève de la juridiction de renvoi. La Commission soutient qu’aucun élément du dossier n’indique que les parties n’auraient pas voulu maintenir les traités bilatéraux en cause.

142
La Commission en conclut que l’article 307, premier alinéa, CE s’applique dans l’affaire au principal et que, par conséquent, le traité n’affecte pas les droits ni les obligations nés de la convention bilatérale.

Réponse de la Cour

143
Il y a lieu de répondre à cette question puisqu’il ressort de la réponse à la deuxième question que, dans l’hypothèse où la dénomination Bud ne saurait être considérée comme se référant directement ou indirectement à la provenance géographique des produits qu’elle désigne, l’article 28 CE s’oppose à la protection que confèrent les traités bilatéraux en cause à ladite dénomination.

144
Il découle de l’article 307, premier alinéa, CE que les droits et obligations résultant d’une convention conclue antérieurement à la date d’adhésion d’un État membre entre ce dernier et un État tiers ne sont pas affectés par les dispositions du traité.

145
Cette disposition a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international, que l’application du traité CE n’affecte pas l’engagement de l’État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d’une convention antérieure et d’observer ses obligations correspondantes (voir, notamment, arrêt du 4 juillet 2000, Commission/Portugal, C-84/98, Rec. p. I-5215, point 53).

146
Il importe, dès lors, pour déterminer si une norme communautaire peut être tenue en échec par une convention internationale antérieure, d’examiner si celle-ci impose à l’État membre concerné des obligations dont l’exécution peut encore être exigée par le pays tiers qui est partie à la convention (voir en ce sens, notamment, arrêt du 10 mars 1998, T. Port, C-364/95 et C-365/95, Rec. p. I-1023, point 60).

147
En l’espèce, il est constant que la protection de la dénomination Bud est prévue par les traités bilatéraux en cause, lesquels ont été conclus entre la République socialiste tchécoslovaque et la république d’Autriche bien avant l’adhésion de celle-ci à l’Union européenne.

148
Il semble également ressortir des traités bilatéraux en cause, en particulier de l’article 7, paragraphe 1, de la convention bilatérale, que ceux-ci comportent pour la république d’Autriche des obligations dont l’exécution pouvait être exigée par la République socialiste tchécoslovaque.

149
Se pose toutefois la question de savoir si la République tchèque tire des droits desdits traités dont elle peut encore exiger le respect par la république d’Autriche.

150
Il y a lieu, en effet, de rappeler que, à la suite de son démembrement le 1 er janvier 1993, la République fédérative tchèque et slovaque, qui avait elle-même remplacé la République socialiste tchécoslovaque, a cessé d’exister et que deux nouveaux États indépendants lui ont succédé sur les parties respectives de son territoire, à savoir la République tchèque et la République slovaque.

151
Il convient dès lors de s’interroger sur le point de savoir si, dans le cadre d’une telle succession d’États, les traités bilatéraux en cause conclus par la République socialiste tchécoslovaque sont demeurés en vigueur à la suite du démembrement de la République fédérative tchèque et slovaque, en particulier pour ce qui concerne les droits qui en découlent au profit de la République tchèque, tels que ceux en cause au principal, en sorte que ces droits ainsi que les obligations correspondantes s’imposant à la république d’Autriche ont été maintenus au-delà dudit démembrement et étaient, dès lors, toujours en vigueur à la date de l’adhésion de la république d’Autriche à l’Union européenne.

152
Il est constant que, à la date dudit démembrement, il existait une pratique internationale largement admise, fondée sur un principe de continuité des traités. Il ressort de cette pratique que, pour autant que l’un des États parties à un traité bilatéral n’a pas manifesté sa volonté de le renégocier ou de le dénoncer, il est admis que celui-ci reste en principe en vigueur à l’égard des États qui succèdent à l’État démembré.

153
Il semble, en effet, que le principe de la continuité des traités ainsi compris constitue, à tout le moins pour ce qui concerne le cas spécifique d’un démembrement complet d’États et nonobstant la possibilité de la dénonciation ou de la renégociation des traités, un principe de référence qui était largement admis à la date du démembrement en question.

154
En tout état de cause, et sans qu’il soit nécessaire pour la Cour de se prononcer sur la question de savoir si ce principe de la continuité des traités constituait à la date du démembrement de la République fédérative tchèque et slovaque une règle coutumière de droit international, il ne saurait être contesté que l’application de ce principe dans la pratique internationale du droit des traités était, à cette date, pleinement conforme au droit international.

155
Dans ces conditions, il importe de vérifier si tant la république d’Autriche que la République tchèque ont effectivement entendu appliquer ce principe de la continuité des traités aux traités bilatéraux en cause et s’il existe des indices établissant leurs intentions à cet égard et se rapportant à la période située entre la date dudit démembrement et celle de l’adhésion de la république d’Autriche à l’Union européenne.

156
Ainsi qu’il ressort notamment de la résolution du Conseil national tchèque du 17 décembre 1992 et de l’article 5 de la loi constitutionnelle n° 4/1993 (voir points 25 et 26 du présent arrêt), la République tchèque a expressément accepté le principe de la continuité automatique des traités.

157
Quant à la position de la république d’Autriche, il semble que cet État a prôné traditionnellement le principe dit «tabula rasa» selon lequel, sauf pour les traités de caractère territorial ou en présence d’un accord prévoyant le contraire, la succession d’un nouvel État à un État contractant implique que les traités conclus par ce dernier sont automatiquement caducs.

158
Se pose toutefois la question de savoir si, dans une situation de succession d’États telle que celle résultant d’un démembrement complet de l’ancien État et pour ce qui concerne notamment les traités bilatéraux en cause, la république d’Autriche a entendu appliquer le principe évoqué au point précédent.

159
À cet égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 141 et 142 de ses conclusions, il semble ressortir à la fois de la jurisprudence des juridictions autrichiennes et de la circonstance que, à l’égard notamment de la République tchèque, la république d’Autriche a dénoncé, mais uniquement pour le futur, certains traités conclus avec la République socialiste tchécoslovaque, que la pratique dudit État membre, y compris au cours de la période située entre le démembrement de la République fédérative tchèque et slovaque et l’adhésion de la république d’Autriche à l’Union européenne, comportait des indices de nature à établir qu’il était dérogé à l’application du principe dit «tabula rasa».

160
La pratique autrichienne à l’égard des États issus de la République fédérative tchèque et slovaque semble, en effet, fondée sur l’approche pragmatique selon laquelle les traités bilatéraux restent applicables à moins qu’ils ne soient dénoncés par l’une ou l’autre des parties. Une telle pratique conduit à des résultats très proches de celle résultant de la mise en œuvre du principe de la continuité des traités.

161
À cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si, à quelque moment entre le démembrement de la République fédérative tchèque et slovaque, intervenu le 1 er janvier 1993, et la communication du chancelier fédéral, qui a été effectuée en 1997, la république d’Autriche a manifesté l’intention de renégocier ou de dénoncer les traités bilatéraux en cause.

162
Cette circonstance, si elle était vérifiée, est particulièrement significative puisque, ainsi qu’il a été relevé au point 156 du présent arrêt, la République tchèque avait, lors du démembrement de l’État auquel elle a succédé, clairement exprimé le point de vue selon lequel les traités conclus avec cet État sont restés en vigueur. La République tchèque s’est donc expressément réservé le droit d’invoquer à l’encontre de la république d’Autriche les droits qu’elle tire des traités bilatéraux en cause en tant qu’État successeur.

163
L’importance de cette circonstance est d’ailleurs corroborée par la finalité de l’article 307, premier alinéa, CE, qui vise à permettre à un État membre de respecter les droits que peuvent réclamer des pays tiers sur le fondement d’une convention antérieure à l’adhésion à l’Union européenne dudit État dans des cas tels que celui en cause au principal (voir point 145 du présent arrêt).

164
Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, dans l’affaire au principal, tant la république d’Autriche que la République tchèque ont effectivement voulu appliquer le principe de la continuité des traités aux traités bilatéraux en cause.

165
Pour ce qui concerne la république d’Autriche, il convient encore de préciser qu’il ne saurait être exclu a priori qu’une déclaration de volonté à cet égard, bien qu’ayant été faite avec un certain retard, à savoir en 1997 seulement, puisse néanmoins être prise en considération en vue d’établir définitivement l’intention de cet État membre d’accepter la République tchèque en tant que partie contractante des traités bilatéraux en cause et de considérer que, en l’espèce, l’application de ceux-ci relève du champ d’application de l’article 307, premier alinéa, CE.

166
Il en irait autrement si la république d’Autriche, à un moment quelconque ayant précédé la communication du chancelier fédéral, avait déjà clairement exprimé sa volonté en sens contraire.

167
Si, au terme des vérifications à opérer par la juridiction de renvoi au vu notamment des éléments fournis par le présent arrêt, celle-ci parvenait à la conclusion que, à la date de l’adhésion de la république d’Autriche à l’Union européenne, cet État membre était lié par les traités bilatéraux en cause à l’égard de la République tchèque, il en découlerait que lesdits traités peuvent être considérés comme des actes conclus antérieurement à cette adhésion au sens de l’article 307, premier alinéa, CE.

168
Il convient d’ajouter que, selon le deuxième alinéa de cette disposition, les États membres ont l’obligation de recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités existant entre une convention conclue antérieurement à l’adhésion d’un État membre et le traité.

169
Il en découle que la juridiction de renvoi est tenue de vérifier si une éventuelle incompatibilité entre le traité et la convention bilatérale peut être évitée en donnant à celle-ci, dans toute la mesure du possible et dans le respect du droit international, une interprétation conforme au droit communautaire.

170
Si la voie d’une interprétation conforme au droit communautaire d’une convention conclue antérieurement à l’adhésion d’un État membre à l’Union européenne s’avère impraticable, il est loisible à cet État, dans le cadre de l’article 307 CE, de prendre les mesures appropriées, ce dernier étant toutefois obligé d’éliminer les incompatibilités existant entre la convention antérieure et le traité. Si cet État membre rencontre des difficultés rendant la modification d’un accord impossible, on ne saurait donc exclure qu’il lui incombe de dénoncer cet accord (voir arrêt Commission/Portugal, précité, point 58).

171
À cet égard, il convient de relever que l’article 16, paragraphe 3, de la convention bilatérale dispose que les deux parties contractantes peuvent la dénoncer moyennant un préavis d’au moins un an, formulé par écrit et selon la voie diplomatique.

172
Or, dans l’attente que l’un des moyens visés à l’article 307, deuxième alinéa, CE permette d’éliminer d’éventuelles incompatibilités entre une convention antérieure à l’adhésion de l’État membre concerné à l’Union européenne et le traité, le premier alinéa dudit article autorise cet État à continuer d’appliquer une telle convention pour autant qu’elle comporte des obligations auxquelles celui-ci demeure tenu en vertu du droit international.

173
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 307, premier alinéa, CE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre, sous réserve des vérifications à opérer par celle-ci au vu notamment des éléments fournis par le présent arrêt, d’appliquer des dispositions de traités bilatéraux tels que ceux en cause au principal, conclus entre cet État et un pays tiers, comportant la protection d’une dénomination de ce pays tiers, même si ces dispositions se révèlent contraires aux règles du traité, au motif qu’il s’agit d’une obligation qui résulte de conventions conclues antérieurement à la date d’adhésion à l’Union européenne de l’État membre concerné. Dans l’attente que l’un des moyens visés à l’article 307, deuxième alinéa, CE permette d’éliminer d’éventuelles incompatibilités entre une convention antérieure à une telle adhésion et ledit traité, le premier alinéa dudit article autorise cet État à continuer d’appliquer une telle convention pour autant qu’elle comporte des obligations auxquelles celui-ci demeure tenu en vertu du droit international.


Sur les dépens

174
Les frais exposés par les gouvernements autrichien, allemand et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur les questions à elle soumises par le Handelsgericht Wien, par ordonnance du 26 février 2001, dit pour droit:

1)
L’article 28 CE et le règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, tel que modifié par le règlement (CE) n° 535/97 du Conseil, du 17 mars 1997, ne s’opposent pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

2)
L’article 28 CE s’oppose à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers qui confère à une dénomination ne se référant ni directement ni indirectement dans ce pays à la provenance géographique du produit qu’elle désigne une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

3)
L’article 307, premier alinéa, CE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre, sous réserve des vérifications à opérer par celle-ci au vu notamment des éléments fournis par le présent arrêt, d’appliquer des dispositions de traités bilatéraux tels que ceux en cause au principal, conclus entre cet État et un pays tiers, comportant la protection d’une dénomination de ce pays tiers, même si ces dispositions se révèlent contraires aux règles du traité CE, au motif qu’il s’agit d’une obligation qui résulte de conventions conclues antérieurement à la date d’adhésion à l’Union européenne de l’État membre concerné. Dans l’attente que l’un des moyens visés à l’article 307, deuxième alinéa, CE permette d’éliminer d’éventuelles incompatibilités entre une convention antérieure à une telle adhésion et ledit traité, le premier alinéa dudit article autorise cet État à continuer d’appliquer une telle convention pour autant qu’elle comporte des obligations auxquelles celui-ci demeure tenu en vertu du droit international.

Skouris

Jann

Timmermans

Gulmann

Cunha Rodrigues

Edward

La Pergola

Puissochet

Schintgen

Colneric

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 novembre 2003.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: l'allemand.