61999A0342

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre élargie) du 6 juin 2002. - Airtours plc contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Règlement (CEE) nº 4064/89 - Décision déclarant une concentration incompatible avec le marché commun - Recours en annulation - Marché pertinent - Notion de position dominante collective - Preuve. - Affaire T-342/99.

Recueil de jurisprudence 2002 page II-02585


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Marché en cause - Délimitation - Critères - Application au secteur des vacances à forfait à l'étranger

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

2. Concurrence - Concentrations - Examen par la Commission - Constatations nécessaires à la reconnaissance d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Lien entre l'opération de concentration notifiée et ladite position dominante collective - Caractérisation

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

3. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Notion

(Règlement du Conseil n° 4064/89, art. 2, § 3)

4. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Création d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Conditions

(Règlement du Conseil n° 4064/89, art. 2, § 3)

5. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Création d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Analyse de la Commission - Examen attentif des circonstances se révélant pertinentes aux fins de l'appréciation des effets de l'opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

6. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Création d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Charge de la preuve

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

7. Concurrence - Concentrations - Examen par la Commission - Appréciations d'ordre économique - Pouvoir discrétionnaire d'appréciation - Contrôle juridictionnel - Limites

(Règlement du Conseil n° 4064/89, art. 2)

8. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Création d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Nécessité pour la Commission de prendre en compte, lors de son examen, le degré de concurrence existant sur le marché en cause au moment de la notification de l'opération de concentration

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

9. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Création ou renforcement d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Indices d'une collusion tacite entre opérateurs économiques - Stabilité des parts de marché historiques

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

10. Concurrence - Concentrations - Appréciation de la compatibilité avec le marché commun - Création d'une position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun - Demande stable présentant une faible volatilité - Élément pertinent dans la caractérisation d'une position dominante collective

(Règlement du Conseil n° 4064/89)

Sommaire


1. La définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable à l'appréciation des effets sur la concurrence d'une opération de concentration d'entreprises notifiée en application du règlement n° 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. À cet égard, le marché des produits concernés par l'opération doit être défini en tenant compte de l'ensemble du contexte économique, de manière à pouvoir apprécier la puissance économique effective de la ou des entreprises en cause, et il importe, à cet effet, de définir au préalable les produits qui, sans être substituables à d'autres produits, sont suffisamment interchangeables avec les produits qu'elles proposent, en fonction non seulement de leurs caractéristiques propres, mais également des conditions de concurrence et de la structure de la demande et de l'offre sur le marché.

( voir points 19-20 )

2. Lorsque, dans le cadre de l'application du règlement n° 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, la Commission examine une éventuelle position dominante collective, elle doit déterminer si la création ou le renforcement d'une telle position, de nature à entraver de manière significative et durable la concurrence existant dans le marché, serait la conséquence directe et immédiate de la concentration. En l'absence d'une modification substantielle de la concurrence actuelle, l'opération devrait être autorisée.

S'agissant d'une prétendue position dominante collective, la Commission est tenue d'apprécier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l'opération de concentration dont elle est saisie aboutit à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs.

( voir points 58-59 )

3. Une situation de position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci peut intervenir à la suite d'une concentration lorsque, compte tenu des caractéristiques mêmes du marché en cause et de la modification qu'apporterait à sa structure la réalisation de l'opération, celle-ci aurait comme résultat que, prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l'oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée au sens de l'article 81 CE, et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective.

Dans l'analyse prospective du marché propre à toute appréciation d'une prétendue position dominante collective, une telle position ne doit pas seulement être envisagée sur un plan statique, à un instant donné, celui de la réalisation de l'opération et des modifications apportées à la structure de la concurrence, mais elle doit être également appréciée de manière dynamique, notamment en ce qui concerne sa cohérence interne, sa stabilité et le fait de savoir si le comportement parallèle anticoncurrentiel qu'elle serait susceptible d'engendrer peut se maintenir dans le temps.

( voir points 61, 192 )

4. Trois conditions sont nécessaires pour que puisse être créée, à la suite d'une opération de concentration, une situation de position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci:

- en premier lieu, chaque membre de l'oligopole dominant doit pouvoir connaître le comportement des autres membres, afin de vérifier s'ils adoptent ou non la même ligne d'action. À cet égard, il ne suffit pas que chaque membre de l'oligopole dominant soit conscient que tous peuvent tirer profit d'un comportement interdépendant sur le marché, mais il doit aussi disposer d'un moyen de savoir si les autres opérateurs adoptent la même stratégie et s'ils la maintiennent. La transparence sur le marché devrait, dès lors, être suffisante pour permettre à chaque membre de l'oligopole dominant de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement sur le marché de chacun des autres membres;

- en deuxième lieu, il est nécessaire que la situation de coordination tacite puisse se maintenir dans la durée, c'est-à-dire qu'il doit exister une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché. En effet, ce n'est que si tous les membres de l'oligopole dominant maintiennent un comportement parallèle qu'ils peuvent en profiter. Cette condition intègre donc la notion de représailles en cas de comportement déviant de la ligne d'action commune. Dans ce contexte, la Commission ne doit pas nécessairement établir l'existence d'un «mécanisme de représailles» déterminé, plus ou moins strict, mais elle doit démontrer, en tout état de cause, l'existence de facteurs de dissuasion suffisants pour que chacun des membres de l'oligopole dominant n'ait pas intérêt à dévier du comportement commun aux dépens des autres membres de l'oligopole. Pour qu'une situation de position dominante collective soit viable, il faut donc qu'il y ait suffisamment de facteurs de dissuasion pour assurer durablement une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune, ce qui revient à dire qu'il faut que chaque membre de l'oligopole dominant sache qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative;

- en troisième lieu, il doit être également établi que la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune.

( voir points 62, 195 )

5. L'analyse prospective que la Commission est appelée à réaliser dans le cadre du contrôle des concentrations, s'agissant d'une position dominante collective, nécessite un examen attentif notamment des circonstances qui, selon chaque cas d'espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l'appréciation des effets de l'opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence.

( voir point 63 )

6. Lorsque la Commission estime qu'une opération de concentration entre entreprises doit être interdite parce qu'elle va créer une situation de position dominante collective, il lui incombe de fournir des preuves solides. Ces preuves doivent concerner, notamment, les éléments appelés à jouer un rôle important dans l'évaluation d'une éventuelle création d'une position dominante collective, comme, par exemple, l'absence d'une concurrence effective entre les opérateurs prétendument membres de l'oligopole dominant et la faiblesse de la pression concurrentielle pouvant éventuellement être exercée par les autres opérateurs.

( voir point 63 )

7. Les règles de fond du règlement n° 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations.

( voir point 64 )

8. Le degré de concurrence existant sur le marché en cause au moment de notifier une opération de concentration est une circonstance déterminante pour caractériser la création éventuelle d'une situation de position dominante collective dans le cadre de l'application du règlement n° 4064/89, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. En effet, s'agissant d'apprécier l'existence d'une position dominante collective, l'une des questions que la Commission est tenue d'examiner est celle de savoir si l'opération dont elle est saisie entraînerait une entrave significative à la concurrence effective dans le marché en cause. Or, en l'absence d'un changement important dans le niveau de concurrence préexistant, l'opération devrait être autorisée, parce qu'elle n'a pas d'effets restrictifs de la concurrence.

( voir point 82 )

9. Dans le cadre de la caractérisation d'une position dominante collective, la stabilité des parts de marché historiques constitue un élément favorable au développement d'une collusion tacite, dans la mesure où elle facilite la division du marché au lieu d'une concurrence acharnée, chaque opérateur se référant à la part de marché dont il dispose historiquement pour fixer sa production en proportion de celle-ci.

( voir point 111 )

10. La théorie économique considère que la volatilité de la demande rend plus difficile la création d'une position dominante collective. Au contraire, une demande stable et, donc, présentant une faible volatilité constitue un élément pertinent dans la caractérisation d'une position dominante collective, dans la mesure où elle rend plus aisément détectables les déviations par rapport à la ligne d'action commune (c'est-à-dire les tricheries) en permettant de les distinguer des adaptations de la capacité destinées à répondre à la croissance ou à la décroissance du marché volatile.

( voir point 139 )

Parties


Dans l'affaire T-342/99,

Airtours plc, représentée par MM. J. Swift, QC, et R. Anderson, barrister, M. Nicholson, Mmes J. Holland et A. Gomes da Silva, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. R. Lyal, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision C (1999) 3022 final de la Commission, du 22 septembre 1999, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec l'accord EEE (affaire IV/M.1524 - Airtours/First Choice), publiée sous le numéro 2000/276/CE (JO 2000, L 93, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(cinquième chambre élargie),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas, J. D. Cooke, M. Vilaras, N. J. Forwood, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 11 octobre 2001,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Faits et procédure

1 Le 29 avril 1999, Airtours plc, société britannique, qui exerce principalement des activités de voyagiste et de fournisseur de vacances à forfait, a annoncé son intention d'acquérir la totalité du capital de l'un de ses concurrents, le voyagiste britannique First Choice plc.

2 Le même jour, Airtours a notifié à la Commission ce projet de concentration conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n_ 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n_ 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1) (ci-après le «règlement n_ 4064/89»).

3 Par décision du 3 juin 1999, la Commission a estimé que l'opération de concentration soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et a décidé d'engager la procédure d'examen approfondi, conformément à l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n_ 4064/89.

4 Le 9 juillet 1999, la Commission a transmis à la requérante une communication des griefs, conformément à l'article 18 du règlement n_ 4064/89, dans laquelle elle exposait les raisons pour lesquelles elle estimait, à première vue, que l'opération envisagée créerait une position dominante collective sur le marché britannique des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches. La requérante a répondu à cette communication des griefs le 25 juillet 1999.

5 Une audition devant le conseiller auditeur de la Commission a eu lieu les 28 et 29 juillet 1999, conformément aux articles 14, 15 et 16 du règlement (CE) n_ 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n_ 4064/89 (JO L 61, p. 1).

6 Le 7 septembre 1999, la requérante a soumis une série d'engagements, conformément à l'article 8, paragraphe 2, du règlement n_ 4064/89, pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés.

7 Le 9 septembre 1999, le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises s'est réuni et a rendu son avis sur l'opération de concentration et sur les engagements proposés par la requérante.

8 Le 15 septembre 1999 s'est tenue une réunion en présence de représentants de la requérante et de la Commission, à l'issue de laquelle la requérante a soumis une proposition ferme d'engagements révisés.

9 Par décision du 22 septembre 1999 (affaire IV/M.1524 - Airtours/First Choice) (décision C (1999) 3022 final, publiée sous le numéro 2000/276/CE (JO 2000, L 93, p. 1, ci-après la «Décision»), la Commission a déclaré l'opération de concentration incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l'Espace économique européen, au titre de l'article 8, paragraphe 3, du règlement n_ 4064/89, au motif qu'elle créerait une position dominante collective sur le marché britannique des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches, qui aurait comme effet d'entraver la concurrence de manière significative dans le marché commun. La Commission a précisé dans la Décision que les engagements proposés par Airtours le 7 septembre 1999 n'étaient pas suffisants pour éviter la création d'une position dominante collective et que les engagements présentés le 15 septembre 1999 ont été pris trop tard pour pouvoir être pris en considération à ce stade de la procédure.

Procédure et conclusions des parties

10 Le 2 décembre 1999, la requérante a introduit le présent recours.

11 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, la partie requérante et la Commission ont été invitées à produire plusieurs documents et à répondre par écrit à une série de questions.

12 Par lettres de la Commission du 27 juillet 2001 et du 3 août 2001, et par lettre de la requérante du 31 août 2001, les parties ont déféré aux mesures d'organisation de la procédure prises par le Tribunal.

13 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 11 octobre 2001.

14 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la Décision;

- condamner la Commission aux dépens.

15 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

16 La requérante invoque quatre moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré de l'existence d'erreurs manifestes d'appréciation dans la définition du marché de produits pertinent et d'une violation de l'article 253 CE. Le deuxième moyen est tiré d'une violation de l'article 2 du règlement n_ 4064/89 et du principe de sécurité juridique en ce que la Commission aurait examiné le cas d'espèce en appliquant une notion de position dominante collective nouvelle et erronée, ainsi que d'une violation de l'article 253 CE. Le troisième moyen est tiré d'une violation de l'article 2 du règlement n_ 4064/89 en ce que la Commission a constaté que l'opération de concentration notifiée créerait une position dominante collective, ainsi que d'une violation de l'article 253 CE. Le quatrième moyen est tiré d'une violation de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n_ 4064/89 et d'une violation du principe de proportionnalité en ce que la Commission n'a pas accepté les engagements proposés par elle.

Sur le premier moyen, tiré d'une définition erronée du marché de produits en cause et d'une violation de l'article 253 CE

A - Décision

17 S'agissant de la définition du marché de produits en cause dans l'activité d'organisation de vacances à forfait à l'étranger pour les consommateurs britanniques, seule contestée par la requérante, la Décision distingue deux marchés distincts, celui des vacances à forfait vers des destinations lointaines (ci-après les «vacances vers des destinations lointaines») et celui des vacances à forfait vers des destinations proches (ci-après les «vacances vers des destinations proches»). À cet égard, il est précisé dans la Décision que le secteur des voyages considère comme destinations lointaines toutes les destinations impliquant un temps de vol au départ du Royaume-Uni nettement supérieur à trois heures, à l'exclusion des vols vers les îles de la Méditerranée orientale ou vers les îles Canaries, qui peuvent durer jusqu'à quatre heures environ. De ce fait, toutes les destinations de vacances en Europe (sur le continent et dans les îles) et en Afrique du Nord relèveraient de la catégorie «destinations proches», contrairement aux destinations situées, par exemple, dans les Caraïbes, en Amérique ou en Asie du Sud-Est, pour lesquelles les durées de vol sont beaucoup plus longues (deux fois ou plus en général) (considérants 10 à 13 de la Décision).

18 La Décision expose aux considérants 16 à 28 les raisons ayant amené la Commission à considérer que les différences entre les vacances vers des destinations lointaines et celles vers des destinations proches sont plus marquées, sur le plan de la concurrence, que leurs similitudes, de façon à justifier l'existence de marchés distincts aux fins de l'évaluation de la concentration notifiée. Ces raisons seraient les suivantes:

a) d'une part, la substituabilité limitée entre les vols long-courriers et court-courriers pour les compagnies aériennes (et donc pour les voyagistes intégrés verticalement), eu égard à la faible possibilité d'utiliser les mêmes avions pour les destinations proches et pour les destinations lointaines, au coût d'exploitation des avions gros-porteurs par rapport à celui des avions plus petits, et aux difficultés que les compagnies aériennes de charters (y compris celles des parties) doivent surmonter si elles essayent de «réaménager sensiblement [leur] flotte entre capacités long-courrier et capacités court-courrier», à savoir: la nécessité d'investir des capitaux, le besoin de temps pour le faire et la difficulté de louer des avions à court terme dans la mesure où les compagnies de charters (y compris celles des parties) possèdent la plupart de leurs avions ou les louent à relativement long terme (un bail de cinq ans serait la norme) afin de réduire les coûts, de maintenir la qualité et de garantir la continuité de l'offre (considérants 16 à 18 de la Décision);

b) d'autre part, le fait que, aux yeux du consommateur final, une série de différences significatives entre les vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches et celles vers des destinations lointaines existent:

- premièrement, en terme d'image ou d'idée de vacances: les vacances vers des destinations lointaines apparaissent plus exotiques et sont donc appréciées des célibataires et des couples sans enfants; les vacances vers des destinations proches, comme les destinations méditerranéennes, intéressent plutôt les familles (considérant 20 de la Décision);

- deuxièmement, en ce qui concerne le moment de l'année pour partir en vacances: les vacances à destinations lointaines sont moins adaptées aux besoins des consommateurs britanniques voyageant en famille, lesquels prennent la plupart des vacances à forfait à l'étranger au cours de la saison d'été (approximativement de la mi-juillet à la fin d'août), coïncidant avec les vacances scolaires (et, dans certaines régions, avec les dates de fermeture des entreprises) (considérant 20 de la Décision);

- troisièmement, en ce qui concerne la durée du transfert: des temps de vol beaucoup plus longs peuvent aussi dissuader certains consommateurs d'opter pour des vacances vers une destination lointaine, même si elles sont comparables, à d'autres égards, à des vacances vers une destination proche, par exemple du point de vue du temps, de la situation, du prix, des visas, des exigences médicales, etc. (considérant 21 de la Décision);

- quatrièmement, en ce qui concerne l'absence de substituabilité sur le plan des prix entre destinations proches et destinations lointaines: les prix sont sensiblement plus élevés pour les vacances vers des destinations lointaines et il n'y a qu'une convergence limitée entre les prix de ces vacances et ceux des vacances vers des destinations proches d'un type comparable. Si les prix des deux types de vacances, notamment à certains moments de l'année (par exemple, lorsque le temps est mauvais), peuvent parfois être identiques ou voisins, ce chevauchement très limité ne suffit pas pour peser sur les prix de l'ensemble du marché des destinations proches, dans la mesure où les vacances vers les destinations lointaines concernées ne sont considérées comme des substituts effectifs que par une très petite partie des clients (considérants 22 à 26 de la Décision).

B - Sur la définition du marché de produits en cause

19 À titre liminaire, il convient de relever que, s'agissant de l'application du règlement n_ 4064/89, envisagée dans le cas d'espèce, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable à l'appréciation des effets sur la concurrence de la concentration d'entreprises notifiée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, dit «Kali & Salz», C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375, point 143).

20 Le marché des produits concernés par l'opération doit être défini en tenant compte de l'ensemble du contexte économique, de manière à pouvoir apprécier la puissance économique effective de la ou des entreprises en cause, et il importe, à cet effet, de définir au préalable les produits qui, sans être substituables à d'autres produits, sont suffisamment interchangeables avec les produits qu'elles proposent, en fonction non seulement de leurs caractéristiques propres, mais également des conditions de concurrence et de la structure de la demande et de l'offre sur le marché (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333/94 P, Rec. p. I-5951, points 10 et 13, et arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 63).

21 La requérante conteste la définition du marché de produits en cause retenue dans la Décision. Au lieu de limiter le marché pertinent à celui des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches, la Commission aurait dû le définir comme celui formé par toutes les vacances à forfait à l'étranger, y compris les vacances à forfait vers des destinations lointaines. La requérante reproche à la Commission de s'être écartée de la pratique antérieure concernant la définition du marché des vacances à forfait à l'étranger et soutient qu'elle n'a pas correctement apprécié la substituabilité de la demande et la substituabilité de l'offre. Ce vice du raisonnement aurait pour conséquence que la Décision serait viciée par des erreurs manifestes d'appréciation dont il résulterait une erreur de droit.

22 S'agissant de la thèse de la Commission selon laquelle il n'y a pas de substituabilité de la demande entre les vacances vers des destinations lointaines et celles vers des destinations proches, la requérante soutient que les arguments de la Commission concernant, d'une part, les différentes caractéristiques du produit et, d'autre part, les différences des prix moyens des vacances vers des destinations lointaines et vers des destinations proches sont erronés.

23 Elle se réfère, en premier lieu, aux caractéristiques du produit et conteste les affirmations de la Commission selon lesquelles les vacances vers des destinations lointaines sont plus exotiques, conviennent moins à des familles et impliquent des vols de plus longue durée. Ainsi, des destinations proches telles que la Turquie ou l'Afrique du Nord seraient plus «exotiques» que des destinations lointaines, telles la Floride et la République dominicaine, qui seraient plutôt «familiales». Quant à la durée du voyage jusqu'au lieu d'hébergement, elle pourrait être aussi longue pour les vacances vers des destinations proches que pour celles vers des destinations lointaines, dans la mesure où ce qui importe est le temps de voyage total, qui comprend l'enregistrement et les transferts, et non le temps de vol stricto sensu. Enfin, la requérante soutient que la variété de types de séjours proposés par les voyagistes pour prendre en considération les différents styles de vie (par exemple, familial ou non) et la diversité des préférences (notamment en ce qui concerne le type de logement, de nourriture, d'activités et d'intérêts, etc.) existe tant au sein du segment des vacances vers des destination lointaines que dans celui des vacances vers des destinations proches.

24 En second lieu, s'agissant des différences dans les prix des vacances , la requérante fait valoir qu'il n'est pas pertinent de relever que les prix moyens des vacances vers des destinations lointaines dépassent ceux des vacances vers des destinations proches quand, comme en l'espèce, les produits sont très différenciés. La requérante invoque également l'existence d'une convergence des prix entre les deux types de vacances, car certains vols vers des destinations proches se placent dans la même fourchette de prix que certains vols vers des destinations lointaines.

25 Le Tribunal constate qu'il ressort du dossier que c'est compte tenu des préférences des consommateurs, de la durée moyenne des vols, des niveaux de prix moyens et de l'interchangeabilité limitée des flottes aériennes utilisées pour chaque type de destination que la Commission a conclu que les vacances vers des destinations proches appartiennent à un marché distinct de celui auquel appartiennent les vacances vers des destinations lointaines. La Commission a conclu ainsi, sans pour autant contester que les vacances à forfait à l'étranger vers des destinations lointaines sont de plus en plus appréciées par les consommateurs, et sans contester non plus que les études de marché invoquées par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs (voir British National Travel Survey, 1998, volume 4, et The 1998 Holiday Market, et Mintel, «Holidays: The booking procedure, 1997») mettent en évidence une tendance des Britanniques à élargir l'horizon géographique de leurs vacances, notamment vers l'autre façade atlantique. Elle n'a pas non plus contesté le fait, d'une part, qu'une partie substantielle (36 %) de vacanciers qui ont pris des vacances vers des destinations proches lors des cinq dernières années ont également pris des vacances vers des destinations lointaines au cours de cette période et, d'autre part, qu'un nombre bien plus important de vacanciers (62 %) sont «très» ou «assez» susceptibles de le faire au cours des cinq prochaines années, ainsi que la requérante l'a mentionné au tableau 2.4 de sa réponse à la communication des griefs.

26 Il y a donc lieu d'examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que lesdits éléments justifiaient une définition étroite du marché du produit en cause, excluant les vacances vers des destinations lointaines, dont elle a estimé qu'elles n'étaient pas suffisamment interchangeables avec les vacances vers des destinations proches.

27 S'agissant, premièrement, de la durée moyenne des vols, la Commission a souligné, sans être contestée sur ce point par la requérante, l'écart substantiel existant entre la durée moyenne des vols vers les destinations lointaines, qui est de plus de huit heures, et celle des vols vers les destinations proches, qui est, le plus souvent, inférieure à trois heures (du Royaume-Uni, les vols vers les îles de la Méditerranée orientale ou vers les îles Canaries peuvent durer jusqu'à quatre heures environ). La requérante fait valoir que ce qui importe en pratique, aux yeux des consommateurs, ce n'est pas la durée du vol, mais la durée totale du transfert de la ville d'origine jusqu'à l'hôtel de destination. Cependant, elle ne saurait se prévaloir de cet argument pour relativiser l'écart incontestable existant entre la durée moyenne des vols, trois heures en moyenne pour les vols vers des destinations proches et huit heures en moyenne pour les vols vers des destinations lointaines, car la durée du transfert de l'aéroport à l'hôtel peut varier également en réalité, quelle que soit la destination.

28 Deuxièmement, en ce qui concerne l'importance à accorder aux prix auxquels sont vendus les deux types de vacances et leur impact sur les consommateurs, la Commission a estimé que les différences entre le prix moyen des vacances vers des destinations lointaines et celui des vacances vers des destinations proches sont telles qu'elles justifient la définition de marchés distincts. Il convient de relever, à cet égard, que la Commission admet qu'il y a un certain degré de convergence entre les prix des deux types de vacances. Toutefois, elle soutient que cette convergence est insuffisante pour que les deux produits puissent être considérés comme substituables ou pour que les prix des uns puissent avoir une incidence sur les prix des autres.

29 La Commission expose au considérant 23 de la Décision les raisons pour lesquelles elle a estimé qu'il n'existe pas de substituabilité sur le plan des prix entre les deux types de vacances. Elle considère que les prix proposés au consommateur sont sensiblement plus élevés pour les vacances vers des destinations lointaines selon les informations fournies par la requérante à l'annexe 1 a) de la réponse du 29 juin 1999 à la demande d'informations de la Commission.

30 Ainsi, en premier lieu, la Commission a constaté qu'il y avait entre le «prix catalogue» moyen des vacances vers des destinations lointaines pour l'été 1998 et celui des vacances vers des destinations proches une différence de plus de 100 %. Elle a également considéré la question en comparant des vacances à forfait similaires (quatorze nuits, trois étoiles, repas non compris) en Floride et en Espagne, pour constater que les secondes coûtaient en moyenne à peu près moitié moins cher que les premières. Une comparaison analogue entre la Floride et la Grèce ou les Canaries aurait donné des résultats à peu près similaires (soit une différence d'environ 30 à 40 % pour un hébergement avec repas). La Décision donne en détail des exemples de comparaisons de prix relatifs à certaines destinations touristiques proches et lointaines proposés dans les brochures d'Airtours, qui révèlent des écarts de prix importants entre les deux types de destinations.

31 La requérante conteste la pertinence des prix moyens comme éléments de comparaison des incidences du prix sur les décisions des consommateurs concernant des produits clairement différenciés. Elle soutient que ce qui est significatif pour déterminer le marché du produit en cause est le comportement des «clients à la marge» et le fait de savoir si ceux-ci seraient disposés à substituer des vacances vers des destinations lointaines à des vacances vers des destinations proches si le prix de ces dernières devait augmenter. La Commission admet que les prix moyens ne reflètent pas nécessairement les prix se trouvant à la marge, mais elle estime que, lorsque les différences sont, comme en l'espèce, à ce point importantes, il est peu probable qu'il existe une gamme suffisante de vacances vers des destinations lointaines réellement comparables, à des prix suffisamment proches, pour que leurs prix puissent peser sur ceux des vacances vers des destinations proches, dans la mesure où les vacances vers les destinations lointaines concernées ne seraient considérées comme des substituts effectifs que par une très petite partie des clients.

32 Il convient donc d'examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation sur l'importance de la marge, c'est-à-dire sur le nombre de clients prêts à réagir en cas d'augmentation des prix des vacances vers des destinations proches en achetant des vacances vers des destinations lointaines, par rapport à la totalité des clients des voyagistes achetant habituellement des vacances vers des destinations proches.

33 À cet égard, il convient, à titre liminaire, de relever qu'il est constant entre les parties que les consommateurs britanniques de vacances à forfait à l'étranger sont généralement très sensibles aux prix de ces produits.

34 La thèse de la Commission est exposée au considérant 24 de la Décision, où elle a admis que «les prix de vacances vers certaines destinations lointaines, notamment à certains moments de l'année (par exemple, lorsque le temps est généralement mauvais), peuvent parfois être identiques ou voisins de ceux de vacances haut de gamme vers des destinations proches (pleine saison d'été, hébergement de meilleure qualité)». Ensuite, elle a toutefois estimé qu'«il ne faut pas s'attendre à ce que ce chevauchement très limité suffise pour peser sur les prix de l'ensemble du marché des destinations proches, dans la mesure où les vacances vers les destinations lointaines concernées ne seraient considérées comme des substituts effectifs - que ce soit du point de vue du prix ou pour d'autres raisons - que par une très petite partie des clients».

35 À l'appui de cette appréciation, la Commission a souligné au considérant 25 de la Décision qu'aucune des destinations lointaines citées par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs (tableau 2.6) pour corroborer son opinion sur la convergence des prix ne se situait dans la même gamme de prix que celle qu'elle avait fournie auparavant.

36 Il ressort en effet de l'examen des annexes 1 a) et 2 de la lettre de la requérante du 29 juin 1999 répondant aux demandes de renseignements de la Commission des 15 et 21 juin 1999 (documents produits par la Commission dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, voir annexe 6 b/7 b à la première production de documents de la Commission), que c'est à juste titre que la Commission a affirmé que les différences entre les prix moyens sont significatives, surtout s'ils sont comparés à l'intérieur d'une même saison (été ou hiver). L'annexe 1 a) montre effectivement que pour les saisons d'été 1996, 1997 et 1998, les prix moyens en livres sterling (GBP) par semaine pour les vacances vers des destinations proches étaient, respectivement, de 354, de 378 et de 369 GBP, alors que les chiffres correspondant aux prix des vacances vers des destinations lointaines étaient, respectivement, de 676, de 757 et de 781 GBP.

37 En outre, l'examen de ces documents confirme le bien-fondé de l'appréciation de la Commission contenue au considérant 25 de la Décision. En effet, il ressort de l'annexe 2 de la lettre de la requérante du 29 juin 1999 que, pour les destinations proches, la requérante avait signalé que des vacances typiques, par exemple, une semaine dans un hôtel trois étoiles, en demi-pension, à Majorque, en juillet ou en août 2000, coûtaient 485 GBP. Or, ces chiffres sont sensiblement inférieurs aux chiffres figurant au tableau 2.6, de la page 21 de la réponse à la communication des griefs dont il est fait mention dans la Décision au considérant 25. Seuls les prix des vacances proposées pour le mois de décembre 1999 à destination de la Jamaïque (699 GBP), du Mexique (649 GBP) et du Sri Lanka (699 GBP) se rapprochent des chiffres moyens des destinations proches valables pour la période d'été 2000.

38 De même, les documents produits par la requérante vont dans le sens de la thèse de la Commission. En effet, ainsi qu'il est écrit au considérant 26 de la Décision, il s'avère que, dans l'annonce publicitaire des vacances à forfait vers des destinations lointaines offertes par BA Holidays, qui a été présentée par la requérante lors de l'audition (voir considérant 26 de la Décision, note de bas de page n_ 23), quatre destinations sont proposées à des prix très concurrentiels: les Barbades (399 GBP), Tobago (499 GBP), Grenade (529 GBP) et Sainte-Lucie (799 GBP). Toutefois, comme le souligne la Commission, seul le forfait à destination de Sainte-Lucie inclut les repas, les autres forfaits incluant seulement le logement et le vol. En outre, il s'agit de prix en basse saison, valables pour les mois de septembre et d'octobre 1999.

39 Il convient d'ajouter que, dans sa réponse du 29 juin 1999 aux demandes de la Commission des 15 et 21 juin 1999, la requérante a donné comme exemple de produit typique qu'elle propose des vacances en été, à Majorque, dans un hôtel trois étoiles, dont le coût approximatif est de 485 GBP, outre le supplément de vol.

40 De surcroît, la requérante a admis lors de l'audience qu'elle publie un catalogue pour les vacances vers des destinations proches distinct de celui qu'elle publie pour les vacances vers des destinations lointaines.

41 Dans ces circonstances, la thèse de la Commission selon laquelle seule une petite partie des clients des principaux voyagistes britanniques considère que les vacances vers des destinations lointaines sont substituables en termes de qualité-prix («value for money») aux vacances vers des destinations proches ne saurait être considérée comme manifestement erronée.

42 Cette conclusion ne saurait être infirmée par les autres arguments invoqués par la requérante.

43 Celle-ci fait valoir que des études effectuées au sein du secteur concerné considèrent les vacances vers des destinations lointaines comme étant une partie du courant majoritaire. Elle cite, en particulier, la publication Holidays : The Booking procedure de Mintel, dans laquelle il est exposé ce qui suit: «Les vacances long-courrier sont entrées dans le marché des vacances principales. Dans la mesure où il est basé sur un désir de voyager plus loin et de voir le monde en dehors de l'Europe, le facteur prix serait forcément devenu un élément clé dans le choix du consommateur.» En outre, la Commission aurait dû prendre en considération les témoignages de voyagistes tiers obtenus au cours de son enquête, qui soulignent également l'importance croissante de la substitution des vacances vers des destinations lointaines à celles vers des destinations proches.

44 Cependant, dans les circonstances de l'espèce, s'agissant de la définition du marché, le fait que la Commission n'ait pas accordé une importance décisive ni à l'évolution des goûts des consommateurs ni à l'importance croissante de la substitution des vacances vers des destinations lointaines, telles que la Floride et la République dominicaine, aux vacances vers des destinations proches, ni, enfin, à la croissance du marché des vacances vers des destinations lointaines au cours des dernières années ne suffit pas pour conclure que la Commission a outrepassé les limites de son pouvoir d'appréciation en estimant que les vacances à forfait vers des destinations proches ne relèvent pas du même marché du produit que les vacances à forfait vers des destinations lointaines.

45 Troisièmement, concernant l'argumentation de la requérante relative à la substituabilité du côté de l'offre et à l'interchangeabilité des avions utilisés sur les vols court- et long-courriers, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir estimé que la constatation selon laquelle certains avions polyvalents, tel le Boeing 757, peuvent être utilisés dans une certaine mesure à la fois pour des destinations lointaines et pour des destinations proches n'est pas suffisamment déterminante, eu égard aux autres éléments constatés relatifs à la substituabilité du produit du point de vue de la demande, pour l'amener à retenir une définition plus large du marché. À cet égard, il y a lieu de se référer, ainsi que la requérante l'a fait elle-même, au point 13 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5), aux termes duquel:

«D'un point de vue économique, pour une définition du marché en cause la substitution du côté de la demande est le facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d'un produit donné, en particulier en ce qui concerne leurs décisions en matière de fixation des prix.»

46 Enfin, la requérante ne saurait invoquer un défaut de motivation en ce qui concerne la définition du marché en cause.

47 La Commission a consacré une partie importante de la Décision (considérants 5 à 28) à expliquer les raisons pour lesquelles elle a considéré que le marché en cause est limité à celui des vacances vers des destinations proches. La Décision fait ainsi apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission quant à la définition du marché en cause, de façon à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits (arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 15).

48 Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de l'article 2 du règlement n_ 4064/89, d'une violation du principe de sécurité juridique et d'une violation de l'article 253 CE en ce que la Commission aurait examiné le cas d'espèce en se référant à une notion de position dominante collective erronée

49 La requérante reproche à la Commission d'avoir appliqué, aux fins de la Décision, une notion de «position dominante collective» nouvelle et erronée, exposée globalement aux considérants 51 à 56 de la Décision, en s'écartant de sa pratique décisionnelle précédente, de la jurisprudence communautaire et des principes économiques de bon sens, tout en violant l'article 2 du règlement n_ 4064/89. En agissant ainsi, la Commission aurait en outre violé le principe de sécurité juridique et l'article 253 CE en ce que la Décision serait entachée d'un défaut de motivation.

50 La Commission nie avoir eu une nouvelle approche et soutient qu'elle a appliqué le critère de la position dominante collective qu'elle a déjà utilisé dans des affaires précédentes et qui a été approuvé par le Tribunal dans son arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T-102/96, Rec. p. II-753).

51 Il convient de souligner que les considérants susvisés de la Décision (51 à 56) relèvent de la partie VA de la Décision, dans laquelle la Commission expose, uniquement à titre introductif et de manière synthétique, les raisons pour lesquelles elle a conclu que l'opération de concentration notifiée allait entraîner la création d'une position dominante et dans laquelle elle donne une réponse générale à des observations soulevées par la requérante lors de la procédure administrative sur certains des éléments caractéristiques d'une situation de position dominante collective.

52 Dans ce chapitre introductif de l'analyse juridique de la concentration notifiée, la Commission ne fait que dessiner les grands traits de ses appréciations sur les effets de l'opération, lesquelles sont exposées et développées en détail par la suite aux considérants 57 à 180 de la Décision.

53 La Décision constituant un acte d'application de l'article 2 du règlement n_ 4064/89 à une opération de concentration déterminée, le Tribunal, dans le contrôle de la légalité d'une telle Décision, doit s'en tenir à la prise de position de la Commission par rapport à l'opération notifiée, c'est-à-dire qu'il doit examiner la manière dont le droit a été appliqué aux faits et se prononcer sur le bien-fondé des appréciations de la Commission concernant les effets de la concentration notifiée sur la concurrence. En l'espèce, les appréciations particulières relatives à l'impact de l'opération sur la concurrence ayant amené la Commission à estimer que la concentration devait être interdite sont exposées et développées aux considérants 57 à 180 de la Décision et sont contestées par la requérante dans le cadre de son troisième moyen.

54 Il y a donc lieu d'examiner d'abord le bien-fondé des arguments soulevés par la requérante dans le cadre du troisième moyen et, ce faisant, de tenir compte de ses arguments concernant les appréciations générales de la Commission contenues aux considérants 51 à 56 de la Décision.

Sur le troisième moyen, tiré, d'une part, d'une violation de l'article 2 du règlement n_ 4064/89 en ce que la Commission a constaté que l'opération de concentration notifiée créerait une position dominante collective et, d'autre part, d'une violation de l'article 253 CE

55 Par ce moyen, la requérante entend démontrer que la Commission a commis une erreur d'appréciation en décidant que l'opération envisagée devait être interdite. Elle soutient que la Décision ne démontre pas à suffisance de droit que le résultat de l'opération serait la création d'une position dominante collective susceptible d'entraver la concurrence de manière significative dans le marché en cause. En interdisant l'opération, la Commission aurait ainsi violé l'article 2 du règlement n_ 4064/89.

A - Considérations générales

56 Aux termes de l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 4064/89, les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun.

57 Selon l'article 2, paragraphe 3, du règlement, doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

58 Lorsque, dans le cadre de l'application du règlement n_ 4064/89, la Commission examine une éventuelle position dominante collective, elle doit déterminer si la création ou le renforcement d'une telle position, de nature à entraver de manière significative et durable la concurrence effective existant dans le marché, serait la conséquence directe et immédiate de la concentration (voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 94). En l'absence d'une modification substantielle de la concurrence actuelle, l'opération devrait être autorisée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission, T-2/93, Rec. p. II-323, points 78 et 79, et Gencor/Commission, précité, points 170, 180 et 193).

59 Il ressort de la jurisprudence que, «[s]'agissant d'une prétendue position dominante collective, la Commission est [...] tenue d'apprécier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l'opération de concentration dont elle est saisie aboutit à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs» (arrêts Kali & Salz, précité, point 221, et Gencor/Commission, précité, point 163).

60 Le Tribunal a jugé que «sur le plan juridique ou économique, il n'existe aucune raison d'exclure de la notion de lien économique la relation d'interdépendance existant entre les membres d'un oligopole restreint à l'intérieur duquel, sur un marché ayant les caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration du marché, de transparence et d'homogénéité du produit, ils sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché, de façon notamment à maximiser leur profit commun en restreignant la production en vue d'augmenter les prix. En effet, dans un tel contexte, chaque opérateur sait qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché (par exemple, une réduction de prix) provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative. Tous les opérateurs auraient donc à subir la baisse du niveau des prix.» (Arrêt Gencor/Commission, précité, point 276.)

61 Une situation de position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci peut donc intervenir à la suite d'une concentration lorsque, compte tenu des caractéristiques mêmes du marché en cause et de la modification qu'apporterait à sa structure la réalisation de l'opération, celle-ci aurait comme résultat que, prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l'oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée au sens de l'article 81 CE (voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 277), et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective.

62 Comme la requérante l'a fait valoir et comme la Commission l'a admis dans ses mémoires, trois conditions sont nécessaires pour qu'une situation de position dominante collective ainsi définie puisse être créée:

- en premier lieu, chaque membre de l'oligopole dominant doit pouvoir connaître le comportement des autres membres, afin de vérifier s'ils adoptent ou non la même ligne d'action. Comme la Commission l'admet expressément, il ne suffit pas que chaque membre de l'oligopole dominant soit conscient que tous peuvent tirer profit d'un comportement interdépendant sur le marché, mais il doit aussi disposer d'un moyen de savoir si les autres opérateurs adoptent la même stratégie et s'ils la maintiennent. La transparence sur le marché devrait, dès lors, être suffisante pour permettre à chaque membre de l'oligopole dominant de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement sur le marché de chacun des autres membres;

- en deuxième lieu, il est nécessaire que la situation de coordination tacite puisse se maintenir dans la durée, c'est-à-dire qu'il doit exister une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché. Comme le fait observer la Commission, ce n'est que si tous les membres de l'oligopole dominant maintiennent un comportement parallèle qu'ils peuvent en profiter. Cette condition intègre donc la notion de représailles en cas de comportement déviant de la ligne d'action commune. Les parties partagent ici l'idée que pour qu'une situation de position dominante collective soit viable, il faut qu'il y ait suffisamment de facteurs de dissuasion pour assurer durablement une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune, ce qui revient à dire qu'il faut que chaque membre de l'oligopole dominant sache qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative (voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 276).

- en troisième lieu, pour démontrer à suffisance de droit l'existence d'une position dominante collective, la Commission doit également établir que la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune.

63 L'analyse prospective que la Commission est appelée à réaliser dans le cadre du contrôle des concentrations, s'agissant d'une position dominante collective, nécessite un examen attentif notamment des circonstances qui, selon chaque cas d'espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l'appréciation des effets de l'opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence (arrêt Kali & Salz, précité, point 222). En effet, comme la Commission elle-même l'a souligné au point 104 de sa décision du 20 mai 1998, Price Waterhouse/Coopers & Lybrand (affaire IV/M.1016) (JO 1999, L 50, p. 27), il ressort également de l'arrêt Kali & Salz que, lorsque la Commission estime qu'une opération doit être interdite parce qu'elle va créer une situation de position dominante collective, il lui incombe de fournir des preuves solides. Ces preuves doivent concerner, notamment, les éléments appelés à jouer un rôle important dans l'évaluation de l'éventuelle création d'une position dominante collective, comme l'absence d'une concurrence effective entre les opérateurs prétendument membres de l'oligopole dominant et la faiblesse de la pression concurrentielle pouvant éventuellement être exercée par les autres opérateurs.

64 En outre, il convient de relever que les règles de fond du règlement n_ 4064/89, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique, et que, en conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (arrêts Kali & Salz, précité, points 223 et 224, et Gencor/Commission, précité, points 164 et 165).

65 C'est donc à la lumière de ce qui précède qu'il y a lieu d'examiner le bien-fondé des griefs invoqués par la requérante visant à démontrer que la Commission a commis une erreur d'appréciation en estimant que les conditions ou les éléments caractéristiques d'une position dominante collective seraient réunis si l'opération notifiée était autorisée.

B - Décision

66 La Décision distingue (voir considérants 72 et 75) deux types d'acteurs sur le marché en cause, les grands voyagistes, d'une part, et les opérateurs secondaires ou petits voyagistes, d'autre part:

- les grands voyagistes se caractérisent par leur taille relativement importante, leur part de marché étant supérieure à 10 % (selon les données de la Commission, Thomson réalise 27 % des ventes, Airtours 21 %, Thomas Cook 20 % et First Choice 11 %, soit ensemble 79 %; selon les données d'Airtours, Thomson réalise 30,7 % des ventes, Thomas Cook 20,4 %, Airtours 19,4 % et First Choice 15 %, soit ensemble 85,5 %), et par le fait qu'ils sont tous intégrés en amont (exploitation de compagnies de charters) et en aval (agences de voyages);

- les opérateurs secondaires sont de plus petite taille, aucun ne détient une part de marché supérieure à 5 %, et ils ne disposent généralement pas de leurs propres compagnies de charters ni de leurs propres agences de voyages. En dehors de Cosmos (qui fait exception à l'absence d'intégration verticale des opérateurs secondaires, dans la mesure où il est lié à Monarch, l'une des principales compagnies de vols charters du Royaume-Uni), Manos et Kosmar, qui sont les cinquième, sixième et septième voyagistes et réalisent respectivement 2,9 %, 1,7 % et 1,7 % des ventes, il existe plusieurs centaines de petits voyagistes concurrents, aucun d'entre eux ne réalisant plus de 1 % des ventes.

67 Il ressort de la Décision (voir résumé de l'appréciation de la Commission aux considérants 168 à 172 de la Décision) que la Commission a considéré que la réalisation de l'opération envisagée créerait une position dominante sur le marché britannique des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches, qui aurait pour effet d'entraver la concurrence de manière significative dans le marché commun, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n_ 4064/89 pour les raisons suivantes:

- la réalisation de l'opération envisagée éliminerait la concurrence entre les trois grands voyagistes restants à la suite de la concentration (l'ensemble Airtours/First Choice, Thomson et Thomas Cook); ils ne seraient plus incités à se concurrencer du fait des caractéristiques structurelles et du mode de fonctionnement du marché, qui dépendrait des décisions prises en matière de capacité, et du fait de son fort degré de concentration (80 % pour les trois derniers grands voyagistes si l'opération avait lieu) (Décision, considérant 169);

- l'opération renforcerait le degré de transparence et d'interdépendance déjà existant, de sorte que les trois derniers grands voyagistes auraient tout intérêt à adopter des comportements parallèles en ce qui concerne la détermination du nombre de vacances à forfait mises sur le marché, en réduisant la capacité au-delà de ce que requiert l'évolution du marché (Décision, considérant 170);

- l'examen de la concurrence passée renforcerait cette conclusion, dans la mesure où il démontrerait que le marché en cause présentait déjà une certaine tendance à la domination collective (Décision, considérants 128 à 138);

- il existerait des facteurs de dissuasion ou des possibilités de représailles liés au fait que si l'un des trois grands voyagistes restants décidait de ne pas restreindre sa capacité, les deux autres risqueraient de faire de même, ce qui occasionnerait une «situation d'offre excédentaire» et de graves conséquences financières pour chacun de ces opérateurs (Décision, considérant 170);

- les petits voyagistes ou les nouveaux entrants, c'est-à-dire les concurrents actuels et potentiels, seraient encore plus marginalisés par la réalisation de l'opération, puisqu'ils perdraient First Choice en tant que fournisseur de places d'avion et en tant que canal de distribution potentiel; en tout état de cause, ces opérateurs ne disposeraient pas de la possibilité de compenser d'éventuelles restrictions de la capacité mises en oeuvre par les trois derniers grands voyagistes (Décision, considérant 171).

68 En ce qui concerne les effets de l'opération sur la concurrence effective, la Commission a estimé que le fait de limiter la capacité globale mise sur le marché aurait pour effet de fermer celui-ci et d'entraîner une hausse des prix et des profits des membres de l'oligopole dominant (voir, notamment, considérants 56 et 168 in fine de la Décision).

C - Sur les prétendues erreurs d'appréciation commises par la Commission

69 La requérante fait valoir que, contrairement à ce que prétend la Commission, les éléments retenus dans la Décision par celle-ci pour caractériser la situation de position dominante collective n'existaient pas au moment de la notification et n'interviendraient pas en cas de réalisation de l'opération.

70 Plus précisément, la requérante soutient, en premier lieu, que la Commission n'a pas démontré à suffisance de droit que, eu égard aux caractéristiques du marché en cause, la réalisation de l'opération inciterait les trois derniers grands voyagistes à ne plus se concurrencer.

71 En deuxième lieu, elle fait valoir qu'à supposer même qu'une telle incitation puisse exister l'absence de facteurs de dissuasion ou de possibilités de représailles adéquates empêcherait la création du prétendu oligopole dominant.

72 En troisième lieu, et en tout état de cause, les petits voyagistes et les nouveaux entrants, c'est-à-dire les concurrents actuels et potentiels, contesteraient les éventuelles restrictions de capacité mises en oeuvre et les consommateurs réagiraient en conséquence, de sorte que les trois derniers grands voyagistes n'auraient pas, par l'effet de la concentration, le pouvoir d'agir ensemble dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents et des consommateurs.

73 Enfin, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur d'appréciation dans la manière d'apprécier l'impact de l'opération sur la concurrence au sein du marché en cause.

1. Observations liminaires

74 La requérante fait valoir, à titre préliminaire, que la tendance naturelle des opérateurs du marché en cause à déterminer prudemment leur capacité ne les a nullement empêchés de se concurrencer par le passé et qu'il n'y a pas de raisons d'estimer que la réalisation de l'opération envisagée entraînerait la disparition de cette concurrence du fait de la création d'une position dominante collective des trois derniers grands voyagistes.

75 La Décision est particulièrement elliptique en ce qui concerne la qualification de la situation de concurrence existant au moment de la notification. Il est néanmoins constant que la Commission a conclu que la réalisation de l'opération envisagée créerait, et non qu'elle renforcerait, une position dominante sur le marché (Décision, considérant 194). La Commission a confirmé dans ses mémoires qu'elle ne prétend pas qu'il existait au moment de la notification une situation d'oligopole dominant et qu'il s'agit bien d'une création, et non d'un renforcement, d'une position dominante collective. Elle ne conteste donc pas que les principaux voyagistes n'ont pas jugé possible et n'ont pas estimé rentable, avant la réalisation de l'opération envisagée, de limiter leur capacité en vue d'augmenter leurs prix et revenus.

76 Il en découle que l'examen du Tribunal doit, en l'espèce, prendre comme point de départ une situation où, selon la Commission elle-même, les quatre grands voyagistes n'ont pas le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et ne s'y présentent donc pas comme une entité unique à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs, et où ils ne jouissent donc pas des pouvoirs propres à une position dominante collective.

77 Dans ces circonstances, il incombait à la Commission de prouver que, eu égard aux caractéristiques du marché de l'organisation de vacances à forfait vers des destinations proches pour les Britanniques et compte tenu de l'opération notifiée, son autorisation aurait entraîné la création d'une position dominante collective restrictive de concurrence, dès lors qu'Airtours/First Choice, Thomson et Thomas Cook auraient le pouvoir, qu'ils n'avaient pas auparavant, d'adopter une même ligne d'action sur le marché en fixant leur capacité en deçà de ce qui serait normalement le cas dans un marché concurrentiel, caractérisé, déjà, par une certaine prudence en matière de capacité.

78 C'est donc à la lumière des considérations qui précèdent qu'il y a lieu d'examiner les griefs et arguments soulevés par la requérante en l'espèce.

2. Sur la conclusion selon laquelle la réalisation de l'opération de concentration inciterait les trois derniers grands voyagistes à ne plus se concurrencer

79 La requérante fait valoir que la conclusion selon laquelle la réalisation de l'opération de concentration inciterait les trois derniers grands voyagistes à ne plus se concurrencer est erronée, parce que la Commission, d'une part, n'a pas tenu compte, comme elle le devait, de la concurrence existant entre les principaux voyagistes au moment de la notification et, d'autre part, a commis des erreurs dans son appréciation des caractéristiques du marché retenues comme indices pour établir qu'une position dominante collective y serait créée, à savoir, notamment, l'évolution passée et prévisible de la demande, sa volatilité et le degré de transparence existant dans le marché.

a) Sur l'appréciation de la concurrence existant entre les principaux voyagistes

80 La requérante fait valoir que l'analyse de la concurrence existant avant la notification (dite «concurrence passée») joue un rôle fondamental en l'espèce, dans la mesure où les principales incitations invoquées par la Commission, à savoir l'existence de prétendues rigidités en matière de capacité, sont propres au fonctionnement normal du marché, concernent l'ensemble de la profession et ne sont pas influencées par la réalisation de l'opération envisagée. Elle soutient que le marché en cause a fonctionné, au cours des dernières années, de manière concurrentielle et conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle il présenterait déjà une tendance à la domination collective. En particulier, elle critique la manière dont la Commission a pris en considération la prétendue existence d'une tendance à la domination collective avant même que ne soient examinées la réalisation de l'opération envisagée et la volatilité des parts de marché historiques.

81 La Commission fait valoir que la manière dont le marché fonctionnait auparavant et l'existence d'une concurrence par le passé ne sont pas des éléments importants, dans la mesure où la Décision se fonde sur la constatation que l'opération envisagée créerait une position dominante collective, c'est-à-dire modifierait les conditions du marché de telle sorte que les incitations et le comportement examinés par le passé ne constitueraient plus des points de repère pertinents pour déterminer la réaction des opérateurs dans la nouvelle situation du marché. Dès lors, elle fait valoir que la question essentielle est de savoir si l'opération envisagée modifierait les conditions actuelles du marché de telle manière que les principaux opérateurs n'agiraient plus comme par le passé. Ainsi, ce ne serait pas parce que le marché était concurrentiel avec quatre grands voyagistes qu'il continuerait de l'être s'ils n'étaient plus que trois. La Commission conteste néanmoins les arguments de la requérante qui visent à démontrer qu'il y a eu et qu'il continue à y avoir une concurrence poussée entre les principaux opérateurs.

82 Le Tribunal relève toutefois que, s'agissant d'une prétendue position dominante collective, l'une des questions que la Commission est tenue d'examiner est celle de savoir si l'opération de concentration dont elle est saisie entraînerait une entrave significative à la concurrence effective dans le marché en cause (arrêts Kali & Salz, précité, point 221, et Gencor/Commission, précité, point 163). En l'absence d'un changement important dans le niveau de concurrence préexistant, l'opération devrait être autorisée, parce qu'elle n'a pas d'effets restrictifs de la concurrence (voir point 58 ci-dessus). Il s'ensuit que le degré de concurrence existant sur le marché en cause au moment de notifier l'opération est une circonstance déterminante pour caractériser la création éventuelle d'une situation de position dominante collective dans le cadre de l'application du règlement n_ 4064/89.

83 Comme la requérante l'a fait valoir, l'analyse, en l'espèce, de la concurrence existant avant la notification est d'autant plus important que l'objet de la coordination tacite qui devrait intervenir à la suite de la concentration, selon la Commission, serait une restriction de la capacité mise sur le marché par les trois voyagistes intégrés restants au-delà de la prudence naturelle dans la planification de leur capacité, qu'elle-même considère comme étant propre au fonctionnement normal du marché.

i) Sur la prétendue existence d'une tendance à la domination collective avant la réalisation de l'opération envisagée

84 Il y a lieu de constater, tout d'abord, que, si la Commission a consacré une partie de la Décision à l'examen de la «[s]tructure de la concurrence dans le passé» (considérants 128 à 138), l'analyse minutieuse des points de cette partie montre que, en réalité, la Commission ne s'y prononce pas sur l'étendue de la concurrence existant dans ce marché. Elle se limite à exposer (considérants 128 à 138) une série de circonstances ou d'éléments intervenus dans ce marché au cours des années précédant la notification pour en conclure (Décision, considérant 138) que «plusieurs éléments indiquent qu'il existe déjà dans ce secteur une tendance à la domination collective, surtout pour ce qui est de la fixation des capacités». Mais aucune mention n'est faite dans ces passages de la Décision d'un éventuel degré de concurrence réduit dans le marché avant la notification.

- Sur le fait que les grands voyagistes adoptent une approche prudente en matière de planification de la capacité et tiennent particulièrement compte des estimations des principaux concurrents

85 Aux considérants 135 et 136 de la Décision, la Commission expose que les grands voyagistes adoptent une approche prudente en matière de planification des capacités et tiennent particulièrement compte des estimations des principaux concurrents (la Décision cite, au considérant 136, certains propos tenus par les dirigeants des grands voyagistes britanniques intégrés qui seraient démonstratifs de cette prudence en matière de planification). Au considérant précédent (135), la Décision relate un épisode, survenu au cours de l'été de 1995, qui, selon la Commission, illustre les conséquences d'une offre excédentaire sur le marché: lors de la période de planification de 1994, les tour-opérateurs ont surestimé la demande pour la saison estivale de 1995 et se sont retrouvés avec des capacités invendues qu'ils ont dû écouler moyennant des remises importantes, ce qui leur a causé des pertes considérables.

86 La requérante soutient que les grands voyagistes ne peuvent se voir reprocher d'adopter une approche prudente du planning de la capacité, en faisant particulièrement attention aux estimations des plans des autres principaux voyagistes, car le juge communautaire a reconnu que la condition d'indépendance ne prive pas les opérateurs économiques du droit de s'adapter intelligemment au comportement existant et prévu de leurs concurrents (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 173 et 174). Elle considère que cette prudence n'est pas incompatible avec une grande agressivité concurrentielle pour maintenir ou augmenter ses parts de marché au détriment de ses principaux concurrents. À cet égard, la requérante cite les déclarations des voyagistes principaux qui décrivent leurs ambitions de croissance.

87 La Commission fait valoir que les intentions attribuées aux principaux voyagistes par la requérante reflètent la situation avant l'opération envisagée et font donc référence à des circonstances différentes. Elle ne prétend pas qu'il existait auparavant une situation d'oligopole dominant. En outre, la «croissance agressive» à laquelle certaines déclarations feraient référence aurait été réalisée, par le passé, et devrait être réalisée à l'avenir, par le biais des acquisitions. Enfin, Thomas Cook aurait indiqué à la Commission que sa préoccupation principale n'était plus la taille, mais la rentabilité (Décision, considérant 131).

88 Il y a lieu de rappeler que la Décision reconnaît à plusieurs reprises que cette tendance naturelle à la prudence dans la planification de la capacité constitue une des particularités du marché en cause dans son état actuel, dans lequel il n'y a pas une position dominante collective restrictive de la concurrence, et qu'elle affecte tous les opérateurs et non seulement les grands voyagistes, même si ces derniers sont plus particulièrement concernés (voir considérants 60 à 66, 97 et 136 de la Décision). Ainsi, au considérant 97 de la Décision, la Commission affirme que «[l]a volatilité de la demande commande notamment de limiter la capacité planifiée et de l'accroître par la suite si la demande se révèle particulièrement forte [et que l]es fournisseurs se protègent ainsi contre les brusques chutes de la demande» et, au considérant 136, que «[l]es grands opérateurs adoptent une approche prudente en matière de planification des capacités et tiennent particulièrement compte des estimations des principaux concurrents».

89 Dans ces circonstances, et comme la Commission n'a pas contesté le caractère concurrentiel du marché en cause avant la notification, notamment lors de la crise de 1995, l'épisode intervenu cette année-là, auquel la Décision accorde une grande importance, ne saurait constituer, en tant que tel, un indice qu'il existait déjà dans ce secteur une tendance à la domination collective. Le fait que, lors de la période de planification de 1994, les opérateurs se soient trompés dans leurs calculs et aient enregistré des pertes importantes après avoir surestimé la demande pour la saison estivale de 1995 ne peut être considéré que comme un exemple des risques propres à ce marché, dont le fonctionnement très particulier est expliqué aux considérants 59 à 66 de la Décision.

90 Si, certes, il ressort des propos cités au considérant 136 de la Décision que les dirigeants des grands voyagistes sont conscients des risques inhérents à l'adoption de stratégies expansionnistes dans le marché en cause, notamment grâce aux leçons tirées de l'épisode de 1995 et du fait que la clé de la rentabilité réside dans l'adaptation de la capacité à la demande (voir considérant 60 de la Décision), ces propos ne contiennent pas le moindre indice d'absence de concurrence entre les principaux voyagistes.

91 Enfin, contrairement à ce que la Commission prétend (voir considérants 137 et 138 de la Décision), le fait que, dans une certaine mesure (30 à 40 % du capital), les mêmes investisseurs institutionnels se retrouvent dans Airtours, First Choice et Thomson ne saurait être considéré comme un élément indiquant qu'il existe déjà dans ce secteur une tendance à la domination collective. Il suffit à cet égard de constater que, comme la Commission elle-même l'a reconnu dans son mémoire en défense (point 73), il n'est pas allégué, dans la Décision, que le groupe d'actionnaires institutionnels représente un ensemble homogène permettant de contrôler ces sociétés cotées en bourse ou fournissant un mécanisme d'échange d'informations entre les trois entreprises. En outre, la Commission ne saurait soutenir que ces actionnaires représentent un élément supplémentaire favorable à une gestion prudente des capacités, sans avoir examiné dans quelle mesure ces actionnaires interviennent dans la gestion des sociétés en question. Enfin, même à supposer établie une capacité d'influence sur la gestion des entreprises, dès lors que les préoccupations des actionnaires institutionnels communs en matière de croissance et, donc, de capacité, ne font que traduire une caractéristique propre au marché en cause, la Commission resterait en défaut d'établir que la présence de tels investisseurs institutionnels dans le capital de trois des quatre principaux voyagistes constitue un élément indiquant qu'il existe déjà une tendance à la domination collective.

92 Il ressort de ce qui précède que, faute d'avoir contesté le caractère concurrentiel de ce marché, la Commission ne pouvait considérer la prudence dans la planification des capacités caractérisant le marché en conditions normales comme un indice du bien-fondé de sa thèse selon laquelle il existait déjà dans ce secteur une tendance à la domination collective.

- Sur l'appréciation des mouvements d'intégration horizontale et verticale qui caractérisent le marché depuis la publication du rapport de la Monopolies and Mergers Commission

93 La requérante fait valoir que la Monopolies and Mergers Commission du Royaume-Uni, une des autorités de la concurrence du Royaume-Uni (ci-après la «MMC»), a examiné la concurrence existant en 1997 dans le marché en cause et a établi un rapport intitulé Foreign package holidays: a report on the supply in the UK of tour operators' services and travel agents' services in relation to foreign package holidays (ci-après le «rapport de la MMC»). Elle fait valoir que la MMC a conclu dans ce rapport que la situation dans ce marché était suffisamment concurrentielle.

94 La Commission soutient que la situation du marché a considérablement changé depuis l'adoption du rapport de la MMC en 1997, non seulement à cause de l'augmentation de l'intégration verticale des principaux voyagistes, comme le prétend la requérante, mais également en raison de l'importante concentration horizontale qui s'est produite.

95 Aux considérants 128 à 134 de la Décision, la Commission retient, comme indice d'une tendance à la domination collective, les mouvements d'intégration horizontale et verticale qui ont caractérisé le secteur britannique des vacances à forfait à l'étranger ces dernières années et qui se sont accélérés depuis la publication du rapport de la MMC en décembre 1997, du fait notamment du nombre d'opérateurs de taille moyenne à avoir été acquis par les quatre grands voyagistes.

96 Le Tribunal relève, cependant, qu'un examen minutieux de ces mouvements montre que les acquisitions de voyagistes, de compagnies aériennes et d'agences de voyages par les voyagistes principaux, évoquées au considérant 134 de la Décision, n'emportent pas de changements majeurs au sein du marché, de nature à invalider, en 1999, les conclusions tirées par la MMC à la fin de 1997 sur la concurrence dans ce marché, et que, dès lors, ces acquisitions ne pouvaient être considérées comme un indice de l'existence d'une tendance à la domination collective.

97 En effet, d'abord, il y a lieu de constater que, comme l'a relevé la requérante, la MMC a estimé dans son rapport publié en 1997 que le secteur des vacances à forfait à l'étranger était un secteur dynamique, où la concurrence était vigoureuse et où les barrières à l'entrée n'étaient pas significatives. Elle est parvenue à cette conclusion après avoir procédé à une étude particulièrement détaillée (plus de 300 pages) de la situation et du fonctionnement du secteur des voyages, réalisée au cours de douze mois d'enquête sur la base d'un grand nombre de données et d'opinions provenant de toutes les parties présentes dans le secteur des vacances à l'étranger vendues au Royaume-Uni. Afin de préparer son rapport, la MMC a sollicité quatre études de marché auprès de consultants externes et le rapport a été établi en novembre 1997, c'est-à-dire seulement une année et demie avant que la Commission n'examine ce marché dans le cadre de l'opération notifiée.

98 Plus précisément, au point 1.6 de son rapport, la MMC s'est prononcée dans les termes suivants:

«Le secteur du voyage a été loin d'être statique au cours des dix dernières années et l'image continue à se modifier, avec une tendance vers davantage d'intégration verticale. De tous les participants principaux décrits dans notre enquête de 1986 sur les vacances à forfait à l'étranger, seul Thomson a gardé une position prééminente. Nous avons recueilli un grand nombre d'éléments de preuve que la concurrence dans le secteur est forte et nous sommes généralement d'accord avec cette thèse. Bien que la concentration ait augmenté au cours des cinq dernières années, elle ne se situe pas à un niveau particulièrement élevé. Les profits considérés sur base annuelle ne sont pas excessifs. Les acteurs vont et viennent. Il n'y a pas de barrières significatives à l'entrée du marché des voyagistes ou du marché des agences de voyage.»

99 La Commission n'a pas mis en cause cette analyse dans la Décision , alors qu'elle cite à plusieurs reprises des appréciations faites par la MMC dans ce rapport à propos d'autres questions (considérants 9, 11, 47, 70, 76, 81, 114, 115, 123, 128, 129, 131, 133 et 134 de la Décision). Il s'ensuit qu'elle ne conteste pas les conclusions de la MMC quant à la caractérisation de ce marché, en 1997, comme un marché fortement concurrentiel.

100 La Commission fait cependant valoir (Décision, considérant 123) que les conditions de la concurrence sur ce marché se sont sensiblement modifiées depuis 1997, du fait, notamment, de la concentration et de l'intégration verticale accrues intervenues sur celui-ci, ainsi qu'il est exposé au considérant 134 de la Décision. À cet égard, la Commission soutient que l'élimination des opérateurs de taille moyenne représente un changement essentiel dans la structure de la concurrence et augmente les possibilités d'un comportement parallèle des principaux voyagistes.

101 Cependant, il y a lieu de constater que les mouvements d'intégration horizontale et verticale qui sont intervenus dans le secteur britannique des vacances à forfait à l'étranger depuis la publication du rapport de la MMC sont moins importants que ne le prétend la Commission.

102 En effet, en ce qui concerne l'intégration horizontale, il ressort du dossier (page 33 bis de la notification de l'opération à la Commission, en annexe 5 à la requête, point 4.18 du rapport de la MMC 1997 et considérant 72 de la Décision) que l'évolution, entre 1996 et 1999, des parts de marché de Thomson, d'Airtours et de First Choice ne permet pas de caractériser un renforcement important de leurs parts sur le marché des distances proches. Selon le graphique décrivant l'évolution des parts de marché des voyagistes, toutes destinations comprises, les ventes de vacances à forfait à l'étranger de Thomson qui représentaient 25 % des ventes de vacances à forfait à l'étranger en 1996 n'en représentaient plus que 22 % en 1998, alors que celles d'Airtours représentaient 16 % en 1996 et en 1998 et que celles de First Choice sont passées de 10 % en 1996 à 9 % en 1998. Les trois premiers voyagistes actifs en 1997 représentaient donc 51 % des ventes de vacances à forfait à l'étranger en 1996 et 47 % en 1998. Cette appréciation est corroborée par l'examen des données relatives aux seules destinations proches. En effet, il ressort du point 4.18 du rapport de la MMC que, en 1997, la MMC avait également examiné les parts de marché des voyagistes intégrés selon la définition étroite du marché du produit retenue dans la Décision, car l'intérêt d'examiner le marché aussi selon une telle définition avait été mis en avant à l'époque par Thomas Cook. Or, il résulte d'un examen comparatif des chiffres des parts de marché en 1996 (figurant au point 4.18 du rapport de la MMC) et en 1998 (figurant au considérant 72 de la Décision) que Thomson est passée de 33 à 30 ou 27 %, selon les sources, qu'Airtours est passée de 20 à 19 ou 21 %, selon les sources, et que First Choice est passée de 12 à 15 ou 11 %, selon les sources. Seul Thomas Cook a connu une augmentation importante des parts de marché, passant de 6 à 20 %.

103 Il en ressort que l'essentiel de la concentration intervenue dans le secteur des vacances à forfait à l'étranger après 1997 est le fait de Thomas Cook, qui est passée en quelques années du statut de petit opérateur à celui de grand voyagiste à la suite de plusieurs opérations de croissance externe (acquisition en juin 1996 de Sunworld, acquisitions en 1998 de Flying Colors, qui représentait 3 % du secteur des vacances à forfait à l'étranger, et de Carlson/Inspirations, qui représentait de 1 à 3 % du secteur) (rapport de la MMC, tableau 4.1, p. 76; Décision, considérants 131 et 134). Grâce à cette croissance, Thomas Cook est apparue, en 1998, comme un quatrième grand voyagiste, intégré verticalement et, donc, mieux placé pour faire concurrence aux autres voyagistes intégrés. Cette circonstance ne saurait être interprétée comme un facteur démonstratif d'une absence de concurrence dans le marché.

104 Exception faite du cas de Thomas Cook, les acquisitions de voyagistes auxquelles la Décision se réfère au considérant 134 concernent essentiellement l'achat d'opérateurs de petite taille qui n'ont pas fait augmenter de manière significative la part de marché des principaux voyagistes dans le secteur des vacances à forfait à l'étranger. Dès lors, l'élimination des opérateurs de taille moyenne, qui, selon la Commission, a représenté un changement essentiel dans la structure de la concurrence augmentant les possibilités d'un comportement parallèle des principaux voyagistes, se résume au fait qu'un nouveau grand voyagiste est apparu, Thomas Cook, dont les parts de marché sont passées de 6 à 20 %.

105 Pour ce qui est du renforcement du degré d'intégration verticale des grands voyagistes, qui serait également intervenu depuis 1997, et qui constituerait également, selon la Commission, un indice de la tendance du secteur à la domination collective (Décision, considérant 138), il convient de constater que la Décision manque de cohérence à cet égard, puisqu'elle repose, en même temps, sur l'idée que la politique d'intégration verticale est nécessaire pour faire concurrence aux grands voyagistes. Ainsi, au considérant 132 de la Décision, la Commission relève que First Choice, en 1998, a adopté une politique d'intégration verticale dans la distribution ayant pour but de se protéger contre les pratiques commerciales des autres grands voyagistes, de ne plus avoir à leur verser de commissions et d'obtenir de meilleures informations sur les tendances du marché. En réalité, ce besoin d'intégration verticale constitue un des éléments clés de la conclusion de la Commission, qui a estimé qu'une position dominante collective interviendrait en l'espèce, notamment, parce que la concentration éliminerait First Choice en tant que concurrent aux trois niveaux composant la chaîne de distribution (considérant 168 de la Décision).

106 Il s'ensuit que la Commission admet elle-même dans la Décision que le renforcement du degré d'intégration verticale constitue un élément proconcurrentiel, dans la mesure où il augmente l'efficacité respective et limite l'interdépendance des grands voyagistes, qui privilégient leurs propres moyens de distribution sur ceux des autres principaux opérateurs. La constatation de ce phénomène d'intégration verticale après la publication du rapport de la MMC en 1997 ne saurait donc constituer en même temps un indice de la tendance à la domination collective. En outre, il y a lieu de relever que la MMC a également analysé dans son rapport la tendance croissante à l'intégration verticale et a estimé qu'elle constitue un phénomène ayant autant de chances de stimuler la concurrence que de la freiner (voir point 2.193 du rapport de la MMC). En particulier, la MMC a conclu que les effets anticoncurrentiels de l'intégration verticale étaient faibles, en 1997, compte tenu du niveau de concentration du secteur.

107 Il en découle que la Commission a estimé à tort que les mouvements d'intégration horizontale et verticale intervenus après la publication du rapport de la MMC en 1997 commandaient d'écarter les appréciations de celle-ci sur le degré de concurrence caractérisant le marché en cause.

108 Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la Commission a conclu au considérant 138 de la Décision que les éléments exposés aux considérants 128 à 137 de celle-ci «indiquent qu'il existe déjà dans ce secteur une tendance à la domination collective, surtout pour ce qui est de la fixation des capacités».

ii) Sur l'appréciation de la volatilité des parts de marché historiques

109 La requérante invoque ensuite, comme preuve de l'existence d'un marché concurrentiel, le fait que, par le passé, les parts de marché des principaux voyagistes ont été volatiles, dynamiques et variables.

110 Selon la Commission, aucune volatilité de ce genre n'a été observée récemment sur le marché en cause. Elle souligne que les modifications des parts de marché des grands voyagistes évoquées par la requérante résultent des acquisitions qu'ils ont effectuées et ne sont donc pas la conséquence de leurs performances sur le marché. Or, si l'on fait abstraction de ces acquisitions, les parts de marché des principaux opérateurs n'auraient guère varié au cours des dernières années, ce qui permettrait de penser que la croissance interne est difficile (Décision, considérant 128 et note de bas de page 86).

111 Il y a lieu de relever que, dans le cadre de la caractérisation d'une position dominante collective, la stabilité des parts de marché historiques constitue un élément favorable au développement d'une collusion tacite, dans la mesure où elle facilite la division du marché au lieu d'une concurrence acharnée, chaque opérateur se référant à la part de marché dont il dispose historiquement pour fixer sa production en proportion de celle-ci.

112 En l'espèce, la constatation de la Commission selon laquelle l'évolution des parts de marché de Thomson, d'Airtours, de Thomas Cook et de First Choice est restée stable au cours des cinq dernières années repose sur le postulat selon lequel la croissance externe ne doit pas être prise en considération. La Commission estime que, lorsque les changements dans la répartition des parts de marché résultent principalement de l'acquisition de concurrents, les «quotas» à attribuer peuvent être déterminés en additionnant les parts de marché de l'acheteur et de la cible et que, partant, le problème des opérateurs cherchant à aligner leur part de marché sur des maximums atteints par le passé ne se pose pas.

113 Cependant, l'exclusion de la croissance externe dans la détermination de la volatilité des parts de marché n'est pas justifiée dans les circonstances de l'espèce, dans la mesure où, dans le marché en cause, la taille et le degré d'intégration verticale des entreprises constituent des facteurs de concurrence importants (voir, notamment, considérants 73, 75, 77, 78, 99, 100, 114 et 115 de la Décision). En effet, dans de telles circonstances, les nombreuses acquisitions réalisées par les grands voyagistes par le passé, que ce soit avant ou après la publication du rapport de la MMC, peuvent être interprétées comme le signe d'une importante concurrence entre ces opérateurs, qui multiplient les acquisitions pour éviter d'être distancés par leurs principaux concurrents sur des points essentiels pour pouvoir profiter pleinement des économies d'échelle.

114 De plus, le postulat de ne pas prendre en considération la croissance externe est contredit en l'espèce par plusieurs remarques faites par la Commission elle-même dans la Décision, qui laissent entendre, contrairement à ce qu'elle soutient dans ses mémoires, qu'une opération d'acquisition opérée par l'un des grands voyagistes n'entraîne pas, aux yeux des autres grands voyagistes, l'addition arithmétique des parts de marché de l'acquéreur et de la cible, mais une réaction concurrentielle de leur part.

115 La Décision relève ainsi, au considérant 137, que «[l]orsqu'il est devenu clair qu'Airtours cherchait à prendre le contrôle de First Choice en avril de cette année, il a suffi que Thomson annonce sa volonté de défendre sa part de marché pour que son action baisse de 9 % le même jour, par `crainte que la société ne déclenche une guerre des prix', ce qui a obligé la direction de Thomson à déployer des efforts considérables pour convaincre les investisseurs institutionnels que cette annonce avait été mal interprétée et qu'elle n'avait nullement l'intention d'ajouter de nouvelles capacités sur le marché, mais seulement de s'approprier les positions abandonnées par Airtours/First Choice à la suite de leur fusion.»

116 De même, la Décision indique au considérant 145 qu'«il semble communément admis dans le secteur que toute concentration se traduit par une diminution temporaire de la part de marché des protagonistes, certains clients et fournisseurs faisant défection à ces derniers du fait de la suppression de doublets dans leurs programmes». Ces anticipations sont confirmées par l'examen des pièces produites par la requérante sur l'évolution des parts de marché historiques (annexe 6 à la réplique, page 2, voir également le tableau sur l'évolution de la part de marché des voyagistes, page 8 de la requête). Ainsi, à la suite de l'acquisition en 1989 d'Horizon par Thomson, la part de marché du nouvel ensemble aurait dû être de 32 % (25 % pour Thomson et 7 % pour Horizon), alors qu'elle est rapidement redescendue aux alentours de 25 %.

117 Or, il convient de constater qu'il ressort de l'analyse des données versées au dossier que, ainsi que la requérante l'a fait valoir sans contestation de la part de la Commission, les parts de marché des principaux voyagistes en ce qui concerne les vacances à forfait à l'étranger, croissance externe comprise, varient considérablement. Le tableau des parts de marché des voyagistes présenté dans le formulaire de notification (repris à la page 8 de la requête) par la requérante permet de le constater. Ainsi, en 1990, la part de marché de Thomson était de 21,81 %, celle de First Choice était de 5,82 %, celle d'Airtours était de 4,27 % et celle de Thomas Cook était de 2,13 %. En 1994, la part de marché de Thomson était de 23,13 %, celle d'Airtours était de 15,52 %, celle de First Choice était de 5,88 % et celle de Thomas Cook était de 2,41 %. Puis, en 1998, la part de marché de Thomson était de 19,28 %, celle d'Airtours était de 14,26 %, celle de First Choice était de 7,47 % et celle de Thomas Cook était de 11,38 %.

118 Il s'ensuit que c'est à tort que la Commission a considéré que les parts de marché résultant des acquisitions ne devaient pas être prises en considération et, par suite, qu'elle a estimé que l'évolution des parts de marché des principaux voyagistes était restée stable au cours des dernières années.

119 Enfin, s'agissant encore de la concurrence existante dans le marché en cause il y a lieu d'ajouter que la requérante a allégué, sans être contestée par la Commission, que les performances des principaux voyagistes sont susceptibles d'être différentes dans la même saison (avec des perdants et des gagnants) et peuvent, en outre, varier d'une saison à l'autre. Cette circonstance doit être interprétée comme un indice que le marché est concurrentiel et plaide, par conséquent, contre l'existence d'une éventuelle position dominante collective.

iii) Conclusion sur l'appréciation de la concurrence existant entre les principaux voyagistes

120 Il résulte de ce qui précède que la Commission a commis des erreurs d'appréciation dans son analyse de la concurrence existant dans le marché en cause avant la notification. D'une part, elle n'a pas établi à suffisance de droit son appréciation selon laquelle il existait déjà dans ce secteur une tendance à la domination collective et, donc, à la restriction de la concurrence, surtout pour ce qui est de la fixation des capacités. D'autre part, elle n'a pas tenu compte, comme elle le devait, du fait que, par le passé, les parts de marché des principaux voyagistes ont été volatiles et que cette volatilité est un indice de l'existence d'un marché concurrentiel.

b) Sur l'appréciation de l'évolution passée et prévisible de la demande, de sa volatilité et du degré de transparence existant dans le marché

121 La Décision expose dans une partie intitulée «Caractéristiques du marché (oligopole dominant)» (considérants 87 à 127) une série de caractéristiques qui, selon la Commission, rendent le marché en cause favorable à l'apparition d'un oligopole dominant. Il s'agit, notamment, de l'homogénéité du produit, de la faible croissance de la demande, de la faible sensibilité de la demande au prix, des structures de coût similaires chez les principaux fournisseurs, du niveau élevé de transparence, d'interdépendance et des liens commerciaux existant entre les principaux fournisseurs, des importants obstacles à l'accès au marché et de la faible puissance d'achat des consommateurs. Selon la Décision (point 87), ces caractéristiques existent déjà et subsisteraient si l'opération envisagée était réalisée.

122 La requérante conteste les appréciations ayant conduit la Commission à considérer que ces caractéristiques existent déjà dans le marché en cause et qu'elles le rendraient favorable à l'apparition d'un oligopole dominant en cas de réalisation de l'opération envisagée. Elle fait valoir notamment que le taux de croissance de la demande et son degré de volatilité dans le marché en cause, ainsi que le degré de transparence existant dans le marché, constituent en l'espèce des éléments qui, contrairement à ce que prétend la Commission, rendent plus difficile la création d'une position dominante collective.

i) Sur les appréciations concernant la faible croissance de la demande

123 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a commis une erreur d'appréciation en estimant que la croissance de la demande est globalement faible, alors que les données communiquées dans le cadre de la procédure administrative et le fait que la croissance de la demande est plus rapide que celle du produit intérieur brut démontrent le contraire.

124 Aux considérants 92 et 93 de la Décision, la Commission présente ses appréciations sur le niveau de croissance de la demande dans le marché en cause.

125 Au considérant 92, la Commission affirme qu'«[u]ne étude récemment réalisée pour un voyagiste, évoquée en réponse à une demande de renseignements de la Commission, [...] relève [...] que le taux de croissance annuel moyen est globalement faible (3 à 4 % pour la décennie)». Il est dit également que «[l]a croissance de la demande au cours des deux prochaines années devrait être proche de zéro selon plusieurs estimations du secteur, mais une certaine reprise est attendue ensuite».

126 Ensuite, au considérant 93, la Commission affirme, «[s]ur la base de son enquête dans la présente affaire», être parvenue à la conclusion selon laquelle «la croissance globale de la demande sur le marché des vacances à forfait vers des destinations proches restera modérée, comme elle l'a été dans les années 90». Enfin, en conclusion, la Commission «estime que la croissance du marché n'est pas susceptible d'aviver la concurrence dans un avenir prévisible».

127 Le Tribunal constate que les appréciations de la Commission reposent cependant sur une appréciation incomplète et erronée des données qui lui ont été communiquées dans le cadre de la procédure administrative.

128 En premier lieu, il y a lieu de relever que, en réponse à une mesure d'organisation de la procédure par laquelle le Tribunal lui a demandé la production de l'étude à laquelle elle se réfère au considérant 92 de la Décision, la Commission a précisé qu'elle n'avait jamais disposé de l'intégralité de cette étude lors de la procédure administrative et qu'elle ne peut seulement en communiquer au Tribunal qu'un extrait, qui avait été annexé par un voyagiste à une réponse à une demande de renseignements. Cet extrait ne comprend qu'une seule page d'un document intitulé «Forecasting Holiday Demand» préparé par Ogilvy & Mather à une date qui n'est pas connue.

129 Selon cet extrait: «[L]e marché britannique des vacances à l'étranger a augmenté massivement au cours des 20 dernières années. Selon le British National Travel Survey, les Britanniques ont pris près de 30 millions de vacances à l'étranger (de plus de 4 nuits), soit plus du triple des chiffres de 1978. Dans la dernière décennie, le marché a augmenté en moyenne de 3,7 % par an.» L'extrait précise également, en ce qui concerne la volatilité de la demande, que «[s]i la croissance sous-jacente du marché a été persistante, le taux de croissance annuelle est loin d'avoir été constant. Des taux de croissance annuelle de 10 % ou plus ont été rapidement suivis de contractions importantes»; que «non seulement [l]a demande de vacances est plus volatile que le produit intérieur brut et que les niveaux de dépenses à long terme des consommateurs, mais encore elle ne coïncide pas tout à fait avec le cycle économique (par exemple, le marché a augmenté de plus de 10 % pendant la récession de 1980 et 1981)»; ou encore que «la volatilité de la demande fait que la prévision des volumes de demande est hautement problématique.»

130 Or, il ressort d'une simple analyse de ce document que la Commission en a fait une lecture erronée. Ainsi, au considérant 92 de la Décision, elle indique que «[l]'étude relève également [it also noted] que le taux de croissance annuel moyen est globalement faible», alors qu'aucune indication en ce sens n'est donnée dans l'extrait communiqué au Tribunal. À l'inverse, la Commission a ignoré l'accent mis par l'auteur de l'extrait sur l'augmentation massive des ventes de vacances à l'étranger lors des 20 dernières années. Il s'ensuit que la Commission a interprété ce document sans respecter sa teneur littérale et sa portée téléologique, alors même qu'elle a décidé de le retenir comme un document essentiel dans son appréciation selon laquelle le taux de croissance de ce marché a été modéré dans les années 90 et qu'il le restera (Décision, considérant 93).

131 En deuxième lieu, il ressort de ces passages de la Décision (considérants 92 et 93) que la Commission n'a pas tenu compte des taux de croissance de la demande pendant les deux années précédant la notification, 1997 et 1998, lesquels s'avéraient, pourtant, être des points de référence importants dans la mesure où les effets de l'épisode de 1995 avaient été déjà assimilés par le marché. Or, il résulte des données figurant au volume 4 du rapport 1998 du British National Travel Survey (daté du mois de février 1999), communiqué en annexe 9 du formulaire de notification de la requérante, que le secteur des vacances à l'étranger a connu une forte croissance sur toute la décennie et, donc, également lors des dernières années. Il ressort, en effet, du contenu de la page 113 (et du tableau figurant à la page 112) que le nombre de départs en vacances à l'étranger est passé de 21 millions en 1989 à 29,25 millions en 1998 (soit une augmentation de plus de 39,2 % pour la dernière décennie). Après la crise de 1995, en raison de laquelle le nombre de séjours à l'étranger est passé de 26 millions en 1995 à 23,25 millions en 1996 (soit une baisse de près 10,5 %), le nombre de séjours à l'étranger est passé de 23,25 à 27,25 millions en 1997 (soit une augmentation de plus de 17,2%) et de 27,25 à 29,25 millions en 1998 (soit une augmentation de plus 7,3%). S'agissant de cette dernière année, il est dit expressément qu'il s'agit bien d'une véritable croissance et non d'un écart dû à la pratique habituelle d'arrondir les chiffres lorsque les changements d'une année à l'autre sont minimes. La circonstance que ces données concernent également les vacances à forfait vers des destinations lointaines ne met pas en cause leur valeur probatoire de la tendance à une hausse soutenue, dans la mesure où ce type de vacances n'a représenté dans les dernières années qu'un cinquième du total (voir p. 116 du rapport du British National Travel Survey).

132 La Commission a ignoré ces données dans ses estimations du niveau de croissance du marché en cause; en revanche, elle s'est référée à la tendance pour les deux années à venir, soulignant au considérant 92 de la Décision que «La croissance de la demande au cours des deux prochaines années devrait être proche de zéro selon plusieurs estimations du secteur, mais une certaine reprise est attendue ensuite». Interrogée sur ce point lors de l'audience, la Commission a répondu que cette appréciation reposait sur une étude économétrique produite lors de la procédure administrative en réponse à une demande de renseignements. Il est à noter que ni les auteurs de cette étude économétrique, ni sa nature, ni le contexte dans lequel elle a été produite n'ont été mentionnés dans la Décision. Il convient d'ajouter, enfin, que cette estimation d'un taux de croissance proche de zéro est contredite au point suivant de la Décision (considérant 93) où la Commission elle-même «admet que le marché des vacances à forfait vers des destinations proches devrait continuer de se développer» et qu'«[i]l se pourrait même qu'il croisse un peu plus vite que le PIB général à la suite d'un allongement du temps libre et d'une augmentation du niveau de richesse général».

133 Il ressort de ce qui précède que la Commission a fait une interprétation incorrecte des données relatives à la croissance de la demande dont elle disposait, en méconnaissant que ce marché avait été marqué par une tendance nette à une croissance considérable lors de la dernière décennie en général, nonobstant le caractère volatile de la demande d'une année à l'autre, et que la demande a augmenté à un rythme élevé lors des dernières années en particulier. Dans un tel contexte de croissance, et faute d'avoir produit des éléments plus précis pour établir que la tendance à la croissance devait se renverser dans les années à venir, la Commission ne pouvait pas estimer que l'évolution du marché était caractérisée par une faible croissance, constituant, en l'espèce, un élément de nature à faciliter la création d'une position dominante collective par les trois derniers grands voyagistes.

ii) Sur les appréciations sur la volatilité de la demande

134 La requérante soutient que la volatilité de la demande rend plus difficile la démonstration de l'existence d'une position dominante collective dans la mesure où elle ajoute du «bruit» au marché en rendant plus difficile la distinction entre des variations de la demande occasionnées par la volatilité du marché et des augmentations de la capacité provoquées par des écarts par rapport à la ligne d'action commune. Une telle impossibilité de distinguer les deux types d'événements impliquerait clairement que toute tentative de collusion serait instable.

135 La Commission admet dans la Décision qu'une certaine volatilité de la demande existe dans ce marché (Décision, considérants 92 et 95). Toutefois, elle fait valoir (Décision, considérant 97) qu'en l'espèce, ladite volatilité ne s'oppose pas à la création d'une position dominante collective, mais, qu'à l'inverse, «[elle] y rend le marché plus favorable, car ce phénomène, associé au fait qu'il est plus aisé d'accroître la capacité que de la réduire, signifie pour les grands voyagistes qu'il est logique d'adopter une attitude prudente en matière de capacité». Elle ajoute que «[l]a volatilité de la demande commande notamment de limiter la capacité planifiée et de l'accroître par la suite si la demande se révèle particulièrement forte» et que «[l]es fournisseurs se protègent ainsi contre les brusques chutes de la demande».

136 En tout état de cause, aux considérants 94 à 96 de la Décision, la Commission conteste les arguments soulevés par la requérante lors de la procédure administrative concernant la volatilité de la demande et ses causes, qui sont liées au produit intérieur brut, à l'évolution des goûts des clients et à la variabilité des coûts (incidence des compagnies aériennes à faible coût). Aussi la Commission soutient-elle (considérant 95) que «tous les voyagistes sont exposés aux aléas du cycle économique et doivent intégrer l'évolution macro-économique dans leurs prévisions». Il serait donc probable que tous les voyagistes feront la même analyse de l'évolution du marché.

137 La Commission admet (Décision, considérant 96 et notes de bas de page 73 et 74) que certains chocs exogènes, tels que des attaques terroristes contre des touristes en Égypte ou en Turquie, peuvent perturber la planification des voyagistes, mais elle refuse toutefois de les prendre en considération en tant qu'élément susceptible de rendre plus difficile l'apparition d'une position dominante collective, dès lors que de tels événements, par nature exceptionnels, ne sont pas propres au marché des vacances à forfait vers des destinations proches, mais peuvent intervenir sur n'importe quel marché.

138 Enfin, la Commission reconnaît que les remarques de la requérante sur la difficulté que cette volatilité implique pour la création d'une position dominante collective correspondent à la théorie économique, mais affirme qu'elles ne sont pas pertinentes en l'espèce. Selon la Commission, étant donné qu'il est plus facile d'augmenter la capacité que de la restreindre, les opérateurs auront tendance à être prudents pour se protéger contre toute volatilité éventuelle. De plus, il serait facile de distinguer une baisse de la demande d'une augmentation de la capacité d'un autre opérateur, car les agissements de ce dernier pourraient être observés directement.

139 Il y a lieu de relever tout d'abord que, ainsi que le reconnaît la Commission, la théorie économique considère que la volatilité de la demande rend plus difficile la création d'une position dominante collective. Au contraire, une demande stable et, donc, présentant une faible volatilité constitue un élément pertinent dans la caractérisation d'une position dominante collective, dans la mesure où elle rend plus aisément détectables les déviations par rapport à la ligne d'action commune (c'est-à-dire les tricheries) en permettant de les distinguer des adaptations de la capacité destinées à répondre à la croissance ou à la décroissance du marché volatile.

140 En l'espèce, la Commission admet que le marché en cause se caractérise par un certain degré de volatilité de la demande (Décision, considérants 92, 95 et 97). Au demeurant, il y a lieu de constater que plusieurs éléments du dossier indiquent que le degré de volatilité de ce marché est considérable. Ainsi, l'extrait de l'étude cité au point 92 de la Décision expose que «non seulement [l]a demande de vacances est plus volatile que le produit intérieur brut et que les niveaux de dépenses à long terme des consommateurs, mais encore elle ne coïncide pas tout à fait avec le cycle économique (par exemple, le marché a augmenté de plus de 10 % pendant la récession de 1980 et 1981)» ou encore que «la volatilité de la demande fait que la prévision des volumes de demande est hautement problématique». De même, l'importante volatilité du marché est attestée par les données extraites du rapport 1998 du British National Travel Survey. Ainsi, après la crise de 1995, en raison de laquelle le nombre de séjours à l'étranger est passé de 26 millions en 1995 à 23,25 millions en 1996 (soit une baisse de près 10,5 %), le nombre de séjours à l'étranger est passé de 23,25 à 27,25 millions en 1997 (soit une augmentation de plus de 17,2 %) et de 27,25 à 29,25 millions en 1998 (soit une augmentation de plus de 7,3 %).

141 La Commission prétend toutefois que cette circonstance n'est pas pertinente en l'espèce étant donné que les opérateurs ont tendance à être prudents pour se protéger contre toute volatilité éventuelle.

142 Or, la Commission ne saurait se prévaloir du fait que, afin de se protéger des brusques chutes de la demande, les voyagistes planifient la capacité de manière prudente, préférant l'accroître par la suite si la demande se révèle particulièrement forte (Décision, considérant 97), pour nier la pertinence en l'espèce d'un facteur important pour caractériser une situation d'oligopole dominant, comme le degré de stabilité et de prévisibilité du marché en cause. En effet, si, certes, la prudence inhérente au fonctionnement normal du marché conduit nécessairement à prendre en compte la nécessité d'anticiper au mieux l'évolution de la demande, le processus de planification demeure difficile, car tout opérateur doit anticiper (quelque 18 mois à l'avance, du fait des particularités du marché) l'évolution à venir de la demande, laquelle se caractérise par son importante volatilité et implique donc un pari sur l'avenir. Par ailleurs, la prudence des opérateurs et la volatilité de la demande n'ont pas été considérées par la Commission comme faisant obstacle au caractère concurrentiel du marché avant la réalisation de l'opération. La prudence ne peut donc être interprétée, en tant que telle, comme un élément tendant à caractériser une position dominante collective plutôt que comme un élément caractéristique d'un marché concurrentiel du type de celui qui existait au moment de la notification.

143 Enfin, il convient de relever que les arguments exposés par la Commission (Décision, considérants 94 à 96), relatifs aux critiques de la requérante, ne peuvent être retenus.

144 En ce qui concerne la volatilité liée au cycle économique, la Commission ne saurait se limiter à estimer, comme elle l'a fait au point 95 de la Décision, qu'il est «probable que tous les voyagistes feront la même analyse de l'évolution du marché», sans apporter le moindre élément à l'appui de cette affirmation, alors que la capacité est fixée initialement quelque 18 mois avant le commencement de la saison (voir considérant 63 de la Décision). À ce moment, l'évolution des principales variables macro-économiques, telles que la croissance du produit intérieur brut, les taux de change ou la confiance du consommateur, ne peut être prévue avec précision.

145 S'agissant de la volatilité liée à des chocs exogènes, l'approche de la Commission, selon laquelle les voyagistes intégreraient les données relatives à la volatilité du marché dans le calcul de la capacité (Décision, considérant 96 et notes de bas de page 73 et 74), revient à faire ce qu'elle critique, c'est-à-dire à transformer ces chocs exogènes en variables endogènes du fait de leur intégration dans la prévision de la demande. Or, les opérateurs ne semblent pas agir de la sorte. En témoignent ainsi les déboires de Thomson en mai 1999, qui aurait subi des pertes importantes en raison de l'impact de la guerre au Kosovo et de menaces terroristes en Turquie sur ses ventes de vacances à forfait en Méditerranée orientale alors qu'Airtours, quant à elle, n'était pas affectée, comme l'a fait valoir la requérante sans contestation de la part de la Commission.

146 Enfin, s'agissant de l'argument de la Commission selon lequel, en tout état de cause, il serait facile de distinguer une baisse de la demande d'une augmentation de la capacité d'un autre opérateur, car les agissements de ce dernier peuvent être observés directement, il convient de le rejeter parce que, pour les raisons exposées ci-après dans l'examen de la transparence du marché, un voyagiste intégré aura du mal à interpréter correctement les décisions prises par les autres voyagistes en matière de capacité.

147 Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas démontré que la théorie économique ne joue pas en l'espèce et qu'elle a estimé à tort que la volatilité de la demande facilitait la création d'un oligopole dominant par les trois derniers grands voyagistes.

iii) Sur l'appréciation du degré de transparence existant dans le marché en cause

148 Au considérant 102 de la Décision, la Commission expose que, en ce qui concerne la transparence, «il y a lieu de distinguer entre la période de planification et la saison de vente, qui commence avec la diffusion des catalogues», et que, «[c]ependant, le marché est très transparent pour chacun des quatre grands opérateurs intégrés, pendant ces deux périodes».

149 Aux considérants 103, 104 et 105, elle affirme que «[l]es décisions capitales en matière de capacité pour la saison suivante sont prises au cours de la période de planification» et que, «[d]ans le cas des quatre grands voyagistes, ces décisions seront transparentes, pour les raisons suivantes»:

- aucun des grands voyagistes ne propose un programme complètement neuf d'une saison à l'autre. La planification d'une saison future est, au contraire, fonction des ventes de la saison précédente, corrigées à la hausse ou à la baisse selon une prévision de la demande pour la saison suivante. Les changements sont donc progressifs et le programme d'un voyagiste est en évolution constante. Ainsi, dans une large mesure, les voyagistes savent dès avant la planification d'une saison, grâce à leur expérience, quelles seront les offres des quatre autres fournisseurs intégrés pour la nouvelle saison (Décision, considérant 104);

- chacun des quatre grands voyagistes intégrés a une certaine connaissance des changements planifiés par les trois autres au cours de cette période, compte tenu du fait qu'ils utilisent les mêmes hôtels et qu'ils recourent aux compagnies aériennes des autres grands voyagistes pour obtenir ou fournir des capacités ou pour négocier des échanges de places ou de créneaux (Décision, considérant 105);

- les décisions d'augmentation sensible de la capacité ne pourraient être dissimulées, dès lors que l'acquisition ou la location en crédit-bail d'avions supplémentaires est nécessairement portée à la connaissance du public (Décision, considérant 105).

150 Au considérant 105 de la Décision, la Commission estime que, «pour toutes ces raisons, chacun des quatre grands voyagistes saurait, par exemple, que l'un d'entre eux envisage de transporter davantage de voyageurs et, partant, de proposer plus de forfaits. Chaque opérateur intégré peut donc surveiller le nombre total de forfaits proposés par chacun des trois autres».

151 Au considérant 113 de la Décision, la Commission en conclut que, vu les rigidités liées aux décisions relatives à la capacité, le degré élevé de transparence accroît «d'autant, si la concentration a lieu, la probabilité de voir les principaux fournisseurs maintenir une offre insuffisante, laissant insatisfaite une demande plus importante qu'elle ne le serait dans une situation moins transparente dans laquelle il y aurait temporairement une offre excédentaire rendant nécessaire une baisse des prix pour écouler les produits, et leur permettant ainsi de porter les prix moyens au-delà du niveau concurrentiel».

152 La requérante soutient que le marché en cause n'est pas transparent lors de la période de planification. Elle fait valoir, en substance, que les décisions relatives à la capacité globale représentent en fait une large gamme de décisions individuelles concernant chaque destination et chaque vol planifiés et que les modifications apportées à la capacité planifiée par rapport aux capacités du passé sont significatives et très difficiles à identifier.

153 Elle estime que le marché en cause n'est pas transparent non plus lors de la période des ventes. Elle soutient, en substance, que la transparence de la capacité ne peut être envisagée sans prendre en compte la transparence des prix et que la Commission n'a pas compris la nature des informations disponibles sur les systèmes informatiques de réservation de vacances.

154 La Commission admet que, pendant la période de planification, les décisions en matière de capacité ne sont pas totalement transparentes, tout en rappelant les différentes possibilités d'obtenir les informations qui sont mentionnées dans la Décision (considérants 104 et 105) en ce qui concerne les quatre grands voyagistes.

155 Pour ce qui est de la transparence des prix pendant la saison des ventes, la Commission soutient qu'elle n'a aucune importance, car le facteur de concurrence déterminant sur le marché en cause n'est pas le prix mais la capacité. Elle ajoute, toutefois, que pendant cette saison la transparence en matière de capacité globale est pratiquement totale, puisque chaque opérateur peut calculer les capacités de ses concurrents sur la base des offres qu'ils présentent dans leurs catalogues et aussi de leurs programmes précédents.

156 À titre liminaire, il convient de rappeler que le fait qu'un marché soit suffisamment transparent pour permettre à chaque membre de l'oligopole de connaître les comportements des autres facilite la création d'une position dominante collective.

157 Il y a lieu d'observer tout d'abord qu'en l'espèce la thèse de la Commission consiste à soutenir que l'objet de la coordination tacite caractérisant la position dominante collective n'est pas les prix mais les capacités offertes sur le marché et que, ainsi qu'elle le relève au considérant 103 de la Décision, les décisions capitales en matière de capacité pour la saison suivante sont prises au cours de la période de planification. Au considérant 63 de la Décision, la Commission reconnaît elle-même que, «une fois que la saison de réservation a commencé (c'est-à-dire, par exemple, vers l'été 1999 pour les départs à l'été 2000), les possibilités de changements sont fortement limitées, en raison de la rigidité de certains engagements avec les fournisseurs et des problèmes liés aux changements de dates, de vols, d'hôtels, etc. pour des clients ayant déjà réservé». Elle expose (considérant 62 de la Décision) qu'Airtours admet la possibilité d'une augmentation de la capacité pendant cette période allant jusqu'à 10 % au maximum.

158 Cette approche est corroborée par les allégations de la Commission, lorsque, répondant (considérant 108 de la Décision) à l'argument de la requérante selon lequel, chacun des grands voyagistes intégrés devant gérer plusieurs milliers de prix différents du fait des nombreuses formules proposées, une concertation tacite sur tous ces prix serait impossible, elle signale qu'elle ne considère pas qu'en l'espèce une concertation sur le niveau des prix soit nécessaire pour créer une position dominante collective. Elle ajoute:

«[P]endant la saison de vente, aucun des voyagistes intégrés ne serait vraiment incité à réduire les prix en vue d'accroître sa part de marché, qui se détermine en fonction de la capacité offerte. Les opérateurs ne sont donc pas forcés de s'entendre sur des milliers de prix. Les experts économiques d'Airtours l'ont d'ailleurs confirmé: `le comportement des entreprises en matière de prix après la fixation des capacités n'est pas directement lié à la position dominante collective, à savoir l'exercice en commun de la puissance de marché'.»

159 Il s'ensuit qu'en l'espèce il convient de déterminer d'abord si chacun des grands voyagistes pourra ou non connaître, avec un degré de certitude suffisant, au moment de prendre ses décisions capitales en matière de capacité lors de la période de planification, celles de ses principaux concurrents. C'est seulement si la transparence est suffisante qu'il pourra estimer la capacité totale décidée par les autres membres du prétendu oligopole et qu'il sera, alors, en mesure de savoir, qu'en planifiant sa capacité d'une manière déterminée il adopte la même ligne d'action qu'eux, et qu'il sera ainsi incité à le faire. Le degré de transparence est également important pour permettre, par la suite, à chaque membre de l'oligopole de détecter les variations effectuées par les autres en matière de capacité, de distinguer les déviations par rapport à la ligne d'action commune des simples adaptations logiques à l'évolution volatile de la demande et, enfin, de déterminer s'il y a lieu de réagir en conséquence en sanctionnant les éventuelles déviations.

160 Or, il ressort des réponses de la requérante (point B.1 et annexes 5 à 8) à une mesure d'organisation de la procédure prise par le Tribunal que la détermination de la capacité pour chaque saison n'est pas un exercice automatique de simple reconduction de la capacité d'une année à l'autre, facile à prévoir pour les autres voyagistes, mais, au contraire, qu'elle entraîne pour chaque grand voyagiste une tâche très complexe qui tient compte, seulement dans une certaine mesure, des données historiques et qui est faite principalement à partir d'un jugement subjectif par chaque opérateur selon une multitude de variables et de facteurs.

161 En particulier, l'examen de ces données montre que le cycle de planification ne s'enchaîne pas simplement d'une année à l'autre. À titre d'exemple, pour la saison d'été 1999 («année N»), qui va de mai à octobre 1999, la planification de la capacité commence près de 18 mois avant, en octobre ou novembre 1997 («année N-2»). Pendant la phase principale de planification, qui débouche sur la première publication du catalogue en avril ou mai 1998 («année N-1»), les voyagistes ont donc à leur disposition les données relatives aux résultats de la saison d'été 1997 («année N-2») et certaines données relatives à la saison à venir de l'été 1998 («année N-1»). Dans ce cadre chronologique, la planification de la capacité globale est fonction de considérations générales et spécifiques affinées au fil du temps. Les considérations générales («top-down considerations») prennent en compte les principaux facteurs qui influencent la demande de vacances, tels l'activité économique, les taux de change et la confiance des consommateurs. Les considérations spécifiques («bottom-up considerations») reposent sur l'analyse détaillée des offres de produits existantes à partir, par exemple, de l'examen des marges brutes et nettes par vol ou par unité d'hébergement pour telle ou telle destination. À cet égard, sont examinés chaque vol (en fonction des aéroports de départ et de destination et des créneaux horaires), la destination et le produit disponible, la demande des consommateurs pour des types particuliers de vacances, afin de préparer l'offre globale de vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches. Cette offre est également complétée par les offres de produits nouveaux créés par la requérante.

162 La requérante a précisé que, compte tenu de la nature périssable des produits concernés, elle tend à privilégier, lors de la planification, l'analyse des facteurs macro-économiques ou des considérations spécifiques concernant le coût et la marge par rapport à l'examen du niveau de la demande passée, puisque ces éléments sont plus à même d'affecter les revenus disponibles et la demande à l'avenir que les performances antérieures (ventes réalisées et envisagées dans les années N-2 et N-1), lesquelles seraient, tout de même, également prises en considération dans la planification pour la saison d'été de l'année N, dans la mesure où elles indiquent les points forts et les faiblesses de l'offre existante ainsi que les aspects sur lesquels cette offre peut être améliorée.

163 En termes statistiques, le tableau communiqué par la requérante (annexe 7 à sa réponse), concernant la comparaison entre les prévisions de vente et les ventes réelles de sa principale filiale au Royaume-Uni, Airtours Holidays Ltd, pendant la période 1996-2000, permet de constater les écarts entre la capacité envisagée pour l'année en cours de planification (année N), la capacité estimée pour l'année N-1 (dont la saison des ventes a déjà commencé) et la capacité vendue lors de l'année N-2 (car la saison est déjà terminée). Ce tableau montre que la capacité planifiée pour l'année N par Airtours Holidays Ltd présente d'importantes différences par rapport à la capacité estimée pour l'année N-1 (de + 7,5 % à + 11,2 % selon l'année N envisagée) ou à la capacité vendue lors de l'année N-2 (de + 7,5 % à + 18,6 % selon l'année N envisagée). À titre de comparaison, elles représentent une augmentation de la capacité de deux à trois fois supérieure à la croissance annuelle moyenne de la demande totale sur le marché (entre 3 et 4 %) retenue par la Commission au considérant 92 de la Décision.

164 Il ressort de ce qui précède que l'essentiel du processus de planification ne consiste pas simplement à reconduire la capacité estimée ou vendue par le passé, mais vise à essayer d'anticiper l'évolution de la demande au niveau tant macro-économique que micro-économique.

165 Aux considérations qui viennent d'être exposées, il y a lieu d'ajouter les difficultés pratiques, soulignées par la requérante, qui font qu'il sera très compliqué de connaître la capacité envisagée par chacun des autres grands voyagistes lors de la période de planification, dans la mesure où leurs décisions concernant la capacité totale pour une saison déterminée résultent de l'agrégat de nombreuses décisions individuelles prises pour chaque destination et pour chaque vol et variant d'une saison à une autre.

166 En effet, la requérante a fait valoir sans contestation de la part de la Commission qu'elle dessert environ 50 destinations à partir de 21 aéroports situés au Royaume-Uni, ce qui représente plus de mille combinaisons et qu'elle les modifie sensiblement d'une saison à l'autre. Pour l'été 1999, Airtours a ainsi augmenté sa capacité de 19 % pour Fuerteventura, tout en réduisant pour cette destination sa capacité au départ de Manchester de 13 %, alors que la capacité au départ de Cardiff a été augmentée de 42 %. De même, la capacité d'Airtours pour Minorque a été réduite de 9 %, avec, pour cette destination, une réduction de la capacité au départ de Manchester de 33 % et une augmentation de la capacité au départ des aéroports écossais de 25 %. À titre d'exemple, la catégorie «trois étoiles/repas non compris», qui représente la vaste majorité des vacances à forfait vers des destinations proches selon la Décision (considérant 90), comprend des différences selon l'aéroport et la date de départ, la durée des vacances ou encore le lieu de destination. Il convient de relever, à cet égard, que l'argument selon lequel le voyage en avion représente une constante pour laquelle il existe peu de différences (Décision, considérant 90) ne remet pas en cause le fait que les décisions relatives à la capacité aérienne se prennent aéroport par aéroport et vol par vol.

167 Ainsi, contrairement à ce que suggère la Commission, les décisions en matière de capacité ne consistent pas simplement à accroître ou à réduire l'offre globale de capacité sans tenir compte des différences entre les diverses catégories de vacances à forfait, lesquelles se différencient par le lieu de destination, par la date de départ, par l'aéroport de départ, par le type d'avion, par le type et la qualité de l'hébergement, par la durée du séjour et, enfin, par le prix. Pour pouvoir développer ces vacances à forfait, les voyagistes doivent prendre en compte un ensemble de variables comme les disponibilités d'hébergement aux diverses destinations et les disponibilités de sièges d'avion, aux diverses dates et saisons de l'année. Comme la requérante l'a fait valoir, les décisions sur la capacité doivent donc nécessairement être prises à un niveau «micro».

168 L'approche globale adoptée par la Commission (considérants 88 à 91 de la Décision), consistant à dire que ce qui importe c'est le nombre total de vacances à forfait proposées par chaque opérateur, rencontre ainsi d'importantes difficultés sur le plan pratique, puisque, pour connaître la capacité totale, dans la mesure où elle représente un ensemble hétérogène de décisions spécifiques, il est nécessaire de pouvoir identifier ces décisions.

169 Il s'ensuit que, prima facie, la complexité de la procédure de planification de la capacité, du développement du produit et de sa commercialisation constitue un obstacle majeur à toute tentative de coordination tacite. En effet, s'agissant d'un marché dans lequel la demande est croissante globalement, mais volatile d'une année sur l'autre, un voyagiste intégré aura du mal à interpréter correctement les décisions prises par les autres voyagistes en matière de capacité visant des vacances survenant un an et demi plus tard.

170 Toutefois, malgré le fait que la décision concernant la capacité est prise par chaque voyagiste sur la base d'un ensemble hétérogène de considérations, il y a lieu encore d'examiner si, en pratique, au moment de déterminer sa capacité totale, chaque membre de l'oligopole peut connaître la «capacité globale (nombre de séjours) offerte par chaque voyagiste intégré».

171 La Commission affirme au considérant 105 de la Décision que «chaque opérateur intégré peut surveiller le nombre total de forfaits proposés par chacun des trois autres [au cours de la période de planification]» et que les modifications qui sont apportées par chaque grand voyagiste à ce stade peuvent être identifiées par les autres grands voyagistes au travers de leurs contacts avec les hôtels ou de leurs discussions concernant les besoins et les disponibilités en places d'avion en vue d'obtenir ou de fournir des capacités ou de négocier des échanges de places ou de créneaux.

172 Cependant, la Commission reste en défaut d'établir ces affirmations.

173 En premier lieu, la Décision ne permet pas de mesurer la portée des informations qu'un voyagiste intégré est susceptible d'obtenir par le fait que plusieurs d'entre eux peuvent être en relation avec les mêmes hôtels pour négocier et réserver leurs stocks de lits. À supposer même que les grands voyagistes britanniques puissent effectivement offrir les mêmes hôtels dans leurs forfaits de vacances, il n'en demeure pas moins que le secteur de l'hébergement de vacances réunit de très nombreux acteurs, tant au niveau de l'offre qu'au niveau de la demande. Il existe, dès lors, une forte probabilité pour que l'un des grands voyagistes soit présent dans un hôtel où il ne risque pas de retrouver l'un de ses concurrents. Cette probabilité est renforcée par le fait que les hôteliers préfèrent louer leurs chambres à deux voyagistes au moins, généralement de pays différents. Cette politique, mentionnée dans la notification, s'explique par la volonté de l'hôtelier de se protéger contre le risque lié à une diminution de la demande de vacances offertes par l'un de ces clients ou de la demande de l'un de ces pays.

174 Il s'ensuit que la possibilité que plusieurs voyagistes intégrés négocient avec le même hôtel ne contribue pas de manière significative à une plus grande transparence du marché au moment de la prise de décisions en matière de capacité.

175 En deuxième lieu, la Décision n'offre guère de détails sur la portée et l'importance des informations susceptibles d'être obtenues au moyen des discussions entre les grands voyagistes concernant les besoins et les disponibilités en places d'avion en vue d'obtenir ou de fournir des capacités ou de négocier des échanges de places d'avion ou de créneaux horaires. En effet, en l'absence de précisions sur ce point dans la Décision, il n'est guère possible de tirer des renseignements utiles quant à l'augmentation ou au maintien de la capacité par le biais d'un échange de places d'avion ou de créneaux horaires, dans la mesure où ces échanges devraient en principe s'effectuer sur la base d'une place contre une place ou d'un créneau contre un autre.

176 À cet égard, il y lieu de préciser que dans le cas de figure prévu par la Commission, c'est-à-dire celui d'une situation de restriction sensible de la capacité en deçà des estimations de l'évolution de la demande, les voyagistes intégrés contracteraient moins de places d'avion et moins de nuits d'hôtels. Or, il est sans doute beaucoup plus difficile en général de détecter et d'interpréter les décisions de réduction de l'activité que celles l'augmentant et, dans un contexte de croissance de la demande, de telles politiques de contention seraient particulièrement difficiles à détecter. En outre, la requérante a souligné, sans être contredite par la Commission, que les décisions d'augmentation sensible de la capacité et les investissements correspondants ne sont rendus publics qu'après que la capacité initiale a été déterminée, de sorte qu'ils ne permettent pas l'identification précise des décisions adoptées lors de la période de planification. En conséquence, l'argument de la Commission exposé au considérant 105 de la Décision selon lequel l'acquisition ou la location en crédit-bail d'avions supplémentaires ne pourraient être dissimulées dès lors que lesdites décisions sont nécessairement portées à la connaissance du public ne peut être pris en considération pour démontrer l'existence de la transparence du marché pour les quatre grands voyagistes au stade de la planification de la capacité.

177 En outre, il convient de relever que les décisions relatives à l'emploi des flottes aériennes interviennent tardivement dans la période de planification. Selon les données communiquées par Airtours dans sa réponse à la communication des griefs, ce n'est en effet qu'à compter du douzième mois qui précède le lancement de la saison, c'est-à-dire en même temps que la publication du catalogue, qu'elle prend les premières décisions relatives à l'utilisation de sa capacité en places d'avion. Ce n'est qu'au cours des mois qui suivent que seront prises les décisions relatives à la capacité acquise auprès des autres compagnies aériennes. Dès lors, les informations obtenues dans le cadre des discussions entre les grands voyagistes seront plus tardives que ne le laisse penser la Décision.

178 De plus, il convient de relever qu'Airtours ne dépend pas d'une manière significative des autres grands voyagistes pour acquérir des places d'avion, selon les données communiquées dans le cadre de la notification. Il apparaît en effet qu'Airtours ne fait que très peu appel aux compagnies de charters de ses principaux concurrents. Ainsi, d'une part, les principaux fournisseurs d'Airtours Holidays en places d'avion pour l'été 1998 étaient: Spanair (27,2 % des achats); Monarch (22 %); Air Europa (21 %); Air 2000, la compagnie aérienne de First Choice (9,4 %); Airworld (8,7 %), la compagnie aérienne de Thomas Cook; Air Malta (3,8 %), et douze autres compagnies aériennes (7,9 %). Airtours Holidays n'utilise donc pas, ou très peu, Britannia, la compagnie aérienne de Thomson, dont il est connu qu'elle vole principalement pour sa maison mère, et n'a recours que d'une manière marginale aux principales compagnies aériennes de First Choice et de Thomas Cook (Air 2000 et Airworld représentent 18,1% du total) (annexe 5 à la requête, points 6.94, 6.119 et 6.122, rapport de la MMC, tableau 3.6, p. 66). D'autre part, les principaux clients de la requérante en places d'avion pour l'été 1998 étaient: First Choice (Unijet) (environ 68 000 places); Monarch (Cosmos) (environ 45 000 places); Jet Direct (environ 11 500 places); Air Travel Group (environ 10 500 places) et Manos (environ 10 500 places); le reste des places étant vendu auprès de 20 autres opérateurs. Ici, encore, il peut être noté qu'Airtours Holidays n'est pas, ou très peu, en relation avec les compagnies aériennes de Thomson (Britannia) et de Thomas Cook (Caledonian, Airworld, Flying Colours, Peach) (annexe 5 à la requête, point 6.94 et rapport de la MMC, tableau 3.6, p. 66).

179 Dès lors, contrairement à ce que prétend la Commission, la circonstance que les grands voyagistes négocient entre eux en vue d'obtenir ou de fournir des capacités ou de négocier des échanges de places d'avion ou de créneaux horaires n'assure pas un niveau de transparence suffisant au moment de la prise de décisions en matière de capacité.

180 Il découle de tout ce qui précède que c'est à tort que la Commission a considéré au considérant 102 de la Décision que le marché est très transparent pour chacun des quatre grandes opérateurs intégrés pendant la période de planification. Partant, il apparaît que c'est à tort qu'elle a conclu que le degré de transparence existant dans le marché en cause était une caractéristique rendant le marché favorable à l'apparition d'une position dominante collective (Décision, considérant 87), sans qu'il y ait lieu d'examiner le bien-fondé de ses appréciations sur le degré de transparence lors de la saison des ventes, dans la mesure où les décisions capitales en matière de capacité pour la saison suivante sont prises au cours de la période de planification et qu'ensuite les possibilités d'augmentation sont très réduites.

iv) Conclusions sur l'appréciation de l'évolution passée et prévisible de la demande, de sa volatilité et du degré de transparence existant dans le marché

181 Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas examiné de façon adéquate la concurrence existant entre les principaux voyagistes au moment de la notification et qu'elle a commis des erreurs d'appréciation concernant l'évolution et la prévisibilité de la demande, sa volatilité ainsi que le degré de transparence existant dans le marché, et qu'elle a estimé à tort que ces caractéristiques étaient en l'espèce de nature à faciliter la création d'une position dominante collective.

c) Conclusion

182 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a commis des erreurs d'appréciation dans sa conclusion selon laquelle la réalisation de l'opération de concentration inciterait les trois grands voyagistes restant après l'opération à ne plus se concurrencer.

3. Sur le caractère insuffisant des facteurs de dissuasion identifiés par la Commission pour assurer la cohésion interne du prétendu oligopole dominant

183 La requérante reproche à la Commission d'avoir ignoré le fait qu'à supposer même que les trois derniers grands voyagistes puissent être incités à coordonner tacitement leurs politiques en matière de capacité après la concentration en raison des caractéristiques du marché en cause et de l'incidence de l'opération sur celui-ci il n'y aurait pas de mécanismes de représailles ou de dissuasion suffisants pour assurer la cohésion interne du prétendu oligopole dominant. Ainsi, l'absence de mécanismes de représailles effectifs dans le marché en question remettrait en cause la viabilité d'une prétendue situation d'oligopole dominant, dans la mesure où l'incitation à long terme à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune ferait défaut. Elle soutient que le mécanisme de punition doit être crédible et conteste, dès lors, que la simple menace de représailles puisse constituer un moyen de dissuasion suffisant, comme semble le suggérer la Commission au considérant 151 de la Décision.

184 La requérante considère que les moyens prétendument disponibles pour exercer des représailles au cours de la même saison ne sont pas crédibles. Pour ce qui est de la possibilité d'ajouter une certaine capacité durant la période se terminant en février, avant la saison d'été, elle ne pourrait être augmentée que de 10% et ne pourrait plus l'être ultérieurement. Or, dans un secteur caractérisé par une volatilité de la demande, une augmentation de la capacité de 10% ne suffirait pas pour constituer une punition significative. De plus, le coût supplémentaire que représenterait la mise en oeuvre d'une capacité additionnelle à des fins punitives ne serait pas compensé par les avantages que retireraient les victimes de la tricherie en infligeant une punition. En tout état de cause, une augmentation de la capacité serait extrêmement difficile, parce qu'elle pourrait être contraire aux intérêts de ceux amenés à punir dans la mesure où la capacité ajoutée en dernière minute étant probablement de qualité inférieure (horaires de vols peu pratiques, logements de mauvaise qualité), elle serait difficile à vendre. Elle conteste également la possibilité d'utiliser des ventes bradées ou «directionnelles» contre un concurrent en tant qu'arme disciplinaire.

185 Enfin, selon la requérante, les moyens prétendument disponibles pour exercer des représailles au cours de la saison suivante ne seraient pas efficaces. En effet, compte tenu de la période de 18 mois nécessaire pour mettre en oeuvre de grosses capacités, toute tricherie détectée au cours d'une saison de vente ne pourrait être punie par des additions de capacités importantes que deux saisons plus tard. Le lien entre l'écart de l'accord et la punition serait ainsi flou.

186 La Commission fait observer, en premier lieu, pour ce qui est des mécanismes de représailles envisagés dans la Décision, qu'en n'assimilant pas l'oligopole dominant à un cartel elle n'a jamais imaginé qu'un opérateur se livre à une simple menace de représailles.

187 Ensuite, elle fait valoir que la perspective de mesures de rétorsion pendant la même saison peut être comprise comme une menace réelle et efficace, dans la mesure où les opérateurs peuvent évaluer les capacités mises sur le marché par leurs concurrents dès la publication de la première édition des catalogues, soit douze à quinze mois avant la saison des voyages (voir considérants 105 à 107 de la Décision). Une hausse de 10% des capacités devrait exercer sur les prix une forte pression à la baisse et annuler en grande partie les gains escomptés par l'opérateur «déviant».

188 Quant aux moyens d'exercer des représailles au cours de la saison suivante, contrairement à la requérante, la Commission estime qu'il est possible d'augmenter considérablement les capacités au cours de celle-ci et elle considère qu'il est faux de prétendre qu'une hausse importante n'est possible que deux saisons plus tard.

189 Quant à l'argument de la requérante selon lequel il serait irrationnel, de la part des autres opérateurs, de courir le risque d'une surcapacité générale et selon lequel, dès lors, un opérateur pourrait «tricher» en toute impunité, la Commission fait valoir qu'un tel raisonnement n'est pas applicable en l'espèce, car il sous-entend que la seule réaction possible des autres opérateurs consisterait à abandonner des parts de marché au «tricheur».

190 Enfin, la Commission rejette l'argument selon lequel la tactique de la mise à l'écart des catalogues d'un concurrent «déviant» et la pratique des ventes sélectives visant à défavoriser ses produits seraient inefficaces, car, même en s'en tenant aux chiffres de vente reciproque avancés par la requérante (16 % de ses produits seraient vendus par le biais de Thomson et de Thomas Cook), une perte potentielle pouvant atteindre un tel pourcentage des ventes représenterait une lourde menace dans une industrie caractérisée par des volumes élevés et des marges faibles.

191 Le Tribunal note que la Commission a adopté une position quelque peu ambiguë dans la Décision, car elle a souligné, tout d'abord, que l'existence d'un «mécanisme strict de représailles», qui reposerait sur la coercition, n'est pas une condition nécessaire pour qu'il y ait une position dominante collective dans la présente affaire (Décision, considérant 55; voir, également, considérant 150) tout en précisant à la fois qu'elle «ne pense pas, comme Airtours, qu'il n'y ait aucune possibilité de représailles sur le marché en cause» et que «[c]es possibilités sont au contraire considérables, ce qui ne fait que renforcer les incitations à adopter un comportement parallèle anticoncurrentiel» (Décision, considérant 55; voir, également, considérant 151).

192 Il y a lieu d'observer, à titre liminaire, que, ainsi qu'il a déjà été relevé (voir points 61 et 62 ci-dessus), dans l'analyse prospective du marché propre à toute appréciation d'une prétendue position dominante collective, une telle position ne doit pas seulement être envisagée sur un plan statique, à un instant donné, celui de la réalisation de l'opération et des modifications apportées à la structure de la concurrence, mais elle doit être également appréciée de manière dynamique, notamment en ce qui concerne sa cohérence interne, sa stabilité et le fait de savoir si le comportement parallèle anticoncurrentiel qu'elle serait susceptible d'engendrer peut se maintenir dans le temps.

193 Il importe ainsi de savoir si l'intérêt propre de chacun des principaux voyagistes (maximiser son profit en concurrençant l'ensemble des opérateurs) n'est pas de nature à prévaloir sur l'intérêt commun des membres du prétendu oligopole dominant (restreindre la capacité pour faire monter les prix et obtenir des profits supraconcurrentiels), ce qui serait le cas si l'absence de facteurs de dissuasion l'amenait à dévier de la ligne d'action commune afin, profitant de l'absence de concurrence caractérisant cette dernière, de prendre l'initiative de comportements concurrentiels et de bénéficier des avantages inhérents à ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 227 en ce qui concerne la transparence du marché, et points 276 et 281 en ce qui concerne les liens structurels).

194 La possibilité de représailles assure en quelque sorte la cohésion des membres de l'oligopole dans la durée en dissuadant chacun d'entre eux de dévier du comportement commun.

195 Dans ce contexte, la Commission ne doit pas nécessairement établir l'existence d'un «mécanisme de représailles» déterminé, plus ou moins strict, mais elle doit démontrer, en tout état de cause, l'existence de facteurs de dissuasion suffisants pour que chacun des membres de l'oligopole dominant n'ait pas intérêt à dévier du comportement commun aux dépens des autres membres de l'oligopole.

196 Les facteurs de dissuasion identifiés en l'espèce dans la Décision sont les suivants:

- le rôle dissuasif joué par la simple menace d'un retour à une situation d'offre excédentaire, l'expérience de 1995 montrant ce qui pourrait advenir si une guerre des capacités était déclenchée (Décision, considérant 151; voir, également, considérant 170);

- la possibilité d'augmenter la capacité lors de la saison des ventes, du moins jusqu'en février, de 10 % au plus (Décision, considérant 152);

- la possibilité d'ajouter des capacités additionnelles entre deux saisons, le voyagiste signalant que son comportement est une mesure de représailles contre une action donnée afin de marquer le lien entre l'écart et la sanction (Décision, 152);

- la possibilité de déréférencer ou de pratiquer des ventes sélectives aux dépens de l'opérateur déviant pendant la saison des ventes afin de le forcer à accorder des remises sur une partie plus importante de ses séjours (Décision, considérant 152; voir, également, considérant 170).

197 Il y a lieu d'observer, tout d'abord, que les caractéristiques du marché en cause et son mode de fonctionnement rendent les mesures de représailles difficiles pour intervenir dans des conditions de rapidité et d'efficacité telles qu'elles paraissent suffisamment dissuasives.

198 Ainsi, en cas de déviation ou, en d'autres termes, de tricherie, c'est-à-dire dans une situation où, par exemple, l'un des principaux voyagistes tenterait, lors de la période de planification, de tirer profit de la limitation globale de la capacité résultant du comportement parallèle anticoncurrentiel, les autres membres de l'oligopole auraient du mal à détecter cette déviation en raison du manque de transparence suffisante, sur lequel le Tribunal s'est déjà prononcé. En effet, une éventuelle déviation est difficile à détecter au stade de la planification, eu égard aux difficultés qu'il y a pour un grand voyagiste d'anticiper avec précision les décisions prises par ses principaux concurrents en matière de capacité.

199 Dans ce contexte, les facteurs de dissuasion identifiés par la Commission ne semblent pouvoir intervenir.

200 S'agissant, en premier lieu, de la simple menace d'un retour à une situation d'offre excédentaire, il y a lieu de constater que la Commission a retenu à tort son caractère dissuasif. La Commission se réfère à la crise de 1995 pour illustrer les conséquences d'une offre excédentaire sur le marché. Or, il convient de préciser que les faits de 1995 ont eu lieu dans un contexte opposé à celui envisagé en l'espèce, dans lequel tous les opérateurs - sans distinction selon leur statut de grand ou de petit voyagiste - ont, lors de la période de planification de 1994, renforcé leurs capacités pour anticiper l'augmentation de la demande globale que laissaient supposer les indicateurs du secteur et les deux années de croissance antérieures. En revanche, en l'espèce, la Commission envisage une situation dans laquelle les trois grands voyagistes, allant sensiblement au-delà de leur prudence habituelle, auraient réduit leurs capacités au-dessous des prévisions de la demande et dans laquelle une tricherie serait intervenue. C'est dans cette situation, très distincte de la situation de surcapacité de 1995, que le caractère dissuasif d'un éventuel retour à une situation d'offre excédentaire doit être examiné. Or, un tel retour ne pourrait intervenir qu'une saison plus tard et seulement si les autres membres de l'oligopole décidaient d'augmenter la capacité au-dessus des estimations de l'évolution de la demande, c'est-à-dire de façon très sensible par rapport au niveau de sous-capacité qui existerait dans le contexte de la coordination tacite envisagée par la Commission.

201 En deuxième lieu, la possibilité d'augmenter la capacité lors de la saison des ventes ne saurait constituer un facteur de dissuasion pour les raisons suivantes.

202 Premièrement, comme la Décision elle-même le met en exergue, ce marché se distingue par une tendance naturelle à la prudence en matière de décisions sur la capacité (voir considérants 60 à 66, 97 et 136 de la Décision), compte tenu du fait que l'adaptation de la capacité à la demande constitue l'un des critères cruciaux de rentabilité, les vacances à forfait étant des biens périssables (Décision, considérant 60).

203 Deuxièmement, dans ce marché, la décision de s'écarter de la position commune en augmentant la capacité lors de la saison des ventes interviendrait à un stade qui la rendrait difficilement décelable en temps utile. En outre, quand bien même les autres membres de l'oligopole parviendraient à détecter le comportement déviant, leur éventuelle réaction consistant à augmenter la capacité à titre de représailles ne pourrait pas avoir lieu de manière suffisamment rapide et efficace, dans la mesure où elle ne peut intervenir - comme il est reconnu implicitement dans la Décision - lors de la même saison que de manière très limitée, avec des limites de plus en plus fortes au fur et à mesure du déroulement de la saison des ventes (dans les meilleures hypothèses la capacité pouvant être augmentée seulement de 10 % jusqu'au mois de février pour la saison d'été à venir) (voir Décision, considérants 152 et 62).

204 Enfin, il est permis de considérer que, sachant que les auteurs des représailles risquent d'avoir du mal à vendre les vacances à forfait rajoutées au dernier moment en raison de la qualité inférieure de tels produits (horaires de vols peu pratiques, logements de mauvaise qualité), les autres membres de l'oligopole dominant se montreraient hésitants à procéder à de telles augmentations de la capacité à titre de représailles. La capacité ainsi créée ne paraît pas à même de concurrencer efficacement celle qui aurait été rajoutée par l'opérateur déviant dès la période de planification, dès lors qu'elle est à la fois tardive et de moindre qualité. L'opérateur déviant bénéficierait ainsi des avantages liés au fait d'avoir agi le premier.

205 En troisième lieu, et en ce qui concerne la possibilité d'augmenter la capacité au cours de la saison suivante ou le fait que des capacités puissent venir s'ajouter entre deux saisons (considérant 152 de la Décision in fine), il convient de relever qu'elle risque d'être inefficace, en tant que mesure de représailles, compte tenu de l'évolution imprévisible de la demande d'une année sur l'autre et du temps nécessaire à la mise en oeuvre d'une telle mesure.

206 En quatrième lieu, une action de représailles des autres membres de l'oligopole au niveau de la distribution (par le biais de déréférencements ou de ventes sélectives) ne concernerait, dans l'hypothèse où elle viserait Airtours, que 16 % environ de ses ventes [dont moins de 10 % réalisées par le biais de Lunn Poly (Thomson) et seulement 6 % par le biais de Thomas Cook]. Comme la requérante le fait valoir, de telles réactions des sources secondaires de l'offre ne représenteraient pas des contrepoids suffisamment importants. Au surplus, de telles représailles impliqueraient une perte économique pour ses auteurs, qui devraient renoncer aux commissions versées par Airtours pour les ventes effectuées dans les réseaux d'agences de voyages de ses principaux concurrents. Le caractère dissuasif d'une telle action de représailles n'est donc pas aussi important que le laisse entendre la Décision.

207 Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la Commission a estimé que les éléments avancés aux considérants 151 et 152 de la Décision constitueraient, dans les circonstances de l'espèce, des facteurs de dissuasion suffisants pour inciter l'un des membres de l'oligopole dominant à ne pas s'écarter de la ligne d'action commune.

4. Sur la sous-estimation de la réaction prévisible des petits voyagistes, des concurrents potentiels et des consommateurs comme contrepoids suffisant pour empêcher la stabilité du prétendu oligopole dominant

208 La requérante fait valoir que la Commission a sous-estimé la réaction prévisible des petits voyagistes (également appelés «voyagistes indépendants» ou «opérateurs secondaires»), des concurrents potentiels (notamment ceux qui proposent des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations lointaines) et des consommateurs en tant que contrepoids susceptibles de contrecarrer la création d'une position dominante collective, laquelle n'est pas envisageable si les grands voyagistes ne disposent pas, ensemble, du pouvoir d'agir, dans une mesure appréciable, indépendamment des autres concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs.

209 La Commission réplique que, pour pouvoir faire face à une restriction concertée des capacités décidée par les membres de l'oligopole, il serait nécessaire qu'un grand nombre de très petits opérateurs augmentent leurs capacités dans des proportions considérables, ce qui ne serait pas possible eu égard à leur taille actuelle. Elle souligne également que les obstacles à l'accès au marché et à la croissance au-delà d'une certaine taille empêchent les opérateurs de plus petite taille et les nouveaux venus de défier avec succès la puissance des voyagistes intégrés et leur possibilité de fixer la capacité à un niveau inférieur à celui de l'équilibre concurrentiel. Ainsi, les opérateurs secondaires ne seraient pas en mesure de fournir des capacités suffisantes pour satisfaire une demande supplémentaire éventuelle du fait d'importants obstacles qu'ils rencontreraient pour se développer.

210 À titre préalable, il importe de rappeler que, pour démontrer à suffisance de droit l'existence d'une position dominante collective dans la présente affaire, la Commission devait également établir que la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune des grands voyagistes. En l'espèce, cela signifie que la réduction par les grands voyagistes de la capacité mise sur le marché à des fins anticoncurrentielles, c'est-à-dire, au-delà de ce qui est requis pour s'adapter à l'évolution anticipée de la demande, ne doit pas être contrebalancée par la réaction de leurs concurrents actuels, les petits voyagistes, de leurs concurrents potentiels, les voyagistes présents dans d'autres pays ou sur le marché des destinations lointaines, et de leurs clients, les consommateurs britanniques, de nature à contrer la viabilité de l'oligopole dominant.

a) Sur la réaction possible des concurrents actuels: les petits voyagistes

i) Observations liminaires sur la question de la taille des petits voyagistes

211 Aux points 77 et 78 de la Décision, la Commission expose que la possibilité pour la «frange» des petits fournisseurs d'opposer une concurrence effective aux quatre grands voyagistes est encore réduite par l'absence d'intégration verticale et par leur petite taille, laquelle a notamment pour effet qu'ils ne peuvent obtenir les mêmes économies d'échelle et de gamme que les grands voyagistes.

212 À cet égard, il y a lieu d'observer tout d'abord que la Commission (défense, point 103) admet que, ainsi que l'expert de la requérante, le professeur Neven, l'a exposé dans le cadre de la procédure administrative, le secteur des voyages à forfait est un secteur dans lequel des stratégies commerciales alternatives peuvent fournir des résultats probants et dans lequel il peut n'y avoir que peu de place pour des voyagistes de taille intermédiaire. En effet, selon cet expert, d'une part, les entreprises peuvent fonctionner à petite échelle et acheter sur les marchés libres la capacité (places d'avion et lits d'hôtel) dont elles ont besoin pour pouvoir offrir les vacances à forfait. D'autre part, les entreprises peuvent alternativement décider de vendre un gros volume de vacances à forfait. Ces entreprises vont toutefois trouver risqué d'acheter des larges volumes de capacité, notamment en places d'avion, sur les marchés libres, raison pour laquelle il leur est nécessaire de s'intégrer verticalement, au moins dans les services de transport aérien. Cette stratégie commerciale alternative ne mène pas nécessairement à des coûts inférieurs et à un avantage concurrentiel systématique par rapport aux petites entreprises. Elle est aussi intrinsèquement plus risquée que la stratégie consistant à demeurer petit et à acheter de la capacité sur les marchés libres.

213 Or, il convient de préciser que la question n'est pas ici de savoir si un petit voyagiste peut atteindre la taille nécessaire pour pouvoir concurrencer de manière effective les voyagistes intégrés en leur disputant leurs places d'opérateurs principaux. Mais il s'agit de déterminer si, dans le contexte anticoncurrentiel envisagé par la Commission, les centaines de petits voyagistes existant déjà sur le marché, globalement considérés, peuvent réagir efficacement à une réduction de la capacité mise sur le marché par les grands voyagistes au-dessous des estimations de l'évolution de la demande en augmentant leur capacité pour profiter des opportunités offertes par une telle situation de sous-capacité globale et s'ils peuvent contrecarrer ainsi la création d'une position dominante collective.

214 Dans ces circonstances, pour démontrer que les petits voyagistes ne pourraient efficacement contrer la création d'une position dominante collective, la Commission ne saurait se limiter à relever le fait, non contesté par les parties, que, dans le contexte actuel du marché en cause, pour faire concurrence de manière effective aux voyagistes intégrés, un voyagiste secondaire doit atteindre une taille minimale lui permettant d'opérer à une échelle suffisante et doit donc arriver à un certain degré d'intégration verticale. Les arguments de la Commission tendant à mettre en exergue les difficultés pour les petits voyagistes d'atteindre la taille minimale pour pouvoir concurrencer de manière effective les quatre grands voyagistes sont donc inopérants en ce qui concerne l'évaluation des possibilités des petits voyagistes et des nouveaux entrants d'augmenter leur capacité afin de profiter de l'opportunité des pénuries de produits, qui interviendraient, selon la Commission, en cas d'autorisation de l'opération.

215 En outre, comme la requérante l'a souligné, malgré les nombreuses acquisitions de petits voyagistes par les grands voyagistes intervenues dans la dernière décennie, les petits voyagistes continuent à être très nombreux (plusieurs centaines) avec une régénération continue par l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs et, enfin, constituent toujours une partie significative du marché.

216 C'est donc à la lumière de ces considérations qu'il convient de déterminer si les petits voyagistes peuvent en l'espèce mettre en place des capacités additionnelles suffisantes pour contrer une éventuelle limitation de la capacité mise sur le marché par les grands voyagistes.

ii) Sur la possibilité pour les petits voyagistes de mettre en place des capacités additionnelles

217 À titre préalable, il y a lieu de constater qu'en l'espèce les membres du prétendu oligopole dominant ne contrôlent pas individuellement ou collectivement les marchés des matières premières ou des services nécessaires à la préparation et à la distribution du produit en cause. À ce sujet, il ressort de la Décision (considérants 5 à 42) que, outre le marché des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches, la Commission a examiné les effets de la concentration en amont, sur le marché de la fourniture de places d'avion sur les vols charters vers des destinations proches, et en aval, sur le marché des agences de voyages, sans conclure pour autant que la réalisation de l'opération entraînerait la création d'une position dominante collective par les trois derniers concurrents sur ces marchés en amont et en aval, ni que l'entreprise résultante (Airtours/First Choice) jouirait d'une position dominante individuelle.

218 En premier lieu, il est à noter que la requérante a fourni sans contestation de la Commission plusieurs exemples de petits voyagistes ayant mis en oeuvre des capacités additionnelles en réponse à des opportunités offertes par des évolutions inattendues du marché. Ainsi, en 1996 (à la suite des difficultés liées à la crise de 1995), les trois plus grands voyagistes de l'époque ont réduit ou gelé leur capacité, alors que plusieurs petits voyagistes ont entrepris une expansion significative, tels Virgin Holidays (+ 28 %), Kuoni Travel (+ 20 %), Direct Holidays (+ 68 %) ou Sun Express (+ 109 %).

219 En deuxième lieu, la requérante a relevé sans contestation de la Commission que les petits voyagistes tendent à fixer leur capacité après que les grands voyagistes ont pris leurs principales décisions en la matière et qu'ils peuvent encore, dans une certaine mesure et comme tout voyagiste, augmenter leur capacité par la suite.

220 En troisième lieu, il ressort également du dossier que plusieurs petits voyagistes ont manifesté leur intention d'améliorer leur part de marché, ce qui permet d'en déduire qu'ils sont, en tout état de cause, très enclins à saisir rapidement les opportunités qu'entraîneraient des restrictions de la capacité de la part des principaux voyagistes, étrangères à l'évolution prévisible de la demande.

221 Au considérant 85 de la Décision, la Commission répond à l'argument exposé par la requérante lors de la procédure administrative, selon lequel des opérateurs secondaires comme Cosmos et Virgin Sun devaient être considérés comme de probables grands concurrents à l'avenir, car ils auraient l'intention d'étendre leurs activités. La Commission a répondu en indiquant «qu'aucune de ces sociétés n'est susceptible de menacer les grands opérateurs dans un avenir prévisible», parce que Cosmos (Monarch), d'une part, dépend fortement des grands opérateurs en tant qu'acheteurs de places d'avion et n'est pas intégré verticalement avec des agences de voyages, et parce que Virgin Sun, d'autre part, a des activités actuellement très réduites et ne dispose pas non plus de ses propres agences de voyages. Elle souligne, enfin, que Virgin Sun a eu des difficultés considérables à conclure des contrats d'hébergement dans les lieux de séjour proches les plus importants.

222 Or, ces considérations de la Commission ne sauraient renforcer sa thèse dans la mesure où ce qui importe est de savoir comment les petits voyagistes sont susceptibles de réagir à l'avenir dans l'hypothèse d'une diminution infraconcurrentielle de la capacité mise sur le marché par les trois derniers grands voyagistes. Au contraire, elles témoignent d'une volonté claire de ces deux voyagistes secondaires de profiter de toute opportunité offerte par le marché.

223 Ainsi, d'une part, le fait que Cosmos (Monarch) tendrait actuellement à privilégier les grands voyagistes par rapport aux petits en termes de ventes de places d'avion ne saurait permettre à la Commission d'établir qu'en cas de limitation de la capacité à un niveau infraconcurrentiel cet opérateur ne privilégierait pas son intérêt propre aux dépens de celui des membres du prétendu oligopole dominant. Enfin, le nouveau dirigeant du voyagiste Cosmos a déclaré avoir l'intention de faire passer la part de marché de cette entreprise de 3,5 à 5 % en deux ans. À cet effet, Cosmos dispose de licences ATOL pour 1,1 million de passagers (ATOL, Air Travel Organisers' License, licence délivrée par la Civil Aviation Authority).

224 D'autre part, pour les mêmes raisons, les difficultés qu'aurait eu Virgin Sun à conclure des contrats d'hébergement pour certaines destinations proches seraient facilement réglées si les grands opérateurs diminuaient leur demande de chambres. Il ressort d'une lettre datée le 16 août 1999 de Virgin Sun à la Commission, versée au dossier dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, qu'il est facile d'obtenir des lits en quantité et en qualité suffisantes dans la plupart des destinations méditerranéennes sauf dans les plus demandées, comme les îles Baléares, où les grands voyagistes négocient de plus en plus de contrats de longue durée avec les hôteliers, rendant difficile pour les petits de trouver les places souhaitées. Cependant, il ressort également de cette lettre que des voyagistes comme Virgin Sun sont attentifs pour essayer de saisir toutes les opportunités qui pourraient se présenter sur ces marchés plus demandés. Dès lors, si les grands voyagistes devaient ne pas utiliser les lits contractés dans leurs tentatives de restreindre la capacité, les petits voyagistes seraient rapidement à même de les contracter afin d'élargir la quantité de vacances à forfait mise sur le marché. Il convient de rappeler, enfin, que Virgin Sun est le voyagiste proposant des vacances vers des destinations proches récemment lancé par le Virgin Travel Group, qui offre depuis mai 1999 des voyages organisés vers les destinations les plus demandées, à savoir Corfou, la Costa Blanca, la Costa del Sol, Majorque, Minorque, Ibiza, le Portugal, Rhodes, la Grande Canarie, Tenerife et la Turquie, avec des vols au départ des aéroports de Londres Gatwick et de Manchester et que, selon le président du Virgin Travel Group, l'objectif de Virgin Sun est d'atteindre la part de marché de Thomson d'ici dix ans. Il est à noter que le Virgin Travel Group dispose de licences ATOL pour 400 000 passagers.

225 Enfin, British Airways Holidays (375 000 licences ATOL en 1999) et Kuoni (230 000 vacances organisées vendues au Royaume-Uni en 1998), deux concurrents présents sur le marché des vacances organisées vers des destinations proches disposant d'importants moyens financiers, seraient également susceptibles d'augmenter rapidement leur capacité si les grands voyagistes tentaient de mettre en oeuvre une position dominante collective.

226 En quatrième lieu, il convient de noter qu'une étude de la présence d'une sélection de 59 petits voyagistes sur plusieurs destinations proches, douze parmi les plus demandées, desservies par les grands voyagistes, communiquée lors de la procédure administrative, et non contestée par la Commission, montre que toutes ces destinations sont desservies par au moins quatre petits voyagistes; que les destinations les plus populaires, telles Corfou, Rhodes, Majorque ou l'Espagne continentale sont desservies par un grand nombre d'entre eux (de 20 à 30 petits voyagistes) et que plusieurs petits voyagistes (tels Cosmos, Manos ou Virgin Holidays) desservent pratiquement toutes les destinations (voir tableau 1 de l'annexe 8 à la requête, rapport du professeur D. Neven, commis comme expert par la requérante, intitulé «La concurrence sur le marché des vacances à forfait à l'étranger au Royaume-Uni, une analyse économique», juillet 1999). Cette étude montre également que les petits voyagistes offrent des produits similaires (en termes de nuitées et de services) et des prix comparables, voire même meilleurs que ceux proposés par les grands voyagistes.

227 En cinquième lieu, et contrairement à ce que soutient la Commission au considérant 83 de la Décision, il ressort de cette étude, qui n'est pas contestée par la Commission, que les petits voyagistes réussissent normalement à obtenir des conditions similaires à celles des grands voyagistes pour l'hébergement dans les destinations proches. Cette étude examine 20 hôtels situés dans des destinations proches et populaires et compare les prix obtenus par Airtours avec ceux qui ont été obtenus par Panorama et Direct, deux petits voyagistes indépendants qui ont par la suite été acquis par Airtours; elle montre que ces prix sont similaires et que, dans certains cas, les plus petits opérateurs ont obtenu de meilleures conditions qu'Airtours alors que cette dernière réservait beaucoup plus de nuits que ces petits voyagistes.

228 Il s'ensuit que, dans le cas de figure envisagé, les petits voyagistes tenteraient de mettre en oeuvre des capacités additionnelles. Toutefois, l'analyse de leur possibilité de le faire requiert d'examiner plus précisément s'ils disposeraient d'un accès satisfaisant aux marchés des sièges d'avions et des agences de voyage.

iii) Sur l'accès des petits voyagistes aux places d'avion

229 La Décision expose que les petits voyagistes ne disposent pas d'un accès satisfaisant aux places d'avion et que la réalisation de l'opération envisagée aggraverait cette situation (Décision, considérants 78, 79 et 83 in fine). Leur petite taille aurait pour effet qu'ils ne peuvent obtenir les mêmes économies d'échelle et de gamme que les grands voyagistes. Ainsi, ils ne pourraient assurer à une compagnie de charters un remplissage total de l'avion (sauf, peut-être, pendant quelques jours en haute saison), ce qui accroît le risque, pour la compagnie aérienne, de devoir effectuer le vol avec un taux de remplissage moins intéressant. Par conséquent, la compagnie aérienne facturerait probablement aux petits opérateurs un prix par place supérieur à celui qu'elle pratique avec les grands, afin d'intégrer ce risque accru (Décision, considérant 78). De petits voyagistes auraient signalé qu'ils éprouvaient d'ores et déjà des difficultés à obtenir des places aux dates souhaitées (en particulier le week-end) et dans les grands aéroports touristiques (Gatwick et Manchester). Des voyagistes (et des compagnies aériennes) auraient indiqué qu'ils devaient offrir des départs dans ces deux aéroports pour pouvoir accéder aux principales zones de localisation de la clientèle et proposer ainsi une couverture «nationale» crédible, sans quoi leurs perspectives de dépasser le stade de petit concurrent seraient maigres. (Décision, considérant 79).

230 Au considérant 80 de la Décision, la Commission ajoute ce qui suit:

«[L]es grands voyagistes détiennent déjà une puissance de marché considérable en ce qui concerne la vente de places d'avion aux opérateurs indépendants. Un voyagiste aurait ainsi fait remarquer que Monarch, le seul gros fournisseur du secteur indépendant qui subsisterait après l'opération, avait déjà tendance à satisfaire d'abord les besoins des grands voyagistes, qui représentent ensemble plus de la moitié de ses ventes à des tiers, avant de réfléchir à l'offre disponible pour les indépendants, et que ce transporteur refusait ne serait-ce que d'examiner le programme de l'année suivante avec l'opérateur concerné avant d'avoir reçu communication des besoins des grands voyagistes.»

231 Le Tribunal observe, en premier lieu, qu'il ressort du tableau 2 de la Décision (considérant 159) exposant les parts de marché des principaux fournisseurs de places d'avion à des tiers (données qui incluent toutes les ventes à des tiers, comprenant les ventes aux et entre grands voyagistes ainsi que les ventes aux petits voyagistes) que, une fois l'opération réalisée, Airtours/First Choice serait à même de contrôler moins d'un quart de l'offre de places d'avion aux tiers et que les trois grands voyagistes ensemble offriraient moins de la moitié, étant précisé que Thomson n'est que très peu présent sur ce marché. Il en résulte que l'essentiel des besoins des tiers en places d'avion serait toujours satisfait par des acteurs indépendants des grands voyagistes. Cette situation offre certaines garanties aux petits voyagistes, dès lors que seuls deux des trois grands voyagistes sont présents de manière significative sur ce marché et que les tiers indépendants représentent une source importante de places d'avions.

232 Aucun élément ne permet de conclure que cette situation serait altérée substantiellement par les effets de la concentration, contrairement à ce que prétend la Commission, qui craint qu'une probable rationalisation encore plus poussée des sièges d'avion par l'entité fusionnée, composée par la requérante et First Choice, n'exacerbe les problèmes des petits, en réduisant le nombre de sièges disponibles. Comme le fait valoir la requérante, la fusion n'aurait pas de conséquences négatives sur la disponibilité de sièges d'avion pour des tiers: si Airtours et First Choice prenaient plus de sièges d'avion à l'intérieur du groupe résultant de la concentration (ce qui écarterait des voyagistes tiers, qui volent actuellement sur Airtours International et Air 2000), il y aurait une libération correspondante de sièges sur des lignes aériennes tierces précédemment réservées par Airtours et First Choice. Ce raisonnement avait d'ailleurs été suivi par la Commission elle-même dans sa décision Westdeutsche Landesbank/Carlson/Thomas Cook du 8 mars 1999 (affaire IV/M.1341) (JO C 102, p. 9, point 36), dans laquelle elle avait affirmé que, «dans la mesure où l'entité combinée Thomas Cook pourrait réorienter sa stratégie pour utiliser de la capacité de lignes charters à l'intérieur du groupe (par exemple celle disponible sur Caledonian) plutôt que d'acheter de la capacité chez des tiers, cela libèrerait cette capacité chez les tiers et la rendrait disponible pour des clients qui avaient jusqu'alors acheté auprès de Flying Colours ou de Caledonian». Or, la Commission n'a pas avancé d'arguments convaincants pour démontrer que la logique sous-jacente à ce raisonnement ne serait plus valable en l'espèce.

233 De même, s'agissant des considérations exposées au considérant 80 de la Décision, il suffit de constater que la requérante a fait valoir sans contestation de la Commission au cours de la procédure devant le Tribunal que Monarch a témoigné de ce qu'elle ne favorise pas les grands voyagistes aux dépens des plus petits et qu'elle a reconnu, en fait, que la fusion Thomas Cook/Carlson a augmenté sa dépendance par rapport à des voyagistes tiers n'ayant pas leurs propres lignes charters, comme l'aurait fait la fusion Airtours/First Choice.

234 En second lieu, le Tribunal relève que, ainsi que l'a fait valoir la requérante, le témoignage de l'un des principaux courtiers en places d'avion, Hunt & Palmer, dont l'activité consiste à faire correspondre l'offre et la demande en vendant aux voyagistes la capacité «restante» que les transporteurs aériens souhaitent commercialiser (annexe 39 à la requête), montre que les petits voyagistes peuvent obtenir des places d'avion pour une saison (ou pour une période plus courte) avec un départ le week-end auprès de quatre sources: les transporteurs aériens étrangers, les compagnies aériennes régulières, les transporteurs à coûts réduits et les compagnies de charters indépendantes basées au Royaume-Uni. Il convient de préciser qu'il existe au moins quinze courtiers indépendants au Royaume-Uni et que la Commission n'a pas contesté ce témoignage.

235 Les arguments présentés par la Commission pour écarter la viabilité de ces sources d'approvisionnement ne sont pas convaincants.

236 La première source est celle des transporteurs aériens étrangers basés à l'aéroport de destination (tels Spanair, Air Europa ou Futura).

237 La Commission estime que ces transporteurs n'offrent pas une solution viable, dans la mesure où ils ont des difficultés à obtenir des créneaux horaires suffisants aux heures adéquates dans les principaux aéroports britanniques, notamment à Gatwick. De plus, comme leur flotte n'est pas basée dans les aéroports britanniques, les avions devraient effectuer leur vol aller vers le Royaume-Uni le matin et leur vol retour le soir, ce qui impliquerait, pour les clients, des vols aller tard le soir et des vols retour tôt le matin. Or, de tels horaires réduiraient considérablement la durée effective des vacances, ce qui ne serait pas apprécié par les consommateurs. Cependant, cet argument est contredit par le témoignage de Hunt & Palmer selon lequel des rotations peuvent être effectuées depuis Gattwick.

238 En tout état de cause, ce qui importe ici est de déterminer si, dans un contexte de sous-capacité de vacances à forfait offertes, les petits voyagistes pourraient obtenir des places d'avion additionnelles dans des conditions raisonnables et non de savoir s'ils peuvent disposer des meilleurs aéroports de départ et des meilleurs horaires. À cet égard, il importe de rappeler que la Commission n'a pas jugé utile de procéder à des subdivisions plus étroites des marchés britanniques des vacances organisées vers des destinations proches et de la fourniture aux voyagistes de places sur les vols charters, sur le critère, par exemple, des régions ou des aéroports de départ. Au contraire, il doit être observé que la Commission a considéré dans la Décision (considérant 45) qu'il y a une uniformité relative des prix et des coûts, qui permet de penser qu'il existe un degré de chevauchement suffisant entre les marchés régionaux ou locaux possibles pour qu'ils soient considérés, aux fins de la présente affaire, comme constituant un marché national unique du point de vue de la demande (si l'on raisonne en termes de «chaîne de substitution»). La Commission est parvenue à une telle conclusion (considérant 45), après avoir évoqué le fait que les consommateurs préfèrent partir d'un aéroport plus proche de l'endroit où ils vivent, après avoir souligné que, du fait des taxes d'atterrissage et d'autres facteurs connexes, les prix au départ de certains petits aéroports régionaux sont souvent plus élevés que ceux au départ des grands aéroports de vacances (Londres Gatwick et Manchester) et après avoir estimé, toutefois, que le supplément facturé (ou la remise proposée) est généralement relativement faible par rapport au prix total des vacances, notamment si l'on tient compte du coût supplémentaire du voyage par la route vers un aéroport moins cher, mais plus éloigné. Il en est de même du point de vue de l'offre, dans la mesure où la Commission estime (Décision, considérant 45) que les voyagistes commercialisent leurs produits à l'échelle nationale, sans qu'ils soient très différents, ni du point de vue du prix ni d'un autre point de vue, pour les consommateurs vivant dans les différentes régions. En outre, les voyagistes et les transporteurs aériens peuvent, en général, facilement déplacer les avions et les vols entre les différents aéroports, à l'exception de Gatwick, où la disponibilité est limitée (Décision, considérant 46).

239 Quant à l'argument de la Commission selon lequel les avions utilisés par les transporteurs aériens étrangers doivent généralement effectuer leur vol aller vers le Royaume-Uni le matin et leur vol retour le soir, ce qui constituerait un handicap pour le consommateur, il y a lieu de constater que cet argument manque en fait, dès lors que la durée moyenne de vol vers une destination européenne est d'environ deux heures. Les transporteurs établis aux aéroports de destination peuvent ainsi effectuer plusieurs rotations dans la même journée et effectuer, par exemple, le matin, un premier vol Espagne-Royaume-Uni et un second vol Royaume-Uni-Espagne et, le soir, un premier vol Espagne-Royaume-Uni et un second vol Royaume-Uni-Espagne.

240 Enfin, il doit être relevé que la requérante a fait valoir, lors de la procédure administrative, sans contestation de la Commission, que les transporteurs basés sur les aéroports de destination ont fourni plus d'un million de sièges en 1998 (la dernière année pour laquelle des données étaient disponibles à l'époque de la Décision) pour des vacanciers ayant acheté des vacances à forfait et des vacanciers n'ayant acheté que des vols «secs» et que le nombre de sièges fournis par les transporteurs basés à destination a crû rapidement au cours des dernières années.

241 Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la Commission, ces transporteurs pourraient remplir un rôle important si les petits voyagistes tentaient d'augmenter le nombre de vacances à forfait si l'occasion se présentait.

242 La deuxième source est celle des compagnies aériennes régulières (telles Debonair, Flightline ou CityFlyer), dont le taux de remplissage est faible le week-end en l'absence de voyageurs d'affaires.

243 La Commission considère que les places fournies par les compagnies régulières reste un facteur marginal au Royaume-Uni, où British Airways ne consacre qu'une faible proportion de ses capacités à ce type de vols. Les raisons seraient les prix supérieurs, le fait que les compagnies régulières n'exploitent pas des vols directs vers des destinations de vacances, le manque de sièges disponibles et la rigidité des horaires.

244 Toutefois, ces éléments ne sont pas de nature à constituer des obstacles significatifs pour les petits voyagistes désirant augmenter leur capacité. En ce qui concerne les différences de prix, il convient de relever que la part représentée par les frais de transport aérien dans les vacances à forfait reste marginale. Par exemple, le prix en août d'un vol Liverpool-Malaga sur EasyJet était de 108 GBP et celui d'un vol Stansted-Malaga sur Go était de 140 GBP, alors que le prix des vacances à forfait de quatorze jours en août à Marbella en Espagne était de 1 598 GBP pour Virgin Holidays, de 1 698 GBP pour Bath Travel et de 1 738 GBP pour Airtours (requête, annexe 8, tableau 2, et annexe 40). La part du transport représente donc, en toute hypothèse, moins de 10 % du prix des vacances à forfait. À cet égard, la requérante a communiqué un tableau (tableau 5 du rapport d'expertise économique, annexe 8 à la requête) lors de la procédure administrative comparant les prix d'un vol régulier et ceux d'un vol charter pour différentes destinations à différentes dates. Ce tableau a été préparé à partir de données obtenues auprès de Panorama, un petit voyagiste récemment acquis par Airtours. Il est permis de penser que des données similaires peuvent être obtenues auprès d'autres petits voyagistes. Il ressort du rapport d'expertise économique que la différence de prix oscille entre 20 et 30 GBP, ce qui n'a en définitive qu'une très faible incidence sur le prix des vacances à forfait et donc sur la compétitivité des petits voyagistes utilisant les vols réguliers. À ce propos, il convient de noter que la différence de prix s'explique essentiellement par l'obligation de payer les taxes d'aéroport en cas de vols réguliers.

245 En ce qui concerne les conditions susceptibles d'être proposées par les compagnies régulières, notamment en termes de dates et de créneaux horaires, il convient de noter que deux des cinq exemples cités par la requérante, à partir de données recueillies auprès de Panorama pour la période précédant son acquisition, montrent qu'il est possible d'obtenir des départs le samedi ou le dimanche. De même, la déclaration de Hunt & Palmer met en évidence que tout l'intérêt du travail du courtier en places d'avion tient précisément à sa capacité à trouver des vols partant le week-end. En outre, la Décision elle-même (note de bas de page 38) relève que British Airways propose certains vols charters complets à partir d'aéroports britanniques régionaux les week-ends en utilisant les avions dont elle n'a pas besoin pour ses vols réguliers à ce moment-là. Pour ce qui est, ensuite, des aéroports de départ, il convient de renvoyer à ce qui a été jugé antérieurement au sujet des transporteurs aériens étrangers. Pour ce qui est, enfin, du point de savoir si le fait d'acheter seulement une partie des places d'un avion et non la totalité constitue un handicap significatif, il y a lieu de relever que les exemples de prix pratiqués par les courtiers communiqués par la requérante démontrent que la différence de prix est minime (moins de 10 %) et que le prix d'une place acquise dans le cadre de l'achat d'une partie seulement des places d'un avion peut s'avérer moins cher que le prix d'une place acquise dans le cadre de l'achat de la totalité des places d'un avion (voir rapport du professeur Neven en annexe 8 à la requête).

246 S'agissant du nombre limité de destinations desservies par les compagnies régulières, il convient de relever qu'en dehors des principales destinations touristiques situées en Espagne les compagnies régulières citées par la requérante desservent également le sud de la France et l'Italie. En tout état de cause, les transporteurs aériens étrangers semblent à même de compenser, le cas échéant, l'absence de desserte des autres destinations par les compagnies régulières.

247 Il découle de ce que précède que, contrairement à ce que soutient la Commission, les compagnies régulières peuvent être utilisées par les petits voyagistes pour augmenter efficacement leur capacité de manière à contrer les éventuelles restrictions imposées par les principaux voyagistes.

248 La troisième source est celle des transporteurs à coûts réduits (tels Ryanair ou Go), dont les capacités ont beaucoup augmenté ces dernières années et qui sont à même de proposer des services sur mesure. Or, il convient d'observer que la requérante a fourni une carte reprenant les principales destinations desservies par des transporteurs à coûts réduits (requête, annexe 40), dont il ressort que les principales destinations de la côte méditerranéenne espagnole sont desservies au moins par une compagnie, ou souvent par deux, voire trois: Barcelone (depuis l'aéroport de Luton par Debonair, depuis l'aéroport de Liverpool par EasyJet, depuis l'aéroport de Gatwick par AB Airlines); Palma (depuis l'aéroport de Luton par EasyJet, depuis l'aéroport de Stansted par Go); Ibiza (depuis l'aéroport de Stansted par Go); Alicante (depuis l'aéroport de Stansted par Go) et Malaga (depuis l'aéroport de Liverpool par EasyJet, depuis l'aéroport de Stansted par Go).

249 La quatrième source est celle des compagnies de charters indépendantes basées au Royaume-Uni (telles Monarch, mais aussi European Air Charter, British World ou Titan), qui utilisent également des petits avions à faible coût d'exploitation. Or, étant donné que celles-ci représentent plus de 50 % de l'offre disponible dans le marché pour la fourniture de sièges à des tiers sur des vols charters (voir tableau 2 de la Décision, considérant 159), il y a lieu de conclure que, contrairement à ce que prétend la Commission, ces compagnies disposent d'une capacité suffisante pour constituer une source d'approvisionnement crédible pour les petits voyagistes.

250 Enfin, la Commission n'a pas pris en considération le fait que, pour les voyagistes intégrés, il est essentiel de remplir au maximum leurs avions s'ils veulent assurer la viabilité de leur activité. Leurs flottes étant une partie très importante de leurs coûts fixes, les compagnies aériennes des grands voyagistes seront tentées de proposer aux petits voyagistes les places qui resteront vides dans l'hypothèse visée par la Commission d'une réduction sensible de la capacité par les grands voyagistes.

251 Il ressort de ce que précède que la Commission a estimé à tort que les petits voyagistes n'auraient pas un accès aux sièges des avions dans des conditions satisfaisantes pour tenter d'augmenter leur capacité afin de profiter des opportunités créées par les pénuries de produits qui interviendraient dans le contexte anticoncurrentiel envisagé par elle en cas d'autorisation de l'opération.

iv) Sur l'accès des petits voyagistes à la distribution

252 La Commission évoque aux considérants 81 et 82 de la Décision certaines difficultés auxquelles se trouveraient confrontés les petits voyagistes, telles les conditions discriminatoires qu'ils subissent au sein des agences des grands voyagistes intégrés en ce qui concerne le taux de commission, les ventes préférentielles des produits de ces derniers, la présentation des brochures et les promotions, ce qui les empêcherait d'exercer une concurrence effective à l'égard des grands voyagistes.

253 La requérante critique la thèse de la Commission selon laquelle l'intégration verticale des principaux voyagistes a réduit l'accès à la distribution, parce que, selon elle, une intégration verticale ne produit un effet éliminatoire inacceptable que s'il existe un pouvoir horizontal sur le marché au niveau de la distribution, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.

254 La Commission fait valoir que les grands voyagistes contrôlent toutes les grandes chaînes nationales d'agences de voyages et la plupart des points de vente. Dans ces agences, les autres opérateurs seraient soumis à la vente préférentielle, à savoir au traitement de faveur accordé aux produits de la société mère, ce qui constituerait un obstacle majeur à l'accès au marché et à la croissance des petits voyagistes. Pour ce qui est des autres canaux de distribution tels que la distribution par le biais des centres téléphoniques et Internet, la Commission soutient qu'ils ne constituent pas encore des substituts viables aux agences de voyages, comme en témoigneraient les efforts des principaux opérateurs, dont First Choice, pour établir ou acquérir des chaînes d'agences de voyages.

255 Il y a lieu de rappeler qu'ici il ne s'agit pas de la question de la taille nécessaire pour disputer les places principales aux grands voyagistes, mais de déterminer si, dans le contexte anticoncurrentiel envisagé par la Commission, les petits voyagistes existant déjà sur le marché pourraient accéder dans des conditions satisfaisantes au marché de la distribution et vendre auprès des consommateurs des quantités plus importantes de leurs vacances à forfait. Or, il ressort d'une simple analyse de la Décision que, ainsi que la requérante le soutient, tel est le cas.

256 Tout d'abord, il convient de noter que, ainsi que la Commission l'a signalé au considérant 32 de la Décision, la concentration ne devrait pas aboutir à la création ou au renforcement d'une position dominante dans le secteur des services d'agent de voyages dans son ensemble, que l'on y inclue ou non les ventes directes de vacances à forfait par les voyagistes ou les ventes à distance (c'est-à-dire par téléphone), la part cumulée des parties sur le marché des services d'agent de voyages, en termes de nombre de points de vente, étant faible (environ 15 %).

257 Ensuite, il ressort de la Décision (considérant 81), que près de 40 % de toutes les vacances à forfait à l'étranger vendues par l'intermédiaire des agents de voyages sont vendues par le biais d'agences indépendantes. En second lieu, la Commission elle-même reconnaît (considérant 31) que d'autres méthodes de distribution existent et sont en train de se développer fortement, telle la vente directe par téléphone ou par Internet, lesquelles représentent déjà près de 20 % des ventes totales de voyages à forfait, ce qui augmente les chances des petits voyagistes de distribuer efficacement leurs produits dans le contexte d'une situation d'offre restreinte. À cet égard, il est significatif que Direct Holidays (un voyagiste indépendant acquis par Airtours), qui vend toutes ses vacances par des moyens directs, ait connu une croissance significative au cours de la période 1995-1996 (période au cours de laquelle les grands voyagistes ont connu des difficultés financières) (requête, point 9.18). Il importe d'ajouter, à cet égard, que la requérante a souligné (requête, point 9.19) sans contestation de la Commission que, lors de la procédure administrative, cette dernière a reçu les témoignages suivants des tiers concernant les ventes directes en tant qu'accès viable au marché, (cités au point 3.57 de la réponse à la communication des griefs, en annexe 7 à la requête):

- Thomas Cook a indiqué ce qui suit: «[L]a tendance actuelle s'éloigne des manières traditionnelles de réserver des vacances via un agent de voyages en personne. Le British National Travel Survey Report montre que les réservations indirectes ont augmenté depuis la fin des années 80, passant de 29 % des réservations totales en 1992 ... à 34 % en 1998»;

- Thomson a exprimé l'opinion selon laquelle «le nombre de consommateurs qui réservent des vacances par des méthodes d'achat directes non traditionnelles va croissant, tout comme la proportion de consommateurs qui considèrent les achats directs comme une alternative à la réservation via un agent de voyages traditionnel installé dans une rue commerçante»;

- Virgin Holidays a déclaré: «En tant que voyagiste, nous n'avons pas de chaîne de distribution. À partir de nos propres ventes, nous avons constaté une augmentation marquée dans le nombre de vacances achetées via des `call centres'. Nous avons également constaté une augmentation dans le nombre de voyages qui sont achetés par des agences télétexte.»

258 En ce qui concerne les difficultés auxquelles se trouveraient confrontés les petits voyagistes (évoquées aux considérants 81 et 82 de la Décision), même à supposer établies la réalité et la légalité des pratiques en question, elles ne limiteraient pas sensiblement la possibilité des petits voyagistes de profiter des opportunités ouvertes par la situation de sous-capacité envisagée par la Commission si la concentration avait lieu. Dans une telle situation, il est possible de considérer que, compte tenu des attentes des consommateurs et de la nécessité de maximiser les revenus, les agences de voyages ne pourraient s'abstenir de proposer dans des conditions raisonnables les produits des petits voyagistes, même si les agences des voyagistes verticalement intégrées proposaient en premier les produits du groupe plutôt que les produits de la concurrence.

259 En tout état de cause, dans la mesure où près de 40 % du total des vacances à forfait n'est pas vendu dans les agences contrôlées par les grands voyagistes, les petits voyagistes devraient avoir accès à la distribution dans des conditions satisfaisantes pour vendre la capacité qu'ils rajouteraient dans l'hypothèse où les principaux voyagistes décideraient de limiter la capacité à un niveau infraconcurrentiel.

260 Il en découle que la Commission a estimé à tort que les petits voyagistes n'auraient pas accès à la distribution de leurs produits auprès des consommateurs dans des conditions satisfaisantes pour augmenter sensiblement leur capacité afin de profiter des opportunités créées par les pénuries de produits qui interviendraient, selon la Commission, en cas d'autorisation de l'opération.

261 Il ressort de tout ce que précède que la Commission a sous-estimé les possibilités pour les petits voyagistes d'augmenter leur capacité pour profiter des opportunités offertes par une situation de sous-capacité globale provoquée par les grands voyagistes et, donc, de contrecarrer la création d'une position dominante collective à la suite de la concentration notifiée.

b) Sur la réaction possible des concurrents potentiels: les autres voyagistes

262 Il y a lieu également d'examiner si, dans l'hypothèse d'une limitation à un niveau anticoncurrentiel de la capacité mise sur le marché par les grands voyagistes, les voyagistes présents dans d'autres pays de la Communauté ou dans le marché britannique des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations lointaines ne seraient pas susceptibles d'entrer sur le marché britannique des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches.

263 Il y a lieu de rappeler les termes utilisés par la MMC dans son rapport de 1997:

«[L]es acteurs vont et viennent. Il n'y a pas de barrières significatives à l'entrée du marché des voyagistes ou du marché des agences de voyage» [point 1.6] et «[...] si les prix d'un type de vacances ou des vacances au départ d'un aéroport particulier ou à des dates particulières dans l'année devenaient excessifs, les voyagistes placeraient leur négoce dans chacun de ces domaines et proposeraient des prix inférieurs.» (Point 4.15.)

264 Or, il convient de relever que, au considérant 114 de la Décision, la Commission admet, d'une part, qu'une position dominante collective ne peut être maintenue dans la durée si les obstacles à l'accès au marché de l'organisation de voyages, de l'exploitation des compagnies aériennes de vols charters et des agences de voyages ne sont pas significatifs et, d'autre part, que le rapport 1997 de la MMC corrobore dans l'ensemble le point de vue de la requérante sur l'absence d'obstacles à l'accès au marché en cause.

265 Au considérant 115 de la Décision, la Commission relève toutefois que, depuis la rédaction du rapport 1997 de la MMC, le secteur s'est considérablement concentré et elle estime que désormais les obstacles à l'accès au marché sont plus importants (ils ont un «effet plus puissant») et qu'ils se renforceraient encore si l'opération envisagée était réalisée. La Commission soutient ensuite:

«Pour voir disparaître la menace d'une position dominante, il est évident que l'accès au marché ne doit pas être simplement possible. Toute implantation sur le marché doit aussi, entre autres, être viable, ce qui suppose, sur un marché comme celui visé par la présente décision, sur lequel la taille est un facteur important, que l'entreprise doit avoir ou acquérir rapidement une taille suffisante pour pouvoir exercer une concurrence effective vis-à-vis des fournisseurs dominants. La Commission considère que cette évolution est improbable en l'espèce.»

266 Il convient néanmoins de rappeler que, de même que pour les concurrents actuels, ce qui importe ici, ce n'est pas de savoir si les concurrents potentiels ont la possibilité d'acquérir une taille suffisante pour faire jeu égal avec les grands voyagistes, mais simplement de savoir si ces concurrents disposent de la possibilité de profiter des opportunités offertes par la restriction de la capacité mise sur le marché en cause par les grands voyagistes à un niveau infraconcurrentiel. Dans ce contexte, la Commission ne saurait prétendre que, du seul fait qu'ils auraient du mal à se développer au-delà d'une taille déterminée, des voyagistes proposant d'autres produits (telles les vacances à forfait à l'étranger vers des destinations lointaines) ou intervenant dans d'autres pays (tels l'Allemagne ou les Pays-Bas) ne peuvent pas entrer efficacement et rapidement sur le marché britannique des vacances à forfait à l'étranger vers des destinations proches au cas où les grands voyagistes décideraient de restreindre la concurrence d'une manière significative. À cet égard, il est à relever que d'autres voyagistes significatifs présents en Europe, tels Neckermann et TUI, sont mentionnés par la requérante comme des concurrents potentiels susceptibles d'entrer rapidement au Royaume-Uni en cas de restriction de la capacité ou d'augmentation des prix.

267 Par ailleurs, il convient de noter, à cet égard, que la Décision n'examine pas quelle est la situation de la concurrence au niveau de l'hébergement de vacances, alors que la fourniture de la capacité d'hébergement est très importante pour comprendre la dynamique du marché en cause, notamment en ce qui concerne, d'une part, la possibilité des membres du prétendu oligopole dominant d'agir indépendamment des hôteliers des destinations proches et, d'autre part, et, par voie de conséquence, la possibilité pour les concurrents actuels et potentiels de réagir à une éventuelle diminution de la capacité proposée par les grands voyagistes. Or, il est peu probable que les lits d'hôtels libérés à la suite des limitations de capacité décidées par les grands voyagistes ne soient pas immédiatement réservés par d'autres voyagistes, dont plusieurs documents et témoignages communiqués dans le cadre de la procédure administrative démontrent leur volonté d'obtenir de telles capacités d'hébergement (voir, par exemple, la lettre de Virgin Sun évoquée ci-dessus au point 224).

268 Dès lors, chaque grand voyagiste devrait tenir compte des risques inhérents à la réaction des hôteliers à une diminution sensible des réservations de lits ne répondant pas réellement à une diminution de la demande mais à une décision de restriction à des fins anticoncurrentielles. La disponibilité pour chaque grand voyagiste de lits en conditions et en quantités satisfaisantes pour les saisons suivantes pourrait être compromise.

269 Il ressort de ce qui précède que, si la Commission a examiné les obstacles au développement au-delà d'une certaine taille dans le marché, elle n'a pas tenu compte, comme elle le devait, du fait que l'absence d'obstacles à l'accès au marché devrait permettre aux concurrents potentiels d'accéder au marché en cause pour offrir leurs produits et, donc, d'intervenir efficacement et rapidement dans l'hypothèse où une situation de sous-capacité interviendrait à la suite d'un alignement des politiques des grands voyagistes en matière de capacité.

c) Sur la réaction possible des consommateurs

270 La preuve que l'oligopole résultant de l'opération aurait la possibilité d'agir indépendamment des consommateurs exige de répondre à la question de savoir quelle serait la réaction des consommateurs britanniques et de déterminer s'ils ne seraient pas prêts à chercher d'autres alternatives si les prix des vacances à forfait vers des destinations proches devaient augmenter sensiblement ou si une pénurie de vacances à forfait vers de telles destinations devait intervenir.

271 Au considérant 124 de la Décision, la Commission expose que les consommateurs ne possèdent aucune puissance d'achat et que, cela associé avec d'autres éléments du marché, ils éprouvent des difficultés à comparer des produits concurrents à partir de l'information limitée disponible dans les brochures des voyagistes, ce qui restreint la possibilité pour le consommateur de corriger tout aspect anticoncurrentiel de l'offre.

272 Selon la requérante, plusieurs études de marché montrent que la majorité des vacanciers se rendent dans plus d'une agence de voyages avant d'arrêter leur choix de vacances et que, pour 85 % d'entre eux, le prix est le facteur le plus important lors de leur décision d'achat. Les consommateurs individuels seraient dès lors capables de «voter avec leurs pieds» et de chercher des vacances moins chères, incitant ainsi le voyagiste à fixer ses prix de manière concurrentielle.

273 Selon la Commission, il est faux de prétendre que, sur un marché de biens de consommation tel que celui des voyages à forfait, les consommateurs disposent d'une quelconque puissance d'achat compensatoire et significative.

274 Toutefois, il convient de souligner que le fait que les consommateurs ne représentent pas une puissance d'achat significative du fait de leur dispersion ne doit pas être confondu avec la question de savoir s'ils peuvent réagir à la hausse des prix qu'entraînerait la limitation de la capacité mise sur le marché par les grands voyagistes à un niveau anticoncurrentiel. Or, comme la requérante le fait valoir, il est constant que les consommateurs comparent avant d'acheter des vacances. La Commission elle-même admet d'ailleurs au considérant 98 de la Décision que «les consommateurs sont sensibles à des différences de prix relativement réduites entre des forfaits similaires».

275 Dans ce contexte, la Commission a sous-estimé le rôle que pourraient avoir les consommateurs britanniques, ceux-ci pouvant chercher à obtenir de meilleurs prix auprès des petits voyagistes.

276 En outre, il convient de relever que, dans le cadre du premier moyen, il a été relevé que, si la Commission a conclu à une définition étroite du marché de produits en cause dans les limites de son pouvoir d'appréciation, elle n'a pas pour autant mis en doute le fait que les vacances à forfait à l'étranger vers des destinations lointaines sont de plus en plus appréciées par les consommateurs, ni que les études de marché invoquées par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs (annexe 7 de la requête: rapport du British National Travel Survey et Mintel Holidays : the booking procedure, 1997) soulignent la tendance des Britanniques à élargir le champ géographique de leurs destinations de vacances, notamment vers l'autre façade atlantique. Cette circonstance renforce la thèse de la requérante selon laquelle il est possible que la demande se dirigerait en partie vers d'autres types de vacances si les prix se rapprochaient suffisamment, dans la mesure où les études en question démontrent clairement une tendance évolutive des goûts des consommateurs, qui ne semblent nullement enfermés dans l'idée d'avoir pour seules destinations le seul pourtour méditerranéen.

d) Conclusion

277 Eu égard aux observations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission n'a pas correctement évalué la réaction prévisible des petits voyagistes, des concurrents potentiels, des consommateurs et des hôteliers et qu'elle a sous-estimé lesdites réactions en tant que contrepoids susceptible de contrecarrer la création d'une position dominante collective.

5. Sur l'appréciation de l'incidence de l'opération sur la concurrence

278 La Commission présente ses appréciations sur l'incidence de l'opération notifiée aux considérants 139 à 147 de la Décision.

279 En premier lieu (considérant 139), elle fait valoir que le résultat de l'opération serait une concentration accrue dans la mesure où la part de marché cumulée des trois principaux voyagistes augmenterait substantiellement: 83 % selon les calculs de la Commission (85 % selon Nielsen), contre environ 70 % actuellement (pour Airtours, Thomson et Thomas Cook). En outre, le quatrième (Cosmos) aurait moins de 5 %, alors que l'opérateur occupant aujourd'hui cette place (First Choice) a 11 %. Toutefois, il ressort des considérants 139 à 147 de la Décision que la Commission n'a pas considéré le fait que l'addition des parts de marché atteigne un pourcentage élevé (au-dessus de 80 %) comme suffisant à établir l'existence d'une position dominante collective.

280 Ainsi, en deuxième lieu, la Commission a fait valoir (aux considérants 140 et 141 de la Décision) que la concentration entraînerait la disparition de First Choice en tant que fournisseur/distributeur pour les opérateurs secondaires, ce qui marginaliserait encore davantage les petits voyagistes indépendants et non intégrés. Toutefois, il convient de préciser que, s'agissant d'examiner la probabilité de la création d'une position dominante collective, l'évaluation de l'impact prévisible de l'opération sur les autres concurrents sur le marché revient à déterminer si ces derniers seraient ou non en mesure de contrer la stabilité du prétendu oligopole dominant. Or, il a été jugé que la Commission n'a pas établi qu'ils ne pourraient pas le faire.

281 En troisième lieu, la Commission soutient (Décision, considérants 142 à 147) que l'opération entraînerait l'accroissement de la transparence et le degré d'interdépendance entre les grands voyagistes. Au considérant 143 de la Décision, elle estime que le fait que la concentration réduise de moitié le nombre de relations concurrentielles possibles entre grands voyagistes, en les faisant passer de six à trois, renforcerait sensiblement l'interdépendance des membres de l'oligopole, ce qui les inciterait davantage encore à restreindre les capacités, car il leur apparaîtrait beaucoup plus clairement que se faire concurrence pour conquérir des parts de marché se traduirait pour chacun d'entre eux par une baisse des bénéfices. La marginalisation accrue des voyagistes secondaires renforcerait la probabilité d'un tel scénario. Au considérant 144, elle signale que cette diminution du nombre des relations bilatérales de concurrence et de coopération accroîtrait aussi la transparence sur le marché, car il deviendrait en effet bien plus facile pour l'un des grands opérateurs de repérer toute tentative de destabilisation du marché visant, par exemple, à conquérir des parts de marché. Du fait de cette transparence accrue, le risque serait plus grand que des actions commerciales offensives aient pour conséquence de créer une offre excédentaire sur le marché, ce qui diminuerait les bénéfices et serait donc contre-productif.

282 Par conséquent, la Commission est parvenue à la conclusion (Décision, considérant 147) que la structure de marché qui résulterait de l'opération inciterait logiquement les membres de l'oligopole à restreindre l'offre.

283 Cependant, il convient de rappeler, s'agissant du niveau de transparence du marché prévisible à la suite de l'opération, qu'il a été jugé que la Commission a estimé à tort que le degré de transparence existant dans ce marché était suffisant pour permettre à chaque grand voyagiste de connaître les comportements des autres, de détecter les déviations éventuelles par rapport à la ligne d'action commune et d'interpréter les réactions de représailles comme telles. Or, la Commission reste en défaut d'établir que le passage de quatre grands voyagistes à trois entraînerait une situation différente. En effet, s'il est certain qu'une certaine augmentation de la transparence sur le marché interviendrait à la suite de la diminution de six à trois du nombre des relations bilatérales de concurrence entre les grands voyagistes, il n'en demeure pas moins que resteraient inchangées les difficultés pour chacun des trois grands voyagistes restants de prévoir en temps utile les intentions respectives de chacun des deux autres et d'interpréter leurs comportements déviants comme tels.

284 En ce qui concerne l'appréciation selon laquelle l'opération renforcerait sensiblement l'interdépendance des grands voyagistes, il convient de constater que la Commission a fait preuve d'incohérence en faisant valoir, à la fois, d'un côté, qu'il est nécessaire dans ce marché de s'intégrer verticalement pour pouvoir être réellement compétitif et, d'un autre côté, que le fait que chaque voyagiste intégré vende des sièges de charter aux autres dans le marché en amont et vende les vacances à forfait des autres dans le marché en aval a des effets anticoncurrentiels dans la mesure où il renforce leur interdépendance. Or, en l'absence de preuve du contraire, il doit être présumé, dans la logique du fonctionnement de ce marché, que l'intégration verticale renforce l'indépendance de chaque grand voyagiste par rapport à l'autre et diminue donc leur interdépendance.

285 De même, la Commission n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles ce qu'elle considère comme des liens commerciaux (acheter des places d'avion chez les autres et vendre ses propres produits également dans les agences des autres) doit s'expliquer uniquement en termes de liens économiques forts unissant les grands opérateurs (Décision, considérant 142) et ne peut pas être expliqué simplement parce qu'il est rentable d'entretenir ces liens dans un contexte concurrentiel, eu égard au fait que les grands voyagistes constituent des groupes économiques très implantés dans plusieurs marchés de ce secteur, dans la totalité desquels ils ont intérêt à être rentables et à tirer le maximum de profits.

286 En effet, la Décision n'est pas explicite quant aux liens économiques forts unissant les grands opérateurs et à la manière dont ils renforcent l'interdépendance des voyagistes intégrés. Au considérant 57 de la Décision, la Commission affirme que «l'étendue et la nature de l'intégration verticale des principaux fournisseurs [et] [l]es liens commerciaux et autres étendus qui existent entre eux» figurent parmi les caractéristiques distinctives, sur le plan des conditions de la concurrence, du marché de produits en cause. Ensuite, au considérant 71, la Décision précise un peu plus la nature des liens en question; elle souligne l'existence d'un certain nombre de liens commerciaux entre les sociétés intégrées, dus en partie à leur intégration verticale, en aval, par le biais de l'utilisation de leurs chaînes d'agences de voyages respectives, et, en amont, au fait que les sociétés intégrées partagent dans une certaine mesure des capacités en matière de places d'avion, tant par le biais d'achats directs entre elles que par des échanges et des accords de regroupement leur permettant de maximiser l'utilisation de leurs flottes respectives. Ensuite, aux considérants 102 à 113, la Commission expose une série de considérations sous le titre «Transparence, interdépendance et liens commerciaux». Ces points sont consacrés à l'exposé du degré de transparence existant dans le marché selon la Commission, qui, à ce sujet, affirme que l'intégration verticale et les liens commerciaux que les principaux fournisseurs entretiennent entre eux les aident à obtenir des estimations précises et mises à jour de leur part de marché et de celles de leurs concurrents. Cependant, ces points n'exposent pas les raisons pour lesquelles les voyagistes intégrés sont interdépendants et quelle est l'incidence des liens commerciaux résultant de l'intégration verticale et du mode de fonctionnement du marché à cet égard, abstraction faite du renforcement de la transparence.

287 Ensuite, au considérant 142, dans l'évaluation de l'impact de l'opération, la Commission affirme qu'il existe déjà aujourd'hui un certain degré de dépendance mutuelle entre les voyagistes, lié à l'incidence, sur les conditions du marché, de la quantité totale des capacités commercialisées au cours d'une saison. La Commission y ajoute que «des liens économiques forts unissent donc les grands opérateurs». Toutefois, le type de liens économiques visé dans ce passage n'est pas explicité et la Décision ne précise pas ce que sont des liens économiques forts. En tout état de cause, elle ne semble pas se référer dans ce passage aux liens commerciaux résultant de l'intégration verticale (à savoir au fait d'acheter les places d'avions des autres et de vendre les vacances des autres).

288 Il ressort de ce qui précède que la Commission n'a pas examiné, dans la situation antérieure à la concentration, dans quelle mesure les liens commerciaux résultant de l'intégration verticale et du mode de fonctionnement du marché renforcent l'interdépendance des voyagistes intégrés, hormis pour signaler qu'ils augmentent le niveau de transparence existant dans ce marché.

289 Or, en l'absence d'une analyse de la Commission démontrant le contraire, il y a lieu de présumer que, dans les circonstances du marché en cause avant la concentration, le fait que chaque voyagiste intégré achète des places d'avion et vend ses produits dans les sociétés d'un concurrent ne constitue pas plus un indice d'interdépendance que d'indépendance. Cette circonstance semble relever simplement du fonctionnement normal de l'économie, dans laquelle le négoce l'emporte et dans laquelle les voyagistes intégrés doivent essayer de profiter au maximum des capacités et des opportunités de négoce, dans un secteur ayant des coûts fixes très élevés et des marges bénéficiaires réduites. Comme le signale la Décision, les voyagistes intégrés sont présents dans trois marchés et, donc, dans trois négoces différents: celui des vols charters pour des destinations proches, celui de l'organisation de vacances à forfait vers des destinations proches et celui de la vente de voyages dans les agences de voyages. En fait, First Choice pratique même un quatrième négoce, celui de courtier en places d'avion (voir considérant 1 de la Décision). La logique économique du groupe d'entreprises veut que chacune des entreprises composant un voyagiste intégré essaye d'être aussi performante que possible.

290 À cet égard, il convient de relever que, dans son évaluation de l'impact de l'opération, la Commission ne semble pas avoir considéré quelle est l'incidence de la logique économique du groupe, à savoir, maximiser les revenus en maximisant les profits globalement, au niveau de l'ensemble du groupe. La Décision reconnaît pourtant (considérant 59) que les marges des voyagistes sont plutôt basses, de l'ordre de 7 % pour ces dernières années, et que, en revanche, les voyagistes intégrés verticalement percevront, normalement, en plus des revenus des activités de leurs compagnies aériennes et de leurs agences de voyages, domaines dans lesquels, notamment en ce qui concerne les compagnies aériennes, les marges peuvent être plus élevées. Elle admet également que, pour cette raison, «les marges brutes sur les opérations totales des voyagistes intégrés sont sans doute plus importantes que celles réalisées sur leurs seules activités de voyagistes».

291 Or, la logique économique privilégiant normalement l'obtention des plus grandes synergies possibles, les taux de rentabilité des divers négoces du groupe (charters, organisation de vacances à forfait et agences de voyages) seront d'autant plus élevés que les avantages d'une intégration verticale seront pleinement optimisés.

292 Enfin, même si les synergies que devrait entraîner la concentration ne dépassaient pas 1 % du total des coûts de l'entité combinée (Décision, considérant 146), il n'y a aucun indice qu'Airtours ait décidé de payer le prix (normalement plus cher dans une OPA hostile) des actions de First Choice en comptant rentabiliser ce lourd investissement grâce aux bénéfices d'une situation de position dominante collective durable.

293 Au regard des considérations qui précèdent, et en l'absence d'une évaluation plus précise de la portée du renforcement de la transparence dans le marché et de l'interdépendance des grands voyagistes que l'opération devrait entraîner, il y a lieu de conclure que la Commission reste en défaut d'établir que l'opération aurait pour conséquence de modifier la structure du marché en cause de manière telle que les principaux opérateurs n'agiraient plus comme par le passé et qu'une situation de position dominante collective serait créée.

D - Conclusion générale

294 Au vu de tout ce qui précède, force est de conclure que la Décision, loin d'avoir fondé son analyse prospective sur des preuves solides, est entachée d'un ensemble d'erreurs d'appréciation concernant des éléments importants pour l'évaluation de l'éventuelle création d'une position dominante collective. Il s'ensuit que la Commission a interdit l'opération sans avoir établi à suffisance de droit que l'opération de concentration engendrerait une position dominante collective des trois grands voyagistes en résultant susceptible de constituer une entrave significative à une concurrence effective dans le marché en cause.

295 Dans ces circonstances, le troisième moyen doit être déclaré fondé et, dès lors, la décision doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs et moyens invoqués par la requérante.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

296 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie défenderesse ayant succombé en ses conclusions et la requérante ayant conclu à la condamnation de la partie défenderesse aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la requérante.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL

(cinquième chambre élargie),

déclare et arrête:

297 La décision C (1999) 3022 final de la Commission, du 22 septembre 1999, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec l'accord EEE (affaire IV/M.1524 - Airtours/First Choice), publiée sous le numéro 2000/276/CE, est annulée.

298 La Commission supportera ses propres dépens et les dépens exposés par la requérante.