61999J0326

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 4 octobre 2001. - Stichting "Goed Wonen" contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Sixième directive TVA - Compétence d'un Etat membre pour considérer comme biens corporels susceptibles de livraison certains droits réels relatifs à un immeuble - Exercice de cette compétence limité au cas où le prix du droit réel est au moins égal à la valeur économique de l'immeuble concerné - Affermage et location de biens immeubles - Exonérations. - Affaire C-326/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-06831


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Livraisons de biens - Transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel - Faculté pour les États membres de considérer comme biens corporels certains droits réels sur les biens immeubles - Exercice sous la condition que le prix du droit réel soit au moins égal à la valeur économique du bien immeuble concerné - Admissibilité

(Directive du Conseil 77/388, art. 5, § 3, b))

2. Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Exonération de l'affermage et de la location de biens immeubles - Assimilation de la constitution, pour une durée limitée et contre rémunération, d'un droit d'usufruit à l'affermage et à la location de biens immeubles - Admissibilité

(Directive du Conseil 77/388, art. 13, B, b), et C, a))

Sommaire


1. L'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale qui subordonne la qualification de «livraison de biens» pour les opérations de constitution, de transfert, de modification, d'abandon ou de résiliation de droits réels grevant des biens immeubles à la condition que la somme payée en contrepartie de telles opérations, augmentée du montant de la taxe sur le chiffre d'affaires, soit au moins égale à la valeur économique du bien immeuble sur lequel portent de tels droits. Une telle condition concourt à l'objectif, poursuivi par la sixième directive, de garantir une perception réelle et correcte de la taxe sur la valeur ajoutée, et ce nonobstant la circonstance que ladite condition sera rarement remplie dans la pratique. Elle n'est donc pas contraire aux dispositions de l'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive.

( voir points 35-36, 38, disp. 1 )

2. L'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale qui, aux fins de l'application de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, permet d'assimiler à l'affermage et à la location de biens immeubles la constitution, pour une durée convenue et contre rémunération, d'un droit réel conférant à son titulaire un pouvoir d'utilisation sur un bien immeuble tel qu'un droit d'usufruit.

Le respect du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que l'exigence de l'application cohérente des dispositions de la sixième directive, notamment l'application correcte, simple et uniforme des exonérations prévues, conduisent à assimiler l'octroi dudit droit réel à la location et à l'affermage, aux fins de l'application des dispositions précitées. En effet, l'assimilation à la location d'une telle forme d'utilisation de biens immeubles permet d'éviter que soit abusivement constitué un droit à déduction de la taxe payée en amont sur des biens immeubles, objectif expressément visé à l'article 13 de la sixième directive.

Cette interprétation ne saurait être infirmée par le fait que l'usufruit présente, dans le droit civil de plusieurs États membres, des caractéristiques qui le distinguent de la location ou de l'affermage. En effet, les particularités en cause, résultant de l'appartenance de ces institutions à des catégories juridiques distinctes, sont secondaires par rapport au fait que, sur le plan économique, un droit tel que le droit d'usufruit considéré et la location ou l'affermage présentent la caractéristique commune essentielle qui consiste à conférer à l'intéressé, pour une durée convenue et contre rémunération, le droit d'occuper un immeuble comme s'il en était propriétaire et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit.

( voir points 54-59, disp. 2 )

Parties


Dans l'affaire C-326/99,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Stichting «Goed Wonen»

et

Staatssecretaris van Financiën,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 5, paragraphe 3, ainsi que 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. A. La Pergola (rapporteur), président de chambre, M. Wathelet, D. A. O. Edward, P. Jann et C. W. A. Timmermans, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et H. M. H. Speyart, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de la Stichting «Goed Wonen», représentée par M. G. Vos, gemachtigde, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. S. van den Oosterkamp, en qualité d'agent, du gouvernement allemand, représenté par M. W.-D. Plessing, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. Speyart, à l'audience du 7 décembre 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 22 février 2001,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par arrêt du 24 août 1999, parvenu à la Cour le 31 août suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 5, paragraphe 3, ainsi que 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Stichting «Goed Wonen», une fondation néerlandaise, au Staatssecretaris van Financiën au sujet d'un avis de redressement émis par l'inspecteur des impôts et concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») déclarée par ladite fondation au titre de la période du 1er avril au 30 juin 1995.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le champ d'application de la sixième directive est ainsi défini par son article 2:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2. les importations de biens.»

4 Sous le titre V, intitulé «Opérations imposables», l'article 5 de la sixième directive, lui-même intitulé «Livraisons de biens», dispose:

«1. Est considéré comme livraison d'un bien le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire.

[...]

3. Les États membres peuvent considérer comme biens corporels:

[...]

b) les droits réels donnant à leur titulaire un pouvoir d'utilisation sur les biens immeubles;

[...]»

5 Aux termes de l'article 6 de la sixième directive, qui figure également sous le titre V de celle-ci et qui est intitulé «Prestations de services»:

«1. Est considérée comme prestation de services toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5.

[...]»

6 Sous le titre X, intitulé «Exonérations», l'article 13 de la sixième directive, lui-même intitulé «Exonérations à l'intérieur du pays», comporte les dispositions suivantes, également pertinentes pour la présente affaire:

«[...]

B. Autres exonérations

Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[...]

b) l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception:

1. des opérations d'hébergement telles qu'elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper;

2. des locations d'emplacement pour le stationnement des véhicules;

3. des locations d'outillages et de machines fixés à demeure;

4. des locations de coffres-forts.

Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d'application de cette exonération;

[...]

C. Options

Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation:

a) de l'affermage et de la location de biens immeubles;

[...]

Les États membres peuvent restreindre la portée du droit d'option; ils déterminent les modalités de son exercice.»

7 L'article 17 de la sixième directive, intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», dispose à son paragraphe 2, sous a):

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti».

8 Sous le titre XV, intitulé «Mesures de simplification», l'article 27 de la sixième directive prévoit:

«1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.

2. L'État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation.

3. La Commission en informe les autres États membres dans un délai d'un mois.

4. La décision du Conseil sera réputée acquise si, dans un délai de deux mois à compter de l'information visée au paragraphe 3, ni la Commission, ni un État membre n'ont demandé l'évocation de l'affaire par le Conseil.

[...]»

La réglementation nationale

9 L'article 3 de la Wet houdende vervanging van de bestaande omzetbelasting door een omzetbelasting volgens het stelsel van heffing over de toegevoegde waarde (loi portant remplacement de l'impôt existant sur le chiffre d'affaires par un impôt sur le chiffre d'affaires selon le système de taxe sur la valeur ajoutée, Stbl. 1968, p. 329), du 28 juin 1968, telle que modifiée par la Wet ter bestrijding van constructies met betrekking tot onroerende zaken (loi portant mesures de lutte contre les montages relatifs aux biens immeubles, Stbl. 1995, p. 659, ci-après la «loi TVA»), du 18 décembre 1995, qui est entrée en vigueur avec effet rétroactif le 31 mars 1995, entend transposer l'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. L'article 3, paragraphe 2, premier alinéa, de la loi TVA dispose:

«Est aussi qualifié de livraison de biens l'octroi, le transfert, la modification, l'abandon ou la résiliation de droits auxquels sont soumis des biens immeubles, à l'exception des hypothèques et des rentes foncières, sauf si la rémunération, majorée de la taxe sur le chiffre d'affaires, est inférieure à la valeur économique de ces droits. La valeur économique s'élève au moins au prix de revient, y compris la taxe sur le chiffre d'affaires, du bien immeuble sur lequel porte le droit, tel qu'il se présenterait à la création par un tiers indépendant au moment de l'acte.»

10 L'article 11, paragraphe 1, sous b), point 5, de la loi TVA vise à transposer les dispositions de l'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive. Il prévoit:

« Sont exonérés de la taxe moyennant le respect de conditions fixées par règlement d'administration publique:

[...]

b. la location (l'affermage étant aussi visé) de biens immeubles à l'exception de:

[...]

5. la location de biens immeubles, autres que des bâtiments et parties de bâtiment servant de logement, à des personnes qui utilisent les biens immeubles à des fins bénéficiant d'un droit de déduction totale ou quasi totale de la taxe en vertu de l'article 15, pour autant que le bailleur et le locataire aient conjointement adressé une demande à cet effet à l'inspecteur et respectent par ailleurs les conditions fixées par arrêté ministériel; par location de biens immeubles, on entend aussi toute autre forme de mise à disposition de biens immeubles pour utilisation, qui n'en constitue pas la livraison.»

11 L'exposé des motifs relatif à la proposition de loi qui a abouti à la loi du 18 décembre 1995 précise à cet égard:

«La législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires qui est applicable aux biens immeubles est utilisée de façon croissante d'une manière qui n'a pas été envisagée par le législateur. Les entreprises exonérées de la taxe sur le chiffre d'affaires, telles que les hôpitaux, les banques et les compagnies d'assurances, ainsi que les entités qui ne sont pas des entreprises comme les communes recourent - le plus souvent à l'aide d'une fondation ou d'une société créée spécialement pour l'occasion - à ce que l'on qualifie de régime optionnel pour les locations taxées ou aux régimes de livraison taxée de biens immeubles (sont ici visées les possibilités de choix de l'article 13, C, de la sixième directive mises en oeuvre au niveau national). Le résultat en est que les biens immeubles sont grevés d'une taxe qui est plus faible - et, dans certains cas, beaucoup plus faible - que ce qui est envisagé [par la loi]. [...]

La directive permet de considérer certains droits sur les biens immeubles comme des biens (article 5, paragraphe 3). Ce n'est cependant pas obligatoire. En principe, la directive considère donc la constitution du droit, son transfert, etc., comme des prestations de services. Pour lutter contre [les montages abusifs en matière de biens immeubles] il est donc nécessaire d'exonérer ces prestations de services, de manière à ce qu'il n'y ait pas de droit à la déduction de la taxe en amont et à supprimer l'avantage TVA. Pour ce qui concerne le cas qui nous occupe présentement, l'article 13, B, sous b), de la directive prévoit une exonération de l'affermage et de la location, sans établir de lien avec les notions de droit civil correspondantes dans les États membres. Pour la raison notamment que les droits démembrés [tels que le droit d'usufruit, l'emphytéose, etc.] dont il s'agit en l'espèce présentent par essence une forte similitude avec l'affermage et la location, une analogie avec la location telle que proposée [au dernier alinéa de l'article 11, paragraphe 1, sous b), de la loi TVA] correspond à l'économie de la directive. Les États membres ont la liberté de définir la notion de location utilisée dans la directive et peuvent s'écarter de l'acception de cette notion dans leur propre droit civil, puisque la directive n'y renvoie pas.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 La Stichting «Goed Wonen», demanderesse au principal, a succédé juridiquement à la Woningbouwvereniging «Goed Wonen» (association de construction de logements «Goed Wonen», ci-après l'«association GW»).

13 Au cours du deuxième trimestre de l'année 1995, trois nouveaux immeubles contenant des logements destinés à la location ont été livrés à l'association GW.

14 Par actes notariés du 28 avril 1995, l'association GW a créé la fondation «De Goede Woning» (ci-après la «fondation GW») et lui a octroyé un droit d'usufruit pour une durée de dix ans portant sur les logements neufs, contre une rémunération inférieure au prix de revient de ceux-ci. Par ailleurs, en tant qu'usufruitière, la fondation GW a mandaté l'association GW pour gérer les logements, exécuter ou faire exécuter les petits et grands entretiens, encaisser et gérer les loyers, donner quittance des loyers perçus, conclure et modifier les contrats de location des logements et mettre fin à ceux-ci, facturer les augmentations de loyer, ainsi que pour accomplir au nom de l'usufruitière tous les actes juridiques que l'association GW jugerait appropriés en relation avec la gestion susdite.

15 Dans sa déclaration fiscale afférente à la période du 1er avril au 30 juin 1995, l'association GW a indiqué, d'une part, la TVA qu'elle avait facturée à la fondation GW pour l'octroi de l'usufruit, soit une somme de 645 067 NLG, et, d'autre part, le montant de la TVA qui lui avait été facturée pour la construction des logements, soit une somme de 1 285 059 NLG, laquelle était portée en déduction en tant que taxe acquittée en amont. Sur la base de cette déclaration, une somme de 639 992 NLG a été remboursée à l'association GW.

16 Par la suite, l'inspecteur des impôts a émis un avis de redressement à concurrence du montant porté en déduction par l'association GW. Ce redressement a été confirmé par une décision du 12 décembre 1996 que l'association GW a attaquée devant le Gerechtshof te Arnhem (Pays-Bas). Toutefois, par décision du 14 février 1997, ledit inspecteur a réduit d'office son avis de redressement à la somme de 639 992 NLG, qui correspondait au montant que l'administration fiscale avait remboursé à l'association GW sur le fondement de sa déclaration fiscale.

17 Le 21 août 1997, l'association GW a pris la forme juridique d'une fondation et est devenue la Stichting «Goed Wonen».

18 Par arrêt du 20 mai 1998, le Gerechtshof te Arnhem a maintenu l'avis de redressement, tel qu'il avait été réduit entre-temps par l'inspecteur des impôts. C'est contre cet arrêt que la Stichting «Goed Wonen» s'est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi.

19 Ainsi que le relève le Hoge Raad der Nederlanden, le Gerechtshof te Arnhem a considéré que l'association GW, en créant la fondation GW et en lui octroyant le droit d'usufruit portant sur les logements, n'avait pas créé une situation différente de celle dans laquelle les logements neufs auraient été donnés en location par ladite association elle-même. Eu égard à sa liberté d'action très limitée, la fondation GW devait être assimilée à l'association GW en raison tant du rôle tout à fait prépondérant de celle-ci, tel qu'il ressort du mandat accordé lors de l'établissement du droit d'usufruit, que de l'étroite imbrication administrative des deux entités. Dès lors, la constitution de l'usufruit ne saurait être une opération imposable aux fins de la TVA.

20 Le Gerechtshof a par ailleurs considéré que, même si la fondation GW ne pouvait être assimilée à l'association GW, le redressement devait être maintenu pour les raisons suivantes:

- l'octroi d'un droit limité tel que le droit d'usufruit ne constitue pas une livraison de biens au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous e), de la loi TVA ou de l'article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, cette notion ne recouvrant que la cession du droit de disposer d'un bien comme un propriétaire;

- la sixième directive ne s'oppose pas à ce que l'octroi d'un droit réel limité soit qualifié de livraison d'un bien sous la seule condition visée à l'article 3, paragraphe 2, premier alinéa, de la loi TVA;

- l'octroi d'un droit d'usufruit dans les conditions de l'affaire au principal doit être qualifié de «location» au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, de sorte que l'exonération prévue par cette disposition est applicable.

21 La juridiction de renvoi a considéré que, dans la mesure où le premier moyen invoqué par la Stichting «Goed Wonen» est dirigé contre l'interprétation du Gerechtshof te Arnhem selon laquelle elle doit être assimilée à la fondation GW, il est fondé. En effet, selon le Hoge Raad der Nederlanden, il est certain que les actes juridiques intervenus dans l'affaire au principal ont entraîné la création d'une nouvelle personne juridique par l'association GW, distincte de cette dernière.

22 Quant à la question de savoir si le législateur national pouvait mettre en oeuvre la disposition de l'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive de telle manière que les droits réels, qui donnent à l'ayant droit le pouvoir d'utiliser un bien immeuble, sont considérés ou non comme des biens corporels en fonction du prix de cession de ces droits, la juridiction de renvoi se réfère aux principes dégagés dans l'arrêt du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C-320/88, Rec. p. I-285, points 8 et 9). Selon ladite juridiction, dans cet arrêt, la Cour a justifié la solution consistant à considérer comme «livraison d'un bien» le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire, même s'il n'y a pas transfert de la propriété juridique du bien, par la nécessité de fonder le système commun de TVA sur une définition uniforme des opérations taxables.

23 La juridiction de renvoi relève également que, comme la sixième directive ne définit pas les notions de «location» et d'«affermage», le litige au principal soulève la question de savoir si, à l'article 13, B, sous b), de ladite directive, le Conseil a voulu limiter la portée de ces notions à celle qu'elles ont dans le droit civil de l'État membre concerné.

24 Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessitait une interprétation de la sixième directive, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que le législateur national peut considérer que les droits réels qui donnent à l'ayant droit le pouvoir d'utiliser un bien immeuble ne constituent des biens corporels que si la rémunération convenue pour l'octroi, le transfert, la modification, l'abandon ou la résiliation de tels droits est au moins égale à la valeur économique du bien immeuble considéré?

2) L'article 13, B, initio et sous b), et l'article 13, C, initio et sous a), de la sixième directive doivent-ils être interprétés en ce sens que par location et affermage, le législateur peut viser, outre la location et l'affermage au sens du droit civil, toute autre forme de mise à disposition de biens immeubles pour utilisation, qui n'en constitue pas la livraison?»

Observation liminaire

25 Il convient de préciser, à titre liminaire, que ces questions sont posées dans le cadre d'un litige survenu à l'occasion d'une transaction par laquelle le propriétaire d'un bien corporel immobilier, consistant en un immeuble divisé en plusieurs logements, confère à une personne morale, pour une durée convenue et contre rémunération, le droit d'occuper l'immeuble comme si elle en était propriétaire et d'exclure toute autre personne du bénéfice de ce droit. Il est constant que la rémunération convenue pour la cession du droit en cause au principal était inférieure au prix de revient de l'immeuble concerné.

Sur la première question

26 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une disposition nationale, telle que l'article 3, paragraphe 2, de la loi TVA, qui subordonne la qualification de «livraison de biens» pour les opérations d'octroi, de transfert, de modification, d'abandon ou de résiliation de droits réels grevant des biens immeubles à la condition que la somme payée en contrepartie de telles opérations, augmentée du montant de la taxe sur le chiffre d'affaires, soit au moins égale à la valeur économique du bien immeuble sur lequel portent de tels droits.

27 La Stichting «Goed Wonen» soutient que l'octroi de l'usufruit en faveur de la fondation GW était une livraison de biens soumise à la TVA dans la mesure où cette fondation a acquis le pouvoir de disposer des logements en cause comme un propriétaire.

28 Elle fait valoir également que l'article 3, paragraphe 2, de la loi TVA n'est pas conforme à l'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive. Selon elle, cette dernière disposition autorise seulement les États membres à choisir, dans l'éventail des droits réels connus de leur droit national, ceux qui doivent être assimilés à un bien corporel. En revanche, lesdits États ne seraient pas habilités par cette disposition à opérer une distinction sur le fondement de la somme payée pour une opération portant sur de tels droits.

29 Selon la Stichting «Goed Wonen», la conséquence du critère retenu par le royaume des Pays-Bas serait que, selon la somme payée, le même droit réel pourrait être considéré comme un bien corporel dans certains cas et non dans d'autres. Par ailleurs, le prix acquitté, qui représente la contrepartie de la constitution d'un droit d'usufruit pour une durée limitée, serait inévitablement inférieur à la valeur économique du bien immeuble en cause.

30 La Stichting «Goed Wonen» soutient en outre que, avant de modifier l'article 3, paragraphe 2, de la loi TVA, le royaume des Pays-Bas aurait dû demander l'autorisation prévue à l'article 27 de la sixième directive. Or, cet État membre ne disposait pas d'une telle autorisation lors de l'adoption des modifications de ladite disposition nationale par le législateur. En effet, la décision 96/432/CE du Conseil, du 8 juillet 1996, autorisant les Pays-Bas à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 11 de la directive 77/388 (JO L 179, p. 51), aurait été tardive, aurait concerné une dérogation à une autre disposition de la sixième directive et n'aurait en tout état de cause jamais été utilisée par ledit État membre.

31 Le gouvernement néerlandais et la Commission arguent que, grâce au montage réalisé dans l'affaire au principal, le montant total de la TVA versé par l'association GW et la fondation GW a été largement inférieur à celui que ladite association aurait dû payer si elle était intervenue elle-même comme bailleur des logements. Dans cette hypothèse, comme la plupart des locataires étaient sans doute des particuliers non assujettis à la TVA, l'association GW n'aurait pas pu introduire, conjointement avec ces derniers, une demande commune de taxation au titre de l'option prévue à l'article 11, paragraphe 1, sous b), point 5, de la loi TVA. L'exonération relative aux locations de biens immeubles aurait donc été applicable et l'association GW n'aurait pas pu déduire la TVA payée en amont lors de l'acquisition des logements.

32 Dès lors, selon le gouvernement néerlandais et la Commission, la situation à l'origine de l'affaire au principal entre dans la catégorie des montages dont le but est de réduire artificiellement la TVA en cas de transfert de biens immeubles, montages que le législateur néerlandais a précisément cherché à éviter par la modification de la loi TVA introduite en 1995.

33 À cet égard, il y a lieu de relever d'emblée que, aux termes de l'article 5, paragraphes 1 et 3, de la sixième directive, les États membres ne peuvent considérer comme biens corporels faisant l'objet de «livraison» que le seul transfert des droits réels donnant à leur titulaire un pouvoir d'utilisation sur les biens immeubles. Toutefois, la Cour a dit pour droit, dans l'arrêt du 4 décembre 1990, Van Tiem (C-186/89, Rec. p. I-4363), que, dans la mesure où un État membre a fait usage d'une telle possibilité, la notion de transfert qui est utilisée au paragraphe 1 dudit article 5 doit être interprétée en ce sens qu'elle comporte également la constitution de l'un des droits réels mentionnés au paragraphe 3, sous b), de cette disposition.

34 En outre, ainsi que le gouvernement néerlandais et la Commission le relèvent à juste titre, les États membres sont libres d'exercer le choix que leur laisse l'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive, y compris en fixant certaines conditions, pour autant que celles-ci n'altèrent pas fondamentalement la nature du choix offert, aucune disposition de la sixième directive ne limitant de quelque manière que ce soit le pouvoir discrétionnaire des États membres à cet égard. Dès lors, si l'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive permet d'assimiler aux biens corporels tous les droits considérés, ou de n'assimiler à de tels biens que l'un ou certains seulement de ces droits, ladite disposition permet également de limiter une telle assimilation aux seuls droits qui respectent des critères précis arrêtés par l'État membre concerné.

35 Or, la condition énoncée à l'article 3, paragraphe 2, de la loi TVA, selon laquelle la rémunération convenue pour l'octroi des droits visés par cette disposition, majorée de la taxe sur le chiffre d'affaires, doit être au moins égale au prix de revient du bien immeuble en cause, concourt à l'objectif, poursuivi par la sixième directive, de garantir une perception réelle et correcte de la TVA, et ce nonobstant la circonstance que ladite condition sera rarement remplie dans la pratique.

36 Dès lors, une telle condition n'est pas contraire aux dispositions de l'article 5, paragraphe 3, de la sixième directive.

37 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner l'argumentation de la Stichting «Goed Wonen» selon laquelle la modification de la loi TVA intervenue en 1995 constituait une mesure particulière dérogatoire, au sens de l'article 27 de la sixième directive, pour laquelle une autorisation du Conseil était nécessaire.

38 Dès lors, il convient de répondre à la première question que l'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale, telle que l'article 3, paragraphe 2, de la loi TVA, qui subordonne la qualification de «livraison de biens» pour les opérations de constitution, de transfert, de modification, d'abandon ou de résiliation de droits réels grevant des biens immeubles à la condition que la somme payée en contrepartie de telles opérations, augmentée du montant de la taxe sur le chiffre d'affaires, soit au moins égale à la valeur économique du bien immeuble sur lequel portent de tels droits.

Sur la seconde question

39 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une disposition nationale, telle que l'article 11, paragraphe 1, sous b), point 5, de la loi TVA, qui, aux fins de l'application de l'exonération de la TVA, permet d'assimiler la constitution, pour une durée limitée, d'un droit d'usufruit sur des biens immeubles à la location ou à l'affermage de tels biens.

40 La Stichting «Goed Wonen» et la Commission font valoir que la constitution de droits réels, par lesquels un bien immeuble est mis à disposition pour utilisation autrement que par livraison, ne relève pas des notions de «location» et d'«affermage». Par conséquent, selon elles, l'exonération établie par la loi TVA en cas de concession d'un droit d'usufruit serait contraire à la sixième directive.

41 Elles soutiennent que les dispositions exonératoires de la sixième directive, qui peuvent rompre la chaîne des déductions entre assujettis qui résulte de l'article 17 de la sixième directive et, partant, occasionner une charge fiscale en raison de l'impossibilité de déduire la taxe payée en amont, doivent être interprétées de manière stricte.

42 La Commission fait valoir notamment que les notions de location et d'affermage, d'une part, ainsi que d'usufruit, d'autre part, présentent des différences sensibles dans les systèmes de droit civil issus du droit romain, tels que ceux existant dans la plupart des États membres. Tout d'abord, l'usufruitier acquerrait, outre le droit d'usage du bien en question, également le droit de jouir de ses fruits. Ensuite, l'usufruit sur un bien immeuble serait un droit réel, alors que la location et l'affermage seraient des droits personnels. Par ailleurs, l'usufruit s'éteindrait de plein droit lors du décès de l'usufruitier tandis qu'une convention de location continuerait en principe avec les successeurs du locataire. Enfin, à la différence de l'usufruit, le bail locatif servirait généralement à mettre le bien concerné à la disposition du locataire afin que celui-ci puisse y habiter. Dès lors, la sous-location du bien par le locataire serait en principe exclue, sauf si elle a été exceptionnellement autorisée par le propriétaire, alors que l'usufruitier aurait le droit d'utiliser pleinement le bien en question, une telle utilisation comportant également le droit de le louer. En outre, seul l'usufruit pourrait être octroyé à titre gratuit.

43 Par ailleurs, selon la Commission, si le législateur communautaire avait voulu exonérer de la TVA la constitution de droits réels conférant à leur titulaire un pouvoir d'utilisation sur les biens immeubles, il aurait mentionné explicitement de tels droits, comme il l'a fait à l'article 4, paragraphe 2, ou à l'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, plutôt que de se limiter à mentionner la location et l'affermage à l'article 13 de celle-ci.

44 En vue de statuer sur le bien-fondé de cette argumentation, il convient de relever, tout d'abord, que la sixième directive ne définit pas les notions d'«affermage» et de «location» et qu'elle ne renvoie pas non plus aux définitions respectives adoptées à cet égard par les législations des États membres, comme elle le fait, par exemple, en ce qui concerne les «terrains à bâtir» [voir l'article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, aux termes duquel «[s]ont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels par les États membres»].

45 Ainsi qu'il ressort du libellé même de l'article 13, B, sous b), et C, de la sixième directive, cette dernière a laissé une large marge d'appréciation aux États membres quant à l'exonération ou à la taxation des opérations concernées (voir arrêt du 3 février 2000, Amengual Far, C-12/98, Rec. p. I-527, point 13).

46 Ensuite, il résulte d'une jurisprudence constante que, comme les exonérations prévues par la sixième directive, notamment à son article 13, constituent des dérogations au principe général énoncé à l'article 2 de ladite directive, selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti, ces exonérations doivent être interprétées de manière stricte (voir, en ce qui concerne notamment l'exonération concernant les opérations d'affermage et de location de biens immeubles, arrêts du 12 septembre 2000, Commission/Irlande, C-358/97, Rec. p. I-6301, point 55, et du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark, C-150/99, Rec. p. I-493, point 25).

47 Enfin, il y a lieu de relever que, selon le onzième considérant de la sixième directive, l'objectif visé par le Conseil lors de l'établissement de la liste commune d'exonérations était celui d'une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres. Il en résulte que, même si l'article 13, B, de ladite directive renvoie aux conditions d'exonération fixées par les États membres, les exonérations prévues par cette disposition doivent correspondre à des notions autonomes de droit communautaire afin de pouvoir déterminer l'assiette de la TVA de manière uniforme et selon des règles communautaires (voir arrêts Commission/Irlande, précité, point 51, et du 8 mars 2001, Försäkringsaktiebolaget Skandia, C-240/99, Rec. p. I-1951, point 23).

48 À cet égard, l'argumentation de la Stichting «Goed Wonen» et de la Commission, selon laquelle la définition communautaire de l'affermage et de la location doit être fondée sur les similitudes existant entre les notions juridiques pertinentes en vigueur dans le droit civil des États membres les plus fortement influencés par le droit romain, ne saurait être retenue.

49 En effet, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé aux points 71 à 75 de ses conclusions, une telle approche conduirait à ignorer les différences importantes existant entre les ordres juridiques des États membres en matière de droits réels conférant à leur titulaire un pouvoir d'utilisation sur les biens immeubles. Au demeurant, la Cour a déjà jugé que la notion d'affermage ou de location visée à l'article 13, B, sous b), de la sixième directive est plus large que celle prévue dans les différents droits nationaux (voir arrêt Commission/Irlande, précité, point 54).

50 Par conséquent, en vue de répondre utilement à la seconde question, telle que reformulée au point 39 du présent arrêt, il convient, en premier lieu, d'analyser la ratio legis de l'exonération établie par l'article 13, B, sous b), de la sixième directive en matière de location et d'affermage. En deuxième lieu, il importe d'examiner si cette ratio legis autorise l'extension de ladite exonération à la constitution d'un droit réel conférant à son titulaire un pouvoir d'utilisation sur un bien immeuble tel que l'usufruit, de sorte que cette dernière opération puisse être considérée comme relevant également de la notion communautaire d'affermage ou de location, telle qu'interprétée à la lumière du contexte dans lequel elle s'inscrit, des finalités et de l'économie de la sixième directive.

51 À cet égard, le mémorandum explicatif joint à la proposition de sixième directive, présentée par la Commission au Conseil le 29 juin 1973, précise, au sujet du titre X de la sixième directive, consacré aux exonérations, que «[l]a liste des exonérations a été établie en tenant compte, d'une part, des exonérations existant déjà dans les États membres et, d'autre part, de la nécessité d'avoir un nombre d'exonérations aussi réduit que possible. [...] [D]ans les États membres, les locations immobilières sont en général exemptées pour des raisons techniques, économiques et sociales. Mais les raisons qui militent en faveur de l'exonération des locations d'immeubles d'habitation [...] ne trouvent pas d'application en cas de locations dans le cadre du secteur hôtelier et en cas de locations présentant le caractère d'affaires industrielles et commerciales».

52 En effet, bien que la location de biens immeubles relève en principe de la notion d'activité économique au sens de l'article 4 de la sixième directive, elle constitue normalement une activité relativement passive, ne générant pas une valeur ajoutée significative. À l'instar des ventes d'un nouveau bâtiment consécutives à sa première livraison à un consommateur final, qui marque la fin du processus de production, la location d'un bien immeuble doit donc, en principe, être exonérée de l'imposition, sans préjudice du droit d'opter pour la taxation que les États membres peuvent accorder aux assujettis, en application de l'article 13, C, de la sixième directive.

53 Toutefois, il est également conforme à la finalité générale de la sixième directive que, si un bien immeuble est mis à la disposition d'un assujetti par location ou affermage, en tant que moyen concourant à la production de biens ou de services dont le coût est répercuté sur le prix de ceux-ci, il demeure ou retourne dans le circuit économique et doit pouvoir donner lieu à des opérations taxables. La caractéristique commune des opérations que l'article 13, B, sous b), de ladite directive exclut du champ d'application de l'exonération est précisément, en effet, qu'elles impliquent une exploitation plus active des biens immeubles, justifiant ainsi une imposition supplémentaire, qui s'ajoute à celle à laquelle la vente initiale du bien a été assujettie.

54 Les considérations qui précèdent sont valables, mutatis mutandis, pour la constitution d'un droit réel conférant à son titulaire un pouvoir d'utilisation sur un bien immeuble tel que le droit d'usufruit en cause au principal.

55 En effet, la caractéristique fondamentale d'une telle opération, qui lui est commune avec la location, est celle qui consiste à conférer à l'intéressé, pour une durée convenue et contre rémunération, le droit d'occuper un immeuble comme s'il en était propriétaire et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit.

56 Dès lors, le respect du principe de neutralité de la TVA ainsi que l'exigence de l'application cohérente des dispositions de la sixième directive, notamment l'application correcte, simple et uniforme des exonérations prévues (voir arrêt du 11 juin 1998, Fischer, C-283/95, Rec. p. I-3369, point 28), conduisent à assimiler l'octroi d'un droit tel que le droit d'usufruit en cause au principal à la location et à l'affermage, aux fins de l'application de l'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive.

57 En effet, ainsi que le gouvernement néerlandais l'a relevé à juste titre, l'assimilation à la location d'une telle forme d'utilisation de biens immeubles permet d'éviter que soit abusivement constitué un droit à déduction de la taxe payée en amont sur des biens immeubles, objectif expressément visé à l'article 13 de la directive.

58 Cette interprétation ne saurait être infirmée par le fait, invoqué par la Stichting «Goed Wonen» et la Commission, que l'usufruit présente, dans le droit civil de plusieurs États membres, des caractéristiques qui le distinguent de la location ou de l'affermage. Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé aux points 87 à 91 de ses conclusions, il s'agit d'éléments non pertinents aux fins de la solution du litige au principal. En effet, les particularités en cause, résultant de l'appartenance de ces institutions à des catégories juridiques distinctes, sont secondaires par rapport au fait que, sur le plan économique, un droit tel que le droit d'usufruit en cause au principal et la location ou l'affermage présentent la caractéristique commune essentielle mentionnée au point 55 du présent arrêt.

59 Il résulte des considérations qui précèdent qu'il convient de répondre à la seconde question que l'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale, telle que l'article 11, paragraphe 1, sous b), point 5, de la loi TVA, qui, aux fins de l'application de l'exonération de la TVA, permet d'assimiler à l'affermage et à la location de biens immeubles la constitution, pour une durée convenue et contre rémunération, d'un droit réel conférant à son titulaire un pouvoir d'utilisation sur un bien immeuble tel que le droit d'usufruit en cause au principal.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

60 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais et allemand, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 24 août 1999, dit pour droit:

1) L'article 5, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale, telle que l'article 3, paragraphe 2, de la Wet houdende vervanging van de bestaande omzetbelasting door een omzetbelasting volgens het stelsel van heffing over de toegevoegde waarde (loi portant remplacement de l'impôt existant sur le chiffre d'affaires par un impôt sur le chiffre d'affaires selon le système de taxe sur la valeur ajoutée), du 28 juin 1968, telle que modifiée par la Wet ter bestrijding van constructies met betrekking tot onroerende zaken (loi portant mesures de lutte contre les montages relatifs aux biens immeubles), du 18 décembre 1995, qui subordonne la qualification de «livraison de biens» pour les opérations de constitution, de transfert, de modification, d'abandon ou de résiliation de droits réels grevant des biens immeubles à la condition que la somme payée en contrepartie de telles opérations, augmentée du montant de la taxe sur le chiffre d'affaires, soit au moins égale à la valeur économique du bien immeuble sur lequel portent de tels droits.

2) L'article 13, B, sous b), et C, sous a), de la directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale, telle que l'article 11, paragraphe 1, sous b), point 5, de ladite loi du 28 juin 1968, telle que modifiée par la loi du 18 décembre 1995, qui, aux fins de l'application de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, permet d'assimiler à l'affermage et à la location de biens immeubles la constitution, pour une durée convenue et contre rémunération, d'un droit réel conférant à son titulaire un pouvoir d'utilisation sur un bien immeuble tel que le droit d'usufruit en cause au principal.