61999C0192

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 7 novembre 2000. - The Queen contre Secretary of State for the Home Department, ex parte: Manjit Kaur, en présence de: Justice. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Crown Office) - Royaume-Uni. - Citoyenneté de l'Union - Nationalité d'un Etat membre - Déclarations du Royaume-Uni concernant la définition du terme 'ressortissant' - Citoyen britannique d'outre-mer. - Affaire C-192/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-01237


Conclusions de l'avocat général


1. La nature des liens qui unissent une personne à un État membre détermine pour une large part les droits dont elle bénéficie en vertu du droit communautaire. Cette réalité s'exprime à travers l'expression «ressortissant d'un État membre», notion centrale de l'ordre juridique communautaire, puisque de la possession de cette qualité dépend un grand nombre de ces droits tels qu'ils résultent des principes généraux du droit communautaire.

2. Le traité sur l'Union européenne a modifié les termes de l'article 8 du traité CE (devenu, après modification, article 17 CE ), instituant ainsi une citoyenneté de l'Union et subordonnant cette citoyenneté à la possession de la «nationalité d'un État membre». Par là même, le législateur communautaire a réitéré son attachement à l'existence d'un ancrage national préalable de ceux qui entendent invoquer le bénéfice du droit communautaire.

3. Confrontée à la situation particulière du droit britannique de la nationalité, lequel comprend différentes catégories de nationalité dont l'une permet de refuser à son détenteur tout droit d'entrée et de séjour sur le territoire britannique, la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Crown Office) (Royaume-Uni), demande d'abord à votre Cour d'interpréter la notion de «personne ayant la nationalité d'un État membre». Le juge de renvoi entend ainsi être en mesure de statuer sur l'attribution de la qualité de «citoyen de l'Union» au profit de la partie requérante.

La High Court of Justice vous interroge ensuite sur le contenu et la portée de la notion de «citoyenneté de l'Union», définie à l'article 8 A, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 18, paragraphe 1, CE), afin de se prononcer sur les effets que cette qualité est susceptible de produire, en matière de droit d'entrée et de séjour, à l'égard d'un citoyen britannique privé de ce droit en vertu de la législation nationale.

I - Cadre juridique

Droit communautaire

4. Les articles 8 et 8 A, paragraphe 1, du traité sont ainsi libellés:

«Article 8

1. Il est institué une citoyenneté de l'Union

Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre.

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité.

Article 8 A

1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

5. À l'occasion de la signature des actes relatifs à l'adhésion aux Communautés européennes du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, le gouvernement du Royaume-Uni a fait la déclaration suivante concernant la définition du terme «ressortissants» :

«En ce qui concerne le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, les termes ressortissants, ressortissants des États membres ou ressortissants des États membres et des pays et territoires d'outre-mer, lorsqu'ils sont utilisés dans le traité instituant la Communauté économique européenne, le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique ou le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier ou dans tout acte communautaire découlant de ces traités, doivent être compris comme se référant aux:

a) personnes qui sont des citoyens du Royaume-Uni et des colonies, ou personnes qui sont des sujets britanniques ne possédant pas cette citoyenneté ou la citoyenneté d'un autre pays ou territoire du Commonwealth, et qui, dans l'un et l'autre de ces cas, possèdent le droit de résidence au Royaume-Uni et sont de ce fait dispensées du contrôle d'immigration du Royaume-Uni;

b) personnes qui sont des citoyens du Royaume-Uni et des colonies parce qu'elles sont nées, ou ont été inscrites au registre de l'état civil ou naturalisées à Gibraltar, ou dont le père est né, ou a été inscrit au registre de l'état civil ou naturalisé à Gibraltar.»

6. En 1982, le gouvernement du Royaume-Uni a déposé auprès du gouvernement de la République italienne, dépositaire des traités, une nouvelle déclaration concernant la définition du terme «ressortissants» ainsi formulée:

«Compte tenu de l'entrée en vigueur du British Nationality Act 1981 (loi de 1981 sur la nationalité britannique), le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord fait la déclaration ci-après, qui remplacera, à partir du 1er janvier 1983, celle qui avait été faite lors de la signature du traité relatif à l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes:

"En ce qui concerne le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, les termes ressortissants, ressortissants des États membres ou ressortissants des États membres et des pays et territoires d'outre-mer, lorsqu'ils sont utilisés dans le traité instituant la Communauté économique européenne, le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique ou le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier ou dans tout acte communautaire découlant de ces traités, doivent être compris comme se référant aux:

a) citoyens britanniques;

b) personnes qui sont des sujets britanniques en vertu de la quatrième partie de la loi de 1981 sur la nationalité britannique et qui possèdent le droit de résidence au Royaume-Uni et sont de ce fait dispensées du contrôle d'immigration du Royaume-Uni;

c) citoyens des territoires dépendants britanniques acquérant leur citoyenneté du fait d'un lien avec Gibraltar."

...»

7. La conférence des représentants des gouvernements des États membres arrêtant le traité sur l'Union européenne a adopté et annexé à l'acte final la déclaration n° 2, relative à la nationalité d'un État membre , qui dispose:

«La Conférence déclare que, chaque fois que le traité instituant la Communauté européenne fait référence aux ressortissants des États membres, la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l'État concerné. Les États membres peuvent préciser, pour information, quelles sont les personnes qui doivent être considérées comme leurs ressortissants aux fins poursuivies par la Communauté en déposant une déclaration auprès de la présidence; ils peuvent, le cas échéant, modifier leur déclaration.»

Droit national

8. En vertu de la British Nationality Act 1948 , la notion de sujet britannique regroupait, outre les citoyens des États indépendants du Commonwealth, les «citoyens du Royaume-Uni et des colonies», d'une part, et les «sujets britanniques sans citoyenneté», d'autre part, ces derniers étant susceptibles de devenir citoyens d'un pays du Commonwealth nouvellement indépendant lors de l'entrée en vigueur de la loi sur la citoyenneté de ce pays. Si tel n'était pas le cas, de telles personnes acquéraient à ce moment-là la citoyenneté du Royaume-Uni et des colonies.

9. L'Immigration Act 1971 a introduit la notion de «patriality» (droit de résidence) dont les titulaires sont seuls à être dispensés du contrôle sur l'immigration lors de leur entrée au Royaume-Uni.

10. La nouvelle British Nationality Act 1981 abroge le statut de citoyen du Royaume-Uni et des colonies et répartit ceux qui le possèdent en trois catégories:

a) les citoyens britanniques incluant les citoyens du Royaume-Uni et des colonies titulaires dudit droit de résidence au Royaume-Uni;

b) les «British Dependent Territories Citizens» (citoyens des territoires britanniques dépendants) comprenant les citoyens du Royaume-Uni et des colonies n'ayant pas le droit de résidence mais remplissant certaines conditions de rattachement à un territoire dépendant de la Grande-Bretagne censé leur accorder le droit d'immigrer sur ce territoire;

c) les «British overseas citizens» (citoyens britanniques d'outre-mer) regroupant tous les citoyens du Royaume-Uni et des colonies qui ne sont pas devenus des citoyens britanniques ou des citoyens des territoires britanniques dépendants. Faute de lien avec tout territoire dépendant de la Couronne britannique, tout droit d'immigration peut leur être refusé.

II - Faits et procédure au principal

11. Née au Kenya en 1949, Mme Kaur était citoyenne du Royaume-Uni et des colonies, conformément à la loi de 1948. À la suite de l'entrée en vigueur de la loi de 1981, elle a acquis le statut de citoyen britannique d'outre-mer. En cette qualité, elle n'a pas, en vertu du droit national, le droit d'entrer ni de séjourner au Royaume-Uni.

12. Après plusieurs séjours temporaires sur le territoire britannique et alors qu'elle se trouvait de nouveau au Royaume-Uni, Mme Kaur a, le 4 septembre 1996, réitéré la demande d'autorisation de séjour qu'elle avait déjà présentée à plusieurs reprises depuis 1990, date de sa première entrée sur le territoire britannique.

13. Le 20 mars 1997, Mme Kaur a fait appel devant la High Court of Justice de la décision du Secretary of State for the Home Department du 22 janvier 1997, par laquelle ce dernier lui a dénié le droit de séjourner sur le territoire britannique.

14. À cette occasion, elle a fait état de son souhait de demeurer et d'obtenir un emploi au Royaume-Uni ainsi que de se rendre périodiquement dans d'autres États membres afin d'y acheter des biens et des services et, le cas échéant, d'y travailler.

15. Estimant que la solution du litige dont elle est saisie dépend de l'interprétation du droit communautaire, la High Court of Justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Pour déterminer si la demanderesse, en tant que citoyenne britannique d'outre-mer n'ayant pas le droit (en vertu de la législation britannique) d'entrer ni de séjourner au Royaume-Uni, a la qualité de personne ayant la nationalité d'un État membre et, partant, de citoyen de l'Union au sens de l'article 8 du traité CE:

a) quelle est (le cas échéant) la portée en droit communautaire:

i) de la déclaration de 1972 du gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant la définition du terme ressortissants à l'occasion de la signature du traité d'adhésion aux Communautés européennes et annexée à l'acte final de la conférence d'adhésion,

ii) de la déclaration du gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant la définition du terme ressortissants de 1982, et

iii) de la déclaration n° 2 annexée au traité sur l'Union signé le 7 février 1992, selon laquelle la nationalité est réglée uniquement par référence au droit national de l'État concerné et les États membres peuvent préciser, pour information, quelles sont les personnes qui doivent être considérées comme leurs ressortissants aux fins poursuivies par la Communauté?

b) Si et dans la mesure où le Royaume-Uni n'est pas fondé en droit communautaire à invoquer les déclarations visées au point 1 ci-dessus, quels sont les critères pertinents pour déterminer si une personne a la nationalité d'un État membre au sens de l'article 8 du traité CE lorsque le droit interne définit différentes catégories de nationalité dont seules certaines confèrent le droit d'entrer et de séjourner dans cet État membre?

c) Dans ce contexte, quelle est la portée en droit communautaire du principe du respect des droits humains fondamentaux revendiqué par la demanderesse, notamment lorsque la demanderesse se prévaut de l'article 3, paragraphe 2, du quatrième protocole à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant, protocole qui n'a pas été ratifié par le Royaume-Uni?

2) Dans les circonstances de la présente espèce, l'article 8 A, paragraphe 1, du traité CE:

a) confère-t-il le droit à un citoyen de l'Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire d'un État membre dont il est le ressortissant même lorsque ce droit est par ailleurs refusé par le droit national?

b) confère-t-il plus de droits que ceux reconnus par le traité CE avant sa modification par le traité sur l'Union européenne?

c) crée-t-il des droits que les citoyens de l'Union peuvent invoquer directement devant les juridictions nationales?

d) s'applique-t-il à des situations qui sont purement internes à un État membre?»

III - Sur la seconde question préjudicielle, sous d), relative à l'applicabilité de l'article 8 A, paragraphe 1, du traité

16. Il convient de traiter en premier lieu cette question, la nécessité d'examiner les autres questions étant fonction des éléments de réponse qui pourront lui être donnés.

17. Le juge de renvoi demande si l'article 8 A, paragraphe 1, du traité s'applique à une situation telle que celle de l'espèce au principal, dans laquelle une personne qui, en vertu du droit national, possède la nationalité d'un État membre sans bénéficier d'un droit d'entrée et de séjour sur le territoire de cet État invoque l'article 8 A en vue d'obtenir le droit de séjourner sur ledit territoire.

18. Si nous devions répondre par la négative, la première question préjudicielle, relative au point de savoir si la requérante est ou non «une personne ayant la nationalité d'un État membre», au sens de l'article 8 du traité, n'aurait plus lieu d'être.

En effet, si l'article 8 A, paragraphe 1, du traité et les droits attachés à la notion de «citoyenneté de l'Union» qui y figurent devaient être considérés comme étrangers à une situation telle que celle de l'espèce au principal, il importerait peu de se prononcer sur la nationalité de Mme Kaur, dont dépend précisément la qualité de «citoyen de l'Union». Le même raisonnement vaut pour les autres questions comprises sous la seconde question préjudicielle, celles-ci n'étant utiles que dans l'hypothèse où le litige relèverait du droit communautaire.

19. Les gouvernements italien, danois et du Royaume-Uni ainsi que la Commission soutiennent que la question posée échappe au champ d'application du droit communautaire, invoquant la jurisprudence de votre Cour, en particulier l'arrêt du 5 juin 1997, Uecker et Jacquet .

20. Mme Kaur fait valoir que, au contraire, sa situation ne relève pas de cette jurisprudence et doit être soumise au droit communautaire. Elle expose que le droit de séjourner sur le territoire de l'Union européenne, dont elle a été privée, est un droit inhérent à la notion de citoyenneté de l'Union. Selon elle, un État membre ne peut, sans violer le droit communautaire, prendre des mesures ayant pour effet d'empêcher l'un de ses ressortissants d'exercer des droits qui lui sont conférés par l'ordre juridique communautaire. Elle doit être autorisée à entrer sur le territoire de l'Union pour pouvoir exercer tous les droits qui découlent de sa qualité de citoyen de l'Union.

21. L'arrêt Uecker et Jacquet, précité, est l'un des derniers arrêts rendus par votre Cour conformément à sa jurisprudence constante selon laquelle certaines dispositions du droit communautaire ne peuvent être appliquées à des activités qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire et dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre .

22. Cette jurisprudence s'est développée à l'occasion de litiges impliquant le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé à l'article 6, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 12, premier alinéa, CE), ainsi que les articles qui en garantissent l'application dans des domaines propres, tels que la libre circulation des personnes ou des services .

23. Les principes du droit communautaire liés à la libre circulation des personnes et des services visent en effet à garantir qu'un État membre ne puisse tirer prétexte de la nationalité d'un ressortissant d'un autre État membre ou de la circonstance que l'un de ses nationaux a acquis une formation dans un autre État membre pour entraver sa liberté de mouvement sur son propre territoire. La citoyenneté de l'Union, qui englobe ces principes, est destinée à assurer la libre circulation des personnes dans un espace sans frontières intérieures, ainsi que le prévoit l'article 7 A, second alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 14, paragraphe 2, CE).

24. La position de votre Cour à l'égard des situations internes est justifiée par le souci de réserver l'application des dispositions du traité ou des règles de droit dérivé qui en découlent aux situations qui comportent certains facteurs d'extranéité, en particulier celles marquées par l'existence d'éléments transfrontaliers.

25. Dès lors que ces éléments viennent à manquer, le droit communautaire ne peut plus s'appliquer à des situations qui, dans ce cas, relèvent de la compétence des seuls États membres. La présente affaire au principal doit être examinée à la lumière de cette jurisprudence.

26. Mme Kaur se prévaut de la qualité de «personne ayant la nationalité d'un État membre», au sens de l'article 8 du traité, et de «citoyen de l'Union», au sens de l'article 8 A, paragraphe 1, du traité, à l'appui de sa demande de droit au séjour sur le territoire britannique. Elle propose une interprétation de la notion de «personne ayant la nationalité d'un État membre» qui limite le droit des États membres à fixer les critères d'attribution et le contenu de cette nationalité .

27. La «citoyenneté de l'Union», notion récente du droit communautaire, est loin d'avoir été entièrement explorée par votre Cour et fait encore l'objet de débats sur certains de ses aspects . Il reste que l'article 8 A, paragraphe 1, du traité énonce de manière non équivoque, aux fins du présent litige au principal, le droit pour tout citoyen de l'Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres , ce qui exprime l'idée de la libre circulation des ressortissants des États membres d'un État membre à l'autre.

Vous aviez déjà distingué, au sujet de la libre circulation des travailleurs et du droit d'établissement, l'entrée et le séjour d'un ressortissant d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre, qui relèvent du droit communautaire, de l'entrée et le séjour de ce ressortissant sur son propre territoire, fondés sur les droits attachés à sa nationalité . Cette frontière a été maintenue, selon nous, par le texte ajouté à l'article 8, paragraphe 1, du traité par le traité d'Amsterdam. En précisant que «La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas», le législateur communautaire a réaffirmé l'idée d'une répartition des compétences entre les États membres et la Communauté dans des domaines touchant aux droits et devoirs dont peut être investi un individu en raison de sa nationalité. Les rapports qu'un national entretient avec son État d'origine au sujet du droit d'entrée et de séjour doivent donc, en principe, demeurer du ressort de cet État. Il en résulte que la «citoyenneté de l'Union» n'est pertinente en l'espèce que dans une optique de libre circulation entre États membres .

28. Or, conformément à votre jurisprudence constante, les règles en matière de libre circulation des personnes «ne s'appliquent qu'aux ressortissants d'un État membre de la Communauté qui veulent s'établir sur le territoire d'un autre État membre ou bien aux ressortissants de ce même État qui se trouvent dans une situation présentant un facteur de rattachement avec l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire» .

29. Il convient de relever que, d'un point de vue strictement juridique, la demande formulée par Mme Kaur n'est pas destinée à lui faire reconnaître le droit à la libre circulation sur le territoire communautaire, mais vise à obtenir celui de séjourner sur le territoire de l'État membre dont elle possède, selon le droit interne, une forme de nationalité.

30. Ainsi, la requérante ne relève d'aucune des hypothèses envisagées dans votre jurisprudence puisque, d'une part, la procédure au principal n'a pas pour objet de lui faire bénéficier du droit de s'établir sur le territoire d'un autre État membre et, d'autre part, sa situation ne présente pas de facteur de rattachement avec l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire.

31. Il résulte des faits établis par la juridiction nationale que, sans être «citoyenne britannique», au sens du droit national, Mme Kaur possède cependant la qualité de «citoyen britannique d'outre-mer».

32. Deux possibilités sont dès lors envisageables.

33. Admettons, en premier lieu, qu'il revienne au droit communautaire de déterminer si le statut de «citoyen britannique d'outre-mer», en conférant la nationalité britannique à Mme Kaur, lui accorde de ce fait la «nationalité d'un État membre», au sens de l'article 8 du traité. Une interprétation de ce texte conduisant à constater que Mme Kaur possède la nationalité britannique démontrerait que l'élément transfrontalier nécessaire à l'application du droit communautaire fait défaut. Il apparaîtrait alors que la requérante ne cherche pas à s'établir sur le territoire d'un autre État membre et que, en tout état de cause, la situation ne présente aucun facteur de rattachement avec l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire.

Mme Kaur invoque en effet la liberté de circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté - ou, pour le dire comme l'article 8 A, paragraphe 1, du traité, le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres - afin d'obtenir le droit de séjourner sur le territoire britannique. Or, la requérante, qui est par hypothèse de nationalité britannique, se trouve physiquement sur ce territoire sans qu'il apparaisse qu'elle soit en provenance d'un autre État membre. Le refus opposé par les autorités britanniques de la laisser séjourner sur le territoire du Royaume-Uni ne vient donc nullement porter atteinte à la liberté de circulation sur le territoire communautaire. Le seul élément transfrontalier est constitué par la circonstance que Mme Kaur vient d'un État tiers, de sorte que, à l'exception de ce facteur extracommunautaire, tous les éléments de l'affaire au principal se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre.

34. Cette constatation ne saurait être infirmée par le fait que la requérante revendique le droit de voyager en Irlande et d'y exercer les droits d'un citoyen de l'Union . Une perspective purement hypothétique de voyage sur le territoire de la Communauté européenne ne constitue pas un lien suffisant avec le droit communautaire pour justifier l'application de l'article 8 A, paragraphe 1, du traité . Ajoutons que l'objet de la procédure au principal est circonscrit à la contestation d'une décision de refus de séjourner au Royaume-Uni, ce qui confirme que la question principale à laquelle se trouve confrontée la juridiction de renvoi est, faute d'autres éléments probants impliquant la liberté de circulation des personnes, limitée à une problématique purement nationale .

35. En second lieu, si, comme le prétend le gouvernement du Royaume-Uni, Mme Kaur ne possède pas la nationalité britannique aux fins de l'application du traité, il est constant qu'elle n'a pas davantage la nationalité d'un autre État membre. Dans ces conditions, elle doit être considérée, en droit communautaire, comme étant la ressortissante d'un État tiers.

36. Or, le principe de libre circulation des personnes ne trouve pas à s'appliquer dans une situation où, lorsqu'elle ne possède pas la nationalité d'un État membre, la personne qui s'en prévaut cherche à entrer ou à séjourner sur le territoire de l'un des États membres de la Communauté.

37. Vous avez à ce titre clairement rappelé qu'un ressortissant d'un pays tiers «ne peut pas utilement invoquer les règles en matière de libre circulation des personnes...» .

38. En conséquence, que Mme Kaur possède ou non la nationalité britannique, le droit communautaire - et en particulier la liberté de circulation des personnes liée à la citoyenneté de l'Union - apparaît manifestement inapplicable à une situation telle que celle de l'espèce au principal.

39. Compte tenu de cette conclusion, il n'y a pas lieu, comme nous l'avons vu, de répondre aux autres questions.

Conclusion

40. Au regard de ces considérations, nous vous proposons de répondre de la façon suivante aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Crown Office):

«L'article 8 A, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 18, paragraphe 1, CE) ne trouve pas à s'appliquer dans une situation où:

- une personne qui possède la nationalité d'un État membre et qui ne se trouve pas sur le territoire d'un autre État membre conteste le refus opposé par le premier État membre de lui accorder un droit de séjour sur son territoire;

- une personne qui possède la nationalité d'un État tiers conteste le refus opposé par un État membre de lui accorder un droit de séjour sur son territoire.»