61998C0027

Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 25 mars 1999. - Metalmeccanica Fracasso SpA et Leitschutz Handels- und Montage GmbH contre Amt der Salzburger Landesregierung für den Bundesminister für wirtschaftliche Angelegenheiten. - Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt - Autriche. - Marchés publics de travaux - Attribution du marché au seul soumissionnaire jugé apte à y participer. - Affaire C-27/98.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-05697


Conclusions de l'avocat général


1 Par ordonnance du 27 janvier 1998, le Bundesvergabeamt (Autriche) a adressé à la Cour de justice deux questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 18 de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (1) (ci-après la «directive»).

2 Les questions posées concernent en substance la compatibilité du Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (législation autrichienne en matière de passation des marchés publics, ci-après le «BVergG») avec l'article 18 de la directive qui comporte les principes généraux relatifs aux modalités d'adjudication des marchés publics, compte tenu du fait que l'article 55, paragraphe 2, de la disposition autrichienne précitée prévoit que l'appel d'offres peut être retiré dès lors que, après l'élimination des offres non présentées en conformité avec la loi, il n'en reste qu'une seule. Il s'agit par conséquent de voir si la directive impose au pouvoir adjudicateur, lorsque ce dernier a déterminé l'aptitude des entreprises candidates, d'adjuger le marché en cause, même si une seule offre a été considérée comme valable.

Les dispositions de droit communautaire et national applicables

3 La directive coordonne les règles nationales en matière de passation des marchés publics de travaux. Aux termes de son préambule, «la réalisation simultanée de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services en matière de marchés publics de travaux, conclus dans les États membres pour le compte de l'État, des collectivités territoriales et d'autres organismes de droit public, comporte, parallèlement à l'élimination des restrictions, une coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux» (deuxième considérant). Dans le considérant suivant, il est indiqué que «cette coordination doit respecter, dans toute la mesure du possible, les procédures et les pratiques en vigueur dans chacun des États membres». Dans le dixième considérant, on précise à la première phrase que «le développement d'une concurrence effective dans le domaine des marchés publics nécessite une publicité communautaire des avis de marchés établis par les pouvoirs adjudicateurs des États membres».

4 Le titre I de la directive contient des «Dispositions générales». Aux fins de la présente affaire, l'article 8, paragraphe 2, est pertinent, en ce sens que «le pouvoir adjudicateur communique aux candidats ou soumissionnaires qui en font la demande, les motifs pour lesquels il a décidé de renoncer à passer un marché mis en concurrence ou de recommencer la procédure. Il informe aussi l'Office des publications officielles des Communautés européennes de cette décision».

Le titre IV contient les «Règles communes de participation». En application de l'article 18, «l'attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au chapitre 3 du présent titre, compte tenu des dispositions de l'article 19, après vérification de l'aptitude des entrepreneurs non exclus en vertu de l'article 24, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 26 à 29».

5 La législation autrichienne en matière de marchés publics de travaux figure dans le BVergG, en vigueur à partir du 1er janvier 1994 (2). Cette loi prévoit que, une fois que la procédure prévue a été menée à bien, les marchés doivent être attribués à des prix adéquats, conformément aux principes de la libre et loyale concurrence ainsi que de l'égalité de traitement de tous les concurrents et soumissionnaires à des entrepreneurs agréés, efficaces et dignes de confiance (article 16, paragraphe 1). La même loi prévoit que les procédures d'adjudication ne doivent être mises en oeuvre que s'il est réellement prévu d'adjuger la prestation en cause (article 16, paragraphe 5). De manière tout à fait cohérente, l'article 56, paragraphe 1, du BVergG dispose que la procédure d'adjudication d'un marché public se termine avec la conclusion du contrat ou le retrait de l'appel d'offres.

Il y a lieu enfin de tenir compte de l'article 55, paragraphe 2, de la loi autrichienne, dont la compatibilité avec la directive est mise en question dans la présente procédure et selon lequel l'appel d'offres peut être retiré dès lors que, après que l'élimination des offres a été effectuée conformément à l'article 52, il n'en reste qu'une seule en lice. Nous précisons, pour être complet, sur ce point que l'article 52, paragraphe 1, BVergG dispose que, avant de procéder au choix de l'offre à laquelle sera attribué le marché, le pouvoir adjudicateur, en se fondant sur les résultats de l'examen, éliminera sans délais les offres des entreprises candidates qui ne respectent pas certains des critères qu'il mentionne. Sont donc exclues par exemple les offres présentées sans les autorisations nécessaires, ou ne présentant pas la capacité économique, technique et financière ou la crédibilité nécessaire (paragraphe 1), ainsi que les offres dont le prix global n'a pas été déterminé de manière plausible (paragraphe 3).

Les faits et les questions préjudicielles

6 La procédure en cause tire son origine de la décision de l'Amt der Salzburger Landesregierung de procéder à un appel d'offres au printemps de 1996 pour l'exécution des travaux de construction sur la Westautobahn A1. Après que les procédures y relatives ont été menées à bien, le marché a été adjugé à l'entreprise ARGE Betondecke-Salzburg West. En novembre de la même année le pouvoir adjudicateur, sur la base d'une nouvelle évaluation technique des travaux pertinents, a lancé un appel d'offres relatif au «lot portant sur des travaux de revêtement de l'autoroute Salzburg-West, km 292,7 à 297,7, aménagement final, livraison et pose d'un ensemble de glissières en acier». La procédure d'adjudication finale du marché en cause a débuté formellement avec la publication de l'appel d'offres, le 24 avril 1997. Après qu'il eut été vérifié que les quatre entreprises concurrentes remplissaient les critères de qualification, il n'en est plus resté en lice qu'une seule, c'est-à-dire le groupe d'entreprises, Bietergemeinschaft Metalmeccanica Fracasso SpA - Leitschutz Handels-und Montage GmbH. Le pouvoir adjudicateur a par conséquent décidé de se prévaloir de la faculté de mettre fin à la procédure d'adjudication telle que prévue par l'article 55, paragraphe 2, du BVergG précité. A la suite d'un accord amiable obtenu au cours d'une procédure de conciliation menée devant la Bundesvergabekontrolkommission (commission spéciale fédérale de contrôle) (3), l'association des entreprises dans la procédure au principal a introduit une demande de réexamen, conformément à l'article 113 du BVergG. La troisième chambre du Bundesvergabeamt, saisie de la demande, a décidé de déférer à la Cour, la question préjudicielle suivante:

«La disposition figurant à l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93/37/CEE, selon laquelle l'attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au chapitre 3 du présent titre, compte tenu des dispositions de l'article 19, après vérification de l'aptitude des entrepreneurs non exclus en vertu de l'article 24, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 26 à 29, doit-elle être interprétée de telle sorte que les pouvoirs adjudicateurs sont tenus d'adjuger le marché à une offre, même lorsque cette offre est la seule restant en lice pour la passation du marché en cause. L'article 18, paragraphe 1, de la directive 93/37/CEE est-il suffisamment concret et précis pour qu'un particulier puisse l'invoquer dans une procédure fondée sur des dispositions du droit national et que cette disposition puisse être opposée aux dispositions du droit national en tant qu'élément du droit communautaire?»

Sur la première question préjudicielle

7 Bien qu'elle n'ait déféré à la Cour qu'une seule question, la juridiction nationale pose en réalité à la Cour deux questions distinctes. Par la première, le juge national entend savoir si l'article 18 de la directive peut avoir une incidence sur la solution du litige au principal. Ce litige concerne, nous le rappelons, la légitimité de la décision du pouvoir adjudicateur de ne pas procéder à une adjudication s'il ne reste en présence qu'une seule offre valable.

8 La directive communautaire en cause dans la présente affaire, comme toutes les directives en matière d'appel d'offres qui constituent, on le sait, un ensemble de règles homogènes dans les principes, la finalité et la technique rédactionnelle du texte, ne fournit pas d'indications explicites à cet égard. Cette circonstance ne saurait cependant surprendre, étant donné que la directive vise seulement à une coordination des procédures nationales et non à instituer des règles exhaustives destinées à remplacer totalement divers systèmes juridiques nationaux en matière d'appel d'offres. Cette conclusion se déduit de la directive elle-même qui prévoit dans son troisième considérant que cette coordination doit «respecter, dans toute la mesure du possible, les procédures et les pratiques en vigueur dans chacun des États membres».

Compte tenu d'une telle circonstance, on peut raisonnablement se demander si l'espèce en cause ici n'est pas extérieure au champ d'application de la directive, avec pour conséquence que c'est aux États membres qu'il incombe de résoudre la question posée, compte tenu du principe que nous venons de rappeler du respect, «dans toute la mesure du possible», des procédures et des pratiques nationales.

9 Cette thèse, bien qu'elle soit intéressante, ne nous convainc pas: en réalité, la Commission, comme du reste les gouvernements qui sont intervenus dans la présente procédure, bien qu'elle considère que les États membres restent libres d'accorder à un pouvoir adjudicateur la faculté de révoquer l'appel d'offres, insiste sur les risques éventuels qui résultent d'un éventuel usage abusif de cette faculté.

Il nous semble en effet raisonnable que la réglementation communautaire, et notamment, en ce qui nous concerne, la directive travaux, ne se désintéresse pas des modalités qui réglementent concrètement une telle affaire dans divers ordres juridiques nationaux. Nous estimons que cela vaut la peine, à cet égard, de rappeler brièvement les arguments avancés par les parties qui sont intervenues dans la présente procédure.

10 La demanderesse au principal, en exposant sa thèse selon laquelle le pouvoir adjudicateur est tenu d'adjuger les travaux à l'unique entreprise restée en lice, soutient qu'il résulte d'une lecture systématique des dispositions de la directive, et notamment de ses articles 7, 8, 18 et 30 - tels qu'ils ont été interprétés, selon elle, par la Cour (4) -, qu'il convient de rappeler que la faculté pour le pouvoir adjudicateur de renoncer à l'adjudication d'un marché public et de recommencer la procédure doit rester limitée à des hypothèses exceptionnelles et particulièrement graves (mort, faillite et ainsi de suite).

La Commission démontre, au contraire, que précisément, en raison de l'article 8, paragraphe 2, de la directive, selon lequel «le pouvoir adjudicateur communique aux candidats ou soumissionnaires qui en font la demande, les motifs pour lesquels il a décidé de renoncer à passer un marché mis en concurrence ou de recommencer la procédure», il y a lieu de conclure dans le sens opposé. A son avis, cette disposition démontrerait en effet de manière indiscutable que la directive attribue aux pouvoirs adjudicateurs la faculté de mettre fin à un appel d'offres public en le retirant. Du reste, fait encore valoir la Commission, on peut aisément déduire de la ratio de la directive qu'elle est inspirée par l'exigence fondamentale de soumettre les contrats de marchés publics au développement d'une concurrence effective (dixième considérant) ou réelle (voir l'article 22, pour l'hypothèse de l'adoption d'une procédure négociée), exigence qui serait par contre contredite par l'obligation alléguée qui incombe au pouvoir adjudicateur d'attribuer le marché dans le cas où il ne reste plus qu'un seul soumissionnaire.

L'Amt der Salzburger Landesregierung, partie dans la procédure au principal, met lui aussi l'accent sur la circonstance que la ratio fondamentale de la directive communautaire est d'ouvrir la concurrence communautaire au secteur des adjudications de marchés publics et sur le fait que l'ensemble des dispositions de la directive, en partant des critères d'adjudication figurant en son article 30, point 1, sous a) et b), présuppose la possibilité de comparer plusieurs offres.

Le gouvernement autrichien, en utilisant des arguments analogues, précise en outre que l'article 18 de la directive établit, simplement une règle commune de participation, du moment qu'il ne fait qu'indiquer le type d'entreprises pouvant être pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour l'adjudication du marché.

Enfin, le gouvernement français qui est intervenu dans la phase orale souligne que, en droit français aussi (notamment, conformément à l'article 95 ter du code des marchés publics), le pouvoir adjudicateur peut, pour des motifs d'intérêt général, ne pas donner suite à une procédure d'appel d'offres.

11 Lors de la procédure orale, plusieurs des parties ont rappelé que le Tribunal de première instance a eu récemment l'occasion de résoudre une question analogue, bien que dans le cadre de la directive «services» (5), en ce sens que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de mener à son terme une procédure d'attribution d'un marché en procédant à une adjudication (6).

12 Or, la thèse de la demanderesse au principal ne saurait, selon nous, être accueillie. En premier lieu, on ne peut pas ne pas tenir compte de la présence d'une disposition telle que celle figurant à l'article 8, paragraphe 2, qui prévoit expressément qu'il peut y avoir un retrait de l'appel d'offres. En second lieu, les dispositions visées à l'article 18 sont des règles de nature procédurale qui lient l'administration en ce qui concerne les critères d'adjudication (ou ceux qui sont visés au chapitre 3 du même titre), définissant en même temps un régime commun de qualification des entreprises soumissionnaires, qui constituent une sorte de condition préalable pour la participation à l'appel d'offres. On ne peut par conséquent rien déduire d'autre de l'article 18 sinon que les critères de sélection des candidats et les causes de leur exclusion de l'adjudication doivent être précisément ceux rappelés par la disposition précitée: toute interprétation différente - et notamment celle visant à déduire de la règle en cause une obligation d'adjuger le marché, également dans l'hypothèse dans laquelle une seule entreprise s'est présentée et a été qualifiée - ne ferait que solliciter indûment le texte de la directive en cause.

13 En fait, nous sommes d'avis qu'il ne saurait y avoir de doutes sur le fait que la faculté de procéder au retrait de l'acte administratif lançant l'appel d'offres est l'expression d'un pouvoir reconnu aux pouvoirs adjudicateurs dans les ordres juridiques des États membres et que, tant qu'une décision finale relative à l'adjudication n'a pas été prise, le pouvoir adjudicateur est en substance libre de ne pas adjuger un marché pour tout motif d'intérêt public ou de procéder à une nouvelle évaluation des conditions dans lesquelles le travail projeté n'a pas été réalisé (absence de ressources adéquates, évolution de l'état des connaissances dans un secteur technique spécifique, et ainsi de suite) (7).

14 Ce que nous avons fait observer jusqu'à présent n'implique pas que le pouvoir qu'a l'administration de se protéger est absolu et qu'il n'est pas susceptible de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. En principe, la comparaison des diverses offres n'est pas un objectif en soi, et constitue plutôt l'idée de départ autour de laquelle s'organisent les règles rationalisant l'action administrative. Par conséquent, on ne saurait exclure que, dans certains cas, négocier avec un seul soumissionnaire permet d'obtenir des résultats même meilleurs que le recours à la procédure d'appel d'offres. En fait, s'il est vrai que la directive présuppose normalement dans toutes ses dispositions une comparaison entre différentes offres, il est également vrai que, à la lumière de l'article 18, l'administration est tenue de communiquer aux candidats et aux soumissionnaires pour quels motifs elle a décidé de renoncer à l'adjudication ou de recommencer la procédure.

15 En d'autres termes, on ne saurait déduire de la directive que le pouvoir adjudicateur est tenu, en tout état de cause, de procéder à l'adjudication, lorqu'il n'est en présence que d'une seule offre, mais il faut d'autre part admettre que, après que l'appel d'offres a eu lieu selon les impératifs de publicité et d'égalité de traitement figurant dans la directive, l'administration peut parfois adjuger un marché au seul candidat qui s'est présenté ou qui est resté en lice, sans que puisse être invoqué un principe inexistant de concurrence à tout prix. C'est dans cette optique qu'il y lieu d'analyser la disposition visée à l'article 8, paragraphe 2, de la directive. Cette disposition vise à empêcher le pouvoir adjudicateur de se débarrasser d'un contractant potentiel de manière arbitraire ou au mépris des principes fondamentaux du droit communautaire.

16 Comme nous l'avons indiqué auparavant, la conclusion selon laquelle la directive n'exclut pas la faculté pour le pouvoir adjudicateur de retirer l'appel d'offres a été récemment partagée par le Tribunal de première instance en ce qui concerne l'appel d'offres ouvert par le Parlement européen pour les services de transports de personnes par véhicules avec chauffeurs (8). Dans un contexte différent de l'affaire en cause - il y avait dans l'affaire citée plusieurs offres et non une seule -, le Tribunal a jugé que «le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de mener à son terme une procédure d'attribution d'un marché» (point 54 de l'arrêt), en faisant observer que le pouvoir adjudicateur dispose à cet égard d'un large pouvoir discrétionnaire qui ne peut faire l'objet d'un contrôle que dans les limites du caractère arbitraire de la décision (point 60).

Or, nous considérons que, bien qu'il se soit agi de la directive services, ce principe peut assurément être suivi et étendu à la directive travaux, comme du reste à toutes les directives en matière d'appel d'offres puisqu'il s'agit d'un principe général, qui remonte aux traditions juridiques des États membres, que les directives en question visent à respecter.

17 Il y a lieu, en tout état de cause, d'ajouter que l'obligation de communiquer les motifs pour lesquels l'administration souhaite renoncer à passer le marché ou recommencer la procédure prévue à l'article 8, paragraphe 2, de la directive doit être correctement analysée. Cette procédure permet en effet qu'un contrôle de la légalité de l'action administrative puisse être exercé, du moins lorsque le retrait de l'acte n'est qu'un prétexte ou qu'il intervient en violation d'autres règles de droit communautaire. Tel serait le cas, par exemple, lorsque le pouvoir adjudicateur se sert des procédures d'appels d'offres, uniquement pour perdre du temps et créer exprès une urgence, qu'il prend ensuite, comme prétexte pour attribuer le marché en cause selon une procédure négociée, et cela, en dépit de la règle communautaire selon laquelle l'urgence ne doit en aucun cas être imputable aux pouvoirs adjudicateurs [voir article 7, paragraphe 3, sous c), de la directive].

Si l'on examine les circonstances spécifiques de la présente affaire, il y a lieu d'ajouter que le retrait de l'appel d'offres pourrait en toute hypothèse être considéré comme arbitraire dès lors que le pouvoir adjudicateur annule l'appel d'offres, non pour adopter une solution technique moins onéreuse que celle qui a été prévue à l'origine, comme tel a été effectivement le cas en l'espèce, mais en prétextant que l'offre ne convenait pas, offre qui avait été certes qualifiée précédemment d'anormalement basse, mais avait toutefois satisfait aux critères de la vérification contradictoire visée à l'article 30, paragraphe 4, de la directive.

18 En définitive, il ne nous paraît par conséquent pas contestable que le pouvoir adjudicateur puisse parfois, pour des motifs objectifs d'intérêt public, annuler l'appel d'offres et refuser d'attribuer le marché lorsqu'une seule offre a été présentée ou est restée en lice à condition qu'un tel refus ne soit pas un acte arbitraire ou qui ne serve que de prétexte et qu'il ne constitue pas non plus une violation des règles de la directive ou d'autres règles ou principes de droit communautaire.

19 Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que l'article 18 de la directive ne fait pas obstacle à une réglementation nationale qui permet à une administration de retirer un appel d'offres dans l'hypothèse dans laquelle, à la suite du rejet d'offres qui n'ont pas été valablement présentées, il ne reste en lice qu'une seule des entreprises soumissionnaires.

Sur la seconde question préjudicielle

20 Avec la seconde question préjudicielle, le juge de renvoi demande à la Cour si la disposition visée à l'article 18, paragraphe 1, de la directive peut être invoquée devant les juridictions nationales.

21 Nous faisons observer à cet égard que cette question n'est pertinente - dans la perspective du juge national - que dans la mesure dans laquelle l'article 18 est interprété de la manière suggérée par la requérante au principal. Eu égard à la réponse donnée à la première question, la seconde est sans objet.

Cela étant posé et puisque nous souhaitons en toute hypothèse fournir une réponse à la question en cause, nous nous bornons à observer que ladite question appelle une réponse positive. L'article 18 met en effet à la charge de l'administration des obligations inconditionnelles et suffisamment précises pour qu'elles puissent être invoquées par des particuliers devant les juridictions nationales. Nous ajoutons que cette solution a déjà été admise par la Cour en de précédentes occasions, en ce qui concerne les dispositions équivalentes figurant dans la version précédente de la directive (9).

22 Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre à la seconde question en ce sens que l'article 18 de la directive est suffisamment clair et précis pour pouvoir être invoqué devant une juridiction nationale.

Conclusion

23 Pour les motifs ci-dessus exposés, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Bundesvergabeamt:

«1) L'article 18 de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, ne fait pas obstacle à une législation nationale qui permet au pouvoir adjudicateur de retirer un appel d'offres dans l'hypothèse dans laquelle, à la suite de l'élimination légitime des offres qui n'ont pas été présentées de manière valable, il ne reste plus qu'une seule entreprise soumissionnaire.

2) L'article 18 de la directive 93/37 est suffisamment clair et précis pour pouvoir être invoqué devant une juridiction nationale.»

(1) - JO L 199, p. 54, modifiée récemment par la directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO L 328, p. 1).

(2) - La loi en cause a été publiée une nouvelle fois dans le BGBl. n_ 56/1997 à la suite de la codification des marchés publics de travaux, qui est intervenue avec la loi du 27 mai 1997.

(3) - Articles 109 et 110 du BVergG.

(4) - La demanderesse au principal évoque notamment les arrêts du 10 février 1982, Transporoute (76/81, Rec. p. 417); du 9 juillet 1987, CEI e.a., (27/86 à 29/86, Rec. p. 3347); du 20 septembre 1988, Beentjes (31/87, Rec. p. 4635, et du 16 octobre 1997, Hera (C-304/96, Rec. p. I-5685).

(5) - Directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).

(6) - Arrêt du 17 décembre 1998, Embassy Limousines (T-203/96, non encore publié au Recueil).

(7) - Toujours en faisant référence à l'hypothèse du soumissionnaire unique, il y a lieu de signaler qu'en Italie le règlement sur la comptabilité de l'État - dont l'application a toutefois été étendue par voie prétorienne à toutes les entreprises publiques - dit précisément qu'il y a lieu de déclarer qu'un appel d'offres est infructueux s'il n'y a pas eu au moins deux soumissionnaires, «sauf dans les cas dans lesquels le pouvoir adjudicateur a prévu à l'avance en le mentionnant dans l'avis d'appel d'offres que l'adjudication ayant lieu sous un régime d'offres secrètes, il est procédé à l'adjudication, même s'il n'est présenté qu'une seule offre» (article 69 du décret royal n_ 827, du 23 mai 1924. S'agissant d'une application récente de la règle en cause, voir la décision de la Cour des comptes italienne, du 27 février 1997, point 33, dans Rev. Corte dei conti, fasc. 1, p. 36).

(8) - Arrêt Embassy Limousines, précité.

(9) - Arrêt Beentjes, point 44.