61996A0107

Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre élargie) du 17 février 1998. - Pantochim SA contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'Etat - Recours en carence - Non-lieu à statuer - Recours en indemnité - Demande visant à imposer à un Etat membre une modification des modalités d'octroi d'une aide déjà accordée - Circonstances de fait - Incompétence de la Commission. - Affaire T-107/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page II-00311


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Recours en carence - Élimination de la carence après l'introduction du recours - Disparition de l'objet du recours - Non-lieu à statuer

(Traité CE, art. 175 et 176)

2 Responsabilité non contractuelle - Conditions - Illégalité - Fait pour la Commission de ne pas adopter des mesures se situant en dehors de sa compétence - Exclusion

(Traité CE, art. 93, § 2, et 215)

Sommaire


1 La voie de recours prévue à l'article 175 du traité est fondée sur l'idée que l'inaction illégale de l'institution permet de saisir le juge communautaire afin que celui-ci déclare que l'abstention d'agir est contraire au traité, dans la mesure où l'institution concernée n'a pas remédié à cette abstention. Cette déclaration a pour effet, aux termes de l'article 176 du traité, que l'institution défenderesse est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt du juge communautaire, sans préjudice des actions en responsabilité extra-contractuelle pouvant découler de cette même déclaration.

Dans le cas où l'acte dont l'omission fait l'objet du litige a été adopté après l'introduction du recours, mais avant le prononcé de l'arrêt, une déclaration du Tribunal constatant l'illégalité de l'abstention initiale ne peut plus conduire aux conséquences prévues par l'article 176. Il en résulte que, dans un tel cas, tout comme dans le cas où l'institution défenderesse a réagi à l'invitation à agir dans le délai de deux mois, l'objet du recours a disparu, de sorte qu'il n'y a plus lieu de statuer.

La circonstance que cette prise de position de l'institution ne donne pas satisfaction à la partie requérante est à cet égard indifférente, car l'article 175 vise la carence par abstention de statuer ou de prendre position et non l'adoption d'un acte autre que celui que les requérants auraient souhaité ou estimé nécessaire.

2 La responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait être engagée que si un ensemble de conditions, en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à l'institution communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué, sont réunies.

S'agissant de la première de ces conditions, le refus de la part de la Commission d'arrêter, dans le cadre d'une procédure administrative au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, des mesures qui se situent manifestement en dehors des compétences qui lui ont été reconnues dans le contexte de cette procédure, ne constitue pas un comportement illégal et, par conséquent, n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté.

A cet égard, l'adoption par la Commission d'une mesure provisoire enjoignant un État membre d'exonérer l'entreprise requérante d'une taxe controversée au regard des règles du traité en matière d'aides d'État, se situe manifestement en dehors des compétences qui ont été reconnues à cette institution dans le cadre de la procédure administrative prévue par l'article 93, paragraphe 2. En effet, lorsque la Commission constate, dans le cadre d'une telle procédure, qu'une aide a été instituée sans lui avoir été préalablement notifiée, elle ne peut adopter d'autre mesure provisoire que celle consistant à enjoindre à l'État membre concerné de suspendre immédiatement - fût-ce de façon partielle - le versement de l'aide et de lui fournir, dans un délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de cette aide avec le marché commun.

Parties


Dans l'affaire T-107/96,

Pantochim SA, société de droit belge, établie à Feluy (Belgique), représentée par Me Jacques Bourgeois, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Marc Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gérard Rozet, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Hervé Lehman, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée initialement par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Frédéric Pascal, chargé de mission à la même direction, puis par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la même direction, et M. Pascal, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie intervenante,

ayant pour objet, d'une part, une demande tendant à la constatation d'une carence de la Commission, en ce qu'elle se serait illégalement abstenue de décider, conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité, que la France devait modifier les modalités d'octroi de l'aide qu'elle accordait aux biocarburants, et, d'autre part, une demande en indemnisation du préjudice résultant pour la requérante de ladite carence,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 7 octobre 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Faits à l'origine du litige

1 La requérante, Pantochim SA, dont le siège social est à Feluy (Belgique), est une filiale de la Società italiana serie acetica sintetica SpA (ci-après «SISAS»), établie à Milan (Italie). Elle dispose à Feluy d'une unité de production de gazole d'origine végétale, appelé «Sisoil E». Le Sisoil E est un ester méthylique d'huiles végétales, qui peut être utilisé seul ou en mélange avec les gazoles classiques pour la carburation et le chauffage domestique.

2 La loi française de finances pour l'année 1992 (loi 91-1322, du 30 décembre 1991, publiée au Journal officiel de la République française du 31.12.1991, p. 17229), en son article 32, a exonéré, jusqu'au 31 décembre 1996, de la taxe intérieure de

consommation les esters d'huile de colza et de tournesol, ainsi que l'alcool éthylique, élaboré à partir de céréales, topinambours, pommes de terre ou betteraves, et incorporé aux supercarburants et aux essences, et les dérivés de ce même alcool (ci-après «biocarburants»). L'arrêté du 27 mars 1992, portant application de cet article 32, a édicté, quant à lui, les critères à remplir pour bénéficier de cette exonération. En particulier, il requérait que les produits visés soient utilisés dans le cadre d'un projet expérimental et soient élaborés dans des unités considérées comme «pilotes».

3 L'article 30 de la loi française de finances rectificative pour l'année 1993 (publiée au Journal officiel de la République française du 31.12.1993, p. 18526) a, en outre, imposé que les produits faisant l'objet de l'exonération soient obtenus à partir de matières premières agricoles «produites sur des parcelles en situation de `jachère non alimentaire' au sens du règlement (CEE) n_ 334/93 de la Commission, du 15 février 1993».

4 En l'absence d'une exonération fiscale, du type de celle décrite ci-dessus, la production de biocarburant ne présenterait aucun intérêt économique en raison de ses coûts de production importants.

5 La SISAS a marqué, dès le mois de novembre 1992, auprès de l'administration française, son intérêt pour l'obtention de l'agrément de son usine de Feluy comme «unité pilote» en vue de la production de biocarburants et a officiellement sollicité cet agrément en mars 1993. Il est toutefois constant que, jusqu'à présent, aucun agrément ne lui a été accordé à cet effet par l'administration française. Ainsi, par lettre du 14 juin 1996, adressée au conseil de Pantochim, le ministre français de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation lui a fait observer que, selon une enquête menée sur place, l'usine de Feluy disposait d'une capacité de production supérieure au volume d'agrément demandé. Or, étant donné que la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), n'autorise les États membres à appliquer des exonérations ou réductions totales ou partielles du taux de l'accise que dans le cadre exclusif de «projets pilotes» définis par la capacité de production des installations, aucun agrément ne pouvait être donné à cette usine en tant qu'unité pilote. En outre, le ministre a affirmé que, étant donné qu'une procédure de contrôle de la compatibilité de la législation française avec le droit communautaire était en cours devant la Commission (voir ci-après), les autorités françaises étaient dans l'impossibilité d'accorder tout nouvel agrément.

6 La Commission a ouvert, le 7 décembre 1994, la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, à l'égard de la législation française exonérant les biocarburants de la taxe intérieure de consommation et en a informé les autorités françaises par lettre du 12 décembre 1994. Une communication «au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité [...] concernant des aides que la France a accordées dans le secteur des biocarburants» a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 9 juin 1995 (JO C 143, p. 8).

7 Dans le cadre de cette procédure administrative, la SISAS a présenté ses observations le 29 juin 1995. Elle a, en outre, demandé à la Commission, en premier lieu, «de constater que, en raison de ces modalités contraires à l'article 95 du traité instituant la Communauté européenne, l'aide accordée par la France à la production de biodiesel n'[était] pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 92 de ce traité», en deuxième lieu, «de décider que la France [devait] modifier cette aide en permettant à du biodiesel produit dans d'autres États membres et livré en France de bénéficier des mêmes avantages» et, en troisième lieu, «de prendre les mesures provisoires qui s'[imposaient] en demandant à la France de procéder dans les meilleurs délais à l'agrément de l'usine de la SISAS à Feluy comme `unité pilote' provisoirement pour une quantité de 20 000 tonnes par an pour 1995».

8 En l'absence de prise de position de la Commission sur ce dossier, la SISAS lui a adressé, le 29 mars 1996, une lettre l'invitant à agir dans un délai de deux mois, conformément à l'article 175 du traité, dans laquelle elle réitérait les demandes formulées dans sa lettre du 29 juin 1995. Elle a, en outre, ajouté qu'elle réservait «le droit de sa filiale Pantochim SA de demander à l'État français ainsi qu'à la Communauté européenne la réparation du dommage économique considérable que Pantochim [avait] subi du fait de son exclusion illégale du marché français de biodiesel détaxé depuis 1993».

9 Par lettre du 24 mai 1996 adressée au conseil de la SISAS, la Commission a fait savoir que ladite lettre du 29 mars 1996 avait été enregistrée en tant que plainte visant à déclencher une procédure d'infraction au titre de l'article 169 du traité CE.

10 La Commission a adopté, le 18 décembre 1996, la décision 97/542/CE, relative aux exonérations fiscales pour les biocarburants en France (JO L 222, p. 26, ci-après «décision du 18 décembre 1996»), notifiée aux autorités françaises le 29 janvier 1997, qui dispose: «Les aides accordées en France sous forme d'exonération fiscale au profit des biocarburants d'origine agricole [...] sont illégales, étant donné qu'elles ont été accordées en violation des règles de procédure énoncées à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Ces aides sont incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité. La France est tenue de supprimer les aides visées à l'article 2, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.»

11 La Commission a, par ailleurs, précisé dans le corps de la décision:

«L'exclusion de certains produits de base du bénéfice de l'exonération de la taxe en cause permet d'affirmer que cette mesure est une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, puisqu'elle fausse la concurrence en favorisant certaines productions agricoles et peut, pour les mêmes raisons, affecter les échanges entre États membres [... A]ucune explication n'a été fournie, susceptible de pouvoir justifier la nécessité de limiter la mesure aux productions agricoles cultivées sur des terres mises en jachère.» (Partie IV, point 5.)

«Compte tenu que l'exonération fiscale ne vise que les biocarburants fabriqués à partir de certains produits de base, la Commission a estimé que le régime constitue une discrimination à l'égard d'autres biocarburants qui peuvent être fabriqués à partir d'autres produits de base (d'une autre espèce, d'une autre origine que les terres gelées); ces autres biocarburants sont soumis en France à une charge d'accise normale. La mesure d'aide sous forme d'exonération constitue dès lors une infraction aux dispositions de l'article 95 du traité du fait qu'elle est réservée à des biocarburants fabriqués à partir d'un nombre limité de produits de base [...] et que les biocarburants, importés des autres États membres, et fabriqués à partir d'autres produits de base, sont taxés plus lourdement.» (Partie V, point 4.)

«[... T]oute intervention étatique dans le domaine couvert par le règlement (CEE) n_ 1765/92 équivaudrait à une ingérence de l'État dans le système complet et exhaustif des organisations communes de marchés.

L'exonération limitée dans certains cas, à partir de 1994, aux produits cultivés sur des terres mises en jachère constitue donc une infraction au règlement (CEE) n_ 1765/92.» (Partie VI, point 2.)

«Par conséquent, les aides indirectes aux produits de base constituent des violations des dispositions des organisations communes de marchés, du règlement (CEE) n_ 1765/92 et de l'article 95 du traité [...], et ne peuvent donc bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité [...]» (Partie VI, point 4.)

«[...] Il faut donc retenir que du point de vue de l'économie du système, l'effet substantiel de l'aide a transité à travers les fabricants, qui eux étaient techniquement les destinataires directs, aux producteurs de la matière primaire en tant que bénéficiaires indirects.

[...]

Compte tenu du caractère passager de l'avantage octroyé au niveau des fabricants de biofuel et de la nature spécifique de l'infraction au niveau des producteurs agricoles, bénéficiaires finals des avantages accordés, la récupération des montants octroyés reviendrait à porter un coup dur à une mesure fondamentalement en conformité avec la politique de la Communauté et dont l'illégalité résidait, mis à part l'aspect procédural, pour l'essentiel dans une approche trop restrictive concernant les bénéficiaires indirects de l'aide.» (Partie VII, point 3.)

12 Par conséquent, aucune obligation de récupération de l'aide n'a été imposée à la République française.

Procédure

13 C'est dans ce conteste que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 1996, Pantochim a introduit le présent recours.

14 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 19 juillet 1996, la requérante a introduit, en vertu de l'article 186 du traité, une demande de mesure provisoire, visant à ce que «la Commission impose, dans le cadre de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, à la France, [de lui] attribuer, à titre provisoire, [...] la quotité sollicitée de biodiesel pouvant bénéficier de l'exonération du droit d'accise applicable».

15 Par ordonnance du 21 octobre 1996, Pantochim/Commission (T-107/96 R, Rec. p. II-1361), le président du Tribunal a rejeté la demande de mesures provisoires introduite par Pantochim et a réservé les dépens.

16 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 novembre 1996, la République française a demandé à intervenir dans la présente affaire à l'appui des conclusions de la défenderesse. Par ordonnance du président de le troisième chambre élargie du Tribunal du 9 janvier 1997, la République française a été admise à intervenir dans la présente affaire.

17 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale en demandant, en application de l'article 65 du règlement de procédure, la production de certains documents. Par ailleurs, le Tribunal a invité les parties à répondre à certaines questions par écrit, ainsi qu'oralement à l'audience. Les parties ont déféré à ces invitations.

18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leur réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 7 octobre 1997.

Conclusions des parties

19 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal,

- constater que la Commission s'est abstenue en violation du traité de décider, conformément à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, que la France devait modifier les modalités d'octroi de l'aide aux biocarburants en les rendant conformes aux règles du traité;

- constater la responsabilité de la Communauté pour le préjudice résultant de cette carence de la Commission et condamner la Commission à réparer ce préjudice évalué, à titre provisoire, à la somme de 50 508 729 FF;

- condamner la défenderesse aux dépens.

20 La Commission conclut dans son mémoire en duplique à ce qu'il plaise au Tribunal:

- constater que le recours en carence est devenu sans objet du fait de l'adoption de la décision du 18 décembre 1996;

- rejeter le recours en responsabilité présenté par Pantochim;

- condamner la partie requérante aux dépens.

21 Le gouvernement français conclut à ce qu'il plaise au Tribunal

- déclarer sans objet le recours en carence, dans la mesure où la Commission a pris la décision du 18 décembre 1996.

Sur les conclusions en carence

Argumentation des parties

22 La requérante souligne que, par lettre du 29 mars 1996, la SISAS a, conformément à l'article 175 du traité, invité la Commission pour le compte de Pantochim à prendre position dans un délai de deux mois et qu'à l'expiration de ce délai, celle-ci était restée en défaut de prendre position.

23 Elle précise qu'elle fait grief à la Commission d'avoir omis de prendre dans un délai raisonnable la décision, conformément à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, enjoignant à la France de «modifier les modalités d'octroi de l'aide aux biocarburants en les rendant conformes aux règles du traité». Or, la Commission ne pourrait qu'interdire les modalités d'octroi de l'aide concernée dans la mesure où celles-ci violeraient manifestement l'article 95 du traité.

24 Elle estime, enfin, qu'abstraction faite d'éventuelles autres illégalités du régime d'aide concerné, sa demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux modalités d'octroi discriminatoires était justifiée en ce qu'elle était «parfaitement détachable du régime d'aide». En s'abritant derrière les autres illégalités potentielles, la Commission omettrait de «rendre les premiers soins sous prétexte qu'elle doit d'abord se livrer à un diagnostic approfondi». Une éventuelle décision impliquant l'obligation pour le gouvernement français de supprimer les aides en question ne permettrait, par ailleurs, pas de rétablir les relations normales de concurrence.

25 La Commission, dans son mémoire en duplique, ainsi que le gouvernement français, dans son mémoire en intervention, font valoir que, du fait de l'adoption de la décision du 18 décembre 1996, le recours en carence est devenu sans objet, de sorte qu'il n'y a plus lieu, pour le Tribunal, de statuer.

26 Dans sa réponse à la lettre du Tribunal l'invitant à prendre position sur cette allégation, la requérante, rappelant que son recours en carence vise à faire «constater que la Commission [...] s'est abstenue, en violation du traité [...], de décider conformément à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité [...], que la France [devait] modifier les modalités d'octroi de l'aide aux biocarburants en les rendant conformes aux règles du traité», fait valoir, en substance, que, tout en relevant dans sa décision que la mesure d'aide sous forme d'exonération constitue une infraction aux dispositions de l'article 95 du traité, la Commission n'a pas pris la décision dont la carence est poursuivie. En effet, plutôt que d'enjoindre à la République française de respecter l'article 95 du traité lors de l'octroi des aides, la Commission a constaté que les aides en cause remplissaient les conditions prévues à l'article 92, paragraphe 1, du traité sans pouvoir bénéficier d'aucune des dérogations prévues aux paragraphes 2 et 3 de ces articles, et les a par conséquent déclarées incompatibles avec le marché commun.

27 Elle fait également observer que la République française, tout en maintenant le régime d'aide déclaré illégal par la Commission, ne lui a toujours pas octroyé le bénéfice de ces aides.

Appréciation du Tribunal

28 Il importe, tout d'abord, de rappeler, que, selon une jurisprudence constante, la voie de recours prévue à l'article 175 du traité, est fondée sur l'idée que l'inaction illégale de l'institution permet de saisir le juge communautaire afin que celui-ci déclare que l'abstention d'agir est contraire au traité, dans la mesure où l'institution concernée n'a pas remédié à cette abstention. Cette déclaration a pour effet, aux termes de l'article 176 du traité, que l'institution défenderesse est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt du juge communautaire, sans préjudice des actions en responsabilité extra-contractuelle pouvant découler de cette même déclaration (arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C-15/91 et C-108/91, Rec. p. I-6061, point 14; arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission, T-28/90, Rec. p. II-2285, point 36).

29 Or, dans le cas où l'acte dont l'omission fait l'objet du litige a été adopté après l'introduction du recours, mais avant le prononcé de l'arrêt, une déclaration du Tribunal constatant l'illégalité de l'abstention initiale ne peut plus conduire aux conséquences prévues par l'article 176 (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1997, Oficemen/Commission, T-212/95, Rec. p. II-1161, points 65 à 68). Il en résulte que, dans un tel cas, tout comme dans le cas où l'institution défenderesse a réagi à l'invitation à agir dans le délai de deux mois, l'objet du recours a disparu.

30 Il résulte, par ailleurs, d'une jurisprudence constante que l'article 175 vise la carence par abstention de statuer ou de prendre position et non l'adoption d'un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire (arrêts de la Cour du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/Commission, 8/71, Rec. p. 705, point 2, et du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166/86 et 220/86, Rec. p. 6473, point 17). Or, en l'espèce, il est indéniable que l'adoption de la décision du 18 décembre 1996 constitue une prise de position de la Commission au sens de l'article 175 du traité par rapport à l'invitation à agir adressée à la Commission en date du 29 mars 1996.

31 En conséquence, la circonstance que la décision adoptée par la Commission le 18 décembre 1996 ne fasse que constater que les aides concernées sont illégales et incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité, et qu'elle oblige la République française à supprimer les aides concernées, sans toutefois lui imposer la modification des modalités d'octroi de l'aide en les rendant conformes aux règles du traité, est à cet égard indifférente.

32 Le Tribunal conclut, dès lors, qu'il n'y a plus lieu de statuer sur le recours en carence.

Sur les conclusions en indemnité

Argumentation des parties

33 La requérante considère, en substance, que, en omettant de prendre la décision dans le cadre de la procédure engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, et en omettant d'imposer à la République française l'obligation de modifier les modalités illégales d'octroi de l'exonération concernée, la Commission a commis une illégalité susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté. En effet, en restant aussi longtemps en défaut de prendre une décision, cette institution l'a, d'une part, empêchée de disposer de l'acte nécessaire pour qu'elle puisse faire valoir un droit à réparation contre l'administration française pour le passé, et ne lui a, d'autre part, pas évité le préjudice futur, mais certain, résultant de son exclusion du marché français pour la nouvelle campagne.

34 Elle estime que, en l'occurrence, la Commission aurait dû agir pour mettre fin aux conditions d'octroi discriminatoires et que, «accusé de non-assistance à personne en danger, on ne saurait échapper à sa responsabilité civile du fait de cette non-assistance en alléguant le dommage causé par l'auteur du danger». Elle rappelle, par ailleurs, que la Commission n'a pas enjoint à la France de suspendre le versement des aides.

35 Elle souligne, en outre, que le large pouvoir d'appréciation que laisse l'article 92, paragraphe 3, du traité à la Commission ne saurait comporter la possibilité d'admettre une violation manifeste des règles élémentaires du traité.

36 En ce qui concerne le préjudice subi, la requérante estime que celui-ci est double dans la mesure où elle aurait subi des pertes et un manque à gagner. En effet, d'une part, elle avait demandé dès novembre 1992 de pouvoir approvisionner le marché français en profitant de l'exonération susmentionnée, d'autre part, l'administration française était sur le point de fixer, pour la campagne suivante, qui devait débuter le 1er juillet 1996, la quantité globale de biocarburant bénéficiant de la détaxation et de répartir les quotas entre les bénéficiaires. Il en résulterait, selon elle, un dommage causé par des pertes de la marge dite «de contribution» et un manque à gagner, pour les années 1993 à 1997, qu'elle chiffre, provisoirement, à 50 508 729 FF.

37 Elle reconnaît qu'en l'état actuel il est difficile de chiffrer avec précision le préjudice causé par la carence de la Commission, dans la mesure où la détermination du préjudice pour le passé «dépend d'une évaluation des dommages-intérêts qu'accorderait le juge français, si la Commission avait décidé [...] que le comportement de l'administration française à l'égard de la requérante [était] illégal».

38 La requérante estime que le lien de causalité entre le préjudice et la carence de la Commission est évident en raison de l'incapacité vraisemblable dans laquelle elle se trouve de faire valoir son droit à réparation vis-à-vis de l'administration française et en raison de l'absence de contrainte pour la République française d'adopter un comportement différent pour la campagne débutant le 1er juillet 1996.

39 La Commission fait valoir, tout d'abord, que, dans la mesure où aucune carence ne peut lui être reprochée, aucun comportement illégal ne saurait lui être imputé, d'une part, et que, à supposer qu'une éventuelle carence soit constatée, la requérante n'a pas démontré qu'elle constituait une violation d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers ou une méconnaissance grave et manifeste des limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs, d'autre part (arrêt du Tribunal du 27 juin 1991, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, T-120/89, Rec. p. II-279, point 74).

40 Elle souligne, à cet égard, que l'article 92, paragraphe 3, du traité, lui accorde un large pouvoir d'appréciation pour décider d'admettre ou non un régime d'aides, ou encore d'imposer des modifications audit régime (arrêt de la Cour du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 36).

41 Elle relève en outre qu'il ne suffit pas qu'une carence soit constatée pour que la responsabilité de la Communauté soit ipso facto engagée, ainsi qu'il ressortirait de l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission (T-387/94, Rec. p. II-961, points 107 et 108).

42 La Commission fait valoir, ensuite, en ce qui concerne le préjudice subi, que l'invitation à agir et une éventuelle carence ne seraient, en tout état de cause, susceptibles d'affecter que la saison 1996 à 1997, et non les saisons antérieures à la mise en demeure. Dans cette mesure, le préjudice dépendrait de l'attitude de l'administration française au cours de cette période.

43 Par ailleurs, un préjudice résultant de l'impossibilité de bénéficier d'aides illégales, ne pourrait ouvrir droit à une indemnisation.

44 La Commission rappelle, enfin, en ce qui concerne le lien de causalité, que l'article 215, deuxième alinéa, du traité ne concerne que les dommages imputables aux institutions de la Communauté ou à leurs agents, à l'exclusion de la responsabilité éventuelle des États membres (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Granaria, 101/78, Rec. p. 623, et du 18 octobre 1984, Eurico/Commission, 109/83, Rec. p. 3581).

45 Elle conteste, à cet égard, le fait que sa prétendue carence constitue un obstacle au droit à réparation à faire valoir contre l'administration française, dès lors que la requérante avait la possibilité de faire valoir ses droits devant une juridiction nationale, en invoquant l'effet direct de l'article 93, paragraphe 3, du traité, dans la mesure où le régime d'aide concerné n'avait pas été notifié (arrêt SFEI e.a., précité), ou l'effet direct de l'article 95 du traité, qui interdit les mesures d'imposition discriminatoires.

46 Elle estime qu'il ressort du point 36 de l'ordonnance du président du Tribunal du 21 octobre 1996, précitée, que la Commission ne pouvait pas «rendre les premiers soins» dans le sens souhaité par la requérante. Elle estime qu'elle pouvait adopter une décision provisoire de suspension de la mesure d'aide, mais que ce n'était pas ce qui était demandé par Pantochim.

47 Elle conclut qu'elle n'avait pas à se prononcer sur le point de savoir si le comportement de l'administration française à l'égard de Pantochim était illégal, mais qu'il lui appartenait simplement de décider si le régime d'aide concerné était, dans son ensemble, compatible ou non avec le marché commun.

Appréciation du Tribunal

48 Selon une jurisprudence bien établie, la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait être engagée que si un ensemble de conditions, en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à l'institution communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué sont réunies (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 80).

49 Le Tribunal estime qu'il ressort d'une lecture de la requête, de l'invitation à agir telle qu'éclairée à la lumière de la lettre de la société mère de la requérante du 29 juin 1995 (voir points 7 et 8 du présent arrêt), des différents mémoires de la requérante et des déclarations faites par celle-ci lors de l'audience, que le présent recours en indemnité vise, en substance, à faire constater que la Commission s'est abstenue, en violation du traité, de décider, à titre provisoire ou définitif, conformément à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, que la République française devait modifier cette aide, en permettant à du biodiesel produit dans d'autres États membres et livré en France de bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux sociétés établies en France qui sont actives dans le même secteur, et que la requérante devait obtenir des autorités françaises compétentes une exonération fiscale pour le biodiesel livré en France, et à constater, en conséquence, la responsabilité de la Communauté pour le préjudice résultant de cette carence de la Commission.

50 Or, il convient de relever que les mesures exigées par la requérante vont au-delà de celles que la Commission est habilitée à arrêter.

51 En effet, il ressort, premièrement, de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal que, lorsque la Commission constate, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, qu'une aide a été instituée sans lui avoir été, ainsi que le prévoit l'article 93, paragraphe 3, du traité, préalablement notifiée, elle ne peut adopter d'autre mesure provisoire que celle consistant à enjoindre à l'État membre concerné de suspendre immédiatement - fût-ce de façon partielle, conformément à l'arrêt de la Cour du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi (74/76, Rec. p. 557, points 14 à 17) - le versement de l'aide et de lui fournir, dans un délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de cette aide avec le marché commun (voir l'arrêt SFEI e.a., précité, point 45, et l'ordonnance Pantochim/Commission, précitée, points 35 et 36). Or, la mesure provisoire demandée par la requérante à la Commission, tendant, en réalité, à ce que celle-ci enjoigne à la France d'exonérer la requérante de la taxe intérieure de consommation, se situe manifestement en dehors des compétences qui ont été reconnues à l'institution défenderesse dans le cadre de la procédure administrative prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité.

52 Il ressort, deuxièmement, de la formulation de l'article 93, paragraphe 2, du traité, que, confrontée à une aide incompatible, la Commission doit ordonner à l'État membre concerné de la «supprimer ou modifier» dans le délai qu'elle détermine. Or, les deux mesures que la requérante demande à la Commission, telles qu'explicitées ci-dessus, se situent en dehors des compétences qui ont été reconnues à la Commission en vue de clore la procédure administrative prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, dans la mesure où une telle demande visant l'obtention d'une aide va au-delà de la suppression ou de la modification de l'aide, comme le permet l'article 93, paragraphe 2, du traité.

53 Il ne saurait, dès lors, être fait grief à la Commission d'avoir adopté un comportement illégal en refusant, par sa décision du 18 décembre 1996, d'arrêter les mesures exigées par la requérante.

54 Il résulte de ce qui précède que la première condition pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, à savoir l'existence d'une illégalité dans le comportement de la Commission, fait défaut en l'espèce.

55 En conséquence, le recours en indemnité doit être rejeté.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

56 Aux termes de l'article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, le Tribunal règle librement les dépens en cas de non lieu à statuer. Par ailleurs, en vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe en ses moyens est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

57 En l'espèce, le Tribunal relève que, en raison de l'illégalité de la mesure exigée par la requérante de la Commission constatée dans le cadre de l'examen du recours en indemnité, le recours en carence intenté par la requérante n'aurait en tout état de cause pu aboutir. La requérante doit dès lors être condamnée à l'ensemble des dépens, à l'inclusion de ceux afférents à la procédure en référé.

58 En application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, le gouvernement de la République française supportera ses propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL

(troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1) Il n'y a plus lieu de statuer sur le recours en carence.

2) Le recours en indemnité est rejeté comme non fondé.

3) La partie requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

4) Le gouvernement de la République française supportera ses propres dépens.