61995J0261

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 juillet 1997. - Rosalba Palmisani contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS). - Demande de décision préjudicielle: Pretura circondariale di Frosinone - Italie. - Politique sociale - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987/CEE - Responsabilité de l'Etat membre du fait de la transposition tardive d'une directive - Réparation adéquate - Délai de forclusion. - Affaire C-261/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-04025


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Droit communautaire - Droits conférés aux particuliers - Violation, par un État membre, de l'obligation de transposer une directive - Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers - Modalités de la réparation - Application du droit national - Délai de forclusion - Admissibilité - Conditions - Respect du principe de l'effectivité du droit communautaire - Respect du principe de l'équivalence des conditions de la réparation avec celles des réclamations semblables de nature interne

(Directive du Conseil 80/987)

Sommaire


Le droit communautaire, en son état actuel, ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose, pour l'introduction de tout recours tendant à la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive 80/987 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, un délai de forclusion d'un an à compter de la transposition dans son ordre juridique interne, à la condition que cette modalité procédurale ne soit pas moins favorable que celles qui concernent des recours similaires de nature interne.$

En effet, la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion, dans la mesure, où elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique, satisfait, en principe, à l'exigence que les conditions, notamment de délai, fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire imputables à un État membre ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation (principe d'effectivité), et le délai en cause, lequel non seulement met les bénéficiaires en mesure de connaître la plénitude de leurs droits, mais précise également les conditions d'indemnisation du dommage subi du fait de la transposition tardive, ne saurait être considéré comme rendant particulièrement difficile, ni à plus forte raison, comme rendant en pratique impossible l'introduction de la demande de réparation.$

Il appartient aux juridictions nationales de vérifier si le délai litigieux respecte également le principe selon lequel les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire imputables à un État membre ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe de l'équivalence). Ces juridictions peuvent valablement prendre en considération la circonstance que les demandes introduites respectivement dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive et de son régime d'indemnisation sont différentes quant à leur objet, et qu'il n'y a donc pas lieu de procéder à la comparaison de leurs modalités procédurales. En outre, dans l'hypothèse où le régime national de droit commun de la responsabilité extracontractuelle applicable ne peut servir de base à une action contre les pouvoirs publics pour un comportement illégal qui leur serait imputable dans le cadre de l'exercice de la puissance publique et où les juridictions nationales ne pourraient procéder à aucune autre comparaison pertinente entre la condition de délai en cause et les conditions relatives à des réclamations semblables de nature interne, il y aurait lieu de conclure que ni le principe de l'équivalence ni celui de l'effectivité du droit communautaire ne s'opposent au délai de forclusion litigieux.

Parties


Dans l'affaire C-261/95,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la Pretura circondariale di Frosinone (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Rosalba Palmisani

et

Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 5 du traité CE et du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par une violation du droit communautaire qui lui est imputable,

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, L. Sevón, D. A. O. Edward, P. Jann et M. Wathelet (rapporteur), juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Mme Palmisani, par Mes M. D'Antona, avocat au barreau de Rome, et A. Schiavi, avocat au barreau de Frosinone,

- pour l'Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), par Mes G. Violante, avocat au barreau de Frosinone, V. Morielli, avocat au barreau de Naples, L. Cantarini et R. Sarto, avocats au barreau de Rome,

- pour le gouvernement italien, par M. le professeur U. Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme L. Nicoll, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de MM. S. Richards et C. Vajda, barristers,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. L. Gussetti, membre du service juridique, assisté par M. H. Kreppel, fonctionnaire national détaché auprès de ce service, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Palmisani, représentée par Me M. D'Antona, de l'Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), représenté par Mes V. Morielli, R. Sarto et A. Todaro, avocat au barreau de Rome, du gouvernement italien, représenté par M. D. Del Gaizo, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme L. Nicoll, assisté de MM. S. Richards et N. Green, barrister, et de la Commission, représentée par M. L. Gussetti, Mme M. Patakia, membre du service juridique, et M. E. Altieri, fonctionnaire national détaché auprès de ce service, en qualité d'agents, à l'audience du 3 octobre 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 janvier 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 27 juin 1995, parvenue à la Cour le 3 août suivant, la Pretura circondariale di Frosinone a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 5 du même traité et du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par une violation du droit communautaire qui lui est imputable.

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant Mme Palmisani à l'Istituto nazionale della previdenza sociale (ci-après l'«INPS») à propos des conditions de réparation du dommage qu'elle a subi du fait de la transposition tardive de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23, ci-après la «directive»).

3 La directive vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les États membres. A cet effet, elle prévoit notamment des garanties spécifiques pour le paiement de leurs rémunérations impayées.

4 Selon l'article 11, paragraphe 1, de la directive, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive avant le 23 octobre 1983.

5 La République italienne n'ayant pas respecté cette obligation, la Cour a constaté son manquement dans l'arrêt du 2 février 1989, Commission/Italie (22/87, Rec. p. 143).

6 En outre, dans l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), la Cour a dit pour droit que les dispositions de la directive qui définissent les droits des travailleurs devaient être interprétées en ce sens, d'une part, que les intéressés ne pouvaient pas faire valoir les droits issus de la directive à l'encontre de l'État devant les juridictions nationales à défaut de mesures d'application prises dans les délais et, d'autre part, que l'État membre était obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive.

7 Le 27 janvier 1992, le gouvernement italien a, en application de l'article 48 de la loi d'habilitation n_ 428 du 29 décembre 1990, adopté le décret législatif n_ 80 transposant la directive (GURI n_ 36 du 13 février 1992, ci-après le «décret législatif»).

8 L'article 2, paragraphe 7, du décret législatif fixe les conditions de réparation des dommages causés par la transposition tardive de la directive en renvoyant aux modalités fixées, en exécution de la directive, pour la mise en oeuvre de l'obligation de paiement des institutions de garantie en faveur des travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur. Cette disposition est ainsi libellée:

«Pour déterminer l'indemnité qui doit éventuellement être accordée aux travailleurs dans le cadre des procédures visées à l'article 1er, paragraphe 1er (à savoir, la faillite, le concordat préventif, la liquidation administrative forcée et l'administration extraordinaire des grandes entreprises en temps de crise), en réparation du dommage découlant du défaut de transposition de la directive 80/987/CEE, les délais, les mesures et les modalités applicables sont ceux visés aux paragraphes 1er, 2 et 4. L'action en réparation du dommage doit être engagée dans un délai d'un an, à compter de l'entrée en vigueur du présent décret».

9 Mme Palmisani a exercé une activité salariée au sein de l'entreprise Vamar, du 10 septembre 1979 au 17 avril 1985, date à laquelle cette dernière a été déclarée en faillite par le Tribunale di Frosinone. Les créances salariales de Mme Palmisani n'ont été satisfaites qu'en très petite partie lors du partage final de la faillite.

10 Le 13 octobre 1994, soit postérieurement à l'expiration du délai de forclusion d'un an prévu par le décret législatif, Mme Palmisani a introduit devant le Pretore di Frosinone une action en réparation fondée sur l'article 2, paragraphe 7, du décret législatif à l'encontre de l'INPS, gestionnaire du fonds de garantie.

11 Mme Palmisani a justifié le dépôt tardif de son recours par les incertitudes laissées par la disposition précitée quant à l'identification de la personne publique tenue de réparer le préjudice et quant à la juridiction compétente pour ce type de recours. Elle a également invoqué la différence manifeste entre le régime mis en place par le décret législatif et le régime général de la réparation en matière de responsabilité extracontractuelle, spécialement en ce qui concerne les délais de recours.

12 La juridiction de renvoi ne partage qu'en partie les doutes de la requérante au principal. Elle s'interroge sur la possibilité, pour l'État italien, au regard des principes dégagés par la Cour de justice, de réglementer, en droit interne, de manière différente - et, sous certains aspects, de manière moins favorable -, les modalités procédurales de réparation du préjudice subi du fait de la transposition tardive de la directive par rapport au régime ordinaire de la réparation, en matière de responsabilité extracontractuelle, au titre de l'article 2043 du code civil italien. La juridiction de renvoi observe à cet égard que, en vertu de l'article 2, paragraphe 7, du décret législatif, l'action en réparation doit être exercée dans un délai de forclusion de douze mois à compter de l'entrée en vigueur du décret législatif, alors que l'action en réparation exercée au titre de l'article 2043 du code civil est soumise à un délai de prescription de cinq ans par l'article 2947 du code civil, susceptible à la fois d'interruption, notamment par des actes extrajudiciaires, et de suspension, en application des articles 2941 et suivants du code civil.

13 La juridiction de renvoi se réfère également, à titre d'éléments de comparaison, d'une part, au délai de prescription d'un an prévu par l'article 2, paragraphe 5, du décret législatif pour demander le bénéfice des prestations prévues par la directive et qui prend cours à la date de la présentation de la demande au Fonds de garantie et, d'autre part, au délai de forclusion d'un an à compter de la présentation de la demande, non susceptible d'interruption ou de suspension, prévu par l'article 4 de la loi n_ 438 du 14 novembre 1992 pour demander le bénéfice de prestations de sécurité sociale (autres que les pensions).

14 Au regard de ce qui précède, la juridiction de renvoi a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Est-il compatible avec l'interprétation correcte de l'article 5 du traité, telle qu'elle ressort à la lumière des principes affirmés par la jurisprudence de la Cour de justice dans les arrêts cités dans les motifs du présent acte [voir arrêts du 25 juillet 1991, Emmott, C-208/90, Rec. p. I-4269; du 25 février 1988, Bianco et Girard, 331/85, 376/85 et 378/85, Rec. p. 1099; du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, Rec. p. 3595; du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e. a., 205/82 à 215/82, Rec. p. 2633; du 10 juillet 1980, Mireco, 826/79, Rec. p. 2559; du 10 juillet 1980, Ariete, 811/79, Rec. p. 2545; du 27 mars 1980, Salumi e.a., 66/79, 127/79, et 128/79, Rec. p. 1237; du 27 février 1980, Just, 68/79, Rec. p. 501; du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, et Francovich e.a., précité], que la législation d'un État membre exige, en prévoyant les modalités suivant lesquelles peuvent agir, à la suite de l'inapplication de directives qui ne sont pas directement applicables, les citoyens qui sont titulaires d'un droit à des dommages-intérêts qui leur est reconnu dans l'ordre juridique communautaire, que la personne lésée introduise son action en justice dans un délai d'un an à compter de la date d'entrée en vigueur de ladite législation interne, ou au contraire l'action en réparation de dommages extracontractuels est-elle normalement soumise, dans l'ordre juridique interne de cet État membre, à un délai de prescription de cinq ans, et l'action visant à obtenir des prestations de sécurité sociale, dans le régime normatif découlant de l'application complète de la directive, doit être entamée dans un délai d'un an, à peine de prescription, ce qui revient à introduire, pour la protection judiciaire de droits fondés sur le droit communautaire, un mécanisme procédural différent, sous les aspects décrits, relativement à des actions et des recours `analogues' prévus par le droit interne de l'État membre, en précisant que, en tout état de cause, toutes les actions destinées à obtenir le versement de prestations de la part de la personne tenue par la loi à la réparation du préjudice sont actuellement subordonnées, toujours selon les dispositions internes de l'État membre, au respect d'un délai de forclusion d'un an; éventuellement, le juge national est-il tenu de ne pas appliquer ledit délai de forclusion, en permettant ainsi aux personnes lésées d'exercer leur action au-delà du délai d'un an et, le cas échéant, dans le délai de prescription de cinq ans prévu pour l'action en réparation ordinaire ou dans le délai de prescription d'un an prévu pour obtenir des prestations de sécurité sociale dans le système constituant la règle?».

En ce qui concerne la recevabilité de la question préjudicielle

15 L'INPS soutient que le droit communautaire ne contient pas d'éléments qui puissent servir au juge national aux fins de trancher le litige au principal, hormis ceux que la Cour a déjà eu l'occasion de préciser dans l'arrêt Francovich e.a., précité.

16 L'INPS ajoute que la Cour n'est pas compétente pour interpréter les dispositions d'une directive qui n'ont pas d'effet direct, que tout conflit entre le droit communautaire et le droit interne doit être résolu par la Corte costituzionale, qui s'est déjà prononcée sur la validité de l'article 2, paragraphe 7, du décret législatif, et que, si le juge a quo conservait des doutes quant à la validité de la disposition nationale litigieuse, il lui appartenait de s'adresser à nouveau à cette juridiction.

17 Enfin, l'INPS estime que l'examen de la compatibilité du régime d'indemnisation mis en place par le décret législatif avec les principes dégagés par la Cour relève exclusivement de la compétence des juridictions nationales.

18 Selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies d'un litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêt du 21 mars 1996, Bruyère e.a., C-297/94, Rec. p. I-1551, point 19). Ce n'est que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation ou l'appréciation de la validité d'une règle communautaire, demandées par la juridiction nationale, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal que la demande préjudicielle peut être rejetée comme irrecevable (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 61).

19 En l'occurrence, il suffit de constater que le juge de renvoi a estimé nécessaire de demander à la Cour les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire afin d'apprécier la compatibilité avec celui-ci des modalités procédurales de l'action en réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive.

20 En outre, il y a lieu de rappeler que l'article 177 du traité confère aux juridictions nationales la faculté et, le cas échéant, leur impose l'obligation de procéder à un renvoi préjudiciel, dès qu'elles constatent, soit d'office, soit à la demande des parties que le fond du litige comporte un point visé par son premier alinéa. Il en résulte que les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour de justice si elles considèrent qu'une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit communautaire nécessitant une décision de leur part (arrêt du 16 janvier 1974, Rheinmühlen, 166/73, Rec. p. 33, point 3).

21 Enfin, la Cour est compétente, aux termes de l'article 177, pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté, indépendamment du fait qu'ils soient directement applicables ou non (arrêt du 20 mai 1976, Mazzalai, 111/75, Rec. p. 657, point 7).

22 Les objections soulevées par l'INPS quant à la recevabilité de la question préjudicielle et à la compétence de la Cour ne peuvent en conséquence être retenues. Il y a donc lieu de répondre à la question posée.

Sur la demande préjudicielle

23 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance si le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre impose, pour l'introduction de tout recours tendant à la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive, un délai de forclusion d'un an à compter de la transposition dans son ordre juridique interne.

24 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l'a itérativement jugé, le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité (arrêts Francovich e.a., précité, point 35; du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 31; du 26 mars 1996, British Telecommunications, C-392/93, Rec. p. I-1631, point 38; du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 24, et du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, Rec. p. I-4845, point 20).

25 Pour ce qui est des conditions dans lesquelles un État membre est obligé de réparer les dommages ainsi causés, il résulte de la jurisprudence précitée qu'elles sont au nombre de trois, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées (arrêts précités Brasserie du pêcheur et Factortame, point 51; British Telecommunications, point 39; Hedley Lomas, point 25, et Dillenkofer e.a., point 21). L'appréciation de ces conditions est fonction de chaque type de situation (arrêt Dillenkofer e.a., point 24).

26 Quant à l'étendue de la réparation à charge de l'État membre auquel le manquement est imputable, il découle de l'arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 82, que la réparation doit être adéquate au préjudice subi, c'est-à-dire de nature à assurer une protection effective des droits des particuliers lésés.

27 Enfin, il résulte d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt Francovich e.a., précité, points 41 à 43, que, sous réserve de ce qui précède, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions, notamment de délai, fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe de l'équivalence) et ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation (principe d'effectivité).

28 En ce qui concerne la compatibilité d'une condition de délai telle que celle prévue par le décret législatif avec le principe de l'effectivité du droit communautaire, il y a lieu de constater que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à cette exigence dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique (voir, notamment, arrêt Rewe, précité, point 5).

29 En outre, un délai d'un an, commençant à courir à compter de l'entrée en vigueur de l'acte de transposition de la directive dans l'ordre juridique interne, lequel non seulement met les bénéficiaires en mesure de connaître la plénitude de leurs droits, mais précise également les conditions d'indemnisation du dommage subi du fait de la transposition tardive, ne saurait être considéré comme rendant particulièrement difficile ni, à plus forte raison, comme rendant en pratique impossible l'introduction de la demande de réparation.

30 A cet égard, Mme Palmisani fait toutefois valoir que l'article 2, paragraphe 7, du décret législatif a laissé subsister une incertitude quant à la personne de droit public tenue de réparer le préjudice et quant au juge compétent pour connaître de l'action en réparation. Cette incertitude n'aurait été levée que par une circulaire de l'INPS, en date du 18 février 1993, soit dix jours avant l'échéance du délai de forclusion.

31 Ainsi que M. l'avocat général le souligne au point 30 de ses conclusions, il résulte d'une jurisprudence constante que l'article 177 du traité institue une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure non contentieuse, étrangère à toute initiative des parties et au cours de laquelle celles-ci sont seulement invitées à se faire entendre dans le cadre juridique tracé par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêt du 1er mars 1973, Bollmann, 62/72, Rec. p. 269, point 4). Or, en l'occurrence, la juridiction de renvoi a, dans son ordonnance, explicitement rejeté les allégations de la requérante. Ces dernières ne peuvent donc être prises en compte dans le cadre du renvoi préjudiciel.

32 Quant au point de savoir si une condition de délai telle que celle prévue par le décret législatif est conforme au principe de l'équivalence avec les conditions concernant des réclamations semblables de nature interne, il y a lieu de rappeler que la juridiction de renvoi se réfère plus particulièrement aux modalités procédurales des demandes de prestations introduites auprès de l'institution de garantie en vertu du décret législatif, des recours tendant à obtenir le bénéfice de prestations de sécurité sociale (autres que les pensions) en application de la loi n_ 438 du 14 novembre 1992 et des recours en indemnité de droit commun, organisés par les articles 2043 et suivants du code civil italien.

33 S'il appartient, en principe, aux juridictions nationales de vérifier si les modalités procédurales destinées à assurer, en droit interne, la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire et, en particulier, la réparation des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire imputables à un État membre sont conformes au principe de l'équivalence, certains éléments du dossier au principal permettent à la Cour de formuler les observations suivantes.

34 D'abord, ainsi que Mme Palmisani et la Commission le soulignent, les mesures d'exécution de la directive contenues dans le décret législatif poursuivent un objectif différent de celui du régime d'indemnisation mis en place par le même décret législatif. En effet, tandis que les premières tendent à mettre en oeuvre, par des garanties spécifiques de paiement de rémunérations impayées, la protection communautaire des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur, le second vise, par définition, à réparer, de façon adéquate, le préjudice subi par les bénéficiaires de la directive du fait de sa transposition tardive.

35 A cet égard, la Cour a d'ailleurs considéré dans les arrêts du même jour, Bonifaci e.a. et Berto e.a. (C-94/95 et C-95/95, non encore publié au Recueil, point 53), et Maso e.a. (C-373/95, non encore publié au Recueil, point 41), que la réparation ne saurait, dans tous les cas, être pleinement assurée par une application rétroactive, régulière et complète des mesures d'exécution de la directive. Il appartient, en effet, au juge national de veiller à ce que la réparation du préjudice subi par les bénéficiaires soit adéquate. Une application rétroactive, régulière et complète des mesures d'exécution de la directive suffira à cette fin sauf si les bénéficiaires établissent l'existence de pertes complémentaires qu'ils auraient subies du fait qu'ils n'ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive et qu'il conviendrait donc de réparer également.

36 Dès lors que les demandes introduites respectivement dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive et de son régime d'indemnisation sont différentes quant à leur objet, il n'y a pas lieu de procéder à la comparaison de leurs modalités procédurales.

37 Il doit en être de même, par identité de motifs, des actions tendant à obtenir, en droit interne, le bénéfice des prestations de sécurité sociale autres que les pensions.

38 Quant au régime de droit commun de la responsabilité extracontractuelle, il y a lieu d'observer que, à la différence des procédures examinées aux points 34 à 37 du présent arrêt, il est, dans l'ensemble, quant à son objet, analogue à celui mis en place par l'article 2, paragraphe 7, du décret législatif en ce qu'il tend à garantir la réparation de dommages subis du fait du comportement de leur auteur. Toutefois, afin de vérifier la comparabilité entre les deux régimes en cause, il convient encore d'examiner les éléments essentiels caractérisant le régime national de référence. A cet égard, la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour apprécier plus spécifiquement si une action en dommages-intérêts exercée par un particulier en vertu de l'article 2043 du code civil italien est susceptible d'être dirigée contre des pouvoirs publics pour une abstention ou un acte illégal qui leur serait imputable dans le cadre de l'exercice de la puissance publique. Il incombe par conséquent à la juridiction de renvoi de procéder à cet examen.

39 Dans l'hypothèse où il s'avérerait que le régime italien de droit commun de la responsabilité extracontractuelle ne peut servir de base à une action contre les pouvoirs publics pour un comportement illégal qui leur serait imputable dans le cadre de l'exercice de la puissance publique et où la juridiction de renvoi ne pourrait procéder à aucune autre comparaison pertinente entre la condition de délai litigieuse et les conditions relatives à des réclamations semblables de nature interne, il y aurait lieu de conclure, compte tenu de ce qui précède, que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose, pour l'introduction de tout recours tendant à la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive, un délai de forclusion d'un an, à compter de la transposition dans son ordre juridique interne.

40 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que le droit communautaire, en son état actuel, ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose, pour l'introduction de tout recours tendant à la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive, un délai de forclusion d'un an à compter de la transposition dans son ordre juridique interne, à la condition que cette modalité procédurale ne soit pas moins favorable que celles qui concernent des recours similaires de nature interne.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

41 Les frais exposés par les gouvernements italien et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),statuant sur la question à elle soumise par la Pretura circondariale di Frosinone, par ordonnance du 27 juin 1995, dit pour droit:

Le droit communautaire, en son état actuel, ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose, pour l'introduction de tout recours tendant à la réparation du dommage subi du fait de la transposition tardive de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, un délai de forclusion d'un an à compter de la transposition dans son ordre juridique interne, à la condition que cette modalité procédurale ne soit pas moins favorable que celles qui concernent des recours similaires de nature interne.