CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIAL FENNELLY

présentées le 21 mars 1996 ( *1 )

Table des matières

 

I — Introduction

 

II — Faits et procédure

 

III — Les dispositions pertinentes du droit communautaire

 

IV — Observations des parties

 

i) Sur la première question — La relation entre l'article 2 et l'article 4, paragraphe 1, de la directive sur les oiseaux

 

ii) Sur la seconde question — La possibilité de tenir compte d'exigences économiques sur la base de la jurisprudence Leybucht ou de la directive sur les habitats

 

V — Examen des questions déférées par la juridiction nationale

 

i) La première question: l'application de l'article 2 dans les décisions de classement

 

a) Le contexte de la directive

 

b) L'économie générale de la directive

 

c) L'interprétation de l'article 2 de la directive

 

d) La relation entre les articles 3 et 4 de la directive

 

e) L'étendue et la nature du pouvoir d'appréciation des États membres dans la sélection des ZPS

 

f) Les arguments de «bon sens»

 

ii) Point a) de la seconde question: la possibilité de tenir compte des exigences économiques répondant à des intérêts généraux supérieurs dans le processus de classement en ZPS

 

iii) Point b) de la seconde question: la possibilité de tenir compte des exigences économiques répondant à un intérêt public majeur au sens de l'article 6, paragraphe 4, de la directive sur les habitats dans le processus de classement en ZPS

 

VI — Conclusion

I — Introduction

1.

La présente affaire concerne la question de savoir si les États membres ont le droit de tenir compte d'exigences économiques lorsqu'ils décident du classement d'un site en zone de protection spéciale (ci-après « ZPS ») en application de la directive sur les oiseaux ( 1 ). Cette question intervient dans le cadre d'un renvoi préjudiciel de la House of Lords portant sur une décision qui exclut de la zone classée une petite partie d'une grande aire de terres humides d'importance internationale. La Cour a été informée que l'affaire au principal revêtait un caractère de principe pour le classement futur d'un grand nombre d'autres zones de protection spéciale (dans l'ensemble du Royaume-Uni et probablement aussi dans un certain nombre d'autres États membres). Un problème connexe a été soulevé au sujet de l'interprétation de certaines dispositions de la directive sur les habitats naturels ( 2 ).

II — Faits et procédure

2.

L'affaire pendante devant la juridiction nationale concerne une décision excluant du régime de protection de la directive sur les oiseaux quelque 22 hectares du Lappel Bank, aire de plaines boueuses intertidales qui est géographiquement située à l'intérieur des limites de l'estuaire et des marais de Medway, sur la côte nord du Kent. La description suivante du contexte factuel est empruntée au juge Hirst et reprise de l'arrêt rendu par la Court of Appeal le 18 août 1994:

«L'estuaire et les marais de Medway constituent une zone humide d'importance internationale pour diverses et nombreuses espèces d'oiseaux aquatiques et d'échassiers qui l'utilisent comme aire de nidification et d'hivernage, ainsi que comme zone de relais durant la migration de printemps et d'automne. En outre, ces zones abritent des populations en cours de reproduction d'avocettes et de sternes naines, espèces qui sont, l'une et l'autre, considérées comme vulnérables et mentionnées à l'annexe 1 de la directive [sur les oiseaux]. L'ensemble de la zone relève donc incontestablement tant du champ de l'article 4, paragraphe 1, que du champ de l'article 4, paragraphe 2.

Les plaines boueuses du Lappel Bank fournissent des sols de bonne qualité pour le nourrissage et l'abri d'un grand nombre d'échassiers et d'oiseaux aquatiques, notamment le courlis cendré, le chevalier gambette, le tourne-pierre, le bécasseau variable, le grand gravelot, le grand pluvier ( 3 ) et le tadorne, qui sont tous également présents en nombre assez important dans l'ensemble de l'estuaire et des marais de Medway. Aucune de ces espèces ne figure à l'annexe 1 de la directive. Toutefois, le Lappel Bank est aussi une composante importante de l'ensemble de l'écosystème de la ZPS désignée et la perte de cette zone intertidale entraînerait probablement une diminution de la population globale d'échassiers et d'oiseaux aquatiques de l'estuaire et des marais de Medway. Toutes les espèces présentes sur le Lappel Bank sont présentes en plus grand nombre dans l'ensemble de la zone concernée et il n'a pas été dit que le Lappel Bank était nécessaire à la survie d'une espèce donnée: néanmoins ... certaines espèces y sont proportionnellement représentées en beaucoup plus grand nombre que dans d'autres parties de la zone considérée...

[Le Port de Sheerness] bénéficie d'avantages tant maritimes que géographiques. Son atout principal est constitué par ses possibilités naturelles de mouillage, avec des eaux profondes naturelles de 11 m quelle que soit la marée, ce qui lui permet de recevoir tant des navires côtiers que des navires de haute mer, y compris les navires conventionnels de transport en vrac. Étant l'un des rares ports du sud-est de l'Angleterre à offrir de telles possibilités, il est devenu une entreprise commerciale florissante et il est actuellement le cinquième port du Royaume-Uni pour la manutention des marchandises et du fret.

Sa situation maritime, à l'embouchure de l'estuaire de la Tamise et à proximité des principales lignes de navigation maritime de la Mer du Nord et de la Manche, attire un trafic considérable. Vers la terre, sa situation sur la côte Nord du Kent, qui est une zone appelée à connaître un développement important à l'avenir et qui est proche du tunnel sous la Manche et des principaux marchés de Londres et du Sud-Est, est également très favorable...

Le port prévoit actuellement de se développer et de s'étendre, mais son expansion physique n'est possible, de manière réaliste, que par une mise en valeur du Lappel Bank, étant donné que, au Nord et à l'Ouest, il est bordé par la mer et que, sur terre, son extension vers l'Est est rendue impossible par la proximité de la périphérie urbaine de la ville de Sheerness, de la voie ferrée et d'une route principale, la route A 249 ».

3.

L'estuaire et les marais de Medway sont également inscrits sur la liste des zones humides d'importance internationale visées par la convention internationale signée à Ramsar le 2 février 1971 ( 4 ). Il n'a pas été contesté que le Lappel Bank formait partie intégrante de l'écosystème de l'estuaire et des marais de Medway, mais il n'a cependant pas été expressément indiqué à la Cour si le Lappel Bank faisait partie de la zone inscrite sur la liste visée par la convention de Ramsar.

4.

Il ressort du dossier que l'estuaire et les marais de Medway, à l'exclusion du Lappel Bank, ont été inventoriés en 1986, selon une procédure suivie au Royaume-Uni, comme zone « candidate » au classement en ZPS selon la directive sur les oiseaux; à ce titre, cette zone a été traitée comme si elle était déjà désignée comme ZPS à certaines fins d'aménagement du territoire. En août 1989, l'autorité des ports de Medway (qui a précédé le Port of Sheerness Ltd) a été autorisée par le Swale Borough Council à assécher la partie du Lappel Bank qui ne l'avait pas encore été; cette autorisation a notamment été subordonnée à deux conditions, à savoir que les travaux soient commencés dans un délai de cinq ans et qu'aucun aménagement ultérieur n'ait lieu sans le consentement express de la District Planning Authority.

5.

L'importance ornithologique du Lappel Bank a été décrite dans les termes suivants dans le rapport établi par l'inspecteur de l'aménagement à la suite d'une enquête publique effectuée à la fin de l'année 1990 et au début de 1991 et dont l'objet était notamment d'étudier une demande de l'autorité du port de Medway visant à obtenir un permis pour aménager et étendre les docks de Sheerness au niveau du Lappel Bank:

«Le Lappel Bank peut parfois abriter un pourcentage important de l'ensemble de la population de certaines espèces hibernant dans l'estuaire de Medway ... Occasionnellement, le Lappel Bank peut abriter plus de 19 % de la population totale, pour Medway, de plusieurs espèces ... compte tenu de l'importance de l'estuaire de Medway pour les oiseaux migrateurs, des ressources alimentaires représentées par les terres boueuses du Lappel Bank et de l'utilisation de ce dernier par les oiseaux ... je conclus que, en lui-même, le Lappel Bank est une petite partie, mais une partie importante, du réseau de sites qui permet la survie de certains oiseaux migrateurs. Il présente une importance internationale. »

6.

A la suite de la reconnaissance de son importance ornithologique, le Lappel Bank a été inclus, en 1991, dans la ZPS envisagée de l'estuaire et des marais de Medway. L'autorité du port de Medway a présenté une nouvelle demande de permis d'aménagement visant à une extension des docks de Sheerness sur le Lappel Bank, demande dont le ministre de l'Environnement s'est « saisi » — procédure dans le cadre de laquelle c'est le ministre, et non l'autorité locale compétente en matière d'aménagement, qui prend la décision sur une demande de permis d'aménagement, soit parce que celle-ci est susceptible d'entraîner des effets significatifs sur certains sites sensibles du point de vue de l'environnement, soit pour d'autres raisons.

Le 30 juillet 1992, le ministre s'est rallié à la recommandation de l'inspecteur de l'aménagement, préconisant de refuser d'autoriser les travaux d'aménagement, au motif que l'extension aurait « des effets négatifs importants pour la survie et la reproduction de certaines espèces d'oiseaux et ne serait pas conforme aux exigences de la directive sur les oiseaux ».

7.

Après cette décision, le ministre a reçu des demandes visant à obtenir tant la révocation de l'autorisation d'aménagement de 1989 que le réexamen de sa décision sur le Lappel Bank au vu de la gravité des conséquences économiques et sociales que l'inclusion du Lappel Bank dans la ZPS entraînerait pour l'avenir des docks de Sheerness. Ensuite, il y a eu une période de consultations minutieuses des représentants des intérêts rivaux, à savoir ornithologiques et économiques. Selon ce qui a été exposé, le ministre a dûment pesé les deux intérêts avant d'annoncer sa décision. Le 15 décembre 1993, il a annoncé le classement de l'estuaire et des marais de Medway en ZPS, tout en excluant le Lappel Bank de la zone désignée. Cette exclusion du Lappel Bank a été expliquée dans les termes suivants:

«Je suis conscient du fait que le Lappel Bank constitue une composante importante du système estuarien de Medway, mais il représente moins de 1 % de la superficie totale de la ZPS de Medway. Je constate, par ailleurs, qu'une poursuite de l'aménagement sur le Lappel Bank est essentielle au maintien de la viabilité du Port de Sheerness. Ce port contribue de manière significative à l'économie de l'île de Sheppey, de la région Sud-Est et du Royaume-Uni; plusieurs centaines d'emplois dépendent de ses activités...

J'ai conclu que la nécessité de ne pas entraver la viabilité commerciale du port et la contribution que fournira une extension dans cette zone l'emporte sur la valeur de cette dernière pour la conservation de la nature. Je tiens à souligner que ma décision est une décision exceptionnelle, prise en vue d'assurer l'avenir économique de Sheerness et de l'île de Sheppey. »

8.

C'est cet aspect de la décision du 15 décembre 1993, à savoir le fait d'exclure le Lappel Bank de la zone désignée recouvrant 4681 hectares, que nous appellerons ci-après la « décision contestée », qui a été attaqué par la Royal Society for the Protection of Birds (ci-après la « RSPB ») devant les juridictions nationales. La question qui est au coeur de la présente affaire est la question de savoir si le ministre, dont il est constant qu'il a tenu compte d'exigences économiques, était en droit de le faire. La demande en annulation a été rejetée par la Divisional Court, Queen's Bench Division, le 8 juillet 1994; l'appel interjeté contre cette décision a été rejeté par la Court of Appeal le 18 août 1994. Saisie en dernière instance, la House of Lords a déféré à la Cour les questions suivantes par ordonnance du 9 février 1995:

«1)

Un État membre est-il en droit de tenir compte des considérations mentionnées dans l'article 2 de la directive 79/409/CEE, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, pour le classement d'une zone en zone de protection spéciale et/ou pour la délimitation d'une telle zone en application de l'article 4, paragraphes 1 et/ou 2, de cette directive?

2)

En cas de réponse négative à la question 1, un État membre peut-il néanmoins tenir compte de certaines considérations de l'article 2 dans le cadre du processus de classement dans la mesure où:

a)

elles répondent à un intérêt général supérieur à celui auquel répond l'objectif écologique visé par la directive [application du critère que la Cour européenne a établi notamment dans l'affaire 57/89, Commission/Allemagne (‘affaire des digues de la Leybuch’) pour une dérogation aux exigences de l'article 4, paragraphe 4];

b)

ou répondent à des raisons impératives d'intérêt public majeur telles que celles qui peuvent être prises en considération au titre de l'article 6, paragraphe 4, de la directive 92/43/CEE, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages? »

9.

En juin 1994, le Swale Borough Council a délivré un permis autorisant à modifier la nature de l'utilisation du terrain et passer d'un assèchement à un aménagement destiné à permettre un stockage en plein air en rapport avec les activités portuaires. Au 1er juin 1995, les travaux de conception nécessaires avaient été réalisés pour le bunding de l'ensemble du Lappel Bank, en préparation du remblayage des terres; environ un tiers de la zone litigieuse avait été remodelé et était utilisé par le port de Sheerness. Selon les observations des autorités du port, présentées en juin 1995, le reste des travaux devaient être achevés en l'espace de « quelques mois ».

10.

Dans l'appel interjeté devant la House of Lords, la RSPB a demandé, à titre de mesure provisoire, une décision constatant que « le ministre agit illégalement si, dans l'attente de l'examen juridictionnel ultime de l'affaire, il omet d'agir de manière à éviter la détérioration des habitats d'espèces ainsi que des perturbations touchant des espèces dans l'ensemble des zones qui ont été officiellement inventoriées comme propres à être classées en ZPS... »

Cette demande a été rejetée, principalement au motif que la RSPB n'était pas en mesure de s'engager à verser, le cas échéant, des dommages et intérêts au Port de Sheerness, ainsi que l'exige le droit anglais ( 5 ).

III — Les dispositions pertinentes du droit communautaire

11.

Le point de départ de la directive sur les oiseaux est la régression de la population d'un grand nombre d'espèces d'oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage dans le territoire européen auquel le traité est d'application (territoire appelé ci-après « Europe » par commodité); cette régression y est décrite comme « constituant] un danger sérieux pour la conservation du milieu naturel, notamment à cause des menaces qu'elle fait peser sur les équilibres biologiques » (deuxième considérant). La protection efficace des oiseaux est conçue comme « un problème d'environnement typiquement transfrontalier qui implique des responsabilités communes », notamment pour ce qui concerne les espèces migratrices qui « constituent un patrimoine commun » (troisième considérant).

12.

Le sixième considérant, qui a été plus particulièrement invoqué par le Royaume-Uni ( 6 ), mentionne que « la conservation des ... oiseaux vivant ... à l'état sauvage ... est nécessaire à la réalisation, dans le fonctionnement du marché commun, des objectifs de la Communauté dans les domaines de l'amélioration des conditions de vie, d'un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté et d'une expansion continue et équilibrée, mais (que) les pouvoirs d'action spécifiques requis en la matière n'ont pas été prévus par le traité ».

13.

La directive impose aux États membres d'appliquer des mesures « aux différents facteurs qui peuvent agir sur le niveau de population des oiseaux, à savoir les répercussions des activités humaines et notamment la destruction et la pollution de leurs habitats, la capture et la destruction par l'homme ainsi que le commerce auquel ces pratiques donnent lieu [et elle reconnaît qu'] il y a lieu d'adapter le degré de ces mesures à la situation des différentes espèces dans le cadre d'une politique de conservation » (septième considérant). L'objectif de cette conservation est défini comme étant « la protection à long terme et la gestion des ressources naturelles en tant que partie intégrante du patrimoine des peuples européens » ainsi que « le maintien et ... l'adaptation des équilibres naturels des espèces dans les limites de ce qui est raisonnablement possible » (huitième considérant). Le préambule énonce aussi que « la préservation, le maintien ou le rétablissement d'une diversité et d'une superficie suffisantes d'habitats sont indispensables à la conservation de toutes les espèces d'oiseaux ... que certaines espèces d'oiseaux doivent faire l'objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat afin d'assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution ... [et que] ces mesures doivent également tenir compte des espèces migratrices et être coordonnées en vue de la constitution d'un réseau cohérent » (neuvième considérant).

14.

Le champ d'application de la directive est défini à son article 1er, paragraphe 1:

«La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d'oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est d'application. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l'exploitation. »

L'article 1er, paragraphe 2, précise que la directive s'applique « aux oiseaux ainsi qu'à leurs oeufs, à leurs nids et à leurs habitats ».

15.

L'article 1er est complété par l'article 2, l'une des dispositions qui sont au centre de la présente affaire et dont le libellé est le suivant:

«Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles » ( 7 ).

16.

Les principales dispositions de fond concernent, en premier lieu, la protection des habitats des oiseaux sauvages (articles 3 et 4) et, en second lieu, la protection des espèces d'oiseaux sauvages (articles 5 à 9). C'est évidemment la première série de dispositions qui intervient en l'espèce. L'article 3, paragraphe 1, stipule que les États membres « prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d'habitats pour toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er»; cette obligation doit être exécutée « compte tenu des exigences mentionnées à l'article 2 ». L'article 3, paragraphe 2, précise les principaux moyens à utiliser pour atteindre les buts du paragraphe précédent, notamment la « création de zones de protection » et l'« entretien et l'aménagement conformes aux impératifs écologiques des habitats se trouvant à l'intérieur et à l'extérieur des zones de protection ».

17.

L'article 4 de la directive, qui est la disposition pivot dans la présente affaire, mérite d'être intégralement cité:

«1.   Les espèces mentionnées à l'annexe I font l'objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d'assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

A cet égard, il est tenu compte:

a)

des espèces menacées de disparition;

b)

des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats;

c)

des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte;

d)

d'autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces dernières dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive.

2.   Les États membres prennent des mesures similaires à l'égard des espèces migratrices non visées à l'annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d'hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. A cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d'importance internationale.

3.   Les États membres adressent à la Commission toutes les informations utiles de manière à ce qu'elle puisse prendre les initiatives appropriées en vue de la coordination nécessaire pour que les zones visées au paragraphe 1, d'une part, et au paragraphe 2, d'autre part, constituent un réseau cohérent répondant aux besoins de protection des espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive.

4.   Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2 la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu'elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s'efforcent également d'éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »

18.

Les articles 5 à 8 de la directive imposent aux États membres une série d'obligations de protection des oiseaux sauvages, de leurs oeufs et de leurs nids, autres que la protection de leurs habitats. Il s'agit notamment de l'obligation d'« instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er» et de l'interdiction de la commercialisation et de la chasse des oiseaux sauvages, sous réserve de certaines exceptions limitées dans les deux cas. Des dérogations à ces obligations sont autorisées sous réserve du respect des conditions strictes qui sont précisées à l'article 9. L'article 14 autorise les États membres à prendre des mesures de protection plus strictes que celles prévues dans la directive elle-même. Les autres dispositions de la directive ne sont pas pertinentes aux fins de la décision de la Cour dans la présente affaire.

19.

Certaines dispositions de la directive sur les habitats interviennent également, car une partie de la seconde question de la House of Lords s'y rapporte. Comme nous le verrons plus loin, cette directive modifie, sur un point important, l'article 4 de la directive sur les oiseaux. En vertu de son article 3, paragraphe!, les États membres doivent constituer un « réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé ‘Natura 2000’», pour « assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d'habitats naturels et des habitats d'espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle » ( 8 ). L'expression « zone spéciale de conservation » (ZSC) est précédemment définie à l'article 1er, paragraphe 1, comme signifiant « un site d'importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ».

20.

En vertu de l'article 6, paragraphe 1, les États membres doivent établir les mesures de conservation nécessaires pour les zones spéciales de conservation. L'article 6, paragraphe 2, leur impose de prendre les mesures appropriées pour éviter, dans lesdites zones spéciales de conservation, « la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ». Tout plan ou projet susceptible d'avoir un « effet significatif » sur la gestion d'une ZSC doit faire l'objet d'une procédure d'évaluation et ne peut donner lieu à une suite qu'après que les autorités nationales se sont « assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et (aient) pris, le cas échéant, l'avis du public » (article 6, paragraphe 3).

21.

L'article 6, paragraphe 4, autorise, en effet, à déroger à l'obligation générale de maintenir l'intégrité d'une ZSC. Il est libellé comme suit:

«Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou un projet doit néanmoins être réalisé ensuite pour des raisons imperatives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée ( 9 ). L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d'habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ou, après avis de la Commission, à d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur. »

22.

L'article 7 de la directive sur les habitats modifie certaines des dispositions de l'article 4 de la directive sur les oiseaux. Il est libellé comme suit:

«Les obligations découlant de l'article 6, paragraphes 2, 3 et 4, de la présente directive se substituent aux obligations découlant de l'article 4, paragraphe 4, première phrase de la directive 79/409/CEE en ce qui concerne les zones classées en vertu de l'article 4, paragraphe 1, ou reconnues d'une manière similaire en vertu de l'article 4, paragraphe 2, de ladite directive à partir de la date de mise en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive 79/409/CEE si cette dernière date est postérieure. »

23.

Selon l'article 23, les États membres devaient mettre en vigueur les mesures nécessaires pour se conformer à la directive sur les habitats dans un délai de deux ans à compter de la notification de cette dernière, c'est-à-dire au plus tard en juin 1994. Il est constant que le Royaume-Uni ne l'a mise en vigueur qu'en octobre 1994, plusieurs mois après l'adoption de la décision contestée.

IV — Observations des parties

24.

Des observations ont été présentées par la RSPB, par les gouvernements du Royaume-Uni et de la République française, par le Port of Sheerness Ltd (partie intervenante au principal, ci-après le« Port de Sheerness ») et par la Commission, tous représentés à l'audience du 7 février 1996.

i) Sur la première question — La relation entre l'article 2 et l'article 4, paragraphe 1, de la directive sur les oiseaux

25.

La RSPB estime que les facteurs visés à l'article 2 — en l'espèce, les exigences économiques — ne peuvent pas justifier des dérogations aux obligations imposées par la directive sur les oiseaux et que, par essence, ils font partie du contexte du régime de protection établi par la directive. A l'appui de cette opinion, elle cite l'arrêt de la Cour et les conclusions de l'avocat général dans l'affaire Commission/Belgique ainsi que l'arrêt de la Cour dans l'affaire Commission/Italie ( 10 ). De l'arrêt Commission/Allemagne ( 11 ), elle conclut que les facteurs mentionnés à l'article 2 n'entrent pas en ligne de compte dans l'application de l'article 4, paragraphe 4. Les États membres disposent d'un pouvoir d'appréciation quant au choix des zones les plus appropriées pour la conservation des espèces concernées, mais les considérations qui interviennent dans l'exercice de ce pouvoir d'appréciation sont exclusivement d'ordre ornithologique.

26.

La RSPB soutient que, dans l'arrêt Commission/Espagne ( 12 ), la Cour a rejeté l'argument tendant à faire valoir que les exigences écologiques de l'article 4 de la directive pouvaient être subordonnées à des exigences économiques, ou mises en balance avec de telles exigences. En décidant, dans cet arrêt, que les exigences visées à l'article 2 ne s'appliquaient pas dans le cadre de l'article 4, la Cour n'a pas distingué entre, d'une part, le paragraphe 4 de cet article et, d'autre part, ses paragraphes 1 et 2. L'opinion selon laquelle les Etats membres peuvent tenir compte d'intérêts économiques pour désigner une zone comme ZPS qui avait été exprimée dans les observations présentées par la Commission dans cette affaire, sur lesquelles le ministre s'est beaucoup appuyé devant les juridictions nationales en l'espèce, est une opinion isolée et ne tirant pas à conséquence, qui ne représente même plus la position de la Commission. Au surplus, la directive sur les habitats impose clairement aux États membres de désigner les ZSC sur la base de critères scientifiques concernant la conservation, ce qui est totalement en accord avec le point de vue de la RSPB, qui soutient que les États membres doivent classer en ZPS les zones les plus appropriées d'un point de vue ornithologique et que les facteurs économiques ne peuvent pas être pris en compte.

27.

Selon la Commission, les questions déférées à la Cour couvrent deux situations, le classement d'un site et la définition de ses limites. Elle estime que le Lappel Bank est à considérer comme ayant déjà été classé et que l'extension des docks de Sheerness constitue un déclassement partiel, lequel devrait donc être apprécié au regard de l'article 4, paragraphe 4, de la directive sur les oiseaux, tel que modifié par l'article 7 de la directive sur les habitats. La Commission s'appuie également sur l'arrêt rendu dans l'affaire des marais de Santoña pour défendre l'idée que la Cour n'a pas entendu soumettre l'obligation de classement à des critères autres qu'ornithologiques. Cela lui paraît en accord avec le système de la directive sur les oiseaux, dont l'article 2 vise à établir les obligations principales des États membres en vertu de cette directive, à savoir « (prendre) toutes les mesures nécessaires pour maintenir la population de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er»; les exigences économiques et récréationnelles qui y sont mentionnées ne peuvent être que secondaires dans l'équilibre que les États membres doivent trouver, en vertu de l'article 3, entre ces exigences et l'obligation générale de protection des espèces d'oiseaux sauvages.

28.

Selon la Commission, l'article 4 crée, en revanche, un régime de protection spéciale pour les oiseaux énumérés à l'annexe I et les oiseaux migrateurs, dans lequel l'article 2 n'intervient pas. L'arrêt rendu dans l'affaire des digues de la Leybucht le confirme; en classant une zone en ZPS, l'État membre reconnaît que cette zone contient les milieux les plus appropriés pour les espèces concernées et ne peut invoquer l'article 2 pour échapper aux obligations que lui impose l'article 4, paragraphe 4. A fortiori, s'il résulte des critères ornithologiques qu'une zone se prête particulièrement au classement, le fait d'admettre qu'il puisse être dérogé à l'obligation de classement pour des raisons autres qu'ornithologiques permettrait aux États membres de se soustraire ab initio aux obligations en matière d'habitats que leur imposent les paragraphes 1 et 2 de l'article 4 de la directive sur les oiseaux.

29.

Le gouvernement du Royaume-Uni est d'avis que la directive sur les oiseaux doit être placée dans un contexte économique, et non dans un contexte uniquement ornithologique; il évoque, en ce sens, la mention du fonctionnement du marché commun figurant dans le sixième considérant. Il affirme que, dans la mise en œuvre d'une disposition de la directive, un État membre est en droit de tenir compte des exigences économiques visées à l'article 2, sauf si ces exigences ont déjà été expressément prises en compte dans la disposition en cause. Comme ces exigences ne sont pas prises en compte à l'article 4, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent en tenir compte dans les décisions qu'ils adoptent sur la base de ces dispositions.

30.

Selon le gouvernement du Royaume-Uni, l'article 4 ne peut pas être envisagé isolément de l'article 3, qui autorise clairement la prise en compte des exigences économiques; il serait étonnant de ne pouvoir tenir aucun compte de telles exigences dans l'exécution de l'obligation plus spécifique que prévoit l'article 4 en ce qui concerne les ZPS. Le caractère « approprié » visé à l'article 4, paragraphe 1, doit donc être déterminé au regard des exigences de l'article 2, et non sur la seule base des critères ornithologiques. Des considérations différentes interviennent une fois qu'un site a été classé; comme la Cour ľa jugé dans l'affaire des digues de la Leybucht, la marge d'appréciation dont disposent les États membres pour tenir compte de facteurs économiques est beaucoup plus limitée lorsqu'il s'agit de déroger à l'obligation de protéger la zone classée. Comme les États membres sont en droit de tenir compte de raisons imperatives ou majeures (économiques) dans le cadre de l'article 4, paragraphe 4, dans lequel leur marge d'appréciation est étroite, il serait anormal qu'ils ne puissent pas faire entrer en ligne de compte les exigences économiques lorsque leur marge d'appréciation est plus large, dans le cadre de l'article 4, paragraphes 1 et 2. Ce raisonnement s'applique a fortiori en ce qui concerne la définition des limites d'une ZPS; en l'espèce, nul n'a soutenu que la décision d'exclure les 22 hectares du Lappel Bank ferait obstacle à la réalisation de l'objectif de conservation. Le gouvernement du Royaume-Uni estime que son analyse est confirmée par les arrêts Leybucht et Santoña.

31.

Le Port de Sheerness soutient les conclusions du gouvernement du Royaume-Uni. Lus conjointement, le septième considérant, qui prévoit qu'il y a lieu d'« adapter le degré [des mesures à prendre] à la situation des différentes espèces dans le cadre d'une politique de conservation », et l'article 2 montrent que la directive sur les oiseaux reconnaît la nécessité de prendre en considération les intérêts économiques. Les obligations précises de l'article 4 constituent, pour certaines espèces particulières, une expression de l'obligation générale visée à l'article 3; l'article 3 autorise les États membres à tenir compte des exigences mentionnées à l'article 2 et les paragraphes 1 et 2 de l'article 4 ne contiennent rien qui tende à interdire d'en tenir compte, même dans une mesure moindre, dans le cadre de ces dispositions. Tant l'arrêt Leybucht que l'arrêt Santoña montrent que les États membres disposent d'un pouvoir d'appréciation en ce qui concerne le choix des ZPS et la définition de leurs limites. Dans le premier, l'avocat général et la Cour ont implicitement accepté la thèse de la Commission, selon laquelle les États membres avaient le droit de tenir compte d'intérêts économiques dans la désignation de telles zones; le Port de Sheerness interprète l'arrêt de la Cour comme signifiant que ce n'est que dans le contexte de l'article 4, paragraphe 4, que les exigences économiques visées à l'article 2 n'entrent pas en ligne de compte. Il ressort de l'arrêt Santoña, considéré dans son ensemble, que le point 19, dans lequel la Cour a déclaré que les intérêts mentionnés à l'article 2 ne sauraient entrer en ligne de compte dans le contexte de l'article 4, ne vise que l'article 4, paragraphe 4.

32.

Le gouvernement français considère que les États membres sont obligés de déterminer les contours des ZPS de manière à y inclure les territoires les plus appropriés, mais pas nécessairement tous les territoires inventoriés ou potentiellement classables. En vertu de l'article 2, les États membres doivent être guidés par des considérations de nature économique dans l'exécution de l'obligation de créer des zones de protection spéciale en application de l'article 4. Le raisonnement suivi dans l'arrêt Leybucht, dans lequel la Cour a dit pour droit que la réduction de la superficie d'une ZPS ne pouvait pas être justifiée par des considérations économiques, ne s'applique pas au cas d'espèce, qui concerne la création d'une ZPS. Une zone inventoriée de très petite dimension peut, conformément à l'article 2, être exclue du « territoire le plus approprié » s'il est prévu d'y développer un projet compatible avec la future ZPS et si son inclusion dans cette dernière peut aboutir à un déséquilibre grave entre la conservation des oiseaux et les intérêts économiques en jeu. Il serait illogique d'obliger un État membre à déclarer une zone, sachant qu'il pourrait immédiatement autoriser l'aménagement de cette même zone selon la procédure définie à l'article 6, paragraphe 4, de la directive sur les habitats, et cela pourrait affaiblir la portée du système des classements en zones protégées prévu par la directive sur les oiseaux et la directive sur les habitats.

ii) Sur la seconde question — La possibilité de tenir compte d'exigences économiques sur la base de la jurisprudence Leybucht ou de la directive sur les habitats

33.

La RSPB soutient que, si des intérêts supérieurs peuvent être pris en compte au stade du classement, des intérêts d'ordre économique et social ne sauraient cependant constituer de tels intérêts supérieurs. La méthode d'approche qu'il convient d'adopter dans le cadre de la directive sur les oiseaux, telle que modifiée par la directive sur les habitats, consiste à traiter une zone qui répond aux critères ornithologiques de classement comme si elle avait été classée et à suivre les règles et procédures définies par l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive sur les habitats.

34.

Le gouvernement du Royaume-Uni est d'avis qu'un intérêt général supérieur peut être pris en compte au stade du classement et que les exigences économiques peuvent constituer un intérêt supérieur de cette nature. La thèse contraire imposerait une règle rigide, susceptible de produire, dans certains cas extrêmes, des résultats disproportionnés qui ne seraient ni nécessaires ni appropriés pour réaliser les objectifs de la directive sur les oiseaux. Tout en relevant que la directive sur les habitats n'était pas entrée en vigueur au moment de la décision contestée dans l'affaire au principal, le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que les « raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique » visées à l'article 6, paragraphe 4, de la directive sur les habitats peuvent aussi entrer en ligne de compte pour le classement en ZPS; en écartant de telles considérations, on introduirait une complication superflue et inopportune dans le processus décisionnel d'ensemble et cela donnerait lieu à une action administrative inutile, en ce qu'une zone dont le développement économique serait justifié en vertu de cette disposition devrait d'abord être classée, puis faire l'objet d'une procédure de dérogation. Cette thèse n'est pas en contradiction avec les dispositions relatives aux mesures compensatoires de l'article 6, paragraphe 4, de la directive sur les habitats, car l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive sur les oiseaux impliquait une obligation d'adopter des mesures compensatoires avant même que ladite directive sur les oiseaux ne soit modifiée.

35.

Le Port de Sheerness soutient qu'il serait contraire au système général de la directive sur les oiseaux, qui reconnaît la nécessité de tenir compte des intérêts économiques, d'écarter les intérêts économiques répondant à un intérêt général supérieur. Selon le Port de Sheerness, exclure ces intérêts économiques dans le régime de classement en ZPS aboutirait à un formalisme déplacé, après les modifications apportées par la directive sur les habitats; il faut, à tout le moins, que les intérêts économiques ayant un caractère majeur et impératif entrent en ligne de compte dans le cadre de l'exécution des obligations relatives au classement en ZPS.

36.

Compte tenu de leurs positions respectives sur la question principale, ni le gouvernement français ni la Commission ne traitent ce point séparément.

V — Examen des questions déférées par la juridiction nationale

37.

La directive sur les oiseaux est l'une des premières mesures législatives communautaires principalement motivées par des considérations de protection de l'environnement. Elle anticipe, en effet, sur l'introduction d'objectifs communautaires de protection de l'environnement distinctement définis, laquelle a eu lieu à la suite de l'Acte unique européen. Bien que la plupart de ses dispositions de fond, en particulier celles concernant la protection des espèces, aient désormais été examinées par la Cour, elle est toujours susceptible de soulever des questions d'interprétation singulières ( 13 ).

38.

Devant les juridictions nationales et, en particulier, devant la Court of Appeal, les deux parties principales ont soutenu, l'une et l'autre, que l'on se trouvait en présence d'un « acte clair » sur le point principal, c'est-à-dire la question de savoir si les exigences économiques entraient en considération dans le cadre des décisions des autorités nationales compétentes concernant les désignations de ZPS, et qu'une réponse en leur faveur s'imposait. A la House of Lords, Lord Jauncey of Tullichettle a relevé la circonstance étonnante que deux membres de la Court of Appeal ont considéré comme « clair » que le ministre était en droit de tenir compte d'exigences économiques, alors que le troisième a considéré comme « claire » la solution contraire. Bien que la Cour ait été amenée à interpréter l'article 4 dans un certain nombre d'occasions précédentes et bien que nous estimions possible d'apporter une réponse claire et inéquivoque aux questions déférées par la juridiction de renvoi, il nous paraît plutôt douteux que « l'application correcte du droit communautaire (pouvait) s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne (laissait) place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée », pour reprendre le critère défini par la Cour dans l'arrêt CILFIT ( 14 ). Lorsqu'elles sont confrontées à des affirmations contradictoires sur la « clarté » d'un problème donné, les juridictions nationales seraient assurément avisées de se remémorer les conclusions présentées, dans le cadre de cet arrêt, par l'avocat général M. Capo-torti ( 15 ).

i) La première question: l'application de l'article 2 dans les décisions de classement

39.

Par sa première question, le juge national soulève un problème de principe important, le problème de savoir si un État membre est en droit de tenir compte d'exigences économiques, conformément à l'article 2 de la directive sur les oiseaux ( 16 ), pour le classement d'une zone en ZPS en vertu de l'article 4, paragraphe 1 ou 2, ou pour la délimitation de cette zone. Il n'est pas contesté que le ministre, qui présumait avoir le droit de tenir compte de telles exigences, a dûment consulté les personnes et organismes intéressés et également pesé les exigences ornithologiques pertinentes. Le fait qu'il a finalement choisi de faire prévaloir les intérêts économiques du Port de Sheerness est une décision qui lui appartenait et qui n'est pas susceptible d'être contrôlée par les tribunaux judiciaires, sauf cas extrême de décision aberrante. La décision contestée est, selon ses propres termes, présentée comme « exceptionnelle », mais elle explique brièvement pourquoi les raisons économiques justifiant de permettre l'aménagement du site « l'emportent sur sa valeur pour la conservation de la nature ». En la circonstance, rien ne démontre que l'aménagement du Port de Sheerness comportera des « répercussions positives concrètes » pour la conservation des oiseaux sauvages, au sens où la Cour a utilisé cette expression dans l'arrêt Ley bucht ( 17 ).

40.

Pour pouvoir répondre à cette première question, il sera nécessaire d'interpréter l'article 2 de la directive et d'examiner son application aux dispositions de cette dernière en matière d'habitats, à savoir les articles 3 et 4. Nous souhaiterions commencer cette analyse par l'examen d'une observation qui a été formulée par le gouvernement du Royaume-Uni au sujet du contexte de la directive et qui semble avoir conditionné, dans une certaine mesure, l'interprétation qu'il a proposée des dispositions pertinentes.

a) Le contexte de la directive

41.

Le gouvernement du Royaume-Uni invoque le sixième considérant à l'appui de l'idée que « la directive sur les oiseaux doit être placée dans un contexte économique et pas seulement ornithologique »; à partir de ce considérant et de l'article 2, tel que celui-ci a été interprété par la Cour, il en vient à conclure qu'« un État membre est en droit de tenir compte d'exigences économiques et autres ..., à moins que le Conseil n'ait déjà tenu compte de ces exigences pour la formulation de la disposition en cause ».

42.

Il ressort de son libellé que le sixième considérant a pour but de justifier le recours à l'article 235 du traité comme base juridique de la directive du Conseil. Des mesures ne peuvent être prises sous le régime de cette disposition que « si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet ». Le sixième considérant tend à établir la nécessité d'une action de la Communauté et l'absence d'autres pouvoirs, plus spécifiques, prévus par le traité; il définit aussi les objectifs de la Communauté que la directive vise à atteindre. L'expression « marché commun » utilisée à l'article 235 et dans le sixième considérant est à interpréter à la lumière de l'article 2 du traité; dans sa version initiale, celui-ci disposait que l'objectif de promouvoir, notamment, un relèvement du niveau de vie, un développement harmonieux des activités économiques et une expansion continue et équilibrée devait être atteint par « l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres ». Les termes « harmonieux » et « équilibrée » démontrent, selon nous, que la notion de « marché commun » de l'article 235 du traité recouvre des valeurs autres que les valeurs étroitement économiques; le fait qu'une mesure donnée est fondée sur cette disposition, et qu'elle est considérée comme « nécessaire ... dans le fonctionnement du marché commun », ne l'empêche pas de contribuer à promouvoir ces autres valeurs, voire même, le cas échéant, de les faire prévaloir sur les exigences économiques.

43.

La protection de l'environnement constitue une telle valeur, susceptible d'être profondément et drastiquement affectée par une activité économique incontrôlée. L'harmonie et l'équilibre sont nécessaires pour empêcher que la croissance économique ne détruise le patrimoine et les valeurs de la Communauté qui, à long terme, sont essentiels pour le relèvement du niveau de vie, lequel constitue l'un des objectifs de la Communauté. Cela était implicite, selon nous, dans un certain nombre de dispositions de la version initiale du traité, qui constituent la base juridique de l'action de la Communauté dans divers domaines de son action. Ainsi, dans l'« affaire des hormones », la Cour a jugé que « la poursuite des objectifs de la politique agricole commune ... ne saurait faire abstraction d'exigences d'intérêt général telles que la protection des consommateurs ou de la santé et de la vie des personnes et des animaux, exigences dont les institutions communautaires doivent tenir compte en exerçant leurs pouvoirs » ( 18 ).

44.

Les mesures nationales de protection de l'environnement étant susceptibles d'empiéter sur la libre circulation des marchandises et sur les conditions de la concurrence, la Communauté a inévitablement été amenée à œuvrer plus directement pour les objectifs de protection de l'environnement dans son action de réglementation de l'activité économique ( 19 ). Dans l'affaire ADBHU, dans laquelle la compatibilité de la directive 75/439/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, concernant l'élimination des huiles usagées, avec le principe fondamental de la liberté du commerce était contestée, la Cour a dit pour droit que « le principe de la liberté du commerce n'est pas à considérer d'une manière absolue mais est assujetti à certaines limites justifiées par les objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à la substance de ces droits ... la protection de l'environnement ... est un des objectifs essentiels de la Communauté » ( 20 ). Il est important de souligner cette affirmation vigoureuse de la Cour qui a devancé l'introduction d'un titre spécifiquement consacré à l'environnement dans le traité, laquelle a été réalisée par l'Acte unique européen tel que modifié et renforcé par le traité sur l'Union européenne, ainsi que la reconnaissance de l'importance des considérations de protection de l'environnement dans la réglementation du marché intérieur ( 21 ).

45.

Il résulte, selon nous, de ces indications que les pouvoirs et responsabilités de la Communauté en matière de garantie du respect de l'environnement sont, dans le principe, un complément inéluctable de ses pouvoirs et responsabilités en matière de réglementation de l'activité économique et qu'ils ont simplement été rendus plus explicites, tant quant au fond que quant à la forme, par les modifications apportées au traité dans le domaine de la protection de l'environnement. Pour la plupart des hypothèses, il s'agit des deux faces de la même médaille: l'activité économique peut nuire à l'environnement, tandis que les exigences de protection de l'environnement peuvent parfois empiéter sur l'activité économique.

46.

Des indications plus précises sur le contexte dans lequel la directive visait à assurer la protection des habitats d'oiseaux peuvent être trouvées dans la déclaration du Conseil des Communautés européennes et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du 22 novembre 1973, concernant un programme d'action des Communautés européennes en matière d'environnement ( 22 ), déclaration qui énonce qu'« un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté et une expansion continue et équilibrée ... ne peut se concevoir désormais sans ... l'amélioration de la qualité de la vie et de la protection du milieu [qui] figurent parmi les tâches essentielles de la Communauté » (quatrième et cinquième considérants). La politique de la Communauté en matière d'environnement doit donc être de « veiller à la bonne gestion des ressources et du milieu naturel et éviter toute exploitation de ceux-ci entraînant des dommages sensibles à l'équilibre écologique » (objectifs, troisième tiret).

47.

Les raisons justifiant de protéger la flore et la faune ont été définies dans les termes suivants dans la résolution du Conseil des Communautés européennes et des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 17 mai 1977, concernant la poursuite et la réalisation d'une politique et d'un programme d'action des Communautés européennes en matière d'environnement:

«Les espèces de la flore sauvage ainsi que les espèces et les populations animales sauvages font partie du patrimoine commun de l'humanité. Leur importance tient au fait qu'elles constituent un capital génétique non renouvelable et qu'elles participent à des équilibres écologiques globaux dont la stabilité est liée à la complexité des fonctions multiples qui y sont assurées et à la diversité des organismes qui y participent. La réduction progressive d'un nombre croissant d'espèces sauvages n'est pas seulement en soi un appauvrissement du patrimoine naturel, elle entame la diversité de ressources génétiques non renouvelables en même temps qu'elle entraîne des atteintes plus ou moins graves aux équilibres écologiques » ( 23 ).

48.

Le premier considérant de la directive sur les oiseaux mentionne tant la déclaration de 1973 que la résolution de 1977 et d'autres considérants, précédemment cités ( 24 ), dénotent la préoccupation du Conseil quant à la menace existant pour le milieu naturel des espèces sauvages. Il résulte, à notre avis, de ce qui précède que le contexte de la directive est essentiellement écologique, même si elle tient compte de considérations économiques dans certaines circonstances.

49.

L'affirmation du gouvernement du Royaume-Uni nous paraît inexacte pour autant qu'elle implique que le contexte dans lequel la directive a été adoptée, indépendamment même de son texte, tend à indiquer qu'il existe une marge d'appréciation permettant aux États membres de tenir compte des exigences économiques. Si, en revanche, le Royaume-Uni voulait dire que la directive comporte l'équilibre voulu entre les facteurs économiques et les facteurs écologiques, tel qu'il paraissait nécessaire au Conseil, à cette époque, pour assurer la conservation des oiseaux sauvages prévue à l'article 1er et à l'article 2, son affirmation n'est nullement contestable, mais elle n'étaye pas la conclusion à laquelle il aboutit en ce qui concerne l'interprétation de l'article 4, paragraphes 1 et 2.

b) L'économie générale de la directive

50.

Contrairement à ce qui a été allégué, l'argumentation avancée à l'encontre de la prise en compte des exigences économiques n'est pas essentiellement d'ordre textuel; à notre avis, l'économie générale de la directive vient conforter l'idée que les exigences économiques ne peuvent pas entrer en ligne de compte au stade du classement. Si un équilibre entre les exigences ornithologiques et économiques est assurément nécessaire pour les décisions concernant la protection des habitats, c'est la directive elle-même qui définit l'équilibre pour ce qui est du classement en ZPS, au lieu de laisser aux divers États membres la latitude de définir leur propre équilibre.

51.

On en trouve une illustration dans le septième considérant, précédemment cité ( 25 ). Ce considérant, aux termes duquel il y a lieu « d'adapter le degré de ces mesures à la situation des différentes espèces dans le cadre d'une politique de conservation » et qui a été invoqué par le Port de Sheerness pour démontrer que la directive reconnaissait explicitement la nécessité de tenir dûment compte des intérêts économiques, peut tout autant justifier des restrictions à la poursuite desdits intérêts économiques; la situation des espèces migratrices menacées appelle incontestablement des mesures de protection plus rigoureuses que celles destinées à l'ensemble des oiseaux sauvages. Le système général de la directive est fondé sur une série d'obligations et d'interdictions soigneusement graduées qui sont formulées en termes généraux, mais qui sont accompagnées, le cas échéant, par des exceptions et des dérogations expresses auxquelles les États membres ne peuvent recourir que dans les conditions précisées dans chaque cas.

52.

Cette analyse est confirmée par les dispositions de la directive en matière de protection des espèces. Par exemple, l'article 6, paragraphe 1, impose aux États membres d'interdire « la vente, le transport pour la vente, la détention pour la vente ainsi que la mise en vente des oiseaux vivants et des oiseaux morts ainsi que de toute partie ou de tout produit obtenu à partir de l'oiseau, facilement identifiables »; en revanche, les paragraphes 2 et 3 de l'article 6 autorisent le commerce de certaines espèces d'oiseaux sauvages lorsque leur « situation biologique le permet ». Une dérogation analogue à l'interdiction de chasse des oiseaux sauvages, qui est une dérogation surtout motivée, quant à elle, par les exigences récréationnelles, est autorisée par l'article 7 pour certaines espèces lorsque, « en raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproduction dans l'ensemble de la Communauté » (onzième considérant), l'état de conservation de ces espèces ne risque pas d'être mis en péril par la chasse. Le gouvernement du Royaume-Uni a lui-même mentionné, à juste titre selon nous, que les dérogations, très strictement délimitées, autorisées par l'article 9 de la directive « reflétaient] un jugement préalable du Conseil sur les circonstances dans lesquelles les exigences économiques et autres peuvent prévaloir sur le régime de protection institué par les articles 5 à 8 ».

53.

Dans le cadre de chacune de ces dispositions, l'objectif de conservation est primordial, mais les États membres peuvent bénéficier d'exceptions aux interdictions, ou d'une dérogation en vertu de l'article 9, pour des raisons précisément définies (incluant les exigences économiques et récréationnelles) et dans des conditions bien déterminées. L'économie générale de la directive indique que la conservation des oiseaux constitue la règle et que les États membres ne peuvent se fonder sur d'autres considérations pour atténuer cette règle que lorsqu'ils y sont expressément autorisés. La priorité des facteurs écologiques, et plus précisément ornithologiques, dans ce système général est évidente.

c) L'interprétation de l'article 2 de la directive

54.

Tout en ne contestant donc pas que, pour ce qui est de la protection des espèces, la directive a défini elle-même l'équilibre requis entre l'économie et l'écologie, le gouvernement du Royaume-Uni est d'avis que la définition de l'équilibre est laissée aux États membres pour ce qui concerne la protection des habitats de l'ensemble des espèces d'oiseaux sauvages. A l'appui de cette opinion, il invoque essentiellement le texte de l'article 2, tel que celui-ci a été interprété par la Cour, ainsi que l'étendue de la marge d'appréciation dont disposent les États membres dans le cadre de l'article 3, d'une part, et, d'autre part, dans le cadre de l'article 4, paragraphes 1 et 2.

55.

A notre avis, l'article 2 ne peut être interprété qu'en liaison avec l'article 1er de la directive; l'un et l'autre sont des dispositions générales qui, lues ensemble, établissent les obligations des États membres. L'article 1er définit le champ matériel de la directive (« toutes les espèces d'oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage », « leurs oeufs ... leurs nids et ... leurs habitats »), son champ d'application territorial (« le territoire européen des États membres auquel le traité est d'application ») ( 26 ), ainsi que sa portée normative (« la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et [la réglementation de leur] exploitation »). L'article 2 impose aux États membres l'obligation générale d'adopter les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs de la directive et fixe le niveau de population que ceux-ci doivent maintenir ou réaliser, à savoir « un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles »; lorsqu'ils prennent les mesures nécessaires pour maintenir ou réaliser ce niveau, les États membres doivent tenir compte des « exigences économiques et récréationnelles ».

56.

Cette interprétation correspond à l'explication fournie par la Commission au sujet de l'article 2 de la proposition qui est devenue la directive sur les oiseaux:

«Les mesures prévues au terme de la directive ont pour but de maintenir la population des différentes espèces à un niveau qui soit compatible avec un certain nombre d'exigences ... Le principe d'action est ici de rechercher un niveau satisfaisant, compte tenu de différents critères, et non pas exclusivement d'un seul, (sic) tel que celui de la protection, par exemple » ( 27 ).

57.

De manière significative, alors que la Commission avait proposé que les États membres soient obligés de maintenir des niveaux de population « compatibles avec des exigences écologiques, économiques, récréationnelles et scientifiques », le Conseil a réduit les exigences économiques et récréationnelles à des considérations dont les États membres doivent « tenir compte » dans la prise des mesures nécessaires pour maintenir ou adapter des niveaux de population qui correspondent aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles. En procédant ainsi, le Conseil n'a pas requis que les niveaux de population à atteindre soient nécessairement compatibles avec les exigences économiques, ce qui aurait mis ces dernières à égalité avec les exigences écologiques; au contraire, l'article 2 nous paraît devoir être interprété comme imposant de maintenir la population des espèces protégées à un niveau qui corresponde aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, alors qu'il oblige les États membres à tenir compte des exigences économiques et récréationnelles dans les mesures qu'ils adoptent, conformément à la directive, pour atteindre ledit niveau.

58.

Sur la base d'une interprétation littérale de cette disposition, laquelle n'a été proposée par aucune des parties à la présente affaire, il serait possible d'interpréter l'obligation de tenir compte des exigences économiques et récréationnelles comme se rapportant à la détermination du niveau de population à atteindre (« les États membres (maintiennent) ... la population [des] espèces ..., compte tenu des exigences économiques et récréationnelles »), et non à la prise des mesures (« les États membres prennent toutes les mesures nécessaires ..., compte tenu des exigences économiques et récréationnelles »). Toutefois, pareille interprétation serait, à notre avis, en contradiction avec l'article 3, paragraphe 1, qui permet aux États membres de tenir compte des exigences précitées, tandis qu'ils «prennent les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir » les habitats des oiseaux sauvages en général; en effet, cette interprétation rétablirait le texte que la Commission avait proposé, mais que le Conseil n'a pas adopté.

59.

L'interprétation de l'article 2 retenue par la Cour dans sa jurisprudence antérieure étaye l'idée que la directive a défini elle-même l'équilibre requis entre les facteurs économiques et écologiques. Ainsi, dans l'arrêt Commission/Belgique, tout en relevant que, à titre général, « la protection des oiseaux doit être mise en balance avec d'autres exigences, telles que celles d'ordre économique », la Cour a dit pour droit que:

« ... si l'article 2 ne constitue pas une dérogation autonome au régime général de protection, il démontre que la directive elle-même prend en considération, d'une part, la nécessité d'une protection efficace des oiseaux et, d'autre part, les exigences de la santé et de la sécurité publiques, de l'économie, de l'écologie, de la science, de la culture et de la récréation » ( 28 ).

60.

Le passage reproduit au point précédent a été cité par le Royaume-Uni comme démontrant que, lorsque la directive ne tient pas expressément compte des exigences économiques, les États membres ont le droit de le faire. Il nous semble toutefois que, si les États membres étaient autorisés à tenir compte desdites exigences sur la base de l'article 2, cette disposition fonctionnerait inévitablement comme une « dérogation autonome », interprétation que la Cour a rejetée dans une jurisprudence constante. D'ailleurs, loin de justifier une quelconque dérogation, l'article 2 a pour objet principal d'édicter des obligations ( 29 ).

d) La relation entre les articles 3 et 4 de la directive

61.

Dans la présente affaire, il est constant que la juridiction nationale vise à faire déterminer si les exigences économiques visées à l'article 2 peuvent être prises en compte pour décider du classement en ZPS. Avant d'examiner la question centrale de l'articulation des articles 3 et 4 de la directive, il peut être utile d'examiner deux points préliminaires soulevés par la Commission.

62.

La Commission a invité la Cour à traiter le retrait du Lappel Bank de la zone formée par l'estuaire et les marais de Medway comme un déclassement partiel d'une zone désignée. Cette méthode d'approche ne nous semble ni être très utile ni correspondre aux termes et à l'intention des questions déférées. La décision du ministre était, explicitement, une décision classant une zone en ZPS, mais excluant le Lappel Bank. La question qui se pose devant la juridiction nationale porte donc sur le point de savoir si le Lappel Bank aurait dû être inclus dans la zone classée; si la réponse est négative, il ne pose aucun problème de déclassement partiel; si la réponse est, au contraire, affirmative, il n'y aucune raison de douter que le Royaume-Uni prendra les mesures appropriées pour se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.

63.

La Commission a également essayé d'établir une distinction entre le classement d'un site en ZPS et la définition de ses limites. Dans les circonstances de l'espèce, c'est une distinction qui ne change rien et sur laquelle la Commission n'a fondé aucune de ses observations; lorsqu'elles décident de classer une zone en ZPS, les autorités de l'État membre doivent aussi en définir les limites. Il est évident, et cela n'a d'ailleurs pas été contesté, que, si elle ne pouvait pas être justifiée par des raisons ornithologiques sur la base de la directive, la décision d'exclure de la superficie de la ZPS une certaine fraction de territoire constituerait une violation de l'obligation de classer les territoires les plus appropriés, imposée par l'article 4, paragraphe 1, de la directive. La justification du gouvernement du Royaume-Uni ne consiste pas à faire valoir qu'il dispose, en matière de fixation des limites d'une ZPS, d'un pouvoir d'appréciation qui n'est pas limité par la directive, mais plutôt à faire valoir que, après avoir dûment identifié une zone devant, à première vue, être classée, il peut exclure une partie de cette zone pour des raisons économiques conformément à la directive.

64.

Le gouvernement du Royaume-Uni a fait valoir, avec une insistance particulière que, malgré l'absence d'une indication expresse en ce sens dans le libellé de l'article 4, il fallait interpréter l'article 2 comme s'appliquant au classement en ZPS effectué en vertu de l'article 4, paragraphes 1 et 2, tout comme il s'applique dans le cadre de l'article 3. Il soutient que l'article 4 est à considérer comme « une application plus précise de l'obligation générale de l'article 3 ».

65.

L'article 3 établit les obligations générales des États membres en ce qui concerne les habitats de toutes les espèces protégées; ceux-ci doivent prendre « toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d'habitats pour toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er». Étant donné le caractère global de cette obligation, qui couvre tous les oiseaux sauvages, indépendamment de toute menace pour leur état de conservation, et compte tenu de la circonstance que la directive vise à atteindre un équilibre entre les intérêts écologiques et certains autres intérêts concurrents ( 30 ), il aurait été étonnant d'interdire aux États membres de tenir compte des impératifs économiques et récréationnels dans l'exécution de leurs obligations au titre de l'article 3; dès lors, l'article 3, paragraphe 1, prévoit explicitement que les États membres doivent agir « compte tenu des exigences mentionnées à l'article 2 ».

66.

L'article 4 est, pour ainsi dire, d'un acabit très différent. Il ne s'applique qu'aux espèces menacées, énumérées à l'annexe I de la directive, et aux espèces migratrices dont la venue est régulière. Les mesures de conservation spéciale qu'il impose aux États membres de prendre, dont la désignation des ZPS est simplement la plus saillante, sont nécessaires pour assurer la survie même des espèces concernées et en faciliter la reproduction dans leur aire de distribution. Il ressort du préambule de la directive et, en particulier, du septième considérant, ainsi que du contexte législatif dans lequel la directive a été adoptée, qu'un grand nombre des espèces en cause sont précisément en danger à cause des « répercussions des activités humaines », économiques et récréationnelles ( 31 ); autoriser, en pratique, les Etats membres à accorder la priorité aux exigences visées à l'article 2 pour décider des mesures de conservation spéciale serait, selon nous, en contradiction avec le but en vue duquel un régime spécial a été institué pour les espèces menacées et migratrices, en premier lieu; d'autre part, cela pourrait avoir pour effet d'appliquer à ces espèces un régime qui serait, pour l'essentiel, le même que celui appliqué aux autres oiseaux sauvages.

67.

Le caractère spécifique du régime de protection prévu pour les espèces menacées et migratrices a été souligné par la Cour dans son arrêt Van den Burg. Dans cet arrêt, la Cour a relevé que l'article 14 autorisait expressément les États membres à prendre des mesures de protection plus strictes et que, par conséquent, la directive avait « réglementé de façon exhaustive les pouvoirs des États membres dans le domaine de la conservation des oiseaux sauvages » ( 32 ). Eu égard aux objectifs généraux de la directive, la Cour a interprété cette disposition comme autorisant les États membres à « prévoir des mesures plus strictes pour garantir une protection encore plus efficace [des espèces menacées et migratrices] », même dans le cas de spécimens d'espèces ne vivant pas sur le territoire de l'État membre concerné; en revanche, elle a jugé que cette disposition ne justifiait pas de telles mesures pour les autres espèces protégées, sauf celles vivant sur le territoire de l'État membre concerné ( 33 ).

68.

L'article 3 est la seule disposition de la directive qui autorise expressément les États membres à tenir compte des exigences non ornithologiques visées à l'article 2. Nous ne pensons pas qu'une telle exception à l'obligation générale doive être étendue en l'absence d'une indication explicite à cet effet. En étendant le domaine du pouvoir d'appréciation des États membres, une interprétation aussi large des dispositions concernant les habitats aurait aussi pour effet, selon nous, de compromettre l'uniformité d'application de la directive; dans l'arrêt Van der Feesten, la Cour a observé qu'« un tel résultat, d'une part, irait à l'encontre de l'objectif de la protection efficace de l'avifaune européenne et, d'autre part, pourrait conduire à des distorsions de concurrence à l'intérieur de la Communauté » ( 34 ). Les oiseaux énumérés à l'annexe I sont définis comme ayant besoin d'une protection spéciale à l'échelle de la Communauté. Leur sécurité et leur possibilité de survie ne doivent pas être mises en péril par l'action d'États membres agissant isolément.

69.

Ce n'est pas la première fois que la Cour est amenée à examiner l'argument selon lequel « les obligations prévues à l'article 4 de la directive ... ne sont que des variantes ... des mesures visées à l'article 3, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive »; le Royaume-Uni a avancé la même interprétation de ces dispositions dans l'affaire des digues de la Leybucht ( 35 ). De manière implicite mais incontestable, selon nous, la Cour a refusé cette conception; si elle l'avait acceptée, elle aurait été conduite à admettre que les obligations imposées aux États membres par l'article 4, paragraphe 4, étaient subordonnées aux exigences de l'article 2, ce qu'elle n'a pas fait ( 36 ).

70.

L'interprétation de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive sur les oiseaux proposée par le Royaume-Uni serait aussi doublement en contradiction avec la directive sur les habitats; même si les mesures nationales d'application de cette dernière n'étaient pas encore en vigueur au moment où la décision contestée a été prise, le lien étroit des deux directives ressort clairement du préambule de la directive sur les habitats, en particulier des septième et quinzième considérants, ainsi que de son article 3, paragraphe 1, et de son article 7. Comme la RSPB l'a souligné, si les États membres doivent tenir compte des « exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales » pour les mesures qu'ils prennent en application de la directive sur les habitats (article 2, paragraphe 3), les critères de sélection des ZPS énumérés à l'annexe 3 sont exclusivement fonction de la conservation. Ainsi, par exemple, les critères d'évaluation, au niveau national, de l'importance relative des types d'habitat naturel sont définis dans les termes suivants:

«a)

Degré de représentativité du type d'habitat naturel sur le site.

b)

Superficie du site couverte par le type d'habitat naturel par rapport à la superficie totale couverte par ce type d'habitat naturel sur le territoire national.

c)

Degré de conservation de la structure et des fonctions du type d'habitat naturel concerné et possibilité de restauration.

d)

Évaluation globale de la valeur du site pour la conservation du type d'habitat naturel concerné. »

71.

Il ressort clairement de l'article 4, paragraphe 1, de la directive sur les habitats que les États membres doivent identifier les ZPS potentielles de leurs territoires sur la base de ces critères et des « informations scientifiques pertinentes ». Cette disposition stipule que « pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites correspondent aux lieux, au sein de l'aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction ». A moins de devoir considérer l'article 2, paragraphe 3, comme une « dérogation autonome » aux obligations imposées aux États membres par l'article 4 de la directive sur les habitats, cette dernière ne contient rien qui tende à indiquer que la désignation des ZPS, par opposition à l'obligation ultérieure de les conserver, puisse être subordonnée à des priorités économiques.

72.

L'interprétation proposée par le gouvernement du Royaume-Uni serait en contradiction avec le régime applicable à la conservation des ZPS, tel qu'il résulte des modifications apportées à la directive sur les oiseaux par la directive sur les habitats. Selon le Royaume-Uni, un État membre peut tenir compte d'exigences économiques dans la désignation des « territoires les plus appropriés »; dans le même esprit, un État membre pourrait procéder à la désignation sans effectuer l'évaluation requise par l'article 6, paragraphe 3, de la directive sur les habitats, ni prendre des mesures compensatoires pour assurer la cohérence globale de Natura 2000 comme le prévoit l'article 6, paragraphe 4, et sans respecter, non plus, les autres conditions imposées par ces dispositions. Si le potentiel de développement économique a déjà fait l'objet d'une évaluation avant toute décision sur le classement des sites en ZPS, tout le mécanisme prévu de dérogation à l'obligation de conserver les sites ainsi classés deviendra peu utile, voire inutile, sauf dans les cas où des raisons impératives d'intérêt public majeur n'apparaîtront qu'après la désignation du site.

73.

Il résulterait aussi de cette interprétation que les États membres ayant omis de désigner les territoires les plus appropriés dans le délai de transposition de la directive sur les oiseaux — avril 1981 dans le cas du Royaume-Uni — tireraient un avantage considérable de cette omission par rapport aux pays ayant plus rapidement mis en oeuvre l'article 4, paragraphes 1 et 2, en particulier sur le plan du coût économique des mesures compensatoires pour les ZPS déclassées. Cette situation contreviendrait aussi à l'impératif, précédemment mentionné ( 37 ), d'application uniforme de la directive.

74.

Cette question comporte une dimension supplémentaire, que les parties n'ont pas mentionnée et qui, selon nous, est tout aussi importante pour l'interprétation de l'article 4, paragraphe 1, de la directive sur les oiseaux. Dans l'exécution des obligations que leur impose l'article 3 de cette directive, les États membres sont en droit de prendre en considération certains facteurs dont l'évaluation pourrait être qualifiée de subjective, du point de vue de l'État membre concerné. Dans la directive, rien ne contraint les États membres à tenir compte des exigences économiques ou récréationnelles d'autres États membres lorsqu'ils adoptent, en application de l'article 3, paragraphe 1, les mesures destinées à assurer une diversité et une superficie suffisantes d'habitats pour l'ensemble des oiseaux protégés. En revanche, les critères régissant l'application de l'article 4, paragraphe 1, sont exclusivement objectifs, à savoir de caractère ornithologique, et le respect de ces critères s'évalue à l'échelle de la Communauté. La portée des mesures de conservation spéciale requises dépend donc des besoins de survie et de reproduction des espèces concernées « dans leur aire de distribution », et non au niveau des divers États membres, compte tenu des « tendances et des variations [vérifiables] des niveaux de population ». Pour décider du classement en ZPS, les États membres doivent tenir compte des besoins de « protection des espèces concernées » dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive (article 4, paragraphe 1, troisième alinéa; mis en italique par nous). De même, ce sont des critères objectifs qui déterminent les mesures de conservation spéciale que les États membres sont tenus d'adopter pour protéger les espèces migratrices en application de l'article 4, paragraphe 2, ainsi que la coordination que la Commission doit assurer en application de l'article 4, paragraphe 3.

75.

Il est parfaitement dans la logique du reste de la directive d'écarter du processus de classement en ZPS ce que l'on pourrait qualifier de considérations d'importance nationale. Ainsi, par exemple, le troisième considérant énonce que les espèces migratrices « constituent un patrimoine commun » et que la « protection efficace des oiseaux est un problème d'environnement typiquement transfrontalier qui implique des responsabilités communes ». La dimension communautaire de la protection des habitats des espèces menacées et migratrices est soulignée par l'article 4, paragraphe 3, qui assigne à la Commission la responsabilité de la « coordination nécessaire pour que les zones visées au paragraphe 1 d'une part, et au paragraphe 2, d'autre part, constituent un réseau cohérent répondant aux besoins de protection des espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive ». Sur ce point, la Cour a constamment souligné que « l'exactitude de la transposition [de la directive] revêt une importance particulière dans un cas comme celui en espèce où la gestion du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire, aux États membres respectifs » ( 38 ).

76.

La prise en compte des exigences économiques dans le cadre de l'article 4, paragraphes 1 et 2, a également été rejetée par la Cour dans l'arrêt Santoña, aux points 16 à 19. En réponse à un argument du gouvernement espagnol qui soutenait que les exigences écologiques posées par l'article 4 devaient être « subordonnées aux [intérêts] ... d'ordre social et économique, ou, à tout le moins, être mises en balance avec ces intérêts », la Cour a déclaré:

« Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, il ressort de l'arrêt [Leybucht] que les États membres, dans la mise en œuvre de la directive, ne sont pas habilités à invoquer à leur gré des raisons de dérogation tirées de la prise en compte d'autres intérêts » ( 39 ).

La thèse, avancée par un certain nombre des parties à la présente affaire, selon laquelle la conclusion retenue par la Cour dans l'arrêt Santoña se limitait à l'article 4, paragraphe 4, de la directive, ne correspond ni aux termes de la plainte de la Commission, qui visait tant les paragraphes 1 et 2 de l'article 4 que son paragraphe 4, ni au caractère général de l'argumentation du gouvernement espagnol que reflètent le point 17 de l'arrêt et le rapport d'audience ( 40 ).

77.

Il s'ensuit, à notre avis, que l'absence, à l'article 4, paragraphe 1, de toute mention expresse d'un pouvoir d'appréciation des États membres pour la prise en compte des exigences économiques et récréationnelles conformément à l'article 3 doit être interprétée comme excluant l'existence d'un tel pouvoir d'appréciation.

e) L'étendue et la nature du pouvoir d'appréciation des États membres dans la sélection des ZPS

78.

L'article 4, paragraphe 1, de la directive impose aux États membres l'obligation de « class[er] notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation [des espèces menacées] ». Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que, selon l'« acception naturelle » de cette disposition, le caractère « approprié » doit être déterminé en fonction des diverses exigences mentionnées à l'article 2 ( 41 ) et que la directive ne doit pas être interprétée comme « exigeant que le classement soit effectué uniquement sur la base de critères ornithologiques ». Il fait, en outre, valoir que, la Cour ayant reconnu que les États membres disposaient d'une certaine marge, limitée, d'appréciation en ce qui concerne l'article 4, paragraphe 4, il n'était pas dans l'intention de la directive de leur dénier une marge d'appréciation dans le cadre de l'article 4, paragraphes 1 et 2.

79.

Il découle de l'analyse, précédemment exposée, du libellé et de l'économie générale des articles 3 et 4 que le classement en ZPS doit bien s'effectuer sur la base des critères ornithologiques expressément indiqués dans le texte de l'article 4, paragraphe 1. Cela n'est pas incompatible avec l'existence d'une certaine marge d'appréciation des États membres. En premier lieu, l'utilisation du terme « notamment » implique que le classement en ZPS des sites les plus appropriés constitue une exigence minimale. En outre, comme la Cour l'a relevé dans son arrêt Commission/Italie, il ressort de la « répartition des responsabilités que c'est aux États membres qu'il incombe d'identifier les espèces qui doivent faire l'objet des mesures particulières de protection et de conservation exigées ... Ces derniers sont d'ailleurs mieux placés que la Commission pour savoir quelles sont, parmi les espèces énumérées à l'annexe I de la directive, celles qui se trouvent sur leur territoire » ( 42 ). La nature de l'appréciation en question est plutôt d'ordre biologique que politique; comme le gouvernement allemand l'a signalé dans l'affaire des digues de la Leybucht, le choix d'une ZPS implique une pondération très complexe des faits et circonstances les plus divers et exige un travail scientifique notable ( 43 ); il ne permet pas, à notre avis, d'introduire des critères autres que ceux prévus dans les dispositions pertinentes de la directive.

80.

Le gouvernement du Royaume-Uni a argué, en se fondant sur la jurisprudence Leybucht, que les États membres disposent d'une certaine marge limitée d'appréciation pour tenir compte des exigences économiques lorsqu'il est justifié de déroger à l'obligation, prévue à l'article 4, paragraphe 4, d'« éviter ... la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux », et qu'il serait anormal que les États membres ne puissent pas tenir compte de telles exigences dans le classement en ZPS.

81.

Cette opinion nous semble fondée sur une mauvaise interprétation de l'arrêt de la Cour dans l'affaire des digues de la Leybucht. La Cour a clairement jugé que la décision de réduire la superficie d'une ZPS ne pouvait pas être justifiée par des facteurs économiques et que les seules raisons pouvant être invoquées étaient celles qui « correspondaient] à un intérêt général supérieur à celui auquel répond l'objectif écologique visé par la directive. Dans ce contexte, les intérêts énoncés à l'article 2 de la directive, à savoir les exigences économiques et récréatives, ne sauraient entrer en ligne de compte » ( 44 ). En outre, elle a estimé que la prise en compte de ces intérêts pour décider de la mesure justifiée par un intérêt général supérieur était aussi « en principe incompatible avec les exigences posées » par l'article 4, paragraphe 4 ( 45 ). Au vu des circonstances particulières de l'affaire en question, la Cour a retenu que la décision concernant le nouveau tracé de la digue pouvait être justifiée par « des répercussions positives concrètes pour les habitats des oiseaux » et que la prise en compte d'exigences économiques ne constituait pas une violation de l'article 4, paragraphe 4, « dès lors qu'existfaient] les compensations écologiques ... et seulement pour cette raison » ( 46 ).

82.

Il ressort de l'arrêt de la Cour que les États membres ne peuvent invoquer des exigences économiques ni pour justifier une réduction de superficie d'une zone précédemment classée en ZPS ni pour décider d'une mesure justifiée par un intérêt général supérieur. Néanmoins, lorsqu'un tel intérêt supérieur existe, il n'est pas interdit à un État membre de prendre une mesure donnée, comportant « des répercussions positives concrètes pour les habitats des oiseaux », du seul fait que ladite mesure coïncide avec un intérêt économique particulier, dès lors que ses avantages écologiques ne sont pas inférieurs à ses inconvénients. Selon nous, cet arrêt n'étaye pas l'opinion selon laquelle les États membres disposent d'une marge d'appréciation leur permettant de ne pas classer une zone en ZPS ou de réduire la superficie de la zone classée pour des motifs économiques.

83.

Il existe aussi une contradiction intrinsèque dans l'argument du Royaume-Uni tendant à faire valoir que, lorsqu'une disposition de la directive ne prend pas expressément en compte les exigences économiques et autres exigences non ornithologiques, il y a lieu de considérer comme implicite l'existence d'une marge résiduelle d'appréciation des États membres. L'article 4, paragraphe 4, de la directive, tel qu'il était en vigueur au moment de la décision contestée, ne prenait pas expressément en compte de telles exigences; selon le raisonnement du gouvernement du Royaume-Uni, une « marge d'appréciation au titre de l'article 2 » devrait donc être considérée comme implicite. C'est bien cette position, défendue par le gouvernement du Royaume-Uni dans l'affaire des digues de la Leybucht, que la Cour a catégoriquement rejetée en affirmant que, dans le contexte de l'article 4, paragraphe 4, les intérêts en question ne sauraient entrer en ligne de compte ( 47 ).

84.

En fait, le gouvernement du Royaume-Uni interprète l'article 4, paragraphes 1 et 2, à la lumière de l'article 3, tout en traitant l'article 4, paragraphe 4, comme une disposition autonome, soumise à des règles différentes. Il nous semble beaucoup plus logique d'interpréter les quatre paragraphes de l'article 4 comme un tout cohérent. Dans l'arrêt Leybucht, la Cour a relevé que la faculté, des États membres, de réduire la superficie d'une ZPS n'était pas envisagée par la directive « puisqu'ils ont eux-mêmes reconnu, dans leurs déclarations, que dans ces zones se trouvent réunies les conditions de vie les plus appropriées pour les espèces énumérées à l'annexe I de la directive. S'il n'en n'était pas ainsi, les États membres pourraient unilatéralement se soustraire aux obligations que l'article 4, paragraphe 4, de la directive leur impose pour ce qui concerne les zones de protection spéciale » ( 48 ). La Cour a ainsi rejeté l'idée, avancée par le gouvernement du Royaume-Uni, selon laquelle le critère du caractère « approprié » devait être interprété comme recouvrant des exigences autres qu'écologiques.

85.

Il nous semble aussi qu'il découle du même arrêt que les zones désignées comme ZPS ne méritent cette protection spéciale que parce qu'elles constituent les zones les plus appropriées du point de vue ornithologique, et non des zones choisies pour être celles qui présentent le plus faible potentiel économique, et que, réciproquement, les États membres sont tenus de désigner les zones les plus appropriées parce que, une fois désignées, celles-ci auront droit à la protection étendue voulue par l'article 4, paragraphe 4. Le pouvoir d'appréciation dont disposent les États membres dans le cadre des paragraphes 1 et 2 de l'article 4 découle de la nature de ces dispositions, qui imposent des obligations positives et non des obligations négatives, et ce pouvoir se limite à une marge d'appréciation dans l'application des critères qu'elles définissent.

86.

Selon nous, il résulte de ce qui précède que, sous réserve de la nécessité de tenir compte d'intérêts généraux supérieurs, le pouvoir d'appréciation dont disposent les États membres dans le cadre de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive ne les autorise pas à faire entrer en ligne de compte des exigences autres que celles définies par ces dispositions lorsqu'ils décident du classement en ZPS.

f) Les arguments de « bon sens »

87.

Le gouvernement du Royaume-Uni fait également appel à ce qu'il entend être des considérations de bon sens en prenant l'hypothèse de deux sites similaires, l'un adjacent à une zone industrielle et l'autre éloigné de toute activité de cette nature, et en supposant qu'il suffit de n'en classer qu'un seul pour satisfaire à l'objectif de conservation. En pareil cas, exclure les exigences économiques conduirait, selon son point de vue, à ce que l'État membre « choisisse pratiquement au hasard entre les deux sites ».

88.

A l'audience, la RSPB a mis en doute qu'un tel scénario puisse avoir une quelconque plausibilité du point de vue ornithologique. Sans préjudice de cette question particulière, il y a lieu de rappeler que les observations présentées par le Royaume-Uni sur ce point procèdent de l'idée, déjà rejetée ci-dessus, que l'article 4, paragraphe!, est à interpréter à la lumière de l'article 3 ( 49 ). La proposition concernant les sites similaires pourrait être plausible dans le contexte de l'article 3, en ce qui concerne la généralité des habitats d'oiseaux sauvages, si ce n'est, évidemment, que l'article 3 autorise la prise en compte de critères autres qu'écologiques. L'argumentation ne nous semble pas prendre en considération le fait que l'article 4, paragraphes 1 et 2, s'applique uniquement aux espèces d'oiseaux sauvages dont l'existence même est menacée et aux espèces migratrices. Les oiseaux de telles espèces dont l'habitat se trouve être contigu à une zone de développement industriel ne méritent pas moins la protection de la directive que ceux qui se trouvent dans des zones plus éloignées. Dans l'exemple qui a été donné, si les deux sites en question répondent l'un et l'autre aux critères, définis dans les dispositions précitées, des sites propres à constituer « les territoires les plus appropriés ... à la conservation de ces [espèces] », la directive ne prévoit en rien de délier l'État membre de l'obligation de classer les deux sites en ZPS. Le simple fait qu'un État membre a classé un certain nombre de zones en ZPS ne lui permet pas d'omettre de classer un site qui, selon les critères ornithologiques objectifs de l'article 4, fait partie « des territoires les plus appropriés »; l'obligation imposée par l'article 4, paragraphes 1 et 2, ne consiste pas uniquement à atteindre un résultat général, comme le gouvernement du Royaume-Uni semble le croire, mais à « préserver, ... maintenir et ... rétablir les habitats en tant que tels, en raison de leur valeur écologique ( 50 )».

89.

Pour les motifs précédemment exposés, nous sommes d'avis que les États membres ne sont pas autorisés à faire entrer en ligne de compte des exigences économiques telles que celles mentionnées à l'article 2 de la directive sur les oiseaux pour désigner des ZPS ou en définir les limites en application de l'article 4, paragraphe 1 et/ou paragraphe 2, de la directive.

ii) Point a) de la seconde question: la possibilité de tenir compte des exigences économiques répondant à des intérêts généraux supérieurs dans le processus de classement en ZPS

90.

Comme la réponse que nous proposons à la première question est négative, la Cour devrait, selon notre point de vue, traiter la seconde question posée par la House of Lords. Le point a) de cette seconde question vise effectivement à déterminer si un État membre serait en droit de tenir compte des exigences visées à l'article 2 dans le processus de classement, au cas où ces exigences répondraient à un intérêt général supérieur à l'intérêt général représenté par l'objectif écologique de la directive (ci-après « intérêt général supérieur »), par application du critère dégagé par la Cour dans l'arrêt Leybucht. En fait, sous une forme différente, la question est encore de savoir si des intérêts économiques peuvent être pris en considération. Tout en comptant essentiellement sur une réponse affirmative à la première question, le gouvernement du Royaume-Uni a également fait valoir que refuser de considérer comme possible que des intérêts économiques puissent jamais constituer un tel intérêt supérieur général serait trop rigide et pourrait entraîner des résultats disproportionnés.

91.

Il semble que ce problème ait été soulevé pour la première fois par le juge Hoffman à la Court of Appeal et que le ministre l'ait évoqué pour la première fois devant la House of Lords. La pertinence de cette question au regard de la décision contestée n'est nullement évidente, puisque le ministre n'invoque pas un intérêt supérieur général, qu'il soit économique ou autre. Néanmoins, il appartient à la juridiction nationale d'appliquer toute réponse donnée par la Cour aux faits de la cause.

92.

Les considérations qui justifiaient une réduction de la superficie de la ZPS dans l'affaire des digues de la Leybucht étaient principalement fondées sur la nécessité de protéger la vie humaine; la Cour a estimé que « le danger d'inondations et la protection de la côte constituent des raisons suffisamment sérieuses pour justifier les travaux d'endiguement et de renforcement des structures côtières tant que ces mesures se limitent au strict minimum et ne comportent que la réduction la plus petite possible de la zone de protection spéciale » ( 51 ). Naturellement, l'arrêt intervenu dans l'affaire des digues de la Leybucht concernait un site déjà classé et portait sur les mesures qu'un État membre était obligé de prendre en application de l'article 4, paragraphe 4, lequel n'avait pas encore été modifié et ne contenait aucune disposition permettant une dérogation, comme celle ajoutée par l'article 7 de la directive sur les habitats. Il nous semble qu'il devrait s'ensuivre que les États membres peuvent tenir compte du même type d'intérêts supérieurs généraux dans le classement et la délimitation des ZPS, malgré le silence de la directive sur ce point. Toutefois, il s'ensuit également que, dans l'hypothèse où, en raison d'un intérêt supérieur général, un État membre ne classerait pas en ZPS un site particulier, ou une partie de site, propre par ailleurs à être classé, les dispositions pertinentes imposeraient à cet État membre de prendre des mesures compensatoires. Nous nous rallions, dans cette mesure, à l'opinion du gouvernement du Royaume-Uni, en ce qu'il observe qu'une telle obligation de compensation est inhérente aux paragraphes 1 et 2 de l'article 4 pour satisfaire à l'obligation principale édictée par ces dispositions. Aucune mesure en ce sens ne semble être contenue dans la décision contestée.

93.

S'agissant de la question de la proportionnalité, il est inhérent à des mesures de protection telles que celles en cause d'être susceptibles, dans certains cas particuliers, de restreindre un développement économique auquel il n'y aurait rien à objecter par ailleurs ( 52 ). Pour déterminer en quoi consiste la proportionnalité, il est important de se rappeler que, comme l'a observé le conseil de la RSPB à l'audience, les énormes pertes qui ont marqué les habitats des oiseaux au cours des décennies qui ont précédé l'adoption de la directive sur les oiseaux ne se sont pas produites d'un seul coup, mais qu'elles représentent l'aboutissement d'une accumulation de pertes très faibles; le fait qu'un site particulier est de petite dimension du point de vue géographique ne constitue donc pas un facteur déterminant.

94.

Nous concluons que, si un intérêt général supérieur tel que celui admis par la Cour dans l'arrêt Leybucht peut entrer en ligne de compte pour le classement et la délimitation des ZPS, on ne saurait considérer que des intérêts économiques constituent un intérêt général supérieur.

iii) Point b) de la seconde question: la possibilité de tenir compte des exigences économiques répondant a un intérêt public majeur au sens de l'article 6, paragraphe 4, de la directive sur les habitats dans le processus de classement en ZPS

95.

Le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que cette question ne peut être pertinente que pour les décisions de classement prises après l'entrée en vigueur de la directive sur les habitats, mais que, en l'espèce, la décision de classement était antérieure à la mise en œuvre de cette directive. Il est exact que la notion d'intérêt public majeur n'a été introduite dans la directive sur les oiseaux que par les modifications résultant de la directive sur les habitats et que, dès lors, il pourrait être défendable de considérer comme exacte la thèse du gouvernement du Royaume-Uni. Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, « il appartient aux seules juridictions nationales ... d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre le jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour » ( 53 ). En tout état de cause, nous ne sommes pas d'accord avec l'interprétation proposée de l'article 7 de la directive sur les habitats. Cette disposition ne contient rien qui l'empêche de s'appliquer à l'avenir à un site déjà classé. La House of Lords semble être d'avis que cette question est pertinente pour la décision qu'elle doit prendre dans la procédure pendante devant elle. Nous nous proposons donc de la traiter brièvement.

96.

Le gouvernement du Royaume-Uni considère que, dans les décisions de classement, les États membres doivent pouvoir tenir compte de « raisons impératives d'intérêt public majeur », ce qui comprend les exigences de « nature sociale et économique »; il estime que la solution contraire introduirait une complication superflue et inopportune dans le processus d'ensemble de la prise de décision et donnerait lieu à une action administrative inutile si un site devait d'abord être classé, puis faire immédiatement l'objet d'une procédure de dérogation.

97.

La différence entre, d'une part, la décision de ne pas classer un site en ZPS et, d'autre part, le classement de ce site suivi de la décision, même immédiate, de lui appliquer une procédure de dérogation n'est pas une question de différence de charges administratives comparées. Si un site qui est propre à être classé en ZPS selon l'article 4, paragraphe 1 ou 2, n'est pas classé, il ne bénéficiera pas des règles restrictives de protection établies par l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive sur les habitats et, en particulier, des dispositions de l'article 6, paragraphe 4, qui prévoient qu'un projet écologiquement destructeur ne peut être réalisé qu'« en l'absence de solutions alternatives » et que « l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée ».

98.

Les termes des modifications apportées à l'article 4 confirment le point de vue, que nous avons déjà exprimé, selon lequel les exigences économiques sont exclues de tout processus de décision relevant de l'article 4, paragraphe 1 ou 2; non seulement le Conseil n'a pas modifié les paragraphes 1 et 2 de l'article 4 de manière à autoriser les États membres à tenir compte des exigences économiques, mais les modifications apportées à l'article 4, paragraphe 4, lui-même, laissent aux États membres une marge d'appréciation limitée pour la prise en compte de ces exigences lorsque celles-ci se trouvent en opposition totale avec les obligations écologiques qui leur incombent en vertu de la directive.

99.

A la lumière de ce qui précède, nous sommes d'avis qu'un État membre n'est pas habilité à faire entrer en ligne de compte des exigences économiques au stade du classement, même lorsqu'il estime que ces exigences constituent des raisons impératives d'intérêt public majeur.

VI — Conclusion

100.

Pour les raisons précédemment exposées, nous proposons de répondre comme suit aux questions déférées à la Cour par la House of Lords:

«1)

Un État membre n'est pas en droit de tenir compte d'exigences économiques telles que celles mentionnées à l'article 2 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, pour le classement d'une zone en zone de protection spéciale, ni pour la délimitation d'une telle zone en application de l'article 4, paragraphe 1 et/ou 2, de cette directive.

2)

Dans le cadre du classement d'une zone en zone de protection spéciale en application de l'article 4, paragraphe 1 ou 2, de la directive 79/409:

a)

un État membre peut tenir compte d'un intérêt général supérieur à l'intérêt général représenté par l'objectif écologique de la directive, sous réserve de l'obligation de prendre des mesures compensatoires, inhérente à ces dispositions. Des exigences économiques ne constituent pas un intérêt général supérieur à cette fin;

b)

un État membre ne peut pas tenir compte d'exigences économiques qu'il considère comme des raisons imperatives d'intérêt public majeur au sens de l'article 6, paragraphe 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages. »


( *1 ) Langue originale: l'anglais.

( 1 ) Directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1).

( 2 ) Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7).

( 3 ) Au vu du dossier, il semble probable que le juge national ait voulu dire « pluvier argenté ».

( 4 ) Recueil des traités des Nations unies, volume 9%, p. 245; voir aussi la recommandation 75/66/CEE de la Commission, du 20 décembre 1974, aux États membres relative à la protection des oiseaux et de leurs habitats (JO 1975, L 21, p. 24) invitant les États membres à adhérer à la convention de Ramsar.

( 5 ) La RSPB a déclaré que des orientations de la Cour sur ce problème lui paraîtraient bienvenues. Même si l'exigence en cause peut effectivement se répercuter sur l'application de dispositions nationales visant à mettre en oeuvre les règles communautaires relatives à l'environnement, la juridiction de renvoi n'a cependant pas demandé de telles orientations et nous n'invitons pas la Cour à examiner ce problème dans le cadre de la présente procédure.

( 6 ) Voir points 41 et 42 des présentes conclusions.

( 7 ) C'est nous qui soulignons.

( 8 ) Les expressions « habitats naturels », « état de conservation favorable » et « habitats d'espèces » sont respectivement définies aux points b), c) et f) de l'article 1er de la directive.

( 9 ) Souligné par nous; cette expression fait l'objet du point b) de la seconde question déférée par la House of Lords (voir points 95 à 99 des présentes conclusions).

( 10 ) Arrêts du 8 juillet 1987, (247/85, Rec. p. 3029 et 262/85, Rec. p. 3073).

( 11 ) Arrêt du 28 février 1991 (C-57/89, Rec. p. I-883), ci-après l'« arrêt rendu dans l'affaire des digues de la Leybucht »ou l'« arrêt Leybucht ».

( 12 ) Arrêt du 2 août 1993 (C-355/90, Rec. p. I-4221), ci-après l'« arrêt rendu dans l'affaire des marais de Santoña » ou l'« arrêt Santoña ».

( 13 ) Arrêts du 8 février 1996, Vergy (C-149/94, Rec. p. I-299) et Van der Feesten (C-202/94, Rec. p. I-355).

( 14 ) Arrêt du 6 octobre 1982 (283/81, Ree. p. 3415, point 16).

( 15 ) Ibidem, point 4 des conclusions, p. 3435 à 3437.

( 16 ) L'article 2 mentionne aussi les exigences récréationnelles, mais celles-ci ne semblent présenter aucune pertinence en l'espèce.

( 17 ) Voir points 80 à 82 des présentes conclusions.

( 18 ) Arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil (68/86, Rec. p. 855, point 12).

( 19 ) Arrêts du 18 mars 1980, Commission/Italie (91/79, Rec. p. 1099, point 8), et Commission/Italie (92/79, Rec. p. 1115, point 8).

( 20 ) Arrêt du 7 février 1985 (240/83, Rec. p. 531, points 12 et 13); voir aussi arrêt du 20 septembre 1988, Commission/Danemark (302/86, Rec. p. 4607, point 8).

( 21 ) Voir actuellement articles 130 R à 130 T et article 100 A, paragraphes 3 et 4, du traité.

( 22 ) JO C 112, p. 1.

( 23 ) JO C 139, p. 25.

( 24 ) Voir, en particulier, les deuxième et huitième considérants, points 11 et 13 des présentes conclusions.

( 25 ) Point 13 des présentes conclusions.

( 26 ) Cela comporte un certain degré de protection extraterritoriale pour les oiseaux de sous-espèces qui ne sont pas présentes sur le territoire auquel la directive est d'application, si l'espèce est protégée: arrêt Van der Feesten, précité, note 13.

( 27 ) COM(76) 676 final du 20 décembre 1976, point III.2.

( 28 ) Arrêt précité note 10, point 8 (souligné par nous).

( 29 ) Il peut aussi, par exemple, servir de ligne directrice pour des modifications futures des annexes de la directive. Voir, à cet égard, les conclusions de l'avocat général M. Da Cruz Vilaça, sous l'arrêt cité à la note précédente, p. 3051 et 3052.

( 30 ) Voir points 51 à 53 des présentes conclusions.

( 31 ) Voir également l'exposé des motifs accompagnant la proposition de directive concernant la conservation des oiseaux présentée par la Commission, précité à la note 27, point 1.5.

( 32 ) Arrêt du 23 mai 1990 (C-169/89, Rec. p. I-2143, point 9).

( 33 ) Ibidem, point 12.

( 34 ) Arrêt précité à la note 13, point 16.

( 35 ) Arrêt précité note 11, Rec. p. I-901.

( 36 ) Ibidem, point 22.

( 37 ) Point 68 des présentes conclusions.

( 38 ) Arrêt Commission/Belgique, précité note 10, point 9.

( 39 ) Arrêt Commission/Espagne, précité note 12, point 18.

( 40 ) Ibidem, p. I-4228 et I-4229.

( 41 ) Cette opinion est clairement contredite par l'arrêt de la Cour dans l'affaire des digues de la Leybucht; voir point 83 des présentes conclusions.

( 42 ) Arrêt du 17 janvier 1991 (C-334/89, Rec. p. I-93, point 9).

( 43 ) Arrêt précité note 11, p. 896 et 897.

( 44 ) Ibidem, point 22.

( 45 ) Ibidem, point 24.

( 46 ) Ibidem, point 26.

( 47 ) Ibidem, point 22.

( 48 ) Ibidem, point 20.

( 49 ) Points 65 à 77 des présentes conclusions.

( 50 ) Arrêt Santoña, précité à la note 12, point 15.

( 51 ) Arrêt précité à la note 11, point 23.

( 52 ) Dans l'affaire des digues de la Leybucht, le gouvernement allemand, tout en soutenant que les États membres disposaient d'une grande marge d'appréciation dans l'application de l'article 4, paragraphe 4, a expressément admis que « dans les zones de protection spéciale, les intérêts économiques généraux tels que ceux du tourisme, de l'industrie ou de l'agriculture doivent céder le pas devant les impératifs de la protection des oiseaux » (affaire précitée à la note 11, p. I-897 et 898).

( 53 ) Arrêt du 6 juillet 1995, Soupcrgaz (C-62/93, Rec. p. I-1883, point 10).